Fin de la Guerre de la succession d’Autriche - Paix d’Aix-la-Chapelle/03

Fin de la Guerre de la succession d’Autriche - Paix d’Aix-la-Chapelle
Revue des Deux Mondes3e période, tome 110 (p. 241-294).
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ÉTUDES DIPLOMATIQUES

FIN DE LA GUERRE DE LA SUCCESSION D'AUTRICHE. — TRAITÉ D'AIX-LA-CHAPELLE

III.[1]
DERNIÈRES NÉGOCIATIONS. — LE TRAITÉ.

Les préliminaires de paix signés par les plénipotentiaires de France, d’Angleterre et de Hollande portent la date du 30 avril 1748. L’acte définitif, qui convertit ces articles, rédigés à la hâte et revêtus seulement de trois signatures, en un traité régulier, engageant toutes les grandes puissances et réglant pour un temps indéfini la situation générale de l’Europe, n’est que du 18 octobre de la même année. Il sera aisé pourtant de se convaincre qu’entre les deux documens n’existe aucune différence essentielle. Les négociateurs avaient donc eu, dès l’abord, un sentiment assez juste des conditions qu’imposerait à tous un intérêt commun et supérieur. Il n’en est que plus intéressant de connaître comment un si long délai dut encore être employé à des discussions épineuses pour mener à fin une combinaison que, de gré ou de force, chacun devait finir par accepter. Si cette étude un peu compliquée paraît stérile au premier abord, puisque ces débats n’eurent aucune suite immédiate, on y trouvera tout au moins l’avantage de bien définir de quels sentimens réciproques restèrent animées les diverses puissances qui vinrent, l’une après l’autre, et toutes de mauvaise grâce, mettre leurs signatures au bas du traité de paix : et comme cette paix elle-même ne devait durer, on le sait, que très peu d’années, on est ainsi en mesure de prévoir dans quelles conditions devront s’engager, après un délai très court, de nouveaux et plus graves conflits. On voit déjà à découvert non-seulement se préparer, mais presque s’accomplir, la grande révolution diplomatique, qui, en rapprochant du même coup la France de l’Autriche, et la Prusse de l’Angleterre, changea toutes les traditions d’une politique séculaire, et qui est demeurée jusqu’à nos jours l’objet de tant de contestations. En sorte qu’à le bien prendre, les faits qu’il nous reste à faire connaître forment moins le dernier chapitre de la guerre de la succession d’Autriche que le premier de la guerre de sept ans.


I

En réalité, à la manière dont les préliminaires avaient été préparés et conclus, ce fut déjà une merveille que d’arriver à en faire admettre la discussion par les puissances qu’on n’avait pas appelées à y prendre part : tant était grand, le premier jour, le trouble, c’est trop peu dire l’indignation, que par leur initiative mystérieuse et hardie, les plénipotentiaires d’Angleterre et de France avaient causé à leurs collègues. C’était, on l’a vu, un tolle et un récri général : petits et grands, tous se plaignaient, tous se regardaient comme joués ou lésés : Sardaigne, Espagne, Autriche, et jusqu’aux modestes cliens à qui la France avait promis son appui : l’électeur palatin qu’on avait oublié de nommer, la république de Gênes et le duc de Modène, qui trouvaient mauvais qu’en leur restituant leurs États, on ne parlât pas de leur accorder les intérêts des biens et des capitaux qu’on leur avait confisqués. Il ne fallut pas moins, pour imposer un peu de silence à ces clameurs discordantes, que l’accueil favorable et presque enthousiaste fait au seul mot et à la seule espérance de paix, par les populations souffrantes. Mais ce qui contribua aussi bientôt à calmer les mécontens et à leur faire prendre le ton plus bas, ce fut qu’il ne se trouva aucun terrain commun sur lequel ils pussent mettre leurs griefs d’accord pour en poursuivre ensemble le redressement. Ce dont chacun d’eux, au contraire, croyait avoir à se plaindre, c’était d’avoir été sacrifié à l’autre, et il n’en était aucun, qui ne se vit bientôt réduit par là à reconnaître, quel que fût son dépit ou son regret, que l’isolement le condamnait à l’impuissance.

Le premier à se rendre compte de cette faiblesse de situation, ce fut le roi de Sardaigne. Les préliminaires lui reprenaient le marquisat de Final et tous les points du littoral de la Méditerranée qu’il avait enlevés à la république de Gênes. C’était un grand désappointement, car il perdait ainsi l’espoir de garder une communication directe de toute une partie de ses États avec la mer, à laquelle il attachait un grand prix. De plus, il prenait en très mauvaise part qu’on eût compris, dans l’établissement de l’infant le duché de Plaisance qui faisait partie des concessions à lui faites, par le traité de Worms, et dont ses troupes étaient restées en possession depuis la bataille livrée sous les murs, mêmes de la ville. Il jetait donc d’abord feu et flamme contre l’Angleterre, qui trompait sa confiance. Mais à qui aurait-il été conter ses doléances ? A l’Espagne qui détenait son patrimoine héréditaire de Savoie, et qui demandait hautement à n’en pas sortir ? A l’Autriche qui n’annonçait pas, avec moins d’éclat, la prétention, de tenir le traité de Worms tout entier pour non avenu, et le sommait ainsi d’avoir à évacuer non-seulement la cité de Plaisance, mais toute la partie du Milanais bordant le cours supérieur du Pô dont ce traité lui avait fait don ? C’était, au contraire, la possession de ces belles provinces dont les préliminaires lui assuraient la confirmation, et un grand pas était ainsi fait vers cette domination suprême de la Haute-Italie qui était l’ambition héréditaire de sa race. C’était là un pis-aller dont on pouvait se contenter. Le raisonnement amena donc assez vite la résignation, et le mois de mai n’était pas écoulé que le comte de Chavannes recevait l’instruction d’adhérer aux préliminaires.

Il fallait bien s’attendre que l’Espagne, d’humeur moins endurante, se trouvant peut-être encore moins bien traitée, fut plus difficile à réconcilier. Puisieulx se trompait pourtant, quand il se préparait à voir éclater à Madrid un vacarme épouvantable. Ce fut, au contraire, par un silence de mort régnant dans l’entourage royal que l’arrivée d’un courrier apportant de graves nouvelles, fut annoncée au public, et quand l’ambassadeur Vauréal dut se rendre au palais, portant le texte des préliminaires que l’envoyé l’Espagne avait déjà transmis, il n’eut point à subir ces emportemens de passion dont il avait dû, du temps de Philippe et d’Elisabeth, braver les orages. Mais ce fut de la part du débile Ferdinand, qui en tout temps parlait peu, et de la reine, dont le naturel était également concentré, un accueil glacial : puis quand il fallut s’expliquer, un ton de dignité blessée et un accent d’amertume qui firent voir que le trait avait porté au cœur. Parme et Plaisance, même accrus du petit duché de Guastalla, paraissaient un mince échange à offrir en retour de la restitution réclamée de la Savoie et du comté de Nice. Puis le rétablissement des exigences vexatoires imposées par l’Angleterre au commerce espagnol était un affront pour l’indépendance de la nation et pour l’honneur de la couronne que la fierté castillane ne pouvait manquer de ressentir cruellement. Enfin c’était toujours, disait-on, le même procédé : disposer de l’Espagne et de ses plus chers intérêts sans prendre même la peine de la prévenir. Interprète de ces sentimens, mais moins mesuré dans son langage que ses maîtres, le duc d’Huescar fit à Puisieulx des scènes si vives que ce ministre, dont le sang-froid n’était pas la qualité principale, en éprouva un trouble même physique dont Saint-Séverin s’aperçut dans sa correspondance. « Du courage donc et de la santé, mon cher marquis, lui écrivait-il, l’Espagne fait beaucoup de bruit, mais finira par se rendre. » — Et il avait quelque mérite lui-même à ne pas s’émouvoir davantage, car il n’était pas mieux traité à Aix-la-Chapelle par le duc de Sotomayor, qui ne lui adressait pas la parole et lui tournait le dos quand il le rencontrait. En revanche, entre l’Autriche et l’Espagne, l’intimité paraissait rétablie et complète. Kaunitz et Sotomayor passaient leurs journées à faire de la musique ensemble et à épancher dans le sein l’un de l’autre leurs griefs contre leurs alliés. A les voir ainsi inséparables on aurait pu croire qu’ils méditaient quelque opération commune[2].

Mais de quel secours pouvait être l’Autriche à l’Espagne, et l’Espagne qu’aurait-elle pu lui rendre en échange, une fois qu’elle était abandonnée de la France et ne pouvait se rapprocher de l’Angleterre ? Quelle mesure efficace pouvait sortir du concert de ces deux co-héritiers de la succession de Charles-Quint, du moment où ils ne pouvaient plus se donner la main ni par mer, dont les croisières anglaises leur rendaient la communication impossible, ni par terre à travers le Piémont et la Provence qui leur étaient désormais fermés ? L’Autriche avait-elle des vaisseaux à envoyer dans l’Océan pour empêcher les escadres britanniques d’achever la ruine, déjà presque consommée, du commerce espagnol, et barrer le chemin aux galions du Nouveau-Monde ? Puis les troupes espagnoles ne pouvaient se maintenir en Savoie et à Nice qu’avec le concours des Français, et en s’adossant en quelque sorte à la frontière de France ; une fois privées de cet appui, elles ne pouvaient rester au-delà des Alpes et se verraient forcées de quitter la place sans délai. Mieux valait encore recevoir Parme et Plaisance en retour, que de s’en aller les mains vides. Aussi fut-il bientôt visible que la colère, d’abord si vive, s’atténuait insensiblement. On ne parla bientôt plus que d’obtenir la promesse que les humilians contrats de l’asiento et du vaisseau de permission, dont la durée avait toujours été limitée, ne seraient renouvelés que pour le nombre d’années qui restaient à courir à la déclaration de guerre : enfin, dans les termes les plus maussades, l’accession fut accordée. — « Mon honneur, dit Ferdinand à Vauréal, a été attaqué par la signature faite à mon insu, il le serait plus encore si on me soupçonnait de vouloir continuer la guerre pour mon intérêt. C’est la seule raison qui m’engage à ordonner à mon ministre de signer. » « Et la reine, fort allumée (dit l’évêque), a ajouté que sans cette raison il n’aurait jamais consenti à une chose qui est aussi contraire à son intérêt qu’à sa gloire[3]. »

L’Autriche restait donc seule : mais à elle non plus, la solitude ne laissait pas plus de ressources que d’espérance. Elle ne pouvait continuer sans alliés une lutte que, même avec de puissans concours, elle avait très faiblement soutenue. Batthiany, sans Cumberland, pouvait-il même essayer de regarder Maurice en face ? Exilé de la Hollande, où se serait-il replié, ne pouvant plus poser le pied dans les Pays-Bas ? Les Russes, ce suprême espoir, n’étaient encore qu’à moitié de leur route si péniblement parcourue : pour les empêcher de faire un pas de plus, il suffisait que les deux puissances maritimes, qui s’étaient chargées des frais de leur transport, les avertissent qu’on allait leur couper les vivres. En Italie, la partie était peut-être tenable pour les troupes impériales, tant qu’elles n’auraient en face d’elles que les Piémontais ; mais qui pouvait répondre que Charles-Emmanuel n’allait pas faire preuve une fois de plus de cette facilité à passer d’une alliance à l’autre qui était la vieille habitude de sa dynastie ? Pour se retourner vers la France et l’appeler à son aide, il n’avait qu’à tirer de ses cartons le traité préparé naguère par d’Argenson, et le consacrer par une de ces alliances de famille qui avaient si souvent uni les maisons de Savoie et de Bourbon. Si le dauphin était marié, le prince de Piémont ne l’était pas, et Louis XV avait plus d’une fille dont la main serait facilement obtenue. De ce côté, comme de tout autre, le regard ne rencontrait que des ennemis et l’horizon était fermé à l’espérance. A une force majeure si évidente, comment se fait-il que l’Autriche ait sérieusement essayé de faire tête et qu’elle ait prolongé, six mois durant, une vaine résistance ? L’impératrice, malgré la ténacité connue de son caractère, n’était dépourvue ni de prudence ni de jugement, et son orgueil avait dû fléchir à plusieurs reprises devant des nécessités moins impérieuses. Cette obstination serait vraiment incompréhensible, si les documens autrichiens ne nous en fournissaient une explication inattendue. Quelle surprise n’est-ce pas, en effet, de reconnaître que ce fut le ministre de France en personne, le même Saint-Séverin, — qui venait d’enlever par surprise, et presque d’arracher de force, la signature de l’Angleterre et de la Hollande, — qui, se retournant dès le lendemain, vint chercher son collègue autrichien pour lui suggérer tout bas la pensée qu’après tout, rien n’était fait, que les préliminaires étaient conçus en termes si larges qu’en disputant sur l’exécution au lieu de les repousser en bloc, on pouvait encore en modifier le sens, en atténuer la rigueur, changer les clauses les plus pénibles et préparer ainsi la voie à de nouvelles et plus heureuses combinaisons ? Quel but poursuivit-il par ce manège clandestin, dont le ministère français ne fut jamais complètement informé, et dont la trace est à peine visible dans sa correspondance ? Partageait-il lui-même l’espoir ou l’illusion qu’il se plaisait à faire naître ? Avait-il réellement l’intention de réparer en partie le tort qu’il avait causé, de panser, sinon de guérir, la blessure qu’il avait faite, et de se faire pardonner ainsi par Kaunitz le manque de foi dont il sentait qu’il avait justement encouru le reproche ? Voulait-il tout simplement se donner l’apparence d’un esprit de conciliation affecté, faire ressortir, par ce contraste, la raideur et l’a dureté des exigences britanniques et envenimer ainsi le différend qu’il s’applaudissait d’avoir suscité entre les deux alliés ? C’est ce qu’il est difficile de déterminer. On ne peut pourtant se défendre de croire que, des deux suppositions, celle qui prête à l’agent de la France le plus d’adresse et le moins de franchise, étant la plus conforme au caractère que nous lui avons vu déployer, est aussi la plus vraisemblable : car c’est celle qui répond le mieux à la joie maligne qu’il éprouvait (c’est lui qui l’a dit, en propres termes) « d’avoir mis le comble au commencement de méfiance et d’aigreur établies entre les ennemis de la France. »

Les relations entre Kaunitz et Saint-Séverin étaient restées naturellement plus que froides, et à peine polies, depuis la scène assez vive-qui avait suivi les explications échangées à la suite de la signature des préliminaires ; mais elles ne tardèrent pas à être renouées par l’intermédiaire officieux d’un secrétaire d’ambassade saxon, le baron de Kauderbach, que son ministre, le comte de Brühl, avait envoyé à Aix pour suivre de près et lui faire connaître la marche de la négociation. Si l’on se souvient de l’ardeur et de la persévérance que Brühl avait mises à préparer le rapprochement de la Fiance et de l’Autriche, on peut comprendre le désappointement qu’il avait dû éprouver en apprenant la rupture survenue entre les représentans des deux cours : d’autant plus que, tenu au courant, sinon des détails, au moins des progrès de leur transaction secrète, il se croyait à la veille de mettre la main sur un résultat si longtemps attendu. Il était dur d’échouer au port. Pénétré du chagrin qu’éprouvait son maître et recevant d’ailleurs journellement la confidence de la douloureuse irritation de Kaunitz, Kauderbach se décida à aller trouver tout droit Saint-Séverin. — Qu’avez-vous fait, lui dit-il, et que sont devenues les espérances de paix et de conciliation que vous nous aviez données ? — Puis il lui rappela ce nouveau et grand système politique, déjà plus d’une fois développé à Versailles par le comte de Loos, et à Aix par Kaunitz lui-même, et qui consistait à prévenir la ligue, toujours prête à se former, des puissances protestantes, en lui opposant une union catholique capable d’y tenir tête. Ces grandes vues, dont Saint-Séverin s’était laissé entretenir, dont il avait paru apprécier la portée, avait-il cessé d’y être sensible ? Comment ne voyait il pas que les préliminaires, en consacrant, de concert avec l’Angleterre, tous les avantages de la Prusse, préparaient précisément cette union protestante qui, une fois la paix conclue, deviendrait intime et menaçante ?

Saint-Séverin le laissa parler sans s’émouvoir, puis il lui affirma que ses sentimens, ni ceux de sa cour, n’étaient nullement changés. — « Mais que voulez-vous, lui dit-il, l’Autriche nous faisait attendre, et de l’autre côté on ne cessait de nous presser. Vous ne croiriez jamais jusqu’où de ce côté-là on poussait les concessions et le désintéressement. On allait au-devant de tous nos désirs. Pouvions-nous manquer une occasion pareille ? Tenez-vous encore pour heureux que nous n’ayons pas exigé davantage. Pour peu que j’eusse insisté, je faisais imposer à l’Autriche des conditions bien plus désavantageuses encore, et l’Angleterre aurait tout accepté. Croiriez-vous qu’il s’en est peu fallu que j’aie fait insérer dans les préliminaires la restitution de Gibraltar ?

Abordant ensuite les vues générales que Kauderbach avait rappelées, Saint-Séverin n’eut pas assez d’admiration à témoigner pour la justesse et la supériorité d’esprit que Kaunitz avait déployées en les développant. — Et puis quelle noblesse dans toute sa conduite ! On ne saurait en faire trop d’éloges, surtout si on la comparait à celle des autres ministres des alliés, car de ce côté il fallait bien le reconnaître, il y avait eu des manœuvres odieuses de nature à laisser les plus implacables rancunes. Pourquoi enfin, dit-il, se préoccuper si fort de telle ou telle clause des préliminaires ; ce sont de maigres détails auxquels il ne faut pas s’arrêter. Ces articles sont si vagues qu’on leur fera dire tout ce qu’on voudra. J’en tirerai, moi, ce qui me conviendra. C’est une cire molle, j’en ferai un chien, un chat, un singe, tout ce qui me plaira. L’essentiel est qu’on ait confiance dans la France et qu’on lui dise clairement ce qu’on désire. Il est encore temps d’aviser.

Kaunitz avait trop chèrement payé sa confiance dans les complimens et les caresses de Saint-Séverin pour mordre cette fois à l’appât sans précaution. Il se borna donc à engager Kauderbach a continuer la conversation, mais en le chargeant de bien faire comprendre qu’après ce qui s’était passé, ce n’était pas à l’Autriche à parler, mais bien à attendre ce qu’on aurait à lui dire. Puis rendant compte à sa cour de cet étrange entretien, il laissait voir assez clairement sa crainte de donner dans un nouveau piège. — La France, disait-il, a cette fois bien réussi à brouiller toutes les cartes ; elle a brisé tous les liens qui unissaient entre eux les alliés, elle a levé tous les scrupules qui pouvaient nous faire hésiter à rompre avec les puissances maritimes : elle voit l’Angleterre aux abois ; il est tout simple qu’elle veuille profiter d’une situation si adroitement ménagée, mais il faut savoir ce qu’elle en veut tirer. Des paroles dites à voix basse et des promesses vagues ne sauraient nous suffire. — Le tableau était exact et la réserve prudente. Seulement ce qu’avec son sens pratique et la précision un peu lourde de son esprit Kaunitz ne pouvait deviner, c’est que derrière les allures changeantes et les retours capricieux de l’envoyé de France, ne se cachaient réellement aucune espérance, ni aucun calcul d’intérêt. Témoin du désarroi des cours naguère alliées, et heureux de pouvoir l’accroître, Saint-Séverin, à qui ses instructions n’avaient pas permis d’en profiter à son gré, se plaisait faute de mieux à s’en donner le spectacle et à s’en faire un jeu[4].

A Vienne on prit la chose plus au sérieux, et l’ouverture fut accueillie avec plus de confiance et plus d’empressement peut-être qu’elle ne méritait. C’est que, si la brusque signature des préliminaires, succédant à des espérances tout opposées, n’avait pas causé à Marie-Thérèse une surprise moins pénible qu’à son envoyé, l’impression pourtant qui lui restait était différente. Kaunitz était surtout sensible au désagrément personnel qu’il éprouvait d’avoir été ou du moins de paraître dupe des bonnes paroles de Saint-Séverin. Pour Marie-Thérèse, il n’y avait qu’un vrai, un seul, un grand coupable, c’était l’envoyé anglais, ou plutôt le cabinet britannique lui-même dont ces préliminaires prétendus improvisés n’avaient fait que mettre au jour les frauduleux desseins, conçus déjà de longue date. De ce côté tous les soupçons étaient enfin justifiés, et dès lors l’irritation de l’impératrice portée à son comble. Que Saint-Séverin eût manqué d’égards, en se dérobant à la dernière heure à un arrangement presque conclu, qu’importait qu’il eût même usé de ruse pour cacher son jeu : et qu’était-ce auprès du trait bien plus noir de l’Angleterre oubliant une amitié presque séculaire et jetant au vent la foi jurée par vingt traités différens ? On pardonne plus volontiers le stratagème d’un adversaire que la trahison d’un ami. Et quelle joie ne serait-ce pas pour l’impératrice de profiter à son tour des irrésolutions, des artifices mêmes de la France et de sa politique à double face pour retourner contre cette alliée infidèle l’instrument qu’elle avait forgé et la faire tomber à son tour dans le piège qu’elle avait tendu !

Il faut ajouter que l’impératrice fut appuyée dans cette ligne de conduite un peu hasardeuse par ses meilleurs conseillers. Le vieux Bartenstein, en particulier, entra presque de lui-même dans la pensée, au lieu de repousser les préliminaires en bloc et en principe, d’y pénétrer en quelque sorte pour en modifier le détail, en changer l’esprit et en prévenir les effets. Envieux praticien qu’il était, portant dans les affaires politiques l’esprit de procédure et presque de chicane juridiques, il examina article par article, disséqua en quelque sorte le document, et n’eut pas de peine à y reconnaître les traces d’une précipitation irréfléchie. Des points nécessaires à résoudre avaient été omis, et la difficulté se retrouverait à l’exécution. D’autres avaient reçu une solution imparfaite et obscure qui donnerait lieu entre les contractans à de nouvelles dissidences et peut-être à de longs débats. Dans le cours de ces contestations inévitables, l’Autriche, appuyée comme elle pouvait l’être par l’Espagne (dont la colère à ce premier moment n’était pas encore calmée), trouverait l’occasion de présenter et peut-être de faire prévaloir ces justes griefs. Le tout était de savoir si la France était sérieusement disposée à se prêter à cette métamorphose insensible de l’œuvre qu’elle avait elle-même préparée. C’est ce que Kaunitz fut chargé de tirer au clair, « car en ce cas, lui disait une lettre officielle, il y aurait remède à tout[5]. »

L’impératrice développa elle-même cette instruction dans une longue dépêche dont la rédaction confuse était, suivant son habitude, parsemée et comme éclairée par des traits lumineux. Après avoir envoyé à son fidèle agent sa pleine approbation de sa conduite, le rassurant ainsi contre les reproches qu’il se faisait à lui-même : — « Ne perds point courage, lui disait-elle, l’intérêt supérieur de notre service te commande de reprendre possession de toi-même. » — Elle convenait alors qu’il n’y avait plus lieu de se fier « pas plus aux ennemis jusqu’ici irréconciliables de notre maison qu’à ceux qui s’appelaient nos alliés. » Aussi elle avait appris avec plaisir que, sous le coup d’une première impression, il s’était exprimé avec vivacité, aussi bien devant lord Sandwich que devant Saint-Séverin, sur l’indignité de leur conduite, et elle comprenait qu’il eût été blessé dans l’âme par les procédés faux et indécens du ministre français. « Il est toujours utile, disait-elle, de se montrer sensible à un affront et surtout avec l’Angleterre qui, ainsi que l’atteste l’expérience des temps anciens et modernes, est toujours prompte à assouvir l’impétuosité de ses appétits (Nachdem sie ihre ungestummentheit sälliget hat). » Mais ce n’était pas une raison pour rompre en visière à ses collègues et briser tous les rapports avec eux. Il ne faut se souvenir des torts déjà ressentis « que pour empêcher qu’en nous croyant indifférens, on ne continue à nous sacrifier. »

Entrant alors elle-même dans la discussion détaillée des articles préliminaires, elle distingue ceux qu’elle pourrait accepter ou sur lesquels elle peut, au moins, passer condamnation, ceux, au contraire, qui la blessent au vif et qu’elle trouve autant que jamais intolérables. Dans la première classe, elle range naturellement tout ce qui intéresse la France et peut servir à ménager son appui, comme l’établissement de l’infant en Italie et les satisfactions données à la république de Gênes. La seconde comprend, est-il besoin de le redire ? les faveurs faites, les garanties accordées aux deux grandeurs rivales et détestées que la guerre a fait accroître à ses dépens : à Charles Emmanuel et à Frédéric. Puisque la France a fait la faute de laisser inscrire ces concessions maudites dans l’acte qu’elle a signé, la princesse ne lui demande plus de s’y opposer directement, mais seulement de s’en désintéresser, de ne pas s’attacher à les maintenir dans l’acte définitif, et de montrer par cette indifférence qu’en tout cas on ne peut compter sur elle pour en assurer l’exécution. C’est de cette indifférence (gleichgültigkeit) de la France que Kaunitz doit se procurer la certitude, et c’est le sujet sur lequel il ne faut cette fois tomber dans aucune méprise. Ainsi, avec cette ténacité peu raisonnée qui est souvent un des traits du caractère féminin, le seul qu’on puisse relever dans cette âme virile, c’est toujours sur les mêmes points fixes que sa pensée est tendue, et le double engagement qu’elle n’a pu empêcher la France de prendre, elle veut, au moins, qu’on lui promette de ne pas le tenir. Une autre recommandation qui n’est pas faite à Kaunitz avec moins d’insistance, c’est de n’accepter à aucun prix, en échange des réclamations de divers genres qu’il aura à présenter, les compensations pécuniaires que l’Angleterre pourrait lui offrir. — « Il vaut mieux, s’écrie-t-elle, se fier désormais à nos propres forces que de mendier l’argent étranger et de rester ainsi dans une éternelle (dépendance. Notre maison n’a que trop éprouvé la réalité du proverbe : Fistula dulce canit. Les subsides d’Angleterre sont estimés dix fois plus qu’ils ne valent. Pour suppléer aux engagemens qu’elle n’a jamais remplis, nous avons dépensé bien plus que ce qu’elle nous a donné pendant quelques années, malgré l’éclat qu’elle a mis à en faire, aux yeux du public, un odieux étalage[6]. »

En exécution de ces instructions, Kaunitz vint déclarer à Saint-Séverin qu’il recevait de l’impératrice les pouvoirs nécessaires pour accéder aux préliminaires, mais seulement en ce qui touchait les différends à régler entre elle et les États avec qui elle était en guerre. Cette adhésion limitée excluait par là même les clauses qui n’intéressaient que le roi de Sardaigne, puisqu’il n’avait pas cessé d’être son allié nominal, et le roi de Prusse, avec qui elle était en paix depuis le traité de Dresde. Quant à ce dernier traité, l’ayant déjà souscrit et ne songeant pas à le violer, elle ne voyait pas par quel motif elle aurait à y donner une adhésion nouvelle. Pourtant, ce traité lui-même, ajoutait Kaunitz toujours au nom de sa souveraine, comme toutes les conventions du monde, comportait des obligations réciproques. En même temps que le roi de Prusse avait reçu la cession de la Silésie, il avait dû s’engager à respecter tout le reste des possessions héréditaires de la maison d’Autriche. L’une de ces obligations n’étant pas moins sacrée que l’autre, l’impératrice ne pouvait croire que, contrairement à toutes les lois humaines et divines, les puissances signataires des préliminaires eussent le dessein de les séparer, et n’eussent pas entendu donner à toutes deux une égale confirmation. Que ce point fût bien éclairci, qu’il fût clairement exprimé, que la garantie donnée à la Prusse pour sa conquête était assurée également à l’Autriche pour tout ce qui restait de ses domaines patrimoniaux, et elle consentirait que cet ensemble des dispositions corrélatives prît place dans les actes qui établiraient la paix générale[7].

Une déclaration, posant ces deux réserves, était déjà préparée et devait précéder l’acte formel d’adhésion aux préliminaires. Kaunitz n’hésita pas à en donner connaissance à Saint-Séverin qui ne fit pas difficulté non plus d’en prendre lecture. Il n’y présenta aucune objection positive, indiqua même quelques modifications à faire qui furent insérées, suivant son conseil. Il ne pouvait se dissimuler cependant que, sous une forme ambiguë, et moyennant quelques précautions de langage qui ne pouvaient tromper personne, la pièce à laquelle il collaborait ainsi avait pour effet d’écarter implicitement un des articles des préliminaires et de donner à un autre une très grave extension et que ces points étaient de ceux auxquels son collègue anglais attachait un prix tout particulier. La manœuvre allait donc assez directement à altérer le texte et encore plus l’esprit de l’acte dont il était lui-même l’auteur principal. Il sentait si bien ce que ce procédé avait de louche, sinon de positivement déloyal, qu’il n’en rendait à son ministre qu’un compte imparfait et très atténué. — « M. de Kaunitz, écrivait-il, m’a témoigné ne vouloir se déterminer que d’après mon conseil. Le rôle est difficile à jouer : je crois m’en être tiré de manière à ne laisser naître aucun soupçon sur notre fidélité à remplir nos engagemens, mais d’une façon à ne pas nous aliéner absolument la cour de Vienne, mais plutôt à l’entretenir dans de certaines dispositions pour la retrouver au besoin. »

Pas un mot de la confidence qu’il avait reçue et de l’accueil qu’il y avait fait. À plus forte raison, n’en donna-t-il aucun avis à Sandwich, avec qui il restait en rapports journaliers, dans des termes d’intimité et de confiance apparens, et qui devait être à cent lieues de soupçonner l’atteinte qu’il laissait porter à leur œuvre commune[8].

Naturellement, quand la déclaration fut communiquée aux envoyés d’Angleterre et de Hollande, ceux-ci se récrièrent et déclarèrent d’un commun accord qu’ils ne pouvaient accepter qu’une adhésion pure et simple et ne se prêteraient à aucune réserve. Obligé à son tour de s’expliquer, Saint-Séverin s’en tira par une équivoque. — « Je pris la parole, dit-il, et je dis que comme Sa Majesté n’avait pris aucune part aux traités de Worms, de Breslau et de Dresde, je ne pouvais rien dire sur ce point et que je m’en tenais à l’accession aux préliminaires. » C’était conclure comme ses collègues, mais en s’appuyant sur un motif que Kaunitz, croyant l’entendre à demi-mot, pouvait prendre pour un encouragement. Aussi ce ministre se borna-t-il à répondre qu’il n’avait rien à retrancher, ni à ajouter à sa déclaration et que c’était à prendre ou à laisser. Réflexion faite, on trouva qu’il valait mieux se contenter d’une acceptation conditionnelle que de s’exposer à une rupture absolue. Acte fut donc donné à Kaunitz de son adhésion, mais en le prévenant d’avance que dans la suite de la négociation on regarderait ses réserves comme nulles et on n’en tiendrait aucun compte. — « Après tout, disait Saint-Séverin à Kaunitz, dans un entretien qui suivit cette conférence, en signant les préliminaires, nous n’avons pas pris l’engagement d’intervenir en Italie à main armée pour y exercer sur vous une contrainte, et ce ne sont pas les flottes anglaises que vous avez à y craindre. » Et il laissa entendre qu’il était mandé à Compiègne pour entretenir verbalement de la situation le roi et ses ministres, et que c’était là à peu près le langage qu’il comptait leur tenir. Il est vrai qu’au même moment, il affirmait à Sandwich que son voyage n’avait pas, dans sa pensée, d’autre but que de préparer les mesures qu’ils auraient à prendre en commun, si l’Autriche persistait dans son attitude de résistance et de réserve[9].

Ces paroles étaient consolantes et se rapprochaient assez de la promesse d’indifférence que désirait l’impératrice et que Kaunitz était chargé d’obtenir. Ce n’étaient pourtant que des paroles, et le moindre écrit aurait mieux valu. C’est à quoi il paraîtrait que Kaunitz réfléchit, mais un peu tard, quand il eut laissé partir Saint-Séverin pour se rendre à l’appel royal et alors qu’il eût été difficile de courir après lui. Mais Saint-Séverin avait laissé à Aix en son absence, pour veiller aux affaires, son secrétaire d’ambassade Terrier, que j’ai déjà nommé et à qui une capacité reconnue avait valu (on le savait) la pleine confiance de son chef. Ce fut à ce modeste agent que, faute de mieux, Kaunitz crut devoir s’adresser, en usant avec lui d’une ouverture de cœur qui ne laissa pas de l’étonner un peu. Il fallait, lui dit-il, que l’on sût enfin à quoi s’en tenir sur ce que voulait la France. L’Autriche ne pouvait continuer à marcher à l’aventure et elle devait se former, ce que dans la langue diplomatique du temps on appelait un système. Si ce n’était pas avec la France, ce serait donc avec ses anciens alliés qu’elle devrait lier de nouveau sa partie, et il ne manquerait pas de gens qui la pressaient d’y revenir. Mais pourquoi donc la France tiendrait-elle à ce qui pouvait accroître la situation du roi de Sardaigne ? Est-ce que le traité de Worms n’avait pas été fait contre elle dans la ferveur de la guerre et avec le dessein avoué d’exclure la maison de Bourbon d’Italie ? Et est-ce que la France ne voyait pas que depuis ce jour-là le roi de Sardaigne était devenu la marotte de l’Angleterre : « Quant à nous, ajouta-t-il, nous offrons à la France une réconciliation royale et solide : l’établissement de l’infant Philippe deviendra par notre concert aussi sûr que stable : nous lui servirons pour ainsi dire de garde du corps et… nous ne demandons qu’une seule chose à la France qu’il lui est très facile de nous accorder, c’est de ne prendre aucune part à ce qui se fera relativement à l’exécution du traité de Worms… Ce sera à nous à voir ce qu’il nous conviendra de faire, et nous n’aurons pas même besoin de recourir à des voies de fait : car le pays est tout ouvert, et la citadelle de Plaisance est la seule place de quelque défense,.. mais il nous faut quelque chose de plus que des paroles, et c’est jusqu’à présent tout ce que j’ai pu donner à ma cour. Quelque illimités que soient les pouvoirs qu’elle m’a donnés et quelque confiance qu’elle ait en moi, cependant comme dans les cours les sentimens sont différens, je voudrais bien que l’on pût ne me rien reprocher… Pour offrir donc des sûretés à ma cour, je voudrais que le comte de Saint-Séverin me donnât un écrit en forme de déclaration de lettre ou de quelque autre manière que ce soit, car je me prêterai à la forme qu’il voudra choisir,.. qui nous donnât l’assurance que nous avons les mains libres et que ni la France, ni ses alliés ne s’opposeront à ce que nous voudrons entreprendre. » Et ce disant, il tira de sa poche un petit papier écrit d’avance et portant que « Sa Majesté Très Chrétienne n’avait pris aucune part aux traités de Worms, de Breslau et de Dresde et que, par conséquent, par les articles des préliminaires où il est fait mention des cessions déjà faites par Sa Majesté l’impératrice, Sa Majesté Très Chrétienne n’entend point avoir rien ajouté ni ôté à la valeur de ces cessions. »

La communication ainsi faite dépassant par sa nature même la compétence d’un simple chargé d’affaires, Tercier n’avait qu’à s’incliner en promettant de la transmettre. Mais c’était un esprit droit et simple, nullement mêlé, et probablement n’entendant rien aux finesses de son supérieur ; il avait prêté sa plume réputée très habile à la rédaction des préliminaires ; c’était lui qui avait été envoyé pour en porter le texte à Versailles. L’idée d’en altérer le sens naturel par une sorte de restriction mentale imaginée après coup lui causa une surprise qu’il eut peine à dissimuler : et effectivement, sans y être préparé d’avance, il était difficile de comprendre par quelle subtilité de conscience on pourrait souscrire une convention d’une main et de l’autre prendre l’engagement d’en laisser annuler, en fait, une des clauses les plus importantes[10]. L’expédition aussitôt faite par Tercier ne rejoignit pourtant pas Saint-Séverin à Compiègne, où on ne le garda que quelques jours. Mais il est certain qu’il n’aurait kit aucun effort pour obtenir la permission de mettre sa signature, au bas, d’un acte pareil à celui que Kaunitz essayait de tirer de lui. Outre qu’il n’avait certainement nulle envie lui-même de laisser une pièce d’une nature si compromettante entre les mains d’un confident qui avait tout intérêt à en user sans discrétion, une fois à Compiègne, il n’avait pas été longtemps à reconnaître qu’une telle proposition ne trouverait aucun accueil pas plus auprès du roi que du ministre. L’un et l’autre, préoccupés avant tout de mener à fin une conclusion qui n’avait que trop tardé à leur gré, écartaient tout ce qui pouvait ouvrir la porte à de nouveaux débats. C’est le propre des caractères irrésolus, une fois que les circonstances les ont obligés à prendre un parti, de repousser avec une sorte d’effroi tout ce qui pourrait les replonger dans les difficultés dont ils sont sortis. Puisieulx, en particulier, informé par le ministre saxon, le comte de Loos, du dépit qu’éprouvait l’Autriche et des expédiens auxquels elle essayait de se rattacher dans sa détresse, avait déjà refusé absolument de donner à ces espérances un mot d’encouragement : « M. de Kaunitz, écrivait-il dès le 21 mai, a écrit une lettre très forte au comte de Loos, ce dernier est venu exprès ici pour m’en faire la lecture. Elle porte que le roi doit être satisfait des coups qu’il a portés depuis quinze ans à la maison d’Autriche. Sa Majesté est trop généreuse pour la réduire au point de se trouver peut-être par la suite obligée de la relever. Cette lettre est remplie d’aigreur contre l’Angleterre et contre le roi de Sardaigne… Le comte de Loos m’a dit encore que la reine de Hongrie souhaiterait qu’on la laissât agir contre. le roi de Sardaigne en Italie pour reprendre tout ce qui avait été cédé par le traité de Worms et qu’alors maîtresse de tous les États qui devaient former l’établissement de l’infant, elle les remettrait dans la main de Sa Majesté… et cet ambassadeur m’a prié d’aider la cour de Vienne de mes conseils dans une circonstance si critique. J’ai reçu cette déférence avec la modestie qui me convenait. Je lui ai répondu que, me mettant pour un moment à la place de la cour de Vienne, je sentais toute l’amertume de la situation où elle se trouvait par sa faute, que je croyais qu’elle n’avait rien de mieux à faire pour le présent que de ne montrer aucune aigreur à ses alliés, d’accéder aux préliminaires et d’attendre de l’adoucissement du temps et des circonstances. Je lui ai déclaré que le roi ne ferait rien sans le concours de l’Angleterre tant sur ce qui avait rapport à l’Italie que sur les autres articles des préliminaires… Il me paraît, ajoutait-il, que la cour de Vienne est convaincue que l’Angleterre cherchera désormais l’alliance du roi de Prusse de préférence à la sienne, et ce système, qui ne peut être encore qu’en perspective, a déjà commencé depuis quelque temps à faire faire de sérieuses réflexions à la reine de Hongrie, et cette appréhension vraie ou fausse peut nous servir utilement : mais il faut pour en tirer parti que nous ayons l’air d’ignorer tout cela. »

Sur un esprit ainsi disposé, on peut juger quelle impression avait dû produire la déclaration pleine de restrictions et de réserves dont l’Autriche avait fait précéder son accession aux préliminaires : « C’est la pièce la plus captieuse, s’était-il écrié, qui soit sortie de la boutique de Bartenstein. » Saint-Séverin ne fut pas pressé, on le conçoit, de se vanter d’y avoir mis la main. Il aurait craint de s’attirer cette réponse méritée : c’est que, s’il y avait dans les préliminaires des articles dont l’Autriche pouvait réellement se plaindre, c’était en les rédigeant qu’il aurait dû y songer, et qu’il était trop tard pour réparer l’imperfection de son œuvre par des voies obliques et des interprétations subtiles[11].

Aussi dut-il revenir à Aix-la-Chapelle, ne rapportant rien qui répondît à l’attente impatiente de Kaunitz et aux espérances qu’il lui avait laissé concevoir. En revanche, des propos flatteurs, des complimens empressés pour lui et sa souveraine de la part du roi, du ministre et de toute la cour, y compris Mme de Pompadour, il en revenait, dit-il, les mains pleines et, effectivement, il s’en montra prodigue. Tout le monde regrettait, assura-t-il, les malentendus qui avaient divisé les deux cours et les fausses mesures auxquelles le dernier ministre s’était laissé entraîner, contrairement aux véritables intérêts de la France ! A l’avenir, il fallait vivre des deux parts sur un pied de confiance et de cordialité réciproque, et la France, pour sa part, était décidée à travailler, non-seulement au maintien, mais à l’agrandissement de la maison impériale. Mais, pour le présent, les préliminaires étant signés, il fallait les exécuter, l’honneur du roi ne lui permettant pas de rien faire qui parût tendre à en éluder l’obligation.

A part cet objet, sur tout autre point la France était prête à rendre à l’Autriche tous les services qui étaient en son pouvoir, et il en était un en particulier qu’elle offrait tout de suite et de grand cœur. On avait de bonnes raisons de croire que le roi de Prusse songeait à embrasser la religion catholique et qu’il avait même fait prier le pape de lui envoyer deux missionnaires pour l’éclairer. Cette conversion ne pouvait avoir d’autre but que de préparer une candidature à la dignité impériale au détriment du jeune archiduc qui n’était pas encore déclaré roi des Romains : la France était décidée à s’opposer formellement à la réalisation d’un tel dessein.

C’était une étrange manière de détourner la conversation, et la promesse d’un concours contre un danger lointain et probablement imaginaire était une mince compensation au refus de toute assistance immédiate contre un grief présent. Kaunitz eût été excusable de n’y voir qu’une plaisanterie d’un goût médiocre. Il se borna à dire qu’il croyait volontiers que le roi de France ne songerait pas à disputer la dignité impériale à l’Autriche pour en faire don à un souverain dont la puissance serait bien plus à craindre pour les intérêts de sa couronne et les libertés germaniques, et il se retira à la fois piqué et découragé[12].

Ce n’était pas le compte de Saint-Séverin, à qui quelques mots jetés par Kaunitz, dans son entretien avec Tercier, avaient fait craindre que l’Autriche, si on la poussait à bout, ne finît par se rejeter dans les bras, ou plutôt aux pieds de ses anciens alliés, et n’obtint d’eux quelques concessions qui lui permettraient de rentrer en grâce. Cette réconciliation entre les ennemis de la France (si elle avait lieu) lui enlèverait précisément le seul fruit véritable qu’il se vantait, on l’a vu, d’avoir tiré de sa négociation. Il lui importait donc de tenir Kaunitz en espérance et en quelque sorte en haleine ; mais la difficulté était de le faire révenir après s’être vu contraint de lui refuser la seule chose qu’il demandât, et qu’il mît du prix à obtenir. L’occasion naturelle se trouva pourtant, et Saint-Séverin ne perdit pas un moment pour la saisir.

Bartenstein avait bien jugé quand il prévoyait que les signataires des préliminaires auraient quelque peine à s’entendre sur bien des points que, dans leur hâte à conclure, ils avaient négligé de tirer au clair ; une dissidence de ce genre s’éleva en effet au sujet de la date qui devait servir de point de départ à la restitution réciproque des provinces conquises. La France voulait en faire remonter les effets au jour de la signature des préliminaires : l’Angleterre, tenant à garder, le plus longtemps possible ses conquêtes maritimes, demandait à retarder l’exécution jusqu’à la conclusion du traité définitif : on pouvait la soupçonner de vouloir ainsi se ménager le temps d’achever la démolition des défenses qui protégeaient le Cap-Breton et le fort de Louisbourg : opération qui, soustraite par la distance à toute surveillance, pourrait être menée à fin sans qu’on en fût même prévenu. Le dissentiment, ne put rester longtemps secret parce qu’au même moment le roi d’Angleterre, profitant de l’armistice, venait visiter son cher électorat de Hanovre en compagnie de son premier ministre, et Sandwich, désirant vivement trouver un moyen de conciliation, prit le parti d’aller demander à ses supérieurs de nouvelles instructions. Ce départ donna lieu à beaucoup de commentaires, et on put croire un moment que, si un arrangement n’intervenait pas à la satisfaction des deux parties, une rupture aurait lieu qui remettrait tout en question.

Saint-Séverin n’éprouvait, en réalité, aucune inquiétude véritable sur l’issue de ce débat, car Sandwich, dont les bonnes dispositions lui étaient connues, n’avait pas craint de lui dire que son roi, ne jouissant pas du même pouvoir despotique que le roi de France et les autres souverains d’Europe, était souvent obligé, pour ménager l’opinion de son peuple, de faire des démonstrations qui ne tiraient pas à conséquence : il s’était fait fort de revenir avec un moyen d’accommodement. Mais le seul bruit répandu d’une rupture possible fournissait à Saint-Séverin le prétexte qu’il désirait pour rechercher Kaunitz dans la retraite où il ne voulait pas le laisser s’affliger et s’aigrir plus longtemps. L’officieux intermédiaire saxon était toujours à son service, et il ne fallut qu’un signe pour le faire revenir.

M. de Kaunitz, dit-il à Kauderbach, nous a demandé une chose impossible et qu’on a dû lui refuser. La France ne peut se prêter à rien de ce qui ferait mettre en doute sa bonne foi dans l’exécution des conventions qu’elle a signées. Mais si d’autres puissances venaient d’elles-mêmes à manquer à l’engagement pris, la chose serait bien différente, et la France, retrouvant sa liberté, pourrait se retourner vers d’autres alliances. Seulement, ajouta-t-il, le cas serait très grave, car la reprise de la guerre avec l’Angleterre, qui en serait la conséquence, amènerait la perte des colonies et la ruine du commerce français : il faudrait donc que la France trouvât un équivalent aux risques qu’elle aurait à courir et aux sacrifices qu’elle pourrait faire. Saint-Séverin, paraissant alors s’abandonner à son imagination, traça sous une forme hypothétique un plan de partage absolument différent de celui qu’avaient consacré les préliminaires, et à l’avantage commun de la France et de l’Autriche. — On pourrait, disait-il, laisser à Marie-Thérèse tout ce qu’elle réclamait en Italie, même Parme et Plaisance, en donnant à l’infant la Savoie et Nice en apanage, et en attribuant à la France quelques places fortes des Pays-Bas, principalement choisies, comme Maastricht, parmi celles qui dépendaient de la Hollande. Paraissant alors se monter et se découvrir de plus en plus, il entra dans certains détails d’exécution. Il faudrait, dit-il, que l’impératrice obtînt de la Russie, son alliée, la promesse de tenir en respect le roi de Prusse, pour l’empêcher ide venir prêter appui aux puissances maritimes. Kauderbach, qui écoutait tout oreilles, mais un peu étourdi, demanda alors s’il devait faire, part à Kaunitz de ces vastes et nouvelles perspectives. Saint-Séverin n’hésita pas à l’y engager, mais sous la condition expresse qu’il donnerait le plan tout entier comme une idée à lui personnelle et en se gardant de dire qu’il parlait au nom de la France ou de son envoyé.

D’ordinaire, de telles recommandations sont enfreintes par ceux qui les reçoivent, et ceux qui les donnent ont rarement la naïveté de croire qu’elles seront respectées. Il était difficile de supposer d’ailleurs que Kaunitz pût s’y méprendre et prêtât à l’humble secrétaire d’une petite puissance le dessein ambitieux de remanier, même en pensée, les territoires et les frontières des grands États. Kauderbach n’eut donc rien de plus pressé que de faire savoir, ou du moins de laisser entendre de quelle part il venait. Mais il trouva Kaunitz plongé dans un abattement profond et accueillant toute parole qui portait la marque d’origine française avec un sourire d’incrédulité mélancolique. Au premier mot qui lui fut touché d’un dédommagement à réclamer par la France en échange de l’offre conditionnelle de son alliance : — Et où voulez-vous que je le prenne ? amis et ennemis se sont entendus pour nous dépouiller. Où trouverions-nous quelque chose encore à céder ? — Kauderbach lui fit entendre que l’Autriche pourrait bien obliger la France sans lui donner rien du sien. — Êtes-vous donc si contens, dit-il, de la Sardaigne et de la Hollande que vous craigniez de faire une affaire à leurs dépens ?

L’idée ainsi présentée parut faire sortir l’Autrichien de sa torpeur. — C’est une autre affaire, dit-il, bien que toujours avec un accent de défiance ; vous me parlez d’inaugurer un système tout à fait nouveau en Europe et qui vaut la peine que j’entretienne ma cour. Je vais lui envoyer un exprès pour l’en informer. — Kauderbach se retira en lui recommandant une discrétion absolue dont il ne lui avait pas lui-même donné l’exemple.

Saint-Séverin se doutait si bien que la responsabilité de cette démarche aventureuse lui serait imputée et que de Vienne la nouvelle en serait renvoyée à Versailles, qu’il ne crut pas cette fois nécessaire d’en faire mystère à son ministre. Il prit donc les devans pour l’en informer sans trop de détour, mais en insistant sur ce point qu’il n’avait agi et parlé que dans la supposition d’une rupture menaçante avec l’Angleterre et en vue de se ménager une parade et une représaille à cette infidélité. « D’ailleurs, disait-il, Kauderbach est un garçon sage et adroit… je n’avais aucun risque à m’ouvrir à lui sur une simple idée qui n’engage à rien. » Et Puisieulx ne s’étant montré qu’à moitié rassuré par cette précaution : — « Ne soyez point inquiet, lui répétait-il, de ce que j’ai fait dire par Kauderbach ; nous ne sommes engagés et compromis en rien. Je suis de votre avis qu’il faut, de préférence à tout, suivre le plan que nous avons formé, mais je ne crois pas qu’il y ait inconvénient à jeter des propos qu’on peut suivre ou abandonner suivant que le cas l’exige[13]. » Et il ajoutait, en même temps, que Sandwich était de retour, apportant sur le point débattu entre eux une concession à peu près complète du cabinet anglais. Dès lors, la prévision d’une rupture n’étant pas réalisée, la démarche qu’il avait faite pour s’y préparer tombait d’elle-même.

L’effet n’en était pas moins obtenu. Kaunitz, sans ajouter beaucoup de foi à une ouverture trop séduisante pour être bien sérieuse, n’en était pas moins obligé d’attendre ce qu’on en penserait à Vienne. L’idée d’un rapprochement avec l’Angleterre (si jamais il l’avait conçue) était par là même éloignée ; et quant à l’impératrice, prompte à se rattacher à tout ce qui lui laissait l’espérance de satisfaire ses ressentimens, elle était confirmée dans la pensée qu’elle avait tout profit à gagner du temps, l’union dirigée contre elle pouvant d’un jour à l’autre se dissoudre d’elle-même par le désaccord de ceux qui l’avaient formée. Kaunitz dut donc continuer par son ordre à faire naître une série de difficultés dans le dessein évident d’éluder et de retarder indéfiniment toute conclusion.

Ce fut d’abord une difficulté de forme. A quoi bon, dit-il, un traité général, signé en commun par toutes les puissances et prétendant trancher par un acte d’ensemble toutes les questions pendantes ? Pourquoi ne pas recourir plutôt à des conventions particulières entre les divers États belligérans, réglant entre eux, isolément, et chacun en tête à tête avec son rival et son adversaire de la veille, les points qui les intéressent et qui les divisent ? Le motif de cette préférence pour un mode de négociation si compliqué n’était que trop visible : c’était toujours le désir d'écarter ces engagemens collectifs que l’Autriche ne voulait pas subir. Et effectivement, on ne voit pas dans quelle convention particulière aurait pu trouver place la garantie promise aux cessions territoriales des traités de Dresde et de Worms. Il n’y avait donc aucune chance que ceux qui avaient repoussé cette pensée sous la forme des réserves mises à l’accession des préliminaires y fissent meilleur accueil, quand elle reparaissait sous une autre tout à fait équivalente. Mais Kaunitz pouvait pourtant invoquer, en faveur du procédé qu’il réclamait, tous les précédens et tous les souvenirs diplomatiques, entre autres les plus récens et les plus chers à l’Angleterre, ceux de la paix d’Utrecht, qui n’avait pas donné lieu à moins de neuf traités différens entre tous les intéressés de la succession d’Espagne. Il croyait donc sa cause si bonne à défendre que, d’avance, il se faisait envoyer de Vienne un traité tout rédigé en dix-huit articles qu’il offrait à la France de signer directement avec l’Autriche, et le remettant à Saint-Séverin, il lui fit remarquer que, si l’Angleterre en prenait connaissance, elle ne verrait rien qui pût l’offenser, car elle restait pleinement libre de régler de même ses intérêts avec qui et comme il lui conviendrait. Saint-Séverin reçut la pièce, mais sans lui promettre cette fois de la faire agréer, et peut-être que Kaunitz n’y comptait pas[14].

Une prétention plus embarrassante, parce qu’elle reposait sur des motifs valables, fut celle qu’il émit au sujet de la restitution promise des Pays-Bas. L’Autriche entendait rentrer dans la possession pleine et entière de ces provinces, et la France avait toujours déclaré ne les avoir reçues et ne les garder qu’en dépôt. De ce côté, par conséquent, il n’y avait nulle contestation, ni à élever, ni à craindre. Mais j’ai déjà eu occasion de rappeler que, par un arrangement diplomatique qui avait suivi la paix d’Utrecht, l’Autriche avait reconnu à la Hollande le droit de tenir garnison dans la plupart des forteresses flamandes, afin de constituer ainsi une barrière (c’était l’expression consacrée) qui défendît la république contre toute agression de la France. Kaunitz déclara au nom de sa souveraine qu’il ne consentirait pas au renouvellement de ce singulier privilège, et il donna pour motif de son refus que, la plupart de ces forteresses ayant été déjà démolies à la suite de la conquête française, leur possession était devenue sans importance : d’ailleurs, elles avaient toutes cédé si facilement aux premières attaques de Maurice de Saxe que l’impuissance et la vanité de la précaution prise par la Hollande pour sa défense étaient suffisamment démontrées. La raison était bonne, mais ce n’était pas la véritable. En réalité, quand cette fameuse barrière avait été dressée, Autriche, Angleterre et Hollande sortaient d’une lutte acharnée soutenue ensemble contre la France : toute mesure était bienvenue qui les préserverait d’un nouvel assaut de l’adversaire commun. Tout se passait en famille, chacun ayant même intérêt et même crainte. Mais dans les termes où de part et d’autre aujourd’hui on se préparait à rester, un pareil accord n’était plus possible et l’apparence même en semblait dérisoire. Aux yeux de l’impératrice irritée, la Hollande n’était qu’un satellite de l’Angleterre, complice de ses trahisons ; au moment où elle recherchait l’amitié de la France, admettre dans ses murailles les soldats du gendre du roi George, c’était se donner à elle-même des gardiens dont la surveillance allait être très incommode, et il y avait même telle hypothèse déjà prévue où ce serait loger l’ennemi dans la place. Mais par cette même raison, la république, soupçonnant vaguement ces mauvais desseins, n’en était que plus pressée de se garantir contre les chances d’un mauvais voisinage. Le stathouder fit donc défense à son envoyé de rien céder sur ce point capital, et Kaunitz maintenant son exigence, la négociation se trouva absolument en arrêt devant un obstacle en apparence infranchissable[15].

Que faire, en effet, du moment où l’Autriche ne voulait pas prendre livraison des Pays-Bas sous la condition que d’autre part on persistait à lui imposer ? A qui pouvait-on en faire remise ? A quel titre demander à la France de commencer l’évacuation qu’elle avait promise et de se dessaisir de ce précieux gage sans lui faire savoir dans quelles mains elle le laisserait ? Et cependant l’échange réciproque des restitutions étant la base même sur laquelle reposait tout l’échafaudage des préliminaires, tant qu’un soldat français restait en Flandre, l’Angleterre ne voulait pas lâcher prise en Amérique. On espéra bien, un instant, obtenir que la France remît sa conquête en dépôt entre les mains de la Hollande ; mais la France n’avait pas eu assez à se louer de la république pour lui donner une telle marque de confiance. Personne ne voulant ainsi taire le premier pas, tout se trouvait paralysé.

Ce n’était pas tout, ni le seul inconvénient de ce retard indéfini. Tant que l’acte formel n’était pas conclu, la paix n’existait encore qu’en expectative et en espérance : l’humanité commandait bien de suspendre les opérations militaires, mais la prudence ne conseillait pas moins impérieusement de ne pas se dessaisir des moyens de les reprendre, si l’accord préparé venait à ne pas se réaliser. Un armistice, le mot l’indique, n’a jamais permis de désarmer. Chacun garde ses positions et reste en éveil pour se préparer à tout événement et se préserver de toute surprise. Point de difficulté pour les troupes qui de part et d’autre restaient en présence sur les deux rives de la Meuse. Mais, que faire de ces étranges auxiliaires qu’on avait appelés de si loin, à si grands frais, en proclamant, si haut que leur apparition au jour du combat, serait nécessaire autant que décisive ? Fallait-il renvoyer les Russes dans leurs solitudes lointaines, au risque de ne plus les retrouver au cas peu probable, mais toujours possible, d’une reprise d’hostilités ? Mais les arrêter en pleine marche au centre de l’Allemagne, dans des campemens improvisés, imposer aux populations déjà mécontentes le poids incommode de leur présence, était-ce possible ? Pouvait-on abuser à ce point d’un simple droit de passage et mettre à si forte épreuve la tolérance du corps germanique ? Il était dur pourtant de laisser ces troupes avancer, quand chaque jour de marche était une lettre de change tirée sur le trésor anglais, et accroissait d’avance les frais du retour à opérer, après une course probablement inutile. L’embarras était grand, d’autant plus qu’il ne fallait pas compter, pour en rendre la charge moins lourde, sur la bonne grâce et l’obligeance de la tsarine.

Cette capricieuse princesse ne s’était décidée, après bien des hésitations, à se mettre en mouvement, que parce qu’on avait grandi à ses yeux l’importance du rôle qu’elle allait jouer, en mettant par un coup d’éclat un terme aux souffrances des peuples. Elle y avait pris goût et ne renonçait qu’à regret à faire cette entrée brillante sur la scène diplomatique et militaire de l’Europe. La signature imprévue des préliminaires lui avait causé une vive contrariété et presque autant qu’à elle, à son chancelier Bestouchef et au ministre anglais accrédité à sa cour, lord Hyndfort, qui, après l’avoir provoquée à se mettre en avant, se trouvait fort déconcerté par le brusque revirement de sa cour. Aussi, ministre, souveraine et ambassadeur travaillaient-ils de concert à tout entraver. A tout le moins la tsarine aurait-elle voulu, en récompense du concours qu’on avait exigé d’elle, être représentée au congrès, mettre sa signature à côté de celle de ses frères en royauté qui ne l’avaient jamais traitée en égale, et acquérir ainsi droit de cité parmi les puissances civilisées : honneur que n’avait pas eu en partage même le grand Pierre, son illustre père. Pour maintenir cette prétention que l’Autriche appuyait, que l’Angleterre ne décourageait pas, mais que la France combattait résolument, il lui importait d’être présente et de faire sentir sa main jusqu’à la dernière heure ; aussi, ne négligeait-elle rien pour rapprocher ses troupes du lieu où se jouerait le dénoûment du grand drame, et on put remarquer que ses soldats n’avaient jamais avancé plus rapidement que depuis qu’au rendez-vous où ils avaient hâte d’arriver, ils n’étaient plus attendus, ni désirés par personne[16]

Cette attitude des Russes qu’on voyait se porter en avant d’un pas précipité, comme pour arriver à temps sur un champ de bataille au moment où tout le monde croyait à la paix conclue, — ce retard inexplicable d’une solution qu’on avait saluée d’avance comme certaine, répandirent bientôt dans toute l’Europe un trouble et un malaise général, d’autant plus qu’on apprenait en même temps que l’Autriche rassemblait des troupes sur le Tessin, et paraissait prête à les mettre en campagne. Le but de cette démonstration ne pouvait être (nous le savons), de la part de l’impératrice, que de se préparer à défendre contre le roi de Sardaigne, ou à reprendre sur lui les territoires qu’elle se repentait de lui avoir cédés. Mais pour ceux qui ne connaissaient pas ce dessous de cartes, on pouvait croire que, ne s’étant pas fait comprendre dans l’armistice, elle méditait quelque coup de main, et Richelieu, toujours enfermé dans Gênes, aussi bien que Belle-Isle qui avait enfin été prendre le commandement de l’armée d’Italie, se mettaient en garde pour ne pas se laisser surprendre. On entendait ainsi de tous côtés le bruit des armes et on se voyait prêt à rentrer dans les épreuves dont on se croyait sorti. C’était une consternation universelle, et de toutes parts on se retournait vers les signataires des préliminaires pour leur demander compte des fausses espérances qu’ils avaient fait naître et de l’attente dans laquelle ils laissaient languir ceux qui s’étaient fiés à leur parole[17].

Saint-Séverin était peut-être moins troublé qu’un autre d’une émotion qu’il avait dû prévoir, et dont la cause était en partie imputable aux encouragemens secrets qu’il avait donnés à la résistance de l’Autriche. Mais il n’en était pas de même de ses associés Sandwich et Bentinck, qui se sentaient compromis aux yeux de leurs concitoyens et placés, par le retard qui suivait leurs promesses, dans une position fausse dont ils avaient hâte de sortir. Leur impatience contre les difficultés suscitées par l’Autriche (dont ils ignoraient l’origine) était très vive et s’exprimait en termes amers. Ils demandaient instamment qu’à tout prix on en finît, et, pour couper court à toute hésitation, qu’on procédât à l’acte définitif, comme on avait fait pour la convention provisoire, c’est-à-dire en recevant tout de suite les signatures qui seraient prêtes et en laissant le protocole ouvert pendant un délai fixé d’avance pour l’accession des dissidens. Nul doute, suivant eux, que l’Autriche, devant ce parti nettement pris, ne finît par se résigner, surtout si on lui faisait entendre qu’on pourrait se passer d’elle, en cédant les Pays-Bas en apanage à l’infant. Le moyen était énergique et, suivant toute apparence, la menace seule aurait suffi : mais le conseil, pour être suivi, avait besoin d’un agrément sur lequel on croyait avoir droit de compter et qui, au dernier moment, ne put être obtenu.

Ce fut le roi d’Angleterre qui se refusa absolument à faire un pas de plus dans une voie où il n’était entré qu’à regret, comme contraint et forcé. Le rapprochement avec la France, fait à l’insu et aux dépens de la plus ancienne alliée de l’Angleterre, renversait toutes ses habitudes et choquait toutes les préventions dans lesquelles son esprit étroit était nourri dès l’enfance. Son ministère anglais l’y avait difficilement converti, en lui parlant au nom d’un parlement qui tenait les clés de son trésor épuisé. Mais dès que la mer le séparait de ses conseillers britanniques, il repassait sous le joug de son ministère hanovrien bien plus cher à son cœur, et lui parlant un langage plus conforme à ses sentimens. Ces confidens, dont les sympathies pour l’Autriche s’étaient manifestées à plus d’une reprise pendant la guerre, n’eurent pas de peine à lui persuader que, la France étant ennemie héréditaire et l’Autriche une amie de longue date, il fallait se garder, par un excès de rigueur et par une injure qui laisserait de longs ressentimens, de convertir une dissidence passagère en une rupture durable. La crise du jour passée, il fallait garder la porte ouverte pour revenir à ce que George appelait lui-même son vieux système, la coalition antifrançaise qui avait fait, depuis le commencement du siècle, la force et la sécurité de sa dynastie.

Le premier ministre Newcastle, qui accompagnait le roi et qui avait toujours partagé ou flatté ses préférences, entra aisément dans la même pensée, et la conséquence fut qu’au lieu de l’autorisation de conclure sans délai, Sandwich reçut l’interdiction de pousser les choses à l’extrême et l’ordre de prendre avec Kaunitz un ton plus affectueux pour chercher de concert avec lui un terrain de conciliation. L’instruction assez sèche lui laissait voir qu’on le soupçonnait de s’être laissé séduire par l’envoyé de France et de subir aveuglément son influence[18].

La réprimande, qui ressemblait à un désaveu tardif, causa à Sandwich et à son collègue hollandais, qui ne se séparait plus de lui, un effet égal de colère et de désespoir. Bentinck s’écria que tout était perdu, qu’il n’y avait rien à faire avec des gens dont l’humeur variait tous les jours, et qu’il retournait à La Haye, ne voulant plus se mêler de rien. On peut juger quelle impression produisait, dans les cercles bruyans de la Hollande, l’éclat de cette retraite précipitée. Chez Sandwich, très piqué du reproche qui lui était fait, la fierté du pair d’Angleterre se montra plus résistante : il n’hésita pas à en appeler du Hanovre à Londres, et du premier ministre au chef de la majorité parlementaire. Il écrivit directement à Pelham pour le prévenir que les instructions qu’il recevait conduisaient tout droit à la reprise des hostilités, attendu que des ménagemens qui paraîtraient dictés par la faiblesse n’amèneraient certainement pas l’orgueil de l’Autriche à capitulation. Il savait à qui il parlait, car rien ne pouvait moins convenir à celui qui avait, à faire dans le parlement aux critiques souvent amères de l’opposition, que la perspective d’y reparaître avec de nouveaux impôts à proposer et de nouveaux sacrifices à demander. Aussi vit-on s’engager entre les deux frères Pelham une correspondance où les formes habituelles de l’affection dissimulaient mal un fond d’aigreur. L’un réclamait la paix à tout prix, l’autre insistait sur les précautions à prendre en vue de l’avenir, avant de s’engager à fond dans une voie nouvelle. Un peu plus, et de cette querelle de famille pouvait sortir la dissolution du ministère. Pour le coup, le désarroi était au comble, et si Saint-Séverin n’avait voulu que jeter partout la confusion, il pouvait s’applaudir d’y avoir réussi, peut-être au-delà de son attente. C’est ce dont le duc de Newcastle se rendait compte avec une perspicacité qui lui fait honneur. « Ne voyez-vous pas, écrivait-il à Sandwich, la joie que vous causez à Saint-Séverin ? Il a réussi à se mettre bien des deux côtés, et il sait le parti qu’il en peut tirer ; s’il peut nous faire choquer les uns contre les autres (knock our heads together), il n’y manquera pas, et il est en bon chemin d’y parvenir[19]. »


II

Il était naturel que les puissances engagées dans la dernière lutte et menacées d’avoir de nouveau à en courir les chances vissent avec un trouble profond cet échec inattendu d’une grande affaire qu’elles croyaient terminée. Mais il paraît moins facile de comprendre au premier abord par quelle raison cette inquiétude fut presque aussi vivement ressentie par un adroit politique qui aurait dû y rester indifférent, puisqu’il avait su prudemment se tenir à l’écart, au moins pendant les dernières années, de tous les hasards de la guerre ;

Il est pourtant vrai que Frédéric : qui, de Merlin, suivait avec sa vigilance accoutumée1 toutes les phases de la négociation, s’émut vivement de ce temps d’arrêt, et que peut-être à aucune époque de sa vie on ne le vit en proie à une aussi grande agitation que pendant ces mois d’attente. C’est qu’il sentait que tout le système fédéral de l’Europe était remis en question dans un sens encore mal défini, et qu’il se demandait avec anxiété à quoi il devait dès lors se préparer, quelles amitiés il avait à rompre, quelles inimitiés à braver, et sur quels nouveaux auxiliaires il pouvait compter.

Au premier moment, le fait même de la paix, ou tout au moins les conditions dans lesquelles elle paraissait prête à être conclue, l’avaient comblé d’une satisfaction sans mélange. Rien ne pouvait mieux lui convenir qu’une rupture ouverte entre l’Angleterre et l’Autriche. Il sentait que, privée de cette amitié précieuse, l’Angleterre devait naturellement chercher à la remplacer. C’était du côté de la Prusse que les liens de parenté des deux familles royales et la communauté d’origine et de religion des deux peuples devaient tourner ses regards. Quant à lui, tout son désir, je l’ai dit, était depuis longtemps de trouver à Londres un appui qu’il pût substituer avec avantage à cette tutelle de la France, dont il avait tour à tour, avec une égale impatience, porté le poids et secoué le joug, mais dont il savait que le patriotisme germanique lui savait très mauvais gré. Par un singulier hasard, il avait eu, justement la veille du jour où la signature des préliminaires fut connue à Berlin, l’occasion de s’exprimer à cet égard avec une franchise inattendue. Il donnait une première audience ce jour-là au ministre anglais, sir John Legge, que le roi George, on l’a vu, s’était enfin décidé, bien à regret, et après bien des hésitations, à lui envoyer. Bien que la démarche de l’oncle ne fût encore qu’à moitié cordiale, le cabinet anglais avait cru pouvoir en profiter pour faire parvenir au neveu les plus chaudes protestations d’amitié. Frédéric les reçut de la meilleure grâce, comme s’il ne doutait pas de leur sincérité, et se mit de lui-même à exposer sous une forme presque dogmatique ses prévisions et ses desseins d’avenir.

« Dès que je suis arrivé à Potsdam, écrivait l’agent anglais, il m’a fait admettre immédiatement et asseoir auprès de lui et commença tout de suite à me dire qu’il était très sensible aux bons sentimens du roi de la Grande-Bretagne à son égard. Il se défendit alors de tout engagement avec la France, et de tout désir d’en contracter de nouveaux, et donna de très justes raisons de cette opinion. Je me souviens, en particulier, qu’il insista sur ce point, que la France était à une trop grande distance de lui pour lui venir en aide dans les momens critiques, où cette assistance pourrait lui être nécessaire. Il a ajouté que personne n’avait jamais longtemps à s’applaudir d’une alliance avec la France, et qu’il connaissait trop bien le tempérament de la cour de France, pour ne pas savoir les exigences excessives qu’elle impose à ceux qui s’appellent ses alliés, de sorte qu’en réalité, être allié de la France, c’est être son esclave. Il savait, au contraire, m’a-t-il dit, que la situation des puissances maritimes les mettait en mesure de lui venir en aide plus efficacement. De ce côté un fond substantiel d’intérêts communs, les liens les plus forts de la religion, de la politique et du sang permettaient d’établir une alliance solide et sur laquelle on pourrait compter, principalement avec l’Angleterre. Si donc il avait été obligé de recourir par occasion à l’appui de la France, il savait où étaient les vrais et substantiels intérêts de son pays, et il était prêt, aussitôt que la paix générale le délivrerait entièrement de ses obligations envers la France, à entrer dans l’union la plus étroite et la plus cordiale avec les puissances maritimes pour la sécurité future des libertés de l’Europe. Et là-dessus il me donna la main et m’exprima le désir que j’écrivisse à ma cour afin d’obtenir les pouvoirs et les instructions nécessaires pour conclure une alliance défensive avec la Grande-Bretagne, dès que la guerre serait terminée. »

Legge, un peu surpris de la promptitude et de la franchise de l’ouverture, n’avait qu’à abonder dans un sens si conforme à ses instructions et à ses espérances. Mais comme il était loin de s’attendre encore à une si prochaine conclusion de la paix, il aurait désiré naturellement obtenir quelque promesse d’une application plus immédiate. D’ailleurs, il avait reçu à Aix-la-Chapelle, principalement du ministre hollandais, la commission de représenter au roi le danger que l’attaque vigoureuse portée par Maurice de Saxe sur le territoire de la république faisait courir à la religion protestante et de l’engager à s’y opposer au besoin par la force. Puisque le roi voulait, lui dit-il, avoir la Hollande pour alliée dans l’avenir, pourquoi souffrir qu’elle fût accablée dans le présent et laisser fermer ainsi la communication naturelle de l’Allemagne et de l’Angleterre ? Connaissant d’ailleurs qu’une des faiblesses de Frédéric était fa méfiance haineuse contre son voisin de Dresde, Legge ne manqua pas d’ajouter que le commandant de l’armée française était allié de la maison de Saxe et qu’on pouvait le soupçonner de travailler, en même temps qu’au succès de la France, à l’agrandissement de sa famille.

« Sa Majesté m’a répondu, continue Legge, qu’il y avait du vrai dans ce que je lui disais, mais qu’il ne lui était pas possible de prendre en ce moment aucune mesure qui le fit sortir de la neutralité. La France, ajouta-t-il, avait mis tout en œuvre pour le décider à lui venir en aide par une action de cette nature, mais il s’y était constamment refusé ; il avait assurément toute raison de n’être pas satisfait de la conduite de la France à son égard : mais, d’un autre côté, il avait reçu d’elle tant de services et d’assistance dans ses premières difficultés, qu’il se faisait un point d’honneur de ne pas prendre parti contre elle. Il désirait donc voir la tranquillité générale rétablie, et quand il n’aurait plus de ménagemens à garder avec la France, il serait prêt à s’unir d’une façon aussi ferme que cordiale avec les puissances maritimes[20]. »

Pas plus tard que le lendemain, la condition était remplie, puisque la nouvelle de la signature des préliminaires se répandait comme un éclair dans toute l’Allemagne. Frédéric, en mettant ainsi sa pensée à découvert, avait-il eu une communication anticipée de ce brusque dénoûment ? On ne peut le supposer, puisque tout s’était passé, on l’a vu, à huis-clos et en quelques heures, dans le cabinet du ministre d’Angleterre. Il est probable que c’était d’un côté opposé qu’il regardait, et qu’informé des relations intimes qui avaient existé jusqu’à la veille de la signature des préliminaires entre Kaunitz et Saint-Séverin, et plus inquiet qu’il n’en voulait convenir de ce qu’il appelait ce chipotage entre la France et l’Autriche, il se mettait en garde contre l’éventualité qui en pouvait sortir.

Quoi qu’il en soit, c’était la paix, il était libre : et dans les termes où la solution s’annonçait, l’Angleterre se trouverait également en liberté de répondre à l’invitation pressante qu’il avait eu la bonne fortune de lui adresser par avance.

Le texte des préliminaires, quand il lui fut communiqué, était bien de nature à accroître sa satisfaction ; il y trouvait, en effet, en termes exprès, cette garantie de sa conquête de Silésie qui était l’objet de ses vœux et qu’il n’avait jamais cessé de solliciter. Et ce qui peut-être lui fut aussi agréable que la chose elle-même, c’est que Sandwich eut l’attention de lui faire connaître sans délai cette disposition si désirée, tandis que Saint-Séverin fit la faute de n’y pas songer. Dès lors, il était en droit d’en attribuer tout le mérite, et d’en rapporter toute la reconnaissance à la seule Angleterre. Puisieulx, à la vérité, averti de la négligence de son agent, s’efforça de la réparer. C’était la France, assura ce ministre, qui n’avait jamais cessé d’insister pour faire confirmer une conquête qu’elle avait toujours regardée comme son avantage personnel. Mais il était trop tard, le bienfait avait perdu le mérite de la nouveauté, et Frédéric en fit des remercîmens très froids sur un ton d’incrédulité-presque ironique ; — « Les soupçons, écrit Valori, trouvent ici un accès facile, et pour peu qu’ils y soient aidés, ils y prennent racine. Le prince de Prusse (le frère du roi), interrogé par le maréchal de Schmettau, a dit qu’on avait trouvé la France très refroidie sur cet article, depuis que le roi, son frère, avait refusé d’entrer dans aucune mesure pour traverser la marche des Russes, et que, soit pour s’en venger, soit pour quelque autre intérêt, elle se mettait médiocrement en peine de lui procurer cette garantie et eût été charmée d’en abandonner le projet, moyennant quelque intérêt réversible à elle-même. Je ne serais pas étonné que ce fût le sentiment du roi de Prusse… il est assez dans son caractère de chercher des raisons pour diminuer l’obligation qu’il a au roi et tendre à faire partager le service avec d’autres. » — « Je ne doute pas, écrivait en effet Frédéric à Chambrier, que si la France avait pu faire des convenances à son gré, elle ne m’eût sacrifié pour se les procurer… Les sentimens que M. de Puisieulx vous exprime sont admirables, et de nature qu’il ne me resterait rien à désirer à leur égard. Aussi mon intention est-elle que vous le combliez de complimens de ma part, et que vous le payiez de la même monnaie que celle qu’il vous a donnée[21]. »

Ainsi délié des obligations qui lui pesaient, il se livre avec une véritable effusion de joie à l’espérance d’une nouvelle amitié bien plus conforme à ses goûts ; et il fait part de cette espérance avec une précipitation peu réfléchie à ceux qui représentent ses intérêts dans les lieux où ils sont le plus sérieusement engagés. A Mardefeld, son ministre à Saint-Pétersbourg : « Quoique j’aie, lui écrit-il, toutes les apparences par devers moi de me voir sur un très bon pied avec l’Angleterre, et qu’ainsi je n’aurais plus grand’ chose à appréhender de la Russie, je ne vous en recommande pas moins pour cela de vous conduire prudemment là où vous êtes. » — Avec Podewils, son ministre à Vienne, il est plus net encore : — « Tout ce que le sieur Robinson (le ministre anglais à Vienne) peut vous dire ne signifie autant que rien, parce qu’il n’est pas au fait des affaires. Vous pouvez compter, tout au contraire, fort et ferme sur ce que je vous écris, me revenant de la part du chevalier Legge, qui est instruit à tous égards du vrai état des affaires. Comme il paraît que vous ne savez pas proprement ce qui se traite à Vienne, je veux bien vous informer, moi, que le système de l’Europe s’est déjà changé effectivement en sa plus grande partie, que je me trouverai dans peu sur un bon pied avec la Grande-Bretagne, qu’il y a une grande désharmonie et mécontentement entre la reine de Hongrie et l’Angleterre ; que le ministère autrichien est même dans une rage terrible contre l’Angleterre. Dans vos raisonnemens sur les conjectures présentes, vous vous bornez simplement à la cour de Vienne sans envisager en même temps le tableau universel de l’Europe, ce que pourtant vous dussiez faire pour vous convaincre que ceux qui gouvernent et donnent le branle aux affaires d’Europe ne sont pas rencognés à Vienne. » — Ainsi point de soucis : l’Autriche a beau résister, quand les subsides des puissances maritimes lui manqueront, elle poussera des cris de douleur, mais il faudra bien qu’elle cède ; les Russes ont beau avancer et s’attarder en Moravie, comme ils sont mercenaires de l’Angleterre, « ils n’y feront pas d’autre effet que s’ils étaient auprès des marais Méotides, et quant à la bonne intelligence qui semble vouloir se mettre entre la France et l’Angleterre, elle se fonde sans doute plutôt sur de simples complimens et politesses que sur quelque chose de réel. Les intérêts de ces deux couronnes sont trop différens et trop éloignés les uns des autres pour qu’il en résulte jamais rien de solide[22]. »

Quelque chose aurait toujours manqué chez Frédéric à la joie de l’orgueil triomphant et de l’ambition satisfaite, s’il n’avait pu y joindre le plaisir de se jouer, par des propos blessans, de ceux dont il s’applaudissait de contrarier les desseins ; et quand c’était la France qui se trouvait sur son chemin, ce contentement paraissait prendre pour lui une saveur toute particulière. Aussi, autant il se félicitait, pour son avantage personnel, de cette paix inespérée, autant il se plut à faire remarquer que le profit en était nul pour la France et qu’elle se faisait mal payer de ses sacrifices et du succès de ses armes : « Ce sont donc des idiots et des ignorans qui gouvernent la France, disait-il, pour savoir si mal tirer parti de leurs avantages. » — Ce jugement était exprimé si haut, et en termes souvent si plaisans, que Valori (attaché, à la vérité, au souvenir de d’Argenson et toujours prêt à prendre en bonne part le mal qu’on pouvait dire de son successeur) ne put s’empêcher d’en rire, et fit même la faute de s’y associer. — « Vous n’avez pas l’air content, disait la reine en souriant à cet ambassadeur. — Je suis enchanté, répondit-il, que le roi ait donné la paix à ses ennemis. » — C’était une manière assez fine et un peu hautaine de faire sentir qu’elle n’avait pas su la leur faire acheter.

Le seul des serviteurs de la France qui fut excepté du blâme commun, c’était toujours le maréchal de Saxe, que Frédéric continuait encore, dans une lettre flatteuse, à combler de complimens. Encore pourrait-on trouver l’intention malicieuse de le distinguer de son gouvernement, dans le soin avec lequel, après s’être étendu sur les nouveaux triomphes que le maréchal aurait pu obtenir, si on l’avait laissé achever la campagne, Frédéric ajoutait : « Que la paix se fasse, ou que la guerre se rallume, que la France maintienne ses conquêtes ou qu’elle les restitue, que les Russes joignent les alliés ou qu’ils retournent aux fanges des Palus-Méotides dont ils sont partis, tout cela peut être égal à votre réputation… C’est une vérité que je n’ose vous dire en face, la gloire qui vous est acquise est si solidement établie que dans les fastes des guerriers, malgré la rouille de l’envie et l’oubli du temps, votre nom sera toujours célèbre parmi ceux des plus grands généraux qui ont réuni dans un plus grand degré de perfection des talens les plus opposés. » Et il finissait par l’inviter à venir auprès de lui avec son ami Folard qui « donne de bons préceptes et qui radote[23]. »

Quelques semaines se passent et voilà que rien ne se conclut : l’incertitude, au contraire, renaît et se prolonge ; son enchantement alors diminue. On lui apprend que des rapports intimes et confidentiels paraissent repris entre Kaunitz et Saint-Séverin. D’où vient cela ? Serait-ce que l’Autriche, furieuse contre l’Angleterre, au lieu de comprendre la France dans sa colère, tend au contraire à se rapprocher d’elle pour préparer sa vengeance ? « Surveillez cela, » écrit-il à Chambrier. Puis ce sont les retards et la marche également inexplicable des troupes russes qui le surprennent et l’inquiètent. Il n’en avait cure tant qu’il les voyait courir vers un champ de bataille dont il avait eu la prudence de se tenir à l’écart. Mais maintenant pourquoi restent-elles et même avancent-elles encore ? Pourquoi ces longues stations, puis ces rapides passages le long de ses frontières ? Serait-ce que l’Autriche, après avoir fait sa paix à tout prix, songerait à retourner contre lui ces redoutables auxiliaires et chercherait à retrouver au nord la compensation de ce qu’elle aurait dû céder au midi ? Enfin ce qui achève de le jeter dans une perplexité croissante, c’est le séjour du roi et du premier ministre d’Angleterre en Hanovre, le langage qu’ils y tiennent, leurs efforts visibles pour panser la blessure de l’Autriche et se faire pardonner par elle. Voici Legge qui revient après avoir profité du voisinage pour visiter son souverain. Ses sentimens sont très refroidis, son langage bien plus réservé ; il recherche les ministres d’Autriche et de Russie à Berlin et s’entretient confidentiellement avec eux. Il semble que ce qu’on propose maintenant à la Prusse, ce n’est plus une alliance particulière avec l’Angleterre, mais une place dans une vaste coalition de toutes les puissances allemandes contre les desseins futurs de la France, où on lui offrirait une place à côté et presque à la suite de Marie-Thérèse. Puis on commence à parler d’ajouter à la garantie que les préliminaires donnent à la conquête de la Silésie, une caution réciproque assurée à l’Autriche pour le reste de ses domaines et à laquelle il serait lui, Frédéric, comme tous les autres souverains, sommé d’accéder. Rien de tout cela ne fait son compte, rien de tout cela surtout ne présente une idée claire à son esprit : il se sent entouré d’intrigues croisées qu’il ne réussit pas à démêler ; ce sont des fils enchevêtrés qu’il ne vient pas à bout de débrouiller[24].

Dans cet embarras, c’est vers la France, objet tout à l’heure de ses appréciations dédaigneuses, qu’il se retourne pour l’associer à ses inquiétudes. D’ailleurs, c’est son habitude, on l’a vu, à plus d’une reprise, de recourir à la France, après s’être éloigné d’elle, quand il voit l’horizon s’assombrir autour de lui, car il se croit sûr, même après l’avoir offensée, de la retrouver toujours en cas de besoin. Est-ce que la France ne voit pas que tout le monde se joue d’elle, que l’Autriche et l’Angleterre ne sont brouillées qu’en apparence, qu’on est en train de les réconcilier au Hanovre, et que c’est pour fondre sur elle par surprise que l’Angleterre a prolongé à grands frais le séjour des Russes en Allemagne : — « Avertissez donc la France, écrit-il à Chambrier, de ce qui se trame là contre elle ; mais cependant, ajoute-t-il, mesurez bien vos expressions afin de ne pas donner lieu au reproche ignominieux que les ministres de France m’ont déjà fait, comme si je ne songeais qu’à souffler le feu et à pêcher en eau trouble[25]. »

Effectivement, c’était l’opinion assez généralement répandue sur son compte en Europe, et l’interprétation qu’on aimait à donner, surtout à Versailles, aux jugemens sévères, portés par lui, d’une façon si blessante, sur la générosité excessive des concessions de la France. L’amour-propre de Louis XV et de ses ministres se plaisait à n’y voir que l’expression d’une contrariété égoïste ; s’il médisait ainsi des conditions de la paix, c’est que, dans quelques termes qu’elle fût conclue, ayant su rester tranquille lui-même au milieu de l’agitation générale, il aurait toujours regretté de voir cesser la discorde qui, en épuisant tout le monde, le grandissait lui seul en proportion. — « On accuse, lui écrit franchement Chambrier, Votre Majesté de désirer l’affaiblissement de toutes les puissances, sans embarras de la destruction du genre humain, pourvu que Votre Majesté croie que cela convient à ses vues. Il y a, outre cela, des impressions données que Votre Majesté ménage peu le ministère de France, et que, dans ses soupers familiers, elle lâche quelquefois des choses qui blessent le maître et ses ministres. Je sais que ceux-ci ont le cœur un peu gros, et bien qu’ils ne m’en aient laissé rien entrevoir, qu’ils sont un peu piqués. »

Averti ainsi du tort qu’il s’était fait et ne voulant laisser fermer aucune des portes auxquelles il pouvait encore, dans l’occasion, avoir besoin de frapper, Frédéric prit le parti assez peu généreux de rejeter la faute sur le malheureux ambassadeur qu’il avait lui-même mené à mal : — « Vous direz au marquis de Puisieulx, écrit-il à Chambrier, que je prenais véritablement part à ce que le roi de France venait de rendre la paix à l’Europe d’une manière qui lui était d’autant plus glorieuse qu’elle était moins intéressée ; que, bien loin que j’en eusse témoigné le moindre mécontentement, j’étais pénétré de la plus vive reconnaissance envers Sa Majesté très chrétienne de ce qu’elle avait bien voulu me faire inclure dans les préliminaires ; qu’en attendant, je ne pouvais lui cacher que c’était le marquis de Valori lui-même qui avait jeté partout les hauts cris contre les préliminaires, qu’il en avait fait ses doléances à tous ceux qui les avaient voulu entendre et que, de mon côté, je l’avais fait avertir en secret de son imprudence. Vous insinuerez au marquis de Puisieulx qu’il se pourrait peut-être qu’on eût mis ces explications peu mesurées du marquis de Valori sur mon compte ; que je faisais avertir ingénument lui, le marquis de Puisieulx, qu’après que le marquis de Valori eût fait autant de bruit sur les préliminaires, je m’étais une bonne fois donné l’innocent plaisir, sachant le caractère de ce marquis, qui se fâchait aisément et avec qui on se divertissait quelquefois en le mettant en feu, mais qui se radoucissait d’abord qu’on lui disait quelque chose de flatterie sur la personne du maréchal de Belle-Isle, je m’étais, dis-je, donné l’innocent plaisir de l’agacer un tant soit peu, que cependant je ne pouvais pas concevoir que le marquis de Valori dût avoir pris des plaisanteries pour des choses sérieuses et en eût fait rapport de la sorte à sa cour : que si toutefois il en avait agi ainsi, j’espérais que lui, le marquis de Puisieulx, ne voudrait pas prendre pour un tout de bon ce qui peut-être s’était passé entre le marquis et moi pour nous égayer un peu,.. que, tout au contraire, le marquis de Puisieulx pouvait compter fort et ferme sur une continuation des sentimens invariablement bons de ma part ; qu’au reste je me donnerai bien de garde de parler à l’avenir, de quelque façon que ce puisse être, d’affaires soit avec le marquis de Valori ou tel autre ministre étranger. Vous ne manquerez pas de faire toutes ces insinuations au marquis de Puisieulx d’une manière tout à fait honnête et des plus convenables. »

Avant d’accomplir cette commission si peu digne, Chambrier crut pouvoir demander à son souverain si vraiment il voulait faire à Valori un tort qui l’exposerait certainement à être révoqué : a Car c’est toucher, disait-il, une corde si délicate auprès du roi de France et du marquis de Puisieulx que rien ne pourra faire excuser ici le marquis de Valori,.. et on ajouterait en augmentation de déplaisance contre lui son peu de légèreté à se tirer des plaisanteries de Votre Majesté[26]. »

Frédéric n’avait, en réalité, aucun désir de se séparer d’un représentant de la France dont il croyait connaître de longue date le fort et le faible, qui, s’il lui avait quelquefois résisté, ne l’avait jamais desservi. Courant donc encore de nouveau après ses paroles, il ne crut pas pouvoir mieux faire que de charger Valori lui-même d’aller en son nom s’expliquer à Versailles sur les reproches qu’ils avaient encourus en commun. Le pauvre marquis avait obtenu un congé, assurément très mérité, car il n’avait pas quitté son poste un seul jour pendant les sept laborieuses années de la guerre, et quelles épreuves n’avait-il pas dû traverser ! Le roi le convia à dîner la veille de son départ, et avant et après le repas, eut avec lui une conversation dont il l’engagea à prendre note sur ses tablettes à mesure qu’il parlait. Il s’exprima alors absolument avec le même accent de franchise que peu de jours avant avec l’agent anglais, et le lecteur jugera lui-même si la ressemblance du ton n’est pas justement ce qui fait le mieux ressortir la différence de langage. Il aborda tout de suite le sujet des rapports qu’on lui supposait déjà avec le cabinet anglais. — « Je vais vous dire, lui dit-il, de quoi il s’agit. Les Anglais m’ont proposé une alliance et en même temps le mariage du duc de Cumberland avec ma sœur. J’ai répondu au premier article qu’avant de donner une réponse sur ce point, il fallait savoir le but de l’alliance proposée, et la nature des engagemens qu’on voulait me faire contracter. Quant au mariage de ma sœur, ma réponse a été purement négative, et en effet, si je ne trouve pas un roi ou un prince, je la garderai ; nous avons de quoi la nourrir, et je ne la crois pas faite pour épouser un sujet[27]. A l’égard de la proposition d’alliance, le seul éclaircissement qui m’ait été donné sur son but a été qu’on exigeait de moi que je garantisse la sanction pragmatique dans toute son étendue. Or, ce n’est pas mon compte, et je ne crois pas que ce soit celui de votre cour, et il n’y a pas d’apparence que vous me le conseilliez. » — Revenant alors sur le jugement qu’il avait porté au sujet des conditions de paix, « quant à ce qui le touchait, il dit qu’il avait tout lieu d’en être satisfait, mais qu’on ne pouvait avec justice lui faire un crime d’avoir désiré pour la France de plus grands avantages, et d’avoir raisonné en ami sur cet événement ; qu’il savait qu’on l’avait accusé d’avoir tenu des propos tendant à faire croire que, non-seulement il improuvait la paix, mais qu’il eût désiré la continuation de la guerre. »

Valori l’ayant interrompu ici pour lui dire que ce n’était là que le langage de quelques critiques oisifs et ignorans, et que le ministre ne se prêtait pas à de tels soupçons : — « Je connais mes amis à votre cour, reprit-il, et je ne crois pas que M. de Puisieulx en soit. Peut-être apprendrez-vous, quand vous serez sur les lieux, ce qu’il faut pour vous convaincre que je suis bien informé… Mais pour peu qu’on réfléchisse à mes intérêts, on verra qu’ils sont d’être unis avec la France. J’en fais ma principale occupation ; mais rien n’est plus rebutant que ces méfiances : elles sont de la fabrique de la cour de Vienne… Soyez sûr que vos intérêts me sont chers et que vous me trouverez toujours prêt à les appuyer. Je crois vous en avoir donné une preuve en vous confiant les propositions de l’Angleterre pour une alliance avec moi… Je suis averti qu’on traite entre les cours d’Angleterre, de Vienne et de Russie et avec la Hollande… Ces différens objets ont beaucoup de part à la marche des Russes. Je suis au fait de bien des choses depuis quelque temps. C’est le ministère du Hanovre qui gouverne le roi d’Angleterre, et par là ce ministère a la plus grande influence sur le conseil de Londres. » — Là-dessus, il congédia Valori en le priant d’assurer le roi de France qu’il connaissait tout le prix de son amitié, qu’il n’aurait jamais un plus fidèle allié, ni un admirateur plus zélé, et qu’il désirait ardemment et de tout son cœur trouver les occasions de l’en convaincre[28].

III

J’ignore si Valori, revenu en France, réussit à justifier Frédéric et à se disculper lui-même du reproche d’avoir mal parlé des conditions de la paix, mais ce qu’il y a de certain, c’est que Chambrier n’exagérait rien quand il disait que Louis XV et ses ministres étaient dans un état de susceptibilité et d’excitation extrêmes au sujet des reproches de complaisance excessive et presque de duperie qui commençaient à leur être communément adressés. Un mal apaisé, on le sait, est vite oublié, et la sécurité est pour les peuples, comme la santé pour les individus, un bien négatif dont la perte est très sensible, mais dont on cesse de goûter la jouissance dès qu’on s’habitue à le posséder. Ainsi on n’avait d’abord vu dans la paix que la fin des souffrances devenues insupportables ; mais, dès que le premier effet fut passé, dès que le commerce ne se plaignit plus de souffrances aiguës, dès que l’on cessa d’entendre parler de nouveaux impôts et de nouvelles recrues, on se prit à réfléchir et on dut reconnaître l’insuffisance des avantages obtenus en compensation de tant de sacrifices, et surtout en comparaison des conditions qu’on était obligé de subir. Le marquis d’Argenson qui, au premier moment, s’était vu forcé d’applaudir à la nouvelle de la paix, note avec satisfaction ce revirement de l’opinion dans son journal. Il oubliait sans doute que ces conditions, à la vérité assez peu satisfaisantes, étaient celles mêmes qu’il avait proposées, sans réussir à les faire accepter. Dès le 17 juin, il écrivait : — « A Paris et dans les provinces on est consterné. Quoi ! dit-on, nous rendons toutes nos conquêtes, tout sans exception : Louisbourg seul nous est rendu, Louisbourg, que ce mauvais ministre de la marine avait laissé prendre ; nous n’obtenons qu’un petit établissement pour don Philippe, établissement d’un bâtard de pape, à qui originairement il fut donné ; et l’Espagne, à qui nous rendons service, est mécontente des conditions. C’est un étranger, un Italien, seul ministre du roi au congrès, qui dispose ainsi de la fortune du royaume, et qui tranche comme il veut pour le plus mal ! Voilà des discours que je n’ai pu dicter, mais qui font quelque honneur à la mémoire récente de mon ministère[29]. »

Ce n’était plus là seulement le ton des conversations de la cour, mais des chansons railleuses circulant sous le manteau et des pamphlets acerbes en portaient partout les échos. Un de ces libelles, très avidement recherché, traitait nettement la paix de déshonorante, et ce qu’il y avait de plus grave, c’est que cet écrit plein de fiel était dédié au maréchal de Saxe, et qu’il y avait toute raison de croire qu’il n’avait pas été le dernier à en prendre connaissance. Maurice, en effet, revenu de Flandre, que ses troupes occupaient encore, ne se gênait pas pour dire très haut qu’on l’avait arrêté en pleine course vers de nouveaux triomphes, que si on l’avait laissé suivre son plan quelques semaines de plus, il menait l’armée française tambour battant jusqu’à Nimègue, et qu’il ne resterait plus rien qu’un souvenir de la république qui avait bravé Louis XIV et de la patrie de Guillaume d’Orange[30]. Il est vrai qu’il lui échappait de laisser percer des regrets personnels qui ôtaient quelque valeur à ses appréciations. — « Voilà la paix, disait-il, nous allons tomber dans l’oubli : nous sommes comme les manteaux, on ne songe à nous que pendant la pluie. »

Mais l’opinion fut bien plus émue encore, quand on vit que rien ne se terminait, et qu’on entendit même dire que cette négociation, déjà si peu attrayante, était menacée de ne pas aboutir. Ce ne turent plus seulement des murmures, mais une clameur générale. En vérité, même au prix de tant d’efforts et après tant de succès, ne pouvoir pas même compter sur un peu de repos ! Avoir perdu un temps précieux, laisser échapper une occasion qui ne reviendrait peut-être plus ; en tout cas, effacer par la faiblesse de la politique l’impression de terreur causée par nos armes, la déception était pénible, c’était la preuve chez les gouvernans d’une incapacité notoire.

Puisieulx, tout en faisant bonne contenance, ne laissait pas d’être ému : « Les libelles contre les préliminaires, écrivait-il à Belle-Isle, courent les cafés de Londres et de Paris, on fronde autant le ministère anglais que je le suis ici : cette différence d’opinion est une preuve des préventions de la critique des hommes. L’ouvrage d’Aix-la-Chapelle a été plus applaudi d’abord qu’il ne méritait et on le critique trop aujourd’hui. J’ai reçu, grâce à Dieu, la louange et le blâme avec la même indifférence parce que j’ai cru voir les choses telles qu’elles sont… Il semblerait que les alliés voudraient donner des interprétations forcées aux préliminaires : si cela est, nous aurons bientôt repris les armes. J’espère cependant qu’ils y feront réflexion et que tout s’apaisera. Les peuples qui doivent être comptés pour quelque chose verraient avec douleur les espérances qu’ils ont conçues s’évanouir[31]. »

Les peuples, en effet, auraient été très déçus si, prenant au sérieux les saillies frondeuses de quelques critiques, on les eût replongés dans les souffrances dont ils ne commençaient à parler légèrement que parce qu’ils croyaient en être délivrés. Mais ce n’était pas seulement avec les peuples qu’il fallait compter, c’était aussi et surtout avec le roi qui, dégoûté de la vie des camps après l’ingrate station qu’il y avait faite l’année précédente et rentré cette fois pour jamais dans sa vie de plaisir, était résolu à ne plus s’imposer de nouveaux ennuis. Il prenait très mal les murmures mêmes du maréchal de Saxe : — « Voilà, dit-il, le style de MM. les généralissimes, leur politique est toujours à boulet rouge. » — Comprenant très bien que la seule manière de mettre un terme à cette agitation incommode était de placer les mécontens en présence d’un fait définitivement accompli : sentant que tout serait compromis si, l’incertitude se prolongeant, la paix se trouvait décriée avant d’être conclue, il donna ordre de faire revenir de nouveau Saint-Séverin, sous prétexte de lui remettre le cordon bleu, mais, en réalité, pour lui enjoindre cette fois, sans commentaire, de tout terminer au plus vite.

C’était, en effet, sur cet envoyé, un instant porté aux nues, qu’on commençait à rejeter toutes les fautes et à lui que l’impatience publique s’en prenait ; on l’accusait couramment de s’être précipité, avec un empressement sans dignité, dans une voie si mal préparée qu’on ne savait plus aujourd’hui où elle allait conduire. Puisieulx, sans pouvoir désavouer un agent qu’il avait choisi et dont il avait approuvé tous les actes, laissait pourtant faire à côté de lui par ses meilleurs amis ce reproche qui lui servait à lui-même, au moins en partie de justification : — « Je ne crois point du tout, lui écrivait, de Gènes, Richelieu (que la reprise des hostilités pouvait exposer à de véritables périls), que mon attachement pour vous m’aveugle, et je suis bien persuadé qu’il n’y aurait que vous de capable de faire une paix qui pût être raisonnable et durable, et il me semble en même temps que personne n’y était moins propre que M. de Saint-Séverin : tout ce qui m’en revient est d’un homme qui a tous les défauts opposés à toutes les qualités qui seraient nécessaires en pareil cas, et je crois que l’empressement démesuré et scandaleux que nous montrons de finir nous fera faire un ouvrage qui nous conduira à une guerre prochaine el à des embarras sans fin. Mais pour vous et pour moi, sortons vite de ceux-ci au moins, car votre situation et la mienne est très mélancolique[32]. »

Rappelé ainsi à Versailles en toute hâte, Saint-Séverin reçut l’ordre de conclure sans délai, non-seulement de la bouche royale, mais d’une autre qui, pour un bon courtisan comme lui, avait plus d’autorité encore ; ce fut Mme de Pompadour qui, dès son premier entretien et sans le laisser parler, lui dit : — « N’allez pas revenir sans la paix, le roi ne veut plus de guerre. » — Avec Puisieulx, son explication, dont nous n’avons pas les détails, dut être un peu vive, car les étranges communications qu’il n’avait pas craint de faire à Kaunitz, par l’intermédiaire du secrétaire saxon, — rapportées, commentées et amplifiées par ce confident indiscret, — circulaient de Vienne à Dresde et formaient un véritable commérage diplomatique. On ne savait plus comment s’en tirer. Puisieulx était harcelé par le comte de Loos, qui venait lui demander avec surprise pourquoi le langage tenu par l’envoyé de France à Aix-la-Chapelle différait de celui qu’on lui faisait entendre à lui-même, à Versailles, et annonçait que sa cour faisait partir un envoyé exprès pour venir tirer la chose au clair. — « Dans quel galimatias sommes-nous fourrés ? s’écriait Puisieulx avec impatience : si on a trompé l’Autriche, comment la désabuser sans l’offenser, et si la chose se sait, comme cela ne peut manquer d’arriver, que va-t-on penser de nous à Londres et à Berlin ? » — Je ne sais comment Saint-Séverin réussit cette fois à présenter des explications rassurantes de sa conduite. Ce qu’il y a de certain, c’est que sous prétexte de lui donner un collaborateur plus expert que lui en écritures diplomatiques, — en réalité peut-être pour le surveiller et prévenir de nouveaux coups de tête, — on lui donna un adjoint qui dut repartir avec lui ; c’était le même La Porte du Theil, qui avait déjà figuré à la conférence de Bréda et qui dut être chargé de tenir la plume pour la rédaction du traité définitif. Les deux représentans reçurent un pouvoir collectif qui ne leur permettait pas d’agir, ni même de correspondre l’un sans l’autre, et le roi, en le leur remettant, leur dit d’un ton qui ne souffrait pas de réplique : « Allez, messieurs, et finissez vite[33]. »

Une instruction si impérative ne pouvait manquer d’être obéie : et dans la situation dominante qu’occupait la France et dont elle profitait si mal, l’effet en était certain. D’autant plus qu’au même moment le gouvernement anglais, éprouvant la même impatience d’un retard qui remettait tout en question, recourait pour y mettre un terme au même moyen que le ministre français. Aussi peu content de Sandwich qu’on l’était, sans le dire, de Saint-Séverin à Versailles, bien que par d’autres motifs, il crut devoir lui adjoindre, sous forme d’auxiliaire, un véritable surveillant. Le choix porta sur le ministre anglais à Vienne, Robinson, dont la situation en face de Marie-Thérèse, après tant de violentes altercations, était devenue très difficile, mais qui, en raison de son long séjour à Vienne, paraissait plus propre qu’un autre à trouver quelque moyen de taire sortir l’Autriche de sa position de bouderie hautaine. Robinson arrivait donc de Vienne, très froidement congédié par l’impératrice, et, par là même, très pressé d’en finir. Les quatre plénipotentiaires, auxquels se joignit le Hollandais, qu’on décida à revenir, formaient ainsi un congrès en miniature, qui se mit à l’œuvre sans retard, et tout marcha dès lors assez rapidement[34].

Du Theil était un esprit conciliant et un écrivain habile, fertile en expédiens pour ménager, par des rédactions heureuses, les amours-propres en conflit. Robinson, au contraire, était un Anglais de la vieille roche, prenant volontiers le ton dogmatique, et pensant tout emporter de haute lutte. Mais ni la douceur insinuante de l’un, ni la hauteur de l’autre, ne suffiraient à expliquer comment des difficultés qui, la veille, paraissaient insolubles, disparurent par enchantement. La vérité est que le retour de Saint-Séverin en compagnie et sous bonne garde fit comprendre à Kaunitz et par lui à Marie-Thérèse qu’ils n’avaient plus rien à attendre du langage ambigu de la France et du double jeu de son envoyé. Le mieux était donc de courber pour ce jour-là la tête sous la nécessité afin de mieux préparer la revanche du lendemain ; c’est ce que Saint-Séverin trouva encore moyen de faire entendre à l’oreille. — « Laissez finir ceci, dit-il à Kaunitz, après chacun pourra se faire un système à l’avenant de son goût, et c’est alors que l’Autriche nous retrouvera si elle nous cherche sincèrement et de bonne foi[35]. »

L’accord étant fait ainsi, par suite de cette résignation forcée, au fond des choses, la forme ne devait pas tarder à suivre. Successivement, en effet, la marche des Russes fut arrêtée par une convention intervenue entre les puissances maritimes, sous la condition que la France retirerait, en même temps, des Pays-Bas, un nombre de troupes sensiblement égal à celui que devait apporter ce corps auxiliaire. L’Autriche consentit à laisser rentrer les troupes hollandaises dans celles des places de la barrière dont les fortifications n’étaient pas démolies, moyennant une formule qui réservait ses droits de souveraineté. La garantie des cessions faites à la Sardaigne et à la Prusse qui arrachaient l’âme à Marie-Thérèse fut plus difficile à obtenir d’elle ; mais elle céda à l’assurance qui lui fut donnée que la pragmatique sanction de Charles V serait mentionnée dans le traité, comme l’une des bases de la paix, et qu’une consécration nouvelle serait ainsi donnée à ce qui subsistait encore de cet acte, après toutes les violations et les atteintes qui y avaient été portées. Quand des points de cette importance étaient réglés, que pouvaient signifier les contestations, encore assez vives, élevées par l’Espagne au sujet de la date fixée pour l’expiration du néfaste contrat de l’asiento et des cas où l’apanage constitué à Tintant devrait faire retour à ses anciens possesseurs ? Ces discussions stériles faisaient seulement voir que chacun, étant mécontent, ne cédait qu’à regret et ne subissait la nécessité qu’en la maudissant. Ce fut par suite de ce sentiment de mauvaise humeur générale que le traité, signé entre les plénipotentiaires de France, d’Angleterre et de Hollande, le 18 octobre 1748, ne reçut qu’après quelques jours et même quelques semaines d’attente, l’accession de l’Autriche, de l’Espagne, et même de la Sardaigne. Toutes ces puissances tenaient à bien établir qu’elles n’abandonnaient pas volontairement leurs prétentions, mais qu’elles n’en faisaient le sacrifice provisoire qu’au bien des peuples et au repos général de l’Europe : — « Nous entrons dans une maison de carton, dit Kaunitz, il faudra voir si on pense en faire quelque chose de plus solide[36]. »

Chose singulière, une des premières accessions qui vinrent s’ajouter à la signature des plénipotentiaires, ce fut celle de Frédéric qui, pourtant, s’était tenu jusqu’à la dernière heure à l’écart de la négociation et s’était refusé constamment à accorder à l’Autriche, en échange de ce que le traité lui attribuait à lui-même, la réciprocité qu’elle réclamait et qu’on avait fini par lui accorder. Son historien et son panégyriste, Droysen, s’étonne de cette contradiction et finit par en donner une explication qu’il croit véritable : c’est, suivant lui, que, n’ayant aucune confiance dans la durée de la paix, Frédéric ne voulait pas se trouver isolé en Europe le jour prochain et probable où de nouveaux conflits éclateraient, ni être signalé d’avance comme un trouble-fête qui conspirait dans une retraite maussade contre le repos commun. Il craignait de paraître préparer et provoquer le retour des troubles qu’il prévoyait. Ainsi, ajoute l’historien allemand, voyant l’horizon se charger de nuages, il voulait éviter tout ce qui les ferait amonceler sur sa tête[37]. Le traité, composé de vingt-quatre articles au lieu de huit que contenaient les préliminaires, serrait pourtant de très près le texte primitif, auquel n’étaient ajoutés que quelques complémens et explications indispensables. Chose singulière, parmi ces additions qui pouvaient paraître nécessaires, il en est une qu’on devait s’attendre à y trouver et qu’on cherche pourtant vainement, c’est celle qui aurait dû constater la reconnaissance par la France du titre impérial de Marie-Thérèse et de la couronne décernée à François de Lorraine par la diète germanique. Non que la France n’eût fait à plusieurs reprises, pendant les négociations, l’offre de retirer par un acte formel la très vaine protestation qu’elle avait opposée à l’élection de Francfort. Mais Marie-Thérèse avait dédaigné de faire accueil et même de prêter l’oreille à cette satisfaction tardive, pensant probablement (comme le général Bonaparte devait le dire plus tard de la république française) que son droit était trop éclatant pour avoir besoin de la reconnaissance ou de la confirmation de personne. L’omission, pourtant singulière, passa, ce semble, complètement inaperçue. Ainsi de la prétention même qui avait motivé la première prise d’armes, — du dessein d’enlever à l’héritière orpheline de la maison d’Autriche la succession de Charlemagne et de Charles-Quint, — le souvenir même avait disparu ! Rien ne restait, dans aucun esprit, du rêve qui avait enflammé l’imagination de Belle-Isle, auquel Louis XV, par une violation éclatante de la foi jurée, n’avait pas craint de sacrifier l’honneur de la parole royale, et qui avait fini par troubler de tant d’angoisses les dernières veilles de Fleury. A voir même avec quel soin le nouveau traité rappelait et rétablissait, autant que la chose était possible, les moindres dispositions des conventions antérieures et s’efforçait de replacer l’Europe dans l’état où la guerre l’avait trouvée, il semble que ce fût cette guerre elle-même et toutes ses péripéties qu’on voulait effacer de la mémoire des peuples, pour ne la laisser figurer dans les annales de l’histoire que comme un sanglant intermède. Les seuls changemens, en définitive, qu’il eût fallu consacrer, c’étaient ceux qui étendaient la domination du roi de Sardaigne en Italie et du roi de Prusse en Allemagne, en sorte que tant de vies et d’or français n’avaient été sacrifiés que pour satisfaire l’ambition de la maison de Savoie et préparer la grandeur de l’électeur de Brandebourg. Je ne crois pas que la justice du sort ait jamais porté sur un acte aussi répréhensible qu’impolitique une condamnation plus éclatante.

Tout étant cependant connu devance, la publication officielle du traité n’apprit rien à personne et ne pouvait causer aucune émotion. Ce ne fut ni la joie du premier jour, ni la déception qui avait suivi. Une disposition assez étrange donna même un instant quelque consolation à la vanité française : ce fut celle qui stipulait que pendant l’intervalle de quelques semaines qui devait s’écouler entre l’évacuation des Pays-Bas et la restitution de Louisbourg, deux pairs d’Angleterre viendraient en France pour y être gardés en otages. Paris vit passer ces deux seigneurs avec une curiosité polie, et la cour les reçut avec une courtoisie de bon goût, non sans se divertir un peu à suivre sur leur visage la trace du léger embarras qu’ils devaient éprouver, et dont, du reste, en gens de bonne compagnie, ils prenaient galamment leur parti.

Tout se serait donc passé paisiblement, et la légèreté française, si prompte à tout oublier, aurait bientôt fait taire critiques, louanges et discussions de toute sorte, quand un scandale inattendu vint jeter une triste lumière sur l’une des faces les plus douloureuses de la nécessité qu’on avait dû subir. L’engagement était pris, en termes très nets, bien que sous une forme mitigée, d’éloigner de France le jeune et brillant guerrier qui avait eu un instant la bonne fortune de disputer la couronne d’Angleterre à la dynastie protestante. L’exécution était pénible, et par là même, il convenait de la faire sans éclat. Rien ne devait faire prévoir qu’on dût rencontrer aucun obstacle sérieux. Pareil sacrifice avait été imposé à Louis XIV après les malheurs de ses dernières guerres, et le chef de la maison de Stuart, celui à qui toute la France rendait les honneurs royaux sous le nom de Jacques III, acceptant sans murmure ce surcroît de proscription, s’était retiré à Rome et trouvait dans cet asile des grandeurs déchues une situation conforme à la dignité de son rang et de son caractère. On devait espérer du prince, son fils, la même résignation aux exigences de la politique et aux caprices de la fortune. Il n’en fut rien : le jeune héros, au milieu des péripéties tour à tour glorieuses et romanesques qu’il avait traversées, s’était accoutumé à voir son nom répété par les échos de la renommée ; il était en France l’objet d’une curiosité admirative dont il recevait à toute heure les témoignages les plus flatteurs ; il se consolait d’ailleurs de ses disgrâces en prenant sa part des plaisirs de la capitale. Il lui en coûta trop de rentrer dans l’obscurité et l’isolement, où s’était écoulée son enfance. Quand il reçut l’invitation de se retirer sans bruit, il déclara hautement qu’il n’y déférerait pas, laissant en même temps entendre qu’il avait en main une lettre (qu’il ne montra pourtant pas), par laquelle Louis XV s’engageait à ne pas l’éloigner de sa présence, tant qu’il n’aurait pas pu lui assurer un établissement convenable. Tous les moyens furent mis en œuvre pour vaincre cette puérile obstination. On lui fit envoyer de Rome, par son père, l’injonction de se conformer au désir du roi. Pour lui épargner l’ennui de retourner au point dont il était parti, on lui ménagea aux portes de France, à Fribourg, une retraite que, malgré les menaces de l’Angleterre, les magistrats de ce petit canton ne craignirent pas de lui offrir. Enfin, pour rompre les liens les plus chers qui l’attachaient au séjour de Paris, on fit défense à sa maîtresse, la princesse de Talmont, de le recevoir chez elle ; elle dut se conformera cet ordre, de sorte que, se présentant à sa porte, il la trouva fermée, et qu’essayant de la forcer, il fut arrêté par le poste voisin, accouru pour s’opposer à cette violence. Rien n’y fit, le prince persista dans sa résistance, affectant même de se montrer avec ostentation dans les lieux publics. « Il verrait bien, s’écriait-il, si on oserait mettre la main sur lui, et d’ailleurs, il était décidé à ne pas sortir vivant de France, de sorte qu’il faudrait ou le tuer ou le laisser se tuer lui-même, si on voulait être délivré de lui. » Au duc de Gesvres qui venait une dernière fois le sommer d’obéir à l’ordre royal : « Sans le respect que je dois au roi, lui répondit-il, je ne vous laisserais pas sortir comme vous êtes entré. » Enfin, averti un soir que les deux seigneurs qu’on gardait en otages devaient assister à la comédie, il vint se placer en face d’eux pour faire lever toute l’assistance à son arrivée, et se faire rendre par ceux qui l’entouraient les honneurs dus aux princes royaux.

Après avoir supporté cette bravade pendant plus d’une semaine, il devenait impossible de laisser défier à ce point l’autorité royale et compromettre sans profit le repos public. Ordre fut donc donné par le conseil des ministres, réuni sous les yeux du roi, de faire finir le scandale, en arrêtant le prince le jour où il essaierait encore de se montrer de nouveau dans une réunion publique. Ce fut à l’Opéra qu’eut lieu cette triste exécution, et quoi qu’on pût faire, malgré tous les soins pris pour en adoucir la rigueur, l’emploi de la force ayant toujours plus ou moins un air de brutalité, rien ne put empêcher que les circonstances prissent un caractère repoussant et presque cruel. La salle de l’Opéra était alors contiguë au Palais-Royal, demeure du duc d’Orléans : on demanda au duc, qui n’y consentit qu’à regret, l’autorisation de faire passer, par les cours intérieures du palais, des gardes qui, déguisés en bourgeois, se trouvèrent en face du prince au moment où il descendait de son carrosse. D’autres agens apostés fermèrent au même moment le passage derrière lui. On le saisit, en lui mettant la main sur les deux bras pour l’empêcher de tirer son épée et on le conduisit en étouffant ses cris jusqu’à une rue écartée où l’attendait le duc de Biron avec un carrosse à six chevaux pour le conduire à Vincennes. Il se débattait violemment, et bien qu’on eût eu soin de lui enlever tout de suite un pistolet et un poignard qu’il portait sur lui, on craignait tellement qu’il n’eût quelque autre arme cachée dont il pût faire usage contre lui-même ou contre ceux qui le détenaient, qu’on crut devoir lui lier les pieds et les mains avec un cordon de soie, et l’emporter à bras dans la voiture, le corps renversé et la tête en arrière. Pendant tout le chemin, il s’emportait en injures contre ses gardiens. Au chevalier de Vaudreuil qui était placé en face de lui : « Vous faites là, mon cher monsieur, dit-il, un bien vilain métier. Où sommes-nous donc ? Est-ce la France ? Je serais mieux traité au Maroc. » — Arrivé à Vincennes, où un appartement très convenable lui était réservé et un souper lui était préparé, il refusa de manger et se coucha tout habillé. Cet état de fureur dura plusieurs jours, donnant lieu à des accès de lièvre qui faisaient craindre pour sa vie ou pour sa raison. Il était impossible de le faire partir dans cette crise, au risque de voir les mêmes éclats se renouveler tout le long de la route. Il fallut attendre que, la solitude produisant l’effet calmant qui est assez ordinaire, le captif lui-même s’avouât vaincu et se laissât mettre en voiture pour Fontainebleau et de là pour Avignon. Une lettre d’excuse qu’il adressa à Louis XV était encore écrite d’un ton assez fier, et, dit Luynes, comme traitant de couronne à couronne.

Les récits commentés, amplifiés, envenimés de ces tristes faits, dont l’apparence, au moins, était barbare, répandirent partout la stupeur et bientôt l’indignation. La nécessité qu’on ne pouvait guère contester était une excuse difficilement acceptée. On y voyait plutôt la condamnation de l’incapacité et de l’imprévoyance qui n’avaient pas su prévenir une telle extrémité. Dans l’entourage même du roi, le mécontentement s’exprima avec une liberté et une audace inaccoutumées ; le dauphin, qui était très lié avec le prince Édouard, ne put s’empêcher de verser des larmes qui lui étaient arrachées moins par la douleur de l’affection blessée que par le ressentiment de l’injure faite au sang royal. La princesse de Talmont, devenue presque une héroïne de roman, grâce à la tendresse dont elle ne faisait pas mystère, prit prétexte de l’arrestation d’un de ses serviteurs, qui avait été pris avec la suite du prince, pour écrire au ministre, Maurepas, cette épître insolente :

« Monsieur, voilà les lauriers du roi portés à leur comble, mais comme l’emprisonnement de mon laquais n’y peut rien ajouter, je vous prie de me le rendre. »

Les vers suivans, dont on est surpris de rencontrer l’accent généreux dans les recueils du temps, à côté de pièces d’un ton bien différent, attestent par ce contraste même la vivacité du sentiment public :

Peuple, jadis si fier, aujourd’hui si servile,
Des princes malheureux vous n’êtes plus l’asile.
Vos ennemis vaincus aux champs de Fontenoy
À leurs propres vainqueurs ont imposé la loi,

Et cette indigne paix qu’Aragon nous procure
Est pour eux un triomphe et pour nous une injure.
Hélas ! avez-vous donc couru tant de hasards
Pour placer une femme au trône des Césars ?
Pour voir l’heureux Anglais, dominateur de l’onde,
Voiturer dans ses ports tout l’or du Nouveau Monde ?
Voilà le fils de Stuart, par vous-même appelé,
Aux frayeurs de Brunswick lâchement immolé.
Et toi, que les flatteurs ont paré d’un vain titre,
De l’Europe, aujourd’hui, te diras-tu l’arbitre,
Lorsque dans tes États tu ne peux conserver
Un héros que le sort n’est pas las d’éprouver,
Mais qui, dans les horreurs d’une vie agitée,
Abandonné de tous, fugitif mis à prix,
Se vit toujours du moins plus libre qu’à Paris[38] ?

Un autre factum, dont on ne peut citer que quelques vers, se terminait également par une apostrophe à Louis XV, plus amère et plus injurieuse encore :

George, dis-tu, t’oblige à refuser l’asile
Au vaillant Édouard : s’il t’avait demandé,
Roi sans religion, que ta p….. s’exile,
Réponds-moi, malheureux : l’aurais-tu concédé ?

Dans toutes les pièces du monde, c’est le dénoûment qui reste gravé dans la mémoire des spectateurs. Ainsi, un incident, au fond sans importance, allait marquer d’une note de déshonneur et d’humiliation une paix chèrement achetée et dont on contestait déjà les avantages. Bête comme la paix, disait-on, par une expression qui courut et qui fit fortune. Avec plus de justice encore et non moins de sévérité, on aurait pu appliquer la même qualification, non pas à la paix seulement, mais à la guerre elle-même, qui, mal engagée, le plus souvent mal conduite, finissait sans profit, sans éclat, sans que ni le génie de Maurice de Saxe, ni la gloire de Fontenoy, eussent pu réparer l’erreur et la faute du premier jour.


Le présent ainsi péniblement réglé, que devait-on espérer ? Que n’avait-on pas à craindre de l’avenir ! C’était la question que tout le monde se posait et que chacun s’apprêtait à résoudre dans le sens de ses intérêts et de ses passions. Quelque chose manquerait donc à la conclusion de ce long récit si, avant de tourner la dernière page, je ne rappelais quels devaient être, dans une situation qui demeurait si incertaine, les vœux et les desseins avoués ou secrets des diverses puissances. Aucune d’entre elles, on l’a vu, ne plaçait la moindre confiance dans la durée de la paix. C’était la déclaration que faisait tout haut, dès le premier jour, un excellent observateur, parlant avec la clairvoyance propre à l’intérêt personnel, et avec la sagacité pénétrante qui était la qualité principale de son génie. — « Cette pacification générale, écrivait Frédéric, ressemble plutôt à une trêve dans laquelle toutes les parties profitent d’un instant de repos et cherchent des alliances pour être mieux en mesure de reprendre les armes. » Rien de plus juste ; et rien ne fait mieux comprendre comment l’encre du traité était à peine séchée, que déjà personne n’allait plus le prendre au sérieux. Un vague sentiment d’instabilité continuait à peser sur l’atmosphère. Vainement, les pacificateurs se sont-ils vantés d’avoir remis l’Europe dans l’état le plus voisin possible de l’équilibre où la guerre l’avait trouvée. Chacun sent que, sous le calme assez mal rétabli de la surface, de profonds changemens s’opèrent, de nouvelles combinaisons se préparent, d’où peuvent sortir des périls imprévus, et c’est à qui regardera autour de soi pour reconnaître d’avance sur quel appui il peut compter, et, le jour de la prochaine épreuve venue, quels auxiliaires se mettront en ligne à ses côtés.

Frédéric pouvait d’autant plus parler pertinemment à cet égard, que pour sa part sa résolution est prise, et nulle incertitude ne subsiste plus dans son esprit. Délié, il le croit du moins, de tout engagement envers la France, c’est contre elle qu’il va lier partie avec l’Angleterre. Ne venons-nous pas de l’entendre annoncer ce projet sur un ton de franchise presque cynique, dans son premier entretien tenu avec le ministre anglais, le jour même de la signature des préliminaires de paix ? N’est-ce pas lui qui nous apprend que cette paix, attendue comme une délivrance, va lui permettre de retirer de la main de la France celle qu’il se propose de tendre lui-même à l’Angleterre ? La neutralité jalouse dans laquelle il s’est renfermé pendant les dernières années de la guerre lui a laissé le temps de préparer et de masquer son évolution. Elle est prête maintenant, et s’il garde encore quelques ménagemens de prudence et de politesse avec les ministres de Louis XV, c’est pour rester libre de choisir le moment où il lui conviendra de déclarer ses nouveaux sentimens. Assurément, il ne dénoncera pas le premier l’armistice européen : il a trop à faire à garder ce qu’il a gagné, pour se jeter à l’aventure dans de nouveaux hasards. Il ne parle encore que de former une ligue défensive pour assurer (c’est son expression) la liberté de l’Europe contre les menaces de l’ambition française. Mais il sait parfaitement à qui il parle, et ce n’est pas lui qui se trompera jamais sur le sens et la portée des paroles. Il n’ignore pas qu’entre France et Angleterre subsiste une rivalité à peine assoupie, excitée par le souvenir d’un partage égal de revers et de victoires, et que le plus léger incident, une querelle de frontière, une chicane élevée sur une interprétation de texte, peut, d’un instant à l’autre, porter à l’état aigu. Vienne ce conflit, qu’il prévoit inévitable, il déclare d’avance auprès duquel des combattans il a marqué sa place, et pour une cause qu’il aura une fois embrassée, il n’est pas homme à former longtemps des vœux stériles.

C’est bien ainsi que l’Angleterre entend l’alliance qui lui est offerte et qu’elle a d’ailleurs toujours attendue et sollicitée. Pendant toute la guerre, il n’y a pas eu un jour où l’Angleterre n’ait travaillé à détacher Frédéric de la France, et à le faire passer dans le camp de ses adversaires : à plus d’une reprise, elle a pu croire y avoir réussi. De la part de Frédéric, ça été, avec les ministres et les agens anglais, une suite de rapports tantôt secrets, tantôt publics, mais qui, entretenus parfois à l’insu et au préjudice de ses propres alliés, ont eu le caractère d’une véritable trahison : si, à d’autres momens, ces relations ont paru se refroidir et même s’aigrir, ce n’est pas que Frédéric les ait jamais découragées ; au contraire, il a toujours tenu à garder l’oreille ouverte pour entendre ce qui lui viendrait de Londres. Mais c’est que le roi George, songeant plus au Hanovre qu’à l’Angleterre, ou cédant à une sotte antipathie personnelle, a entravé les vues politiques de ses ministres. La nation anglaise n’a jamais partagé ces mesquins dissentimens de famille : elle a toujours suivi avec une sympathie instinctive et prophétique les exploits du jeune héros, enfant de Luther comme elle, et qui semble destiné à raviver, pour l’honneur de la foi protestante, les glorieux souvenirs de Gustave-Adolphe et de Guillaume d’Orange. Vainement l’Autriche est-elle encore l’alliée officielle et la Prusse l’ennemi nominal : les victoires de Molwitz et de Kesselsdorf n’en sont pas moins saluées, avec une satisfaction peu déguisée, dans les cafés et les lieux publics de Londres. Et à toutes les étapes de la longue négociation qui vient de passer sous nos yeux, n’avons-nous pas toujours vu l’Angleterre prendre en main la cause de Frédéric, se prêter à toutes ses exigences, aux dépens, en dépit et malgré les protestations de l’Autriche ? N’est-ce pas elle enfin, qui, par un dernier acte d’autorité, met la conquête de la Silésie sous la garantie du nouveau droit public ? Ainsi l’alliance de la Prusse ne lui est pas encore proposée que déjà l’Angleterre s’empresse d’en fournir le gage, et ce témoignage anticipé de reconnaissance atteste assez les services qu’elle en attend, et qu’à un moment donné elle se croira en droit de réclamer.

Mais ces avances n’ont pu être faites ni ces avantages assurés à la Prusse sans contrister péniblement l’Autriche. A quel point Marie-Thérèse est offensée de se voir porter le dernier coup par une main qu’elle croyait amie, en quels termes elle qualifie cet abandon, c’est ce qu’on aurait peine à croire, si dans les textes que j’ai fait connaître, on n’entendait sortir de sa bouche même l’expression de son ressentiment. L’Angleterre, à ses yeux, par la garantie donnée à la conquête de la Silésie, s’est faite complice de l’attentat dont elle a été victime. Si le Prussien a fait le vol, l’Anglais, en le garantissant et en le mettant à l’abri de toute reprise, a joué le rôle ingrat de receleur ; et c’est tout au plus si le complice, moins hardi et plus perfide que l’auteur principal, n’est pas plus digne de réprobation. A ce grief, qui est toujours le plus grave, l’Angleterre a mis le comble par ses faiblesses pour le roi de Sardaigne, en sorte que, si l’héritage de Charles VI n’arrive à sa fille qu’après une double mutilation, c’est l’Angleterre qui la lui a fait subir. Aux traits que j’ai rapportés pour peindre cet état d’âme de Marie-Thérèse, il semble qu’on ne puisse rien ajouter : il en est un pourtant qui les complète et qui les couronne. La paix conclue, quand arrive à Vienne le nouvel envoyé anglais qui doit remplacer Robinson, l’impératrice refuse de le voir : « Je lui ai donné en réponse, écrit le ministre Uhlfeld en lui transmettant ce refus, qu’après avoir fait rapport à Leurs Majestés, ils avaient trouvé que nos pertes étaient trop récentes, et la plaie des préliminaires faits à nos dépens était trop fraîche, pour qu’il leur convînt de recevoir un compliment de félicitations, pendant qu’un de condoléance conviendrait de préférence. Je lui ai doré la pilule de mon mieux[39]. »

L’indifférence que l’Angleterre oppose à ces emportemens de la passion féminine atteste assez qu’elle s’y est préparée et même résignée d’avance, et que la perte d’une ancienne amitié, déjà remplacée par une nouvelle, si elle lui cause quelque regret, ne lui fait pourtant concevoir aucune inquiétude sérieuse. Sans doute, il y a encore des politiques attardés, entre autres le roi-électeur et son premier ministre, qui restent fidèles à ce qu’ils appellent le vieux système, à cette coalition des forces impériales et britanniques devant laquelle a fléchi, au début du siècle, l’orgueil de Louis XIV. Les victoires remportées en commun à Malplaquet et à Ramillies vivent encore dans plus d’une mémoire. Mais outre que dans la dernière campagne cette union, très difficilement maintenue, est loin d’avoir produit d’aussi brillans résultats, le bon sens du public anglais ne s’y trompe pas. Il comprend, d’instinct, qu’entre la catholique Autriche et la nation qui a chassé ses souverains légitimes pour cause de papisme, l’alliance qui n’est fondée sur aucun rapport d’institution, de croyance ou de mœurs, ne peut être qu’accidentelle et doit cesser avec la combinaison de circonstances qui l’a lait naître. Après tout, ce que la politique anglaise appréciait dans l’alliance autrichienne, c’était le concours d’une grande force militaire dont les canons étaient braqués contre la France, et qui complétait par de gros bataillons la très petite armée qu’elle peut elle-même envoyer au dehors. Il lui fallait aussi une grande alliance continentale pour être libre de consacrer toutes ses ressources à établir et à exercer sa domination sur les mers. Mais voici qu’il peut attendre ce double service dans des conditions égales, sinon supérieures, d’une puissance bien plus rapprochée d’elle par des affinités de foi et de race : dès lors, entre l’alliée d’hier, déjà très affaiblie, qui devient exigeante et impatiente, et celle qui s’offre avec toute l’audace de la jeunesse et de la victoire, sa préférence ne peut être douteuse, et s’il est nécessaire de choisir, elle ne regrettera pas l’échange. S’il faut affronter de nouveau, même sur terre, la fortune des combats, l’Angleterre n’est pas certaine que du sein de sa propre armée s’élèvera un second Marlborough, mais elle peut déjà compter qu’en fait d’auxiliaire elle trouvera dans Frédéric plus grand que le prince Eugène.

Ainsi délaissée par l’Angleterre, trop fière pour essayer de s’en rapprocher, inquiète pour sa propre sécurité des pièges que peut lui tendre à toute heure un voisin sans foi et sans scrupule, n’ayant renoncé d’ailleurs ni à la revanche, ni à la vengeance, à qui Marie-Thérèse aurait-elle recours, sinon à la France ? Quel autre espoir, quel autre appui possible lui reste ? Assurément, il est dur d’implorer le secours, et de se mettre ainsi à la discrétion de l’ennemi héréditaire. Elle aussi a bien des préjugés à vaincre, bien des souvenirs de gloire et des ressentimens d’injure à effacer. Mais le temps presse, la nécessité commande, et Marie-Thérèse n’est pas d’humeur à faire à moitié ce qu’elle entreprend. Aussi avec quelle ardeur elle tend tout de suite les bras à la France ! On dirait que, n’était l’orgueil impérial qui la retient, elle va se jeter à ses pieds. Rechercher presque à tout prix l’alliance française, c’est la seule instruction que son confident Kaunitz emporte à Aix-la-Chapelle, et il se croit un moment à la veille de la remplir. Déçu par la brusque signature des préliminaires, il se remet à l’œuvre dès le lendemain pour renouer les fils brisés de sa négociation clandestine. La paix ne découragera ni lui, ni sa souveraine : c’est à Vienne surtout que cette paix ne paraît qu’une trêve, et Kaunitz va passer tout droit d’Aix-la-Chapelle à Paris comme ambassadeur, afin que, confiée à la même main, la poursuite du même dessein ne subisse ni interruption ni relâche.

Reste à savoir ce que fera la France de ces invitations qui, à certains momens, prennent le ton de véritables supplications. Mais comment le savoir si elle ne le sait pas elle-même ? Rien n’égale, on a pu tristement s’en apercevoir, en face de la révolution significative qui s’opère et dont les symptômes sont visibles, en quelque sorte à l’œil nu, l’irrésolution et l’embarras des hommes qui dirigent la politique de la France, ou plutôt qui sont censés la conduire. Louis XV prête peu d’attention à son conseil, et ses ministres ne s’entendent pas : aucun d’eux, le roi moins que tout autre, ne sait clairement ce qu’il pense et moins encore ce qu’il veut. On est las des caprices, des exigences, des impertinentes railleries de Frédéric, mais on n’ose lui déplaire. Les offres de l’Autriche sont séduisantes, mais pour les accepter, il faudrait rompre avec les traditions d’une inimitié séculaire, et le courage d’esprit fait défaut. C’est ainsi que se perdent toutes les faveurs de la fortune. Grâce à la division de ses ennemis, la France était maîtresse de faire la loi de la paix : mais il semble que, fléchissant sous le poids d’une situation trop forte pour le génie de ses ministres, elle se soit hâtée d’en déposer le fardeau par une conclusion précipitée, qui ne termine rien, laisse tout en suspens, et ne la fera pas sortir elle-même de ses perplexités.

Et pourtant, aujourd’hui que le temps doit avoir fait justice de préventions sans fondement, on ne comprend pas ce qui pourrait faire hésiter la France à céder aux instances pressantes de l’Autriche. A quelque point de vue qu’on se place, qu’il s’agisse de prolonger la durée de la paix, ou de descendre de nouveau dans l’arène, le rapprochement de l’Autriche présente à la France des avantages auxquels les plus sages conseillers de Louis XV sont déjà sensibles et qu’on s’étonne de voir si peu et si mal appréciés. C’est, au fond, la seule combinaison qui, servant de contre-partie et faisant contrepoids à l’intimité dont l’Angleterre et la Prusse ne feront bientôt plus mystère, puisse maintenir le repos précaire et l’équilibre instable, fondé à Aix-la-Chapelle sur des bases si chancelantes. Si au contraire, comme chacun s’y attend et s’y prépare, le sort de l’Europe est livré de nouveau aux chances de la guerre, où la France chercherait-elle, pour tenir tête aux menaces de l’orgueil britannique, un auxiliaire plus- sûr et maintenant plus ardent qu’à Vienne ? Est-ce à Berlin, où elle n’a jamais trouvé que des mécomptes, des déceptions, et la désertion au moment critique, suivie de la raillerie et de l’insulte ? Peut-elle oublier que, pendant que Frédéric, après avoir appelé ses armées au fond de l’Allemagne, les abandonnait sans prendre souci de leur sort, Marie-Thérèse, pour obtenir non pas leur concours, mais seulement leur inaction et leur retraite, a offert un jour d’importantes concessions territoriales propres à étendre la frontière française sur le point où il a toujours paru le plus essentiel de la régulariser et de la couvrir ? L’engouement naïf et crédule d’un ministère philosophe a perdu cette occasion inespérée. Mais dans une lutte nouvelle elle peut renaître : où est le mal, où est le danger de se mettre d’avance en mesure pour ne pas la laisser une seconde fois échapper ?

Est-ce sérieusement qu’on invoquerait, pour rester sourd aux propositions de l’Autriche, la crainte de s’écarter d’une tradition glorieuse inaugurée par des souverains ou des ministres de génie, d’offenser en quelque sorte, en faisant pacte avec la petite-fille de Charles-Quint, la mémoire d’Henri IV et de Richelieu ? La politique peut-elle vivre à ce point de sentimens et de souvenirs ? Quand tout change autour d’une nation, peut-elle ne pas changer elle-même, et quand de nouveaux courans traversent l’atmosphère, le pilote n’est-il pas obligé de modifier la direction du navire ? C’est bien assez que, par une fidélité aveugle à de grands exemples, Fleury, suivant à regret les conseils de Belle-Isle, ait précipité la France dans la guerre stérile qui vient de finir. Une telle leçon ne doit pas être perdue. L’épreuve, chèrement payée, a fait voir que, si la nouvelle maison d’Autriche est trop solidement établie dans son patrimoine héréditaire pour qu’on puisse lui susciter un concurrent sérieux à la dignité impériale, hors d’Allemagne, privée, comme elle l’est, de l’Espagne et bannie de la moitié de l’Italie, elle ne peut plus exercer la prépondérance qu’on pouvait redouter de la part de s, es aïeux. Nulle précaution n’est donc plus de saison contre une omnipotence dont le fantôme a disparu. En Allemagne aussi, tout est devenu bien différent : le saint-empire affaibli n’est plus que l’ombre d’un grand nom, et du sol allemand lui-même s’est levée une nouvelle puissance qui, pour son premier coup d’essai, a vaincu l’Autriche en bataille rangée. La grandeur soudaine de la Prusse change tout le régime intérieur du corps germanique. Du moment qu’il y a au-delà du Rhin deux États en mesure de se tenir tête et de se faire équilibre l’un à l’autre, l’intérêt de la France est non d’écraser l’un des deux, mais de maintenir entre eux la balance en se portant alternativement du côté qui paraît fléchir. Dans le cas présent, c’est évidemment l’Autriche sur son déclin qui reste menacée : c’est elle donc qu’il convient de soutenir, et c’est ce que le coup d’œil du génie aurait sans doute fait reconnaître aux grands maîtres politiques dont les ministres de Louis XV se piquaient de suivre les leçons, mais en les interprétant avec plus de docilité que d’intelligence, et en s’attachant à la lettre plus qu’à l’esprit.

Au demeurant, le moment va venir, — et il ne tardera pas, — où le pas qu’on se refuse à faire, de gré ou de force, il faudra le franchir. Quelques années seront à peine écoulées, et pour un prétexte frivole qui ne prouve que mieux l’incompatibilité d’humeur des deux peuples, l’hostilité sera rallumée entre la France et l’Angleterre, et tout de suite Frédéric aura pris parti contre son ancienne ennemie et pour sa nouvelle alliée par un traité encore défensif dans la forme, mais au fond tout à fait agressif et qui n’est que l’application littérale du plan que nous avons entendu sortir de sa bouche. Il faudra bien alors, pour ne pas rester dans un périlleux isolement, que la France se décide à écouter ce que l’Autriche, toujours éconduite, mais jamais découragée, n’aura pas cessé de lui redire. Seulement l’heure favorable sera peut-être passée : la nécessité de s’unir, étant devenue égale et également reconnue des deux parts, les conditions qu’on aurait pu dicter, il faudra les débattre, et peut-être en subir qu’on n’aurait pas offertes. Faute d’avoir su se décider à temps et prévoir, l’alliance que la France aurait pu accorder en 1748, en 1756 elle sera heureuse de l’accepter.

Quoi qu’il en soit, je crois en avoir dit assez pour affirmer, sans contestation possible, que le fameux changement de politique, tant reproché à Louis XV, loin d’être son œuvre propre, était opéré autour de lui et sans lui et devenu par là même nécessaire avant qu’il eût songé à y prendre part. Il faut être juste même pour ce souverain digne, sur d’autres points, de tant de reproches. Cette résolution capitale ne fut de sa part ni l’effet d’une complaisance pour sa maîtresse, blessée d’une épigramme ou flattée d’une caresse royale ; ce ne fut pas davantage un acte de dévotion superstitieuse, il ne songea pas à réparer par le secours prêté à une puissance catholique le tort fait à la religion par les désordres de sa conduite. Ces contes, d’une ineptie ridicule, propagés par les flatteurs gagés de Frédéric, répétés par les déclamations démagogiques de nos clubs révolutionnaires, et pieusement transmis ensuite à la crédulité populaire par des historiens français même de notre âge, n’ont pas l’ombre d’un fondement. Le traité de 1756 ne fut point, comme on l’a dit, la faute du règne : la faute fut d’avoir attendu pour le conclure une nécessité si pressante, que rien n’en avait préparé l’exécution et qu’il ne restait plus qu’à y apposer d’une main tremblante une signature tardive.


Duc DE BROGLIE.

  1. Voyez la Revue du 15 janvier et du 15 février.
  2. Vauréal à Puisieulx, 15-17-21 mai 1748. (Correspondance d’Espagne.) — Saint-Séverin à Puisieulx, 7-14 mai 1748. (Correspondance de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)
  3. Vauréal à Puisieulx, 3 juillet 1748. (Correspondance d’Espagne. — Ministère des affaires étrangères.)
  4. Kaunitz à Marie-Thérèse, 6-15 mai 1748. (Archives de Vienne.)
  5. Uhlfeld à Kaunitz, 13 mai 1748. — Beer. Friede von Aachen. Archives de l’histoire d’Autriche publiées par l’Académie de Vienne, t. XLVII, p. 34.
  6. Marie-Thérèse à Kaunitz, 14 mai 1748. (Archives de Vienne.) — Je n’ai pu découvrir le sens exact du proverbe auquel l’impératrice fait une si singulière allusion. Ce doit être le commencement d’un vers connu dont la signification était : qu’il ne faut pas se laisser séduire par les doux sons de la flûte.
  7. D’Arneth, t. III, p. 369-370.
  8. Kaunitz à Marie-Thérèse, 26 mai 1748. (Archives de Vienne.) — Beer. Friede von Aachen, p. 42. — Saint-Séverin à Puisieulx, 24 mai 1748. (Correspondance de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)
  9. Sandwich à Newcastle, 19 mai 1718. — Treaty papas. — Record office. — Beer, p. 12. — Kaunitz à Marie-Thérèse, 26 mai 1748.
  10. Tercier à Puisieuh, 15 juin 1748. (Conférence de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)
  11. Puisieulx à Saint-Séverin, 22-26 mai 1748. (Correspondance de Bréda et d'Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)
  12. Kaunitz à Marie-Thérèse, 25-29 juin 1748. — Beer, p. 45, 46. — Il paraîtrait que l’idée de la conversion de Frédéric fut alors généralement répandue. On la trouve mentionnée dans les correspondances du ministre d’Angleterre en Russie.
  13. Saint-Séverin à Puisieulx, 26 juin, 6 juillet 1748. (Conférence de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.) — D’Arneth, t. III, p. 374, — Beer, p. 47.
  14. Saint-Séverin à Puisieulx, 16-23 juillet, 2 août 1748. (Correspondance de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.) — Béer, p. 46-53-170-175. — Cet écrivain donne le texte même du traité proposé, et ce qui prouve la ténacité des espérances de Marie-Thérèse, c’est qu’à ce texte étaient ajoutés deux articles secrets ayant encore pour but d’obtenir de la France la promesse de ne pas concourir à l’exécution du traité de Worms. Kaunitz savait si bien, par une première épreuve, qu’il ne pouvait rien obtenir de pareil qu’il se hâta, sur la prière de Saint-Séverin, de biffer lui-même ces deux articles : « Seulement, dit-il, ne nous mettez pas le couteau sur la gorge pour cette exécution. C’est tout ce que nous vous demandons. »
  15. Coxe. Pelham administration, t. Ier, p. 450. — Saint-Séverin à Puisieulx, 24 juillet 1848. (Correspondance de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.) — Beer, p. 54.
  16. Coxe, Pelham administration. — Frédéric à Chambrier, 15 juin 1748. — (Ministère des affaires étrangères.) — Pol. Corr., t. V, p. 3. — Droysen, t. III, p. 477. — Le ministre de Prusse à Saint-Pétersbourg dit qu’on a été frappé de la signature des préliminaires comme par un coup de tonnerre.
  17. Coxe. Pelham administration, t. Ier, ch. XVII, et t. II, ch. XVIII.
  18. Coxe. Pelham administration, t. Ier, ch. XVII, t. II, ch. XVIII.
  19. Tercier à Puisieulx, 19 août 1748. (Conférence de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.) — Pelham administration, t. II, p. 7. — Béer. p. 64-102-105.
  20. Legge au duc de Newcastle. Berlin, 11 mai 1748. (Correspondance de Prusse. — Record office.) — Cet entretien est raconta dans des termes assez semblables par Frédéric lui-même. — Pol. Corr., t. VI, p. 100.
  21. Valori à Puisieulx, 25 mai 1718. (Correspondance de Prusse. — Ministère, des affaires étrangères.) — Frédéric à Chambrier, 20 mai, 11 juin 1748. — Pol. Corr., t. VI, p. 118-186.
  22. Frédéric à Mardefeld, 27 mai ; à Podewils, ministre à Vienne, 24 mai, 3 juin ; à Chambrier, 22 juin 1748. — Pol. Corr., t. VI, p. 122-126-130-146.
  23. Valori, Mémoires, t. Ier, p. 278. — Frédéric à Chambrier, 24 mai ; à Maurice de Saxe, 20 mai 1748. Pol. Corr., t. VI, p. 119-123.
  24. Frédéric à Chambrier, 7 juin, 8-16 juillet 1748. — Pol. Corr., t. VI, p. 141-150-154-159-164-168-192-198. — Droysen, t. III, p. 478 et suiv. — Valori, Mémoires, t. Ier, p. 279.
  25. Frédéric à Chambrier, 16 juillet 1748. — Pol. Corr., t. VI, p. 173.
  26. Frédéric à Chambrier, 19-29 juin 1748. Pol. Corr., t. VI, p. 143 et 155. — Chambrier à Frédéric, 19 juin, 26 juillet 1748. — (Ministère des affaires étrangères.)
  27. Je n’ai pas trouvé trace dans la correspondance anglaise de ce projet de mariage.
  28. .Conversation que le sieur marquis de Valori a eu l’honneur d’avoir avec sa majesté prussienne, le 15 août 1748, jour de son départ de Potsdam pour se rendre à la cour. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)
  29. Journal de d’Argenson, t. V, p. 227.
  30. Chambrier à Frédéric, 8 juillet 1748. — (Ministère des affaires étrangères.)
  31. Puisieulx à Belle-Isle, 17 juin 1718. — (Ministère de la guerre ; série supplémentaire.)
  32. Richelieu à Puisieulx, 10 août 1748. — (Ministère de la guerre, partie supplémentaire.) Voir aussi dans le même recueil une lettre de Chavigny à Belle-Isle dans le même sens.
  33. Campardon : Mme de Pompadour. Puisieulx à Saint-Séverin, 26 juillet, 25 août, 13 septembre 1748. (Correspondance de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.) — Aucun témoignage direct n’existe des entretiens qui durent être échangés verbalement entre Puisieulx et Saint-Séverin au sujet de Kauderbach, j’ai dû emprunter les détails que j’ai placés ici à des dépêches adressées à Saint-Séverin après son retour à Aix-la-Chapelle et qui font clairement allusion à ce qui s’était passé dans ses conversations avec son ministre.
  34. Coxe. Pelham administration, t. II, ch. XVII. — D’Arneth, t. III, ch. XIV, p. 25-49.
  35. Saint-Séverin à Puisieulx, 31 août 1748. (Correspondance de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.)
  36. L’adhésion de l’Autriche est du 8 novembre, celle de l’Espagne du 20 octobre, la Sardaigne ne fit accession que le 20 novembre. — (Beer. Friede von Aachen, p. 89.)
  37. Droysen, t. III, p. 501-502. — L’accession de Frédéric fut offerte par lui, mais ne parait pas avoir été effectivement donnée, on n’en trouve pas la trace officielle dans les archives de Berlin. — Droysen, t. IV, p. 9.
  38. Journal de Barbier, novembre et décembre 1748 ; Journal de Luynes, t. IX, p. 60 et suiv. ; Journal de d’Argenson, t. V, p. 280 et suiv.
  39. D’Arneth, III, p. 489.