Fables chinoises du IIIe au VIIIe siècle de notre ère/15

LE CYGNE FEMELLE ET SES PETITS[1]


Un cygne femelle avait mis au monde
Trois beaux petits,
En des temps durs où la terre, inféconde,
Aux tendres nids
N’offrait plus ni prés verts, ni moisson blonde :
Lacs et torrents
Étaient vidés et, partant, plus de pêche
Ouvrant ses flancs,
La mère cygne y prit de la chair fraîche
Pour ses enfants.

— Cette chair — dirent-ils — a, ce nous semble,
La même odeur
Que notre mère. — Aussitôt tous ensemble,
Saisis d’horreur
En devinant son geste de martyre,
D’un refus sec,
Bien qu’affamés, mourants, entre eux se dirent :
— Fermons le bec. —
Ces ventres creux se priver de pitance
Lors, un deva
Ému d’un tel courage, en récompense,
Pour eux trouva
De quoi les nourrir tous trois et leur mère.
Et les loua
Disant : « Quel amour extraordinaire
Fit ces petits
Et ce cygne plus grands, dans leur misère,
Que l’appétit ! »


La même légende est rappelée au xiiie siècle dans un « dit moral » de Baudouin de Condé :

Tout ensi com li pelicans
Qui resuscite ses phaons (petits)
De sa char et de ses braons (lambeaux de chair)
Et del sane qui del cuer li court
Dont il ses oiselès recourt (secourt)
Et lor rent vie de sa mort.

  1. Comparer ce cygne au pélican (Nuit de Mai d’Alfred de Musset) :
    Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage,
    Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
    Ses petits affamés courent sur le rivage...
    Pour toute nourriture il apporte son cœur.