Fragments de la Grande Histoire de Salluste

FRAGMENTS
DE LA GRANDE HISTOIRE DE SALLUSTE

AVERTISSEMENT


On sait, que Salluste, outre l’Histoire de la Conquête de la Numidie, celle de la Conjuration de Catilina, et ses deux Discours adressés à César sur le gouvernement de la république, avait, dans ses derniers jours, composé l’Histoire d’une partie du septième siècle de Rome, et la Description du Pont-Euxin. Ces deux ouvrages sont perdus, mais il en reste des fragments. Le premier contenait, en cinq ou six livres, adressés à Lucullus, fils du vainqueur de Mithridate, un récit des Événements civils et militaires arrivés dans la république romaine depuis le consulat de Lépide et de Catulus, époque de la mort de Sylla, jusqu’au moment où le pouvoir que la loi Manilia conférait à Pompée remettait de nouveau la république sous la dictature d’un seul homme : Res populi romani, M. Lepido, Q. Catulo, coss., ac deinde militiæ et domi gestas composui, disait Salluste au début de son ouvrage[1]. Cet intervalle ne comprenait pas plus de quatorze années, de l’an de Rome 675 à l’an 688. Mais, comme l’historien remontait jusqu’au commencement des démêlés de Marius et de Sylla, c’est-à-dire jusque vers l’époque où s’était terminée la guerre de Jugurtha, l’an 650, et qu’il ne s’arrêtait que vers le temps de la conjuration de Catilina, on peut dire que le corps entier de ses Histoires, y compris la Guerre de Jugurtha, son Histoire générale, et celle de la Conjuration de Catilina, embrassait un espace de cinquante ans. La perte de l’Histoire de Salluste est d’autant plus à regretter, que, par une fatalité singulière, tous les auteurs qui ont écrit d’une manière complète et suivie les annales de cette époque se trouvent avoir une lacune dans cet endroit intéressant. Cependant il reste de nombreux fragments de l’Histoire de Salluste, et de sa Description du Pont-Euxin, presque tous épars dans les anciens grammairiens latins et les vieux glossateurs. Tous ces lambeaux, rapportés par des rhéteurs qui n’avaient que la grammaire en vue, sont isolés, fort courts et d’un faible intérêt historique. Des fragments plus étendus, mais en petit nombre, ont été rapportés par Sénèque, Quintilien, Aulu-Gelle, Isidore de Séville, et surtout par saint Augustin, en son livre de la Cité de Dieu. Enfin Pomponius Létus, dans un manuscrit du Vatican, qui contenait la copie d’un grand nombre de morceaux tirés des anciens historiens, trouva quatre discours et deux lettres extraites de l’ouvrage perdu de Salluste. Janus Van-der-Does (Jean Douza), Riccoboni, Paul Manuce et Louis Carrion avaient commencé avec plus ou moins de succès à rassembler ces fragments et à les annoter ; mais, quelque louables qu’aient été leurs efforts, combien leur travail n’est-il pas inférieur à celui du président de Brosses !

A son exemple, jaloux de reproduire tout ce qui nous reste dé Salluste, M. Du Rozoir avait recueilli et traduit de nouveau, non-seulement les six fragments les plus considérables de sa Grande Histoire, déjà publiés en français, mais encore un grand nombre de passages bien moins étendus, que les traducteurs n’avaient pas jugés dignes de leur attention. On aura donc dans cette édition le recueil le plus exact et le plus complet qui ait été fait jusqu’ici des Fragments de Salluste.



FRAGMENTS
DE LA PRÉFACE ET DU PREMIER LIVRE
DE LA GRANDE HISTOIRE DE SALLUSTE

Dans cette préface, l’historien semblait fortement pénétré de l’importance de la tâche qu’il avait entreprise :

i.

Il n’en est pas de plus importante, ni qui mérite d’être écrite avec plus de soin, que l’histoire qui nous occupe maintenant.

ii.

Au milieu des factions qui ont armé les citoyens les uns contre les autres, l’esprit de parti ne m’a point fait trahir la vérité.

De là, Salluste passait en revue les divers historiens qui l’avaient précédé dans la carrière :

iii.

Dans ce grand nombre d’habiles écrivains.....

iv.

Caton, le plus disert de tous les Romains, habile surtout à renfermer beaucoup de choses en peu de mots.

Il citait aussi Fannius, dont il proclamait la véracité.

v.

Fannius vero veritatem.....

Il faisait ensuite le résumé des dissensions qui avaient agité Rome depuis l’expulsion des rois jusqu’au temps des Gracques, de Marius et de Sylla. Il indiquait en même temps les causes de la grandeur romaine ; et tel est le sujet des fragments détachés qui vont suivre.

vi.

Parmi nous, les premières dissensions n’ont point eu d’autre cause que cette disposition fatale du cœur humain, qui, toujours inquiet, indomptable, ne se plaît qu’à lutter pour la liberté, pour la gloire ou pour la puissance.

vii.

Mais l’esprit de discorde, de cupidité, d’ambition, et tous les autres vices, fruits ordinaires de la prospérité, prirent, après la ruine de Carthage, un nouvel essor. Et, en effet, les injustices des grands, et par suite la scission du peuple d’avec le sénat, et bien d’autres dissensions, avaient eu lieu des l’origine. Même après l’expulsion des rois, ce fut seulement tant qu’on craignit Tarquin et une guerre terrible contre l’Étrurie, que la justice et la modération présidèrent au gouvernement. Mais, aussitôt après, les patriciens traitèrent le peuple en esclave, condamnèrent à mort, firent battre de verges, comme avaient fait les rois ; s’emparèrent des biens, et, usurpant les droits de leurs concitoyens, s’arrogèrent seuls toute la puissance. Soulevé par ces barbaries, accablé surtout par une dévorante usure, tandis, qu’il avait à supporter, dans des guerres perpétuelles, le poids du service militaire, et des impôts, le peuple se retira en armes sur le mont Sacré et sur le mont Aventin. C’est ainsi qu’il obtint des tribuns, et revendiqua bien d’autres droits. Les querelles et la lutte des deux partis eurent pour terme la seconde guerre punique.

viii.

De sérieuses alarmes s’emparèrent de nouveau des esprits, et, détournant leur inquiétude de ces dissensions pour un intérêt plus pressant, rétablirent l’union entre les citoyens. Alors la direction, des affaires revint aux mains d’un petit nombre d’hommes honnêtes, mais à leur manière ; et, les anciens abus étant devenus plus tolérables par des concessions mutuelles, la république dut sa grandeur à la sage politique d’un petit nombre de bons citoyens.

ix.

L’habileté de ses généraux a fait la principale force de Rome. C’est sous le consulat de Servius Sulpicius et de M. Marcellus qu’ont été soumises par les armes romaines toutes les Gaules comprises entre le Rhin, la Méditerranée et l’Océan, à l’exception des lieux que des marais rendent impraticables.

Une sagesse irréprochable, une parfaite union, marquèrent la conduite du peuple romain durant l’intervalle de la seconde à la troisième guerre punique.

x.

Affranchis de la crainte de Carthage, les Romains eurent le loisir de se livrer à leurs dissensions ; alors s’élevèrent de toutes parts les troubles, les séditions, et enfin les guerres civiles. Un petit nombre d’hommes puissants, dont la plupart des citoyens étaient devenus les créatures, exercèrent, sous le nom imposant tantôt du sénat, tantôt du peuple, un véritable despotisme. On ne fut plus bon ou mauvais citoyen, selon ce qu’on faisait pour ou contre la patrie ; car tous étaient également corrompus : mais plus on était riche, en état de faire impunément le mal plus, pourvu qu’on défendît l’ordre présent des choses, on passait pour homme de bien. Dès ce moment, ce ne fut plus par degrés comme autrefois, mais avec la rapidité d’un torrent, que se répandit la dépravation ; la jeunesse fut tellement infectée du poison du luxe et de l’avarice, qu’on vit une génération de gens dont il fut juste de dire qu’ils ne pouvaient avoir de patrimoine ni souffrir que d’autres en eussent.

Salluste, poursuivant le cours de son rapide résumé, arrive aux séditions des Gracques, et c’est aux événements dont elles furent l’occasion, qu’on peut rapporter les fragments qui suivent :

xi.

Les plus funestes séditions commencèrent au temps de Gracchus (Tiberius).

xii.

Ce fut un prétexte pour introduire des innovations.

Après les premiers démêlés de Marius et de Sylla, venait la guerre Sociale, à laquelle se réfèrent ces deux fragments :

xiii.

Telle avait été la sollicitude affectueuse de nos ancêtres pour la nation italique.

xiv.

En se secourant ainsi de proche en proche, les différents peuples de l’Italie furent tous successivement entraînés à la guerre.

Après la guerre Sociale, Sylla, consul, fut chargé par le sénat d’aller combattre Mithridate ; mais Marius, aidé du tribun Sulpicius, se fait donner ce commandement par un plébiscite. Sylla, qui était déjà en Campanie, à la tête de son armée, revient sur Rome, s’en rend maître, et proscrit Sulpicius, qui est mis à mort, et Marius, qui n’échappe qu’avec des périls inouïs. Après avoir rendu au sénat ses prérogatives, Sylla part pour la Grèce ; mais Cornelius Cinna, fougueux partisan de Marius, attaque à main armée Octavius, son collègue, et le parti du sénat. Vaincu et chassé de Rome, il rassemble une nouvelle armée, rappelle Marius et les autres proscrits, puis vient assiéger la capitale de l’empire. Le sénat, après la défaite de l’armée d’Octavius et de celle du proconsul Pompeius Strabon, n’avait plus à ses ordres que l’armée de Metellus Pius ; mais il était en Apulie, occupé de combattre les Samnites :

xv.

Et, Metellus étant éloigné, l’espérance du secours l’était aussi.

Son arrivée tardive n’empêcha point Cinna et Marius d’entrer dans Rome, qui devint le théâtre des plus sanglantes exécutions :

les autels des dieux ne furent pas même un asile contre les proscrits.
xvi.

Quand on souillait du sang des suppliants les autels et tous les lieux consacrés au culte.

La tyrannie de Marius fut courte : il mourut le dix-septième jour de son septième consulat ; mais Cinna et Carbon eh perpétuèrent les excès. Après avoir vaincu Mithridate, Sylla lui avait accordé la paix, mais à de dures conditions, quoique ce prince eût espéré que, pressé d’aller à Rome accabler ses ennemis.

xvii.

Il aurait terminé cette guerre à quelques conditions que ce fût.

Arrivé en Italie, Sylla défit le consul Norbanus en Campanie, puis attira sous ses drapeaux, près de Téanum, l’armée de Corn. Scipion Asiaticus, collègue de ce dernier.

xviii.

En dépit de ce consul, il permit à ses soldats d’entrer en pourparlers [avec ceux de Scipion] ; quelques-uns se laissèrent gagner, et leur exemple entraîna toute l’armée, qui se donna à Sylla.

Cette défection fut d’autant plus prompte, que la plupart des soldats de Scipion

xix.

…N’avaient, à vrai dire, ni éloignement ni affection [pour Sylla], mais n’envisageaient qu’avec horreur les désastres d’une guerre civile.

Cependant le jeune Cn. Pompée, ayant levé des troupes de sa propre autorité, remporta divers avantages sur les partisans de Marius, puis alla se joindre à Sylla, qui lui décerna le surnom d’imperator.

Carbon, quoique vaincu, rentra dans Rome, et se fit nommer consul pour la quatrième fois, avec le jeune Marius, qui renouvela les proscriptions de son père adoptif. Sylla marche vers Rome, bat le jeune Marius,

xx.

Qui avait son quartier-général à Preneste.

Nouvel allié de Marius, Pontius Telesinus, chef des Samnites, toujours en armes depuis la guerre Sociale, dispute, à Sylla l’entrée de Rome.

xxi.

Ainsi la défaite de Marius avait imposé à Sylla la tâche d’une double guerre.

Telesinus est tué au moment où la victoire allait le rendre maître de Rome. Sylla fait égorger huit mille prisonniers sur le champ de bataille. Un corps de trois mille Samnites, Marses et Lucaniens lui demande quartier. Il répondit qu’il l’accorderait à ceux qui s’en rendraient dignes par la mort de leurs compagnons. Ils acceptent avec empressement cette cruelle alternative,

xxii.

Et [paraissant] moins céder à la contrainte qu’emportés par l’animosité, ils tombent sous le fer les uns des autres, plus coupables encore que malheureux.

Bientôt commencèrent dans Rome les proscriptions de Sylla, dont le tableau tracé par Salluste est entièrement perdu, sauf deux traits, l’un relatif au supplice affreux de Marius Gratidianus, qui fut immolé sur le tombeau des Catulus ; l’autre, concernant les biens des proscrits.

xxiii.

Après qu’on lui eut brisé les jambes, pour que tous ses membres subissent les angoisses de la mort.

xxiv.

Les biens des proscrits ayant été vendus ou dissipés en largesses.

La fureur des proscriptions ne s’arrêta point dans Rome ; le sang coula par toute la république, et la guerre civile se propagea jusqu’en Afrique. Le consul Carbon, qui était aux prises avec Metellus Pius, dans la Gaule cispadane, pouvait encore résister longtemps ; mais, à la nouvelle de deux échecs peu décisifs reçus par ses lieutenants,

xxv.

Saisi d’une lâche terreur, il déserta tout à coup l’Italie et son armée.

Il s’embarqua à Rimini, et fit voile vers Cossura, petite île sur la côte d’Afrique ; mais il tomba entre les mains de Pompée, qui venait de soumettre la Sicile. Carbon semblait pouvoir tout espérer de la clémence de ce jeune lieutenant de Sylla, dont il avait protégé la jeunesse. Pompée fut insensible à ses supplications : il fit périr sous ses yeux Carbon, qui, pour gagner un instant de vie,

xxvi.

Feignit d’avoir à satisfaire un besoin naturel,

« Et il fut, dit Valère-Maxime, décapité dans cette posture.»

Cependant Domitius Ahenobarbus, lieutenant de Carbon, s’était retiré en Afrique, où Hiarbas, roi d’une partie de la Numidie, vint le joindre avec toutes ses forces, dont il s’était servi pour dépouiller Hiempsal II, autre prince de la race de Masinissa. Pompée se hâta de passer en Afrique, et débarqua à Curubis, petit port voisin de Carthage. Vainqueur de Domitius, qui fut tué dans l’action, il poursuit Hiarbas, et dissipe sans peine les Africains, qui avaient pris les armes.

xxvii.

Cette guerre avait pour motif la crainte de Pompée vainqueur, et qui voulait rétablir Hiempsal dans son royaume.

Après avoir terminé en quarante jours cette campagne, Pompée, dont la gloire portait ombrage à Sylla, fut rappelé en Italie. Il obéit malgré ses troupes, qui lui offraient leurs bras s’il eût voulu résister à cet ordre. Un ennemi moins digne de lui devait s’élever contre Sylla ; c’était M. Emilius Lepidus, qui déshonorait un nom illustre par ses vices et par sa présomptueuse impéritie. On l’avait vu zélé fauteur du parti populaire, au temps du triomphe de Marius, sous le septième consulat duquel il fut édile curule. Il fut des premiers à passer sous les drapeaux de Sylla vainqueur, et s’enrichit des biens des proscrits. Après avoir exercé la préture, il fut envoyé en Sicile, et, par ses concussions, il mérita d’être traduit en justice à son retour ; mais ses accusateurs, cédant aux instances du peuple, se désistèrent ; et Lepidus, enhardi par l’impunité, osa briguer le consulat. Adulateur servile de Sylla, il en avait espéré la protection ; mais le dictateur, qui avait trop bien jugé ce factieux, lui défendit de se mettre sur les rangs. Alors Lepidus se tourne vers Pompée, qui, flatté de voir qu’on espérait obtenir par son influence ce que Sylla ne voulait pas accorder, saisit cette occasion de montrer son crédit sur le peuple ; il fit élire Lepidus consul, par préférence à Catulus, qui ne fut nommé que le second, malgré son mérite éminent et la protection déclarée du dictateur. Sylla, déjà résolu d’abdiquer la puissance, ne parut pas très-sensible à cette espèce d’affront ; il se contenta de prédire à Pompée, encore tout enorgueilli de ce triomphe, les maux qui allaient résulter de l’élection de Lepidus : « C’est à vous maintenant, dit-il, à veiller aux affaires, et à ne pas vous endormir après avoir armé contre vous-même un dangereux ennemi. »

Ce pronostic ne tarda pas à se vérifier. Lepidus, à peine désigné consul, conçoit le projet de se rendre maître du gouvernement à la place de Sylla. Il cabale, il murmuré sourdement contre l’état présent des choses ; il rallie les familles des proscrits ; puis, exagérant ses ressources pour multiplier ses partisans, il se vante d’avoir des fauteurs en Étrurie, dans la Gaule transalpine ; enfin d’avoir tout pouvoir sur Pompée. Ainsi parlait Lepidus, d’abord dans des entretiens particuliers. Bientôt dans une réunion générale de ses principaux partisans ; tenue le plus secrètement possible, il révéla tous ses projets dans le discours qui suit :

xxviii.
DISCOURS DU CONSUL EMILIUS LEPIDUS.

I. Romains, votre clémence et votre droiture, qui font, aux yeux des nations étrangères, votre supériorité et votre gloire, m’inspirent bien des alarmes au sujet de la tyrannie de L. Sylla. Je crains que, peu portés à supposer dans les autres ce que vous auriez horreur de faire, vous ne vous laissiez surprendre ; je le crains d’autant plus, que vous avez affaire à un homme qui n’a d’espoir que dans le crime et dans la perfidie, et qui ne peut se croire en sûreté qu’en se montrant plus méchant et plus détestable, afin de vous ôter, par l’excès de vos maux, jusqu’au sentiment de votre liberté : ou, si votre prudence veille encore, de vous tenir plus occupés à vous défendre de vos périls, qu’à assurer votre vengeance. Pour satellites, il a, je l’avoue, des hommes du plus grand nom, illustres par les belles actions de leurs ancêtres, et je ne puis me lasser d’admirer comment, achetant par leur servitude le droit de domination sur vous, ils préfèrent une double injustice au noble exercice d’une légitime liberté.

II. Oh ! les glorieux rejetons des Brutus, des Emilius, des Lutatius, nés tout exprès pour détruire ce que leurs ancêtres avaient conquis par leur valeur ! car enfin, contre Pyrrhus et Annibal, contre Philippe et Antiochus, que prétendait-on défendre, sinon la liberté publique, les propriétés de chaque citoyen, le droit enfin de n’obéir qu’aux lois ? Tous ces biens, ce cruel Romulus nous les a ravis comme à des étrangers, et il les retient encore. Ni le sang de tant d’armées, ni celui d’un consul, ni celui de nos premiers citoyens, victimes des hasards de la guerre, n’ont assouvi sa rage ; et sa cruauté s’accroît même au sein de la prospérité, qui d’ordinaire change la colère en pitié. Que dis-je ? il est le seul entre tous les mortels qui ait prononcé des supplices contre les enfants à naître, voulant ainsi qu’une injuste proscription leur fût assurée avant l’existence ; et maintenant, ô comble de perversité ! il peut, grâce à l’excès même de ses forfaits, en toute sûreté, se livrer à sa fureur, tandis que vous, dans la crainte d’une servitude plus affreuse encore, vous n’osez reconquérir votre liberté.

III. Il faut agir, Romains, il faut le prévenir, de peur que vos dépouilles ne lui appartiennent à jamais. Il n’est plus temps de différer ni de compter sur l’efficacité de vœux pusillanimes, à moins peut-être que vous n’espériez qu’un jour le dégoût ou la honte de la tyrannie ne lui fasse abandonner un pouvoir usurpé par le crime, mais qu’il est trop périlleux de quitter. Sachez-le : au point où il en est, il n’y a pour lui de glorieux que ce qui est sûr, d’honorable que ce qui peut affermir sa domination. Ainsi ce calme, ce loisir avec la liberté, que nombre de vertueux citoyens préféraient aux sollicitudes inséparables des honneurs, ne sont plus de saison. Il faut aujourd’hui, Romains, servir ou commander, subir ou imposer la crainte.

IV. Et qu’attendez-vous de plus ? que vous reste-t-il de droits divins ou humains qui n’aient été violés ? Naguère l’arbitre des nations, maintenant dépouillé de sa puissance, de sa gloire, de ses droits, sans ressources pour exister, et méprisé, le peuple romain ne reçoit pas même les aliments assurés aux esclaves. Une grande partie des alliés et des habitants du Latium avaient, pour prix de nombreux et honorables services, reçu de vous le droit de cité : un seul homme les leur enlève ; et des populations paisibles ont vu les demeures de leurs pères envahies par un petit nombre de satellites, ainsi payés de leurs crimes. Lois, jugements, trésor public, provinces, royaumes étrangers, tout est à la discrétion d’un seul, tout, jusqu’au droit dévie et de mort sur les citoyens. Vous avez vu les hommes immolés comme des victimes, et les tombeaux arrosés du sang des citoyens.

Y a-t-il, pour des hommes, d’autre parti que de s’affranchir de l’oppression pu de mourir avec courage ? Car enfin la nature a prescrit à tous, les hommes, à ceux même qu’environne un rempart de fer, un terme inévitable, et, s’il n’a un cœur de femme, nul n’attend le dernier coup sans oser se défendre.

V. Mais, à entendre Sylla, je suis un séditieux, parce que je m’élève contre ceux que nos troubles ont enrichis ; un homme qui veut la guerre, parce que je réclame les droits de la paix, Ah ! je comprends : il n’y aura ni bien-être ni sûreté dans l’état, si le Picentin Vettius et le greffier Cornelius ne dissipent en profusions les légitimes propriétés d’autrui ; si l’on n’approuve les proscriptions de tant d’innocents, sacrifiés pour leurs richesses, les supplices des personnages les plus illustres, Rome dépeuplée par l’exil et le meurtre, et les biens des citoyens donnés ou vendus comme le butin pris sur les Cimbres.

Mais je possède aussi des biens de proscrits ! Oui, et c’est là le plus grand de ses crimes, qu’il n’y ait eu, ni pour moi, ni pour personne, de sûreté à rester fidèle à la justice. Mais ce qu’alors j’ai acheté par crainte, ce dont j’ai versé le prix, j’offre de le rendre aux légitimes propriétaires : mon intention est de ne pas souffrir que personne soit riche de la dépouille de ses concitoyens.

VI. C’en est bien assez d’avoir supporté les effets inévitables de nos fureurs, d’avoir vu les armées romaines en venir entre elles aux mains, d’avoir tourné contre nous-mêmes les armes que nous aurions dû diriger contre l’étranger. Mettons un terme aux crimes, à tous ces honteux égarements. Mais lui, loin de se repentir, il les compte au nombre de ses titres de gloire, et, si l’on n’y mettait ordre, il recommencerait avec encore plus d’emportement.

Et déjà je ne suis plus en doute de ce que vous pensez de lui, mais bien du parti que vous oserez prendre : je crains qu’en vous attendant les uns les autres pour mettre la main à l’œuvre vous ne soyez victimes, je ne dis pas de sa puissance (elle n’a plus ni réalité ni consistance), mais de votre inaction ; il vous préviendra, et fera ainsi voir au monde qu’il a autant de bonheur que d’audace.

En effet, à l’exception de quelques satellites déshonorés, qui donc est satisfait du présent ? ou bien, qui ne désire voir tout changer, si l’on n’abuse pas de la victoire ? Seraient-ce les soldats dont le sang a coulé pour enrichir un Tarrula, un Scyrrus, les plus détestables des esclaves ? Sont-ce des citoyens auxquels on a préféré, pour les magistratures, un Fusidius, l’opprobre de son sexe et des dignités qu’il dégrade ?

VII. Je place donc toute ma confiance dans une armée victorieuse, qui, pour prix de tant de blessures et de travaux, n’a obtenu qu’un tyran. A moins peut-être que nos soldats ne se soient levés en masse que pour renverser la puissance tribunitienne fondée par leurs ancêtres, et pour s’arracher à eux-mêmes leurs droits avec la garantie des tribunaux : noblement payés, sans doute, lorsque, relégués dans les marais et dans les bois, voués à la honte et à la haine, ils verront les récompenses réservées à quelques favoris !

Pourquoi donc, entouré d’un nombreux cortège, marche-t-il avec tant d’assurance ? C’est que la prospérité voile merveilleusement le vice ; qu’elle vienne à chanceler, et, à la terreur qu’il inspirait, succédera un égal mépris. Il compte aussi, pour colorer son crime et son parricide, sur ces prétextes de concorde et de paix ; à l’entendre, Rome ne cessera d’être en guerre avec elle-même que quand les patriciens seront à jamais chassés de leur patrimoine, les citoyens dépouillés sans pitié, les lois et la justice, privilèges du peuple romain, dévolues à ses caprices.

VIII. Si c’est là ce que vous prenez pour la paix et pour la concorde, approuvez l’entier bouleversement de la république et sa destruction, souscrivez aux lois qu’on vous impose, acceptez le repos avec l’esclavage. Montrez à la postérité comment, pour prix du sang qu’il a versé, on peut imposer au peuple romain la servitude. Quant à moi, bien que par la dignité suprême où je suis parvenu j’aie satisfait à ce que je devais au nom de mes ancêtres, à ma considération et à ma sûreté personnelles, je n’ai point l’intention de profiter seul de ces avantages. J’ai toujours, à un tranquille esclavage, préféré la liberté avec ses périls. Si tel est aussi votre sentiment, montrez-vous, Romains, et, avec le secours des dieux, suivez M. Emilius, votre consul, votre chef ; allez sur ses pas reconquérir la liberté.

On peut supposer que ce discours produisit peu d’effet ; du moins ne fut-il suivi d’aucune tentative contre le dictateur. Bientôt se justifièrent les rumeurs qui avaient encouragé la témérité de Lepidus. Sylla résigna entre les mains du peuple romain le pouvoir dont il avait tant abusé, et alla mourir en paix au sein d’une voluptueuse retraite. Ici Salluste avait esquissé quelques traits du caractère de cet homme étonnant : témoin ce passage où notre historien est cité par Plutarque :

« Sylla ne, fut jamais modéré en ses concupiscences, ny par pauvreté lorsqu’il étoit jeune, ny par l’aage lorsqu’il feut devenu vieil : ainsi en faisant les ordonnances à ses citoyens touchant l’honnesteté des mariages, touchant la continence, luy cependant ne faisoit que vacquer à l’amour et commettre adultères, ainsy que l’escript Sallustius. »

Le calme qui avait suivi l’abdication de Sylla, en prouvant combien il lui eût été facile de conserver le pouvoir, avait porté le dernier coup à la liberté. Il était désormais reconnu que la république pouvait impunément être opprimée, et cette conviction détruisit le seul préjugé qui faisait encore les bons citoyens. Tout chef habile, à la tête d’une armée, dévouée, se crut appelé aux brillantes destinées de Sylla. Encore si une pareille ambition n’avait germé que dans les cœurs d’hommes incapables de s’élever au pouvoir par d’indignes manœuvres,

xxix.

Et du petit nombre de ceux dont l’habileté et l’esprit élevé eussent dédaigné de pareils moyens.

Mais tel n’était pas Lepidus, qui, pour se faire des partisans, avait été chercher les débauchés du plus bas étage :

xxx.

Jusqu’aux teneurs de mauvais lieux, aux cabaretiers, aux bouchers, il gagna par son or tous les gens qui ont avec la populace des rapports journaliers.

Sans doute, un pareil ennemi avait semblé trop méprisable au dictateur, et voilà ce qui explique l’impunité de Lepidus :

xxxi.

Car lui, qui bravait la domination de Sylla………

N’avait point éprouvé combien elle était redoutable.

Après la mort de Sylla, ce fut au bûcher même du dictateur que Lepidus alluma le feu de la guerre civile. Ses propositions incendiaires avaient pour but l’abrogation de toutes les lois Cornéliennes : c’était remettre les factions en présence, c’était vouloir plonger dans de nouveaux désordres

xxxii.

La république, à peine remise de ses guerres intestines.

Les tribuns, dont il prétendait faire revivre les prérogatives, les fils des proscrits, à qui il promettait la restitution de leurs biens, les alliés, qu’il voulait rappeler à l’exercice du droit de cité romaine, avaient intérêt à soutenir Lepidus de tous leurs efforts ; son caractère personnel attirait à lui tous les gens qui à Rome avaient vécu de désordres et de séditions, jusqu’au moment où la main puissante de Sylla les avait forcés à l’inaction. À la tête des adhérents du factieux consul, on distinguait Cethegus, qui, bien qu’issu d’une des premières familles de Rome,

xxxiii.

Avait néanmoins, dès sa jeunesse, exercé les violences les plus graves contre des citoyens recommandables.

Cependant Lepidus allait trouver un adversaire redoutable dans son collègue Catulus, qui,

xxxiv.

Au milieu des guerres civiles, n’avait cherché que la réputation d’homme juste et de bon citoyen.

Malheureusement, la plupart des sénateurs n’opposaient qu’une timide réprobation aux projets d’un consul qui, oubliant qu’il était le chef du sénat, descendait au rôle de tribun du peuple. Plusieurs même faisaient à Lepidus un mérite de sa conduite, et, tenant la balance égale entre lui et Catulus, prétendaient que

xxxv.

Octavius et Cépion avaient agi de même sans avoir trompé l’attente de personne, ni encouru le blâme public :

Octavius, lorsque malgré son caractère de tribun il avait engagé le peuple à renoncer aux distributions de vivres que lui avait fait accorder Tib. Gracchus ; et Cépion, lorsqu’en dépit de sa naissance patricienne il avait empêché Livius Drusus de transférer la puissance judiciaire de l’ordre équestre à l’ordre sénatorial.

Ce partage des opinions, au sujet de Lepidus, entraîna le sénat dans des mesures imprudentes. Sous prétexte que la haine mutuelle des deux consuls allait engendrer la guerre civile, on leur fit jurer qu’ils ne prendraient pas les armes l’un contre l’autre ; on crut urgent de les éloigner de Rome, et on ne put le faire qu’en leur assignant les provinces proconsulaires,

xxxvi.

Afin que Lepidus et Catulus, munis du décret qui leur accordait une armée à chacun, partissent le plus tôt possible.

Catulus, à qui le sort avait assigné l’Italie, était disposé à tenir son serment ; mais Lepidus, au lieu de se rendre directement dans la Gaule Cisalpine, sa province, parcourut l’Étrurie, où les restes du parti de Marius étaient encore en force. Là il vit accourir autour de lui tous les proscrits échappés aux sicaires de Sylla,

xxxvii.

Qui erraient sans avoir aucun lieu d’exil déterminé.

De tous côtés il levait, empruntait de l’argent, et

xxxviii.

De cet argent il se fit une armée.

La confiance qu’il inspirait aux anciens partisans de Marius était loin d’être générale : plusieurs, pour le succès de leur entreprise,

xxxix.

Demandaient encore un chef, tandis que les autres, fauteurs de la même cause, croyant l’avoir trouvé, s’excitaient joyeusement à la guerre.

Le sénat ne crut pas encore devoir employer des mesures énergiques contre Lepidus, et le rappela à Rome pour tenir les comices consulaires ; mais Lepidus,

xl.

Pressentant les véritables dispositions du sénat,

xli.

Quitte la toge pour l’habit militaire.

Puis, laissant le préteur Brutus campé

xlii.

Sous Modène,

pour contenir la Gaule Cisalpine, il marche vers Rome avec toute son armée. Dans cet appareil, il demande un second consulat. On proposa encore dans le sénat des mesures conciliatrices. Vainement Catulus et quelques autres répétaient que le mal était à son comble ; que,

xliii.

Si l’on n’allait au-devant avec une promptitude égale à ses progrès,

il ne serait plus temps d’y remédier. On envoya à Lepidus des députations, qu’il reçut avec hauteur :

xliv.

Faut-il donc [dit-il] me soumettre en esclave au décret du sénat ?

Il déclara

xlv.

Qu’il ne se départirait point de son entreprise.

Que, d’ailleurs, puisque son consulat allait expirer,

xlvi.

Les engagements qu’il avait pris par ses conventions avec Catulus, avaient cessé de le lier.

Ce fut alors qu’un personnage consulaire, qui avait toujours secondé la fermeté de Catulus,

xlvii.

Philippe, remarquable entre tous les sénateurs par son âge et son expérience,

xlviii.

S’exprima en ces termes :

xlix.
DISCOURS DE L. PHILIPPE.

I. Il serait bien à souhaiter, sénateurs, que la république fût en paix, ou que, du moins, dans ses périls, elle vît ses meilleurs citoyens courir à sa défense ; enfin, que les entreprises coupables tournassent contre leurs auteurs ! Mais, loin de là, tout est en proie à des séditions excitées par ceux mêmes qui les premiers devraient les prévenir ; et, pour comble de maux, ce que des insensés et des furieux ont résolu, des hommes sages et vertueux sont obligés de l’exécuter. Ainsi, malgré votre éloignement pour la guerre, cependant, parce que Lepidus veut la faire, il vous faut prendre les armes ; à moins que l’on n’aime mieux se résigner à souffrir, sous une ombre de paix, tous les maux de la guerre. Grands dieux, qui daignez encore gouverner notre ville, quand nous l’abandonnons !

II. M. Emilius, le plus infâme des scélérats, lui, dont on ne saurait dire s’il est plus lâche que méchant, a sous ses ordres une armée pour renverser la liberté : méprisé hier, aujourd’hui redoutable ; et vous, toujours murmurant, différant toujours, c’est par des discours inutiles, de vaines prédictions, que vous, attendez la paix, au lieu de la défendre. Et vous ne voyez pas que la mollesse de vos décrets vous fait perdre toute dignité, et à lui toute crainte. Il a raison, en effet ; ses rapines lui ont valu le consulat, et la sédition une province avec une armée. Qu’aurait-il obtenu pour des services, celui dent vous aves si bien récompensé les crimes ?

Mais ceux qui, jusqu’au dernier, moment, n’ont dans leurs décrets parlé que de députations, de paix, de concorde, et d’autres choses semblables, ont apparemment trouvé grâce devant lui ! Loin de là, il les méprise et les juge indignes de participer en quoi que ce soit à la chose publique ; il ne voit en eux qu’une proie, parce qu’ils sollicitent aujourd’hui la paix aussi lâchement qu’ils se la sont laissé ravir.

III. Quant à moi, dès que je vis l’Étrurie se soulever, les proscrits rappelés, et le déchirement de la république préparé par des largesses, je pensai qu’il fallait se hâter, et je suivis, avec un petit nombre, l’avis de Catulus. Au reste, ceux, qui, vantant les services de la maison Emilia, et cette clémence qui a contribué à l’agrandissement du peuple romain, disaient que Lepidus n’avait encore fait aucune démarche séditieuse, lors même que, de son autorité privée, il avait armé pour la ruine de la liberté ; ceux-là, dis-je, en cherchant pour eux-mêmes et du pouvoir et des appuis, faussèrent nos délibérations publiques.

Cependant Lepidus n’était alors qu’un brigand à la tête de misérables valets d’armée et de quelques sicaires, tous faisant métier d’engager leur vie pour une journée de salaire. Aujourd’hui c’est un proconsul revêtu d’un commandement, non plus acheté, mais conféré par vous-mêmes ; il a des lieutenants, tenus légalement jusqu’ici de lui prêter obéissance. Vers lui sont également accourus les hommes les plus corrompus d’entre les citoyens dé tous les ordres, aiguillonnés par l’indigence et par leurs passions, bourrelés par la conscience de leurs crimes, gens pour qui le repos, ce sont les séditions, et les alarmes, la paix. Ces gens-là sèment trouble sur trouble, et guerre sur guerre : autrefois satellites de Saturninus, ensuite de. Sulpicius, puis de Marius et de Damasippe, de Lepidus aujourd’hui.

Regardez autour de vous : l’Étrurie est prête à rallumer les feux d’une guerre mal éteinte ; on soulève les Espagnes ; Mithridate, sur les flancs de nos provinces, dont les tributs fournissent encore à notre subsistance, attend impatiemment le jour qui ramènera la guerre : enfin, à l’exception d’un chef capable, rien ne manque pour la ruine de la république.

IV. Je vous en conjure, sénateurs, apportez-y plus sérieuse attention ; ne souffrez pas que la fureur contagieuse des séditions atteigne ceux qui sont encore purs de ses excès. En effet, lorsque les récompenses appartiennent aux méchants, on n’est guère d’humeur à rester gratuitement homme de bien.

Attendez-vous qu’avec une armée, qui pour la seconde fois menacera vos murs, il se rende, le fer et la flamme à la main, maître de la ville ? Et, au point où il en est, n’a-t-il pas, pour en venir à cette extrémité, moins de chemin à faire qu’il n’en avait pour passer de la paix à la guerre civile, que contre toutes les lois divines et humaines il a allumée, non pour venger ses propres injures, ni ceux qu’il feint de protéger, mais pour renverser les lois et la liberté ? Dévoré, tourmenté par l’ambition, par l’effroi de ses crimes ; inconsidéré, inquiet, sans suite dans ses projets, il craint le repos et redoute la guerre ; il prévoit qu’il lui faudra renoncer à ses dissolutions, à ses désordres ; et, en attendant, il profite de votre inaction.

V. Est-ce, chez vous, crainte, abattement ou démence, je ne le saurais dire, car chacun, à la vue des maux qui vont fondre sur nous, semble, comme s’il s’agissait de la foudre, désirer de n’être pas atteint ; mais, s’en garantir, aucun n’y songe. Considérez, je vous prie, combien les choses ont changé. Autrefois c’était en secret que se tramaient les complots contre l’État, ouvertement qu’on les réprimait ; ainsi les gens de bien prévenaient facilement les desseins des méchants. Aujourd’hui la paix et l’union sont troublées ouvertement, et l’on se cache pour les défendre ; les perturbateurs sont en armes, vous dans la crainte.

Qu’attendez-vous ? rougiriez-vous ou craindriez-vous de bien faire ? Seriez-vous touchés des décrets de Lepidus, lui qui veut que l’on restitue à chacun son bien, et qui retient celui d’autrui ; que l’on abroge les lois dictées par la violence, et qui nous dicte les siennes les armes à la main ; que l’on rende le droit de cité, lui qui prétend qu’il n’a pas été ravi ; et que, pour ramener la concorde, on rétablisse dans ses prérogatives cette puissance tribunitienne, qui fut le flambeau de toutes nos discordes ?

VI. Homme détestable et sans pudeur ! quel souci prends-tu donc de la misère et de la désolation de tes concitoyens, puisque, dans ta patrie, tu n’as rien qui ne soit le fruit de la violence ou de la rapine ! Tu demandes un second consulat, comme si tu t’étais démis du premier ; tu veux la concorde, et ce sont tes armes qui la détruisent ! Traître envers nous, sans foi pour tes complices, tu es l’ennemi de tous les gens de bien ; comme tu te joues et des hommes et des dieux que tu as offensés, les uns par ta perfidie, les autres par tes parjures ! Eh bien ! puisque tel est ton caractère, persévère dans tes desseins, reste en armes, je t’y exhorte ; du moins, ton humeur inquiète, en suspendant tes entreprises séditieuses, ne nous tiendra pas en d’éternelles perplexités. Nos provinces, nos lois, nos dieux pénates, ne verront plus en toi qu’un citoyen. Achève comme tu as commencé, afin de trouver plus promptement le prix que tu as mérité.

VII. Et vous, sénateurs, jusques à quand, laisserez-vous par vus retardements la république sans défense, et n’opposerez-vous aux armes que des paroles ? Des troupes sont levées contre vous ; les caisses publiques et particulières ont été mises à contribution ; on a mis, on a déplacé des garnisons ; on vous impose arbitrairement des lois ; et vous vous contentez de voter des députations et des décrets ! Eh ! ne voyez-vous pas que, plus vous demanderez la paix avec instance, plus il poussera la guerre avec vigueur, convaincu qu’il sera que c’est votre défaut d’énergie, et non la justice de sa cause, qui fait toute sa force. Tel allègue son horreur des troubles et de la guerre civile, et veut qu’en présence de Lepidus en armes vous restiez désarmés, qui prétend sans doute aussi que vous vous soumettiez d’avance au sort des vaincus, quand vous pourriez le faire subir ; vous parler ainsi de paix, c’est lui conseiller la guerre contre vous.

Si un tel conseil vous agrée, si vous portez l’apathie au point qu’oubliant les crimes de Cinna, dont le retour à Rome fut marqué par l’avilissement de notre ordre, vous abandonniez encore à Lepidus et vos épouses et vos enfants, qu’avez-vous besoin de décrets ? à quoi bon le secours de Catulus ? C’est bien en vain que lui et d’autres bons citoyens songeraient au salut de la république.

VIII. Faites à votre gré ; ménagez-vous le patronage de Cethegus, et l’appui de ces traîtres qui brûlent de recommencer les pillages, les incendies, et d’armer une secondefois leurs bras contre vos dieux pénates. Mais, si vous jugez préférables la liberté et la guerre, rendez des décrets conformes à votre dignité, et qui relèvent le couragede nos braves citoyens. Vous avez pour vous une armée nouvelle, les colonies de légionnaires vétérans, toute la noblesse ; d’excellents généraux. La fortune est toujours aux plus braves ; et bientôt ces forces, dont nos irrésolutions ont favorisé le rassemblement, seront facilement dissipées.

Voici donc mon avis : attendu que Lepidus, après avoir, de son autorité privée, levé une armée composée des plus mauvais citoyens et dés ennemis de la république, marche sur Rome, au mépris de l’autorité du sénat, l’interroi Appius Claudius, de concert avec Q. Catulus, proconsul, et tous les magistrats, qui ont un commandement, seront préposés à la garde de la ville, et veilleront à ce que la république ne reçoive aucun dommage.

Ce discours releva les esprits des sénateurs : la proposition de Philippe fut convertie en sénatus-consulte ; bien que chacun reconnût dans Catulus

l.

Un homme irréprochable d’ailleurs, et d’un esprit énergique.

li.

Et qu’il fût même assez versé dans l’art de la guerre,

on lui adjoignit Pompée dans le commandement. Tous deux allèrent camper sur le mont Janicule, et occupèrent le pont Milvius. Le chef des rebelles avait espéré qu’à son approche le

peuple se soulèverait ; trompé dans son attente,
lii.

Lepidus commença à se repentir de son entreprise.

Mais il n’était plus temps. Les soldats de Catulus et de Pompée,

liii.

Combattant sous les yeux de leurs familles, de leurs concitoyens, du peuple entier,

chargèrent avec tant d’ardeur, que du premier choc ils mirent le désordre dans les rangs de l’armée ennemie. Le peuple, voyant plier les troupes de Lepidus, voulut prendre part à l’affaire,

liv.

Et se mit à leur courir sus par derrière ;

puis à insulter leur général,

lv.

L’appelant à haute voix tyran et nouveau Cinna.

lvi.

Pressés de tous côtés par la multitude,

les vaincus fuient dans toutes les directions, et, tandis que Pompée se met à leur poursuite, Catulus rentra dans Rome,

lvii.

Aux acclamations de ses concitoyens, qui le félicitaient de sa victoire.

La Gaule Cisalpine se soumit sans coup férir aux armes de Pompée ; Brutus seul, dans Modène, opposa quelque résistance ; mais il capitula bientôt. Au mépris de la foi jurée, Pompée le fit mourir avec cette même cruauté froide qu’il avait montrée à l’égard de Carbon. Cependant Lepidus s’était réfugié avec Perpenna sous les murs de Cosa, ville maritime d’Étrurie. Catulus les y suivit ; mais, jaloux

lviii.

De remporter une victoire qui ne coûtât point de sang à son armée,

il se contenta de bloquer étroitement ses ennemis, et
lix.

Prit, sur une hauteur, un avantage de position peu séant pour un vainqueur.

Le sénat, rassuré sur l’issue prochaine de cette guerre, s’occupa de l’élection des consuls. Junius fut élu le premier ; mais, quand on passa au scrutin pour la seconde place, les premières centuries donnèrent leurs suffrages à Mamercus Emilius ; les suivantes, au contraire, avant d’avoir voté, se déclarèrent d’avance pour Curion ; alors l’interroi Appius, qui présidait l’assemblée,

lx.

Pria Curion, qui était le plus jeune, puisque les suffrages n’étaient pas encore ouverts en sa faveur, d’avoir cette déférence pour l’âge de Mamercus.

Curion se désista, et Mamercus fut élu.

Cependant un combat se livra devant Cosa entre Lepidus et Catulus. Lepidus eut d’abord l’avantage ; mais Pompée, qui revenait en ce moment de la Gaule, lui arracha la victoire, et le contraignit de fuir en Sardaigne. Là, il espérait, en interceptant tous les convois, fatiguer par la disette le peuple romain ; mais le propréteur Valerius Triarius défendit vaillamment sa province, et Lepidus, partout repoussé, tomba malade de fatigue et de chagrin. Une disgrâce domestique vint encore aggraver ses peines. Parmi les lettres qu’on lui apporta d’Italie, il s’en trouva une qu’Apuleia, sa femme, écrivait à son amant, et dans laquelle, pour obtenir de lui un service important, elle lui disait

lxi.

Qu’après toutes les faveurs qu’elle lui avait accordées il ne pouvait rien lui refuser.

Elle s’exprimait ensuite sur son époux de la manière la plus injurieuse :

lxii.

C’était un vrai sot, non-seulement aux yeux de sa femme, mais au dire de toutes les autres.

Cette lettre donna, pour ainsi dire, à Lepidus le coup de la mort. On le vit,
lxiii.

Comme saisi d’un soudain accablement, perdre tout à coup la faculté de parler, d’entendre et de penser.

Il s’empressa d’envoyer des lettres de divorce à son épouse coupable, et, dès lors ayant perdu le peu qu’il avait montré d’énergie, il parut moins, en Sardaigne, un chef de parti qu’un fugitif. Conduit à Tharros, bourgade sur la rive occidentale de l’île, on refusa d’abord de le recevoir ; mais ses serviteurs firent une peinture si touchante de la situation de leur maître : ils rappelèrent si vivement les égards que méritaient sa naissance et sa dignité,

lxiv.

Enfin ils supplièrent tous les habitants avec tant d’instances, au nom des misères et des vicissitudes humaines,

que ceux-ci lui donnèrent asile dans leur ville, où il mourut au bout de peu de jours. Sa mort, qui ne causa les regrets de personne, n’entraîna pas la ruine totale de son parti. Perpenna, qui venait d’obtenir quelque succès en Sicile, se hâta de venir en Sardaigne recueillir les débris de l’armée de Lepidus.

On peut dès lors regarder la guerre civile comme terminée, du moins au centre de la république ; mais,

lxv.

Bien que Lepidus eût été chassé de l’Italie avec toutes ses forces, le sénat ne s’occupa pas moins activement de soins importants et multipliés.

lxvi.

En effet, l’Italie désolée par le brigandage, la fuite ou le massacre de ses habitants,

appelait toute sa sollicitude. Des nations barbares ne cessaient d’infester les frontières de la Macédoine, que Cicéron, pour cette raison, appelait une pépinière de triomphateurs.

lvii.

Toute l’Espagne Citérieure était en feu.

Les pirates de Cilicie parcouraient impunément toutes les mers de la Grèce et de l’Italie, et se montraient jusque devant le port d’Ostie. Mais on avait à redouter

lxviii.

Surtout l’humeur indomptable de Mithridate, toujours prêt à renouveler la guerre à la première occasion.

Le sénat sut par sa modération fermer les plaies intérieures de la république, qui, « étant pour ainsi dire blessée et malade, avait besoin de repos, n’importe à quel prix. » Il accorda, par un décret, l’amnistie à tous ceux qui avaient pris part à la guerre civile, et ce décret fut ratifié par le peuple. César, qui était alors tribun-militaire, porta la parole dans cette occasion, et contribua plus que tout autre au rappel des bannis. Il insista sur la convenance de décider promptement ces mesures de réconciliation, et observa que le moment de les prendre ne pouvait être plus favorable

lxix.

Que celui où venaient de se ralentir les fureurs de la guerre.

L’amnistie fut publiée, et le beau-frère de César, L. Cornélius Cinna, fils du consul, s’empressa d’en profiter et de revenir d’Espagne avec ceux qu’il avait entraînés dans le parti de Lepidus ; et, après tant de guerres, l’Italie jouit enfin pour quelques années d’une paix profonde.

lxx.

Septimius qui ne savait gouverner ni sa tête ni sa langue.

lxxi.

Il était l’oncle de ses enfants.

lxxii.

(Inintelligible.)

Après la tenue des comices, dans lesquels avaient été élus les consuls Decimus Junius Brutus et Mamercus Emilius Lepidus Livanius, leurs prédécesseurs Appius Claudius et P. Servilius, revêtus de la dignité proconsulaire, partirent, le premier pour la Macédoine, le second pour aller combattre les pirates. Il était urgent de mettre un frein à leurs brigandages.

lxxiii.

Aussi Servilius laissant son collègue malade à Tarente, traversa le premier la mer.

Ces forbans se nommaient Ciciliens et Isauriens, parce qu’ils avaient leurs principaux établissements dans l’Isaurie et dans la Cilicie. De tout temps des pirates avaient infesté ces parages ;

lxxiv.

Les Cariens, peuple insulaire fameux par ses pirateries, et qui fut vaincu par Minos.

Mais les pirates ne commencèrent à former une puissance redoutable que lors des troubles civils qui déchirèrent le royaume de Syrie, quand Tryphon, révolté contre Demetrius Nicator, trouva une place d’armes

lxxv.

Dans Coryque,

forteresse de Cilicie, bâtie sur un roc escarpé, d’où les Ciliciens couraient les mers pour s’enrichir par le brigandage.

Servilius, arrivé en Orient, chassa d’abord les pirates d’un château-fort qu’ils occupaient dans l’île de Rhodes.

lxxvi.

Il ne s’embarqua qu’après avoir désarmé les barques de Sida, dont les habitants étaient venus porter secours aux Rhodiens.

Les pirates, vaincus, cherchèrent un refuge

lxxvii.

Dans Olympe et dans Phaselis.

Servilius vint d’abord assiéger Olympe, que défendait Zenicetus, l’un des chefs des pirates. Il plaça son camp sur une hauteur,

lxxviii.

D’où l’on découvrait toutes les campagnes de la Lycie et de la Pisidie.

Olympe ne se rendit qu’après une vigoureuse résistance. Quant à Phaselis, entièrement peuplée de Lyciens, et qui ne s’était livrée aux pirates que par force, elle fit une moins longue défense : toutefois, comme ses trois ports pouvaient offrir aux forbans un asile couvert par la place même, le proconsul la détruisit, en accordant aux habitants des conditions assez favorables. Il marcha ensuite contre Nicon, le principal. chef des pirates, qui,

lxxx.

Accablé de ses pertes, s’était retiré dans la Pamphylie.

Mais, apprenant qu’il avait dépassé le mont Taurus, Servilius

lxxx.

Dirigea sa marche vers Coryque, ville célèbre par sa grotte, et par un bois où croît le safran.

Par la prise de Coryque se terminèrent, cette année, les opérations de Servilius en Cilicie. Cependant son collègue Appius était occupé contre les Mèdes,

lxxxi.

Les féroces Dalmates,

et d’autres peuplades thraces,

lxxxii.

Race indomptable dans les combats, et inaccoutumée à la servitude.

Bien que sa maladie l’eût empêché de partir pour son département aussitôt que Servilius, ses lieutenants

lxxxiii.

Se hâtèrent de faire passer son armée à Dyrrachium.

Appius, rétabli, obtint quelques succès sur les Thraces, et repoussa une tribu d’origine sarmate,

lxxxiv.

Peuple rarement sorti de ses limites,

qui venait cependant de faire une irruption sur les frontières de la Macédoine. Le proconsul les força de demander la paix ; mais ce ne fut pas lui qui en dicta les conditions ; car il mourut, l’année suivante, des fatigues qu’il avait essuyées dans cette campagne.

Un seul homme avait pu résister à la fortune de Sylla : c’était Sertorius, qui égalait Marius en talents militaires, mais le surpassait par des vertus dignes de briller ailleurs que dans des

troubles civils. Il s’était distingué dans la guerre qui éclata en Italie,
lxxxv.

Après la défection des alliés et du Latium.

Mais il était encore éloigné du moment où il devait s’élever au premier rang dans la république, qui se voyait alors illustrée

lxxxvi.

Par de si grands capitaines et des hommes d’État fermes et énergiques.

lxxxvii.

Tribun militaire, il se couvrit de gloire en Espagne, sous les ordres de T. Didius. Il se rendit infiniment utile dans la guerre des Marses, en rassemblant des troupes et des armes. Les succès que l’on dut alors à sa bonne conduite n’ont pas été célébrés, d’abord parce qu’il était encore peu connu, puis à cause de la partialité haineuse des historiens. Il se plaisait à montrer de près sa face sillonnée de plusieurs cicatrices et privée d’un œil. Loin de s’affliger de cette disgrâce corporelle, il s’en réjouissait fort, glorieux qu’il était de ne conserver que les débris de lui-même.

De retour à Rome, il brigua le tribunat ; mais, repoussé par la faction de Sylla, il se jeta dans le parti populaire, et prit part à l’entreprise audacieuse de Cinna, du vieux Marius et de Carbon, qui rentrèrent dans Rome à main armée, dès que Sylla eut quitté l’Italie pour aller combattre Mithridate. Tandis que ses collègues ensanglantaient Rome par des massacres, Sertorius montra seul quelque modération. Il obtint la préture, puis, l’année suivante, l’Espagne pour département. Sylla, de retour en Italie avec son armée victorieuse, vint encore, une fois abattre ses adversaires. Aussitôt après la défection de l’armée du consul Scipion Asiaticus, dont il était lieutenant, Sertorius se retira en Espagne. Il ne put d’abord s’y maintenir, Annius, l’un des généraux de Sylla, ayant forcé les Pyrénées avec une puissante armée. Hors d’état de tenir la campagne,

lxxxviii.

Ni même d’opérer sa retraite avec si peu de troupes, Sertorius songeait à fuir sur ses vaisseaux.

Il fit voile pour l’Afrique, où il demeura quelques années,

et se fit connaître par d’aventureuses expéditions. Alors.
lxxxix.

Il médita, dit-on, le projet de fuir au loin à travers l’Océan,

xc.

Là où deux îles rapprochées l’une de l’autre, et distantes de Gadès de dix mille stades, passaient pour produire d’elles-mêmes ce qui est nécessaire à la nourriture des hommes.

xci.

Ce sont les îles Fortunées, illustrées par les chants d’Homère.

Là ne se borna point le merveilleux des récits que l’on fit à Sertorius sur ces contrées lointaines.

xcii.

… Et les Maures, nation menteuse comme toutes celles de l’Afrique, soutenaient qu’au-delà de l’Éthiopie existaient des peuples antipodes, justes et bienfaisants, dont les mœurs étaient semblables à celles des Perses.

xciii.

Au premier bruit

du projet de Sertorius, une partie de ses soldats menaça de l’abandonner, et il se vit forcé d’y renoncer. Bientôt les Lusitaniens, qui espéraient trouver en lui un nouveau Viriathe, l’appelèrent à se mettre à leur tête. Mais la flotte romaine, commandée par Cotta, était là pour s’opposer à son passage.
xciv.

En conséquence Sertorius, après avoir laissé une garnison peu nombreuse en Mauritanie, choisit une nuit obscure ; puis, par une brise favorable, par le secret et la promptitude, il s’efforça d’effectuer sans combat la traversée.

xcv.

Toutes ses troupes, étant passées, prirent position sur le mont Ballera, que lui avaient indiqué les Lusitaniens.

Il avait sous ses ordres deux mille fantassins et sept cents cavaliers de toutes nations, qu’il appelait Romains, et auxquels vinrent aussitôt se joindre quatre mille Lusitaniens. Il défit d’abord Cotta dans un combat naval, près de Mellaria, ville du détroit de Gadès.

xcvi.

La valeur se trahit du moment qu’elle hésite.

xcvii.

Habile dans l’art militaire,

Sertorius résolut de surprendre l’ennemi par la rapidité de ses mouvements. Apprenant que Fusidius, gouverneur de Bétique, veut, avec des troupes, lui disputer le passage du Bétis, il vient prendre position sur la rive méridionale de ce fleuve.
xcviii.

Bientôt Fusidius, survenant avec ses légions, reconnaît, à l’inégalité du terrain, et à la difficulté que doit offrir le gué à des gens obligés de combattre, que tout est plus favorable à l’ennemi qu’aux siens.

Sertorius, profitant de son incertitude, se met en devoir de passer le fleuve dans des barques : les unes étaient de grandeur à soutenir la charge de ses troupes, et à résister au courant ;
xcix.

Les autres, s’étant un peu trop rapidement avancées, surchargées qu’elles étaient d’un poids à la fois excessif et vacillant, la crainte agitant les corps des passagers, semblaient prêtes à s’enfoncer.

Alors Sertorius, au moyen de câbles,
c.

Les lia ensemble, de manière à former une chaîne.

Arrivé sur l’autre rive, il exhorta ses troupes, en leur disant que, s’ils en sortaient vainqueurs,

ci.

Ce combat serait en quelque sorte un présage pour toute la guerre.

Puis, aussitôt, il fond sur les ennemis avec une telle impétuosité, que
cii.

Ils n’eurent le temps ni de se retirer ni de se ranger en bataille.

ciii.

Leurs chevaux, sans guide, sont emportés par la terreur, ou succombent sous les blessures.

Apres cette victoire, Sertorius continua sa route vers les confins de la Bétique, et arriva à Ébora,

civ.

Ville importante de la Lusitanie.

De là il passa dans la Celtibérie, dont les habitants l’accueillirent comme un libérateur, et il se vit maître jusqu’à l’Èbre. Cependant le proconsul Q. Cécilius Metellus Pius passa ce fleuve, à son tour, et fit quelques progrès le long de la mer, dans le pays des des Turdétans. Metellus,

cv.

Savant dans l’art de la guerre,

grâce à sa longue expérience, et, malgré son âge,
cvi.

Homme d’action dans les combats,

était sans doute pour Sertorius un adversaire redoutable ; mais celui-ci confondit toute la science du proconsul, et rendit inutile, pour les légions romaines, l’avantage du nombre, en lui faisant cette guerre de partisans, si propre au territoire et à l’habitant de l’Espagne. Ainsi, sans avoir combattu, Metellus éprouvait tous les embarras et tous les maux des vaincus. Dans cette position,
cvii.

Il invita à venir le joindre, du fond de l’Espagne citérieure, le proconsul Domitius, avec tout ce qu’il pouvait avoir de troupes disponibles.

Il réclama également les secours de Lollius, préteur de la Gaule narbonnaise ; enfin il détacha Thorius, un de ses lieutenants, pour aller au-devant de L. Domitius. Hirtuleius, questeur de Sertorius, défit L. Domitius, puis tailla en pièces Thorius, qui fut tué dans l’action. Après ce double succès, Hirtuleius et son frère se disposent à rejoindre Sertorius.
cviii.

Metellus informé du chemin qu’ils prennent par une dépêche

interceptée, quitte subitement la direction qu’il suit pour se

replier sur la Tarraconnaise. Ce mouvement rapide, habilement dérobé à l’ennemi,

cix.

Puis l’occupation d’une colline très-élevée, près d’Herda, et les ouvrages considérables dont il avait entouré son camp,

ne purent le rassurer contre un adversaire si redoutable :
cx.

Sortant de ce poste, il se mit en devoir d’incendier les bourgs et les châteaux, et porta la flamme dans les campagnes abandonnées par les laboureurs en fuite ; et cela, sans pouvoir s’affranchir l’esprit de la crainte que lui inspirait un peuple si propre à la guerre de surprise.

Cependant Sertorius, trouvant le camp de Metellus abandonné, se met à sa poursuite.

cxi.

Malgré l’infériorité du nombre, il ne cesse de les harceler dans toutes les directions.

Les soldats romains, fatigués, voulurent forcer leur général d’accepter le combat singulier que lui proposait Sertorius pour terminer la guerre ; mais Metellus ne tint pas compte de ce défi. Toutefois, voulant satisfaire son armée par quelque expédition glorieuse, il résolut de mettre le siège devant Leucobrige, dont Sertorius tirait de grands secours. Il quitta donc son camp,

cxii.

Et de là, sans s’arrêter à s’approvisionner ou à prendre du repos, il marcha jour et nuit vers cette ville.

Sertorius sut déjouer son dessein : il ordonna d’emplir d’eau deux mille outres, destinées aux habitants de Lecobrige, promettant une récompense pécuniaire pour chaque outre. Nombre d’Espagnols et de Maurusiens se présentèrent.

cxiii.

Parmi eux, de préférence,

Sertorius choisit les plus dispos, et, prenant par le plus court chemin, il ravitailla promptement la place. Metellus, qui dans son camp commençait à manquer de vivres, envoie à la provision Aquinus, un de ses lieutenants, avec six mille hommes. Sertorius forme la résolution de surprendre cet officier :

cxiv.

Il se place en embuscade dans un vallon couvert de broussailles et de bois.

La troupe d’Aquinus, attaquée à l’improviste, est mise en fuite, non sans perdre beaucoup de monde : le convoi est enlevé, et Metellus se voit contraint de lever le siège de Leucobrige. On peut juger de la joie des habitants lorsque, pour signal de départ,

cxv.

Par ordre de Metellus, les trompettes se firent entendre.

Ce nouvel avantage remporté par Sertorius redouble pour lui l’enthousiasme des Espagnols. Rien n’égale l’attachement de ces peuples pour leurs chefs :

cxvi.

Ils se dévouent pour les rois, et ne veulent pas leur survivre : tant, chez eux, est inné le respect pour le nom royal !

Sertorius fit l’épreuve de leur dévouement dans les revers qu’il dut éprouver. Ayant un jour été mis en fuite près d’une ville d’Espagne, les Romains le poursuivirent vivement. Harcelé par eux, il fait volte-face, se retranche de poste en poste,

cxvii.

Et, bien que plusieurs fois délogé, il ne perd pas courage.

Enfin arrivé, avec les siens, sous les murs de la ville,
cxviii.

Comme les portes retardaient l’écoulement de la foule, et que la terreur générale empêchait de se reconnaître et d’entendre le commandement, Sertorius, hissé sur les corps des valets d’armée, jusqu’au milieu de la muraille, fut porté au haut, sur les bras de ceux qui s’y trouvaient.


Cependant le sénat de Rome juge convenable d’adjoindre à Metellus Pompée, avec le titre de proconsul. En quarante jours, celui-ci lève une armée, se fraye, par les Alpes, un chemin plus facile que celui d’Annibal, traverse la Gaule et arrive dans la province romaine.

cxix.

A Narbonne, l’assemblée des Gaulois

lui vote des hommes et des subsides. L’arrivée de Pompée en Espagne fit briller d’un nouvel éclat les talents de Sertorius. Pour aller à la rencontre du jeune proconsul, Sertorius avait à traverser un pays

cxx.

Sauvage,

où les Characitains étaient postés

cxxi.

Dans les seuls chemins

qu’il lui fût possible de traverser. Ils étaient retranchés sur une montagne inaccessible. Dans l’impuissance de les en déloger, Sertorius ne voyait d’autre parti à prendre que

cxxii.

D’aller au-devant des ennemis, et de périr avec eux.

Enfin il observa que la terre, au pied de la colline, était aussi légère que de la cendre, et que la bise qui règne constamment dans cette exposition, lorsque

cxxiii.

L’Orion s’élève au moment de l’équinoxe d’été,

donnait directement contre l’ouverture des cavernes. Il fit donc entasser en monceau, vis-à-vis delà colline, une longue traînée de cette terre friable. Dès le lendemain, au lever de l’aurore, lé vent commence à chasser vers les Characitains des nuages de poussière qui devinrent intolérables, surtout

cxxiv.

Au milieu du jour,

lorsque, favorisés par la bise, les soldats de Sertorius se mirent à faire passer leurs chevaux sur cet amas de terre. Les Barbares aveuglés, suffoqués par la poussière, finirent par se rendre à discrétion, et laissèrent le passage libre à Sertorius, qui se dirigea vers Lauron pour en faire le siégé. Pompée, espérant le prévenir, traverse à la hâte le territoire

cxxv.

Sagontin,

et arrive à la vue de Lauron. Il veut se saisir d’une hauteur qui dominait cette ville ; Sertorius le prévient, et Pompée, loin de s’affliger de cet événement, se flatte de tenir son adversaire assiégé entre la place et sa propre armée. Il s’en vante même dans une lettre adressée aux habitants de la ville. Sertorius, à la lecture de cette dépêche interceptée, dit en souriant : « J’apprendrai bientôt à cet écolier de Sylla qu’un général doit toujours plutôt regarder derrière que devant lui. Je veux lui donner une si bonne leçon,

cxxvi.

« Que le temple de Jupiter en ail des nouvelles. »

En effet, six mille soldats d’élite, laissés par lui dans son ancien camp, tinrent Pompée dans, la même position où il croyait avoir placé son adversaire. Les Romains n’allaient jamais à la provision sans être obligés de combattre. Pompée fait partir, sous les ordres de Tarquitius, toute sa cavalerie pour aller, le jour suivant, faire un grand fourrage. Informé de cette disposition,

cxxvii.

Sertorius leur dressa une triple embuscade, dans des bois propres à ce stratagème : la première devait prendre les fourrageurs en face.

Tout réussit à son gré. Pompée envoie aussitôt Lélius, son lieutenant, avec une légion, pour réparer le désordre : bientôt lui-même sort de son camp avec toute son armée. Alors celle de Sertorius descend de la colline en ordre de bataille. A cette vue,

cxxviii.

L’hésitation se manifeste dans une partie de la ligne

des Romains ; Pompée n’ose risquer la bataille, il opère précipitamment sa retraite. Sertorius se rapproche de Lauton,

cxxix.

Et bientôt cette place importante, qui depuis plusieurs jours résistait à ses armes, fut domptée.

Il y fit mettre le feu pour humilier son adversaire, qui put contempler les flammes de l’incendie. Tel fut le triste début des campagnes si vantées de Pompée eu Espagne. Nous verrons la suite répondre à de tels commencements, et laisser à l’historien la tâche pénible d’examiner si Pompée n’a pas fait d’autant moins pour sa gloire, que les acclamations des peuples l’ont flatté davantage : car non-seulement il éprouva des échecs en Espagne, en présence de Sertorius, mais encore bien loin de lui, contre les naturels du pays. Arrivé

cxxx.

Près de la ville de Léthé,

ainsi nommée d’une petite rivière

cxxxi.

A laquelle on a donné le nom d’Oubli,

il voulut s’emparer de cette place ; mais,

cxxxii.

Repoussé de la ville de Léthé,

il effectua sa retraite vers le pays des Vaccéens, et de là vers les Pyrénées.

La même année, en Macédoine, les lieutenants de Curion obtinrent quelques succès, dont le plus marqué fut l’occupation de Sardique, et

cxxxiii.

Il ne dut la prise de cette ville, après de grands ouvrages de siège, qu’à L. Catilina, sou lieutenant.

En Italie, cette année fut marquée par des prodiges qui effrayèrent les esprits. Un tremblement de terre renversa presque

en entier la ville de Réale.
cxxxiv.

Les vents s’étant engouffrés dans les cavités de la terre, des montagnes s’entr’ouvrirent, et des hauteurs s’affaissèrent.

A ce fléau se joignit la peste, qui prit naissance en Égypte. La crue du Nil y ayant dépassé les limites ordinaires, les eaux séjournèrent trop longtemps sur la terre, et, du limon formé par elles, naquit une infinité d’insectes et de reptiles.

cxxxv.

Car, par suite de la corruption de l’air et des eaux, l’infection ayant atteint les productions de la terre, une affreuse contagion se répandit sur les animaux.

Le fléau pénétra en Europe,

xxxvi.

Après s’être d’abord introduit dans l’Iapydie,

puis sur toute la côte orientale de l’Adriatique, et il se répandit enfin en Italie. Des animaux, le mal gagna les hommes, et bientôt la disette et la famine vinrent s’y joindre.

cxxxvii.

Aussi, de graves maladies atteignant les populations, à cause des étranges aliments dont la disette forçait de se nourrir,

cxxxviii.

Ne succombait-on pas à un seul genre de mort.


FRAGMENTS DU DEUXIÈME LIVRE.

La famine et l’épidémie ne furent pas les seuls fléaux qui désolèrent Rome cette année. On y vit renaître les débats politiques qui avaient cessé depuis la mort de Sylla. L’année précédente, le tribun Sicinius avait voulu proposer une loi tendant à rendre au tribunat ses prérogatives. Curion, l’un des consuls, s’était vivement opposé à cette prétention, et c’est même ce qui avait retardé son départ pour la Macédoine. Sicinius et ses adhérents ne lui répondirent que par d’indécentes plaisanteries, et

cxxxix.

Comme Curion avait dans les gestes et dans la parole quelque chose de vif et de saccadé ils lui donnaient le nom de Burbuleius, bouffon à demi fou.

L’insolence de Sicinius le perdit : on le trouva mort peu de temps après, et Curion passa pour n’être pas étranger à ce sinistre événement.

En Cilicie, Servilius ouvrit la campagne par le passage du mont Taurus, que jusqu’à lui les Romains n’avaient jamais franchi. Après s’être assuré du pays des Oryndièns, il entra dans le canton des Solymes, où sont les pics les plus élevés du mont Taurus, et dont plusieurs

cxl.

Dépassent de deux mille pas la hauteur de tous les sommets environnants.

Servilius était peu disposée attaquer les Solymes ainsi-défendus par leurs montagnes inaccessibles ; heureusement pour les Romains, Nicon, qui s’était réfugié dans ce pays, y avait été reçu d’une manière assez équivoque ; il venait de se jeter dans Isaure. Le proconsul obtient donc sans peine la soumission des Solymes et dès otages. Alors il : entra dans l’Isaurie, et vint en assiéger ; la capitale, place très-forte, bien approvisionnée, et que défendait une garnison résolue de résister jusqu’à la dernière extrémité ; mais elle n’était alimentée par d’autre eau

cxli.

Que celle que lui fournit la rivière de Lurda, qui descend du mont Taurus.

Ce siège devait occuper Servilius pendant plusieurs mois, et ce ne fut que l’année suivante qu’il lui fut possible de retourner à Rome.

En Macédoine, le proconsul Appius Claudius, après avoir, dans l’état languissant de sa santé, épuisé le peu de vie qui lui restait en combattant les Mèdes, eut pour successeur Oreste,

qui acheva de les réduire, et qui leur imposa un traité.
cxlii.

Le sénat, informé de cette soumission par les envoyés d’Oreste, en approuve les conditions.

Après la mort de Lépide, Perpennà, qui avait obtenu quelque succès en Sicile, se vit obligé de quitter cette île pour aller joindre ses troupes aux débris du parti Lépide en Sardaigne. Mon sujet semble m’inviter à donner un aperçu de la position de la Sardaigne, à rassembler quelques souvenirs sur ses antiquités.

cxliii.

La Sardaigne, qui, dans la mer d’Afrique, présente la figure de la plante d’un pied d’homme, s’élargit plus à l’orient qu’à l’occident,

cxliv.

De là elle a été appelée Plante du pied

par les Grecs, qui y abordèrent les premiers. Elle paraît avoir été originairement peuplée d’Aborigènes, et les côtes ne paraissent avoir été visitées par des étrangers

cxlv.

Qu’au temps des Troyens, alors que la navigation avait pour objet d’aller envahir des terres éloignées.

Selon une autre tradition, quelques générations auparavant,

cxlvi.

Sardis, fils d’Hercule, sorti de la Libye à la tête d’une nombreuse colonie, vint occuper cette île, et lui donna son nom.

Dans la suite,

cxlvii.

Va fils d’Apollon et de Cyrène,

cxlviii.

Aristée, ayant vu son fils Actéon déchiré par ses chiens, quitta Thèbes, de l’avis de sa mère, et se fixa d’abord dans l’île de Cos, jusqu’alors inhabitée ; plus tard, renonçant à ce séjour, il se transporta en Sardaigne, accompagné de Dédale.

On sait que, selon les mêmes traditions, Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/408 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/409 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/410 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/411 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/412 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/413 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/414 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/415 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/416 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/417 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/418 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/419 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/420 surface ne soit battue des vents : dans ce dernier cas, le roulis des vagues y est fort dangereux,

CCXII. Par l’oscillation fréquente des flots, effet ordinaire de l’Aquilon,

tandis que le choc du rivage en renvoie d’autres en sens contraire. Leur rencontre élève des lames si rapides et si serrées, que,

CCXIII. Au troisième flot,

il n’est point de barque qui puisse aborder à la côte.

CCXIV. L’eau du Pont-Euxin est moins salée que celle des autres mers,

à cause du grand nombre de rivières qui s’y jettent,

CCXV. D’où il tire la couleur

blanchâtre qui le distingue des autres mers. L’Euxin est très-favorable à la pèche, surtout en été.

CCXI. Durant cette saison, il sort de l’Euxin une prodigieuse quantité de poissons.

qui reflue dans le lac Méotis et dans la Propontide.

Le Pont-Euxin reçut d’abord des Grecs le nom de Pontus, mer par excellence, puis celui d’Axenos, inhospitalier, qu’il changea contre celui d’Euxenos, nom de meilleur augure, quand les Ioniens y eurent fondé un grand nombre de colonies. Au reste, ce fut assez tard que les Grecs connurent cette mer :

CCXVII. Car Jason fut le premier qui, parmi eux, osa se frayer une route nouvelle à travers la mer, lorsqu’il alla violer la maison d’Æétès, son hôte.

En parcourant les côtes du Pont-Euxin,

CCXVIII. La première contrée de l’Asie que l’on rencontre dans l’intérieur des Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/422 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/423 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/424 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/425 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/426 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/427 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/428 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/429 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/430 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/431 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/432 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/433 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/434 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/435 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/436 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/437 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/438 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/439 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/440 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/441 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/442 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/443 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/444 Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/445 Spartacus, dans la vue de rétablir ses communications avec cette province, s’approche du camp romain ; mais il était si bien fortifié, qu’il n’osa rien entreprendre.

CCCI f.
Quelques jours après, nos soldats, contre leur ordinaire, commencent à sentir croître leur confiance, et à tenir un langage plus assuré. Varinius est entraîné lui-même par cette ardeur inattendue ; il met de côté les précautions, puis, des soldats novices, non encore éprouvés, et tout préoccupés des revers de leurs camarades, il les conduit néanmoins contre le camp des fugitifs.

Dès que les Romain aperçoivent de loin ceux-ci rangés en bon ordre et poussant des cris menaçants, leur courage s’ébranle.

CCCI g.
Déjà, ralentissant le pas et gardant le silence, ils ne se présentent pas aussi superbement au combat qu’ils l’avaient demandé.

Ils attaquent cependant la ligne ennemie ;

CCCIV.
Mais cette tentative n’ayant pas réussi, les soldats commencèrent à la charge avec plus de mollesse, en ne tenant pas leurs armes serrées comme ils l’avaient fait d’abord, et en desserrant les rangs.

D’ailleurs, harrassés de s’être tenus eu haleine depuis le matin, ils étaient si accablés par la chaleur,

CCCV.
Que la plupart, pouvant à peine se soutenir, s’appuyaient, fatigués et fixés sur leurs armes.

La défaite devient générale : Varinius donne le signal de la retraite et se replie sur la Lucanie, abandonnant aux esclaves toute la pointe de l’Italie jusqu’au détroit.

A Rome, le tribun Licinius Macer crut le moment favorable pour obtenir l’abolition des lois de Sylla, en ce qui concernait la puissance tribunitienne. Il jugeait d’ailleurs le parti populaire renforcé Page:Œuvres complètes de Salluste (trad. Durozoir), 1865.djvu/447 que vous, multitude semblable à un troupeau, vous vous livrez à chacun d’eux comme une chose dont ils ont la propriété, la jouissance, dépouillés ainsi de tout ce que vous laissèrent vos ancêtres, sauf cependant votre droit de suffrage, qui autrefois vous donnait des chefs, et aujourd’hui vous donne des maîtres. De ce côté donc tous se sont rangés ; mais bientôt, si vous recouvrez ce qui vous appartient, ils serontàvous la plupart. Peu d’hommes ont le courage de défendre le parti qui leur plaît ; le plus grand nombre suit celui du plus fort.

Pouvez-vous croire que rien vous puisse faire obstacle, si vous marchez dans un même esprit, vous qui, dans votre étal de langueur et de découragement, avez su vous faire craindre ? A moins peut-être que C. Colla, élevé au consulat du sein de la faction, ait, autrement que par crainte, rendu quelques droits aux tribuns du peuple ; et. quoique L. Sicinius, pour avoir osé le premier parler de la puissance trihunilienne, ait été, malgré vos murmures, victime de la perfidie des patriciens, cependant, chez eux, la crainte de votre courroux s’est fait plutôt sentir que, chez vous, le sentiment de l’injure. C’est ce que je ne puis assez admirer, Romains ; car. combien vaines furent vos espérances, vous avez pu le reconnaître ! Sylla mort lui qui avait imposé une odieuse servitude, vous pensiez être à la fin de vos maux : il s’est élevé un tyran bien plus cruel, c’est Catulus. Des troubles ont éclaté pendant le consulat de Brutus et d’Emilius Mamercus ; après quoi C. Curion a porté l’abus du pouvoir jusqu’à faire périr un tribun innocent. Lucullus, l’année dernière, quelle animosilé n’a-l -il pas montrée contre L. Quinctius ? vous l’avez vu. Quelles tempêtes enfin aujourd’hui ne soulève-t -on pas contre moi ? Certes, ce serait bien vainement qu’on les exciterait, s’ils devaient se lasser de la domination plutôt que vous de la servitude, d’autant plus que si, dans le cours de nos guerres civiles, on a mis en avant d’autres prétextes, on n’a de part et d’autre combattu que pour asservir. Ainsi, tous-les maux nés de là licence, de la haine, de l’avidité, n’ont produit qu’un embrasement passager ; il n’est resté que le but commun des deux factions, qu’on vous a enlevé pour l’avenir, la puissance tribunitienne, cette égide de la liberté conquise par vos ancêtres.

Je vous en avertis, je vous en conjure, songez-y sérieusement : n’allez pas, changeant le nom des choses au gré de votre lâcheté, nommer, tranquillité ce- qui est servitude. Si le crime l’emporte sur le droit, sur l’honneur, la tranquillité ne sera point votre partage : elle l’eût été si vous étiez toujours restés calmes. Maintenant faites-y bien attention ; et, si vous n’êtes vainqueurs, comme l’oppression trouve sa sûreté en se rendant plus pesante, ils vous’ tiendront encore plus serrés.

Que demandez-vous donc ? va m’objecter quelqu’un de vous. Qu’avant tout vous vous départiez de votre manière d’agir, hommes à la langue brave, au coeur lâche, et qui, une fois hors de l’enceinte de cette assemblée, ne pensez plus à la liberté ; "ensuite (et devrais-je avoir besoin de vous appeler à ces mâles efforts par lesquels, en attribuant aux tribuns du peuple les magistratures patriciennes, vos ancêtres ont dû affranchir les élections de l’influencé : exclusive.. des patriciens ? ) puisque toute puissance réside en vous, les commandements qu’aujourd’hui vous voulez bien subir dé la part des autres, vous pouvez assurément les exécuter ou les enfreindre à votre gré. Jupiteri ou quelque autre dieu, est-il donc le protecteur que vous attendez ? Cette grande autorité des consuls et des décrets du sénat, votre docilité lui sert de sanction, Romains ; et c’estùn plaisir qui, comme toute licence qu’on se permet contre vous, trouve en vous des auxiliaires commodes et empressés.

Je ne vous exhorte pas à venger vos injures, mais plutôt à chercher le repos : ce n’est pas non plus les discordes que j’appelle, ainsi qu’ils m’en accusent ; mais, comme je veux y mettre fin, j’invoque^au nom du droit des gens, ce qui nous appartient ; et, s’ils s’opiniâlrent, à le retenir, ne re- , courez ni aux armes : ni à là retraite, contentez-vous deneplus donnervolrc . sang : c’est _Jà _monayis._Qu’ils,.exerr ? cent,’ qu’ils .possèdent, comme ils l’entendront, lés commandements militaires ; qu’ils cherchent" des triomphes ; qu’avec les images de leurs arn cêtresils poursuivent Mithridate, Ser- : torius, fit les débrisjles exilésj point de périls ni de travaux pour ceux qui n’ont aucune part dans les^avantages ; à moins toutefois que cette loi improvisée sur les subsistances ne soit pour vos services une compensation. Or, par elle, à cinq mesures de blé a été estimée la liberté de.chacun de vous ; aussi bien la ration d’un prisonnier ne s’élève pas plus haut. En effet, par son exiguïté, elle esttout juste ce qu’il fau pour l’enÏT pêcher de mourir, en épuisant ses forces ;.. ainsi, pour vous, une si faible distribution- n’affranchit pas ~ des,embarras domestiques, et tout ce qu’il y a d’hoinmes laches se laissent abuser par une cnètive espérance. Mais, serait-elle abondante, cette largesse que l’on vous montrerait comme le prix de votre liberté, qui de vous serait assez faiblépour se laisser surprendre, et pour penser devoir quelque reconnaissance, à qui vous donne insolemment :ce qui vous appartient ? En effet, pour établir leur puissance sur la masse, ils n’ont pas d’autre moyen, et ils n’en tenteront pas d’autre.

Le piège n’en est pas moins à fuir. Ainsi, en même temps qu’ils cherchent des adoucissements, ils vous remettent jusqu’à l’arrivée de Cn. Pompée, de ce Pompée qu’ils, ont craint tant qu’ils l’ont vu au-dessus ; de leurs têtes, et qu’ils déchirent depuis, que leur frayeur est passée.. Èt-ils ne rougissent pas, cesvengeurs.de la liberté, comme .ils se. nomment, de voir que tant d’hommes n’osent, faute d’un seul, mettre un.terme à leur oppression, ou né puissent défendre leurs

droits. Quant à moi, il m’est assez
prouvé que Pompée, si jeune et si glorieux, aime mieux être le chef de votre choix que, le complice de leur tyrannie ; et qu’avant tout il sera le restaurateur de la puissance tribunitienne. Mais autrefois, Romains, chaque citoyen trouvait appui chez tous les autres, et non tous chez un seul ; et nul, parmi les mortels, n’avait le pouvoir de donner ou d’ôter de tels droits.


Ainsi donc assez de paroles, car ce n’est pas l’ignorance qui vous fait faillir ; maïs vous vous êtes laissé gagner par je ne sais quelle torpeur, qui fait que vous n’êtes émus ni par, la gloire ni par la honte ; et pour’ croupir dans votre présente inertie, tout par vous a été donné en échange ; et vous croyez jouir largement de la liberté, parce que la verge du licteur épargne voire croupe, et que vous pouvez aller et venir par la grâce de vos maîtres opulents. Et encore telle n’est pas la condition des habitants de la campagne ; ils sont battus, meurtris au milieu des querelles des grands, et donnés comme apanage aux magistrats des provinces. Ainsi Je combat et la victoire sont l’affaire d’un petit nombre ; le peuple, quoi qu’il advienne, est traité en vaincu ; et de jour en jour il le sera encore bien mieux, si vos tyrans continuent à mettre plus d’ardeur à garder la

domination que vous à recouvrer la liberté.

Le discours de Macer produisit une sensation d’autant plus grande, que dans les derniers rangs du peuple la foule des harangueurs, race d’hommes

CCCVIII.
Nourris de la méchante habitude des débats les plus tumultueux,

ne cessait de reproduire et de commenter les arguments du tribun ; mais le sénat parvint encore à gagner du temps en mettant en avant le nom de Pompée, et reçut alors fort à propos, des lettres dans lesquelles ce général annonçait

CCCIX.
Que si, avant son arrivée, aucun
arrangement n’était conclu entre le sénat et le peuple, il s’occuperait en leur présence de cette affaire.

La question resta donc en suspens.

En Espagne, Perpenna n’avait cessé, depuis quatre ans, de manoeuvrer sourdement contre Sertorius, dont il était bassement jaloux. Bientôt il en vint à une conspiration dont le résultat fut que nombre de villes cellibériennes ouvrirent leurs portes à Metellus. Aigri par ces défections, Sertorius devint défiant, emporté, cruel même. Metellus, rendu plus entreprenant, obtint divers avantages, et Sertorius fut obligé de transporter son quartier général à Osca, pour être à porter de se diriger partout où sa présence serait nécessaire. Cependant rien

CCCX.
Dans la conjuration ne périclite,

et c’est dans Osca même que Perpenna et ses affidés achèvent d’arrêter leur complot. Perpenna invite Sertorius à souper ; ce général s’y rend sans défiance.

CCCXI.
On se mit donc à table : Sertorius en bas, sur le lit du milieu, ayant au-dessus de lui L. Fabius Hispaniensis, l’un des sénateurs proscrits ; sur le lit d’en haut était Antoine, et, au-dessous de lui, Versius, secrétaire de Sertorius ; son autre secrétaire, Mécénas, était sur le lit d’en bas, entre Tarquitius et Perpenna, le maître de la maison.

Ainsi, le général et chacun de ses secrétaires se trouvaient placés entre deux conjurés. Sur la fin du repas, Antoine feint de prendre querelle avec Tarquitius.

CCCXII.
Tarquitius lui répond avec aigreur,
CCCXIII.
S’écartant de la retenue habituelle

que l’on gardait en présence du général. Sertorius, qui ne veut ni souffrir une telle inconvenance ni gêner la liberté des convives, feint de s’abandonner au sommeil. Ce fut le moment que les conjurés prirent pour l’assassiner, ainsi que ces deux secrétaires. Rome fut ainsi délivrée, par un crime, de, ce nouveau Viriate, car les Espagnols étaient dans l’habitude de le comparer au héros lusitanien, et souvent aussi à Annibal. Il fut plus humain envers les ennemis que le Carthaginois, moins téméraire que Pyrrhus ; mais, sous le rapport des exploits militaires, ne peut-on pas le mettre au-dessus de ces grands ennemis de Rome ?

CCCXIV.
Car enfin à Pyrrhus, à Annibal, la mer et la terre

fournissaient de puissants secours ; au lieu que Sertorius, jeté au milieu d’un peuple barbare, dont une partie obéissait à ses ennemis, n’avait de ressources que celles qu’il tirait de son génie. Sa mort opéra une révolution en faveur du parti des Romains. Perpenna devint un objet d’horreur. Pompée se mit à sa poursuite, l’atteignit sur les bords du Tage, et remporta sur lui une victoire peu disputée. Perpenna voulut, dans sa fuite, mettre le fleuve entre sa personne et l’ennemi ; mais à peine, avec quelques officiers, se fut-il engagé dans les flots, que

CCCXV.
Le Tage lui sembla se gonfler tout à coup.

Néanmoins ils purent passer à l’autre bord, mais ils y furent atteints par des cavaliers ennemis, qui ne se doutèrent point d’abord de l’importance de leur prisonnier ;

CCCXVI.
Et ce fut le muletier d’un entrepreneur de vivres qui, par hasard, reconnut Perpenna.

Conduit à Pompée, Perpenna lui offrit de lui montrer des lettres de grands personnages qui appelaient Sertorius en Italie. Pompée, par une généreuse politique, refusa ces honteuses communications, et fit mourir Perpenna.

CCCXVII.
Après y avoir vainement consumé trois années

contre les pirates qui recommençaient de plus belle leurs brigandages. On avait nommé, pour lui succéder, le consul

CCCXVIII.
Octavius, homme doux, et perclus des pieds
par l’effet de la goutte. C’était un général peu propre à une

guerre qui demandait autant d’activité que de vigueur. L’audace des pirates ne connaissait plus de bornes. Ils allaient jusqu’à faire journellement des descentes en Italie. Sextilius, gouverneur de Sicile, leur voulut donner la chasse, mais il fut pris et défait. Bellienus, préteur de la Campanie, mit alors en mer une escadre pour couvrir la Sicile, mais il ne fut pas plus heureux.

CCCXIX.
Et par hasard, dans la traversée, une cohorte romaine, portée sur un bâtiment long, s’écarta du reste de l’escadre, et, arrêtée par un grand calme, fut capturée par deux brigantins de pirates.

C’était précisément le navire que montait Bellienus. Il tomba entre leurs mains avec ses faisceaux et l’aigle de la légion. Les pirates allèrent alors jusqu’à menacer le port d’Ostie,

CCCXX.
Ce rendez-vous des navigateurs.

Le tribun Cethegus employa tout son crédit pour faire donner à Octavius un successeur dans la personne de son ami M. Antonius, fils du célèbre orateur de ce nom.

CCCXXI.
M. Antonius, né pour dissiper l’argent, incapable de s’occuper d’aucun soin, si ce n’est au dernier moment,

était moins que tout autre propre à terminer heureusement cette guerre.

Cependant Lucullus, s’éloignant d’Amise, qu’il avait tenue bloquée pendant l’hiver, marcha vers la ville de Cabire, aux environs de laquelle campait l’armée royale. Dans un combat de cavalerie, les Asiatiques eurent l’avantage. Lucullus, averti par cet échec, se saisit d’un poste si avantageux, que, bien qu’il pût surveiller tous les mouvements de l’ennemi.

CCCXXII.
Et que les deux camps se touchassent, la situation naturelle du terrain empêchait d’en venir aux mains.

Il y eut de fréquentes escarmouches dans lesquelles brillèrent l’impétueuse valeur des soldats asiatiques et la salutaire discipline de l’armée romaine. Enfin, après un combat dans lequel le camp de Taxile, un des satrapes du roi, tomba au pouvoir des Romains, Mithridate se résolut à la retraite. Ce mouvement s’effectua pendant la nuit, dans un si grand tumulte, que ce monarque,

CCCXXIII.
Mithridate, couvert d’une armure assortie à sa taille gigantesque,

se vit foulé aux pieds par ses propres soldats. Poursuivi dans sa fuite par les soldats romains, car toujours il était

CCCXXIV.
Remarquable par la beauté de ses chevaux et de ses armes,

il n’échappa qu’en poussant, entre ceux qui étaient près de l’atteindre et sa personne, un mulet chargé d’or.

A la suite de cette campagne, Mithridate envoya Métrodore, son plus intime confident, solliciter le secours de Tigrane, roi d’Arménie. Celui-ci se montra peu disposé à embrasser la cause, de son beau-père. Métrodore

CCCXXV.
Ayant commencé une longue harangue

pour persuader Tigrane : « Je serais fou, interrompit ce monarque, d’aller me jeter dans le feu quand je ne l’ai pas chez moi. » — D’accord, répliqua Métrodore ; mais

CCCXXVI.
Ne savez-vous pas que, quand le feu a pris à une maison, il n’est pas facile de préserver de l’incendie les maisons voisines ? »

La superstition concourut aussi à refroidir les dispositions de Tigrane pour son beau-père : il se rappelait que la fondation du royaume de Pont avait été un échec pour les rois de Syrie, à la puissance et aux prétentions desquels il avait succédé. Il crut voir en songe qu’il semait l’or à pleines mains dans un champ. Ce rêve l’effraya : les devins, consultés, le rassurèrent ;

CCCXXVII.
Mais lui, craignant d’avoir été
trompé, consulta les entrailles des victimes pour savoir si ce songe lui promettait un trésor.

La réponse des aruspices ne le satisfit pas davantage, et ce fut dans cette disposition que le trouva Métrodore. La négociation ne produisit donc aucun résultat.


FRAGMENTS DU QUATRIÈME LIVRE.

A Rome, les consuls avaient eu à pourvoir au soulagement du peuple, dans un moment où la cherté des blés, l’entretien de plusieurs armées employées à des guerres étrangères, et la révolte des fugitifs en Italie, avaient épuisé toutes les ressources du trésor et des contribuables. Gellius, l’un d’eux,

CCCXXVIII.
Plein d’anxiété et d’incertitude,

ne savait à quel parti s’arrêter ;

CCCXXIX.
Mais son collègue, Cn. Lentulus, d’une maison patricienne, et qui portait le surnom de Clodianus, promulgua sans qu’on puisse dire s’il se montra plus inconsidéré qu’inconséquent à ses principes une loi portant qu’on exigerait des acheteurs des biens des proscrits toutes les sommes dont Sylla leur avait fait la remise.

Cette proposition souleva tous les partisans de Sylla.

CCCXXX.
Tous ceux qui, malgré leur âge, conservaient dans un corps vieilli l’esprit militaire

étaient prêts à se soulever et à renouveler la guerre civile ; car, depuis les sanglantes querelles de Sylla et de Marius,

CCCXXXI.
Dans Rome était répandue, comme un fléau contagieux, la manie
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y faire passer des secours. Mais, lorsque Lucullus revint avec ses légions victorieuses, la situation des Amisiens parut moins rassurante.. Néanmoins, grâce à leur persévérance et à l’habileté de Callimaque, leur gouverneur, Amise tint bon, et Lucullus parvint à s’emparer d’Eupatorie, ville voisine, qu’Amise résistait encore. Ayant fait fabriquer

CCCXCVIII.
Des échelles égales en hauteur aux murailles.

d’Eupatorie, il donna l’assaut pendant la nuit. L’assiégeant monte sur les échelles,

CCCXCIX.
Brise les parapets et les créneaux dont sont revêtues les murailles, et gagne le haut du rempart.

C’est ainsi qu’Eupatorie tomba en son pouvoir. Thémiscyre fut aussi prise par le moyen de la mine. Après quoi Lucullus réunit toutes ses forces contre Amise. Il avait, comme à l’ordinaire, donné un assaut général, et s’était retiré. Les assiégés, croyant avoir du relâche jusqu’au lendemain, se gardaient négligemment ; mais Lucullus,

CD.
Après avoir donné quelque repos à ses-soldats,

les ramène de nouveau à l’attaque. Cette fois, Amise fut prise et brûlée, malgré la volonté du général, qui déplora amèrement son malheur de n’avoir pu préserver de sa ruine cette belle colonie grecque. Sinope, qu’assiège ensuite Lucullus, est divisée par les factions : les chefs qu’y avait placés Mithridate, iprès avoir mis le feu aux maisons,

CDI.
Laissèrent à la ville, en se retirant, l’apparence d’une place emportée d’assaut.

La prise de Sinope entraîna la reddition d’Amasie, et la soumission de tout le Pont. Lucullus alors, après avoir donné les plus.sages règlements pour la province d’Asie, alla passer l’hiver à Sardes, et accorda enfin un repos bien mérité à ses soldats,

CDII.
Déjà fort indisposés contre lui, parce que, devant Cyzique, puis devant Amise, il leur avait fait passer deux hivers sous la tente.

Mithridate, qui s’était réfugié auprès de Tigrane, son gendre, éprouva, par le refus que fit celui-ci de l’accueillir, que les rois sont aussi les courtisans de la fortune. Lucullus, qui pressentait les dispositions peu généreuses du monarque arménien, lui envoya des émissaires secrets, et ce fut par suite d’une secrète

CDIII.
Convention que, lui ayant envoyé son lieutenant Publius

Clodius, le proconsul entra en négociation régulière avec lui. Ce ne fut pas sans raison que, pour traiter avec l’orgueilleux despote, Lucullus fit choix de ce jeune homme plein de hardiesse et d’esprit, d’ailleurs son très-proche parent ; car Clodius était frère de Clodia, épouse de Lucullus. Chemin faisant, voyant que plusieurs princes subjugués par Tigrane n’attendaient que le moment favorable pour secouer le joug, car toute l’Asie

CDIV.
Détestait ce monarque,
CDV.
Il affermit dans leurs dispositions les tétrarques et les rois effrayés

de la formidable puissance de ce monarque. Arrivé devant Tigrane, il lui tint le langage libre d’un Romain. Tigrane,

CDVI.
Ses prospérités allant au delà de ses vœux,

eut quelque peine à supporter ce langage ; cependant il se posséda assez pour répondre à Clodius, avec modération, que « bien que Mithridate fût un méchant homme, il n’en était pas moins son beau-père, et qu’il ne l’abandonnerait point. » En effet, après le départ de Clodius, il fit venir auprès de lui le roi de Pont. Lucullus résolut alors de porter la guerre en Arménie. Il ne prit avec lui que deux légions ; puis, voulant surprendre Tigrane par sa célérité,

CDVII.
Il traversa avec le plus de rapidité possible le royaume d’Ariobarzane pour gagner l’Euphrate, à l’endroit où ce fleuve sépare l’Arménie de la Cappadoce. Et, quoique à cet effet il eût, pendant l’hiver, fait fabriquer secrètement plusieurs pontons,

la fonte des neiges avait tellement enflé les eaux du fleuve, que le passage était impossible ; mais, le soir môme, les eaux commencèrent à baisser, et Lucullus put, dès le lendemain, arriver à l’autre rive ; l’on ne manqua pas d’attribuer à la protection des dieux cet effet naturel. Après avoir traversé la Sophène et franchi le mont Taurus, il entra dans la Gordyène, sans rien exiger des Barbares, que des contributions en argent. Ceux-ci, redoutant également les Arméniens et les Romains, s’abstinrent de prendre parti dans cette guerre ; les tribus de la Gordyène furent, dit-on,

CDVIII.
Les seules à s’empresser

d’entrer dans l’alliance du proconsul, et de lui fournir ouvertement tous les secours. Enfin Lucullus franchit le Tigre non loin de sa source, et se trouva sur les frontières de l’Arménie. Il avait ainsi passé les deux plus grands fleuves de l’Orient. Après avoir consulté les auteurs, j’ai trouvé que

CDIX.
Le Tigre et l’Euphrate sortent d’une même source en Arménie ; plus loin ils se séparent et prennent une direction différente, en laissant entre eux un intervalle d’un grand nombre de milles : le territoire qu’ils environnent ainsi de leur cours s’appelle Mésopotamie.

Tigrane n’était rien moins qu’instruit de l’approche des Romains ; et, lorsqu’un premier courrier vint lui en donner avis, ce roi,

CDX.
Dont l’oreille, était peu faite à la vérité,

lui fit trancher la tête comme à un imposteur. Il fallut bien enfin se rendre à l’évidence : un premier avantage, remporte par les Romains, détermina le roi à évacuer Tigranocerte, sa capitale, et à concentrer ses forces sur le mont Taurus. Dans sa marche, il fut mis en fuite par Murena, tandis que Sextilius battait un corps d’Arabes auxiliaires. Encouragé par les succès de ses lieutenants, Lucullus vint mettre le siège devant Tigranocerte. Mithridate conseillait à son gendre d’éviter une bataille ; mais Tigrane ne se vit pas plutôt à la tête d’une armée de plus de deux cent mille hommes, qu’il s’empressa d’accepter le combat que lui offrait Lucullus qui avait besoin de brusquer la victoire. Rien n’était, en apparence, plus imposant que les innombrables bataillons des Arméniens : la nouveauté des armures, l’éclat des cuirasses et des casques dorés, la diversité des couleurs,

CDXI.
Et l’appareil même de la chose,

tout était capable d’étonner les Romains.

CDXII.
Marchaient en première ligne les cavaliers, cuirassés des pieds à la tête, présentant l’aspect de statues de fer.
CDXIII.
Leurs chevaux étaient pareillement couverts de lames de fer cousues sur de la toile, et disposées comme des plumes d’oiseaux.

Lucullus sentit tout l’avantage qu’il y aurait pour lui d’attaquer, avec des troupes légères, des hommes si pesamment armés. Sa cavalerie devait engager l’action, puis se retirer, et forcer ainsi la cavalerie ennemie à perdre ses rangs dans la poursuite.

A cet effet,

CDXIV.
Il avait disposé en seconde ligne ses cohortes légères.

Mais de si habiles dispositions étaient-elles nécessaires contre une armée qui se débanda sans combattre, et qui livra au proconsul la plus facile victoire ? Tigrane s’enfuit du champ de bataille, en perdant son diademe. Tigranocerte tomba bientôt

après au pouvoir du vainqueur. Cependant Taxile, que Mithridate avait envoyé auprès de Tigrane,
CDXV.
Se hâta de lui faire savoir, par des courriers en deuil,

la triste nouvelle de ce désastre. Le roi de Pont alla joindre Tigrane ; tous deux se retirèrent sur le mont Taurus, puis allèrent ensemble couvrir Artaxate, ancienne capitale de l’Arménie. Lucullus rentra dans la Gordyène, s’empara de Sytalca, ville limitrope du pays des Parthes, et, pour prouver aux Gordyéniens combien il était sensible à leur dévouement pour Rome, il fit célébrer magnifiquement les obsèques de Zarbienus, leur roi, que Tigrane avait fait périr comme ami des Romains.

CDXVI.
Chez les Gordyéniens, l’amomum et d’autres parfums délicieux viennent naturellement.

Lucullus voulut qu’on les prodiguât pour la construction du bûcher. Lui-même, à la tête des officiers de l’armée romaine, il fit des libations funéraires. Après quoi il repassa dans la Sophène, où il reçut la soumission des Syriens, des Arabes et de plusieurs autres peuples voisins.

En Thrace, M. Varrori Lucullus dompta le premier les Besses, après une victoire sanglante remportée sur le mont Hémus ; il prit Uscudama et Eumoïpiade, leurs villes. De là, il alla combattre, à l’Orient, les Odrysses.

CDXVII.
Alors Lucullus soumit aussi les Mysiens,

peuple qui habitait le long du Danube, et termina ses courses glorieuses à Périnthe, après avoir réduit une partie de la Thrace en province romaine.

En Arménie, Lucullus et Mithridate employèrent l’hiver à solliciter, chacun de son côté, l’alliance des Parthes. Arsace flottait entre les deux partis, et s’était rapproché du théâtre de la guerre, en se transportant

CDXVIII.
A Camisos,

ville de la Parthiène, située non loin des portes Caspiennes. Arsace, flatté des avances de Lucullus, penchait pour l’alliance des Romains, lorsqu’il reçut de Mithridate la lettre suivante : CDXIX. LETTRE DU ROI MITHRIDATE AU ROI ARSACE.

Le roi Mithridate au roi Arsace, salut.

Toute puissance qui, dans une situation prospère, est sollicitée- de prendre part à une guerre doit considérer. d abord s’il lui est possible de conserver la paix ; ensuite, si la guerre qu’on lui propose est légitime, sûre, glorieuse ou déshonorante. Si vous pouviez jouir d’une paix éternelle ; si vous n’aviez des ennemis aussi acharnés que faciles à vaincre ; si une gloire éclatante, après avoir accablé les Romains, ne devait être votre partage, je n’oserais réclamer votre alliance, et bien en vain je me -flatterais d’unir ma mauvaise fortune à votre prospérité. Cependant’ lés motifs mêmes qui sembleraient devoir vous ar-- rêter. Je ressentiment^que. vous a inspiré contre ..Tigrane une ;guerre_réW. cënte ; et jusqu’aux revers que j’ai éprouvés ; ces motifs, si vous voulez bien apprécierles choses, sont précisément ce qui= doit vous empêcher d’hésiter ; En effet, Tigrane, qui a des torts :à votre cgàrdv acceptera"votre T alliance telle que vous la lui prescrirez ; .et moi, la fôrtune.^quj ni’a Tait essuyer tant de pertes m’a donné cette expérience qui ajouté, du poids aux conseils ; et, chose si .désirable à ceux qui prospèrent, bien que très-peu puissant, je vous offre l’exemple de mieux aviser à vos intérêts. Gaiy pour les Romains, contre toutes les nations, contré tous les peuples, contre tous les rois, l’unique, .l’éternel motif de faire la guerre, est un ;désïr immodéré de la domination et des richesses ; voilà pourquoi ils ont, pour la première fois, pris les armes contre Philippe, roi de Macédoine. Pendant qu’ils étaient pressés parles Garthagiuois, on les -vit, sous les dehors de. l’amitié, faire à Antiochu’s, venant au secours de Philippe,- des concessions en Asie, qui le détachèrent frauduleusement de son allié. Plus lard, Philippe une’ fois asservi, Antiochus fut dépouillé de toutes ses possessions en deçà du mont Taurus, et de dix mille talents. Ensuite Persée, fils de Philippe, après de nom-^ hreux. combats et des succès balancés, s’est abandonné à leur foi à la face des dieux de SamcJ-brace ; mais,-toujours habiies à invenlerdes perfidies, comme par le traité ils lui ont accordé la vie, c’est d’insomnie qu’ils le font mourir. Cet Eumène, dont ils vantent fasiueusement l’amitié, ils Pavaient d’abord livré à Antiochus pour prix de la paix ; Bientôt Altale, gardien d’un royaume qui lui appartient, est, à force d’exactions et d’outrages, réduit de la condition de roi à celle du plus misérabledes esclaves. Ils supposent ensuite un testament impie ; et, parce que son fils Aristonieus revendique le trône palernel, ils le traînent en triomphe- comme un ennemi. Ils tiennent l’Asie assiégée ; enfin, toute la Bithynie est, après la mort de Nicomède, envahie par eux, quoique l’existence d’un fils de Nysa, à qui ils avaient donné le litre de reine, lut incontestable. Faut-il aussi que je me cite ? J’étais de tous côtés, par des royaumes, par des tétrarcliies. sépare de leur empire ; mais, sur le bruit de mes richesses et de mon relus d’être leur esclave, ils suscitent contre moi les continuelles attaques de Nicomède, qui cependant connaissait leurs desseins criminels, et qui avait déjà déclaré, ce que l’événement a -justifié, que- les Ci’éLois étaient avec le roi Ptolémée seuls libres alors dans le monde. îlais je vengeai mon injure ; je chassai Nicomède de la BiLhynie ; je repris l’Asie, dépouille arrachée au roi Antiochus, et je délivrai la Grèce d’un dur esclavage. Ce que j’avais si bien commencé, le plus vil des esclaves, Archélaiis, en livrant mon armée, l’a détruit ; et ceux qui, par lâcheté ou par une aveugle politique, refusèrent de seconder mes efforts pour les protéger en sont bien cruellement punis. Ptolémée éloigna à prix d’argent la guerre d’un jour à l’autre. Quant aux Cretois, déjà une fois vaincus, la lutte ne finira que par leur ruine. Pour ce qui est de moi, je prévis bien que,, grâce aux divisions intestines des Romains, c’était plutôt une trêve qu’une, paix véritable qui m’était accordée. Malgré donc les relus de Tigrane, - qui aujourd’hui, mais, trop tard,.reconnaît la justesse de mes pré-- dictions ;-*malgré toute, la distance qui ;sépare vos états des miens, et la position dépendante de toutes les autres puissances, je commençai la guerre ; je battis sur terre, auprès de Chalcédoine, le général romain Mar- eus Gotta, et sur mer je lui détruisis «ne très-belle flotte. Devant Gyziqûe, que je lins assiégé avec une armée nombreuse, les vivres me manquèrent, car je ne recevais des contrées voisines aucun secours, et l’hiver me fermait la mer. Ainsi, sans aucun en gagement avec l’ennemi, forcé de rentrer dans le royaume de mes pères, des naufrages auprès de Paros et d’Héra^ clée me firent perdre, avec ma flotte, l’élite de mes soldats. Je remis ensuite une armée sur pied à Cabire ; et, après ~f : une suite de cdmbàts plus ou moins heureux contre Lucullus, la famine vint encore nous assaillir tous les deux. Mais Lucullus trouvait (les res^ sources dans, le royaume, d’Ariobarzane, où la guerre n’avait pas pénétré ; autour de moi, au contraire* tout était dévasté : je me retirai donc en Arménie ; les Romains y vinrent sûr mes pas, bien moins pour me.pour- suivre qjie pour céder à leur habitude de renverser tous les royaumes Pour avoir, en la resserrant dans d’étroits défilés ; réduit une ; multitude dans l’inaction, ils vantent comme une victoire l’imprudence de Tigrane.- Maintenant, je vous prie, considérez si, après ma défaite, Lyous aurez plus, de force pour résister ou si la guerre finira. Vous avez, ; il est vrai, bien des ressources en hommes, en armes, .en argent ; je" le sais, et "c’est la ce qui fait désirer, à moi votre alliance, aux Romains votre dépouille. Au reste voici le parti à prendre : le royaume de Tigrane est encore intact ; mes soldats savent la guerre ; loin de chez vous, sans grands efforts, avec nos corps et nos bras ; je saurai terminer la guerre ; mais vous devez songer que je ne puis, sans danger pour vous, être vainqueur ou vaincu. Ignorez-vous que les Romains portent ici leurs armes, parce que l’Océan les a arrêtés du côlé de l’Occident ? que, depuis, leur origine, ils n’ont acquis maisons, épouses, territoire, puissance, que’ par le brigandage ? qu’autrefois, vil ramas de vagabonds sans patrie, sans famille, ils ne se sont rassemblés que pour être le fléau-de l’univers ? qu’il n’est aucune loi humaine ou divine qui les empêche d’asservir, de sacrifier alliés, amis, nations voisines ou lointaines, faibles ou puissantes, et de regarder tout ce qui ne leur obéit pas, les rois surtout, comme ennemis ?

En effet, si quelques peuples 

désirent la liberté, la plupart veulent des maîtres légitimes. Les Romains craignent donc en moi un rival qui pourra las punir un jour. Et vous, maître de Séleucie. la première des villes du monde ; vous, souverain du noble et riche empire des Perses, que pouvez-vous atlendre.d’eux, que perfidie aujourd’hui, et guerre ouverte demain ? Les Romains, toujours armés contre tous, s’acharnent avec le plus de fureur sur ceux dont la dépouille sera lu plus riche. C’est sur l’audace et la perfidie, sur la guerre née de la guerre, qu’ils ont fondé leur grandeur. Avec cette politique, ils anéantiront tout, ou périront eux-mêmes. Mais il ne sera pas difficile de les accabler, si vous par la Mésopotamie, et moi par l’Arménie, nous enveloppons leur armée,’qui ne peut espérer ni vivres ni secours : jusqu’ici la fortune ou nos fautes ont seules fait son salut. Et vous, vous recueillerez la gloire d’avoir secouru" deux puissants monarques, et fait justice des spoliateurs des nations. N’hésitez donc pas, je vous le conseille, je vous y exhorte, à moins que vous ne préfériez votre perte, qui n’est différée que par la nôtre, à la victoire que doit nous assurer votre alliance.

Lucullus, informé que le roi des Parthes négociait avec ses ennemis, voulût porter chez lui la guerre ; mais ses troupes s’y refusèrent obstinément, et il se borna à poursuivre le roi d’Arménie.

CDXX.
L’on était en plein été,

lorsque commença la seconde campagne contre Tigrane. Les deux rois, fidèles à la vieille tactique de l’Orient, où,

CDXXI.
Dès la plus haute antiquité, on s’est servi de chars armés de faux,

avaient fait fabriquer un grand nombre de ces machines, moins redoutables d’effet que d’apparence. Lucullus, après avoir ravagé l’Arménie, se présenta devant Artaxate. Les trois rois ligués vinrent pour dégager cette place, avec leurs forces respectives. C’était un spectacle que de les voir,

CDXXII.
Remarquables par la beauté de leurs coursiers et de leur armure,

précéder, sur un char élevé, la nombreuse et brillante élite qui leur servait de garde. Lucullus, frappé de ce spectacle, changea quelque chose à son ordre de bataille.

CDXXIII.
Il tira aussitôt de sa réserve des troupes pour renforcer le premier rang et le front de son armée

L’action une fois engagée,

CDXXIV.
On combattit à des reprises différentes,
CDXXV.
Les escadrons, selon la manœuvre ordinaire d’un combat, de cavalerie, chargeant tour à tour, puis se repliant, et, par. ce mouvement rétrograde, se donnant un champ plus -facile pour revenir à la charge.

Lucullus crut d’abord que la victoire allait lui être disputée ; mais la cavalerie légère des ennemis prit bientôt la fuite, et sa grosse cavalerie, commandée, par Tigrane en personne, ne tint pas longtemps. Les trois rois prirent la fuite, et ce fût date qui donna l’exemple. Cette victoire eût amené, sans doute, la conquête de l’Arménie, sans la mauvaise volonté des légions fimbrianés, qui refusèrent de faire le siège d’Artaxate. Rien ne put vaincre leur indocilité, et Lucullus fut contraint de renoncer à une entreprise dont le succès

CDXXVI.
Aurait on taillé en pièces ou mis en déroute les ennemis.

Les deux rois ; ayant rallié leurs forces, occupèrent les hauteurs et harcelèrent l’armée romaine. Ici se placent quelques opérations qui n’eurent rien de décisif. A la fin,

CDXXVII.
La saison avancée

força les deux rois à abandonner leurs positions. Lucullus voulut s’attacher à la poursuite de Tigrane, qui gagnait l’Arménie intérieure. Le froid devint si vif et la gelée si forte, qu’à peine trouvait-on de quoi faire boire les chevaux. Dans leur mécontentement, les soldats romains refusèrent d’aller plus loin. Lucullus se vit donc obligé de renoncer à la poursuite de Tigrane, comme il avait été contraint de renoncer au siège d’Artaxate : juste récompense du peu de soin que ce général prenait de se faire aimer du soldat.

Après la journée de Dia, le sénat crétois songea bientôt aux conséquences d’une victoire remportée sur un peuple aussi redoutable que les Romains. Et d’abord il ordonna que, pour ne pas paraître faire trophées des dépouilles prises dans le combat, elles seraient déposées dans le temple de Jupiter Idéen, temple vénérable par son antiquité : car

CDXXVIII.
Il est certain que les Crétois sont les premiers inventeurs du culte religieux.

En effet, tout porte à croire

CDXXIX.
Que, comme les Curètes ont les premiers introduit la science des choses sacrées, l’antiquité, accoutumée à tout exagérer, les a célébrés comme les pères nourriciers de Jupiter.

Trente députés crétois furent donc envoyés à Rome pour faire amende honorable de la victoire sur Marc Antoine : ils furent reçus avec dédain. Alors les Crétois, excités par Lasthène, prennent la résolution de résister à l’oppression. Le sénat déclare donc la guerre aux Crétois, et l’on en charge le consul Metellus.

CDXXX.
Or dès que le retour de la belle saison eut rendu la mer praticable aux flottes.

il mit à la voile ; délivra, chemin faisant, le port de Syracuse, assiégé par Pyrganion, pirate sicilien, puis débarqua en Crète, au port de Cydonie. Une première victoire sur Lasthène, dans la plaine cydoniate, le rendit maître de la campagne. Après avoir pris Cydonie, Metellus marcha sur Gnosse, qu’à son approche Lasthène évacua, après avoir brûlé cette ville. Enfin la conquête de toute la partie septentrionale de l’île signala la première année du commandement de Metellus.


FRAGMENTS DU CINQUIÈME LIVRE.

Pendant que Metellus achevait la conquête de l’île de Crète, le tribun Gabinius proposa de donner à Pompée le proconsulat de toutes les mers de la domination romaine, et la conduite, de la guerre contre les pirates. Pompée, bien que

CDXXXI.
Désirant cette loi avec ardeur,

crut devoir se parer d’une feinte modestie ; mais, comme on connaissait à quel point il était

CDXXXII.
Immodéré dans ses désirs,

personne ne fut dupe de ce manège. Le jour que la loi fut portée au peuple, Catulus s’efforça de la combattre. Loin d’attaquer le caractère de Pompée, il fit son éloge le plus complet. Remontant, au contraire, aux premiers exploits de ce général, lequel, à peine sorti de l’adolescence, s’était élevé à la hauteur des plus illustres capitaines, il ajouta

CDXXXIII.
« Que, en considération de ces exploits, on avait vu Sylla, dictateur de Rome vaincue, descendre de cheval, se lever de son siège, se découvrir, pour le seul Pompée. »

« Tant de gloire doit lui suffire, ajoutait Catulus ; car

CDXXXIV.
« Je vois bien des gens craindre l’éclat d’un nom fameux,

« non que de sa part il y ait aucun péril à redouter, mais il faut craindre l’enthousiasme irréfléchi de ses partisans, que nous voyons

CDXXXV.
« Jour et nuit travailler, se fatiguer,

« pour capter, en faveur de Pompée, le suffrage des tribuns :

CDXXXVI.
« Je vois, empressé d’arracher d’immenses concessions

« au peuple, le tribun Gabinius, qui ne songe qu’à rétablir sa fortune personnelle à la faveur de l’élévation de Pompée. Enfin, Romains, ce grand général a bien assez payé sa dette à la patrie ; craignez d’exposer, dans toutes les guerres, une tête si précieuse :

CDXXXVII.
« Car, s’il arrivait à Pompée quelque événement dans l’ordre des choses humaines,

« si vous veniez à le perdre, qui mettriez-vous à sa place ? — Vous, Catulus ! » s’écria le peuple tout d’une voix. À ces mots si flatteurs, Catulus ne put que se taire et se retirer. Après lui, ’ Hortensius parla dans le même sens, mais avec aussi peu de succès. Deux tribuns, Tremellius et Roscius, voulurent s’opposer à la loi de Gabinius ; mais le peuple les réduisit au silence par des cris, des menaces, et toutes les manifestations tumultueuses que

CDXXXVIII.
Le vulgaire se plaît à employer.

La loi passa, et l’on sait que Pompée, revêtu du proconsulat des mers, justifia la loi Gabinia par le succès avec lequel., en soixante-dix jours, il détruisit les pirates sur toutes les mers de la domination romaine.

Ici se place la tentative du tribun Cornélius pour ôter au sénat le privilège d’exempter de la loi commune tout magistrat investi d’un pouvoir extraordinaire. Cette proposition émut profondément, le sénat. Le consul Pison suscita contre Cornélius le tribun Globulus, homme modéré, et par conséquent ennemi des innovations. Les chefs du sénat s’attachaient alors à opposer tribuns a tribuns pour arrêter, au profit de l’aristocratie, le nouvel essor de la puissance tribunitienne. En s’ouvrant à Globulus, Pison se garda bien de lui laisser entrevoir le fond de sa pensée ;

CDXXXIX.
Car de tels projets, faits pour bouleverser la république, n’auraient pas mis de son côté celui qu’il consultait.

Grâce à la division mise ainsi entre les tribuns, l’affaire se termina à l’avantage du sénat, et Cornélius, accusé du crime de lèse-majesté, ne dut son salut qu’à l’éloquence de Cicéron.

Au retour du printemps, Lucullus mit le siège devant Nisihe, forteresse importante qui était la clef de la Mésopotamie. Quoiqu’elle fût d’un abord difficile

CDXL.
Par sa situation élevée, on l’avait fortifiée de tous côtés d’une triple enceinte de murailles garnies de hautes tours.

Nisibe arrêta les Romains sous ses murs pendant toute la campagne ; mais enfin, elle ne put tenir contre une attaque imprévue et nocturne de Luculius, et cette place devint désormais le boulevard de la domination romaine du côté de la Mésopotamie.

Mithridate, rentré, dans le Pont après la bataille d’Arsanias, remporta en personne deux avantages successifs sur Fabius, lieutenant de Lucullus. Dans la dernière de ces deux actions, le roi fut atteint de deux pierres, dont l’une le blessa au genou ; par l’autre

CDXLI.
Ayant le pied démis,
il n’en continua pas moins de combattre, et donna le temps à ses soldats de le retirer de la mêlée. On ne saurait exprimer l’enthousiasme avec lequel Mithridate fut reçu dans son royaume :
CDXLII.
Tant est inné chez ces peuples le respect superstitieux pour le nom de roi !

Mithridate trouva d’autant plus facilement moyen de reconquérir ses États sur les Romains, que, négligeant les affaires de la république, les uns ne songeaient qu’à jouir des douceurs d’une fortune acquise par le pillage,

CDXLIII.
Le reste s’occupait exclusivement, soit des affaires personnelles de leurs commandants et de leurs tribuns, soit du trafic de leurs vivres.

Une grande victoire, remportée l’année suivante sur Triarius, près de Gadasa, met le roi Mithridate à même d’expulser entièrement les Romains de son royaume.

En Mésopotamie, l’armée de Lucullus achevait de se démoraliser au milieu d’une nation corrompue au delà de toute expression ; car,

CDXLIV.
En Mésopotamie, les hommes sont d’un libertinage excessif avec les deux sexes.

Les soldats ne veulent plus désormais faire aucun service, et Clodius ne cesse de les provoquer contre leur général ; conduite indigne, car ce jeune homme était comblé de ses bienfaits,

CDXLV.
Et il était le frère de son épouse.

En l’absence de Lucullus, il eut l’audace de les convoquer pour déclamer contre le général. Lucullus, à son retour, le fit venir à la tête des troupes,

CDXLVI.
Où, en présence de tous les corps assemblés, il le força de quitter l’armée, lui disant qu’il avait cessé d’être employé, et qu’il eût à déposer ses armes.

Clodius se retira en Pisidie auprès de Q. Marcius Rex, son autre beau-frère. Son éloignement ne guérit pas le mal : dès que les soldats apprirent qu’Acilius Glabrion venait de débarquer en Asie, avec la mission de remplacer Lucullus, ce fut chez eux une joie universelle.

cdxlvii.

Les légions Valériennes, assurées qu’en vertu de la loi Gabinia la Bithynie et le Pont étaient donnés au consul, soutiennent qu’elles ont leur congé.

Alors, se prétendant dégagés de tout serment envers Lucullus, elles lèvent leurs aigles et sortent des rangs. Il fallut l’intercession du reste de l’armée pour arrêter cette désertion. Lucullus se dirige vers le Pont ; mais, après avoir perdu un temps précieux devant Talaure, apprenant que Tigrane ravage impunément la Cappadoce, il se met à sa poursuite : en route, les légions fimbrianes désertèrent tout de bon.

cdxlviii.

Alors Lucullus, apprenant que le proconsul Q. Marcius Rex traversait la Lycaonie avec trois légions pour se rendre en Cilicie,

crut que la fortune lui amenait exprès ce général, qui était aussi son beau-frère, pour le tirer d’un embarras si fâcheux. Il lui demanda de lui prêter ses légions ; mais Marcius refusa. Lucullus n’eut alors d’autre ressource que de se fortifier dans un poste avantageux, en attendant l’arrivée de Glabrion, auquel il devait remettre le commandement. Ce fut alors que le tribun Manilius proposa d’ajouter aux attributions confiées par la loi Gabinia à Pompée le commandement de tout l’Orient, et de la guerre contre les deux rois. Ce projet fut combattu par Catulus et par Hortensius. Dans cette occasion,

cdxlix.

Cicéron donna carrière à son éloquence hargneuse, comme disait Appius,

et appuya de toutes ses forces la proposition qui fut adoptée. Pompée eut ainsi la facile mission de recommencer, sur des ennemis accablés, ces victoires que Lucullus avait, à si grand’peine, remportées, mais dont il avait eu le malheur de

laisser perdre les fruits.

FRAGMENTS QUI N’ONT PU ENTRER DANS LES CINQ LIVRES.

LIVRE PREMIER.

CDL.

J’ai retracé les événements civils et militaires arrivés dans la république romaine depuis le consulat de Lépide et de Catulus.

CDLI.

Car, depuis le commencement de Rome jusqu’à la guerre de Macédoine contre Persée.

CDLII.

J’ai dernièrement écrit.

(Ces deux fragments auraient pu être placés dans les Prolégomènes du livre Ier des Fragments.)

CDLIII.
Jeune, il ne fut jamais refréné dans ses passions par la pauvreté ; vieux, par les glaces de l’âge. Des lois sur les mariages et sur les dépenses furent données par lui à ses concitoyens, tandis qu’il ne faisait que vaquer aux amours et aux adultères.

(Ce fragment, qui n’est pas réellement de Salluste, mais la traduction latine d’un passage de Plutarque (comparaison de Sylla et de Lysandre), évidemment copié dans Salluste, que cite même ce biographe, aurait dû être placé dans le livre Ier, entre les fragments XXIII et XXIV, ainsi qu’on peut l’inférer de la suite du passage de Plutarque précité.)

LIVRE II.

CDLIV.
(Inexplicable.)
Cependant de Brosses explique ainsi ces lettres A. N. C. M. : Africam nancisci contra meridiem, et, l’appliquant aux îles Fortunées ; il traduit : « En effet, les Carthaginois racontent qu’à l’opposite de la côte d’Afrique on trouve, en tirant au midi, ces îles, » etc. Nous n’avons pu prendre cette version attendu qu’elle était contrariée par l’ordre des livres.

LIVRES INCERTAINS.

cdlv.

(Inexplicable.)

De Brosses trouve une explication à ce passage, qu’il applique à la reconstruction du pont Sublicien par le questeur Marcus Émilius, l’an de Rome 696. (Voyez tome Ier, page 396 de son ouvrage.)

(Ces trois fragments, cités par Sénéque, ne sont pas de Salluste, mais d’Arrutius.)

(Fragment de Sisenna.)

CDLVI.
(Ce mot aurait dû être détaché, comme fragment, dans le livre 1er, où il se trouve placé dans le cours de la narration.
(Allusion à un passage de Salluste sur Calpurnius Bestia, dans la Guerre de Jugurtha ; ce passage s’est glissé, on ne sait pourquoi, dans les diverses éditions des Fragments.)

Pour compléter cette réunion des fragments de Salluste, il ne nous reste plus qu’à donner le fac-similé des lambeaux d’un manuscrit de sa grande histoire, dont nous avons employé la

partie intelligible dans notre travail sur le livre III, numéros CCCI, a, b,c,d,e,f,g,h.
FRAGMENTA EX MURATORIO DECERPTA.
NOTICES
SUR LES GRAMMAIRIENS ET LES SCOLIASTES
A QUI L’ON DOIT LA CONSERVATION DE LA PLUPART DES FRAGMENTS DE SALLUSTE.

Acron (Helenius Acro) a vécu à une époque incertaine, mais il est postérieur toutefois à Servius. Il a écrit, sur Horace, des notes dont on n’a encore publié que des extraits ; il nous a conservé une partie, des scolies de C. Emilius, de Julius Modestus et de Quintus Terentius Scaurus, les plus anciens commentateurs d’Horace.

Agrætius ou Agroetius, grammairien, qui vivait au cinquième siècle, a composé un traité de Orthographia, proprietate et differentia sermonis, pour faire suite au livre de Flavius Caper, autre grammairien, sur le même sujet.

Ampelius (Lucius), qui vivait au quatrième siècle de notre ère, a écrit le Liber memorabilis en cinquante chapitres, qui offre des notions très-abrégées sur l’astronomie, l’histoire naturelle et surtout l’histoire.

Arusianus Messus vivait au sixième siècle après Jésus-Christ. C’est le dernier rhéteur latin dont il nous reste quelque ouvrage.

Asconius Pedianus (Quintus) vivait du temps de Claude, et mourut sous Domitien à l’âge de quatre-vingt-deux ans. Il a commenté les Oraisons de Cicéron.

Asper, grammairien souvent cité par Acron, par Nonius, par Sosipater Charisius, et dont il ne nous reste aucun ouvrage.

Avienus Festus (Rufus), qui vivait au commencement du cinquième siècle, et qui fut proconsul et gouverneur de province, a laissé plusieurs ouvrages scientifiques en vers, entre autres Carmen de astris, Ora maritina, etc.

Charisius (Flavius Sosipater) vivait, selon les uns, dans le cinquième siècle de notre ère ; selon d’autres, dans le sixième. Né en Campanie, il était chrétien et professait la grammaire à Rome. Il composa des Institutiones grammaticæ, dans lesquelles il citait avec le plus grand soin les auteurs dont il se servait : cet ouvrage était en cinq livres ; mais le premier et le cinquième ne nous sont pas parvenus entiers.

Cledonius vivait au cinquième siècle, sous Théodose le Grand ; il était sénateur ; il a laissé, sous le titre d’Ars, deux commentaires sur les deux parties de Donat.

Diomède, contemporain de Charisius, a laissé un ouvrage en trois livres, intitulé de Oratione, partibus orationis, et vario rhetorum genere.

Donat (Elius Donatus) enseignait la grammaire à Rome l’an 534. Il a laissé un Commentaire sur cinq comédies de Térence, très-riche en fragments de Salluste. On lui doit en outre : 1o Ars sive editio prima de litteris, syllabisque, pedibus et tonis ; 2o Ars sive editio secunda de octo partibus orationis ; 3o de Barbarismo, solæcismo, schematibus, et tropis.

Eutychès, disciple de Priscien, professa la grammaire à Constantinople : il est auteur d’un ouvrage de Discernendis conjugationibus.

Festus (Sextus Pompeius) vivait au troisième siècle de notre ère. On lui doit, sous le titre de de Verborum significatione, un abrégé du grand ouvrage de Verrius Flaccus sur les mots de la langue latine.

Isidore, évêque de Séville, mort l’an 636 de notre ère, et que l’Église a mis au nombre des saints, a laissé, sous le nom d’Originum sive etymologiarum liber, un ouvrage en vingt livres, qui est une véritable encyclopédie de toutes les branches des connaissances humaines que l’on cultivait à cette époque. Il a publié, en outre, plusieurs glossaires que ses éditeurs ont réunis en un seul.

Julius (Rufinianus) vécut sous le règne de Constantin, continua l’ouvrage d’Aquila Romanus, de Figuris sententiarum et elocutionis liber. On a encore de lui un livre intitulé de Schematis lexeos.

Nonius Marcellus vécut, selon les uns, à la fin du deuxième siècle de notre ère ; car il ne cite aucun écrivain postérieur à cette époque ; selon d’autres, il serait contemporain de Constantin. Il a laissé un ouvrage en dix-neuf livres ou chapitres, intitulé de Compendiosa doctrina, adressé à son fils : c’est un riche arsenal de citations et de fragments de toute espèce.

Philargyrius (Junius) a laissé des scolies sur les Bucoliques et les Géorgiques de Virgile. On ne sait à quelle époque il vécut.

Pompeius (Messalinus), grammairien, a laissé, sur l’Art de Donat, un Commentaire non encore imprimé. L’époque ou il a vécu est inconnue.

Pompeius Festus (Sextus). Voyez Festus.

Porphyrio (Pomponius) a écrit, ainsi qu’Acron, des notes sur Horace.

Priscien, natif de Césarée, vécut à Constantinople sous le règne de Justinien Ier. Il est l’auteur de la grammaire la plus complète que nous ait léguée l’antiquité romaine.

Servius (Marius Servius Maurus Honoratus) vivait au commencement du cinquième siècle, sous Théodose et ses fils. Il a laissé un commentaire de Virgile très-précieux, mais qui ne nous est-parvenu que tronqué. Il existe des manuscrits de Servius plus complets que toutes les éditions qu’on a publiées. Ses autres ouvragés sont une Interprétation de la seconde partie ou édition de Donat, un traité de Ratione ultimarum syllabarum, et une introduction à la métrique, nommée Ars de pedibus versuum, sive centum metris, ou centimetrum.

Solinus (C. Julius), grammairien d’une époque inconnue, mais qui ne peut pas remonter plus haut que le règne de Vespasien, a écrit un ouvrage en soixante-dix chapitres, intitulé Polyhistor, qui forme un recueil de diverses notices la plupart géographiques.

Valerius Probus. Deux grammairiens de ce nom ont existé : l’un, originaire de Béryte, en Syrie, sous Vespasien et Domitien ; l’autre, sous Adrien. Sous ce nom il existe divers petits traités : I. Grammaticarum institutionum libri II ; — II. de Interpretandis notis Romanorum, qui contient : 1° de Litteris antiquis ; 2° de Ponaderibus ; 3° de Numeris.

Vegetius Renatus (Flavius) vivait à la fin du quatrième siècle. Les manuscrits lui donnent le titre de Comes et de Vir inlustris. Il a donné un Epitome institutionum rei militaris, en cinq livres.

Vibius Sequester, qui vivait, à ce que l’on croit, au sixième ou au septième siècle, a composé une nomenclature des fleuves, fontaines, lacs, forêts, marais, monts et peuples dont les poëtes font mention, a l’usage de Virgilianus son fils.



FIN DES NOTICES SUR LES GRAMMAIRIENS.
  1. Fragement tiré de Pompeius Messalinus : de Numerus et pedibus orat., et de Priscianus, Instit. grammaticæ, lib. XV, c. iii.
  2. Chacune des colonnes numérotées 1, 2, 5, 4, etc., se suivent dans le manuscrit original, et ne forment qu’une seule colonne. Ainsi, après la ligne FGA CUM SEVERO EDICTO, suit celle-ci : IUVERENTUR AD SIG…

    Ajoutons que l’original de ces fragments, qui d’abord avait appartenu à la France, était tombé entre les mains de Christine, reine de Suède, et, depuis la mort de cette princesse, décédée à Rome, demeurait ignoré au Vatican. M. Mai, l’ayant découvert, en donna une copie exacte, et en lit graver le fac-simile sur trois grandes planches qui ont l’aspect des plus belles calligraphies. Les caractères de ces manuscrits paraissent si anciens, qu’ils doivent appartenir au siècle de l’historien lui-même.