Extrême-Orient, 1931 — 1938/1934-11

L. Fournier et Cie (p. 114-116).

RAPPROCHEMENT ANGLO-JAPONAIS EN ASIE

5 Décembre 1934.

Il y a trois mois nous écrivions ici : « Il ne saurait être question de conquête des Russes sur la Perse et l’Afghanistan, mais d’avantages économiques facilitant par certains arrangements leur avance, économique toujours, vers le golfe Persique et la mer d’Oman… En Perse, en Afghanistan, au Turkestan chinois la querelle russo-anglaise a repris de plus belle. Étant donné la tension, d’ailleurs relative, des rapports russo-japonais, Londres peut être tentée d’employer cette tension à son profit. Provoquer des réactions chez les Japonais en montrant les Russes agressifs n’est pas une politique nouvelle, etc. »

Depuis lors, la tendance des Anglais à se rapprocher des Japonais s’est accentuée au point que, l’imagination aidant, l’on est allé, sans la moindre raison sérieuse, jusqu’à parler, à la suite d’un journal anglais trop peu avare de nouvelles sensationnelles, de la résurrection de l’alliance anglo-japonaise.

Inutile de prendre des airs sibyllins pour expliquer l’attitude nouvelle des Anglais à l’égard des Japonais. D’une part, l’activité des Soviets en Asie centrale et occidentale, d’autre part la fin de l’omnipotence du dollar et les difficultés dans lesquelles se débattent les États-Unis. Voilà des faits. Tout le reste n’est qu’hypothèses.

Le dollar peut regagner un jour sa position d’autrefois, mais ce qui ne changera pas c’est la volonté et le besoin des Russes de se pousser en Asie. Au fur et à mesure que grandit l’obstacle japonais à l’horizon oriental, les Russes inclinent vers le sud. Les Anglais voient dans le Japon la seule puissance capable de détourner aujourd’hui de la Perse et demain des Indes l’activité débordante des Soviets. Peut-être les Anglais ne se représentent-ils pas encore très bien l’idée que les Japonais, à tort ou à raison, se font d’eux-mêmes, mais les pourparlers navals en cours les y aident évidemment, et ils apprécieraient d’autant leurs services éventuels.

En tout cas, il n’est pas douteux que ce ne soit le tour de l’influence russe, après l’influence anglaise, de gagner en Perse et en Afghanistan. Il n’est pas sans intérêt de signaler que les grands travaux de communications en Perse dans la direction du golfe Persique sont maintenant activés et que cet effort coïncide avec ce que l’on sait du renouveau des relations russo-persanes dont nous avons parlé à plusieurs reprises. Le lecteur nous saura sans doute gré de reproduire les renseignements suivants contenus dans le Bulletin de la chambre de commerce franco-persane :

C’est au cours de 1925 que fut décidé l’établissement de la ligne mer Caspienne-golfe Persique, déjà étudiée par des ingénieurs français ; les travaux commencèrent en 1927. La longueur de ce Transpersan nord-sud doit être de 1 552 kilomètres, de Bender-Chahpour, sur le golfe Persique, à Bender-Chah sur la mer Caspienne. Le tronçon nord, de Bender-Chah à Téhéran, qui doit mesurer 458 kilomètres, est en exploitation sur 130 kilomètres ; le tronçon sud, Téhéran-Bender-Chahpour, 1 000 kilomètres, fonctionne déjà sur 305 kilomètres, le nivellement et le ballastage étant effectués sur 120 kilomètres. Il reste à construire 1 117 kilomètres en tout.

Des contrats de construction avaient été passés avec la Société française de construction des Batignolles, qui a posé le pont métallique du Karoun ; mais le gouvernement a confié l’achèvement du chemin de fer à un groupe dano-suédois, la société Kampsax, qui doit avoir terminé les travaux dans le délai de six ans à partir de 1932. Les ports de Bender-Chah et de Bender-Chahpour seront construits sous la direction d’ingénieurs danois et norvégiens.

Ces renseignements qui complètent ceux que nous avons donnés dans nos articles précédents témoignent au moins une reprise d’activité de la vie économique de la Perse. On sait trop que cette activité ne se fait pas sous l’égide de la Grande-Bretagne pour douter des influences qui l’inspirent et la secondent.

Mais ces influences sont-elles seulement russes ou bien sont-elles russo-japonaises, comme certains télégrammes de presse pourraient le faire croire ? L’intérêt japonais pour la partie de l’Asie qui nous occupe ressort clairement de l’établissement d’un service mensuel de bateaux entre Kobé et le golfe Persique par la Nippon Yusen Kaisha et la Osaka Shosen Kaisha. Le premier départ, celui du Lisbon Maru (N.Y.K.) aura lieu le 22 décembre prochain de Kobé, le second, celui de l’Alaska Maru (O.S.K.), le 26 janvier.

Nous avons déjà signalé le lien persan qui peut exister entre Russes et Japonais. Il y a certes là de quoi rendre les Anglais perplexes.

Qu’elles soient russes ou russo-japonaises, les influences dont nous parlions prouvent que les difficultés entre Russes et Anglais ont recommencé comme il y a trente ans, avec cette différence que les deux partis étendent leur champ d’action jusqu’en Asie centrale au détriment de la Chine, à cause de la négligence montrée par celle-ci dans ses possessions extérieures, et dont elle s’aperçoit un peu tard. Mais ce que nous soulignons aujourd’hui c’est que plus les Soviets chercheront la mer au sud plus l’Angleterre leur apparaîtra de nouveau comme une barrière, un obstacle à leur expansion en Asie, ce qu’ils avaient oublié depuis leur guerre avec le Japon ; plus aussi les Anglais tendront malgré tout à se rapprocher des Japonais.

Il ne saurait être question, nous le répétons, de conquête russe sur la Perse. Même si le contraire était dans les intentions de Moscou, il est trop facile au gouvernement persan de les réduire à néant, en renouvelant sa menace de 1921 de se tourner complètement vers l’Angleterre. Mais celle-ci est trop soucieuse de conserver ses marchés pour ne pas redouter les conséquences économiques du déplacement d’intérêt que marquent les Russes en Asie et ne pas se prémunir dès à présent contre ces conséquences.