Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques/2e éd., 1875/Alembert (jean le rond d’)

Dictionnaire des sciences philosophiques
par une société de professeurs et de savants

ALEMBERT (Jean le Rond d’), un des écri­vains célèbres du xvme siècle, naquit à Paris le 16 novembre 1717.

Il était fils naturel de Mme de Tencin et de Des­touches, commissaire provincial d’artillerie : il fut exposé sur les marches de la petite église de Saint-Jean le Rond, dans le cloître Notre-Dame ; de là il reçut le nom de Jean le Rond ; ce fut plus tard qu’il prit celui de d Alembert. L’officier de police auquel il fut porté, au lieu de l’envoyer aux Enfants-Trouvés, le confia à la femme d’un vitrier, qui eut pour lui des soins tout à fait ma­ternels, et à laquelle il conserva toute sa vie un tendre attachement. Serait-il téméraire de con­jecturer que par la suite, lorsque son mérite per­sonnel lui eut acquis un rang dans cette société dont sa naissance avait commencé par l’exclure, le ressentiment de cette injustice fut une des causes qui le jetèrent dans le parti philosophique, ligué pour battre en ruine les abus de l’ancien regime ? Ce bâtard qui ne tenait à rien, était une protestation vivante contre un ordre dé choses où la naissance était la condition première pour jouir de la considération et des avantages auxquels tous ont droit de prétendre. Ainsi Rousseau, fils d’un horloger, et que sa vie vagabonde avait maintes fois ravalé aux conditions les plus humbles ; ainsi Diderot, fils d’un coutelier, et forcé de ga-ner à la sueur de son front le pain de chaque jour ; ainsi Marmontel, fils d’un tailleur de pierres, et La— harpe, autre bâtard, et d’autres encore que le talent ne préserva pas de mourir à l’hôpital, n’étaient-ils pas destinés, par la nécessité de leur position, à invoquer un régime où nul obstacle n’empêchât l’homme de mérite de s’élever par lui— même ? n’étaient-ils pas les apôtres-nés de cette doctrine, que la vertu et les talents méritent seuls le respect, et que le mépris doit être réservé au vice et à la sottise ?

Quoi qu’il en soit, d’Alembert devait être un de ces esprits supérieurs qui percent l’obscurité de leur berceau. Son père, sans le reconnaître, lui assura du moins une pension qui permit de le faire élever avec soin ; il fut mis au collège Mazarin où il fit de très-bonnes études, et il annonça de bonne heure les facultés les plus heureuses. Néanmoins il parut hésiter un moment sur sa vocation. Ses professeurs, zélés jansénistes, l’attiraient vers la théologie ; a’un autre côté, il se fit recevoir avocat en 1738 ; mais bientôt son goût décidé pour les sciences mathématiques l’emporta. Dès l’âge de vingt-deux ans, en 1739, il présenta à l’Académie des sciences deux mé­moires, l’un sur le mouvement des solides dans les corps liquides, l’autre sur le calcul intégral. En 1741, il fut nommé membre de cette Académie. En 1746, son mémoire sur la théorie des vents remporta le prix à l’Académie de Berlin, qui l’admit dans son sein par acclamation.

Jusque-là d’Alembert, par ses travaux scienti*fiques, avait jeté les bases d’une renommée solide, mais resserrée dans le cercle étroit du monde sa­vant. Un homme aussi ardent et aussi fougueux que d’Alembert était réservé, Diderot, préparait alors le plan de Y Encyclopédie, ce vaste inven­taire des connaissances humaines, cette associa­tion si puissante par le lien qu’elle créait entre les gens de lettres et les philosophes, dont elle allait devenir le quartier général. Le chef de l’en­treprise chargea son ami d’Alembert de rédiger le discours préliminaire, péristyle digne du mo­nument que la philosophie voulait élever aux lumières du xvme siècle. Ce travail fonda la ré­putation de d’Alembert.

Assurément le discours préliminaire de Y Ency­clopédie n’est pas un ouvrage à l’abri de toute critique. L’auteur s’y proposait de retracer la gé­néalogie des connaissances humaines : c’était sa­tisfaire au besoin des époques de grande activité intellectuelle et d’ardente curiosité, qui se jettent tout d’abord dans la question des origines. C’était le temps, en effet, où Montesquieu venait de pu­blier Y Esprit des lois ; où Buffon, dans un tableau à la fois poétique et philosophique, avait essayé de décrire les premières émotions du premier homme sortant des mains de Dieu et s’eveillant à la vie ; où Condillac, après avoir, dans un pre­mier essai, décrit à sa manière l’origine de toutes nos connaissances, tentait, par l’ingénieuse fiction de sa statue, de montrer toutes les idées humaines sortant de la sensation transformée ; enfin c’était le temps où Rousseau, sinon avec une intuition plus complète de la vérité, du moins avec une bien autre puissance de talent, recherchait les causes de l’inégalité parmi les hommes. On était donc sûr de plaire au goût de l’époque, en re­cherchant la filiation dessciences, soit dans l’ordre logique, soit dans leur développement historique. Telle est, en effet, la division du discours de d’Alembert. Mais l’exécution est loin d’être irré­prochable. La classification de nos facultés, em­pruntée à Bacon, est des plus arbitraires, et en­traîne une fouie d’erreurs de détails. Ainsi, d’Alembert prétend ramener toutes les sciences à une de ces trois facultés : mémoire, raison, imagination. Sans insister sur la valeur de la classification en elle-même, elle a un vice ra­dical, en ce que ces trois facultés se confondent continuellement dans leur action ; nulle science n’est fondée sur une faculté unique ; il n’en est aucune pour laquelle le concours de plusieurs facultés ne soit indispensable. C’est par suite de cet arbitraire que les sciences et les arts se trouvent confondus sous les mêmes titres géné­raux, que l’éloquence, par exemple, figure parmi les sciences naturelles, et que l’histoire naturelle est prise pour une dépendance de l’histoire pro­prement dite.

Il y avait toutefois une idée ingénieuse et vraie à montrer toutes les sciences comme des bran­ches d’un même tronc, et à les rattacher aux fa­cultés de l’intelligence comme à leur principe. Les morceaux les plus remarquables du discours sont l’esquisse historique^ ou sont retracés les progrès ae l’esprit humain, et, pour la partie théorique, ce qui se rapporte aux sciences exactes et à l’analyse de leurs procédés : là brillent les qualités éminentes de 1 esprit de d’Alembert, la justesse, la sagacité, la finesse. Mais il devient vague et incomplet, lorsqu’il traite des matières purement philosophiques. On ne sent pas en lui cet enthousiasme, cette imagination élevée ? qui ne sont nullement incompatibles avec la philoso­phie. Du reste, sa doctrine se sépare nettement ici des opinions matérialistes professées par Di­derot et par la plupart des encyclopédistes. D’Alembert y reconnaît formellement que les propriétés que nous apercevons dans la matière n’ont rien de commun avec les facultés de vouloir et de penser.

On retrouve le même caractère dans YEssai sur les él’ments de philosophie ou sur les prin­cipes des connaissatices humaines. Tout en ad­mettant, avec Locke, que toutes nos idées, même les idées purement intellectuelles et morales, viennent de nos sensations, il y établit avec soin que la pensée ne peut appartenir à l’étendue, et il proclame sans hésitation la simplicité de la substance pensante. On y rencontre aussi des vues ingénieuses sur nos sens, et sur les idées que nous devons à chacun d’eux. Le problème de l’existence du monde extérieur est très-bien posé, et l’auteur se montre bien supérieur à Conaillac en cette partie ; il paraît s’être inspiré de l’article Existence, fait par Turgot pour

  • Encyclopédie. Après s’être élevé ici au-dessus des systèmes contemporains, il retombe dans le sensualisme et subit le joug de son siècle, lorsqu’il veut déterminer le principe de la mo­rale. Il définit l’injuste ou le mal moral, ce qui tend à nuire à la société, en troublant le bien— être physique de ses membres ; il s’arrête au principe de l’intérêt bien entendu. En même temps on rencontre des choses bien vues et bien dites, comme ceci : « Le vrai en métaphysique ressemble au vrai en matière de goût ; c’est un vrai dont tous les esprits ont le germe en eux— mêmes, auquel la plupart ne font pas d’attention, mais qu’ils reconnaissent dès qu’on le leur montre. Il semble que tout ce qu’on apprend dans un bon livre de métaphysique ne soit qu’une espèce de réminiscence de ce que notre âme a déjà su. » D’Alembert a écrit quelque part : « On ne saurait rendre la langue de la raison trop simple et trop populaire. » Voilà le véritable esprit de la philo­sophie du xvme siècle.

Les essais littéraires de d’Alembert manquent d’originalité. Il y montre, comme partout, un jugement droit et exact ; mais dans les matières de goût il laisse à désirer ce tact délicat que le raisonnement ne saurait remplacer ; son style précis, mais froid, a toujours quelque sécheresse. Si, comme écrivain, son talent ne paraît pas à la hauteur de sa renommée, il n’en a pas moins exercé une influence notable dans l’histoire lit­téraire de son époque. Il fut un des propagateurs les plus actifs du mouvement philosophique, tout en conservant beaucoup de mesure et’d’égards dans l’expression des idées les plus hardies. Il contribua même personnellement à la considéra­tion qu’obtinrent alors les gens de lettres ; son caractère honorable et son désintéressement y eurent une grande part. Il vécut longtemps d’une modique pension. L’impératrice Catherine II, après la révolution du palais qui la laissa seule maîtresse du trône de Russie, écrivit à d’Alem­bert pour lui offrir la place de gouverneur du grand-duc, avec 100000 francs d’appointements : il relusa. I.ors des premières persécutions diri­gées contre Y Encyclopédie. Frédéric II lui offrit sans plus de succès la présidence de l’Académie de Berlin. Jaloux de son repos, il préférait aux positions les plus brillantes une vie modeste, mais indépendante, avec l’immense considéra­tion qui l’entourait à Paris. Ce fut ce goût du repos et cette horreur des tracasseries, qui lui firent, dès 1759, abandonner Y Encyclopédie, et en laisser tout le fardeau peser sur Diderot. De là aussi la réserve et les ménagements qu’il s’im­posait dans ses écrits publics : il se dédommageait de cette contrainte dans sa correspondance avec Voltaire et avec le roi de Prusse ; c’est là que son scepticisme se montre à découvert, et qu’il médit à son aise du trône et de l’autel. A sa mort, ses amis les philosophes se scandalisèrent de ce que son testament commençait par ces mots : *< Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. »

Sans famille, sans place, sans fortune, d’Alem­bert n’en était pas moins un personnage impor­tant. Après la mort de Voltaire, il devint le chef du parti philosophique. La société qu’il réunissait dans son petit entre-sol du Louvre fut plusieurs années une des plus brillantes de Paris. Là se rendaient d’anciens ministres, comme le duc de Choiseul, de grands seigneurs, parfois gens de beaucoup d’esprit : tout ce qu’il y avait d’étran­gers marquants tenait à honneur d’y être admis, et il y reçut, en 1782, le comte et la comtesse du Nord (le grand-duc de Russie qui fut depuis Paul Ier, et son épouse, la mère de l’empereur Alexandre). L’àme de cette société fut longtemps Mlle de l’Espinasse^ dont le tact et la finesse ne furent pas inutiles a la considération de son ami.

Après la mort de Duclos, en 1772, d’Alembert devint secrétaire perpétuel de l’Académie fran­çaise. Ce fut pour remplir les devoirs de cette place qu’il composa les eloges des académiciens, parmi lesquels on a remarqué ceux de Destou­ches, de Boileau, de Fénelon, etc. ; ils sont en général instructifs, semés d’anecdotes piquantes. On lui a reproché quelquefois de courir après le trait, pour capter les applaudissements de la multitude qui suivait alors les représentations académiques. Sa conversation était spirituelle, intéressante par un fonds inépuisable d’idées et de souvenirs curieux : il contait avec grâce et faisait jaillir le trait avec une prestesse qui lui était particulière. On cite de lui des mots qui ont un caractère d’originalité fine et profonde : « Qu’est-ce qui est heureux ? quelque misérable. » Il disait « qu’un état de vapeur est un état bien fâcheux, parce qu’il nous fait voir les choses comme elles sont. » Il mourut à Paris, le 29 oc­tobre 1783.A… D.

Malgré ses mérites comme philosophe et comme écrivain, c’est à titre de savant que d’Alembert est le plus célèbre ; il est même le seul, parmi les hommes supérieurs qui ont dirigé le mouve­ment philosophique du xviii® siècle, qu’on doive compter au nombre des géomètres du premier ordre. Cette circonstance est d’autant plus re­marquable, que Fontenelle et Voltaire, en se faisant, à leur manière, les interprètes des grands génies du siècle précédent, avaient mis, pour ainsi dire, la géométrie à la mode chez les beaux esprits. Il est donc indispensable de dire quelques mots des travaux mathématiques de d’Alembert, en tant, du moins, que cela peut contribuer à faire mieux connaître et apprécier le philosophe et l’encyclopédiste.

Du vivant de d’Alembert, l’esprit de parti n’a pas manqué de vouloir rabaisser en lui le géo­mètre ; mais les juges les plus compétents, ceux qui se tenaient le plus à l’écart des coteries phi­losophiques et littéraires, n’ont jamais méconnu l’originalité, la profondeur de son talent, l’impor­tance de ses découvertes. Émule de Clairaut, d’Euler et de Daniel Bernouilli, souvent plus juste à leur égard qu’ils ne l’ont été au sien, il n’a sans doute ni l’élegante synthèse de Clairaut, ni la parfaite clarté, ni surtout la prodigieuse fécondité d’Euler ; mais quand on a donné le premier, après les tentatives infructueuses de Newton, la théo­rie mathématique de la précession des équinoxes, quand on a attaché son nom à un principe qui fait de toute la dynamique un simple corollaire de la statique, on a incontestablement droit à un rang éminent parmi les génies inventeurs. Après Dc-scartes, Fermât et Pascal, la France avait vu le sceptre des mathématiques passer en des mains étrangères · Clairaut et d’Alembert le lui ont rendu, ou du moins ils ont pu lutter glorieusement avec les deux illustres représentants de l’école deBâle ; et sur la fin de sa carrière, lorsque d’Alembert, malade, chagrin, sentait son génie décliner (comme sa correspondance manuscrite le laisse assez voir), il prodiguait à Lagrange les marques d’admiration ; il distinguait le talent naissant de Laplace, et se préparait ainsi des successeurs qui l’ont surpassé.

Il faut pourtant le dire : le nom de d’Alembert est resté et restera dans la science ; mais, quoi­qu’il n’y ait guère plus d’un demi-siecle entre lui et nous, déjà l’on ne lit plus ses écrits, tandis que ceux de Clairaut, d’Euler et surtout de La— grange demeurent comme des modèles du style mathématique. Chose singulière ! trois géomètres de la même école, tous trois écrivains élégants, membres de l’Académie française, tous trois adeptes zélés de la philosophie du χνπΓ siècle, d’Alembert, Condorcet et Laplace, ont eu tous trois dans leur style mathématique une manière heurtée, obscure, qui rend pénible la lecture de leurs ouvrages, et les a fait ou les fera vieillir promptement. Assurément nous n’entendons pas mettre Condorcet, comme géomètre, sur la ligne de d’Alembert ou de Laplace, et nous reconnais­sons que l’importance toute spéciale des grandes compositions de Laplace doit les faire durer plus que les fragments sortis de la plume de d’Alem­bert ; mais le trait de ressemblance que nous si­gnalons n’en mérite pas moins, à notre sens, l’attention du philosophe.

Voici la liste des ouvrages de d’Alembert, pu­bliés séparément, liste qui donnerait une idée démesurée de l’étendue de ses travaux, si l’on ne prenait garde que tous forment des volumes très— minces et d’un très-petit format in-4.

Traité de Dynamique, 1743, 1 vol. ; 2° Trai­té de VEquilibre et du mouvement des fluides, 1740-70, 1 vol. ; 3° Réflexions sur la cause gé­nérale des vents, 1747, 1 vol. ; 4° Recherches sur la précession des équinoxes et sur la nutation de l’axe de la terre, 1749, 1 vol. ; 5° Essai d’une nouvelle théorie sur la résistance des fluides, 1752, 1vol. ; 6° Recherches sur différents points importants du système du monde, 1754-56. 3 vol. ; 7° Opuscules mathématiques, 8 vol. publiés en 1761, 1764, 1767, 1768, 1773 et 1780.

Le Traité de Dynamique est particulièrement remarquable par l’énonc*5 du fameux principe que l’on désigné encore sous le nom de Principe de d’Alembert. Si l’on imagine un système de corps en mouvement, liés entre eux d’une manière quelconque, et réagissant les uns sur les autres au moyen de ces liaisons, de manière à modifier les mouvements que chaque corps isolé prendrait en vertu des seules forces qui l’animent, on pourra considérer ces mouvements comme com­posés, 1° des mouvements que les corps prennent effectivement, en vertu des forces cpi les animent séparément, combinées avec les reactions du sys­tème ; 2° d’autres mouvements qui sont détruits par suite des liaisons du système : d’où il résulte que les mouvements ainsi détruits doivent être tels, que les corps animés de ces seuls mouve­ments se feraient équilibre au moyen des liaisons du système. Avec ce principe, la science du mou­vement n’est plus qu’un corollaire purement ma­thématique de la théorie de l’équilibre. Il n’y a plus de principe nouveau à emprunter, soit à la raison pure, soit à l’expérience, plus d’artifice particulier de raisonnement à imaginer ; il ne reste que des difficultés de calcul, et celles-ci sont inhérentes à la nature des choses. En tout cas, l’esprit humain a accompli sa tâche quand il est parvenu à classer ainsi les difficultés, et à pousser les réductions autant qu’elles peuvent l’être. Le principe de d’Alembert est un bien bel exemple philosophique d’une telle réduction.

Dans le cours de ses recherches sur divers points du système du monde et sur la mécanique, d’Alembert a dû s’occuper beaucoup du calcul intégral, c’est-à-dire de l’instrument sans lequel il aurait fallu renoncer à traiter ces questions épineuses. En 1747, il faisait paraître dans les mémoires de Berlin ses premières recherches sur les cordes vibrantes, qui sont le point de départ de l’intégration des équations aux différences partielles, ou de la branche de l’analyse à laquelle se sont rattachées depuis presque toutes les ap­plications du calcul à la physique proprement dite. D’Alembert eut avec Euler une discussion célèbre sur un point capital de doctrine, sur la question de savoir si les fonctions indéterminées, ou, comme disent les géomètres, les fonctions arbitraires qui entrent dans les intégrales des équations aux différences partielles, peuvent re­présenter des fonctions non soumises à la loi de continuité. Tous les principaux géomètres du dernier siècle ont pris part à cette controverse, qui se résout tout simplement, et, il faut l’avouer, contre les idées de d’Alembert, lorsqu’on définit avec précision les diverses solutions de conti­nuité, et lorsqu’on se place dans l’ordre d’abstrac­tion qui caractérise la théorie des fonctions et la distingue essentiellement des autres branches des mathématiques. Mais l’esprit humain a tou­jours plus de peine à bien fixer la valeur des notions fondamentales sur lesquelles il opère, qu’à les faire entrer dans des constructions com­pliquées et savantes.

Fondateur de l’Encyclopédie, d’Alembert s’était chargé, dans cette grande compilation, des prin­cipaux articles de mathématiques pures et même appliquées. Ces articles forment encore le fond du Dictionnaire de Mathématiques de l’Encyclo­pédie dite méthodique. Tous les points impor­tants de la philosophie des mathématiques, ceux qui se rattachent aux notions des quantités néga­tives, de l’infiniment petit, des forces, s’y trou­vent traités de la main de d’Alembert, dont les articles doivent être lus par tous ceux qui s’occu­pent de ces matières. Sans exagérer, comme Condillac l’a fait, le rôle du langage, d’Alembert se montre enclin aux solutions purement logiques, à celles qui s’appuient sur des définitions et des institutions conventionnelles. Il n’apprécie pas assez la valeur des idées abstraites indépen­damment des procédés organiques par lesquels l’esprit humain s’en met en possession, les éla­bore et les transmet : mais, pour justifier cette assertion générale, il faudrait entrer dans une critique détaillée, que la spécialité de ce Dic­tionnaire ne comporte pas. C… t.

L’édition la plus complète des œuvres de d’Alembert est celle de Belin, 5 vol. in-8, Paris, 1821-22. Consultez un Mémoire de M. Damiron sur d’Alembert, dans le tome XXVII du Compte rendu des séances de l’Académie des sciences morales et politiques.