Essais de physique appliqués à la morale

Essais de physique appliqués à la morale

(1751)

(texte publié par Formey dans Mélanges philosophiques, Leyde, Elie Luzac fils, 1754)


Johann Georg Sulzer


Lettre (+) de M. Sulzer à M. Formey

Monsieur,

N’ayant pas assez de crédit sur vous pour empêcher la publication de ce petit ouvrage dans une langue où j’airai des censeurs beaucoup plus rigoureux que je n'ai eu en Allemagne, je vous prie au moins de me faire la grâce d'avertir vos les critiques. Je les ai écrites dans l’intention d'amuser un ami auquel je pou- vais communiquer toutes mes pensées, même les moins mûres.

Si vous souhaitez donc, Monsieur, que je vous aie quelque obligation du service que vous me rendez en faisant parvenir mon nom hors de ce pays, vous aurez la bonté d'avertir vos lecteurs que j’ai composé ces méditations il y a près de douze ans et que c’est un des premiers fruits de mes études. Ce seul mot d’avertissement tiendra lieu de toutes les excuses que vous et moi serions obligés de faire à nos lecteurs.

J’ai l’honneur d’être

Monsieur,

votre très humble

et très obéissant

serviteur.

SULZER.

A Berlin le 12 d’août 1751.

Première considération : Sur l’échelle des êtres créés modifier

Ceux qui savent déterminer le juste prix des sciences ont reconnu depuis longtemps que la connaissance de la nature, et surtout la partie de cette connaissance qu’on nomme l’histoire naturelle, est une des sciences les plus belles et les plus utiles. Son utilité ne se borne pas seulement à nous procurer des connaissances fort utiles à la société et aux arts mais, en nous découvrant en partie les lois de la nature et la manière dont ce vaste univers est gouverné, elle nous permet de percer en quelque manière le voile qui cache l’auteur de tant de merveilles. Les découvertes faites depuis cent ans dans cette science, lorsqu’elles sont méditées par un esprit philosophique, donnent de grandes lumières qui nous mènent à découvrir, ou du moins à conjecturer, ce qui paraît uniquement réservé à l’auteur de la nature.

Soit que nous contemplions la nature en grand soit que nous descendions dans les plus petits détails, nous trouverons toujours non seulement de quoi remplir notre esprit d’admiration mais de quoi nous instruire des vérités les plus importantes. Une observation que j’ai faite depuis peu d’après Leuwenhoek m’a fait faire bien des réflexions qui me paraissent assez importantes pour vous les communiquer. Voici l’observation dont il s’agit.

Leuwenhoek, ce scrutateur assidu de la nature, a découvert le premier que cette matière blanchâtre qui se met autour de nos dents est toute pleine d’animalcules. J’ai voulu m’assurer moi-même de la vérité de cette assertion. Dans ce dessein j’ai fait un microscope dont le diamètre est d’un quart de ligne ou de la 48e partie d’un pouce de France. Je m’en suis servi pour examiner cette matière que les aliments laissent autour de nos dents malgré toutes les précautions qu’on peut prendre pour les nettoyer et j’ai suivi exactement le procédé de Leuwenhoek. J’ai trouvé non seulement que sont rapport et la description qu’il donne de ces animalcules étaient justes mais encore, après bien des expériences, je suis venu à bout de connaître exactement la figure et la grandeur des plus petits d’entre eux, qu’il n’avait pas pu déterminer. La plus grande partie de leur corps est ronde et ils avec cela une petite queue fort courte de sorte que toute leur figure ressemble assez à celles des petites grenouilles que nous voyons dans les prairies lorsqu’elles viennent d’éclore.

Leur grandeur me paraît comme celle d’un grain de poudre à canon de la plus petite espèce. Et, comme mon microscope grossit des millions de fois les objets, il est clair que dans un espace de la grandeur d’un grain de poudre il peut y a avoir plusieurs millions de ces animalcules. Chose aussi véritable qu’elle paraîtra incroyable à la plupart des hommes.

Je viens présentement à mon but et je vais vous proposer les idées qui sont nées dans mon esprit à cette occasion. Je dirai d’abord ce que je pense au sujet des œuvres de la nature, après quoi j’indiquerai les réflexions morales que j’ai faites la-dessus.

Aussitôt que je me rappelle l’idée de ces animalcules, l’étonnante multiplicité des œuvres de la nature se présente à mon esprit. Je vois que la nature diversifie son art en autant de manières et qu’elle le déploie en autant d’endroits que la chose est possible. Qu’on passe en revue les trois règnes de la nature, le règne minéral, le règne végétal et le règle animal, quelle inconcevable quantité de créatures ! Combien de centaines et même de milliers de sels ne découvrons-nous pas dans le règne minéral, qui ont tous leur figure particulière et leur espèces ? Quelle diversité de pierres, de métaux et d’autres minéraux ! Si nous passons au règne végétal, notre admiration s’accroître beaucoup. Il n’y a guère plus d’un siècle qu’on a commencé à étudier sérieusement la botanique. Cependant on a déjà la description de plus de 30 000 espèces différentes de plantes, dont le nombre se multiplie de jour en jour. Et ceux qui ont quelques légères connaissances sur ce sujet m’avouèrent sans difficulté que toutes les plantes connues jusqu’à présent ne sont probablement que la plus petite partie de celles qui existent. Et que dirai-je des créatures animées ? Le soin qu’on a apporté à leur examen n’égale pas à beaucoup près les peines qu’on a prises à l’égard des plantes. Néanmoins on y voit aussi et on y admire l’étendue de la nature. On connaît actuellement quelques milliers d’espèces d’insectes sans les animalcules innombrables qu’on ne peut apercevoir que par les microscopes. Qui verrait sans surprise le nombre prodigieux des habitants de la mer ? D’ailleurs il est aisé de juger que ce que nous connaissons n’est rien au prix [auprès] du tout. Quel spectacle ne serait-ce pas pour nous que de voir exposés sur un plan tous les insectes qui sont cachés sous les plantes, dans les animaux et dans les autres choses ? Et à quel point notre étonnement ne s’augmenterait-il pas si nous pouvions voir le fond de la mer tout à découvert en une fois ? Que serait-ce si nous arrivions à d’autres planètes ? Que dirions-nous des différents lieux où la nature manifeste son art ? Nous ne saurions tourner les yeux d’aucun côté sans percevoir un magasin de créatures vivantes ou de plantes et il ne faut pas douter que l’air même n’en soit rempli. Au moins quelques observations semblent rendre la chose certaine. Ainsi la proposition que nous avons avancée est suffisamment fondée.

Je découvre ensuite ici que la nature réunit plusieurs utilités dans un même sujet, qui vont aboutir enfin toutes à l’utilité générale. Cette même bouche, qui sert de passage aux aliments nécessaires pour la nourriture de notre corps, cette même langue, qui nous sert à les avaler, sont aussi employées à mettre au jour les pensées de notre cœur. On peut les considérer encore comme un ornement de notre corps. Enfin, elles fournissent une habitation à un monde innombrable de créatures animées. C’est là le caractère de toutes les œuvres de la nature. Comme une machine naturelle résulte de l’assemblage d’une multitude d’autres machines, dont aucune homme n’est capable de déterminer le nombre, de même l’utilité totale de chaque créature est composée d’une infinité d’usages particuliers.

En troisième lieu j’aperçois que la nature distingue ses œuvres par des différences renfermées dans des limites fort étroites. La nature de ses ouvrages est telle que leurs perfections vont en s’élevant d’une manière presque imperceptible. Commençons par le plus bas étage. Les moindres créatures sont sans contredit les choses inanimées, la terre et les pierres. Cette classe se divise en une infinité d’espèces, dont l’ordre dans lequel elles se suivent à l’égard de la perfection est telle que les deux espèces qui se touchent n’ont que des différences très légères et presque inobservables. Mais la perfection de ces êtres va en croissant par des degrés innombrables jusqu’à ce qu’à la fin les créatures inanimées atteignent presque à la perfection des corps les plus grossièrement organisés. Que l’on considère les sels et les autres pierres arrangées régulièrement, qui forment les principales espèces de choses inanimées, et qu’on les mette visa à vis des moindres plantes (+), on n’y apercevra que fort peu de différence. Dans les premières on voit une structure extraordinairement régulière, mais il n’y a ni mouvement intérieur ni vie ; au lieu que dans les autres on remarque quelque trace légère de mouvement et il semble que la nature n’ait pu resserrer davantage des bornes qui séparent le règne minéral d’avec le règne végétal.

En examinant ce dernier, nous y observons un ordre tout semblable : les moindres plantes semblent s’élever seulement tant soit peu au-dessus des pierres les plus parfaites, et cette perfection s’accroît par plusieurs milliers de degrés de manière qu’une espèce diffère toujours fort peu de celle qui la suit ou la précède immédiatement, tant qu’enfin la perfection des plantes est poussée jusqu’au point de paraître égales aux moindres d’entre les animaux. La différence des plantes et des animaux consiste en ceci, c’est que les unes sont destituées de sentiment et de mouvement local, au lieu que les animaux sont doués de ces prérogatives. Telles sont donc les bornes posées entre les plantes et les animaux. Mais qu’elles sont étroites ! car on voit des plantes qui ont une apparence de sentiment (+) et des animaux qui semblent inanimés (+). Il y a des animaux que tous les siècles précédents ont pris pour des plantes ou même pour des pierres.

Dans les animaux la perfection s’élève pareillement par une infinité de degrés jusqu’aux hommes que la raison distingue des brutes. Mais combien sont encore resserrées ces limites puisqu’on voit d’un côté des hommes presque dénués de raison et de l’autre des animaux qui en ont toutes les apparences (+). C’est ainsi que les créatures croissent insensiblement en perfection et que l’on a peine à saisir ce qui distingue de plus parfait du moins parfait. Il est même à présumer que ces bornes, tout étroites qu’elles nous paraissent, diminuent encore à l’infini par l’interposition des créatures innombrables de plusieurs milliers d’autres monde. c’est ainsi que la nature laisse apercevoir l’infini comme le caractère distinctif de son adorable auteur.

Passons des choses visibles aux choses invisibles. Nous avons vu la constitution des objets visibles de cette terre et la diversité incroyable de choses qui se trouvent dans l’échelle des créatures depuis les moindres jusqu’à l’homme. Prenons à présent l’essor et perdons-nous dans l’abîme de cette distance infinie qu’il y a entre nous et l’Etre suprême. O que de gloire et de perfection ne se découvre pas ici à nos yeux ! Un nouveau monde invisible, tout resplendissant de l’éclat le plus vif des légions sans nombre d’esprits différents, dont la perfection éclipse entièrement celle de tout le genre des choses terrestres. Toute la splendeur, toute la magnificence, toute la perfection de notre monde, n’est au prix [auprès] de ce monde invisible que comme une goutte d’eau comparée à l’océan.

Le genre humain n’est pas le début de la nature ; elle avait déjà essayé son art sur une infinité d’autres créatures. Mais ce n’est pas aussi sa conclusion, son dernier effort ; car la nature pousse toujours ses opérations aussi loin qu’elles peuvent aller et ne laisse aucun degré vide. Quelle multitude innombrable de créatures glorieuses ne doit-il pas y avoir, qui nous surpassent en perfection ; De nous à l’infini, l’espace est infiniment grand. [La pensée plus rapide que le temps, que le son, que le vent, que la lumière, ne saurait parcourir cet espace, elle s’y perd avant que d’en découvrir les bornes (+).] Cette immense étendue serait-elle vide, n’y aurait-il rien pour la remplir ? Non, comme parmi les hommes toutes les conditions ne se réduisent pas à celles de roi et de mendiant, ou parmi les animaux toutes les classes aux lions et aux vermisseaux ; de même les créatures intelligentes ne se bornent pas aux anges d’un ordre excellent et aux faibles humains. Toute est rempli. Tout est plein d’esprits. ceux du plus bas ordre diffèrent peu de nous. Ceux du rang le plus élevé approchent aussi près de l’infini que la créature peut atteindre au créateur. Entre deux se trouvent des classes sans nombre de ces natures supérieures, dont l’une est toujours un peu plus parfaite que l’autre.

Quel spectacle étonnant ! Quelle chaîne infinie !
Esprits purs dans les cieux, hommes, poissons, oiseaux,
Habitants de la terre, et des airs et des eaux,
Insectes différents, que l’œil découvre à peine.
Brisez une de ces anneaux qui forment cette chaîne,
De l’assemblage entier l’équilibre est perdu,
et tout dans la chaos se trouve confondu (+).

Je me représente ces millions d’esprits supérieurs comme plusieurs centaines de milliers de sociétés qui ont toutes le même but, savoir la gloire du créateur et leur bonheur réciproque. Nous autres hommes, nous avons aussi la même destination. mais quels ne sont pas leurs avantages par dessus nous ? Combien ces esprits excellents ne possèdent-ils pas de prérogatives, que le rang que nous tenons dans l’échelle des êtres n’a pas permis à la nature de nous accorder ? Elle nous a donné des choses qu’elle a refusée aux bêtes. Mais elle a fait divers présents à ces esprits, dont nous sommes privés. Ils ont plus de connaissance, plus d’intelligence, plus de pénétration que nous. Notre corps a cinq sens par le moyen desquels il peut apercevoir les objets extérieurs ; ils en ont peut-être deux ou trois fois davantage, ou du moins ceux qu’ils possèdent sont plus forts et plus exquis. ces propriétés inconcevables d’une infinité de lignes courbes, que nos génies les plus sublimes ne découvrent que par des calculs accablants et à force de peines, les intelligences supérieures les aperçoivent sans le secours d’aucune suite de raisonnements. Quels ne doivent donc pas être les trésors de leur connaissance et de leur sagesse ?

La sagesse est le fondement de la vertu. Que penserons-nous donc de la vertu des êtres qui nous surpassent si fort en sagesse ? Prenez ce que les hommes ont jamais exécuté de plus grand, ce n’est qu’un jeu d’enfant pour ces intelligences. O que d’actions glorieuses n’aurions-nous pas à admirer si nous pouvions lire leurs annales ! Mais je ne saurais aller plus loin ; les principaux avantages par lesquels les esprits du premier ordre l’emportent sur nous sont sans doute tels que l’esprit humain ne saurait les deviner par aucune conjecture, parce que nous n’avons rien ici bas qui puisse nous y conduire par voie d’analogie.

Revenons présentement à nous-mêmes et voyons l’utilité que nous pouvons retirer de cette méditation.

Quand je me représente l’échelle presque infinie des intelligences supérieures, il naît en moi une notion si sublime de la majesté et de la grandeur de Dieu, que mon entendement s’y absorbe. Quelle idée que celle d’une armée de tant de millions d’esprits, dont le moindre s’élève beaucoup au-dessus de ce que tous les hommes peuvent concevoir de plus excellent ! Quelle ne doit pas être la grandeur de l’esprit qui les a tous faits et qui les a doués de perfections si glorieuses ! Quel monarque que celui devant lequel un nombre innombrable d’esprits très excellents se prosternent avec le plus profond respect pour célébrer ses louanges et lui adresser leurs prières ! Je me sens animé d’un ardent désir d’imiter ces êtres parfaits et de m’abattre avec eux devant un si grand maître : je regarde comme mon souverain bien d’entrer en société avec eux. C’est sans contredit un grand honneur pour les hommes que l’Etre suprême ne se soit pas borné à créer, pour l’honorer, ces armées célestes, qui sont si excellentes au prix [auprès] de nous, mais qu’il nous ait compris dans la même destination, nous esprits si faibles d’un ordre si bas. Néanmoins ce ne sont pas ces êtres de premier ordre dans les vertus supérieures desquels il prend tout son bon plaisir et qu’il veut seuls honorer de sa communion. Moi-même, chétive créature, je jouirai de cette prérogative : moi-même, faible mortel, je puis être l’objet du bon plaisir du roi des siècles ; il daigne m’inviter aussi à sa communion ; il me permet de l’appeler son père ; il soutient ce caractère en me délivrant de tous les dangers auxquels je me trouve exposé ; il a même eu soin de moi dès les temps éternels. Grand Dieu ! qu’est-ce que l’homme, que tu te souviennes ainsi de lui et du fils de l’homme que tu en prennes tant de soin ? n’avais-tu pas assez fait éclater ton infinie bonté par la création de tant de millions d’esprits glorieux ? As-tu pu juger une espèce aussi inférieure que la nôtre digne d’être l’objet de ton amour ? Tant de grâces m’assurent que les hommages, quelques faibles qu’ils soient, te seront agréables.

Encore si je pouvais imiter mon Créateur à cet égard et aimer toutes les autres créatures, quoique placées au-dessous de moi. Combien ai-je peu de sujet de m’élever au-dessus des autres et d’où pourrais-je tirer désormais des motifs à l’orgueil ? Ci-devant je m’imaginais être une des créatures les plus excellentes de Dieu. Mais je découvre à présent quelle était mon illusion. Je me trouve au plus bas étage et je puis tout au plus me vanter de précéder un peu les créatures destituées de raison. Encore cela n’a pas toujours lieu, car il y a bien des choses en quoi elles possèdent des avantages que je n’ai pas. Au contraire je vois au-dessus de moi une multitude d’intelligences supérieures dont je ne saurais concevoir le nombre. Fusse-je le plus grand des hommes, je ne puis entrer en aucune comparaison avec elles. Je déteste présentement l’orgueil comme un fruit de l’ignorance et je déplore la misère de ceux que cette folie domine. Autrefois, quand j’étais dans quelque besoin, il me semblait que toute la nature devait s’émouvoir pour me soulager ; mais aujourd’hui j’admire avec une humble reconnaissance que Dieu en ait tant fait pour moi. [Ce bel ordre devrait-il être rompu ? Et pour qui ? Pour toit chétif vermisseau ? O folie ! O arrogance ! O crime (+).] Autrefois, en contemplant la voûte magnifique du firmament, je me disais à moi-même avec une ridicule vanité : il faut que tu sois quelque chose de bien distingué puisque de pareils objets ont été faits pour te recréer et que toute la nature n’est destinée qu’à ton service. Je suis, continuais-je dans ma folle et vaine ignorance, je suis le seul être pour la satisfaction duquel le Tout-Puissant a construit l’édifice de l’univers et y a établi l’ordre qu’on y observe. A présent je suis certain que je tiens le moindre rang parmi une multitude innombrable de créatures pour l’usage et pour le plaisir desquelles ce monde a été créé. Et peut-être n’y aurait-il qu’une légère différence dans l’état présent des choses quand le genre humain tout entier aurait été exclu de la création. Cette méditation m’abaisse et humilie mon orgueil. Mais je passe à une autre qui me console et qui me ramène au désir de la véritable et solide gloire. La voici. Ces milliers de sociétés d’intelligences parfaites seront peut-être (+) avec le temps comme fondues et réunies en une seule société, dont Dieu sera le chef, et dont j’aurai le bonheur d’être membre. Je veux donc consacrer tous mes soins à me préparer d’avance d’une manière convenable à cette glorieuse société. Elle est trop sublime et trop pure pour moi ; je suis trop souillé et trop misérable pour elle ; c’est pourquoi Dieu m’a placé d’abord ici-bas, afin que le temps de cette vie me servît d’épreuve et de préparation. S’il m’eût d’abord élevé dès mon origine, à ce haut état qui m’attend, quelle figure aurais-je fait dans cette glorieuse société ? Mais de quelle nature sont les moyens que je puis employer pour m’y préparer [?]. Ce ne saurait être qu’en travaillent à acquérir de plus en plus les qualités et augmenter les perfections par rapport auxquelles les intelligences supérieures l’emportent sur moi. Ce sera donc mon unique occupation tant qu’il plaira à mon Créateur de me laisser dans l’école d’apprentissage de cette vie. J’étendrai continuellement les bornes de mon entendement et de mes connaissances, mais de manière que mes vertus fassent des progrès qui soient proportionnés à mes lumières.


Seconde considération : Sur l’ordre de la nature modifier

La saison dans laquelle nous nous rencontrons (i) est la plus propre de toutes à remplir d’une véritable satisfaction ceux qui aiment la vue des œuvres de la nature. Vous êtes renfermé, mon cher ami, dans les murailles d’une ville, au milieu du tumulte d’un peuple toujours en mouvement ; et mille autres affaires inconnues aux habitants de la campagne ne vous laissent pas le loisir de savourer les agréments d’un printemps qu’on remarque à peine dans l’enceinte de vos murs. Je jouis au contraire du bonheur si peu estimé de voir toutes les beautés que la nature étale dans nos campagnes : bonheur cependant auquel les biens qui sont l’objet de la cupidité des hommes ne sauraient être comparés. N’est-il pas juste que je vous en rende en quelque sorte participant ? Vous n’êtes pas du nombre de ceux qui n’ont aucun goût pour ces plaisirs et qui les regardent comme tout à fait insipides. Je sais que vous vous y livreriez avec moi si les fonctions de votre emploi vous le permettaient.

Je veux donc vous proposer quelques considérations qui me comblent de joie toutes les fois que la nature met sous mes yeux l’ordre admirable qu’elle observe. Je choisirai pour objet de mes méditations le règne végétal, qui a tant d’étendue et de magnificence.

Si pour notre bonheur commun vous étiez actuellement ici, vous verriez comment toutes plantes, chacune dans l’ordre qui lui est assigné, développent leurs feuilles et leurs fleurs et font tous les préparatifs nécessaires à l’heureuse production du fruit qu’elles doivent porter. Tout ce que l’on y observe est merveilleux ; tout annonce une parfaite sagesse, un art infini, qui a réglé leur disposition et leur figure. Mais rien n’est plus propre à exciter en moi ces réflexions morales que vous aimez tant que le bel ordre que la nature suit à l’égard du temps dans lequel elle fournit aux plantes les moyens de se développer et de devenir fécondes. Comme autrefois, lorsque les eaux du Déluge eurent englouti l’ancien monde, les animaux sortaient de l’Arche de Noé, paire par paire pour repeupler la terre, de même la nature fait reparaître successivement les plantes sur la face de la terre, après l’espèce de destruction que les rigueurs de l’hiver en avaient faite. D’un bout de l’année à l’autre, une espèce de plante vient succéder à celle qui l’ a précédée et paraît à son tour sur cet immense théâtre. Avant qu’une première espèce ait pour ainsi dire quitté la couche nuptiale (+), il s’en montre déjà une autre, qu’une troisième relève à son tour, et ainsi de suite, chacune dans l’ordre auquel elle est assujettie. Tandis que quelques unes sont déjà en état de nourrir leur fruit et de l’amener à maturité, la nature e excite d’autres à se mettre entrain et à préparer leur fruit pour le temps auquel les autres auront déjà atteint leur but.

C’est ainsi que la nature nous fournit pendant tout le cours de l’année des pleurs et des fruits. Aucun jour n’est dénué de ses œuvres. Les plantes éprouvent continuellement ses soins. Avant que d’avoir mené les unes à leur dernière perfection, elle prend déjà les autres par la main et fait les arrangements nécessaires pour les conduire à la même fin. Au cœur même de l’hiver, elle n’est pas oisive ; elle prépare, dans l’ombre presque ténébreuse des vastes et tranquilles forêts, un jardin dont les habitants souterrains (+) de la terre font leurs délices.

Voulez-vous découvrir, mon cher ami, pourquoi la nature procède ainsi pendant toute l’année ? Faites seulement attention à l’utilité qui résulte de cette activité perpétuelle. Quand vous l’aurez reconnue, vous serez sûr d’être instruit des vues du Créateur. Le règne végétal sert à l’usage des hommes et des animaux. les premiers en tirent outre la nourriture le plaisir ; les autres s’en nourrissent simplement. Voilà tout le mystère. Posez ce principe et vous serez en état de rendre raison de ce que j’ai dit des opérations continuelles de la nature. Je ne parle pas au reste des raisons physiques ; je ne prétends pas vous découvrir la cause efficiente qui amène les arbres à la maturité de leurs fruits, les uns plus tôt, les autres plus tard. Ce serait là sans contredit une belle découverte, mais elle ne fait présentement rien à mon but, je borne mon examen aux causes finales. La bonté du Créateur voulait procurer aux hommes une espèces de nourriture et une source de plaisir. C’est pourquoi il a ordonné à la nature de ne pas développer toutes les plantes à la fois, mais successivement ; car autrement ses vues n’auraient pas été remplies. Comment les hommes auraientils le temps de rassembler toutes leurs provisions si les fruits parvenaient tous ensemble à maturité ? Comment pourraient-ils les conserver pour leur usage puisqu’il y en a plusieurs dont la saveur est de courte durée ; et que deviendrait le plaisir que nous trouvons dans leur attente et dans leur goût délicieux ? Les cerises et les autres fruits d’été seraient-ils agréables au milieu de l’hiver ? Le vin ne se tournerait-il pas en vinaigre si les raisins d’où l’on exprime cette précieuse liqueur mûrissaient pendant les ardeurs de l’été ? Quel serait le sort de tant de millions de pauvres animaux pour lesquels la bonté du Créateur ne s’intéresse pas moins que pour l’homme ? Comment se tireraient-ils d’affaire si tous les fruits venaient en même temps ? Il y a quantité d’espèces qui ne se nourrissent que de fleurs, d’où tireraient-elles leur subsistance s’il n’y avait des fleurs à trouver que pendant un ou deux mois ?Pourraient-elles en faire des amas qui suffisent pour le reste de l’année ? Il est vrai que la plupart des insectes n’ont pas besoin d’aliments pendant l’hiver et leur corps est fait de telle manière que pendant les temps où il leur serait impossible de trouver de la nourriture ils sont plongés dans un profond sommeil qui ne leur permet de sentir aucun besoin. Mais en été, cela ne saurait avoir lieu et la chaleur éveille tous ces animaux endormis. Il est donc certain qu’une autre disposition de la nature ferait beaucoup souffrir les hommes et les bêtes et les réduirait même à mourir de faim. Ainsi nous sommes en droit de dire que la nourriture des hommes et des animaux est la raison capitale pour laquelle le Créateur a donné à la nature cette activité continuelle dans la production des plantes.

Si nous passons au plaisir de la vue et de l’odorat que le Créateur s’est proposé de faire goûter aux hommes dans la nature, nous trouverons de nouvelles raisons qui demanderaient des arrangements semblables à ceux que nous observons. Il fallait non seulement faire paraître toutes les fleurs dans leur plus grande beauté, mais encore donner ce spectacle pendant le courts entier de l’année, afin que l’homme ne fût pas limité dans la jouissance de ce plaisir par un court espace de temps. Au printemps où l’homme promène ses pas, pour faire la revue de tout ce que la bonté du Créateur prépare pour sa nourriture, il aperçoit les fleurs dans toute leur pompe et plus brillantes que le plus superbe monarque de l’univers ne peut l’être dans toute sa gloire. Vers l’été, où les regards de l’homme se tournent principalement sur les semences, mille belles fleurs s’offrent encore pour le réjouir. Une espèce succède à l’autre, chacune suivant son ordre, aussi loin que la vue de l’homme peut s’étendre. Quand les frimas de l’hiver viennent nous renfermer dans nos maisons, afin qu’après les avoir essuyés nous soyons plus sensibles à l’impression que feront sur nous au printemps suivant les beautés de la nature, il croît pourtant pendant ce temps-là d’autres productions qui ne frappent pas la vue de l’homme mais qui ont leur utilité. Nous apercevons donc ici de nouveau, mon cher ami, que le plaisir de l’homme est une des fins que Dieu s’est proposées en réglant l’ordre de la nature.

Telle est la loi suivant laquelle le Créateur a rangé l’ordre de la nature. Tout y concourt, autant qu’il est possible, à procurer la nourriture aux hommes et aux animaux et à ouvrir de plus aux premiers une source seconde d’agréments. C’est cette loi qui a placé certaines plantes avec leurs fleurs et leurs fruits au printemps, d’autres en été, d’autres enfin en automne et en hiver. Par la chaque chose a son temps assigné pour paraître lorsqu’elle est le plus utile : c’est ce qui fait que quelques unes sont comme ensevelies, tandis que d’autres brillent de tout leur éclat. Voyez comme une loi unique a réglé tout à la fois tant de choses différentes. La même raison qui place une partie des plantes au printemps renvoie l’autre à l’automne. Tant de milliers de plantes sont assujetties à une même loi. Nous trouvons la notion de l’ordre partout où une chose est disposée suivant des règles uniformes ; et nous appelons confus ce dont nous voyons une partie ici, l’autre là, sans aucune règle générale qui en détermine la place. Or, le vaste jardin du Créateur nous présentant toutes choses réglées suivant une loi, nous sommes en droit de dire que tout y est dans le plus bel ordre, en tant que chaque chose paraît dans son temps.

Réfléchissons un peu, mon cher ami, sur cette proposition et faisons la servir de principe à quelques réflexions morales.

Order is Heav’n’s great Law,

dit notre Pope (+),

L’ordre, cet inflexible et grand législateur
Qui des décrets du Ciel est le premier auteur.

Pourrait-il bien y avoir une autre loi qui convînt à l’Etre suprême, que l’ordre qui découvre en Dieu une immutabilité nécessaire ? L’ordre qui plaît tant à toutes les créatures intelligentes, l’ordre d’où la beauté tire son origine, l’ordre par lequel seul une chose peut parvenir à son but ? Aussi cet ordre est la loi que le Créateur s’est prescrite à lui-même dans tous ses ouvrages, qui par cette raison sont si beaux et si parfaits. L’Etre immuable ne s’écarte jamais de cette règle. Ce n’est pas dans les plantes seules que nous sommes appelés à l’admirer, toutes les œuvres du Tout-Puissant nous la découvrent. En effet quel ordre admirable n’apercevonsnous pas dans l’édifice de l’univers et dans chacune de ses parties ? Toutes les planètes ne se meuvent-elles pas suivant la même loi ? N’est-ce pas ce qui les retient chacune dans leur orbite ? Tous les petits vaisseaux du corps humain ne dépendent-ils pas d’une règle commune ? Examinez tout ce qui tombe sous vos yeux, prenez sans chois la première des œuvres du Créateur que vous rencontrerez. Considérez sa disposition, épluchez suivant les règles de l’art les plus sévères sa figure et sa constitution, vous trouverez de l’ordre partout et vous ne trouverez qu’ordre. Ainsi, l’ordre est la seule chose qui plaise à l’Etre suprême. Nous ayant fait à son image, il nous a aussi imprimé l’amour de l’ordre. Quand nous découvrons l’ordre quelque part, nous sommes forcés d’y prendre plaisir, sans savoir pourquoi et comment cela arrive ; c’est une suite de la nature de notre âme.

Et pourquoi Dieu nous a-t-il imprimé cet amour de l’ordre ? Pourquoi met-il si distinctement sous nos yeux l’ordre qui règne dans ses ouvrages ? Il veut sans doute que nous lui ressemblions à cet égard, que nous réglions notre vie selon un ordre invariable et que nos actions suivent en cela le modèle de ses œuvres. Et en effet, l’ordre, l’uniformité constante, l’immutabilité de nos actions, est le sûr et l’unique moyen de plaire à Dieu et de lui ressembler.

… Tenacem propositi virum
Illum adscribi quietis
Ordinibus patiar Deorum. (+)

Tirons donc de là, mon digne ami, une règle constante pour nous-mêmes : marchons dans l’ordre, par là nous obtiendrons l’approbation de tous les êtres intelligents et, ce qui est le principal, nous nous rendrons agréables à Dieu même ; car partout où est l’intelligence est aussi l’amour de l’ordre. Détestons la vie inconstante et déréglée des pécheurs. Infiniment éloignés de la glorieuse imitation du Créateur, trop petits en quelque sorte pour apercevoir l’ordre et pour l’aimer, ou bien ils n’ont point de lois et se laissent aller au gré du temps et du vent, sans savoir ce qu’ils font et pourquoi ils le font ; ou bien ils suivent la loi de leurs penchants brutaux, qui varient à toute heure, semblables à un vaisseau sans mât et sans gouvernail, que la tempête promène çà et là jusqu’à ce qu’elle l’ait brisé. Ces gens-là, qui dans leurs propres actions ne se prescrivent aucune lois, sont les premiers à blâmer de leur langue impure les œuvres du Créateur, dès qu’il y a la moindre apparence de désordre. Ce qu’ils désapprouvent dans l’Etre suprême, ils l’estiment un sujet de gloire en eux chez qui le plus léger accident est capable de tout mettre en désordre. Quelle affreuse confusion ne règne pas dans les personnes de ce caractère ? Quel dégoût et quelle aversion la vue de leurs excès et de leur conduite ne doit-elle pas causer aux intelligences qui en sont témoins ; mais surtout à quel point ne déplaisent-elles pas à l’auteur de l’ordre qui ne saurait aimer que ce qui est dans l’ordre ?

Ce désordre et cette inconstance répugnent souverainement à la nature d’une intelligence. Quand pourrons-nous régler notre imitation sur le plus parfait des modèles, sur l’Etre infini, qui nous a faits à sa ressemblance ? Cherchons avant toutes choses la règle fondamentale suivant laquelle l’ordre de nos actions doit être réglé. Nous avons vu que la règle fondamentale qui détermine l’ordre des plantes c’est leur utilité par rapport aux hommes et aux animaux. Tout se rapporte là. C’est la même règle fondamentale que nous devons appliquer à l’ordre de nos actions et de notre conduite. C’est elle qui soit nous faire ouvrir la bouche quand nous voulons parler et nous imposer le silence quand il est convenable de se taire. Tout ce que nous faisons et tout ce que nous ne faisons pas doit être commis ou omis en conséquence de cette règle. Par elle en un mot nous parviendrons à faire régner dans nos paroles et dans nos actions le bel ordre que nous admirons dans les œuvres de la nature. Comme il n’y a rien dans le règne végétal dont cette règle ne puisse rendre raison, il n’y aura pas une seule démarche dans notre vie qui ne soit justifiable par le même principe. O combien une semblable vie, pleine d’ordre et de beauté, est-elle préférable à la vie de ces hommes désordonnés, dont les actions n’ont aucune liaison, aucun principe constant ! Elle l’emporte autant sur ce chaos d’actions qu’une bonne montre, dont un seul ressort fait mouvoir toutes les roues, l’emporte sur une foule de roues entassées pêle-mêle, dont chacune aurait un mouvement particulier sans qu’il résultât rien de leurs mouvements réunis.

Ne prenons donc aucun repos, mon cher ami, jusqu’à ce que nous ayons ramené nos actions à l’ordre. Cela demande à la vérité dans les commencements beaucoup de réflexion et une peine considérable ; mais quand nous avons mis les choses en train il n’est rien de plus aisé que de continuer. Que d’autres s’amusent à de vains projets, pour nous ce sera le seul but auquel nous rapporterons nos actions. Comme dans un édifice ce ne sont pas seulement les piliers, les colonnes, les grosses pierres angulaires qui sont arrangés suivant les règles générales de la beauté et de la durée ; nous devons de même déterminer nos moindres actions, comme le manger, le boire, le dormir, etc. suivant la règle générale de l’ordre. Quel admirable édifice ne résulterait pas enfin de cette disposition ? Quel acquiescement en nous-mêmes ne naîtrait pas à la vue de cet ordre ?

Encore un mot, mon ami : vous savez combien de fois nous nous sommes entretenus de l’analogie ou ressemblance de la nature dans toutes ses œuvres. Nous pouvons appliquer ici cette règle de l’analogie. S’il y un si bel ordre dans le règne végétal, il faut qu’il y en ait un semblable dans le règne animal, dans toute la nature et même dans le règne des esprits. C’est un seul être qui a tout fait. Cet être ne reconnaît qu’une seule règle. Comme donc en vertu de l’ordre toutes les plantes ne paraissent pas à la fois, n’ont pas la même durée, ne sont pas de la même grandeur, il faut concevoir qu’il en est ainsi non seulement chez les animaux mais aussi dans le monde spirituel. Tous les êtres qui composent ces classes ne sauraient être égaux. Les uns ont plus de force, d’intelligence, d’habileté que les autres. cela nous sert merveilleusement à juger de l’ordre de l’univers par rapport aux divers états des hommes. Ils ne peuvent ni ne doivent avoir tous une portion égale d’esprit, d’art, de puissance. L’ordre en place un plus haut, l’autre plus bas, le troisième au milieu, tout comme cela arrive dans le monde corporel. Bien loin qu’on puisse accuser à cause de cela le gouvernement du monde de quelque désordre, c’est au contraire la preuve incontestable du plus bel ordre. Chaque créature a obtenu précisément le poste qui lui convient. la même règle qui a fait l’un roi a fait l’autre paysan. Quiconque souhaite une autre disposition se met en conflit avec l’ordre universel.

C’est ainsi que nous devons juger des œuvres du souverain Auteur de toutes choses. Nous devons apporter tous nos soins à découvrir les règles suivant lesquelles il a tout rangé ; et alors nous ne verrons qu’ordre, beauté, splendeur dans tout l’univers ; et nous sentirons l’obligation où nous, faibles créatures, nous nous trouvons de conformer notre conduite au même plan. C’est en conformité même de cette disposition que je suis, mon cher ami, tout à vous.


Troisième considération : Sur l’analogie entre la nourriture de l’âme et celle du corps

Il est assez difficile de décider ce qui mène aux découvertes les plus importantes, ou la considération générale de la nature ou l’examen particulier de quelques pièces détachées sans aucun égard au Tout. Cette dernière méthode nous montre dans une seule pièce tant d’art, de puissance et de sagesse, qu’aucune créature n’est capable de la concevoir parfaitement et dans toute son étendue. La première nous découvre les règles fondamentales que le Tout-Puissant a suivies dans l’arrangement de l’univers et les lois générales par lesquelles il y conserve l’ordre et la beauté. Elle donne aussi occasion à plusieurs retours sur nous-mêmes et à nous tracer diverses règles de conduite. La méditation suivante en fournira un petit échantillon.

On a un grand nombre de méthodes différentes de ranger les animaux suivant leurs diverses propriétés en classes, genres et espèces, afin que par là chaque espèce puisse être distinguée de toute autre. On s’arrête à la vérité dans cette division aux différences essentielles des animaux, afin de la diviser autant qu’il est possible conformément à leur nature, de manière par exemple qu’une souris et un éléphant ne se trouvent pas dans la même classe et que les animaux mêmes dont les classes sont voisines aient aussi un certain rapport dans leur nature. Quand on a d’autres vues, il faut faire choix d’autres propriétés des animaux sur lesquelles leur division soit fondée. Il serait même fort utile pour l’avancement de l’histoire naturelle qu’on fît autant de sortes de divisions qu’il est possible d’en faire. Je n’ai pas desseins d’entrer dans aucun détail là-dessus, je veux simplement m’arrêter à une division des animaux qui a pour principe les diverses espèces de leur nourriture, parce que cette idée m’a conduit à quelques réflexions morales.

Sous ce point de vue nous pouvons faire trois classes principales d’animaux. La première comprend ceux qui se nourrissent de la chair des autres ; la seconde tire les aliments des plantes ; la troisième se repaît des choses inanimées qui appartiennent au règne des fossiles. Mais il faut encore remarquer que plusieurs animaux outre leur mets principal ont encore, pour ainsi dire, plusieurs entremets qui appartiennent aux autres classes. Par exemple, les bêtes qui ruminent se nourrissent ordinairement de végétaux, mais elles aiment aussi le sel qui est de l’ordre des fossiles. La première classe générale souffre encore des subdivisions. Quelques uns des animaux qui la composent n’aiment à se nourrir que de quadrupèdes, comme le lion, le loup, etc., d’autres s’en tiennent aux oiseaux, comme la fouine ; quelques uns attaquent les poissons, comme le héron ; enfin d’autres vivent aux dépens des insectes, comme plusieurs espèces d’oiseaux. De plus il y en a qui aiment également diverses sortes de ces mets, comme le renard qui mange les poules et les lièvres, le chat qui fait curée de souris, de poissons et d’oiseaux, l’aigle qui déchire les quadrupèdes et les oiseaux, et ainsi des autres, de manière pourtant que chaque espèce a sa nourriture principale. On pourrait diviser de nouveau chacun de ces espèces en classes inférieures, car quand on dit d’un animal qu’il aime à se nourrir de quadrupèdes, ce n’est pas à dire qu’il s’accommode de tous également, il n’y a pour l’ordinaire que certaines sortes qui lui conviennent. Mais ce détail n’est pas nécessaire pour mon but. Je me bornerai à la seconde classe générale des animaux, qui comprend ceux que le règne végétal nourrit. Nous pouvons y remarquer diverses classes inférieures, car chaque sorte de plante a presque ses amateurs particuliers. Quelques animaux aiment surtout l’herbe, d’autres les arbres fruitiers, et ainsi du reste. Parmi ceux-ci même on trouve une différence remarquable entre les animaux auxquels une seule et même sorte de plante sert de nourriture ; car les uns ne mangent que la racine, d’autres le feuilles, d’autres le tronc, le bois, en un mot le corps de la plante. On en voit encore qui veulent seulement la moelle ou bien la semence, ou en général tout le fruit de la plante. Il y en a aussi qui gobent la plante tout entière. Qui pourrait faire la revue d’un vieux chêne tout entier s’étonnerait de la multitude et de la diversité des animaux qui en tirent leur nourriture. On en verrait qui se promènent sur les feuilles sans les regarder pour aller droit au fruit, tandis que d’autres négligent le fruit pour attaquer des feuilles, et que quelques unes, ne voulant ni des feuilles ni du fruit, s’en tiennent à la tige, etc. Il en est de même en général dans toutes les plantes dont les différentes parties nourrissent diverses espèces d’animaux. Il y aurait encore bien des subdivisions à faire pour amener la chose au dernier point de précision, mais comme je l’ai déjà dit cela est inutile à mon but.

Les animaux qui se nourrissent de ce que leur fournit le règne des fossiles sont pour la plupart des insectes dont il est difficile de déterminer l’espèce particulière de nourriture puisqu’on a plus de peine à découvrir ces animaux que les autres. On sait pourtant bien que quelques unes se nourrissent de terre, d’autres de pierres, et, si nous faisons réflexion qu’il y a presque point d’animal ou de plante qui ne serve à nourrir d’autres animaux, nous croirons aisément qu’il en est de même des fossiles. Je ne puis m’empêcher de proposer à cette occasion quelques idées qui d’ailleurs ne sont pas déplacées ici. Tout le globe terrestre que nous habitons a, en conséquence de sa liaison avec le soleil, la lune et les planètes, une certaine grandeur et une certaine pesanteur, c’est-à-dire qu’il y a une quantité de matière proportionnée à la longueur des années, des mois et des jours, ou en général aux mouvements de la terre. En supposant donc que le Créateur a rangé cette portion de matière le mieux qu’elle pouvait l’être, on est en droit d’en conclure qu’il en a tiré autant de corps organisés vivants que la matière restante pouvait en contenir. Cela confirme ce que j’ai avance, savoir que dans cette grosse masse de la terre il n’y a presque rien qui ne serve à nourrir et à loger commodément des créatures vivantes.

Après cette courte réflexion, e reviens à mon but principal et je fais quelques considérations morales sur ces observations naturelles. Ce que nous avons dit jusqu’à présent peut servir à former les propositions universelles suivantes.

1. Autant qu’il y a d’espèces différentes d’animaux, autant y a-t-il de sortes de nourritures pour eux.

2. Ainsi chaque animal peut trouver sur cette terre les aliments qui lui sont convenables.

3. De cette manière tout vit en paix et il est rare (je parle des espèces) que l’une se trouve au chemin de l’autre. Ce que ceux-ci méprisent, d’autres s’en font fête, et réciproquement.

Passons à d’autres objets en suivant la règle de l’analogie. On observe quelques ressemblances entre les diverses espèces d’animaux par rapport à leur nourriture et entre les diverses espèces d’âmes humaines par rapport aux objets de leur attachement. On peut diviser de même celles-ci en espèces, classes, ordres, quand on les considère à cet égard. Il y a des âmes profondes, pénétrantes, spirituelles, simples, imbéciles, etc. il y a entre les aliments qui conviennent à ces diverses âmes autant de différences que nous en avons remarqué dans les nourritures des animaux. Je m’explique. Les aliments des âmes, ce sont les choses auxquelles l’homme prend plaisir. Ainsi il doit y avoir dans le monde autant de choses différentes auxquelles l’âme puisse s’attacher avec plaisir qu’il y a de diverses espèces d’âmes. C’est aussi ce que l’expérience justifie. Suivons le fil de cette idée et examinons attentivement cette différence pour découvrir les preuves étonnantes de la bonté et de la sagesse de Dieu qui s’y manifestent. Considérons d’abord les divers caractères des hommes. On peut rapporter toutes âmes humaines à trois classes principales. La première comprend celles qui sont en état de saisir aisément les vérités abstraites, qui demandent un entendement pur et dégagé de l’imagination. La seconde est de celles où l’imagination agit davantage et qui s’occupent principalement à découvrir l’ordre et les beautés qui se présentent dans les choses de fait, dans les objets qui existent. Nous rangeons dans la troisième classe ces âmes qui n’ont que peu ou point d’idées distinctes. Les philosophes ont remarqué que la connaissance de la vérité est une source de plaisir. De là vient que les âmes de la première et de la seconde classe tirent leur nourriture de la considération de la vérité. Celles surtout de la première classe goûtent une satisfaction infinie dans les vérités pures et abstraites de la métaphysique. Quand un homme de cet ordre lit les ouvrages métaphysiques de Wolf, il y trouve plus d’agrément que dans toute autres occupation, car ce sont là les opérations auxquelles son âme est naturellement disposée. Les choses sensibles affectent davantage les âmes de la seconde classe. Leur imagination veut être occupée, elles aiment la vérité moyennant qu’elle se présente sous des images. L’une se plaît à considérer le ciel, l’autre embrasse toute la nature en général. Celle-ci se délecte dans l’examen des plantes, celle-là choisit pour objet les pierres, les minéraux, les animaux, etc. Il y en a plusieurs pour qui l’étude générale de l’homme a des charmes attirants, quelques uns s’appliquent aux affaires politiques ou tournent leurs vues du côté des belles lettres. En un mot chacun cherche une nourriture qui convienne à la nature de son âme, comme les animaux cherchent celle qui convient à leur Corps. Les personnes de la troisième classe mettent leur bonheur dans les représentations confuses des objets qui tombent fous les fens. L'un ne connaît de plaisir que celui dont les aliments affectent là langue et son palais ; l’autre a foin de recréer {es yeux, un troisième tes oreilles. Les moindres objets, souvent de simples imaginations, sont ce qui les satisfait le plus. On pourrait les comparer à ces animaux qui vivent de l'écaille du fruit sans toucher a la substance.

Telles sont les idées des hommes, et chacun, suivant les siennes, a sa sorte particulière de contentement. La trouve-til ? il est content; il se réjouit de son bonheur et regarde d'un œil de compassion ceux qui n'aiment pas les mêmes choses que lui. Chacun s'imagine d'avoir seul trouvé les vrais principes du contentement humain. Un paysan attentif écoute son curé, qui débite avec emphase des idées sans ordre et sans raison, et dont tout l'art est de bien crier; il l'écoute, dis-je, avec le même plaisir qu'un philosophe goûterait en voyant Wolf en chaire ; et un pauvre campagnard, qui pour exploit signalé vient de faire tomber un lièvre à ses pieds, s'en félicite tout autant que Huygens de la découverte d'une nouvelle planète. Grammatophile rit sous cape de la vanité des occupations des hommes, qui s'embarrassent de tant de choses inutiles, lorsqu'il entend parler des découvertes de Leibniz. Savez-vous pourquoi il méprise de semblables idées ? C'est que tout nouvellement il a expliqué un logogryphe du Journal helvétique. Il n'est plus présentement en goût que d'Anagrammes et de logogryphes. Un esclave de Mammon, qui consume sa vie à accumuler gain sur gain, et qui fait un sourire de Juif quand il entend dire que la raison, le goût et la vertu sont les principes du véritable bonheur, un tel homme est si ravi de la possession de son argent, qu'il ne comprend pas comment l'on peut donner ses foins à d'autres objets. Il déplore la folie de ceux qui consacrent leurs veilles à l'acquisition de la vérité. C'est lui seul qui thésaurise heureusement. Et l'homme du monde comment envisage-t-il les choses ? Il se moque des spéculations du philosophe et méprise celui dont il est méprisé à plus juste titre. Il est le seul, dans son opinion, qui fasse un bon usage de la vie. Ne voyons-nous pas ici des preuves sensibles de la bonté divine à l'égard des hommes, en ce qu'elle n'a pas eu soin seulement des grands esprits, mais aussi des âmes les plus faibles ? Que seraient ces, pauvres gens qui ne sont capables d'aucune connaissance distincte et qui forment pourtant le plus grand nombre? Que seraient-ils dans ce monde, si l'on n'y trouvait pas ces objets seuls capables de leur procurer quelque satisfaction ? Oui, Dieu n'a pas eu moins de soin des âmes du plus bas ordre que de celles du rang le plus élevé. Elles font soutes ses créatures. S'il a ouvert à Leibniz le royaume des vérités, s'il a donné à Newton l'empire du firmament, pour y trouver leur plaisir, il a aussi préparé pour les autres esprits, des choses qui peuvent les réjouir convenablement à leur nature, tout comme il nourrit les plus chétifs vermisseaux aussi bien que les lions. Le monde ressemble à une chambre de curiosités, où l'on en a rassemblé de toute espèce, et qui sont propres à amuser toutes sortes de personnes. C'est par ce moyen que tout se maintient dans l'ordre le plus merveilleux. Au contraire il y aurait une confusion épouvantable si les choses étaient réglées autrement. Il est à présumer que le monde, tant qu'il régnera une si grande diversité dans les caractères des hommes, quelques révolutions qui arrivent d'ailleurs, dans la suite des siècles, demeurera pourtant toujours tel que tous tes habitants trouveront comme aujourd'hui dans sa disposition les sources intarissables des plaisirs dont ils font susceptibles.

Il se présente encore ici une occasion d’admirer la sagesse de Dieu. Est-ce que sans une sagesse infinie, ce monde aurait pu être rangé de manière que tant de milliers d'âmes d'un goût différent trouvent de quoi s'y plaire ? Le plus merveilleux encore, c'est que les hommes portent des jugements si différents d'un même objet. Ce que l'un trouve beau, l’autre le juge fade ou désagréable. Ce qui amorce l'un, rebute l'autre. La sagesse divine a su ranger les choses de telle sorte que chacun ne voit presque dans le monde que ce qui lui plaît ; et qu'il y a une espèce de voile sur les autres choies qui pourraient lui déplaire. De là vient l'espèce d’illusion où nous sommes que la nature a pour but de nous plaire à nous en particulier et principalement ; le botaniste, par exemple, croit que les plantes ont été faites pour réjouir l'homme par leur beauté et par leur ordre ; le paysan n'y trouve d'autre destination que de nourrir son bétail ; le médecin leur donne pour dernière fin l’utilité de son art ; le marchand regarde le monde comme une foire ; et le soldat l’envisage comme un champ de bataille. Il en est ainsi de toute autre chose, chacun loue l’arrangement de la nature suivant ses idées et sa profession. On chercherait en vain un artiste dont le travail fût du goût de dix sortes d'esprits différents. C'est l'ouvrage de la souveraine sagesse.

Mais j'entends des contradictions qui s’élèvent. On me demande si les choses sont effectivement telles que je les représente, si l’univers plaît à tous les hommes, si chacun y trouve ce qu'il cherche ? L'expérience ne nous montre-t-elle pas une foule de gens qui se plaignent de l'ordre que Dieu a établi dans l'univers ? N'est-ce pas ce monde sur lequel les sages eux-mêmes font tant de plaintes et où plus d'un Mandevill méconnaît le bien et n'aperçoit que les traces du mal ? Patience, il faut examiner la chose de plus près. Qu'ai-je dit de cet univers ? Que chacun y trouve ce qui convient à sa nature. Cette proposition est si incontestable qu'aucun doute ne saurait l’ébranler. S’il y a des gens qui corrompent leur nature et qui par une semblable corruption cherchent des choses qui leur sont contraires, comment ose-t-on s'en prendre à la nature ou à son Auteur. Tout comme chez les hommes et les animaux, le goût pour les aliments solides et liquides peut s'altérer au point qu'ils se nourrissent et s’abreuvent de choses contraires à leur nature et nuisibles ; les âmes se trouvent dans le même cas. Est-ce que l'ordre par lequel la nature a régi les aliments des animaux cesse pour cela d'être un ordre ? C'est ce que personne ne voudra avancer. Il en est donc de même des choses que la bonté du Créateur a accordées aux hommes pour leur plaisir. Si nous voulons rendre, pour ainsi dire, à Dieu la même justice que nous rendons aux hommes en pareil cas, il nous sera aisé de le justifier. Que dirions-nous d'un paysan qui se plaindrait du marchand qui lui aurait vendu un verre ardent, parce que ce verre n'allume pas sa chandelle pendant la nuit. Il n'en est pas autrement de l'homme qui cherche dans l'univers des choses qui sont contraires à sa nature. Dieu a réglé le monde, suivant la nature de chaque homme. S’il y en a qui corrompent leur nature, le monde ne changera pas pour eux ; et il n'est pas surprenant qu'ils ne puissent s'y plaire. Cela ne manque point d'arriver, dès que l'homme recherche des choses qui répugnent à son essence.

Tirons d'ici une double doctrine. La première regarde la circonspection avec laquelle nous devons juger des œuvres de Dieu. Quelle folie ne serait-ce pas d'en porter un jugement absolu, sans savoir quelles sont les vues que l'infinie sagesse du Créateur s'est proposées. Et ces vues, pouvons-nous les découvrir sans une connaissance exacte des choses auxquelles cette sagesse a eu égard. Dieu a embrassé dans son plan tous les habitants du monde. Mortels insensés, vous voulez juger de la disposition de ce monde suivant vos vues et la rapporter toute entière à vous. Quand il se présente des choses dont la raison est cachée ou qui nous paraissent même dénuées de tout ordre, gardons-nous de juger à l'aveugle. Le monde n’est pas fait pour nous seuls, il y a des millions d'autres hommes qui y ont leur part tout comme nous. Tel se plaît dans ce qui nous paraît en désordre, c'est justement ce qui le satisfait. En lui se trouve donc la raison pour laquelle le Créateur a fait de semblables arrangements. Combien de censures n'a pas essuyé le système de Copernic, qui nous paraît si beau ? Nous blâmons ceux qui en ont jugé d'une manière si déraisonnable de n'avoir pas mieux considéré le ciel et la marche des corps célestes. Prenons garde de ne pas faire nous-mêmes ce que nous blâmons dans les autres. Nous devons juger par les choses qui nous conviennent dans le monde et par celles que nous y comprenons que tout le reste de ce qui existe est également beau, réglé avec le même ordre et la même sagesse. Alors nous serons satisfaits de tout et nous ne tomberons pas dans une injustice blasphématoire à l'égard de l'Etre suprême. Nous trouverons toutes ses œuvres bonnes et une plus mûre réflexion nous convaincra qu'il a tout bien fait.

Une seconde doctrine, qui nous regarde, est celle-ci : suivez la nature. C'était un conseil vraiment divin, que le plus grand des orateurs de Rome reçut d'un oracle qu’il consultait sur le genre de vie qu'il devait embrasser. Si nous voulons avoir quelques succès dans nos actions, nous devons aussi suivre cette règle. Le monde, comme nous l'avons vu, est disposé d'une manière convenable à notre nature. Etudions la donc cette nature, et prenons la pour unique guide. Celui qui n'avait d'autres dispositions naturelles que pour la guerre peut-il se promettre d'avancer heureusement dans le monde en s'appliquant aux sciences ? O que les hommes seraient heureux s'ils suivaient leur nature. Qu'ils sont malheureux au contraire de tenir une conduite qui y répugne ! Malheureux encore les enfants que leurs pères forcent d'embrasser un genre de vie que leur naturel rejette. De là toutes ces plaintes que les hommes font sur la misère de leur sort et l’on peut dire que c’est proprement ici la source de leur peine. Qu'est-ce qui a fait tomber notre premier père dans la révolte contre son Créateur ? C’est d'avoir voulu devenir son propre maître et s'élever contre sa propre nature au rang de Dieu. Magistrats sans capacité ! Médecins sans expérience, qui ouvrez tous les jours des fosses sous vos pas ! Pitoyables auteurs ! Poètes sans verve ! Prédicateurs mondains ou grossiers, auxquels il siérait beaucoup mieux de manier l’épée ou de conduire la charrue que de monter en chaire ! Vous faites tous votre métier en dépit de la nature. En la suivant vous auriez été des objets d'admiration, ou du moins vous ne seriez pas tombés dans le mépris.

Que nos premiers soins aient donc pour objet l'étude de notre nature. Ne perdons jamais de vue la nécessité d'examiner,

Quid valeant humeri, quid ferre recusent.

En un mot suivons la nature. C'est la route de la vraie félicité. Et l’unique science qui nous importe, c’est de nous bien connaître nous-mêmes.

Quatrième considération : Sur la grandeur de l’univers modifier

Les petits corpuscules que Leuwenhoek a découverts par les microscopes, et ceux d'une petitesse bien plus grande encore auxquels Leibniz (+) est arrivé par la voie du raisonnement, sont une source bien abondante de merveilles, en particulier pour ceux qui avaient pris leurs faibles yeux pour juges de la grandeur et de la petitesse des choses corporelles. Il en est de même des grands corps célestes et de ce magnifique univers qui résulte de cet assemblage, tel que l'astronomie nous le représente. La grandeur de cet édifice et de ses principales parties est aussi éloignée des idées communes que les yeux nous en donnent que la petitesse de certains corpuscules organisés. Quand je conçus pour la première fois la véritable notion de la grandeur. de l'univers et des corps célestes, je sentis naître des mouvements d'admiration dans mon âme, que j'ai eu besoin de réprimer de temps en temps pour n'être pas accablé en quelque sorte sous le poids de cette admiration. Si Horace avait eu quelque idée de la nature et en particulier du ciel, il aurait mis des bornes à son Nil admirari. Assurément tout homme, s'il s'en peut trouver de tel, en qui un examen approfondi du ciel n'excite aucun étonnement est absolument privé de toute sensibilité.

Après avoir un peu surmonté la force de cette surprise dans laquelle la première connaissance du ciel m'avait totalement absorbé, je sentis naître diverses réflexions causées par l'idée de la grandeur de l'univers. J'espère, mon digne ami, qu'elles ne vous déplairont pas et que vous participerez avec plaisir à l'admiration, au contentement et à l'édification que j'en ai moi-même remporté.

Allons donc! Elevons nos esprits au-dessus de ces objets terrestres, dont le vulgaire fait tant de cas, et auxquels les rois eux-mêmes ne sauraient refuser leur admiration. Nous apercevrons bientôt que toutes les œuvres des hommes ne sont qu'un pur néant en comparaison des œuvres du Créateur. Celles-ci nous feront oublier les autres, et l'admiration que nous avions accordée aux choses humaines ira s'absorber dans l'admiration des ouvrages de Dieu. Mais il nous faut d'abord choisir une mesure d'une grandeur connue, à laquelle nous pussions comparer autant qu'il sera possible la grandeur des corps célestes. En prenant environ 860 fois l'espace qu’on nomme un mille, nous avons la longueur du demi-diamètre de la terre, qui est la mesure dont on se sert communément pour les espaces célestes.

Considérons premièrement notre système, dont le soleil est la pièce principale, qui fournit à seize autres corps de la même constitution que noire terre, la lumière, la chaleur et le mouvement. Ces corps font : Mercure, Vénus, la terre avec la Lune, Mars, Jupiter avec ses quatre satellites et Saturne que cinq satellites accompagnent. Du centre du soleil au centre de Mercure, lorsqu'ils sont à la plus grande distance, il y a plus de 10000 demi-diamètres terrestres ; jusqu'au centre de Vénus plus de 16000, et jusqu'au centre de la terre plus de 22000. Etonnante distance de laquelle on ne se serait jamais douté si des observations réelles ne l'avaient fait connaître. Mais ces nombres sont trop grands pour qu'on puisse se faire une idée des distances qu'ils expriment. Prenons une autre mesure, qui les représentera par de moindres nombres. Faisons comme Hésiode, qui, en voulant décrire la hauteur du ciel et la profondeur du Tartare, dit qu'une masse de fer jetée du ciel mettrait dix jours à arriver sur la terre et qu'il lui faudrait le même espace de temps pour arriver de la terre au fond de l'abîme. A la place de cette masse prenons un boulet de canon, dont la vitesse est si grande qu'il parcourt 600 pas pendant un seul battement de pouls. Ce boulet irait pendant 25 ans avec la même vitesse avant que d'arriver du centre du soleil à celui de la terre. Cette distance prodigieuse est encore fort petite si nous la comparons à d'autres. Car le même boulet allant du soleil à Mars, emploierait 40 ans, à Jupiter plus de 140 et à Saturne plus de 150. Quelque immenses que paraissent ces espaces, ils n'atteignent pas encore les limites du système solaire. On a découvert dans ces derniers temps, que quelques comètes, qui sont encore soumises à la domination du soleil, en sont bien plus éloignées que Saturne.

Telle est la distance inconcevable à laquelle le soleil étend son empire de toutes parts. Maïs quel nouveau sujet de surprise, quand on pense que le Créateur a donné à la lumière une vitesse qui la met en état de faire ce voyage en 50 secondes. Ce n’est pas non plus assez de considérer l'étendue de notre système solaire, il faut encore examiner la place que la bonté du Créateur y a préparée pour le domicile de ses créatures. Il en naîtra de nouveaux sujets d'admiration.

Notre terre contient un espace d'où plusieurs centaines de millions d'hommes peuvent tirer leur nourriture. Quand nous calculons la grandeur de toutes les planètes avec leurs lunes, sans y joindre les comètes dont le nombre est fort grand, et qui peuvent être fort aisément rendues habitables (+), nous trouvons qu'il y a pour le moins 1200 fois autant d'espace dans les autres planètes que sur toute notre terre. Ainsi nous autres habitants de la terre nous ne faisons pas la millième partie des citoyens du système solaire. C'en serait déjà assez pour nous ôter la fantaisie d'être les créatures qui méritent la préférence sur toutes les autres. Mais ce n’est rien encore au prix de ce qui nous reste à voir. Jetons un coup d'œil sur l'univers entier. Les risques que la haute opinion que nous avons de nous-mêmes court d'être bannie par cette méditation ne nous empêcheront pas de nous en occuper.

Que chaque étoile fixe soit à peu près de la grandeur de notre soleil, c’est une chose qui ne saurait être révoquée en doute par aucun de ceux qui ont quelque idée de l'édifice du ciel. Si cela est ainsi il en résulte, par une de ces probabilités qui ne diffèrent guère de l’entière certitude, que les étoiles fixes ont la même destination que le soleil. Chacune d'elles est la capitale d'un système particulier, chacune d’elles a des planètes et imprime le mouvement à une quantité à peu près égale de matière. Mais une quantité égale de matière peut remplir un espace fort inégal, suivant la liaison où elle est avec d'autres corps. Les circonstances à cet égard peuvent varier à l'infini. Ainsi chaque système des étoiles peut être fort différent de tout autre. Supposons que dans chacun il y ait autant d'espace pour les habitants qu'il y en a dans le nôtre. Quelle inconcevable multitude d’habitants ne contiendra pas l'univers entier ? Je suis tout étourdi de ce simple coup d'œil que je viens de jeter sur sa grandeur. Ce ne sont pas les termes, ce ne sont pas les nombres, ce sont les idées mêmes qui me manquent ici.

Personne n’est en état de déterminer le nombre des étoiles. Tous nos chiffres sont peut-être simplement l'alphabet de cette longue étendue de nombres, qui expriment cette somme. Cependant nous pouvons en dire avec certitude assez sur la multitude des étoiles, pour ravir les lecteurs dans une telle admiration qu'il ne leur restera rien à désirer au delà. Les meilleures observations s'accordent en ceci, c’est qu'il y a une distance inassignable de notre globe jusqu'aux plus prochaines étoiles fixes. Quand nous nous restreindrions à la plus petite distance que les astronomes conçoivent, il faudrait toujours que le boulet de canon dont nous avons parlé, lancé du soleil et conservant une égale vitesse, mît six cent mille ans pour arriver aux étoiles fixes les plus voisines. Vous vous étonnez, et vous avez raison. Mais vous le serez à bien plus juste titre quand j'ajouterai que cette étendue incompréhensible pour tout esprit humain n’est que très peu de chose au prix [auprès] de tout l'espace du ciel. Le célèbre astronome Halley a prouvé qu'il n'y a pas plus de 13 étoiles qui soient à cette proximité du soleil. C’est à cause de cela qu'elles brillent davantage à nos yeux et qu'on les nomme étoiles de la première grandeur. Celles qui viennent immédiatement après s'appellent les étoiles de la seconde grandeur, parce que leur plus grand éloignement nous les fait paraître moindres que les premières. Il faut qu'elle soient aussi éloignées des premières que celles-ci le sont de nous. Celles de la troisième grandeur doivent l'être trois fois, celles de la quatrième grandeur quatre fois davantage, et ainsi des autres. Ce n’est pas en trop dire que d'avancer qu'il est possible de distinguer des étoiles de cent grandeurs différentes. Que l'on considère seulement la Voie Lactée, où les étoiles sont si petites et si près les unes des autres que notre simple vue n'y démêle rien. Mais ne prenons que vingt grandeurs, il s'ensuivra déjà delà que le diamètre de tout l'univers, en y posant seulement vingt rangs d'étoiles fixes, est tel que le boulet de canon tant mentionné ne le parcourrait pas en 24 millions d'années. Si nous concevons qu'au moment de la création, placée à l'époque ordinaire qu'on lui assigne, ce boulet soit parti d'un des pôles de l'univers pour arriver à l’autre, il n'aurait pas encore parcouru, en conservant toujours une vitesse égale, la 6000e partie de ton immense carrière. Quel nombre ineffable de créatures ne doit pas contenir une pareille demeure ! Quand il n'y aurait, comme nous l'avons dit, que treize étoiles de la première grandeur, on peut conclure, en suivant les mêmes principes, qu'il y en a quatre fois treize de la seconde, neuf fois treize de la troisième et ainsi de suite, ce qui donnerait un nombre d'environ 40000 pour la vingtième grandeur. Or comme il est certain que dans la seule Voie Lactée il y a plus de 40000 étoiles, il en résulte que l'édifice de l'univers est incomparablement plus grand encore que nous ne l'avons supposé. En mettant cent ordres d'étoiles, le dernier ordre seul nous donnerait 1300000 étoiles.

Telle est la grandeur inconcevable dé l'univers. Un pareil nombre de soleils, donc chacun surpasse plusieurs fois notre terre en grandeur, ont été placés dans leur lieu par la toute puissance du Créateur. Que quelqu'un se vante à présent d'être en état de concevoir la grandeur de l'univers. Assurément elle surpasse toutes nos idées. Mais pensez en même temps quelle doit être la grandeur de celui qui a fait l'univers et qui se joue de tous ces corps immenses comme d'autant de ballons légers. O ! si la grandeur de l'univers vous absorbe, ne hasardez pas de décrire celle de son auteur. (Les étoiles elles-mêmes avec toute leur majesté, marchent et peuvent disparaître en sa présence comme l'herbe des champs qui se flétrit, et comme la rose épanouie le matin et fanée le soir) (+).

Tournons notre attention sur la grande diversité d'objets que notre terre renferme et tirons en une conséquence qui s'étende à toute la nature. Il y a plusieurs centaines de minéraux, de pierres, de sels, de métaux, de fossiles, tous doués de propriétés merveilleuses. Il y a plusieurs milliers de plantes, dont la figure et les effets varient à l'infini ; il y a une multitude inconcevable d'animaux, tant quadrupèdes qu'oiseaux, poissons, vers, infectes, qui se trouvent tant sur la terre que dans la mer. Le peu que nous en connassons et que nous en savons excite déjà en nous une vive admiration, et nous serions tentés de croire que le Créateur a épuisé dans la fabrique de notre seul globe tous les trésors de sa puissance, de sa sagesse et de sa bonté. Combien en effet de millions d'hommes tous d'un caractère différent ? Combien d'arts et de sciences n'ont-ils pas mis au jour ? Que d'inventions surprenantes, tant anciennes que modernes ? Dites moi, en faisant ces réflexions, quelle idée ne vous faites-vous pas de la magnificence de la terre ? Ce n’est pourtant qu'un néant au prix de l'univers entier. Pensez seulement au nombre innombrable d'autres terres qui existent. Que celle qui nous sert de domicile vous soit un échantillon de la diversité et de la magnificence de toute la nature, qui dans l'univers entier est infiniment plus riche et plus resplendissante, quoique d'ailleurs nous ne soyons pas en état de nous former une idée de la puissance et de la sagesse du Créateur supérieure à celle que nous fournit la considération de notre terre. Quelle ne doit pas être la grandeur de l'intelligence qui connaît toutes ces choses chacune avec leurs diverses propriétés, qui les appelle toutes par leur nom et les divise suivant leurs genres et leurs espèces ; qui découvre les pensées les plus secrètes de tant de millions de millions d'esprits qui habitent des mondes innombrables, aux yeux duquel le moindre mouvement, le plus léger changement qui arrive dans l'univers n’est point caché, enfin qui ramène à un même but cette multitude infinie d'opérations ? Ici nous pouvons nous écrier avec une pleine conviction (O Dieu souverainement grand, les âmes créées sont de beaucoup trop petites pour comprendre tes œuvres. Elles sont infiniment grandes, ces œuvres, et toi seul, Etre infini, tu peux te les représenter.) (+)

Mais qui sait si l'homme n'a point été créé pour arriver par degrés à la connaissance de toute la nature ? Quelle source intarissable de satisfaction m'ouvre cette idée ! Il n’est plus surprenant que nos âmes aient été faites pour une vie éternelle, car comment pourrions-nous sans l'éternité arriver à une pareille connaissance ? Misérables âmes qui voudriez périr avec le corps ! Vous mériteriez en vérité que votre souhait s'accomplît ! Et vous gens de courte vue, dont la sagesse est dépourvue de lumières, qui ne tenez aucun compte de tout ceci et qui vous récriez que cette prétendue connaissance du Créateur dans les œuvres de la nature est un pur babil philosophique, repaissez-vous donc de vos idées abjectes de la Divinité, que l'éclat des nôtres éclipse entièrement.

Quand je compare la grandeur de l'univers avec la petitesse de notre terre, la splendeur du tout avec cette faible lueur dont nous jouissons, quand je pense que notre terre n'a pas la même proportion avec l'univers qu'un grain de sable avec une montagne entière, je me sens vraiment honteux des idées que je m'étais faites jusqu'à présent de la petitesse et de la grandeur. Pourrait-il bien y avoir de grands objets sur la terre ? Se passerait-il quelque chose d'important sur un grain de sable ? Une montagne souffrirait-elle quelque déchet si le vent lui enlevait un grain de sable ou même plusieurs milliers ? C’est ce qui arrive effectivement dans le monde. Que pourrait-il y avoir de considérable parmi nous eu égard au tout? Qu'un Alexandre fasse la conquête de tous les royaumes de l'univers ! Que les Turcs subjuguent la Chrétienté ou que les Indiens secouant le joug de leurs maîtres en deviennent maîtres à leur tour ! Que toute la terre même périsse, que le soleil s'obscurcisse, que les planètes perdent leur force et rentrent toutes ensemble dans l'état du chaos ! Tout cela sera-t-il de conséquence par rapport à l'univers entier ? Il y paraîtra tout autant qu’à la montagne dont nous venons de parler lorsqu'il s'en détache un peu de poussière.

Apprenez à juger suivant cette idée, mortels remplis d'un orgueil insensé, qui n'avez pas honte de prétendre que le Maître suprême de l'univers dispose et gouverne le monde entier conformément à votre seul bon plaisir. Reconnaissez par la grandeur du Tout, combien peu la majesté du Tout-Puissant perdrait de ton éclat, ou pour mieux dire qu'elle n'en souffrirait en rien, quand vous et toute l'espèce qui vous ressemble rentrerait dans les abîmes du néant. Oui, la perte du genre humain entier intéresserait-elle en quelque chose le Dieu suprême ? Et s'il nous conserve et nous aime, n’est-ce pas uniquement parce qu'il est infini, que sa bonté embrasse toutes les créatures, et qu'il a soin des vermisseaux aussi bien que des séraphins ? Apprenez aussi à juger suivant cette idée, gens bornés et timides, qui croyez que le monde est bien près de sa fin, lorsqu'il reste 5oooo morts sur un champ de bataille. O misère ! O catastrophe ! Il est survenu à un grain de sable une ouverture par laquelle plusieurs milliers d'animalcules qui y étaient logés sont détruits dans leur nid. Cette révolution dans un grain de sable intéresse assurément beaucoup le monde. Telle est votre mesure, poussière humaine. Car ce qu'est un grain de fable en comparaison de notre globe, tel est notre globe en comparaison de l'univers entier ; et ce que des vermisseaux sont au prix [auprès] de nous, tels sommes-nous au prix [auprès] des natures supérieures. Apprenez encore, rois superbes de la terre, à juger suivant cette idée de vos exploits héroïques, de votre gloire, de votre grandeur, de votre pompe. Vous êtes puissants, vous êtes grands, vous dominez sur des millions de vermisseaux, tandis qu'une foule innombrable d'autres êtres se moquent de votre grandeur imaginaire. Qu'est-ce que toute votre magnificence comparée à celle que la nature déploie sur la face de notre terre ? Faites retentir vos acclamations jusqu'aux cieux quand vous avez pris une ville. Ce sera une grands nouvelle là-haut. (+) Continuez, mortels ignorants, à diviniser ceux d'entre vous qui le sont un peu moins que les autres. Dites le divin Platon, le divin Leibniz, le divin Newton, parce qu'ils ont aperçu une partie infiniment petite de ce que nous pouvons savoir un peu moins obscurément que le reste des hommes ; mais n'oubliez pas en même temps de comparer l’étendue du firmament étoilé avec celle de leur doctrine, de juger par cette étendue de la petitesse du savoir de ces grands génies et de trouver dans cette petitesse des leçons d'humilité pour vous-mêmes.

Ainsi disparaît donc toute notre grandeur, toute notre science ! Ainsi il ne reste rien dont l'homme puisse se vanter ! Mais je me trompe, il lui reste encore des endroits dont il peut tirer gloire. N’est- ce pas assez pour lui d'avoir une âme, qui puisse arriver insensiblement, non seulement à la connaissance du prodigieux édifice de l'univers, mais encore à celle du Créateur-même ; une âme capable de devenir citoyenne de la glorieuse Cité de Dieu ? C’est là que nous devons chercher notre sublimité, ne jugeant important que ce qui est requis pour la connaissance de ces objets. Faisons réflexion que quand nous viendrons à bout de connaître tout ce qui peut être connu sur cette terre, à peine saurions-nous la première lettre de l'alphabet infini que requiert la connaissance de l'univers entier. Que si les faibles connaissances dont nous jouissons actuellement nous procurent déjà tant de satisfaction, quelles ne seront pas les délices que nous goûterons dans l'acquisition d'une science infiniment grande, surtout quand nous aurons déjà passé des siècles, des milliers d'années, à étudier la nature incréée ! Adorons cependant avec la plus profonde humilité cette Essence souveraine qui a fait servir sa puissance, sa sagesse et sa bonté à nous procurer tant de bonheur ; et n'oublions jamais que nous sommes ses créatures.


Cinquième considération : Examen de quelques désordres apparents sur la terre

Ce qui distingue principalement les ouvrages de la nature des chefs-d'œuvre de l'art, c’est qu'à mesure que le degré de connaissance, par lequel nous en jugeons va en augmentant les productions de la nature paraissent toujours plus excellentes, au lieu que nous découvrons continuellement de nouvelles imperfections dans celles de l'art. Prenez l'ouvrage le mieux imité d'après nature qu'on puisse exécuter et mettez le à côté de l'original qu'il représente. Supposez qu'on n'y pût remarquer au simple coup d'œil aucune différence sensible, prenez le moindre microscope, soumettez les deux objets à son examen et vous y découvrirez bientôt une grande différence. L'ouvrage de l'art paraîtra plus imparfait, celui de la nature plus parfait. Il s'ensuit clairement de là que plus on a une connaissance étendue des œuvres de la nature, mieux on est en état de juger de leur beauté ; et que celui-là seul voit toutes les beautés de la nature, qui a une parfaite connaissance de toutes les parties du monde corporel. Quiconque est privé de cette connaissance s'imaginera au contraire apercevoir toujours quelques imperfections dans les ouvrages de la nature et, ne les examinant que superficiellement, il n'en portera jamais un jugement juste. De là naissent les fausses et souvent ridicules décisions des ignorants sur l'arrangement de diverses choses dans l'univers. De là le mot insensé d'un Alphonse, roi de Castille, qui se vantait qu'il aurait donné de bons conseils au Créateur s'il avait assisté à la formation du monde. De là en un mot les plaintes injustes de plusieurs habitants de notre terre, qui ont été poussées jusqu'au point qu'un auteur (+), d'ailleurs très habile et pénétrant, a été capable d'avancer que la disposition du globe terrestre renferme plusieurs choses superflues ou mal réglées et qu'en particulier cela était sensible dans les montagnes, les vallées et les mers. C’est une conséquence toute naturelle du défaut d'examen ; et il n’est pas surprenant que des gens, qui ne considèrent la terre que d'une manière vague et qui négligent de comparer entre elles les diverses choses qui s'y trouvent, croient qu'il y aurait beaucoup à y redresser.

Avec un semblable tour d'esprit on ne saurait découvrir beaucoup d'ordre et de sagesse dans le monde. On considère, par exemple, les pays qui sont situés dans le voisinage des deux pôles. Là règne pendant la plus grande partie de l'année un froid excessif qui en éloigne les hommes et les animaux ; là se trouvent des montagnes couvertes de neiges et de glaces éternelles ; là existe une mer, qui n’est jamais navigable. Le partage du jour et de la nuit y paraît tout contraire à l'usage que les hommes sont appelés à en tirer. En un mot la nature semble y avoir oublié tout à fait son ordre et son art. Qu'il serait agréable de rencontrer dans ces contrées le même partage de la chaleur et du froid, la même division de la lumière et des ténèbres, la même fertilité que nous offrent les zones tempérées ! De cette manière les redoutables régions polaires deviendraient habitables et utiles aux hommes ; au lieu qu'en vertu de leur état présent une partie considérable de la terre se trouve réduite en un désert éternel. Ainsi juge l'homme de courte vue. Il prononce tout de même sur les inégalités de la surface du globe terrestre et à la vue des montagnes prodigieuses et des profondes vallées, qui remplissent plusieurs pays tout entiers. On voit souvent des monts entassés sur d'autres monts, et couverts d'une neige qui ne se fond jamais. S'il y en a où quelques animaux trouvent leur nourriture, il y en a aussi où ni animaux ni plantes ne peuvent subsister. Ces affreuses montagnes sont ceintes d'épaisses forêts ou d'abîmes sans fond, dont la seule vue inspire la terreur, comme l'ont éprouvé tous ceux qui ont voyagé sur les Alpes ou sur d'autres montagnes élevées. Où voit-on ici cet ordre et cette beauté, que la nature devrait étaler partout ? Une plaine émaillée ou de riantes collines ne vaudrait-elle pas bien mieux que ces rochers escarpés et ces précipices ? Ne serait-ce pas un changement bien avantageux que celui qui transformerait en champ, en prés et en vignes, tant de milliers de lieux qui sont occupés par une neige éternelle, par de stériles rochers ou par des forêts inhabitables ?

Tout homme qui ne connaît la nature qu'à demi ne manquera pas de raisonner ainsi au premier coup d'œil ; et je pourrais produire encore un grand nombre d'autres articles sur lesquels il exercerait la même critique, si cela ne m'écartait trop du but que je me suis proposé. Sans entrer donc dans de plus grands détails, découvrons les pitoyables fondements des jugements précédents et prouvons que les désordres apparents et les imperfections apparentes de l'édifice de la terre, ne sont au fond qu'ordre et perfection.

Pour cet effet supposons seulement que la terre fût réformée sur le plan de ses censeurs et voyons les conséquences qui ne pourraient manquer d'en résulter. D'abord qu'il y ait un degré égal de chaleur et de froid par toute la terre, avantage que l'on estime si considérable. Mais qu'on me dise en même temps ce que deviendra cette étonnante diversité des œuvres de la nature, qui contribue tant à la perfection de la terre ? Où seraient tant de milliers d'espèces de plantes, d'animaux terrestres et marins, qui ne se propagent que dans les contrées où se trouve le degré de chaleur qui leur convient. Parmi le nombre innombrable des productions de la nature, il y en a peu qui réussissent également en tout climat. Les plantes qu'on transporte des pays chauds dans les nôtres, n'y subsistent qu'en leur donnant artificiellement, non seulement la chaleur mais même toute la température de leur séjour natal (+). Il est donc certain qu'une chaleur égale partout ferait périr la plus grande partie des productions de la nature et lui ôterait par conséquent sa principale beauté. Et que de biens n'aurions-nous pas perdu en même temps par là ? Si un pays n'avait rien qui ne fut commun à l'autre, que deviendrait le négoce, qui nous procure tant d'avantages, non vains et imaginaires, mais très réels. Car quoique l'avarice, la volupté et quelquefois une folle ambition, aient fait chercher le chemin des contrées étrangères et transporter chez nous les biens de la nature qui s'y trouvent, nous tirons pourtant effectivement, en venu de l'enchaînure universelle des choses, d'insignes usages de cette communauté entre les peuples. Où en seraient nos sciences si chaque pays n'avait aucun besoin d'entrer en liaison avec les autres ? Car qu'est-ce qui pourrait nous déterminer à visiter d'autres contrées, si elles ne possédaient que ce que les nôtres nous offrent à toute heure ?

Ce n’est pas là encore toute l'imperfection qui résulterait d'un pareil arrangement. Si tous les lieux de la terre doivent être également chauds, qu'on détermine le degré de cette chaleur. Sera-t-elle partout comme sous la zone torride ? Qui pourrait la soutenir ? Comme un corps froid quand il approche d'un corps chaud lui dérobe une partie de sa chaleur, de même les zones froides ôtent toujours aux climats brûlants quelque chose de leur ardeur. Si elles étaient toutes égales, la chaleur répandue sur toute la terre devrait être beaucoup plus grande qu'elle ne l'est actuellement sous la zone torride. Rien ne pourrait subsister, hommes, animaux, plantes, tout serait consumé. Mettez les choses, si vous voulez, sur un autre pied, que toute la terre ait un degré égal d'une chaleur tempérée, dont toutes les créatures puissent s'accommoder. Alors l'élévation et la raréfaction de l'air seraient les mêmes partout. Notre terre perdrait par là une des principales causes qui y produisent les vents. Serait-il possible de décrire tout le dommage qui en résulterait ? On sait à présent par des expériences incontestables que l’air, qui est le grand principe d'où dépend la conservation de la vie des hommes et des animaux, est en même temps pour eux le plus terrible poison lorsqu'il n’est pas continuellement agité et renouvelé par le vent. Ainsi cette égalité constante de chaleur par toute la terre causerait notre perte entière. De plus on sait combien les vents sont utiles pour une infinité d'autres usages dont nous serions privés en conséquence d'une semblable disposition.

La terre ne serait donc pas un paradis, comme elle le semblait d'abord à la faveur de ces changements, ce serait plutôt une solitude et un déplorable chaos. Nous devons être déjà convaincus par ces réflexions qu'il y a dans la nature bien des choses qui paraissent irrégulières et nuisibles à l’homme et qui néanmoins sont d'un usage infini et marquent une souveraine sagesse dans leur auteur. Il en est tout de même de l'inégalité de la surface de la terre. Représentez-vous une terre toute unie. Vous y trouverez, je l’avoue, une figure régulière, une vue libre et étendue, des voyages commodes et d’autres avantages semblables. Mais en revanche vous perdrez tous les fruits que nous retirons des montagnes. Tant d'espèces de pierres et de métaux, tant de fleuves, de fontaines et de lacs, qui embellissent notre séjour, disparaîtront. La mer elle-même deviendrait un marais infect. Une bonne partie des plantes les plus belles et les plus utiles, plusieurs espèces d'animaux qui ne vivent que sur le sommet des plus hautes montagnes seraient perdus pour nous. Car nous voyons de manière à n'en pouvoir douter que toutes ces choses ne peuvent se nourrir et se conserver que dans les montagnes ; ce qu'il serait aisé de prouver de chacune d'elles en détail si mon plan s’étendait aussi loin. Pensez à présent quelle vie misérable et sauvage l’homme mènerait s'il était seulement privé des métaux, qui s'engendrent dans le sein des montagnes. Ces neiges mêmes, et ces glaces immortelles, qui en couvrent en plusieurs endroits la cime, procurent un avantage bien sensible en entretenant le cours non interrompu des fleuves. Plusieurs des principaux fleuves de l'Europe tirent en effet leur origine de semblables montagnes. Si à la place de la neige qui y tombe, vous supposiez qu'elles reçoivent en pluies autant d’eau à la fois, il faudrait nécessairement que cette eau, s'écoulant sur le champ, inondât tout. Au contraire en été, pendant les grandes sécheresses, les sources de ces fleuves tariraient. Tout cela est prévenu par l'arrangement actuel. Quelque abondante que soit la neige qui tombe tout à la fois sur les montagnes, il n'en peut arriver aucun inconvénient et la quantité de neige et de glace qui se fond peu à peu pendant la grande sécheresse suffit pour l'entretien des sources. Ces neiges remédient donc également à la trop grande abondance et à la disette d'eau.

Mille autres irrégularités apparentes de l'univers sont dans le même cas que celles dont nous venons de rendre raison. Je ne me vante pas de les ramener toutes à l'idée de l'ordre. Cela demanderait, comme on l'a déjà insinué, une parfaite connaissance de la nature, que son Auteur adorable possède seul. Mais nous avons assez de preuves pour être en droit de conclure des parties au tout. Ainsi que personne n'ait l'audace de blâmer l’ordre de la nature et de montrer sur ce sujet son ignorance ou ton impiété. Car dans les endroits où il croira saisir avec le plus de facilité des preuves de désordres, c’est là même qu'une Intelligence plus étendue trouvera une parfaite sagesse. Plus nous fondons les voies secrètes de la nature et nous étudions ses règles fondamentales, plus nous reconnaissons leur perfection, plus nous avons lieu d'admirer la sagesse et la bonté infinie de leur tout-puissant Auteur et plus nous sommes en état de justifier ces divins attributs contre les folles accusations de l'impie. O ! se peut-il qu'il y ait tant de mortels, qui consacrent tout ce qu'ils ont d'esprit et de pénétration à mettre au jour leur folie et leur malice, à s’aveugler volontairement eux et les autres! Et ne se serviront-ils jamais de ces talents pour pénétrer dans les mystères de la nature ! Si cela arrivait, l'incrédulité serait puissamment détruite par ceux-mêmes qui la soutiennent présentement avec le plus de chaleur.

Allons plus loin et découvrons toute l'utilité que nous pouvons retirer de cette considération. Elevons nos regards jusqu'au règne des esprits et appliquons lui ce que nous avons observé dans le monde corporel. Ils ont tous deux le même Auteur, qui suit des principes constants dans tous ses ouvrages. Ainsi l'harmonie et l'analogie du monde matériel et du monde invisible sont si certaines et si invariables que nous ne trouvons rien dans la disposition générale de l'un, qui ne se rencontre d'une manière analogue dans celle de l'autre. Eh bien, cherchons donc dans le règne des esprits ces cas semblables où des imperfections apparentes procurent effectivement des avantages considérables. Pour arriver à cette fin nous n'avons pas besoin d'aller bien loin, nous trouverons en nous-mêmes ce qui fait l'objet de notre recherche. Quels désordres étonnants ne semblent pas régner parmi le genre humain ! Considérons un homme seul, quel mélange de passions qui le dominent, qui le tyrannisent, qui le déchirent tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, qui s'en jouent en un mot comme les flots de la mer d'une faible nacelle ! Quelles faiblesses dans les meilleurs Esprits ! Quels désirs insensés dans les plus grandes âmes ! Où est l'homme heureux, que les égarements de son cœur n'ont jamais jeté dans aucune folie ? Où est l'homme parfait, dont les meilleures œuvres sont parfaitement pures et peuvent soutenir la pierre de touche d'un examen rigoureux ? Tantôt c’est une passion qui règne, tantôt c'en est une autre ; rarement la raison, cette reine légitime, jouit de ses droits. En un mot l'esprit humain ressemble assez bien à l’ancienne ville d'Athènes, gouvernée rarement par un Solon, souvent par des tyrans, quelquefois bien et mal tout ensemble. Il n'y a rien de constant chez les hommes que l'inconstance et la faiblesse. C’est ce qui a fait dire à un grand connaisseur (+) sur ce sujet : (Vains enfants des hommes ! Race pleine de fantaisies chimériques ! Qui pourrait bien décrire tes folies multipliées ? L'amour propre, l'orgueil, l'envie, la haine se font une guerre perpétuelle au dedans de toi et se disputent l’empire de ton cœur. )

Si nous considérons l'homme en société, combien n'y verrons-nous pas de haine , de méchanceté, d'envie, de désirs de vengeance ? Quelles divisions, quelles guerres, quelles désolations ! Meurtres, vols, trahisons, persécution des innocents, oppression de la vérité, triomphe des méchants, ce sont là les choses les plus communes. Bref, la société humaine ressemble à un hôpital de fous. Il y a tout lieu de croire que le Créateur même a manqué son but, s’il s’est proposé de faire autre chose des hommes qu'une espèce ridicule. Et l’on donnerait volontiers gain de cause à Boileau (+), quand il fait de l'homme le moindre des animaux.

Mais où tend cette description ? A Dieu ne plaise que je veuille avilir le genre humain ou rabaisser son grand Auteur. J’ai dessein tout au contraire de montrer que tous ces désordres apparents, tous ces maux que j'ai étalés, sont dans le même cas que les désordres physiques donc j'ai déjà rendu raison, c’est-à-dire qu’ils sont une source merveilleuse de perfection. Oui, ces choses mêmes qui semblent n’offrir que la confusion et le malheur servent à l'avancement de la félicité du genre humain ; et ce qui paraît d'abord le plus contraire aux perfections divines se trouve merveilleusement propre à les mettre en évidence.

Commençons par examiner l'usage de ces passions, qui mettent l'homme dans des situations si étranges (+). Imaginez-vous toute l'espèce humaine exempte de passions. Qu'on n'y voie plus ni amour propre, ni ambition, ni goût pour les plaisirs, ni colère. L'excellente société, direz-vous, que celle d'où tant de passions dangereuses sont bannies ; de pareilles gens doivent vivre entre eux comme des anges ! Mais que sera-ce, si en perdant les faiblesses qui accompagnent les désirs illicites, ils ont perdu tous leurs biens en même temps ? C’est une excellente chose que le sel, pour me servir d'une comparaison du Sauveur, mais, quand il a perdu sa saveur, c’est le plus inutile des corps. Otez à l'homme l'amour propre, vous lui ôtez en même temps le plus puissant ressort de toutes tes actions, ce ne fera plus qu'un corps endormi et presque mort. L'amour propre n’est-il pas souvent le principe des actions les plus grandes et les plus utiles des hommes ?

Bannissez l'amour propre, écartez ce mobile,
L'homme est enseveli dans un repos stérile. (+)

Mais laissons subsister cette faiblesse et ôtons à sa place cette folle ambition qui a tant fait de maux dans le monde. Alors au moins on ne verra plus parmi les hommes tant de troubles, de désordres et de guerres. Mais alors aussi les plus grands génies demeureraient ensevelis avec leurs talents. Le héros que la gloire anime expose la vie et celle de ses soldats pour son repos, il attire sur soi le danger qui te menace ; sa passion pour la gloire veille pour toi, tandis que tu dors. Le héros sur qui la gloire n'a aucun empire achètera, comme Nicias, ton propre repos à prix d'argent et laissera l'ennemi maître. Le sage même, le philosophe, dont la sagesse est souvent guidée par une noble ambition, ira-t-il accourcir sa vie pour te faire part de ses découvertes, dès que lui refuseras le prix auquel il aspire, la gloire ? Leibniz, le plus grand génie que l'Allemagne ait produit et auquel elle a le plus d'obligation de ses lumières, Leibniz, sans ce principe, n'aurait pas rendu de grands services au monde ; et s'il en faut croire quelques relations, sans ce principe encore, Pope, le grand Pope, ne nous aurait pas laissé ses incomparables ouvrages. Quand l'ambition n'aurait fait pour le bien du monde qu'embrasser ces deux génies, cela seul suffirait pour mériter qu'on lui érigeât des autels.

Serait-ce l'amour des plaisirs que vous voudriez bannir ? Prenez y bien garde : vous détruisez par là le principe de la propagation du genre humain. Vous enlevez à votre prétendu monde amélioré cette troupe de beaux arts, qui ont été inventés pour servir à nos plaisirs, et dont futilité s'étend fort loin. N’est-ce pas le goût des plaisirs qui a fourni aux hommes la première occasion d'apercevoir les trésors de la nature dans les plantes et dans les animaux ? N’est-ce pas le même goût qui entre tous les jours dans les soins qu'on prend pour découvrir de nouvelles contrées et pour s'instruire des mœurs des peuples sauvages ?

Dépouillez l'esprit humain de la colère, bannissez le faux zèle du clergé, source de tant de maux ; vous ne sauriez pourtant toucher au vrai zèle, sans nous priver de tant d'écrits excellents, qui démontrent les vérités fondamentales du salut. Le zèle est l'appui de la justice, qui sans lui négligerait souvent d'infliger les punitions nécessaires ; et la colère elle-même produit divers biens que le sens froid aurait laissés à l'écart.

Mais toutes ces passions, direz-vous, sont encore supportables, pourvu que la haine, l'envie, le désir de vengeance, ces destructeurs du repos humain disparaissent ; on ne peut nier que les hommes n'y gagnassent beaucoup. Eh ! ne sont-ce pas ces crimes eux-mêmes d'où naissent tous les jours quantité de biens ? Combien de fois les envieux n'ont-ils pas procuré eux-mêmes l’élévation des objets de leur envie ? N’est-ce pas cette odieuse passion qui fit vendre Joseph et qui le mît en état de préserver des nations entières des horreurs de la famine et de leur perte totale ? Les mêmes principes criminels ne contribuèrent-ils pas à faire paraître à la cour du roi d’Egypte le grand Législateur des Juifs, Moïse, dont la sagesse de l'Eternel le servit ensuite pour tirer ton Peuple d'un dur esclavage ? Et quelle autre cause a procuré la mort salutaire du Rédempteur du genre humain ? Les plus cruelles persécutions n’ont-elles pas servi à orner la tête des martyrs d'une couronne d'immortalité et à étendre les limites du Christianisme ? Il en est ainsi de tous les penchants criminels, ils servent à la perfection du Tout : l'Arbitre suprême de l'univers a tout si sagement réglé que les défauts et les vices de certaines personnes tournent à l'avantage de tout le genre humain. Ce qui est dans les individus une imperfection devient une perfection dans l'enchaînure universelle. Admirable arrangement de l'univers ! Les choses-mêmes qui paraissent les plus mauvaises ont leur bonté. Tout a été fait pour le mieux.. Et quoique nous ne puissions pas tout découvrir, ce qui nous fait trouver plusieurs choses étranges et déplacées, nous sommes pourtant en droit de conclure que toutes choses ayant un Auteur commun, tout ce qui vient de lui est bon. Ainsi relativement au Tout, il n'y a rien que de bon, même les actions criminelles et les peines qui y sont attachées. Celui qui s'égare, aussi bien que celui qui le remet dans le bon chemin, servent tous à l'utilité de l'univers ; ils sont tous des instruments donc Dieu se sert pour arriver à ses fins. Loin d'ici toute idée de cas heureux et malheureux ! Pour l'univers il n'y en a que de bons. Loin d'ici tous les murmures et toutes les plaintes ! il n'y a aucune situation dont nous ne puissions tirer avantage. Ce qui est un malheur pour les individus fait le bien du Tout. Acquiesçons par conséquent à l'arrangement et à l'ordre de l'univers. Gardons-nous bien de blâmer le gouvernement du plus grand et du meilleur de tous les Etres, tandis que nous avons tout sujet d'adorer la sagesse infinie qu'il fait éclater. Ne considérons jamais le bien ou le mal par rapport à telle ou telle personne ; mais envisageons-le dans sa relation avec le Tout. Le monde n’est pas fait pour nous seuls et nous ne saurions prétendre que tout y aille uniquement à notre gré. Le monde n’est parfait que dans sa totalité. Le grand Créateur n'a pas eu en vue .la perfection particulière de quelques-uns de ses ouvragés, mais il s'est proposé celle de l'univers entier ; c’est pourquoi il a feulement rendu chaque individu aussi parfait qu'il doit l'être conformément à ce but. Cherchons donc notre bonheur dans la perfection du Tout, et adorons avec de justes sentiments d'admiration et de respect, ce Dieu souverain qui a tout réglé d'une manière également merveilleuse et sage.

Sixième considération : Sur les mystères de la nature. modifier

Plusieurs grands hommes de notre siècle ont donné un détail si exact des œuvres de la nature, que leur examen conduit nécessairement à conduire qu'elles font faites avec un art et une sagesse dignes de toute notre admiration, puisque tout y est disposé de manière qu'on n’y observe rien qui ne tende par la voie la meilleure et la plus courte au but pour lequel il est destiné. Heureuse peine que celle que nous coûte l'étude de la nature, puisqu'elle cous conduit à connaître la sagesse de l'Etre suprême. Mais de ce que nous connaissons nous ne saurions pourtant conclure autre chose sinon que la sagesse qui a fait toutes ces choses est pour le moins aussi grande que la sagesse humaine. Tout ce qui est le fruit d'un degré de sagesse supérieur à la sagesse humaine nous ne saurions le découvrir ni le comprendre. Car aussitôt que nous apercevons comment une chose est faîte, il n’est plus impossible que nous en fassions nous-mêmes une semblable. Celui qui comprend, par exemple, comment l'air poussé et modifié dans la bouche et dans la trachée artère des animaux peut rendre un son déterminé, l'imitera par le moyen de quelques machines. Mais lorsque nous rencontrons des choses qui sont effectivement incompréhensibles pour nous, nous sommes forcés d'avouer que la sagesse qui les a disposées, surpasse la sagesse humaine. Or il y a dans la nature des choses qui non seulement surpassent l'entendement humain, mais même qui sont directement contradictoires au degré de raison que les hommes possèdent actuellement, en sorte qu'aucun homme n’est disposé à les croire, bien plus que tout le monde s'accorderait à les rejeter comme impossibles si une expérience incontestable n'en était le garant. Ces choses peuvent être appelées à bon droit les Mystères de la nature et leur méditation peut nous être fort utile. Donnons y donc quelques moments.

Il y a deux espèces différentes de mystères de la nature. La première comprend les choses dont nous voyons à la vérité distinctement les opérations, mais à l'égard desquelles nous ignorons si parfaitement la manière dont ces opérations s'exécutent que nous les regarderions comme tout à fait impossibles et contradictoires à nos idées, si leur existence n'était appuyée fur le témoignage de l'expérience. L'autre espèce de mystères de la nature renferme les êtres dont nous découvrons bien la structure mais donc le but paraît en tout, ou du moins en partie, contraire à la raison. Nous apporterons des exemples de l'une et de l'autre sorte.

Quelques savants naturalistes ont découvert, il n'y a pas longtemps, dans certains animaux, des propriétés qui appartiennent à juste titre à la première espèce des mystères de la nature, en ce qu'elles sont fortement contradictoires à nos idées, qu'elles paraissent répugner entièrement à la raison et qu'aucun homme ne les croirait si elles n'étaient confirmées par une foule d'expériences incontestables. Il est aisé de comprendre que j'ai en vue les polypes, espèce de vermisseaux aquatiques. Ce merveilleux animal nous offre une singularité qui semble déclarer la guerre à toutes les idées de la raison humaine. Nous y apercevons un fait qui aurait été capable de faire passer pour visionnaire et pour fou, et de couvrir d'un ridicule éternel, tout homme qui l'aurait avancé, sans pouvoir le justifier par des preuves authentiques. Cet insecte, qui doit servir de leçon à tous les philosophes, peut être partagé en parties innombrables, tant suivant sa longueur que suivant sa largeur, de manière que non seulement chacune de ces parties conserve la vie, mais qu'au bout d'un court espace de temps il en renaît un animal aussi parfait que l'était celui qu'on a mis en pièces. Si on le coupe en deux par le milieu du ventre, la partie qui appartenait au ventre, devient aussitôt une tête. Si on le tranche en long, en séparant par la moitié tête, ventre et queue, chacune de ces moitiés se change d'abord en un tout. Mystère effectif, qui combat toutes nos notions et qu'aucun homme ne saurait développer. II faut le ranger dans la première des espèces que nous avons indiquées.

Pour en trouver un de la seconde, supposons qu'un être doué d'un entendement pareil à celui de l'homme vînt sur notre terre et qu'il examinât attentivement l'état actuel des choses. Supposons encore que cette intelligence sondât à fond ce merveilleux édifice, cette disposition, cet ordre, cette structure si pleine d'art dans les plantes et dans les animaux, afin d'arriver à une connaissance parfaite des machines innombrables dont les corps organisés sont composés. Cette intelligence serait sans doute saisie d'admiration à la vue de l'art inconcevable et de la parfaite sagesse du grand ouvrier. Mais que croyez-vous qu'elle pensât, si quelqu'un lui disait que ces machines si pleines d'art ne font faites que pour un court espace de temps, après quoi elles retombent en poussière ? Que serait-ce fi l'on ajoutait que l'Auteur de ces chefs-d'œuvre les détruit souvent avant qu'ils soient sortis de sa main et qu'aucun homme les ait vus ? Cette intelligence pourrait-elle croire que les hommes et les animaux meurent et que la plupart des plantes sèchent en peu de temps ? Que des machines aussi admirables que l'œil, l'oreille, dont l’art surpasse toute notre conception, ne sont faites que pour une courte durée ? Non, sans contredit, elle assurerait avec une grande apparence de raison que cela est incompréhensible, que la raison répugne à déployer tant d'art dans des choses aussi passagères, qu'on ne saurait accorder cette conduite avec l'idée que les œuvres du Créateur donnent de sa sagesse ; enfin que ces beaux ouvrages doivent nécessairement être d'une immortelle durée. On ne saurait douter qu'un être intelligent placé dans de semblables circonstances ne portât un jugement de cette nature et je suis certain que quiconque connaît la structure du corps humain regarderait comme un insensé celui qui en enseignerait la mortalité, si l’expérience n'en fournissait une pleine conviction. N'est-il pas connu que plusieurs philosophes veulent établir l'immortalité de l'âme sur des fondements qui pourraient être employés à aussi bon droit en faveur de celle du corps. Ecoutez ce qu'en dit un grand poète. [Serait-il possible, ô mon âme, que Dieu t'anéantît ? Non, il t'a donné trop de grandeur et de beauté ; vois de quel éclat les grandes âmes brillent, considère les fruits précieux qu'elles portent... Ainsi ce qui est divin ne saurait périr.]

Nous pouvons tirer de là pour conséquence assurée que la mort des hommes paraîtrait une chose incroyable si ce n'était un fait d'expérience. D'où je conclus que nous y trouvons un mystère de la seconde espèce.

Quand nous nous enfonçons davantage dans l'étude de la nature, nous y trouvons encore d'autres choses qui paraissent également incroyables. Rappelons de nouveau l'intelligence que nous avons introduite dans ce monde et, après lui avoir assez fait admirer la pompe de la nature dans nos campagnes, conduisons-la sur le rivage de la mer. Disons lui que cet immense réservoir d'eaux contient autant de preuves de la magnificence de la nature qu'elle vient d'en voir sur la terre, qu'on y trouve un règne aussi brillant de plantes, d'animaux et d’autres corps, qu’il s’y rencontre une foule innombrable de machines dont l'art proposé à notre examen absorbe tout entendement humain, que la plupart de ces beaux ouvrages sont comme ensevelis au fonds de la mer, où ils pourrissent sans parvenir à la connaissance de personne. Cette intelligence étrangère ne prendrait-elle pas tout ce récit pour de pures fictions ? Et comment faudrait-il s'y prendre pour lui rendre la chose probable sans appeler l'expérience au secours ? Cela lui paraîtrait aussi peu apparent qu'il l'est que le fond de la terre cache un trésor et des merveilles pleines d'art et de sagesse. L'un en effet ne répugne pas davantage à la raison que l'autre. Il y a donc dans la nature bien des choses qui semblent ne pas s'accorder avec les lumières de la raison.

Le gouvernement du monde présente aussi des mystères semblables à ceux des œuvres de la nature. Posez le cas qu’il y eût sur la terre un roi dont la sagesse, la bonté, l’affection pour ses peuples, fussent suffisamment confirmées par mille exemples et qu'il vint nouvelle, que ce roi a bâti une grande et magnifique ville où ses sujets doivent chercher leur bonheur pendant un certain espace de temps, mais qu'en même temps il a tellement caché la plus belle partie de la ville que les habitants ont une peine extrême à y arriver et que cependant il fait conserver cet endroit avec des soins et des frais étonnants, sans qu'on sache si jamais personne en trouvera le chemin. Qui de nous pourrait regarder une pareille relation comme croyable ? Les plus sensés seraient les premiers à la rejeter. Appliquons cette comparaison au gouvernement de la nature. Ce grand, ce bon, ce sage roi, c’est DIEU, l'Auteur et le Conservateur de la nature. Il a fait la terre afin que des êtres doués y cherchent pendant un temps leur bonheur. Néanmoins il en a caché, et il en cache encore, la plus belle partie. Je m'explique. Combien n'y a-t-il pas de pays dans l'univers, dont quelques-uns ne sont connus que depuis peu de temps, d'autres point du tout ou bien n'ont presque point d'habitants quoiqu'on puisse les regarder comme les plus belles et les meilleures contrées de la terre ? Combien de milliers de plantes et d'animaux, machines construites si merveilleusement, ont crû dans ces lieux-là et y ont été détruites sans avoir été ni vues, ni employées par aucun homme ? Combien ne périront pas encore de la même manière à l'avenir quantité de créatures, admirables, dont l'art et la structure surpassent l'esprit humain ? On peut en dire autant de l'invention des ans et des sciences, qui contribuent fi considérablement au bonheur du genre humain. Combien de milliers d'années ne se sont pas écoulés avant que les hommes aient acquis leur connaissance et combien n'y a-t-il pas de nations qui en sont encore privées? N'ignorons-nous pas encore une infinité de choses qui seraient fort utiles à l'avancement de notre bonheur ? Voilà donc la comparaison justifiée et nous voyons qu'il y a dans le gouvernement de la nature bien des mystères incompréhensibles à l’esprit humain.

Nous pouvons tirer quelques doctrines utiles de cette considération. D'abord cela doit nous rendre extrêmement circonspects en fait de conjectures dans les sciences et surtout dans la physique. La vérité nous paraît souvent moins probable que l'erreur et, dans les choses qui tiennent à l'univers entier, duquel nous ne voyons qu'une partie infiniment petite, un faux jugement a souvent la plus grande probabilité. La recherche de la vérité dans les choses de fait demande beaucoup de patience. On tombe dans l'erreur si l'on n’est bien attentif à suspendre son jugement. Que dirons-nous de ces physiciens téméraires, qui, voulant tout expliquer, prescrivent à la nature des lois que leur imagination a forgées ? Moins ils connaissent la nature, plus ils hasardent leurs hypothèses. Un physicien sage craint toujours de se tromper, lors même qu'il a les plus fortes apparences pour lui. Quand je considère que les lois de la nature ont été prescrites par une intelligence infinie, je suis tenté de rejeter les conjectures les plus plausibles. Un esprit aussi faible que le nôtre, pourrait-il conjecturer ce que l’Esprit infini a jugé le meilleur entre une infinité de possibles ? Un esprit médiocre ne sait pas seulement démêler les moyens donc un habile politique se sert pour parvenir à son but et nous apercevrions les voies de cet Esprit, auquel rien n'échappe !

Nous voyons ensuite d'une manière bien distincte combien souvent nos jugements doivent être pitoyables lorsque nous les formons sur de simples probabilités que notre faible esprit nous présente, au sujet des œuvres et des vues de l'Etre suprême. Les maximes de sa conduite sont si différentes de celles qui règlent nos actions, qu'il est rare que nous saisissions la vérité, quand nous jugeons des vues de Dieu suivant les nôtres. S'il y a donc parmi les ouvrages des choses que nous ne pouvons comprendre, quoique nous les voyons, combien ne sera-t-il pas plus aisé que nous nous trompions quand nous voudrons décider sur des vraisemblances de choses que nous ne connaissons point du tout et dire positivement ce que l'Etre suprême a résolu et ce qu'il a dû faire dans tel ou tel cas ! C’est là une grande leçon de circonspection pour les jugements que nous portons sur les œuvres et sur les voies du Créateur. Ce qui nous paraît le moins convenable à l'Etre souverainement parfait, c'est souvent ce qu'il fait. Quand nous apercevons dans les œuvres de Dieu et dans le gouvernement de l'univers des choses que nous ne comprenons pas, et qui semblent contraires à la raison, nous ne sommes pas en droit d'en conclure qu'elles ne conviennent pas au Maître de l'univers. Ne voudrions-nous regarder pour divines que les choses qui seraient conformes à nos idées ? Non assurément. Le contraire est même souvent un caractère de divinité. Laissons quelques avortons de sagesse former des objections contre les vérités révélées et contre les voies de Dieu qui nous y font décrites ; laissons-les affirmer que ces idées font destituées de toute vraisemblance ; convenons même avec eux qu'on peut former là-dessus des difficultés qu'aucun homme n’est capable de résoudre. Que s'ensuit-il de là ? Rien autre chose sinon qu'il y a dans la Révélation des mystères tout comme dans la nature, et qu’ainsi elles ont toutes deux le même Auteur, dont les voies font impossibles à sonder. Tout ce que nous découvrons dans la nature est digne de la souveraine perfection de son Auteur ; pourquoi en serait-il autrement du reste, uniquement parce que nous ne le comprenons pas ? Quel orgueil insupportable ne témoignerions-nous pas en jugeant ainsi ? Tout ce que nous découvrons dans la Révélation est bon, saint et juste ; en serait-il autrement de ce qu’il ne nous est pas encore permis de connaître ? Nous devons donc toujours être persuadés de la bonté des œuvres de Dieu, quelques contraires que puissent être les apparences.

Préservons-nous sérieusement d’une fausse théologie fondée sur des vraisemblances, qui est la mère de la superstition. Pour marcher sûrement, nous devons chercher la certitude, la démonstration ou bien une expérience incontestable et ne recevoir que ce qui découlera de ces sources. Plus nous ferons de progrès dans la connaissance de la nature et plus nous deviendrons sages sur ce point. C’est Dieu qui gouverne la nature ; les cas ordinaires qu'on y aperçoit sont les maximes de conduire de l’Etre infini qui a réglé la nature. A mesure que notre connaissance de la nature ira en augmentant, nous découvrirons mieux les maximes de l’Esprit éternel et nous nous convaincrons de plus en plus combien elles sont éloignées des nôtres.

Enfin cette méditation nous met sous les yeux notre propre faiblesse et nous force d’avouer que l’intelligence de l’Auteur de l’univers surpasse infiniment la nôtre. Quelle gloire et quel honneur ne sont pas dus à l’Etre devant l’entendant duquel toutes les sciences humaines pour lesquelles nous avons souvent une si grande admiration disparaissent et rentrent dans le néant ! C’est à cet Etre seul que nous devons rapporter et consacrer toute notre admiration et toutes nos adorations.