Fables de La Fontaine (éd. 1874)/L’Âne et le Chien

XVII

L’ÂNE ET LE CHIEN

Il se faut entr’aider ; c’est la loi de nature.
L’âne un jour pourtant s’en moqua :
Et ne sais comme il y manqua ;
Car il est bonne créature.
Il allait par pays, accompagné du chien,
Gravement sans songer à rien ;
Tous deux suivis d’un commun maître.
Ce maître s’endormit. L’âne se mit à paître ;

Il était alors dans un pré
Dont l’herbe était fort à son gré.
Point de chardons pourtant ; il s’en passa pour l’heure :
Il ne faut pas toujours être si délicat ;
Rarement un festin demeure.
Notre baudet s’en sut enfin
Passer pour cette fois. Le chien, mourant de faim,
Lui dit : Cher compagnon, baisse-toi, je te prie :
Je prendrai mon dîné dans le panier au pain.
Point de réponse ; mot[1] : le roussin d’Arcadie
Craignit qu’en perdant un moment
Il ne perdît un coup de dent.
Il fit longtemps la sourde oreille.
Enfin il répondit : Ami, je te conseille
D’attendre que ton maître, ait fini son sommeil ;
Car il te donnera sans faute à son réveil ;

Ta portion accoutumée :
Il ne saurait tarder beaucoup.
Sur ces entrefaites un loup
Sort du bois, et s’en vient : autre bête affamée.
L’âne appelle aussitôt le chien à son secours.
Le chien ne bouge, et dit : Ami, je te conseille
De fuir en attendant que ton maître s’éveille ;
Il ne saurait tarder : détale vite, et cours.
Que si ce loup t’atteint, casse-lui la mâchoire :
On t’a ferré de neuf ; et, si tu me veux croire,
Tu l’étendras tout plat. Pendant ce beau discours,
Seigneur loup étrangla le baudet sans remède.

Je conclus qu’il faut qu’on s’entr’aide.



  1. Pas un mot.