Explication du Sermon sur la Montagne/Chapitre I. Règle parfaite de la vie chrétienne. — Montagne. — Ouvrir sa bouche. — Les pauvres d’esprit.

Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 257-258).
◄  X
II  ►

EXPLICATION DU SERMON SUR LA MONTAGNE modifier

LIVRE PREMIER. PREMIÈRE PARTIE DU SERMON. modifier

CHAPITRE PREMIER. RÈGLE PARFAITE DE LA VIE CHRÉTIENNE. – MONTAGNE. – OUVRIR SA BOUCHE. – LES PAUVRES D’ESPRIT. modifier


Traduction de M. l’abbé DEVOILLE.


1. En étudiant avec piété et avec prudence le sermon que Notre-Seigneur Jésus-Christ a prononcé sur la montagne, tel que nous le lisons dans l’évangile selon saint Matthieu, on y trouvera, je pense, tout ce qui regarde les bonnes mœurs, un parfait modèle de la vie chrétienne. Je ne m’aventure point en disant cela, mais je me fonde sur les paroles mêmes du Seigneur. En effet, en concluant ce discours, le Sauveur laisse entendre qu’il y a renfermé tous les préceptes propres à former notre vie, puisqu’il dit : « Donc, quiconque entend ces paroles que je publie et les accomplit, je le comparerai à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre ; la pluie est descendue, les fleuves se sont débordés, les vents ont soufflé et sont venus fondre sur cette maison ; et elle n’a pas été renversée, parce qu’elle était fondée sur la pierre. Mais quiconque entend ces paroles que je dis et ne les accomplit pas, je le comparerai à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable ; et la pluie est descendue, les fleuves se sont débordés, les vents ont soufflé, et sont venus fondre sur cette maison ; et elle s’est écroulée, et sa ruine a été grande. » En disant, non pas simplement : « Celui qui entend mes paroles » mais : « celui qui entende ces paroles que je dis » le Seigneur a assez indiqué, ce me semble, que les paroles qu’il a prononcées sur la montagne peuvent imprimer à la conduite de ceux qui veulent les mettre en pratique une perfection telle qu’on pourra justement les comparer à un homme qui bâtit sur la pierre. Je dis ceci pour montrer que ce discours renferme
2. Voici donc le préliminaire de ce sermon : « Or Jésus, voyant une grande foule, monta sur la montagne, et lorsqu’il se fut assis, ses disciples s’approchèrent de lui, et ouvrant sa bouche, il les instruisait, disant. » Si on demande ce que signifie la montagne, il est raisonnable de penser qu’elle désigne l’importance plus grande des préceptes de la justice, comparativement à ceux de la loi judaïque qui leur sont inférieurs. Cependant c’est le même Dieu qui, par ses saints prophètes et ses serviteurs, selon l’exacte convenance du temps, adonné des commandements de moindre valeur à un peuple qu’il fallait encore enchaîner par la crainte ; et d’autres, plus précieux, par son Fils, à un peuple qu’il convenait d’affranchir par la charité. Mais les uns et les autres, selon leurs proportions, ont été donnés par celui qui seul sait appliquer à propos le remède convenable aux maux du genre humain. Et il n’y a rien d’étonnant à ce que le même Dieu qui a fait le ciel et la terre, ait donné des préceptes plus grands en vue du royaume du ciel, et d’autres moins grands en vue du royaume de la terre. Or c’est de cette justice plus grande qu’il est dit dans le roi-prophète : « Votre justice est élevée comme les montagnes de Dieu[1]. » Et voilà précisément ce que signifie la montagne sur laquelle enseigne le maître unique, le seul propre à enseigner de si grandes choses. Et il s’assoit pour enseigner, comme il convient à la dignité d’un maître ; et ses disciples s’approchent de lui, afin d’être plus près, de corps, pour entendre ses paroles, comme ils se rapprochaient déjà par l’esprit pour les accomplir. « Et, ouvrant sa bouche, il les instruisait, disant. » Cette circonlocution : « Et ouvrant sa bouche » a peut-être pour but, en retardant un peu le commencement du discours, d’indiquer qu’il sera plus long ; à moins qu’on n’y voie une allusion à ce qui se lit souvent dans l’ancienne loi, que Dieu ouvrait la bouche des prophètes, tandis que lui-même ici ouvre la sienne.

3. Que dit donc le Sauveur ? Bienheureux les pauvres d’esprit, parce qu’à eux appartient le royaume des cieux. » Nous lisons, à propos de l’ambition des choses temporelles : « Tout est vanité et présomption d’esprit[2]. » Or présomption d’esprit veut dire audace et orgueil ; on dit en effet vulgairement des orgueilleux qu’ils ont l’esprit haut, magnus spiritus, et avec raison, puisque le mot spiritus veut dire aussi vent ; comme nous lisons dans un psaume : « le feu, la grêle, la neige, la glace, l’esprit de la tempête[3]. » Et qui ignore qu’on donne aussi aux orgueilleux le nom d’enflés, comme qui dirait bouffis par le vent ? A quoi revient encore le mot de l’Apôtre : « La science enfle, mais la charité édifie[4]. » C’est pourquoi on a raison d’entendre ici par pauvres d’esprit les hommes humbles et craignant Dieu, c’est-à-dire qui n’ont point l’esprit qui enfle. Or la béatitude ne pouvait absolument avoir un autre principe, puisqu’elle doit arriver à la souveraine sagesse, et que « la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse[5] » tandis qu’au contraire, « l’orgueil est donné comme le commencement de tout péché[6]. » Que les orgueilleux ambitionnent donc et aiment les royaumes de la terre ; mais « heureux les pauvres d’esprit, parce qu’à eux appartient le royaume des cieux. »

  1. Ps. 35, 7
  2. Ecc. 1, 44 selon les Septante.
  3. Psa. 148, 3
  4. 1Co. 8, 1
  5. Sir. 1, 16
  6. Ib. 10, 15