Félicia ou Mes Fredaines (1778)
Bibliothèque des curieux (p. 39-41).
Première partie


CHAPITRE XIV


Événement intéressant.


Pendant une nuit brûlante de la canicule il y eut un orage affreux de tonnerre et de grêle. Je n’avais pu fermer l’œil ; l’excès de la chaleur m’avait fait jeter mes couvertures et quitter ma chemise trempée de sueur. Vers le jour, le temps devint calme ; alors je voulus me dédommager de ma mauvaise nuit, et devenue habile dans l’art de me procurer des jouissances, je réitérai plusieurs fois ce délicieux exercice qui charme l’ennui de tant de recluses, qui console tant de veuves, soulage tant de prudes, de laides, etc… Dans un moment où je revenais à peine à moi-même, j’entendis ouvrir doucement ma porte, qui faisait face au pied de mon lit. J’avais pour lors une attitude si singulière que je n’en pouvais changer sans donner matière à quelque soupçon. J’eus donc la présence d’esprit de feindre de dormir et de n’entrouvrir les yeux qu’assez pour voir qui pouvait entrer ainsi chez moi si matin : c’était Sylvino lui-même. Le premier mouvement qu’il fit en me voyant peignit la plus délicieuse surprise. J’étais dans l’état où les trois déesses s’offrirent aux yeux de Pâris, sur le dos, la tête appuyée contre le bras gauche, dont la main renversée couvrait à moitié mon visage ; mes jambes, l’une à peu près étendue, l’autre écartée, le genou un peu plié, trahissaient le plus secret de mes charmes ; et la main qui venait de le si bien fêter gisait mollement à côté de la cuisse… Après avoir contemplé quelques moments de la porte cette position, qu’un peintre voluptueux devait trouver ravissante, Sylvino vient à mon lit avec beaucoup de précaution et m’oblige pour le coup à fermer tout à fait les yeux, ne voulant pas qu’il pût douter de mon sommeil. Il vient tout près de moi : Qu’elle est belle ! dit-il ; et en même temps je sentis un baiser sur certain duvet qui commençait à cotonner. Je ne m’attendais pas à cette singulière caresse. Je frissonnai, un mouvement plus prompt que la pensée changea ma posture ; Sylvino se trouva forcé de me parler.

— Ma chère Félicia, dit-il avec un peu de confusion, je suis fâché d’avoir troublé ton repos ; mais j’étais venu pour savoir comment tu te trouvais après ce terrible orage, et si tu n’en as pas été incommodée. Puis te voyant dans un désordre qui t’exposait à prendre quelque maladie, j’ai cru devoir m’approcher… Il faut te recouvrir. — En effet, il rejetait le drap sur moi et l’arrangeait avec la plus heureuse maladresse ; ses mains me parcouraient savamment. Je feignais beaucoup de reconnaissance : son empressement officieux alla jusqu’à me passer lui-même une chemise ; complaisance qui lui valut encore quelques jolis larcins, dont je ne lui sus point mauvais gré. Certain feu brillait dans ses yeux… Ah ! s’il m’eût aussi bien devinée !… Mais il ne hasarda qu’un baiser, un peu libre à la vérité pour un oncle ; je le rendis, je crois, un peu libéralement pour une nièce… Il s’en allait… Il hésita… J’espérais… Il s’en alla tout de bon.