ÉTUDES
SUR
L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE

LES PRÉLIMINAIRES.

I. Victor Duruy, Histoire des Romains, t. III à VII de l’édition illustrée. — II. Fustel de Coulanges, Histoire des institutions politiques de l’ancienne France, t. I, 2e édition, et Recherches sur quelques problèmes d’histoire. — III. Geffroy, Rome et les Barbares (2e édition). — IV. J. Zeller, Histoire d’Allemagne, t. I, 2e édition. — V. Freytag, Bilder aus der Deutschen Vergangenheit, t. I, 13e édition. — VI. Von Sybel, Entstehung des Deutschen Königthums (2e édition). — VII. Teuffel, Geschichte der Römischen Literatur (4e édition). — VIII. Waitz, Deutsche Verfasstmgsge schichte, t. I (3e édition).

I

Les tribus qui devaient former un jour la nation des Germains emportèrent, en quittant l’Asie pour se diriger vers l’Europe, le trésor d’une expérience acquise pendant la période préhistorique. Ces futurs Germains étaient des pâtres et des cultivateurs ; ils avaient mis le taureau sous le joug, dompté le cheval, et domestiqué nombre d’animaux. Ils travaillaient le bois, la pierre, les métaux et fabriquaient leurs charrues et leurs armes. Chez eux la famille était organisée ; elle avait son chef, qui était l’homme d’une seule épouse ; et la langue primitive, par le nom même qu’elle donnait à chaque membre de la famille, marquait la hiérarchie des sentimens et des devoirs entre le mari et la femme, les parens et les enfans, le frère et la sœur. La famille, avec ses serviteurs et ses esclaves, était le cadre naturel de la société ; l’autorité de son chef, la seule forme de gouvernement. Sans doute, les rameaux d’une même famille, en se séparant, gardaient l’attache au tronc commun, et il arriva, même dans ces temps reculés, que des groupes associés formèrent comme une première ébauche d’un peuple ; mais plus l’association s’éloignait du point de départ, plus faible était le lien qui en unissait les parties. L’esprit de ces ancêtres travaillait à la solution des grands problèmes, il cherchait Dieu et il avait trouvé une religion : c’était la poésie de la nature, ressentie par des âmes jeunes, faciles à l’admiration et plus encore à la terreur. Les forces grandes et petites, l’astre et la source, la tempête et la brise, tous les phénomènes auxquels est attentif l’homme encore proche de l’état de nature, le silence des bois, le vol et le chant des oiseaux étaient dieux ou manifestations divines. Le contraste de l’utile et du nuisible, du jour et de la nuit, de l’hiver et du printemps avaient fait naître l’idée d’une lutte perpétuelle entre les bons et les mauvais esprits. les dieux habitaient la maison comme ils animaient la nature. Ils présidaient à tous les actes de la vie ; chaque famille, chaque peuple avait son ancêtre surhumain, et les familles qui gardèrent cette généalogie divine devinrent plus tard des dynasties.

Tous les peuples de la race aryenne emportèrent dans les patries nouvelles ces germes d’une civilisation : l’éclosion en fut plus ou moins rapide, selon la nature du sol où ils les déposèrent.

La péninsule hellénique est baignée par la mer qui a vu naître et mourir les civilisations anciennes. Elle déplie son rivage devant la Méditerranée, la recevant dans ses golfes et y poussant ses promontoires. Des îles disséminées à de courtes distances semblent montrer le chemin au Grec vers l’étranger et à l’étranger vers la Grèce. Quand les tribus aryennes occupèrent ce pays, l’Egypte, toute proche, avait depuis longtemps sa société organisée, ses monumens, sa religion et la sagesse de ses prêtres. La Phénicie envoyait sur les côtes helléniques ses marchands, porteurs des deux grands instrumens d’échange : la monnaie et l’alphabet. Enfin les Hellènes établis sur les côtes de l’Asie-Mineure furent les élèves des peuples civilisés de l’Asie continentale. Les Aryens de Grèce eurent donc pour maîtres les premiers sages, les premiers ouvriers, les premiers artistes, les premiers manieurs d’argent de l’humanité. La conformation de leur pays, l’étroitesse des bassins fluviaux, l’enchevêtrement des vallées opposées les unes aux autres et dominées par des plateaux morcelaient en peuples la population et divisaient le travail entre eux : ici la charrue, là le troupeau, et, sur toutes les côtes, le navire du marchand. L’espace ne permettait pas de s’étendre ; serrés les uns contre les autres, les hommes furent contraints à trouver les moyens et les formes d’une vie en commun. Enfin la modération, l’harmonie et la grâce des forces naturelles laissaient l’esprit penser librement sur les choses. C’est pourquoi les Aryens de Grèce ajoutèrent au trésor apporté d’Asie les emprunts qu’ils firent à leurs aînés et leurs inventions propres ; ils devinrent des marchands, des artistes, des soldats, des politiques ; ils trouvèrent la cité, et le voile léger de leur mythologie ne les empêcha pas de découvrir la philosophie.

Les Germains ont été très lents dans leur marche vers l’occident. Ni l’histoire, ni la légende ne permet de dire en quel siècle ils commencèrent à se répandre dans la Germanie, dont ils n’occupèrent d’abord que la partie septentrionale. Le Danube et les Alpes les séparaient de la région civilisée. Ils avaient pour tout voisinage celui des Slaves et des Celtes, qui ne pouvaient leur donner aucun secours ni aucun modèle. Pas un foyer n’était allumé sur la côte monotone de la Baltique, ni sur le rivage boueux de la mer du Nord ; ici sévissait la violence des marées et du vent, la terreur des tempêtes : mer du Nord est mer de mort, dit le matelot : Nordsee Mordsee. Tout le pays est orienté vers le pôle ; au bout de l’horizon est la fin du monde. Sur cette étendue, presque point de reliefs ; les fleuves, parallèles les uns aux autres, semblent communiquer par leurs affluens. Point de hautes ceintures à ces bassins, par conséquent, point de rebords pour des berceaux de peuples. Aucune variété dans la vie : seuls, les riverains de la mer se distinguent des autres peuplades. Pas d’ardeur au travail, car il faut comme stimulant à la paresse naturelle une récompense prochaine, et il y avait trop à faire pour dessécher ces marais et défricher ces forêts où l’on cheminait des semaines entières sans voir le soleil. On faisait le nécessaire pour la vie quotidienne, rien de plus. C’est pourquoi les Germains ajoutèrent peu au trésor apporté d’Asie. Ils n’eurent ni commerce ni arts. Ils demeurèrent des guerriers, ne devinrent ni des soldats ni des citoyens. Ils compliquèrent leur religion par des mythes superbes et s’élevèrent peu à peu à une conception des dieux et du monde, mais leurs dieux n’eurent pas d’athées et il n’y eut pas de philosophes parmi leurs prêtres.

Les Germains vécurent ainsi jusqu’au jour où ils connurent les peuples méditerranéens. Les Grecs sont les premiers qui aient écrit des noms germaniques, mais les Germains ne sont entrés en contact avec l’histoire qu’un siècle avant Jésus-Christ, lorsque les Cimbres et les Teutons se heurtèrent contre Rome. À cette date, la Grèce a terminé sa vie politique et Rome est déjà fort avancée dans la conquête du monde.

Au début de ces études dont l’histoire de l’Allemagne est le sujet se place donc cette remarque : sur la Grèce morte, sur Rome dont la croissance s’achève et qui va entrer en décadence, les Germains ont cet avantage qu’ils n’ont pas commencé à vivre. N’avoir point de passé, cela n’est pas nécessairement, mais cela peut être une raison pour avoir un avenir.


II

L’invasion des Cimbres et des Teutons ouvre la période des migrations germaniques dans la direction du sud et de l’ouest. Quelle est la cause de ces migrations, phénomène si considérable dans l’histoire de la Germanie, de l’Europe et du monde ?

Les Germains n’adhéraient pas à leur sol. Ils n’étaient plus des nomades au Ier siècle avant l’ère chrétienne, mais le souvenir de la vie errante n’était pas éloigné de leur esprit. Mainte habitude en avait persisté, car on fait mal dans une plaine l’apprentissage de la vie sédentaire ; il est trop aisé de s’y mouvoir pour se dérober à un péril ou pour suivre une fantaisie. Une des causes des migrations germaniques est la géographie même de la Germanie. Les Germains étaient répartis en villages, et le village était le cadre de la vie germanique, comme la cité le cadre de la vie hellénique et romaine. C’est un territoire, partie de prairies et de bois, partie de champs cultivés ; ça et là, des maisons dans des enclos protégés par des haies, des fossés, et des chiens. Les prairies et les bois sont la propriété de la commune, et l’usage en est permis à tous ses membres. Les champs sont répartis par lots entre les chefs de famille, mais il est probable qu’ils ne les possèdent pas en pleine propriété ; au moins semble-t-il que la commune garde son droit et qu’elle le marque en faisant, à termes réguliers, une distribution nouvelle des lots ; la seule propriété pleine du Germain libre serait donc sa maison et son troupeau. En tout cas, la commune règle les modes de culture et l’usage des biens communaux. Le village a son assemblée, où l’on traite des affaires qui intéressent cette société de propriétaires, laissant d’ailleurs chaque chef de maison maître de ses affaires propres : naissance, mariage, mort sont choses de famille. Le village n’est pas isolé ; il est souvent en relations avec tel village voisin, parce qu’il possède en commun avec lui des prairies et des bois. Une association plus vaste se retrouve dans tous les pays germaniques, c’est la centenie ; elle a sans doute compris à l’origine cent familles établies dans cent villages et qui gardaient le souvenir d’un commun ancêtre. La centenie a son assemblée qui fait œuvre de justice, en certains cas limités, car l’homme libre attaqué ou injurié repousse lui-même l’attaque, et se venge de l’injure avec l’aide des siens. Enfin, plusieurs centenies forment ce que les Romains appellent une civitas, c’est-à-dire un état gouverné soit par un conseil de princes, soit par un roi, mais aussi par le concilium eivitatis, assemblée des hommes libres du peuple entier.

Tacite décrit ces mœurs avec une admiration contenue. L’opposition qu’il a voulu marquer entre Rome asservie et vieille et la jeune Germanie, féconde en hommes libres, nous émeut encore. Après lui, dans un autre de ces momens où l’esprit, repu des jouissances d’une civilisation achevée, s’éprend des souvenirs de la vie barbare et ressent la nostalgie des origines, un historien philosophe a célébré le « beau système » que les Germains ont trouvé « dans les bois. » Montesquieu entend par là le système de la liberté politique. Aujourd’hui, nous ne croyons plus que les institutions libres aient eu les bois pour berceau. L’inexpérience de l’autorité, l’incapacité de la subir ne sont pas la liberté. La liberté, au sens que nous donnons à ce mot, et le régime représentatif, qui en est la garantie, sont les produits d’un contrat, et il n’y a pas en Germanie de parties contractantes. Au reste, il n’est pas de notre dessein d’étudier ces institutions primitives, et nous voulons dire seulement que les Germains, qui avaient en ce temps-là un nombre d’idées restreint et quelques sentimens très simples, vivaient de la vie locale, dans la famille et dans le village. Ce bel ensemble d’institutions, sur lesquelles on disserte avec la prétention de décider dans quelle mesure les Germains avaient la notion de l’état ou colle de la liberté, n’est guère qu’une apparence. En réalité, il ne tient pas soudées ensemble les diverses parties d’un peuple ; une famille se détache aisément de la centenie, une centenie de la civitas. La plupart des armées d’envahisseurs sont faites de fragmens de peuples, et c’est précisément une cause des migrations germaniques que cette mobilité des groupes germains.

Ces institutions n’avaient pas prévu le progrès de la population. Elles étaient bonnes au temps de la vie nomade, car il importe peu à un peuple en marche que le nombre des enfans s’accroisse : on tient plus de place sur le chemin, et tout est dit. Mais le peuple est devenu sédentaire ; il a des cadres fixes, tant de chefs de famille par village, tant de villages par centenies. La vie ne s’accommode pas de cette arithmétique, et la crue de la population, augmentant le nombre des propriétaires, diminuant le lot de terre labourable, rend la vie impossible. Il faut bien s’étendre, et, quand on ne le peut plus, émigrer. Une des causes des migrations est l’imprévoyance naïve de peuples qui ne songent pas au lendemain.

Une coutume germanique paraît entre toutes avoir intéressé Tacite : un homme, distingué par la naissance, le courage et la richesse groupe amour de lui d’autres hommes, jeunes, courageux et décidés à chercher fortune derrière lui. Il les garde auprès de lui en temps de paix, les nourrissant par de « larges repas ; » mais le temps de paix est l’exception, car la compagnie vit par la guerre et pour la guerre. Sous les ordres du chef, elle prend pour elle le plaisir de la bataillent une part du butin, lui laissant l’honneur de la victoire : c’est une gloire que de mourir à ses côtés, et lui survivre est une infamie. Pareille coutume se retrouve dans les pays et dans les temps où l’homme, qui vaut par lui-même, emploie librement sa valeur, qu’aucune loi ne contient ; mais nulle part l’usage du dévoûment à un chef n’a été plus répandu, plus persistant, plus riche en conséquences que chez les Germains. Ces hommes avaient une remarquable aptitude à se grouper, à se subordonner et à servir : l’obséquiosité envers les grands est encore aujourd’hui un trait du caractère germanique. Au temps de la Germanie barbare, l’empressement à se grouper autour d’un chef et à former une bande organisée pour la guerre a été une des causes des migrations.

Le Germain ne se pliait pas volontiers au travail, qu’il n’aimait point. Car il y a un soigneur dans tout homme libre barbare ; il estime honteux d’acquérir à la sueur de son corps ce qu’il peut gagner à la force du bras ; il fait travailler sa femme et ses serviteurs ; pour lui, il est chasseur, chasseur de bêtes et chasseur d’hommes ; il prend à la bête sa chair et sa dépouille, à l’homme, sa moisson et ses troupeaux, son crâne pour y boire aux jours de fête, ou, s’il lui laisse la vie, sa liberté. Une des causes des migrations est cet état de civilisation où la guerre est la forme héroïque de l’incapacité de travail. Et la guerre est partout en Germanie, entre familles, entre villages, entre centenies d’un même peuple, entre les peuples ; car si les Germains parlent les dialectes d’une même langue et s’accordent sur les principes d’un droit primitif, si la rudesse de leur pays, l’inclémence de la mer hantée par les tempêtes et du ciel parcouru par de grands nuages, si le mystère de leurs forêts noires leur donnent une gravité lente, l’habitude de la vie intime de l’esprit, et cette imagination féconde en images terribles ou charmantes, s’ils demeurent, malgré toute sorte de variétés, semblables les uns aux autres, ils n’ont pas même l’idée d’une patrie germanique : les assemblées de leurs peuples, tenues à la saison propice pour la guerre, sont des revues d’armées prêtes à la marche. Ces peuples s’acharnent les uns contre les autres, et Rome, qui se complaît à ce spectacle, prie les dieux de ne point s’en lasser.

Enfin la Germanie du nord nourrissait mal des hommes qui ne savaient pas amender leur sol. La Gaule voisine, plus riante et plus fertile, le soleil et les fruits de l’Italie et l’opulence des villes civilisées attiraient le paysan germain, pauvre et brave. Mais cette cause de migrations n’est pas la principale. Les Cimbres et les Teutons ne connaissaient pas l’Italie, et ils furent étonnés de rencontrer encore, après avoir changé de route plusieurs fois, la frontière romaine. En résumé, les Germains ont émigré parce que ces nomades d’hier n’étaient pas encore attachés au sol, parce que l’organisation propre à la vie nomade, appliquée à la vie sédentaire, ne permettait pas la croissance normale d’un peuple, parce que leur industrie principale était la guerre, parce qu’ils étaient pauvres et qu’ils étaient braves, parce qu’une nation à ses origines pratique sans fausse pudeur le droit de la force, que les nations civilisées pratiquent en le reniant.


III

L’extermination des Cimbres et des Teutons, en l’année 102 avant Jésus-Christ, termina la première guerre défensive de Rome contre les Germains ; la victoire de César sur Ariovisto termina la seconde un demi-siècle après. Rome donne alors à la Germanie pour frontières méridionale et occidentale, le Danube et le Rhin ; mais il était difficile de contenir les populations mobiles qui habitaient les rives des deux fleuves, d’autant plus qu’elles subissaient souvent le contre-coup de mouvemens qui se produisaient à l’intérieur ou aux extrémités de la Germanie. Rome, pour se défendre, prit l’offensive, et l’on put croire un moment que la Germanie allait être conquise par Auguste, car Drusus atteignit l’Elbe, Domitius Ahenobarbus mena les aigles au de la du fleuve, et l’administration romaine commençait à s’emparer du pays, quand Varus et ses légions périrent dans la forêt de Teutoburg, la neuvième année de l’ère chrétienne. Tibère, Drusus et Germanicus vengèrent les légions romaines, mais l’idée de conquérir la Germanie fut abandonnée.

Rome se fortifia sur les deux fleuves frontières ; elle traça un vallum du Rhin au Danube, et plaça entre elle et l’ennemi le terrain militaire des champs décumates. Elle employa tantôt la politique pour acquérir en Germanie des alliés et des serviteurs, tantôt les armes pour exterminer ou déporter un peuple qui violait le contrat d’alliance ; mais elle ne fit plus de ce côté aucun progrès durable, et bientôt les Germains reprirent l’offensive, qui ne fut plus suspendue. Au IIIe siècle, apparaissent les noms des peuples qui seront, avec les Goths, les héros de la guerre contre Rome : les Francs et les Alamans occupent sans relâche les armes romaines sur le Rhin. Il est vrai que Claude, Aurélien et Probus leur infligent de sanglantes défaites, et qu’au IVe siècle les historiens et les panégyristes romains célèbrent autant de victoires que Dioclétien, Constantin, Julien et Gratien ont livré de combats, mais le flot barbare ne cesse de battre la frontière. Une poussée plus violente que les autres se produit quand les Huns heurtent les Goths. C’est alors que les Wisigoths sont admis dans l’empire par la grâce d’un contrat qu’ils ont humblement sollicité ; mais, le contrat n’ayant pas été observé, ils se révoltent, ils battent et tuent l’empereur à Andrinople, et Théodose, qui succède à Valens, s’empresse de renouveler la convention. En cette année 378 commence une ère nouvelle, ou des peuples entiers vont être cantonnés, non plus sur la frontière, pour y former ce qu’Ammien Marcellin appelle la pretentura imperii, mais dans des pays depuis longtemps conquis et au cœur même de l’empire ; ils vont s’y multiplier, couvrir des provinces entières, s’étendre, se rapprocher les uns des autres, et, à la fin, étouffer l’empire.

Représentons-nous bien les caractères de cette lutte de la Germanie contre Rome. Les Germains y ont dépensé beaucoup de courage, et il n’y a pas de doute que des âmes fières de barbares ont été enthousiasmées par l’amour de la liberté, mais il ne faut pas attribuer pour cela aux Germains le mérite d’une victoire sur Rome et de l’affranchissement du monde ; ils n’ont pas vaincu Rome et ne savaient point ce que c’était qu’affranchir le monde. Les Cinabres et les Teutons ont donné l’épigraphe de toute l’histoire des relations des barbares avec Rome, le jour où ils ont demandé « au peuple de Mars de leur céder un peu de terre, » en lui offrant « pour les employer à sa guise, leurs armes et leurs bras[1]. » Quatre cents ans après, les Wisigoths, arrivés aux bords du Danube, « envoient en Romanie des députés chargés de demander qu’on leur cède une part soit de la Mœsie, soit de la Thrace, afin qu’ils puissent la cultiver en vivant sous les lois de Rome et en obéissant à ses commandemens[2]. » C’est bien le même langage. Or, entre ces deux migrations des Cimbres et des Goths, la même offre et la même prière sont mille fois répétées. Enfin, au Ve et VIe siècles, après que l’empereur romain, retiré à Constantinople, aura laissé l’Occident aux barbares, ceux-ci le poursuivront de leurs dommages, et Charlemagne lui-même sera troublé par le respect des droits de l’empereur.

Au vrai, l’empire n’était pas un ennemi pour les Germains, c’était une carrière. Individus, familles, bandes, peuples y venaient chercher fortune. Tous ne la trouvaient pas, et, comme des émigrans européens débarqués en Amérique pour y chercher de l’or sont condamnés souvent à gagner leur vie dans des métiers infimes, les Germains fournissaient leur contingent aux conditions serviles. Parmi les esclaves et les colons barbares répandus au IVe sièele dans les provinces romaines, dans ces longues files d’hommes arrêtées sur les places des villes, où le propriétaire vient chercher des laboureurs qui moissonneront pour lui et mèneront ses bestiaux au marché, il n’y a pas seulement des prisonniers de guerre, il y a des Germains libres, qui n’ont trouvé d’autre lot que le servage. Mais la milice menait les audacieux à la fortune. Les Germains entrés au service de Rome dès le temps de César s’y sont multipliés, et, cachés d’abord dans les légions, ils les ont remplies. Rome reçoit ceux qui se présentent et pratique le recrutement chez ses vaincus et ses alliés. Elle forme avec ces barbares des colonies, des garnisons et des corps séparés. Leurs chefs, ornés de noms romains, arrivent aux dignités les plus hautes et siègent au sénat revêtus de la toge. Il est aisé de se les figurer sous ce nom et ce costume, raides, gauches, tout pleins de l’orgueil de leur force, mais obséquieux envers le maître et saluant bas.

Comment ces peuples auraient-ils voulu détruire Rome ? Comment auraient-ils même compris l’idée d’une lutte corps à corps de la Germanie contre Rome ? Tacite, il est vrai, ne considère pas seulement la Germanie comme une région habitée par des peuples de même race : il pressent, il devine en elle une force historique. Il décore Arminius du titre de libérateur de la Germanie, et s’écrie, inquiet de cette lutte sans fin et de ces victoires répétées pendant deux siècles : « Deux cents ans ! Qu’il y a longtemps que nous vainquons les Germains ! » Mais ce sentiment d’un Romain tout pénétré de la mélancolie du déclin de Rome, personne ne le pouvait avoir chez les Germains. Le « libérateur de la Germanie » a été puni par les siens de sa victoire, et après qu’il a été assassiné, les peuples qu’il avait unis contre Rome se déchirent les uns les autres. La Germanie était incapable de devenir une nation. Sans doute, après que Rome lui a opposé une barrière et l’a enfermée dans un tefrain déterminé, quelques-uns de ses peuples ont compris la nécessité de se rapprocher les uns des autres, et les institutions primitives ont fait quelques progrès. Il semble bien que, de César à Tacite, la religion a pris des formes plus précises ; le culte et le sacerdoce se sont organisés, le prêtre s’est détaché du prince et du père de famille, l’assemblée de Civitas a pris plus d’importance et l’idée de la puissance publique est devenue plus claire ; mais la Germanie n’est pas pour cela organisée ; les dèplacemens de peuples y continuent ; ils sont fréquens même dans la période assez calme qui s’étend entre César et Marc-Aurèle. A vingt ans d’intervalle, on ne reconnaît plus la géographie politique de la région. De temps à autre, quelque grande migration, comme celle des Goths, qui passent du rivage de la Baltique aux bords du Danube, prouve que la Germanie est toujours une arène où le vent déplace des tourbillons. En somme, aucun grand progrès n’a été fait : les Germains sont toujours des agriculteurs misérables ; ils ne sont devenus ni des industriels, ni des commerçans. lis ont respecté les marécages et les forêts, ils n’ont point bâti de villes.

Dès lors, il est étonnant que Rome ne les ait ni vaincus, ni assimilés. Elle a cependant pratiqué envers eux la politique qu’elle a toujours suivie, quand elle a voulu préparer l’absorption d’un peuple dans l’état romain. Marc-Aurèle, par exemple, après avoir dissipé la cohue des petits peuples danubiens, marque à chacun des vaincus son territoire, fixe le contingent de celui-ci, la contribution de celui-là, fait surveiller l’un par l’autre, donne des exemptions de tribut, des subsides et même le droit de cité ; il institue ainsi cette inégalité des conditions qui, rendant impossibles les révoltes communes, préparait la commune sujétion. Rome a d’ailleurs employé en Germanie ses moyens habituels de corruption ; elle a donné des honneurs aux princes ; elle leur a pris leurs fils pour les élever et les renvoyer dans leur patrie, avec l’espoir d’en faire les complices de sa politique. Elle a répandu son or, et cet or n’a pas trouvé de rebelles, car les Germains aimaient la monnaie romaine (serrutos amant bigatosque, dit Tacite), comme les princes allemands devaient aimer plus tard les écus de France. La diète de l’Allemagne moderne était une foire de princes à vendre, et la Germanie un marché de peuples où Rome a fait beaucoup d’acquisitions. Toute cette politique, qui a réussi ailleurs, a pourtant échoué ici. Pourquoi ?

Les peuples ont une carrière où ils ont accoutumé de se mouvoir : dès qu’ils en sortent, ils sont dépaysés. La carrière des anciens était la Méditerranée : les Phéniciens et les Grecs l’ont parcourue, et ils en ont. tenu des parties, mais les Romains l’ont occupée tout entière, Regere imperio populos signifie gouverner, du centre où l’on est placé, l’admirable région qui s’étend des Alpes au désert africain et du Taurus aux colonnes d’Hercule. Là est le monde, orbis Romanus ; car le monde, c’est-à-dire le théâtre de l’activité humaine, s’est élargi très lentement ; si étroit qu’il fût, à telle date, il se croyait un tout et il ignorait ce qui n’était pas lui. C’est comme puissance méditerranéenne et pour protéger la Provence que Rome a conquis la Gaule. Cette conquête la mettait en communication avec le monde inconnu ; en effet, la Gaule, qui envoie ses fleuves à la Méditerranée, à l’Océan et à la Mer du Nord, formait la transition entre la région civilisée et la région barbare, entre le passé méditerranéen, si je puis dire, et l’avenir européen. Maîtres de la Gaule, les Romains ont fait des incursions sur le terrain de l’avenir, en Grande-Bretagne et en Germanie, mais ils n’y ont rien fondé de durable. Arrivés aux bords du Rhin, ils ont senti la frontière. La vie romaine afflua jusqu’à cette extrémité dans les villes riveraines ou voisines du fleuve, mais elle s’y arrêta. La vraie Gaule romaine est la Gaule méditerranéenne ; Aix en est la capitale, au lieu que Trêves n’a jamais été qu’une capitale d’avant-poste. La Germanie c’était l’inconnu, et ces soldats romains qui, avant d’y entrer, écrivaient leur testament nous font comprendre le sentiment d’horreur que les hommes du Midi éprouvaient devant cet inconnu. Il s’y mêlait même une terreur superstitieuse, semblable à celle que ressentirent les navigateurs du XVe siècle sur les routes inexplorées. Ne parlait-on pas d’une Germania qui s’était dressée devant Drusus pour lui détendre d’aller plus loin ? C’est une force historique redoutable que l’accoutumance. Elle tient les yeux d’un peuple tournés toujours du même côté de l’horizon ; elle limite son action à un certain théâtre ; sa faculté de prévision a de certains dangers. Elle lui fait répéter les mêmes efforts sur les mêmes points. Dans les temps modernes, la France, accoutumée à regarder vers le continent, s’est pendant deux siècles acharnée contre la maison d’Autriche. On n’était point un homme d’état si l’on n’avait point son projet contre la maison d’Autriche. Le mot d’ordre de la politique était d’abaisser la maison d’Autriche. Pendant ce temps-là, les Anglais nous prenaient l’Amérique et l’Inde. Si Rome s’était appliquée à conquérir la Germanie, au temps où elle avait encore la force, qui donc pourrait soutenir que cette conquête lui aurait été impossible ?

La force finit par manquer à Rome, car toute force s’épuise, et il y a une sénilité des états comme des individus. Au IVe siècle, l’empire n’est plus qu’une exploitation savante du monde par le maître du monde. Une seule chose vit, c’est la machine administrative, mais elle vit en tuant. Une foule de misérables font effort pour s’évader de l’engrenage ; tous les refuges leur sont bons, même la servitude, et, quand la loi interdit la servitude, le brigandage. Une désertion singulière se produit alors : on déserte la propriété, qui ne peut plus porter le poids de l’impôt, et le législateur impérial en est réduit à dresser la liste de ceux à qui doivent être imputées les terres abandonnées. Depuis longtemps, d’ailleurs, Rome n’a plus de citoyens et elle n’a plus de soldats. Ses sujets n’ont plus de droits, et, s’ils ont des charges, ils n’ont plus de grands devoirs. C’est la pleine décadence, et cette décadence explique le triomphe de la Germanie. Rome épuisée, la Germanie qui a rempli de ses enfans les provinces et l’armée, succède naturellement : phénomène très simple, que l’ancienne rhétorique de l’histoire, transmise par les ecclésiastiques du Ve siècle aux pédans de l’Allemagne moderne, explique en disant que la Providence réservait la Germanie pour le renouvellement du monde.


IV

Avec l’entrée des Wisigoths dans l’empire commence l’histoire d’une Germanie extérieure, d’une Germanie émigrée, si l’on peut dire : Wisigoths, Burgondes et Ostrogoths sont les acteurs principaux. A la fin du Ve siècle, les premiers sont les maîtres de toute la vallée du Rhône, les seconds de la Gaule méridionale et de l’Espagne, les derniers de l’Italie. Avant que ceux-ci se fussent établis, un grand événement s’était accompli. Odoacre, le chef des mercenaires qui occupaient la péninsule, avait enlevé les insignes impériaux à Romulus Augustule, le dernier des fantômes de Césars qui se succédaient en Italie depuis un demi-siècle, et il les avait renvoyés à Constantinople. La députation du sénat, qui les remit à l’empereur en l’an 476, lui représenta qu’un seul maître suffisait au gouvernement du monde : Zénon fut obligé de l’en croire, et l’empire se retira de l’Occident. Bien qu’il prétendit garder tous ses droits, il laissait en réalité le champ libre aux rois barbares, et l’on put croire qu’ils allaient introduire dans l’ancien monde romain une façon nouvelle de vivre ; mais cette Germanie émigrée vécut quelques générations à peine, et elle n’a laissé dans l’histoire qu’un souvenir.

Pourtant ces barbares s’étaient établis sans violence. Les conditions de leur établissement avaient été réglées par les derniers défenseurs de l’empire. Constance avait placé les Burgondes, en l’an 413, sur la rive gauche du Rhin et trente ans plus tard, Aétius les avait transportés en Sabaudie, peut-être pour leur donner cet office de portiers des Alpes, que devaient s’attribuer dans les temps modernes les ducs de Savoie. Les Wisigoths, depuis qu’ils étaient entrés en supplians dans l’empire avaient été assurément d’incommodes serviteurs : ils avaient quitté les rives du Danube, pillé la Grèce, l’Asie, l’Italie, visité Athènes, pris Rome, puis erré dans la Gaule méridionale et l’Espagne. Figurons-nous, dans la France déshabituée de la guerre, des tribus d’Arabes employées à la défense de notre sol, les chefs comblés d’honneurs, faits généraux et maréchaux, les hommes soldés et nourris, tout un petite peuple étranger d’humeur indépendante, incapable de discipline, mais incapable aussi de faire autre chose que servir, toujours en quête de cantonnemens meilleurs, et traînant ses smalas de province en province, les chefs réclamant de plus grands honneurs, la tribu de plus amples distributions de vivres et d’or : tels étaient les Wisigoths ; souvent révoltés, ils retombaient toujours dans l’obéissance, et c’est Constance encore, qui, en l’an 419, « leur a donné, pour l’habiter, la seconde Aquitaine. »

Les Burgondes et les Wisigoths étaient alors, à proprement parler, des corps d’armée impériaux cantonnés dans les provinces, car les soldats romains, dans les derniers temps de l’empire, étaient logés chez les propriétaires, et la loi leur assurait la jouissance d’une partie de la maison qui leur devait l’hospitalité. Il est vrai que, dans les désordres du v° siècle, il ne fut plus possible de distribuer aux barbares l’annone qui nourrissait le soldat ; aussi fallut-il leur donner une part de la maison et du domaine, et ils devinrent ainsi des propriétaires. Il est vrai encore que ces armées étaient des peuples commandés par des rois, qui avaient un gouvernement et une politique, choses inconciliables avec l’obéissance militaire ; aussi obéissaient-ils très mal. Si les Burgondes s’étaient répandus dans la vallée du Rhône, sans violence et du gré des provinciaux eux-mêmes, les Wisigoths furent plus entreprenans, et il fallut les contenir les armes à la main ; mais lorsque les Huns envahirent la Gaule, l’empereur écrivit au roi des Wisigoths : « Venez au secours de la république dont vous êtes membre, » et Théodoric alla se faire tuer dans la grande bataille livrée contre Attila. Quant aux Burgondes, ils obtempérèrent sans tarder à l’ordre de mobilisation que leur envoya le maître de la milice, Aétius. Même après que la retraite de l’empire a donné aux rois barbares l’indépendance, les Wisigoths n’ont point perdu le respect de la majesté impériale, et les Burgondes s’obstinent à n’être que d’humbles serviteurs ; le dernier de leurs rois écrit à l’empereur dans les premières années du VIe siècle : « Ma race est votre servante, et mon peuple est à vous ; il me plaît moins de lui commander que de vous obéir ; mes ancêtres ont toujours cru recevoir leur illustration des titres que leur tendait la main de Votre Altesse ; toujours ils ont estimé à plus haut prix ce qu’ils recevaient du prince que ce qu’ils avaient hérité de leurs ancêtres. »

Plus encore que les Wisigoths et les Burgondes, les Ostrogoths sont un peuple impérial. Après avoir été incorporés de force au service des Huns, où ils demeurèrent quatre-vingts ans, ils se présentèrent à la frontière danubienne, comme avaient fait les Wisigoths trois quarts de siècle auparavant. Ils pouvaient prendre de force des terres, mais « ris aimèrent mieux en demander à l’empire romain. » Quand l’empereur les leur eut données, ils en exigèrent de meilleures et ravagèrent plusieurs provinces ; après quoi, ils crièrent famine. Ils étaient sans vivres et sans argent quand l’empereur les envoya en Italie, ou du moins leur permit d’y passer. Théodoric, leur roi, après qu’il eut vaincu et dépossédé Odoacre, laissa la statue impériale debout sur le forum romain, grava l’effigie impériale sur les monnaies, écrivit le nom impérial sur les monumens restaurés par lui et fit confirmer par l’empereur les consuls de Rome. Bien qu’il se considérât tout à la fois comme le roi de son peuple et comme une sorte de collègue de l’empereur, il n’osa jamais dire ouvertement son opinion sur le caractère de l’office dont il était revêtu ; il n’en obtint jamais de Constantinople la définition, et il professa jusqu’au dernier jour le plus profond respect pour la « très pieuse sérénité » impériale.

Les barbares n’étaient donc ni des étrangers ni des ennemi pour la population romaine. Ajoutez qu’ils l’ont gouvernée de leur mieux. A étudier le gouvernement de Théodoric, il semble qu’il n’y ait rien de changé dans la péninsule et qu’il s’y trouve seulement quelques Romains de plus. Le sénat, les magistratures, l’administration, les écoles, les monumens demeurent debout, ou sont relevés. L’Italie romaine, aux mains des Ostrogoths, est une ruine en réparation. Les barbares n’ont aucun privilège dans cet état dont leur roi est le chef, et la politique de Théodoric est de faire vivre en paix, sous la même loi, les Goths et les Romains, de façon qu’il ne soit plus possible un jour de distinguer les uns des autres. Les Burgondes et les Wisigoths étaient plus éloignés de Constantinople ; la Gaule, leur nouvelle patrie, était terre romaine, il est vrai, mais elle n’avait pas été le berceau de l’empire et l’on n’y trouvait ni le sénat, ni les consuls, ni le forum, ni le rocher immobile du Capitule ; aussi ne furent-ils point des imitateurs si exacts des choses impériales. Ils ne cherchèrent point à fondre les deux peuples en un seul. Les Wisigoths ont suivi cette procédure remarquable : ils ont écrit leur loi, et en même temps codifié une loi romaine appropriée à la situation nouvelle et aux circonstances où l’on vivait. Tout le droit ordinaire a passé du code théodosien dans le code d’Alaric ; mais nombre de titres du code théodosien sont tombés, n’ayant plus d’emploi : dignités, offices, trésor privé du prince, privilèges de la maison auguste, charges, honneurs, impôts, tout ce qui pesait sur l’empire et l’écrasait a été grandement allégé ou a disparu. Les deux lois, celle des Wisigoths et celle des Romains, ont ainsi coexisté jusqu’à la fin du VIIe siècle pour se fondre en une loi, non plus personnelle, mais territoriale, c’est-à-dire commune aux Goths et aux Romains. Il est certain qu’on ne pouvait mieux faire, et, comme enfin les rois et les peuples barbares n’ont manifesté aucune hostilité de race, aucun orgueil de parvenu, aucune dureté de conquérant, on peut dire qu’ils méritaient de réussir.

Sans doute, ils avaient contre eux un parti de l’opposition et du dédain, inspiré par toutes sortes de sentimens, les uns puérils et les autres respectables. C’est, par exemple, un sentiment respectable que le patriotisme romain d’un Sidoine Apollinaire. Sidoine est né, comme il le dit lui-même, d’une famille prétorienne ; il est fils et petit-fils de préfets du prétoire, gendre d’Avitus, ce grand seigneur arverne qui fut proclamé empereur en 453. En l’honneur de son beau-père, il a écrit un poème où il exprime avec une véritable éloquence la fidélité de la Gaule à l’empire. Dans la scène de l’élection, qui fut faite par une assemblée des grands de la Gaule, il fait ainsi parler un Gaulois : « Pour demeurer fidèles à la tradition de nos ancêtres, nous avons gardé le culte de lois qui avaient perdu toute leur force ; saintement nous sommes demeurés attachés aux choses anciennes, quelque souffrance que cela nous coûtât, et nous avons porté l’ombre de l’empire :


Portavimus umbram
Imperii…


Comme l’orateur craint qu’Avitus ne refuse l’honneur qui lui est offert, en un moment où tout semble désespéré, il lui rappelle qu’un jour, dans un grand désastre, un seul homme a suffi pour sauver la patrie. « Lorsque les enseignes de Brennus entouraient la roche Tarpéienne, rappelle-toi que toute notre république était en Camille :


Respublica nostra
Tota Camillus erat… »


Ainsi un Gaulois, mettant en scène le Brenn et Camille, renie le premier et salue dans le second le sauveur de la patrie. Aucun fait, aucun texte ne montre mieux que la Gaule n’était qu’un pays dans la patrie romaine, et qu’on y sentait l’injure d’être gouverné par des barbares. Ce patriotisme était rehaussé chez quelques hommes par une dignité intellectuelle et morale qui les fait paraître très grands en ces derniers jours de la décadence romaine. Symmaque et Boèce sont deux beaux personnages. Le Symmaque du temps de Théodoric est le quatrième personnage d’une vénérable dynastie. Son arrière-grand-père, revêtu de toutes les magistratures, avait été une des lumières du sénat, au dire d’Ammien Marcellin. Son grand-père, consul en 391, avait présenté à l’empereur Valentinien la défense de l’autel de la Victoire, que les chrétiens ne voulaient plus souffrir dans la curie. Il n’était pas un fervent adorateur des anciens dieux, car il savait bien qu’ils s’en étaient allés pour ne plus revenir, mais il défendait le vieux culte « qui avait été si longtemps bienfaisant à la république, » et disait à l’empereur : « Permettez, je vous prie, que nous transmettions à nos enfans l’héritage de nos pères. » Il avait la religion de la gloire de Rome et il a réédité Tite Live pour rendre de la popularité à l’historien de cette gloire. Il est le type de ces Romains éclairés qui dédaignaient ces deux nouveautés, également funestes à Rome : le christianisme, parce qu’ils étaient des philosophes, et les barbares, parce qu’ils étaient des patriotes. Le troisième des Symmaque suivit la tradition de la famille. Cependant le temps marchait, le christianisme était partout répandu, et Théodoric régnait à Ravenne. Le quatrième des Symmaque est chrétien, mais il garde pieusement le souvenir de la Rome ancienne ; il est un admirateur de Caton d’Utique, réédite le Songe de Scipion, et compose une Histoire romaine en sept livres. Il ne refuse à Théodoric ni ses conseils ni ses services, mais c’est parce que le roi lui demande de surveiller la restauration des monumens de Rome. Il n’est pas le courtisan de l’Ostrogoth, et il cherche à se consoler du présent en contemplant le passé. Ainsi faisait son gendre Boèce. Lui aussi il est chrétien, mais il a, comme les Romains d’autrefois, étudié à Athènes. Il traduit Ptolémée, Euclide, Platon, et il est, au seuil du moyen âge, le premier des grands disciples d’Aristote. Lui aussi il a servi Théodoric ; il se charge, étant très savant en mécanique, de procurer les deux horloges destinées au roi burgonde Gondebaud, étant bon musicien, de choisir le joueur de cithare qu’a demandé Clovis. Quand Théodoric se décide à sortir de Ravenne pour faire une visite à Rome, c’est Boèce qui le harangue au nom du sénat. Mais que devaient penser le beau-père et le gendre du prince qu’ils avaient sous les yeux, d’un homme qui n’aimait pas ce qu’ils aimaient, ne savait rien de ce qu’ils savaient, et qui, pour signer son nom, se servait d’une plaque métallique où étaient dessinées des lettres à jour ? Il n’y a pas de doute qu’ils le méprisaient, ou, tout au moins, qu’ils n’honoraient en lui que le représentant de l’empereur. Leurs regards étaient tournés vers Constantinople. Théodoric le savait, et ils ont payé de leur vie leur fidélité à la patrie romaine.

Il faut mettre encore dans le parti de l’opposition et du dédain nombre de ces personnages sénatoriaux que Sidoine nous dépeint vivant à la façon romaine dans des villœ, où la maison du maître s’appelle déjà castellum, parce qu’il a fallu la fortifier. Ces grands seigneurs, qui gardent dans l’atrium les statues d’argent des ancêtres, font exploiter sous leurs yeux par des troupes d’esclaves une partie du domaine, distribuent le reste à des colons, et partagent leurs loisirs entre la chasse et les lettres. Enfin, il y a encore des dédaigneux parmi ces petits lettrés, sermonnaires, poètes, rhéteurs, grammairiens, juristes, à propos desquels Sidoine évêque sans pudeur les noms de Platon, d’Horace, de Virgile et d’Appius Claudius ; polygraphes qui essaient dans tous les genres leur médiocrité prétentieuse, vieux écoliers des grands maîtres, incapables de faire autre chose que d’imiter, mais enorgueillis de cette science empruntée et de cette parure de grâces fanées.

Opposans vénérables et opposans ridicules n’étaient pas redoutables aux barbares : les premiers étaient une minorité très petite, qui a donné au souvenir de Rome l’hommage de quelques martyres. Des autres, il n’y avait pas à s’inquiéter. On retrouve cette sorte d’opposition frivole toutes les fois qu’une révolution amène des nouveau-venus sur la scène. Les dépossédés boudent dans leurs châteaux ; ils se vengent par des épigrammes et se consolent par le spectacle de leur perfection : eux ne mangent point d’ailleurs parfums sont raffinés ; ils parlent la bonne langue et se lavent les mains ; c’est assez. Ainsi les Grecs se sont consolés d’être gouvernés par les Romains, les Romains d’être gouvernés par des barbares, et les émigrés d’avoir été amnistiés par le premier consul. Cela est inoffensif et les nouveau-venus n’en demeurent pas moins en possession du monde. D’ailleurs les rois barbares avaient leurs courtisans les plus empressés parmi les Romains. Je ne parle pas seulement des traîtres qui cherchaient fortune auprès d’eux, du Gallo-Romain Arvande, qui appelle les Wisigoths sur la Loire ; de Serronat, ce « Catilina, » comme parle Sidoine, qui « verse à boire aux barbares des provinces ; » ni de ces rhéteurs à gages qui écrivent les panégyriques des rois avec un tel raffinement d’art que leurs héros les ont compris moins encore que nous ne les comprenons ; mais on trouve à la cour de tous ces rois d’honnêtes gens qui les servent honnêtement. En Italie, on peut opposer à Symmaque et à Boècd, Cassiodore. Il y a une dynastie des Cassiodore comme des Symmaque : le plus ancien que nous connaissions, riche propriétaire du Bruttium, a défendu l’Italie méridionale et la Sicile contre les Vandales ; le second a été l’ami d’Aétius, qui fut le dernier politique et le dernier soldat de l’empire en Occident ; mais le troisième a cédé au courant des choses : de Romulus Augustule il est passé à Odoacre, d’Odoacre à Théodoric. Le dernier et le plus illustre a été le principal ministre de Théodoric et de ses successeurs. Il a conduit la vieille machine administrative remise en état, et il a écrit pour ses maîtres les formules des dignités antiques. Il a mis au service de Théodoric son érudition ; il fait de lui, dans les lettres qu’il compose en son nom, un savant qui reprend l’histoire de l’architecture depuis les Cyclopes quand il écrit à un architecte, celle de la musique depuis Orphée quand il écrit à un musicien ; il lui prête des mots d’artiste qui sent toutes les délicatesses de l’art et en jouit. Il vieillit ainsi ce parvenu ; il vieillit aussi la famille royale et le peuple des Goths, car il démontre l’identité des Goths et des Gèles, transforme les Amazones en femmes gothes et fait de Théodoric un successeur de Zalmoxis et de Sitalkès. Il y avait là de quoi consoler les descendans de Romulus de la nécessité de lui obéir, et Cassiodore le leur dit en propres termes. Un si bon serviteur faisait plus que compenser pour Théodoric le dédain des Symmaque et des Boèce.

Combien de temps aurait duré cette opposition, même chez les meilleurs ? L’exemple de Sidoine nous montre qu’il y avait parmi eux bien peu d’irréconciliables. Il est un des héros de la résistance de l’Arvernie contre les Wisigoths. Évêque de Clermont, il défend sa ville épiscopale avec une énergie désespérée. Quand la province a été enfin cédée aux Goths, il s’indigne contre l’évêque de Marseille, qui a négocié le traité ; comment a-t-on pu livrer aux barbares ces nobles Arvernes, qui descendent des Troyens aussi bien que les Latins ? Et il regrette, en son style, ces années de luttes, où les épées étaient grasses de sang et les estomacs amaigris par le jeûne ; il demande à être encore assiégé, à combattre encore, à être encore affamé. Mais lui aussi finit par céder à la force des choses. Il n’avait pas dédaigné, au temps où les Wisigoths n’étaient pas encore les ennemis de l’Arvernie, de faire sa cour à leur roi ; même il avait joué aux dés avec lui, et, pour le mettre en belle humeur, s’était laissé battre : « J’avais quelque chose à demander ; je me fais battre, heureuse défaite ! » Quand ces odieux Wisigoths eurent pris sa province, il dut s’exiler pour un temps ; mais, au retour, il voulut saluer Euric à Bordeaux ; le roi lui fit attendre pendant deux mois son audience. Sidoine s’en console dans un petit poème : « Le monde entier n’attend-il pas aussi bien que lui ? » Et le voilà qui décrit tout un cortège de supplians : le Saxon, habitué à la mer et qui tremble pourtant sur le sol ; le Sicambre, qui laisse repousser sa chevelure, coupée après la défaite ; le Burgonde, qui plie sur le genou son corps de sept pieds, même le Romain qui vient implorer du secours contre les menaces du Nord. Profanation ! Sidoine prie la Garonne de défendre le Tibre affaibli :


Defenset tenuem Garumna Tibrim…


Et comme, il adresse ce poème à Lampridius, rhéteur bien en cour, il se compare, lui pauvre Mélibée, à l’heureux Tityre qu’un dieu a comblé de loisirs.

Ainsi se serait éteinte peu à peu cette opposition du dédain ; après quelques générations, il n’en serait rien demeuré. L’immense majorité des provinciaux était ralliée, d’ailleurs, au nouvel ordre de choses. Peu importait le changement de maître à tous ceux qui étaient répartis dans les conditions serviles et qui étaient les plus nombreux. Quant à ce qui demeurait d’hommes libres de condition moyenne, ces victimes de la fiscalité impériale, n’avaient qu’une volonté : n’être plus exploités par les Romains. Il était donc à prévoir que barbares et Romains allaient se rapprocher les uns des autres ; les premiers devenant plus civilisés, et les seconds plus barbares, on se serait rencontré, et l’on aurait trouvé une nouvelle façon de vivre qui n’eût été ni romaine, ni germaine. La supériorité même de leur civilisation aurait donné aux Romains une grande place dans les combinaisons nouvelles ; mais, alors même qu’ils l’auraient voulu, ils n’auraient pu maintenir l’ancien état des choses, car il fallait bien compter avec les barbares. Il est vrai que ceux-ci n’avaient aucune idée qui leur appartint d’une organisation politique et sociale. Si l’on peut trouver dans la civitas germanique les formes très simples d’un état et d’une société, comment ne se seraient-elles point disloquées dans le cahotement de ces longues migrations et par la translation même dans un milieu si différent de celui de la civitas ? Dispersés dans de vastes provinces, séparés les uns des autres, éloignés du chef, les Germains ne formaient plus un peuple, et leurs institutions primitives, qui supposaient la cohabitation, le voisinage et la vie commune, ne pouvaient vivre ainsi transplantées. Le chef avait pris naturellement toutes les façons de l’imperator ; il était législateur suprême, souverain juge, et il avait autour de lui un personnel qui ne demandait pas mieux que de manœuvrer encore la vieille machine administrative ; mais la machine était brisée en plus d’un endroit, et, d’ailleurs les Germains n’avaient pas reçu cette longue discipline séculaire qui seule peut faire des sujets dociles : ils étaient et devaient demeurer rebelles au système de l’état tout-puissant. Enfin leurs rois n’ont jamais pu comprendre l’idée d’une puissance publique impersonnelle, s’exerçant de haut sur des individus anonymes. Ils ont pour conseillers et pour ministres des fidèles qui vivent à leur cour et sont associés au gouvernement. On peut donc supposer que la monarchie universelle et absolue aurait été remplacée par des monarchies locales, limitées par une aristocratie où se seraient confondus les principaux des barbares et des Romains ; mais il aurait fallu que rien ne rendit impossible cette fusion des deux aristocraties, et il y avait entre elles une cause de désaccord et de haine. Wisigoths, Burgondes, Ostrogoths étaient des hérétiques, et l’église ne les tenait pas pour des chrétiens. Parlons donc et de cette hérésie et de l’église, car il importe que nous sachions comment et pourquoi la Germanie émigrée a si vite disparu de la scène, comment et pourquoi ce premier essai d’établissement en terre romaine a si misérablement échoué. Nous apprendrons à connaître la puissance qui était chargée d’introduire dans le monde ancien les nouveau-venus.


VI

Les Germains établis dans l’empire professaient l’arianisme, c’est-à-dire la doctrine qui attribue au Père seul la qualité d’éternel et d’incréé, le Fils n’étant qu’une créature, la première de toutes, honorée par Dieu du nom de Verbe, mais non égale à lui, puisque « Dieu existait déjà avant d’être père et qu’il y avait un moment où le Fils n’était pas. » Cette doctrine convenait aux intelligences des barbares, qui n’étaient pas prêtes à comprendre les mystères d’un dogme composé par l’imagination orientale et la dialectique grecque ; aussi les premiers peuples germains entrés dans l’empire ont-ils tous embrassé l’arianisme. Mais la lutte contre cette hérésie avait été la grande affaire de l’église au IVe siècle ; Jérôme et Augustin s’y étaient illustrés, et vraiment, il n’y aurait pas eu de religion sans le mystère, point de foi sans l’incompréhensible, point de christianisme si le Fils de l’homme, mort pour racheter l’homme, n’était point l’Eternel. Le danger que faisait courir à l’église cette hérésie, par cela même qu’elle était raisonnable, la rendait odieuse ; il s’était formé comme une horreur de l’arianisme qui avait pénétré les âmes et faisait partie de la vie intellectuelle.

Les ariens se séparaient encore des orthodoxes en un point de grande importance ; ils n’avaient point de clergé, ou, du moins, leur clergé ne tenait point de place dans l’état. Sidoine nous montre le roi Théodoric visitant ses prêtres le matin, mais faisant cette visite sans émotion religieuse, par habitude. Ce clergé arien est si peu apparent, pour ainsi dire, que Sidoine, Avitus, Grégoire, ces grands ennemis de l’arianisme, ne nous en disent presque rien. Or l’église catholique, en même temps qu’elle avait arrêté son dogme, avait organisé sa hiérarchie de prêtres, d’évêques, de métropolitains, et son clergé était devenu dans le monde une grande puissance.

Il faut bien comprendre l’importance extraordinaire que le dogme avait prise dans l’esprit des hommes de ce temps. La décadence intellectuelle était profonde. Depuis le Ier siècle de l’ère chrétienne, la civilisation antique n’avait rien produit de nouveau. Au IVe siècle, on étudiait encore le droit, et nous savons des noms d’avocats célèbres, mais il n’y avait plus de grands jurisconsultes. On étudiait la philosophie ; Platon et Aristote avaient des disciples en Gaule et en Italie, et Sidoine nous parle d’un collège de platoniciens, complatonici, où brillait son maître, Claudianus Mamertus ; mais ce défenseur de la spiritualité de l’âme n’est ni plus fort, ni plus faible que tel de nos philosophes, et son De Statu animœ pourrait servir à la préparation du baccalauréat. La rhétorique prospérait et les Gaulois y étaient passés maîtres ; Bordeaux avait trente professeurs célèbres de rhétorique ; mais ils raffinaient les vieux artifices et l’art de parler pour ne rien dire. Nous connaissons quelques-uns des thèmes de ces rhéteurs. Ennodius, le panégyriste de Théodoric, donnait en matière le discours de Didon, qui voit partir Énée ; un discours contre une belle-mère, qui, ne pouvant inspirer à son mari la haine de son gendre, les a empoisonnés tous les deux ; un autre contre un homme qui a élevé une statue à Minerve dans un lupanar. Le genre épistolaire florissait aussi, et l’on variait les sujets de ses lettres, de façon qu’elles pussent composer un volume agréable. Sidoine nous apprend que chacune de ses lettres appartient à un genre déterminé : exhortation, louange, conseil, condoléance, plaisanterie. Il classait ces petits chefs-d’œuvre, et, le moment venu, se faisait prier par quelque obligeant ami de a ventiler son portefeuille arverne ; » aussitôt il publiait son volume. Cela s’appelait « être le disciple de Pline. » Les poètes anciens avaient aussi leurs disciples : point d’homme comme il faut qui ne fasse des vers de tous mètres, « hendécasyllabes glissans et sans nœuds, hexamètres crépitans et cothurnes, élégiaques, échoïques, dont le commencement et la fin sont reliés par anadiplose ; » je traduis Sidoine, louant le rhéteur Lampridius, « cet artiste en vers, » qui savait employer toutes les figures comme tous les mètres. Ces poètes ont les procédés les plus inattendus. Sidoine veut décrire la villa de Leontius : il imagine que Bacchus, retournant de l’Inde en Grèce, rencontre Apollon, qui lui conseille de le suivre aux bords de la Garonne. Bacchus y consent et Apollon décrit au vainqueur de l’Inde la villa, qui n’existe pas encore, mais qu’il voit de son œil prophétique. Ces écrivains, qui fouettaient leur imagination pour la réveiller, torturaient aussi la langue ; ils inventaient des mots nouveaux. — Sidoine écrit, par exemple, crepulacescens, sternax, c’est-à-dire crépusculant et poitrinant, — et, s’ils emploient l’expression simple, ils l’embarrassent dans un tour étrange.

Les âmes ne pouvaient se contenter longtemps d’alimens pareils. Sidoine lui-même le sait bien : « L’âge qui nous a précédés s’occupait justement de ces études, dit-il en parlant des lettres anciennes, mais le temps est venu de lire des choses sérieuses, d’écrire des choses sérieuses. » Ces choses sérieuses, ce sont les controverses sur la grâce et la polémique contre l’arianisme. Les grands docteurs sont morts, mais nombre d’intelligences moyennes se consacrent à l’étude et à la défense du dogme. Ce n’est pas que l’église proscrive l’étude de l’antiquité : elle s’emploiera même à la sauver ; les compilateurs se mettent à l’œuvre, et l’on écrit des encyclopédies. Une des meilleures sera composée au VIIe siècle par Isidore de Séville, qui entassera dans les vingt livres de ses Etymologies « à peu près tout ce qu’il faut savoir. » Il mettra dans ce manuel toutes les sortes de connaissances, comme avant le déluge Noé a réuni dans son arche toutes les sortes d’animaux ; mais les animaux de Noé vivaient, et, après le débarquement sur le mont Ararat, ils ont repeuplé les montagnes et la plaine, au lieu que l’antiquité, réduite à des résumés et à des formules, n’était plus en état de féconder les esprits. L’église, d’ailleurs, au moment même où elle sauvait du naufrage la culture antique, la frappait de stérilité en maudissant l’antiquité classique. Après que saint Augustin a révélé dans la Cité de Dieu les desseins de la Providence contre elle, Orose écrit ses histoires par l’ordre du grand évêque. Pour réduire au silence « la méchanceté bavarde des païens, » il évêque le déluge, et Ninus, et Sémiramis, qui tue tous les hommes qu’elle met dans son lit, et Gomorrhe et Sodome, dont la chute est comparée à celle de Rome, puis le déluge d’Achaïe, la famine d’Egypte au temps de Joseph, la peste d’Ethiopie au temps de Bacchus, le déluge de Deucalion, le parricide des Danaïdes, Philomèle et Procris, Ganymède, Tantale, Pélops, Thyeste, Étéocle et Polynice, Médée, les Amazones. Tous les désastres et tous les forfaits de l’histoire défilent pour enlaidir et déshonorer le monde ancien.

Au monde nouveau suffiront les écritures et la théologie, qui s’emparent de ces âmes vacantes. Les évêques lettrés, que Sidoine a connus imitant comme lui les vieux maîtres, versifiant et philosophant, vont disparaître. Ces prélats, issus de familles sénatoriales et instruits dans les écoles encore florissantes du paganisme, seront remplacés par des évêques sans culture, de mœurs et de foi barbares. Il n’importe plus qu’un homme soit instruit ou non, barbare ou Romain, ni même qu’il soit bon ou méchant, car l’orthodoxie est la sagesse et elle est la vertu. Elle est la foi catholique, cette « foi unique et véritable » à laquelle, suivant le mot de Léon Ier, le grand pape du va siècle, « rien ne peut être ajouté, rien ne peut être ôté. » Elle est si sûre d’elle-même qu’elle ne s’abaisse pas à discuter longtemps. Grégoire de Tours, vivement pressé par un arien dans un colloque sur la trinité, s’écrie que la parole de Dieu n’est pas pour être jetée à « de sales porcs. » Grégoire ne semble pas connaître d’autre distinction que celle des hérétiques et des croyans ; le dogme de la trinité fait pour lui toute la différence entre les élus et les réprouvés. C’est là le secret de l’immoralité des jugemens de ce saint homme, dont les actions étaient si vertueuses.

Pour défendre l’orthodoxie, le clergé avait les forces nécessaires. Nouveau venu dans les cadres de l’empire, il y avait glissé sa hiérarchie et il survivait à l’administration impériale. Quand il n’y eut plus de présidens, de vicaires, de préfets du prétoire, il y eut encore des évêques, des archevêques et des primats. La dignité épiscopale demeurant seule pour tenter l’ambition de cette aristocratie provinciale, qui était autrefois si avide des honneurs de l’empire, fut briguée par elle. On voulut être évêque, comme on aurait été jadis vicaire ou préfet. Sidoine est fils et petit-fils de préfets, mais il n’y a plus de préfecture : il est évêque de Clermont. Ajoutez que le rôle accessoire accordé par la législation impériale aux évêques dans l’administration des cités, est devenu très considérable après que les administrateurs civils ont disparu. La cité, c’est-à-dire le cadre où les barbares ont trouvé groupée la population romaine, n’ayant plus d’attache avec l’empire, ne vit plus que pour elle-même, et sa grande affaire est l’élection de son évêque, désormais son seul chef visible. L’Église a donc pris possession de la terre en même temps que des âmes.

C’est encore un des élémens de sa force que l’union de ses membres. Les évêques des cités sont en relations régulières les uns avec les autres. Il est vrai que les conciles sont régionaux, et les régions déterminées par les limites mêmes des royaumes barbares ; mais les évêques des différens royaumes sont en correspondance les uns avec les autres. Pour eux il n’y a pas de frontière wisigothique ou burgonde ; leurs lettres vont trouver en Orient les patriarches ; elles sont adressées plus souvent au patriarche de l’Occident, c’est-à-dire à l’évêque de Rome. Pour compléter l’analogie que je marquais tout à l’heure, de même que les évêques se sont substitués aux fonctionnaires impériaux, le pape se substitue à l’empereur. Léon le Grand, apostrophant la Rome impériale, s’écrie : « Ce sont les apôtres Pierre et Paul qui t’ont portée à ce point de gloire ! Nation sainte, peuple auguste, cité sacerdotale et royale, capitale du monde par la vertu du siège sacré du bienheureux Pierre, tu commanderas plus loin par la religion divine que tu n’as commandé par la domination terrestre[3] ! » Le pape se trompe : ce n’est pas saint Pierre qui a fait la fortune de Rome, c’est Rome qui a fait la fortune de saint Pierre. Le successeur de l’apôtre établi dans ce lieu de commandement, que la longue obéissance et l’admiration des hommes ont consacré, deviendra le chef d’un nouvel empire universel. Tandis que les barbares, Ostrogoths, Wisigoths, Burgondes vivent chacun chez eux et semblent inaugurer le système moderne des nations distinctes, le clergé catholique refait une patrie commune ; alors que tout semble se décomposer, il prépare la reconstitution de l’unité ; mais la patrie commune sera la patrie ecclésiastique, et l’unité, celle de l’église.

Les rois de la Germanie émigrée se sont donc trompés. Ils se sont faits aussi Romains qu’ils le pouvaient. Le Wisigoth Théodoric a lu Virgile pour apprendre à faire des vers latins, et il a reçu des notions de droit romain. Le Burgonde Gondebaud, au témoignage de l’évêque Avitus, a une « âme philosophique ; » mais il ne s’agit plus de Virgile, de droit romain, ni de philosophie : il s’agit d’être orthodoxe et de s’entendre avec les évêques, sous peine de demeurer des étrangers ou de devenir des ennemis. Parmi ces rois il en est qui sont tolérans ; Théodoric laisse écrire à Cassiodore la belle parole : « Personne ne peut commander la religion ; » Gondebaud ne peut se résoudre à croire à trois dieux, mais il n’impose point sa foi et il voudrait attendre en paix le temps prédit par l’écriture « où l’homme reposera tranquillement à l’ombre de son figuier. » D’autres sont des sectaires comme Euric, qui procédait avec méthode à l’extinction de l’épiscopat. Les uns et les autres sont à peu près également haïs par la population gallo-romaine. Au commencement du vie siècle, l’évêque de Rome a les yeux tournés vers Constantinople, d’où l’orthodoxe Justinien enverra bientôt les armées qui détruiront les Ostrogoths, et les évêques burgondes et wisigoths regardent vers le nord, appelant un libérateur « d’un amoureux désir, » comme dit Grégoire de Tours.


VII

Si profonde, en effet, que fût l’antipathie des évêques pour les ariens, elle n’aurait pas suffi pour détruire les royaumes barbares. La population romaine n’était pas capable de s’aventurer jusqu’à la révolte. Elle était habituée depuis longtemps à tout endurer et n’avait point la vertu nécessaire pour se passer de maître. Euric a pu rendre les ordinations impossibles et fermer les églises, où par les toits effondrés la pluie tombait sur les autels : les évêques se sont lamentés sans que les fidèles prissent les armes. Mais les évêques correspondaient les uns avec les autres ; ils connaissaient l’état du monde romain et barbare ; ils avaient au moins la ressource de la conspiration et pouvaient préparer un changement de maître. En tout cas, ils pouvaient faciliter la tâche de nouveaux envahisseurs, s’entendre avec eux, les amener à leur foi et les aider à établir un régime où indigènes et étrangers, aristocratie romaine et aristocratie germanique ne seraient plus séparés les uns des autres par l’antagonisme des religions.

Pendant que le clergé du pays gallo-romain désirait et préparait une révolution, et que les Germains émigrés jouissaient de leur fortune dans les plus belles parties de la Gaule, deux peuples, dont la fortune n’était point faite, n’attendaient qu’une occasion pour se produire à leur tour sur ce théâtre où avaient passé déjà tant d’acteurs. C’étaient les Francs et les Alamans. Depuis qu’ils avaient apparu dans l’histoire, ils étaient en relations avec l’empire. Ils l’avaient servi, — les Francs surtout, — interrompant bien entendu leurs services par des révoltes et des brigandages ; châtiés alors, mais avançant toujours, à mesure que l’empire reculait. Les Francs, établis sur le cours inférieur du Rhin, avaient marché de l’est à l’ouest, en partant de Cologne, et du nord au sud en partant des bouches du fleuve. Les Alamans occupaient au-delà du Rhin le pays entre le Mayn et les Alpes ; en-deçà, ils avaient poussé jusqu’aux Vosges. Ainsi, entre la Germanie émigrée et le pays germanique, deux peuples étaient établis : ils semblaient les têtes de colonne d’une invasion future. Tous les deux, malgré les relations qu’ils avaient eues avec l’empire, étaient demeurés germains, car dans les provinces où ils étaient cantonnés, la civilisation romaine était détruite : « La pompe de la langue romaine, dit Sidoine, est abolie dans les terres belgiques et rhénanes. » Ils n’avaient chez eux ni lettrés, ni légistes. D’ailleurs, ils demeuraient en communication avec la mère patrie, cette « officine de nations, » où il restait une réserve d’hommes. Enfin ils formaient un groupe compact, dans leurs villages et leurs centenies, et ils avaient gardé l’humeur guerrière, l’amour du pillage et de la conquête, lis étaient donc bien différens des Wisigoths et des Burgondes, qui, habitant un pays tout pénétré de culture romaine, isolés de la Germanie, disséminés dans leurs provinces avaient perdu par la jouissance même de la paix l’habitude des armes.

Les Francs et les Alamans ne pouvaient manquer d’envahir la Gaule, et Clovis, à peine roi, en prit un large morceau après sa victoire sur Syagrius ; mais ces deux peuples étaient ennemis l’un de l’autre, et ils s’étaient sans doute rencontrés dans bien des combats avant que Clovis attaquât et battît les Alamans en 493. Cette bataille, que nous connaissons sous le nom de bataille de Tolbiac, bien qu’elle n’ait pas été livrée en cet endroit, aurait pu n’être qu’un épisode insignifiant d’une lutte entre peuples barbares, mais elle a été un grand fait de l’histoire universelle. Clovis, en effet, après sa victoire, s’est substitué au roi vaincu, et il est devenu le chef de ce peuple, dont le pays se prolongeait jusqu’au Lech et contenait les sources du Rhin et celles du Danube. Une partie du territoire des Alamans, entre le Neckar et le Mein, semble même avoir été occupée dès lors par les Francs, dont elle a gardé le nom (Franconie). Or c’est là le premier mouvement d’ouest en est qui se soit produit depuis le jour où l’empire romain a cessé d’avancer. C’est la première fois qu’un peuple germanique prend à rebours le chemin de l’invasion. C’est le premier acte de la conquête de la Germanie par des Germains.

Cette victoire, le baptême de Clovis, qui la suivit de près, et enfin les assassinats par lesquels ce singulier chrétien se débarrassa des petits rois des Francs et réunit le peuple entier sous son commandement : voilà les faits importans d’un règne qui a commencé une ère nouvelle en Occident. Aussi faut-il apprendre à connaître la physionomie de ce barbare, un peu défigurée par l’antique et vénérable tradition qui le représente comme le fondateur de la « monarchie française. »

Nous avons tous appris la belle légende du héros aux longs cheveux flottant sur les épaules ; roi d’un peuple, dont le nom est synonyme de libre, il sort tout à coup de l’ombre, armé de sa francisque. « Ses pareils à deux fois ne se font pas connaître : » à la première rencontre, Syagrius, le roi des Romains, s’enfuit devant le jeune barbare. Tout aussitôt, Dieu commence à exécuter son grand dessein : il donne pour épouse une princesse chrétienne au païen dont il veut faire le champion de son église ; mais Clovis résiste aux douces et doctes leçons de Clotilde. Le Seigneur le conduit alors sur le champ de bataille, et, dans le danger où il l’a précipité, il fait luire à ses yeux comme un éclair, l’espérance de la victoire, qui sera le prix de sa conversion. Vainqueur, le fier Sicambre courbe la tête devant le saint évêque de Reims, pendant qu’un ange, descendu de la voûte du temple empli de parfums et brillant de l’éclat des cierges, apporte la sainte ampoule de la part de Dieu. La nouvelle du baptême se répand dans toute la chrétienté ; te pape décerne au roi des Francs le titre de son fils aîné de l’église. Désormais, les victoires succèdent aux victoires ; l’arien Gondebaud, roi des Burgondes, est vaincu ; l’arien Alaric, roi des Wisigoths, est vaincu et tué ; car il déplaisait à Clovis que ce misérable hérétique possédât la plus belle partie des Gaules. « Marchons, avait-il dit, avec l’aide de Dieu ! » Et Dieu lui-même avait conduit sa marche victorieuse : de grandes lueurs rayonnant du sommet des cathédrales avaient éclairé la nuit, et, un jour que l’armée hésitait devant une rivière débordée, une biche l’avait conduite à travers un gué. Au retour, le vainqueur est salué par des messagers de l’empereur qui lui apportent les insignes proconsulaires ; il les revêt, se couronne du diadème, monte à cheval, et jette au peuple qui l’acclame, de l’argent à poignées. Décoré des hautes puissances du ciel et de la terre, il rentre dans sa capitale, où il meurt, après quelques années de paix, glorieux comme un vainqueur et comme un saint. Il est le premier des grands rois de France, et son nom brille à côté de ceux de Charlemagne, de saint Louis et de Louis XIV.

C’est ainsi que la légende dessine en quelques traits lumineux la vie d’un personnage, mais l’histoire n’a point cette poésie ni cette simplicité. Pour elle, le peuple des Francs n’est ni plus libre ni plus fier que les autres peuples. Répandu de la Somme au Rhin, il est divisé en petites communautés dont chacune a son roi. Une des familles royales s’est élevée au-dessus des autres par la faveur des Romains, car Childéric, le père de Clovis, était au service de Rome, et on l’a retrouvé, au XVIIe siècle, couché dans son tombeau de Tournay, revêtu d’une tunique brodée de perles et d’une dalmatique de soie pourpre, parsemée d’abeilles d’or et attachée sur la poitrine par une fibule d’or ; au doigt du squelette, un anneau d’or portait cette inscription : Childericus rex. Ces rois étaient donc des serviteurs, comme ceux des Wisigoths et des Burgondes. Quand l’empire u disparu, les serviteurs s’affranchissent ; le fils de l’officier romain Childéric est un tout petit roi et un simple chef de bande ; mais sa victoire sur Syagrius le met hors de pair parmi les rois du Nord. Les relations que le voisinage établit entre lui et le plus grand des évêques de la Gaule amènent sa conversion, à laquelle il se résout assez tard, et non sans inquiétude, à ce qu’il semble ; mais le profit qu’il retire de sa qualité d’orthodoxe est trop clair pour qu’il n’ait pas compris qu’il avait été bien inspiré. Si barbare que l’on soit, on aime le parfum de l’encens fumant au seuil des cathédrales, et l’on accueille avec plaisir la promesse d’une grande prospérité en ce monde et dans l’autre. D’ailleurs, il ne serait pas vrai de dire que les évêques aient conduit Clovis ; il y a eu accord entre eux et lui : lui, faisait son métier d’homme de guerre, bataillait et pillait, un peu au hasard, sans l’esprit de suite que donne une politique préméditée, une année en Burgondie, une autre année en Gothie, s’en allant avant que la besogne fût finie ; eux, l’appelaient et le bénissaient. Et c’est ainsi qu’il a fondé une sorte d’empire, mais disparate, dont les parties ne tenaient pas les unes aux autres. Il n’a certainement pas eu l’idée d’un royaume de France, que personne alors ne pouvait se représenter. Nous qui savons l’histoire et la géographie, nous portons, dessinée dans notre esprit, la carte d’un pays avec ses frontières, et cette carte nous apparaît comme le cadre d’une vie nationale ; mais Clovis ne voyait rien de ce que nous voyons. C’est pourquoi il ne convient pas de faire de lui un fondateur de la monarchie française : de la future France, il n’y avait alors que les montagnes et la plaine, les rivières et les bois, et une matière humaine, qui ne deviendra nation qu’après de longs siècles.

Le vrai titre de Clovis à occuper une grande place dans l’histoire, c’est qu’il a réuni en un peuple les populations franques disséminées sur toute l’étendue de la Gaule septentrionale. De simple roi franc, il est devenu roi des Francs ; il a réuni sous un même chef les porteurs de francisques ; il les a convertis ; il leur a enseigné à respecter les évêques ; il leur a donné, par son alliance avec l’église, le droit de cité dans le monde romain ; il a honoré le nom franc par l’éclat de ses actions. Il a créé ainsi, non pas une nation, mais une force historique. Cette force résidait à l’extrémité de l’ancien empire, aux confins de la Germanie déjà entamée : c’est sur la Germanie qu’elle devait se répandre. Si médiocres chrétiens que fussent les Francs, ils s’attribuaient, en leur qualité de chrétiens régis par des rois glorieux, une sorte de supériorité sur leurs voisins de Germanie, et les évêques leur commandaient de convertir et de conquérir ces païens. L’évêque de Vienne, Avitus, écrivait à Clovis, au lendemain de son baptême : « Dieu a fait sienne ta nation » et il lui marquait sa tâche, qui était « de porter les semences de la foi chez les autres nations encore plongées dans les ténèbres de la barbarie naturelle. » Avitus considérait donc Clovis comme une sorte de monarque universel et le peuple des Francs comme l’Israël du Nouveau-Testament. Cet Israël commettra nombre de péchés contre l’Éternel et il oubliera plus d’une fois les conditions du pacte d’alliance ; mais l’œuvre commencée par Clovis au-delà du Rhin ne sera jamais interrompue. L’histoire préliminaire de la Germanie se termine au règne de Clovis. Le pays des envahisseurs va être envahi à son tour. Missionnaires et soldats y entreront pour y implanter la civilisation chrétienne.


Ernest Lavisse.
  1. « Ut Martius populus aliquid sibi terræ daret, quasi stipeedium, cœterum, ut vellet, manibus atque armis suis uteretur. » (Florus, Epilome de Tito Livio, III, 3.)
  2. Wisigothi, communi placito, legatos ad Remaniam direxere, ut partem Thraciæ, sivo Mœsiæ, si illis traderet ad colendum, ejus legibus viverent, ejusque imperitiis subderentur… » (Jornandès, De Rebus Geticis, 25.)
  3. « Isti (Petrus et Paulus) sunt qui te ad hanc gloriam provexerunt, ut gens sancta, populus augustus, civitas sacerdotalis et regia, per sacram B. Pétri sedem caput orbis effecta, latius prœsideres religione divina quam dominatione terrena… »