Fables chinoises du IIIe au VIIIe siècle de notre ère/17

LES CONSEILS DE L’ENFANT MORT


Plus que de raison,
Un riche maître de maison,
Dans une contrée éloignée,
Aimait son fils ; mais cet enfant
Était souffrant.
Nul remède et nulle saignée
Ne parvenaient à le guérir.
Près de mourir,
Il invoqua de tout son être
Le grand Sage… et vit apparaître
Le Bouddha.
Sa pensée étant ferme
Jusqu’au terme,
Il mérita
De naître
Deva[1].

Ses père et mère inconsolés
Lui désiraient être immolés.
Avec un geste des plus tendres
Ils avaient recueilli ses cendres
Au fond d’une jarre d’argent,
Songeant :
Nous viendrons ensemble répandre
Chaque fois
Le quinzième jour du mois,
Des boissons, de la nourriture,
Devant sa sépulture.

Ils étaient souvent retournés :
Toujours dans la même posture
On les retrouvait prosternés.

Le deva, d’en haut, vit leur peine :
Pour les délivrer de la chaîne
Que leur créait ce deuil affreux,
Il revint sur terre auprès d’eux.
Prenant, au milieu de la plaine,
La forme d’un petit berger
Qui donne de l’herbe à manger
À quelque bœuf mort sur la route :
— Il l’avalera — déclarait-il — toute,
Sans aucun doute —

Et chacun se moquait de lui,
Disant : « Lorsque la vie a fui
Comment coûte que coûte
Un être se nourrirait-il ? »
Et l’enfant répliqua, subtil :
— Ce bœuf a sa tête et sa bouche ;
Il est encor là, sur la couche
Que lui fait mon tas de gazon :
Et s’il ne mange, à plus forte raison
Que mangerait donc ton fils, pauvre femme ?
Ses os, dévorés par la flamme,
Furent calcinés devant toi ! —
— Qui donc es-tu, toi qui nous blâmes ? —
Lui dit le père avec émoi.
— Je suis, — reprit-il, — votre enfant,
J’étais un deva triomphant,
Mais en voyant couler vos larmes
J’ai voulu, par mes simples charmes,
Changer le cours de vos pensers
Insensés
Et calmer vos alarmes.

Le deva disparut soudain.
Comprenant combien il est vain,
Puisqu’il faut qu’on meure,

De s’affliger
Sur cela qu’on ne peut changer,
Rentrés dans leur demeure,
Les parents, sur l’heure,
Lisant les livres saints, se montrèrent contents
Et firent des dons importants.

Pour prix de leur largesse
Il leur fut donné : la Sagesse.

  1. Deva, divinité.