Génie du christianisme/Partie 2/Livre 4/Chapitre VIII

Garnier Frères (p. 237-238).


Chapitre VIII - Des Anges

Tel est le merveilleux qu’on peut tirer de nos saints, sans parler des diverses histoires de leur vie. On découvre ensuite dans la hiérarchie des anges, doctrine aussi ancienne que le monde, mille tableaux pour le poète. Non seulement les messagers du Très Haut portent ses décrets d’un bout de l’univers à l’autre ; non seulement ils sont les invisibles gardiens des hommes, ou prennent pour se manifester à eux les formes les plus aimables ; mais encore la religion nous permet d’attacher des anges protecteurs à la belle nature ainsi qu’aux sentiments vertueux. Quelle innombrable troupe de divinités vient donc tout à coup peupler les mondes !

Chez les Grecs le ciel finissait au sommet de l’Olympe, et leurs dieux ne s’élevaient pas plus haut que les vapeurs de la terre. Le merveilleux chrétien, d’accord avec la raison, les sciences et l’expansion de notre âme, s’enfonce de monde en monde, d’univers en univers, dans des espaces où l’imagination, effrayée, frissonne et recule. En vain les télescopes fouillent tous les coins du ciel, en vain ils poursuivent la comète au delà de notre système, la comète enfin leur échappe, mais elle n’échappe pas à l’archange qui la roule à son pôle inconnu, et qui au siècle marqué la ramènera par des voies mystérieuses jusque dans le foyer de notre soleil.

Le poète chrétien est le seul initié au secret de ces merveilles. De globe en globe, de soleil en soleil, avec les Séraphins, les Trônes, les Ardeurs, qui gouvernent les mondes, l’imagination fatiguée redescend enfin sur la terre comme un fleuve qui par une cascade magnifique épanche ses flots d’or à l’aspect d’un couchant radieux. On passe alors de la grandeur à la douceur des images : sous l’ombrage, des forêts on parcourt l’empire de l’Ange de la solitude ; on retrouve dans la clarté de la lune le Génie des rêveries du cœur ; on entend ses soupirs dans le frémissement des bois et dans les plaintes de Philomèle. Les roses de l’aurore ne sont que la chevelure de l’Ange du matin. L’Ange de la nuit repose au milieu des cieux, où il ressemble à la lune endormie sur un nuage ; ses yeux sont couverts d’un bandeau d’étoiles ; ses talons et son front sont un peu rougis de la pourpre de l’aurore et de celle du crépuscule ; l’Ange du silence le précède, et celui du mystère le suit. Ne faisons pas l’injure aux poètes de penser qu’ils regardent l’Ange des mers, l’Ange des tempêtes, l’Ange du temps, l’Ange de la mort, comme des génies désagréables aux Muses. C’est l’Ange des saintes amours qui donne aux vierges un regard céleste, et c’est l’Ange des harmonies qui leur fait présent des grâces ; l’honnête homme doit son cœur à l’Ange de la vertu, et ses lèvres à celui de la persuasion. Rien n’empêche d’accorder à ces esprits bienfaisants des marques distinctives de leurs pouvoirs et de leurs offices : l’Ange de l’amitié, par exemple, pourrait porter une écharpe merveilleuse où l’on verrait fondus, par un travail divin, les consolations de l’âme, les dévouements sublimes, les paroles secrètes du cœur, les joies innocentes, les chastes embrassements, la religion, le charme des tombeaux et l’immortelle espérance.