Faust (Goethe, trad. Nerval, 1877)/Notice

Traduction par Gérard de Nerval.
Garnier frères (p. i-viii).
Préfaces  ►

NOTICE
SUR GŒTHE ET SUR GÉRARD DE NERVAL


Jean-Wolfgang Gœthe, né le 28 août 1749, à Francfort-sur-le-Mein, mort à Weimar, le 22 mars 1832, d’une famille bourgeoise riche et considérée, fut dès sa jeunesse plein d’ardeur pour l’étude des plus belles littératures, passa trois ans à Leipzig, 1765-1768, où l’école froide et correcte de Gottsched et de Gellert régnait en souveraine, mais où la publication du Laocoon de Lessing (1767) exerça une grande influence sur son esprit, avide du beau et du vrai. À Strasbourg, 1769-1771, son imagination put se déployer plus librement, dans la compagnie de Lenz, de Wagner, de Stilling et surtout de Herder. C’est là qu’il étudia avec enthousiasme la Bible, Shakspeare, l’art allemand du moyen âge : « Je n’ai pas passé auprès de Herder, écrivait-il plus tard, une seule heure qui n’ait été pour moi instructive et féconde. » Après avoir terminé d’une manière brillante ses études de droit, il revint à Francfort, pour aller s’établir, en 1775, à Weimar, où l’appelait son ami le grand-duc Charles-Auguste. C’est alors que, dans tout le feu de son génie, il commença à produire et à publier plusieurs de ses œuvres qui allaient le placer au premier rang. En 1772, il a donné Gœtz de Berlichingen, drame en cinq actes, où il peint en traits énergiques l’Allemagne confuse du xvie siècle ; en 1774, il a publié les Souffrances du jeune Werther, roman dans lequel il nous montre les douleurs des âmes amollies du xviiie siècle, l’état de l’Allemagne morale à la veille des grandes révolutions qui se préparent. Le livre eut un immense succès en Allemagne et dans toute l’Europe. Deux drames, Clavijo (1774), dont le sujet est emprunté aux Mémoires de Beaumarchais, et Stella (1775), se rattachent à la même inspiration que Werther. À la même époque de sa vie, Gœthe jette les ébauches de plusieurs ouvrages qu’il termina dans un âge plus avancé, et publie ces Lieds qui renouvellent la poésie lyrique de son pays (le Calme de la mer, l’Innocence, le Sentiment d’Automne, le Lied nocturne du Voyageur), ces ballades d’un art si délicat et si parfait (le Roi de Thulé, le Chant du Comte prisonnier, etc.). — À Weimar, les dissipations de la cour n’étouffent pas son génie, mais rendent ses productions plus rares ; il n’a publié, de 1775 à 1786, que des opéras sans grande valeur, une jolie comédie, le Frère et la Sœur, quelques pièces lyriques. Mais son voyage en Italie, 1786, devint pour lui une source nouvelle d’inspirations : il écrivit à Florence les scènes les plus belles de Torquato Tasso, il termina à Rome Iphigénie ; il méditait Faust, Egmont, Wilhelm Meister, Hermann et Dorothée. Iphigénie en Tauride (1787) est l’une des grandes pages de l’art moderne, qui s’inspire de l’antique, mais qui est animé du souffle chrétien ; on a dit que le Comte d’Egmont (1788), la plus belle tragédie de Gœthe, était une des plus pathétiques créations du drame moderne ; Torquato Tasso (1790) est une peinture de caractère d’une expression admirable. Il avait déjà publié quelques scènes de Faust, qui fut l’œuvre de toute sa vie. Au milieu de ces travaux littéraires, l’âme de Gœthe, entraînée par une insatiable curiosité, de plus en plus éprise des merveilleuses beautés de la nature, s’occupait avec passion d’histoire naturelle et même d’anatomie. La Métamorphose des plantes est l’un des premiers fruits de ces études ; il y démontre déjà, ce que de Gandolle croira plus tard découvrir, qu’un principe unique régit l’organisation des plantes. — La Révolution française troubla l’esprit généralement si calme et si impartial de Gœthe : il n’y vit d’abord qu’une explosion fortuite des passions humaines ; il accompagna le duc de Brunswick dans la campagne de Valmy, et put comprendre alors qu’une ère nouvelle commençait pour le monde. Il écrivit alors la Campagne de France et le Siège de Mayence ; mais il était bien plus occupé de versifier le Reineke Fuchs ou Roman du Renard, satire politique et sociale, qui fut populaire en Allemagne. — Alors commence pour le poëte l’une des périodes les plus heureuses et les plus fécondes de sa vie, celle qui a été illustrée par son amitié avec Schiller (1794-1805). Gœthe avait de l’antipathie pour les productions de Schiller, qui avaient répandu sur l’Allemagne, écrivait-il, un torrent de paradoxes sociaux et dramatiques. Mais, à Iéna, une discussion philosophique sur les transformations des plantes rapproche par hasard les deux grands poëtes, et leur amitié, désormais étroite, exerce dès lors la plus féconde influence sur leur génie. Gœthe s’associe à la publication de Schiller intitulée : Les Heures ; il écrit ses Élégies romaines, ses Épigrammes vénitiennes, ses ballades les plus dramatiques, des idylles gracieuses ; il maîtrise la fougue de Schiller, qui compose alors ses plus belles tragédies ; lui-même, dont l’ardeur est ranimée, achève Wilhelm Meister, ce tableau si curieux de la vie humaine, semé d’épisodes charmants inspirés par la société du XVIIIe siècle ; et il publie Hermann et Dorothée, sorte d’idylle épique, comme disent les Allemands, où la pensée est si pure, si élevée, où les malheurs de la guerre sont déplorés si vivement, où d’excellentes figures bourgeoises, pleines de vie, offrent tant d’intérêt. Vers la même époque, Gœthe publiait avec Schiller les Xénies, critiques mordantes contre les médiocrités envieuses et les esprits rétrogrades. La Fille naturelle, drame en cinq actes, qui avait la prétention de peindre la Révolution française, n’est pas l’une de ses meilleures productions ; il n’a pas été heureusement inspiré. C’est alors qu’il traduisit le Neveu de Rameau, qui n’avait pas encore été publié en français et qu’il y ajouta des notes curieuses sur les écrivains français du XVIIIe siècle. La mort de Schiller, 1805, fut un coup terrible pour Gœthe : il avait perdu, disait-il, la moitié de lui-même. Il termina le drame de Démétrius, que son ami avait laissé inachevé, puis se replongea dans l’étude, qui lui était devenue plus nécessaire que jamais. — Il termine alors la première partie de Faust, prépare la Théorie des couleurs, publie les Affinités électives, œuvre remarquable par les analyses psychologiques, mais trop subtile pour être populaire. Gœthe n’avait pas cessé de vivre à Weimar auprès de son généreux ami, le grand-duc ; il avait été conseiller privé, président des finances ; il était presque un homme politique, au milieu des grands événements dont l’Allemagne était surtout le théâtre. Il accompagna le prince à Erfurt et fut admis auprès de Napoléon, qui s’entretint longtemps avec lui, lui donna la croix de la Légion d’honneur et le quitta en lui disant : « Vous êtes un homme, monsieur Gœthe. » Il continuait en même temps ses recherches scientifiques, qu’il aimait avec une sorte de passion ; la Théorie des Couleurs parut en 1810 : il y combattit les opinions de Newton sur la lumière ; après avoir donné, sous le titre de Morphologie, une nouvelle édition augmentée de la Métamorphose des plantes, il rédige paisiblement ses Mémoires, de 1810 à 1813, et les publie sous le titre de Vérité et Poésie ; il doit les continuer sous le titre d’Annales. Il ne vit plus que par l’esprit, il semble de plus en plus étranger aux événements qui remuaient alors tous les cœurs ; il rédige son Voyage en Italie, et fonde en 1815 un recueil intitulé l’Art et l’Antiquité, qu’il continue jusqu’en 1828 ; il écrit une foule d’articles sur toutes sortes de sujets de littérature et de science, en même temps qu’il compose de nouvelles ballades, pleines de jeunesse et de grâce (la Cloche qui marche, la Danse des Morts, etc.), le Divan oriental-occidental, la seconde partie de Wilhelm Meister, la suite de Faust, etc. Il suit avec l’attention la plus curieuse le mouvement intellectuel de l’Europe ; il s’efforce d’élever la littérature allemande par le goût d’une critique supérieure, de faire comprendre à l’esprit germanique, pour qu’il puisse se les assimiler, les beautés, les chefs-d’œuvre des autres nations ; le mouvement littéraire de l’époque de la Restauration en France excite surtout l’intérêt du poëte et du penseur. Faust résume le travail de cette vie si remplie ; il a publié, en 1790, les premières scènes de cette œuvre ; c’est une légende populaire dont il a fait un drame d’un sens naïvement profond ; c’est une poésie franche et pleine de vie ; il la complète en 1807 ; c’est déjà un drame symbolique, qui renferme autant d’idées que de sentiments, autant de métaphysique que de poésie. Dans la seconde partie, publiée en 1831, c’est l’allégorie qui domine ; les personnages vivants ont disparu ; sous les figures mythologiques, les sorciers, les fantômes du moyen âge, sous les noms d’Hélène et de Méphistophélès, de Marguerite et de Faust, au milieu des obscurités les plus bizarres, et malgré de magnifiques épisodes, on ne découvre plus avec peine que des systèmes philosophiques, esthétiques, scientifiques, mêlés à la satire et aux épigrammes ; c’est comme un miroir, souvent resplendissant, souvent couvert de nuages poétiques, qui reproduit les transformations de la pensée de l’écrivain. — En 1830, la grande lutte scientifique de Geoffroy Saint-Hilaire et de Cuvier, au sujet de cette loi d’unité dominant la composition des corps vivants, que soutenait le premier de ces illustres savants, passionne Gœthe, qui trouve là la consécration éclatante des études d’une partie de sa vie ; et c’est après avoir rendu compte pour l’Allemagne de ce mémorable débat, que Gœthe meurt sans souffrance, à Weimar, plein d’années et plein de gloire. On était aux premiers jours du printemps ; les rideaux de sa fenêtre interceptaient la lumière et attristaient le poëte ; il les fit écarter : « De la lumière ! encore plus de lumière ! » Tels furent les derniers cris de l’homme qui avait toujours cherché à mieux voir et à mieux comprendre, dont l’intelligence sympathique, avide, dominant la passion, s’était toujours efforcée de connaître le monde et de se mettre en harmonie avec la vaste nature. — Parmi les nombreuses éditions des Œuvres de Gœthe, citons celles de Stuttgart, 40 vol. in-8o, avec un supplément en 15 vol. ; de Paris, 1835-37, 4 vol. grand in-8o ; de Stuttgart et Tubingue, 1845-47, 3 vol. grand in-8o. Ses principaux ouvrages ont été plusieurs fois traduits en français : Werther, par Pierre Leroux ; Hermann et Dorothée, par X. Marmier ; Faust, par Gérard de Nerval et H. Blaze de Bury, qui a aussi traduit les Poésies ; Wilhelm Meister, par Toussenel, Mme de Carlowitz, qui a aussi traduit les Affinités électives, les Mémoires, etc. ; le Théâtre a été traduit par X. Marmier, la Correspondance avec Bettina d’Arnim par Séb. Albin, les Œuvres d’histoire naturelle par Marlins. M. Caro a publié, 1867, un livre remarquable sur la Philosophie de Gœthe.


Gérard Labrunie, plus connu sous le nom de Gérard de Nerval, littérateur, né à Paris, 1808-1855, fils d’un officier de l’Empire, débuta, sous la Restauration, par des élégies nationales et par une traduction de Faust, moitié en vers, moitié en prose, que Gœthe admirait. Enrôlé dans l’école romantique, il fit jouer à l’Odéon la comédie de Tartufe chez Molière. Il revint ensuite à ses traductions de morceaux allemands, publia des contes, rédigea le feuilleton des théâtres dans le journal La Presse, dissipa son patrimoine en entassant toutes sortes de curiosités dans ses mansardes, et mena une vie bizarre et errante. Il voyagea plusieurs années en Europe et même en Orient, publiant dans plusieurs revues des récits piquants de ses excursions fantastiques. Atteint d’un mal étrange dès 1841, frappé d’attaques d’aliénation mentale, qui ne l’empêchaient ni de se souvenir, ni de raisonner, et qu’il a racontées avec verve, il finit par se pendre aux grilles d’un égout de la rue de la Vieille-Lanterne. Il a beaucoup écrit, et souvent avec délicatesse et originalité. Parmi ses œuvres dramatiques, citons : Piquillo, opéra-comique ; l’Alchimiste, drame en vers ; Léo Burckart, drame en 5 actes ; les Monténégrins, opéra comique ; le Chariot d’Enfant, drame en vers, en 5 actes ; l’Imagier de Harlem, drame en 5 actes ; Misanthropie et Repentir ; parmi ses romans, nouvelles, etc. : les Nuits du Ramazan, les Faux-Saulniers, Lorély, Souvenirs d’Allemagne, les Illuminés ou les Précurseurs du socialisme, Petits châteaux de Bohême, les Filles de Feu, la Bohême galante, le Marquis de Fayolles, Voyage en Orient, etc. Il a fourni des articles à un très-grand nombre de journaux.