Extrême-Orient, 1931 — 1938/1934-8

L. Fournier et Cie (p. 105-107).

PRÉOCCUPATIONS ANGLAISES EN EXTRÊME-ORIENT

26 Août 1934.

Les affaires d’Extrême-Orient retiennent de plus en plus l’attention des milieux britanniques. L’envoi d’une mission économique anglaise dans le Mandchoukouo est significatif à cet égard autant que la satisfaction avec laquelle les journaux en ont informé leurs lecteurs. C’est que depuis plusieurs années, le prestige et les affaires britanniques en Extrême-Orient n’ont pas augmenté, loin de là ! et qu’il y a beaucoup de terrain à regagner. Pouvoir commercer avec le nouvel État mandchou serait une aubaine pour les négociants anglais.

D’abord la concurrence japonaise est ressentie par l’Angleterre dans tout son empire, et des affaires avec le Mandchoukouo seraient une sorte de compensation ; mais sous une autre forme, la poussée russe en Asie, la recherche de la part des Russes d’appuis et de concours divers en Asie centrale atteignent également les Britanniques. Nous avons signalé à plusieurs reprises, au cours de cette année, les difficultés que rencontraient Anglais et Russes dans leurs relations en Asie centrale, et nous avons émis l’opinion qu’ils en rencontreraient d’autres. La diplomatie soviétique, disions-nous, a regagné bien du terrain en Afghanistan et en Perse dont les gouvernements s’entendent. Une dépêche de Simla, du 6 juillet, annonçait : « Les deux gouvernements d’Afghanistan et de Perse ont décidé de relier leurs réseaux télégraphiques respectifs, séparés actuellement par une distance de trente-sept kilomètres. Cette mesure est l’une des conséquences de la nouvelle politique de coopération suivie par les deux pays. »

Et tandis que le Times s’indignait des intentions que la presse russe prêtait à l’Angleterre au Sin-Kiang, les Izvestia ridiculisaient les insinuations de la Gazzetta del Popolo, de Turin, qui attribuait au gouvernement soviétique des visées de conquête sur les pays entre « le toit du monde et la Caspienne », c’est-à-dire sur la Perse et l’Afghanistan. La Pravda écrivait dans le même sens.

Il ne saurait être question de conquête des Russes sur la Perse et l’Afghanistan, mais d’avantages économiques facilitant par certains arrangements leur avance, économique toujours, vers le golfe Persique et la mer d’Oman. Quant à cela aucun doute n’est permis. Le correspondant du Temps à Moscou télégraphiait le 26 janvier dernier : « On sait que le Turkestan russe est depuis 1905 relié à la Russie d’Europe par la ligne de chemin de fer qui suit le cours du Syr-Daria, vers Orenbourg, et que le gouvernement soviétique l’a relié, en 1930, à la Sibérie, par la fameuse voie ferrée du Turksib ; mais, au sud, des susceptibilités politiques ont jusqu’ici empêché le prolongement des lignes Merv-Kouchka et Boukhara-Termez, vers l’Afghanistan et les Indes. Les tronçons russes, en tout cas, sont construits ou doivent l’être prochainement, et en attendant que soit possible l’établissement de voies ferrées internationales vers l’Inde, ils contribuent grandement au développement économique de l’Asie centrale soviétique. »

Les événements ont dressé la Russie et l’Angleterre l’une contre l’autre au dix-neuvième siècle. Après la période de rapprochement qui s’ouvrit par l’accord de 1907 fixant les zones d’influence en Perse et reconnaissant la position de l’Angleterre en Afghanistan et au Thibet, les difficultés recommencèrent avec la chute de l’empire des tsars et l’avènement du bolchevisme. En Perse, en Afghanistan, au Turkestan chinois, la querelle a repris aujourd’hui de plus belle. Étant donné la tension, d’ailleurs relative des rapports russo-japonais, Londres peut être tenté d’employer cette tension à son profit. Provoquer des réactions chez les Japonais en montrant les Russes agressifs n’est pas une politique nouvelle ; elle est assez dans les habitudes de certaines puissances, et il semble que, dans les circonstances présentes, l’Angleterre l’ait adoptée.

De fait, la presse anglaise a témoigné d’une tendance projaponaise qui pourrait induire en erreur, et dont il faut se garder de tirer des conclusions trop rapides. En réalité, les Japonais sont tenus par les Anglais pour des rivaux et des concurrents au premier chef. Mais justement il y a les affaires, et les Anglais voient sans doute le moyen d’en faire dans le ton nouveau de leur presse à l’endroit du Japon.

« Le développement industriel de l’empire nippon est fatal, écrivait par exemple le Daily Telegraph du 19 août. Il ne peut y avoir que bénéfice à mieux connaître ce pays et l’idéal qui anime ses chefs. »

On voit qu’un jeu compliqué se joue, en Extrême-Orient, entre la Russie, le Japon, l’Angleterre auxquels on peut ajouter, sans craindre de se tromper, l’Amérique. À la veille de la conférence navale de 1935, la reconnaissance des Soviets par Washington n’est pas sans signification et sans but spécial. Il est peu probable que les communistes russes consentent jamais à être en Extrême-Orient les soldats du capitalisme américain ; mais la reconnaissance des États-Unis leur a donné confiance et leur a valu certainement autre chose encore de plus substantiel, qui les a poussés à masser dans la Province maritime des troupes qui sont un voisinage inquiétant et énervant pour l’opinion japonaise.

Le maintien de ces troupes, malgré la demande faite par le gouvernement de Tokio à Moscou de les éloigner, n’a qu’un sens : peser sur la conférence navale.

L’Extrême-Orient n’est donc pas préoccupant seulement pour l’Angleterre ; mais ce que nous avons voulu souligner, c’est que les préoccupations de celle-ci lui ont soudain dicté une attitude carrément antisoviétique.