Fables de Florian (1838)/1/Les Serins et le Chardonneret

LES SERINS ET LE CHARDONNERET.

FABLE V.

LES SERINS ET LE CHARDONNERET.


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n amateur d’oiseaux avait, en grand

secret,
Parmi les œufs d’une serine
n amateur d’oiseaux avait, en grandGlissé l’œuf d’un chardonneret.
La mère des serins, bien plus tendre que fine,
Ne s’en aperçut point, et couva comme sien,
Cet œuf qui dans peu vint à bien.
Le petit étranger, sorti de sa coquille,
Des deux époux trompés reçoit les tendres soins,
Par eux traité ni plus ni moins
Que s’il était de la famille.
Couché dans le duvet, il dort le long du jour
À côté des serins dont il se croit le frère,
Reçoit la béquée à son tour,

Et repose la nuit sous l’aile de la mère.
Chaque oisillon grandit, et, devenant oiseau,
D’un brillant plumage s’habille ;
Le chardonneret seul ne devient point jonquille,
Et ne s’en croit pas moins des serins le plus beau.
Ses frères pensent tout de même :
Douce erreur qui toujours fait voir l’objet qu’on aime
Ressemblant à nous trait pour trait !
Jaloux de son bonheur, un vieux chardonneret
Vient lui dire : Il est temps enfin de vous connaître ;
Ceux pour qui vous avez de si doux sentiments
Ne sont point du tout vos parents.
C’est d’un chardonneret que le sort vous fit naître.
Vous ne fûtes jamais serin : regardez-vous,
Vous avez le corps fauve et la tête écarlate,
Le bec… Oui, dit l’oiseau ; j’ai ce qu’il vous plaira :
Mais je n’ai point une âme ingrate,
Et mon cœur toujours chérira
Ceux qui soignèrent mon enfance.
Si mon plumage au leur ne ressemble pas bien,
J’en suis fâché ; mais leur cœur et le mien
Ont une grande ressemblance.
Vous prétendez prouver que je ne leur suis rien,
Leurs soins me prouvent le contraire :
Rien n’est vrai comme ce qu’on sent.
Pour un oiseau reconnaissant
Un bienfaiteur est plus qu’un père.