Fontaine aux Perles/20. La complainte

Fontaine aux Perles
Legrand et Crouzet (Tome IIIp. 144-151).
XX
LA COMPLAINTE


Ce même jour, madame la comtesse Anne de Landal s’était rendue à Rennes pour visiter l’hôtel de Presmes et y faire les préparatifs d’un prochain séjour. La saison d’hiver s’avançait, et les États devaient siéger cette année de bonne heure. — La session des États c’étaient les nobles fêtes, les bals luxueux et les galants plaisirs.

Bien des jours se sont écoulés depuis le temps où la noblesse de la province, réunie à Rennes, rivalisait d’hospitalité gracieuse et de belle magnificence.

Mais la capitale bretonne n’a point perdu son élégante renommée. Elle est toujours le centre noble, et la riche cité de Nantes, enorgueillie en vain de ses quatre-vingt mille habitants et de ses pompes commerciales, doit s’incliner encore, à cet égard, devant l’antique royauté de sa suzeraine.

Lucienne n’avait point suivi sa sœur. Elle était partie de Presmes, comme nous l’avons vu, après une nuit sans sommeil, pour se rendre à Fontaine aux Perles.

Mais Bleuette se levait avec l’aurore. Bleuette était déjà dans le bois où sa chanson accoutumée envoyait en vain cette fois le signal d’amour.

Hervé Gastel l’entendait peut-être, mais il faisait semblant de ne la point entendre. Il était venu cette nuit à la ferme, le cœur plein de soupçons jaloux, et cette terrible aventure de l’homme qu’il suivait dans l’ombre, et qu’il avait vu disparaître au sommet du rocher de Marlet, ne l’avait point empêché de faire à Bleuette de vifs reproches.

Il y avait eu querelle. Le veneur sous la fenêtre, la jeune fille dans sa chambrette, s’étaient disputés une heure durant, au sujet du pauvre Martel qui pendant cela se morfondait dans le jardin de Presmes.

Bleuette avait un bon petit cœur qui ne savait point se souvenir du mal. Dès le matin, elle courut après Hervé dans la forêt ; — mais Hervé lui gardait peut-être de la rancune.

En outre, il tenait à se laver du reproche de faiblesse que lui avait adressé publiquement le vieux piqueur, au souper de la veille.

Il s’était bouché les oreilles vertueusement pour ne point écouter le chant de la sirène, et avait mit son limier dans les voies de ce grand vieux sanglier qui devait être le héros de la chasse, ce jour-là.

La bête avait était jugée comme il faut et détournée selon l’art. Ce n’était point la faute d’Hervé Gastel si la chasse avait eu le résultat malencontreux que nous savons.

En bonne vénerie, la présence de deux auxiliaires comme Penchou et Corentin Jaunin de la Baguenaudays est un de ces accidents sur lesquels on ne peut point compter.

La pauvre Bleuette chanta tout le long la mésaventure déplorable de Madeline, la belle fille de la forêt, devenue châtelaine, sans que le son du cor répondît à son appel.

Durant les premiers couplets, elle espérait, et sa voix joyeuse jetait sous le couvert les téméraires roulades où s’égare toujours la chanson bretonne.

Mais, à mesure qu’elle avançait, sa voix se faisait plus triste. Ce fut avec un accent désolé qu’elle chanta cette partie de la complainte où le poëte de la forêt raconte naïvement les suites funestes de la jalousie du châtelain, éveillée par le tout petit chevalier.

Arrivé de Normandie
À Saint-Aubin-du-Cormier…

Les paroles ne prêtaient point tant à la mélancolie que le fond même du récit : mais la voix de la pauvre Bleuette tremblait et y mettait des larmes.

La chanson parlait de la colère du vieux seigneur jaloux. — Elle disait :

Il blasphémait comme un diable
Dans le bénitier caché ;
Il commit un grand péché.
Un jour en sortant de table :
Il prit madame aux cheveux
Et l’étrangla tout au mieux…

Bleuette s’arrêta pour écouter. — Quelques merles sifflaient sous la feuillée comme pour railler son attente vaine, et, sur les bords de la Vanvre, des bécassines tôt venues lui jetaient leur cri moqueur.

Et point de réponse !…

Elle reprenait sa chanson qui se faisait satirique, et il y avait des pleurs dans ses yeux tandis qu’elle chantait cette rustique épigramme :

On s’occupa de l’affaire
Chez messieurs du parlement,
Qui savent si bellement
Bâiller de la bouche et braire ;
On dit ceci, puis cela,
Et l’affaire en resta là…

Point de réponse encore ! la trompe du jeune veneur était muette ce matin. — Bleuette craignit de l’avoir fâché. Elle était bien repentante, et le couplet suivant, qui n’avait point été fait pour exprimer la contrition, tomba doucement de ses lèvres :

Parce que de notre maître,
L’avocat dit en latin :
Ce fut l’effet d’un lutin
Qui mangea le corps peut-être…
On admit cet argument
Chez messieurs du parlement…

C’était la première fois qu’Hervé manquait à l’appel, et la première déception d’amour fait bien souffrir !…

Bleuette se sentit froid au cœur. Elle eut de vagues craintes et des angoisses inconnues. — Elle se laissa tomber sur la mousse, au pied d’un arbre, et pleura. Et, tout en pleurant, la pauvre fille voulut chanter encore ; — car peut-être Hervé Gastel n’avait point entendu, — et peut-être était-ce justement à ce couplet qu’allait répondre le son bien-aimé de sa trompe :

Mais un soir dans la fontaine,
Le tout petit chevalier
Voulut boire et se baigner,
Après un courre à la plaine ;
Il vit luire au fond de l’eau
Un collier bien riche et beau,

Elle s’arrêta : les oiseaux s’éveillaient et émettaient de beaux concerts au milieu du silence…

Un collier de perles fines.
Valant bien trois cents écus,
Pour ne rien dire de plus ;
Le collier de Madeline…
En cela les gens du lieu
Connurent le doigt de Dieu !

— Mon Jésus ! mon Jésus ! murmura la pauvre Bleuette, — il ne veut plus venir !…

On fit une autre sentence,
Et notre maître vraiment
Fut pendu comme un manant
À la plus haute potence…
Du plus sage et du plus fou,
L’amour vous casse le cou !

Et sa voix, brisée par les sanglots, essaya un dernier couplet.

La complainte de Fontaine aux Perles était finie ; Bleuette avait chanté ses douze couplets sans éveiller le joyeux écho des fanfares qui répondait d’ordinaire à son appel.

Elle n’avait plus de force. Il y avait une tristesse profonde sur ses jolis traits habitués à sourire.

Elle se coucha sur la mousse et laissa tomber sa tête affaissée entre ses mains.

Elle ne chanta plus.

Tous les jours il y avait deux cœurs attentifs à la complainte de Bleuette. Ce matin, elle était seule, complètement seule. Petit René ne la suivait pas de loin effleurant la mousse de son pas timide. Il n’était point caché derrière quelque buisson voisin. Il ne l’entendait pas.

Oh ! s’il l’avait entendue, comme il serait venu s’agenouiller auprès d’elle ! comme il eût penché doucement sa blonde tête d’ange au-dessus du visage désolé le la jeune fille, et que de pleurs silencieux il eût mêlé à ses larmes !

Mais petit René n’était point dans la forêt. — La veille au soir, lorsqu’avait pris fin le conciliabule des Carhoat et du chevalier de Briant, il n’avait pu fuir assez vite, parce qu’il ignorait le chemin à prendre pour sortir de ces souterrains inconnus. Il n’avait pu que se blottir contre la muraille dans la salle circulaire.

Son père, ses frères, le chevalier et Francin Renard avaient passé auprès de lui sans le voir.

Puis la porte s’était refermée à double tour, et il était resté prisonnier dans les salles souterraines.

D’abord il avait eu grand’peur, car la résine pendue à la muraille était éteinte depuis longtemps et il était entouré d’une nuit profonde.

Mais il avait un cœur généreux ; sa frayeur céda bientôt à la pitié que lui inspirait le sort promis aux deux filles de M. de Presmes, dont l’une était l’amie de Bleuette et la fiancée de son frère Martel qu’il aimait tant.

Et cette pitié se mêlait à une douleur amère, inconsolable.

Son père, qu’il avait respecté jusqu’alors, ses frères qu’il chérissait si ardemment, il venait de surprendre leur commun secret.

Ils n’osait point se dire ce qu’ils étaient. Peut-être n’aurait-il pas pu ; car il ne savait guère le monde. Mais l’instinct de son cœur suppléait à son ignorance, et lui montrait la barrière qui sépare le bien du mal, l’honneur de l’infamie…

Ceux qui avaient sa tendresse étaient des criminels ! Il comprenait leur honte. Il devinait le crime fatal de sa famille, lui, le pauvre enfant, qui n’avait point connu la gloire de ses aïeux !…

Il venait d’entendre parler de rapt et de vol, le verre à la main, au milieu des éclats de rire.

Ces salles souterraines dont on lui avait toujours caché l’existence, avaient sans doute leurs mystères de chaque nuit. Tandis qu’il dormait, on y menait l’orgie et l’on y combinait les méfaits du lendemain.

Longtemps il resta immobile à l’endroit où il se trouvait lors du départ de son père et de ses frères.

Puis, comme la muraille humide et froide glaçait ses pauvres petits membres demi-nus, il se souvint d’avoir vu des vêtements à l’autre extrémité de la salle.

Il la traversa en tâtonnant, décrocha les habits pendus à la muraille, et s’en fit une sorte de lit sur lequel il se coucha.

L’idée lui vint que peut-être on n’entrait pas tous les jours dans ces appartements souterrains. — Peut-être restait-on quelquefois des semaines sans y mettre les pieds. — C’était la mort.

Cette idée fit descendre en son âme une sorte de consolation recueillie.

Il sentit sa fatigue reposer. Sa douleur amère se calma, l’espoir entra dans son cœur comme un homme.

Mourir ! — Il avait déjà bien souffert ; et Dieu, qu’il priait bien pieusement tous les jours, lui gardait une place en son saint paradis.

Il joignit ses mains et invoqua la Vierge, dont sa mère en mourant lui avait dit le nom béni.

Puis ses yeux se fermèrent et un sourire descendit sur ses lèvres entr’ouvertes.

Il n’avait plus peur. — L’obscurité ne gardait point pour lui de fantômes. — Il s’endormit.

Au-dessus de son front, les rêves inclinèrent l’image souriante de Bleuette…

Le lendemain, lorsqu’il s’éveilla, l’obscurité n’avait point diminué. Il faisait encore grand jour sans doute au dehors, mais nulle fente, nulle fissure ne donnait passage à la moindre échappée de lumière.

Au réveil, le cœur est faible ; René se sentit repris de terreurs vagues. Il éleva la voix pour rappeler son père et ses frères. — Personne ne répondit.

Il se leva de sa couche improvisée et fit, en se guidant de son mieux, le tour de sa prison.

Ses pas, que nul indice ne guidait, s’égarèrent bien souvent ; et bien longtemps il tourna sur lui-même, sans pouvoir prendre une direction quelconque.

Mais enfin il trouva la porte qui donnait entrée dans la salle où les Carhoat avaient soupé. — Il y pénétra.

Il se heurta bientôt à la table dressée au milieu de la pièce, et qui contenait, parmi les pots vides, quelques débris du repas de la veille.

René mangea et se sentit reprendre de la force.

Il tâtonna encore, il chercha, c’était un enfant ; les idées de mort solitaire qui l’avaient consolé la veille, l’épouvantaient maintenant.

Il s’arrêtait parfois, fatigué, et se laissait choir, les larmes aux yeux, en appelant du secours.

Puis, comme rien ne répondait à ses cris, un peu de courage secouait son désespoir. Il se relevait et il cherchait encore.

Mais partout il trouvait la muraille humide et sans issue.

Enfin le hasard lui fit heurter du pied la dernière marche de cet escalier par où le chevalier de Briant avait fait, la veille, son entrée inattendue.

Où conduisait cet escalier ? le pauvre enfant ne se le demanda même point. Il monta, guidé par cet instinct qui pousse le désespoir à essayer toutes chances.

L’escalier s’enfonçait étroit et roide dans le roc. René pouvait en toucher à la fois les deux murailles. — Les marches ne montaient point en ligne directe, elles tournaient à chaque instant, suivant les veines terreuses qui se trouvaient dans la pierre vive. Elles s’arrêtaient même souvent pour aboutir à des couloirs sans pente qui rejoignaient au bout de quelques pas de nouvelles marches.

Et cela ne finissait point. Les couloirs succédaient aux degrés, les degrés aux couloirs. C’était interminable.

Petit René montait toujours ; la lenteur avec laquelle s’opérait son ascension donnait à la route parcourue une longueur fantastique. Il semblait que, depuis la salle souterraine, il avait monté assez pour arriver au faîte de la plus haute montagne.

La fatigue se joignant à de vagues frayeurs lui ôtait le souffle, et lorsqu’il s’arrêtait un instant pour reprendre haleine, il se demandait, dans sa superstition enfantine, s’il n’allait pas franchir les limites de la terre et arriver aux portes du ciel.

Puis son pied heurtait de nouveaux degrés dans l’ombre et il montait encore.

Il y avait un gros quart d’heure qu’il gravissait ainsi, presque sans relâche ; et comme chaque minute s’allongeait dans cette nuit silencieuse et pleine de terreur, il lui semblait que son voyage avait duré déjà plus d’une heure.

Au moment où il se demandait, pour la vingtième fois, où aboutirait cette ascension indéfinie, il crut entendre autour de lui comme un murmure confus.

Il écouta mieux, et son oreille, rendue plus subtile par les heures muettes qu’il avait subies dans le souterrain, saisit un bourdonnement indistinct qui allait désormais s’augmentant à chaque marche qu’il montait.

Si René eût jamais vu l’Océan, ces bruits vagues lui auraient rappelé le sourd fracas de la mer bruissant au loin sur les grandes grèves.

Il monta quelques degrés encore et sa tête heurta brusquement le roc.

René demeura un instant étourdi, et ses yeux se fermèrent. — Lorsqu’il les rouvrit, une lueur imperceptible, mais qui sembla une étoile brillante à sa vue aiguisée par l’obscurité, vint frapper ses yeux.

Cette lueur était un point perdu dans les vastes ténèbres.

Il s’élança, croyant pouvoir la toucher du doigt, mais le chemin s’allongeait sous ses pas. — Il marchait, suivant maintenant une pente insensible, et la lueur était toujours devant lui. Lorsqu’il l’atteignit enfin, il était au bout d’un long couloir qui terminait l’escalier de pierre.

Le roc vif lui barrait de tous côtés le passage.

La lueur paraissait toujours ; il en approcha son œil et la vit grandir, mais il n’aperçut rien au delà.

C’était une fente étroite, qui communiquait probablement avec le dehors, mais qui laissait pénétrer la lumière de biais, et ne donnait nulle issue au regard.

Le cœur de René bondissait d’espoir, il devinait le grand jour derrière cet obstacle, et il se promettait de se frayer une issue.

Il prit dans sa poche le petit couteau qui lui servait à couper des branches dans les taillis, et attaqua courageusement le roc.

La pierre était bien dure. René frappait de toute sa force : les étincelles jaillirent, puis le couteau se brisa.

Mais au moment où René sentait ses yeux s’emplir de larmes, en voyant perdue son unique ressource, il lui sembla que la pierre contre laquelle il s’appuyait, cédait au poids de son corps.

Il rassembla ses forces et la poussa. — La pierre tourna lentement sur un pivot invisible, et des torrents de clarté inondèrent la place des ténèbres enfuies.

René bondit au dehors avec un grand cri de joie.

La pierre retomba, sollicitée par son propre poids, et referma d’elle-même l’ouverture.

Petit René avait clos ses yeux qu’éblouissait la clarté trop soudaine, et il s’était mis à genoux pour remercier Dieu.

Sa prière finie, il releva ses paupières et reconnut les objets qui l’environnaient.

Que de fois il était venu dans ce lieu sans en soupçonner le mystère !

Il se trouvait non loin du sommet du rocher de Marlet, sur cette petite plateforme où nous avons vu d’abord le vieux Carhoat, vêtu de sa peau de bique, mettre en joue la suite de M. de Presmes, — et où nous avons vu depuis le chevalier de Briant disparaître tout à coup, à la grande horreur de maître Hervé Gastel.

Nous savons maintenant par où s’était éclipsé le chevalier, et pourquoi le jeune veneur n’avait point trouvé son cadavre au bas du précipice…

Petit René regardait autour de lui, avec ravissement, le paysage connu. Au-dessous de ses pieds, à une grande profondeur, la Vanvre coulait lentement. — À sa gauche, la tête du roc s’élançait droite et blanche ; — à sa droite, le taillis de Marlet descendait la colline.

La brise y jouait parmi les feuilles demi-séchées et produisait ce murmure qu’il avait entendu dans le souterrain.

Entre lui et le taillis, la loge de son père s’écrasait, tapie contre la base même du roc.

Le soleil était déjà bien élevé au-dessus de l’horizon ; il devait être plus de onze heures. — René jeta un long regard vers le taillis, comme s’il eût espéré percer le couvert et découvrir, derrière les buissons épais, celle que son œil y cherchait toujours.

— Il est trop tard ! murmura-t-il ; — elle doit être revenue à la ferme…

Il quitta la plate-forme et gagna le sentier qui menait à Fontaine aux Perles.

En quelques pas il atteignit le sommet de la colline et se trouva en face de la maison de maître Jean Tual.

La porte de la ferme était ouverte, mais il n’y avait personne sur le seuil.

Le vieux gruyer s’était rendu de grand matin au château de Presmes pour affirmer son procès-verbal et soutenir la plainte qu’il avait portée contre M. le marquis de Carhoat, pris en flagrant délit de braconnage dans les varennes du roi.

Le vieux Carhoat avait autre chose à faire, nous le savons, ce jour-là, qu’à répondre aux citations du tribunal de la capitainerie.

Il ne comparut point. M. de Presmes partit pour la chasse, après avoir donné défaut contre lui, et maître Jean Tual resta auprès du greffier pour l’aider à libeller le jugement qui condamnait M. le marquis de Carhoat aux peines portées par la loi de France, nonobstant tous usages traditionnels ou écrits dans la coutume de Bretagne.

Petit René voyant la ferme déserte, tourna ses regards vers la Fontaine entourée d’aunes et de saules, qui ombrageaient sa nappe limpide, au pied du même rocher.

Les derniers couplets de la complainte de Bleuette nous ont appris la cause du gracieux nom donné à la fontaine.

Madeline, une belle fille de la forêt, avait épousé un châtelain de Presmes.

Il y avait bien longtemps de cela.

Le châtelain, par jalousie, avait tué la pauvre Madeline.

Le parlement de Rennes avait évoqué l’affaire, car la rumeur publique accusait énergiquement le châtelain, mais le corps du délit manquait. On n’avait pu retrouver ni le cadavre de Madeline ni aucun de ses beaux atours.

Il n’était pas impossible que le diable eût emporté la châtelaine…

Bien des années après, un cavalier vint dans le pays. Il avait aimé autrefois Madeline, lorsqu’elle était une simple fille de la forêt.

Il demanda ce qu’elle était devenue, et un sabotier des bois de Presmes lui répondit :

— Notre maître a jeté madame dans la fontaine, après l’avoir étranglée.

Le gentilhomme se rendit à la fontaine et la vida jusqu’à la dernière goutte, parce qu’il voulait venger Madeline, et faire mettre à mort le châtelain de Presmes.

Mais l’eau de la fontaine avait détruit la chair, les os et le sang de la pauvre Madeline, — ses dents d’ivoire et la soie dorée de ses blonds cheveux.

Elle avait détruit ses brillants atours de châtelaine.

Il ne restait rien ; — rien, sinon un objet blanchâtre qui brillait faiblement, à demi enfoui dans le sable.

Le chevalier gratta le sable avec ses ongles et en retira un collier de perles. — Le beau collier de Madeline.

L’eau de la fontaine avait mangé la chair et les os et l’étoffe précieuse des brillants atours, — mais elle n’avait pu dissoudre les perles, qui sont un fruit de la grande mer.

Le châtelain fut mis à mort, et le nom de Fontaine aux Perles resta dans la mémoire des bonnes gens de la forêt…

René eut beau regarder, Bleuette ne lavait pas son linge aujourd’hui au bord de la fontaine.

Mais, au lieu de Bleuette, René aperçut mademoiselle de Presmes qui était assise sur le gazon, au pied d’un saule.

Lucienne avait de vives couleurs sur son charmant visage. — Auprès d’elle à genoux, il y avait un homme qui portait le costume d’un soldat du roi.