Feuillets épars/Dans les Dunes

Imprimerie Bénard (p. 5-8).


DANS LES DUNES


À Mariette.


Ce matin, j’ai fermé mes volets verts et je suis parti par les dunes…

Un gai soleil d’avril fait scintiller une mer d’émeraude. La brise pousse des nuages blancs qu’elle découpe artistement en un dais de dentelle traînant sur l’horizon. Une voile grise, comme une aile, vole dans l’infini.

Il vient des vergers de la Flandre des bouffées de senteurs.

De lointains clochers se réveillent et du milieu des bruits confus de la terre se détachent les notes claironnantes des coqs.

Le cri d’une sirène dure longtemps par l’air attiédi ; mais par-dessus tout, règne l’incessante rumeur des flots.

J’avance et mon pas s’imprime dans le sable qui crisse et qui semble vivre dans un éternel frisson. Au loin, le vent fait moutonner les grands chardons, croulant en lourdes grappes vertes.

Je suis heureux de vivre, le renouveau met en moi le désir d’atteindre un but, de marcher contre le vent.

Chaque fois que je me retourne, je vois les maisons du village devenues plus petites. Je sais que bientôt les dunes me les cacheront. Alors, j’en apercevrai d’autres et le clocher gris d’un village voisin.

Voici déjà les panaches de fumée qui se déroulent en spirales blanches ; voici leurs toits, humides encore de la dernière pluie. Au centre, l’église dresse son petit clocher d’ardoises.

Je vais au cimetière revoir encore une fois une croix de pierre verdie de mousse, et qui a sa légende.

À cette heure, je suis seul encore. Quel calme ! Quelle mélancolie se dégage de ces croix plantées presque sans ordre dans l’ombre des hauts murs de l’église ! De naïves couronnes laissent glisser leurs perles. Un bouquet d’immortelles noircies effeuille ses pétales depuis la dernière Toussaint.

L’herbe croît dans les sentiers, pousse entre les pierres disjointes des tombes…

Solitaire contre le mur, penchant vers la terre un bras fendu, voici la croix que je viens voir.

La pluie et le temps en ont effacé l’épitaphe ; seuls, ces mots ont subsisté : « Priez pour elle. » Qui… « elle » ? « Elle » n’a plus de nom, mais sa légende que tout le monde connaît ici.

On me l’a dite vingt fois et toujours différente, et toujours plus mélancolique.

Cette croix verte de mousse est un poème de pierre, le reste d’une épopée qui s’oublie.

Il y a longtemps, très longtemps, alors que cette église n’existait pas encore, vivait ici une orpheline, très belle et très riche. On dit qu’elle avait son château à cette place.

On prétend aussi qu’elle était fiancée à un jeune officier de marine qui naviguait en de lointaines mers.

Tous les jours, elle allait par les dunes contempler les eaux et, là, elle se recueillait longtemps.

Sa pensée s’envolait vers celui qui occupait seul son cœur d’orpheline et elle priait pour lui.

On dit encore que le marin périt sous les tropiques… mais qu’elle ne le sut jamais.

Elle allait, comme par le passé, perdue dans son rêve d’amour, criant à la mer le nom de l’aimé disparu. Pour elle, l’océan était la route qu’il avait prise, celle où elle le verrait revenir un jour, dans l’or d’un couchant glorieux et mystique…

La mer seule avait ses confidences, elle seule voyait ses pleurs. Parfois aussi, elle s’attardait le soir sous les étoiles. Elle leur demandait de ramener son époux, de le protéger. Mais elle ignorait que d’autres constellations, plus claires, brillaient sur les flots qui l’avaient à jamais englouti.

Elle voyait des voiles étrangères apparaître à l’horizon, comme sorties de l’infini. Alors, elle espérait encore…

Enfin, son cœur se lassa d’attendre. Sa raison s’envola par-dessus les flots gris du Nord.

Elle fit démolir son château et construire une église sur les fondations. Elle habita seule une masure dans les dunes.

Elle désira vivre en une communion constante avec le souvenir de l’autre. Elle voulut aller le rejoindre. Et cette idée l’obséda chaque jour davantage.

Une nuit, elle descendit la dune et marcha vers la mer. Elle y entra et avança… avança.

Des vagues la soulevèrent et l’emportèrent au large. L’eau la retint et l’étrangla.

Plus tard, on retrouva son cadavre sur la plage. Elle avait rejoint son fiancé. Ils étaient unis pour l’éternité.


* * *


Et je suis revenu, comme le soir tombait ; le soleil faisant sur l’eau de larges taches d’or mouvant. Je songeais à la croix de pierre, à sa légende. Je restai longtemps à contempler un trois-mâts s’enfoncer dans l’horizon et disparaître.

Reviendront-ils jamais, ceux-là ?