Fête des morts ou le Coffret

La Chanson française du XVe au XXe siècle, Texte établi par Jean GillequinLa Renaissance du livre (p. 301-302).


FÊTE DES MORTS OU LE COFFRET


Au fond d’un vieux coffret empli
De dépouilles de toutes sortes,
J’ai saintement enseveli
Les restes de mes amours mortes,
Et par an, je consacre un jour,
Selon les rites de l’Église,
A solenniser à ma guise
La « Fête des Morts » de l’amour.

Et solitaire en mon logis
Devant mon vieux coffret que j’ouvre,
Tombeau des amoureux débris,
Pieusement je me découvre ;
Puis de mes pleurs prompts à jaillir,
Dévotieusement j’arrose
L’étroite fosse où je dépose
Les pâles fleurs du souvenir.

Hier, j’ai rempli ce doux devoir
Et j’ai vu dans leur sépulture,
Le plus vieux blanc, le moins vieux noir,
Deux gants de petite pointure ;
Et tristement j’ai revécu
En quelques trop brèves minutes
Tout un temps d’amoureuses luttes
Où l’amour est tombé vaincu.

Et le gant blanc m’a rappelé
L’aube blanche de la journée
Où les sens pris, le cœur troublé,
La plus chère à moi s’est donnée.
Et, chose étrange, il m’a semblé
Que la main de cette maîtresse
Frôlait, frôlait d’une caresse
Mon visage de pleurs voilé.


Et le gant noir m’a rappelé
La nuit où prenant sa volée,
Les sens brisés, le cœur brûlé,
La plus chère s’en est ailée.
Et, chose étrange, il m’a semblé
Que la main de cette maitresse,
Comme en des griffes de tigresse,
Broyait mon cœur inconsolé.

Et j’ai fermé mon vieux coffret
Plein des reliques des absentes,
Songeant que tout est fait, défait
Par d’autres mains toutes-puissantes,
Les mains pesantes des destins,
Tantôt douces, tantôt cruelles,
Qui tirent, cassent les ficelles
Dont les hommes sont les pantins.

Xavier Privas


(F. Laurens, Éditeur de musique, 190, rue St-Honoré, Paris.)