Force ennemie/Avertissement

La Plume (p. 1-2).

AVERTISSEMENT

Je prie les amis inconnus qui voudront bien me, ou plutôt nous, lire de ne pas réclamer, d’urgence, mon internement à Sainte-Anne ou dans tout autre asile.

Je n’ai collaboré à ce volume que dans les proportions les plus modestes. Force Ennemie est en réalité l’œuvre d’un aliéné à demi-lucide que j’ai pu souvent et longuement visiter et qui me chargea, peu de temps avant sa mort, de publier sa prose après l’avoir revue.

Or, mes retouches n’ont porté que sur des détails. Le fond demeure parfaitement insane malgré une apparence de suite dans les idées. C’est peut-être, à mon humble avis, ce qui rendra l’ouvrage curieux, voire intéressant, pour des lecteurs doués de quelque indulgence.

Je me hâte de déclarer que je n’ai vu, de ma vie, une maison de santé pareille ou seulement analogue à celle dont le vrai auteur nous entretient. Certes, j’ai visité bon nombre de ces établissements, j’ai causé avec force médecins-aliénistes, gardiens et gardiennes ; mais je puis jurer que je n’ai jamais rencontré ni un Dr  Bid’homme, ni une Célestine Bouffard, ni un Le Lancier, ni un Barrouge, ni une Aricie Robinet.

J’ai toujours vu les déments et démentes bien traités et soignés avec dévouement ou tout au moins avec le zèle convenable. Encore une fois, le livre a été écrit par un fou raisonnant mais sujet à caution.


Mon habituelle modestie — encore peu notoire — mais que le public aura, je l’espère, mainte occasion d’apprécier dans un prochain avenir, — me pousse à faire aux amis lecteurs une dernière recommandation.

Quand ils découvriront, par hasard, dans les pages qui suivent, un passage bien écrit, des finesses d’expression, une phrase dénotant de la délicatesse de sentiments, de la hauteur morale, — une belle âme, enfin ! — qu’ils n’hésitent pas une seconde à m’attribuer le passage, les finesses, la phrase…..

Quand, au contraire, ils seront choqués par un style bas ou impropre, des idées baroques ou banales, des scènes plus ou moins indécentes ou grossières, des longueurs, des platitudes, — qu’ils en rendent responsable le mauvais fou, le vilain fou !

Je suis d’autant plus noble et généreux en agissant ainsi que je reconnais, dès lors, la part de travail du défunt et peu regrettable aliéné comme égale aux neuf dixièmes et demi du volume.

J. Ant. Nau.
Huelva, 28 juin 1902.