Fables de La Fontaine (éd. 1874)/Le Cochon, la Chèvre et le Mouton

Attention : la clé de tri par défaut « cochon la chevre et le mouton » écrase la précédente clé « cochon, la chevre et le mouton ».

XII

LE COCHON, LA CHÈVRE ET LE MOUTON

Une chèvre, un mouton, avec un cochon gras,
Montés sur même char, s’en allaient à la foire.
Leur divertissement ne les y portait pas ;
On s’en allait les vendre, à ce que dit l’histoire :
Le charton[1] n’avait pas dessein
De les mener voir Tabarin[2].
Dom pourceau criait en chemin
Comme s’il avait eu cent bouchers à ses trousses :
C’était une clameur à rendre les gens sourds.
Les autres animaux, créatures plus douces,
Bonnes gens, s’étonnaient qu’il criât au secours ;
Ils ne voyaient nul mal à craindre.

Le charton dit au porc : Qu’as-tu tant à te plaindre ?
Tu nous étourdis tous ; que ne te tiens-tu coi ?
Ces deux personnes-ci, plus honnêtes que toi,
Devraient t’apprendre à vivre, ou du moins à te taire :
Regarde ce mouton ; a-t-il dit un seul mot ?
Il est sage. Il est un sot,
Repartit le cochon ; s’il savait son affaire,
Il crierait, comme moi, du haut du gosier ;
Et cette autre personne honnête
Crierait tout du haut de sa tête.
Ils pensent qu’on les veut seulement décharger,
La chèvre de son lait, le mouton de sa laine :
Je ne sais pas s’ils ont raison ;
Mais quant à moi, qui ne suis bon
Qu’à manger, ma mort est certaine.
Adieu mon toit et ma maison.

Dom pourceau raisonnait en subtil personnage :

Mais que lui servait-il ? Quand le mal est certain,
La plainte ni la peur ne changent le destin ;
Et le moins prévoyant est toujours le plus sage.



  1. Vieux mot qui signifie charretier.
  2. Bouffon célèbre qui vivait au commencement du dix-septième siècle.