Fables chinoises du IIIe au VIIIe siècle de notre ère/06

AUTREFOIS


Autrefois
La fille d’un de nos grands rois
Avait un père
Débonnaire ;
Ses vœux à elle étaient des lois,
Tant il craignait de lui déplaire.

Quelquefois,
— Comme elle allait à travers bois
Au bord des ondes, —
D’eaux profondes
Où se mirait son beau minois
Montaient de grosses bulles rondes.

Une fois
Cette enfant d’un de nos grands rois

Dit à son père :
 « Faites faire
Avec ces bulles que je vois
Un diadème pour me plaire. »

Maintefois
La fille de ce roi des rois
Dit à son père :
 « Je préfère
Mourir… puisqu’aussi bien je vois
Que vous ne voulez pas me plaire ! »

 « Cette fois »
— Dit le plus courroucé des rois
Et le plus triste —
 « Mon artiste
« Fera des bulles que tu vois
« Un diadème… et s’il résiste…

 « Par trois fois…
« Plus de pardon, plus de pourvois,
 « La mort fatale,
 « Et brutale
« L’attend avant la fin du mois,
« Car ma fureur est sans égale ! »

— Une fois
Ô fille du plus grand des rois
Qui fut sur terre,
Daignez faire
Parmi ces bulles un bon choix —
Dit l’artiste — et je vais vous plaire.

Mille fois
La fille du plus fou des rois,
Devant son père,
Voulut faire
Parmi ces bulles un bon choix,
Mais elle se mit en colère :

Chaque fois
Elle voyait entre ses doigts,
Perle éphémère,
Se défaire
La grosse bulle de son choix,
Et c’était une plainte amère.

— Cette fois —
S’écria-t-elle enfin — je vois
Combien est vaine
Votre peine :

Je veux une couronne d’or ! —
Et tu la porterais encor
Si tu n’étais pas morte, ô reine
D’autrefois.