Essai sur la répartition des richesses/19

CHAPITRE XIX

DE LA RÉPARTITION ACTUELLE DES RICHESSES ET DES REVENUS DANS LES SOCIÉTÉS MODERNES.


Sauf des cas exceptionnels et très rares la tendance une moindre inégalité des richesses est très marquée dans tes sociétés-modernes. — Préventions dans le sens contraire répandues dans le public.

L’examen de tous les documents statistiques, en même temps que l’observation directe des faits particuliers, démontrent la vérité de notre thèse. — Examen des documents qui peuvent renseigner sur la répartition des richesses.

Distribution des revenus en Prusse d’après les statistiques deux impôts l’Einkommensteuer et la Classensteuer. — Répartition des revenus dans le royaume de Prusse en 1853, en 1864, en 1878. — Classification des revenus prussiens en six catégories : les très petits revenus, les petits, les modiques, les moyens, les grands et les très grands revenus. — Les deux premières catégories représentent plus des deux tiers du total des revenus des habitants de la Prusse. — La troisième catégorie forme moins de 16 p. 100 de l’ensemble ; la quatrième, moins de 7 et demi p. 100 ; la cinquième, moins de 3.60 p. 100 ; la sixième, 1.26 p. 100. — Énumération des très gros revenus prussiens.

Mouvement de la répartition des richesses en Prusse, dans la période de 1853 à 1878. Quoique cette période ait été très favorable à l’agiotage, les changements ne témoignent pas d’une tendance à la concentration des richesses ; au contraire. — Les petits, les modiques et les moyens revenus sont ceux auxquels la civilisation profite le plus. — L’élévation de ces catégories de devenus est continue, ininterrompue, et se poursuit en dépit de toutes les prises sociales, industrielles, agricoles, financières. — Ces crises influent, au contraire, considérablement sur les gros revenus.

La statistique des revenus en Saxe, comme les faits démontrés par la statistique des revenus en Prusse.

De la répartition des fortunes dans le Royaume-Uni. — Impossibilité d’arriver pour ce pays à des résultats même approximativement exacts. — La distribution de la propriété foncière. — Le nombre des propriétaires parcellaires est considérable. — Les très grosses fortunes territoriales.

Les revenus commerciaux et professionnels dans le Royaume-Uni. — Relevé et décomposition de ces revenus d’après la statistique, de l’Income tax. — Les très gros revenus commerciaux ou professionnels sont beaucoup plus rares dans ce pays qu’on, ne le pense généralement. — Les traitements des fonctionnaires et des employés dans la Grande-Bretagne. — Toutes ces statistiques montrent que même dans la Grande-Bretagne les énormes revenus, autres que les revenus fonciers, sont plus rares qu’on ne le pense. — Démonstration de cette assertion par le produit de l’impôt sur les domestiques mâles. — Le nombre considérable des déposants aux Caisses d’épargne en Angleterre. — Les assurances sur la vie. — Cause du petit nombre de détenteurs de titres de consolidés.

De la répartition des richesses en France. — La distribution de la propriété foncière. — Il n’y a pas en France 60, 000 personnes ayant un revenu net foncier de 6 ou 7,000 francs ou davantage.

De l’évaluation des revenus parisiens d’après les statistiques de l’impôt sur les loyers. — Petit nombre des grandes et énormes fortunes à Paris. — Classification des revenus parisiens. — Les statistiques de l’impôt sur les chevaux et les voitures confirment les indications de l’impôt mobilier. — Il en est de même des statistiques des Pompes funèbres. — Hypothèses sur la répartition des fortunes dans le reste de la France.

Conclusions que l’on peut tirer des relevés de l’impôt sur le revenu aux États-Unis en 1865 et en 1866, et des impôts sur le revenu et sur le capital dans quelques cantons suisses.

Résumé de toutes ces recherches. — En tout pays les grandes fortunes sont plus rares que ne se le figure l’imagination du vulgaire. — Il sera beaucoup plus difficile dans le prochain demi-siècle d’accumuler de rapides fortunes qu’il ne l’a été dans le demi-siècle écoulé.

Les chapitres précédents ont démontré que la répartition des richesses avait une tendance à se faire d’une manière de moins en moins inégale dans les sociétés modernes. Baisse sensible du taux de l’intérêt, baisse des profits des industriels et des commerçants, arrêt et même recul dans la marche ascendante de la rente de la terre, disparition des gros traitements, élévation des traitements moyens et petits, hausse des salaires, surtout de ceux des ouvriers des dernières catégories, taux stationnaire ou moins rapidement croissant du salaire des ouvriers habiles (skilled labour), enfin formation incessante d’une richesse collective gratuite dont l’importance deviendra bientôt énorme. Voilà les phénomènes qui ont successivement passé sous nos yeux. Nous n’avons guère découvert que quelques exceptions à cette approximation vers une plus grande égalité des revenus ces exceptions on les trouve chez les artistes, et surtout chez les chanteurs et les chanteuses, les comédiens et les comédiennes ; on en rencontre aussi dans quelques professions libérales, chez les chirurgiens et les médecins d’un talent tout à fait hors ligne, un peu moins chez les avocats ; enfin, il s’en présente aussi chez les industriels ou les ingénieurs qui ont eu le mérite ou le bonheur de faire des découvertes très appréciées de l’humanité[1]. Sauf ces cas rares, la tendance à une moindre inégalité des revenus est incontestable.

Cette proposition qui deviendra chaque jour de plus en plus vraie se heurte, néanmoins, à beaucoup de préventions. Le préjugé public est contre elle. La foule et tous les esprits irréfléchis admettent que la répartition des revenu se fait d’une manière de plus en plus inégale. La jalousie, l’envie et aussi ce sentiment qui porte l’homme à l’admiration, trouvent leur compte dans de ridicules exagérations sur le nombre et l’importance des grandes fortunes. Les journaux propagent encore dans le public ces idées fausses. Ils attribuent à chaque financier un nombre de millions quintuple ou décuple de ceux qu’il possède réellement : ils dotent chaque riche héritière d’autant de millions qu’elle a de centaines de mille francs. En se promenant dans les avenues élégantes des grandes villes, en admirant de fastueux hôtels et de luxueux équipages, le bourgeois qui va à pied ou en fiacre et qui demeure au quatrième suppose qu’il y a des dixaines de milliers de personnes autour de lui ayant des centaines de mille francs de rente.

J’ai toujours été étonné, attristé en même temps, de cette sorte de badauderie qui change complètement la face de la société. Des réflexions nombreuses, approfondies, l’examen de tous les documents instructifs, l’étude de tous les indices, la connaissance aussi de beaucoup de cas particuliers, m’ont démontré que les grandes fortunes sont partout infiniment plus rares qu’on ne le suppose, qu’elles représentent en revenu une partie infime du revenu national, et que les fortunes moyennes elles-mêmes ne sont ni aussi fréquentes, ni individuellement aussi grosses qu’on l’admet. La France et cette ville brillante entre toutes qui s’appelle Paris ne font pas exception à la règle générale.

Ce qui dans mon esprit était une conviction lentement formée, j’ai tâché d’en avoir la démonstration positive par des chiffres. Les chiffres sont le seul argument que notre siècle défiant et sceptique considère comme probant. Il est vrai que les statistiques sont incomplètes ou manquent même dans beaucoup de pays sur le nombre relatif des citoyens qui ont de très petits revenus, de ceux qui en ont de moyens, de ceux qui en ont de grands, de ceux enfin qui en ont d’énormes. Néanmoins, quoiqu’il se rencontre des lacunes dans les renseignements statistiques sur la répartition des richesses, il n’est pas impossible d’arriver à une certitude approximative sur ce point capital de l’économie sociale. Certains pays, comme la Prusse, la Saxe, beaucoup de cantons Suisses, ont un impôt général sur le revenu qui permet de classer les citoyens d’après les ressources que possède chacun d’eux. Qu’il y ait des fraudes, des inexactitudes, dans les déclarations ou dans les perceptions de cet impôt, c’est incontestable mais quand une administration est aussi sévère que l’administration prussienne, on peut être assuré que ces fraudes et ces inexactitudes sont contenues dans des limites assez étroites. Il n’en est pas de même en Italie où l’impôt sur le revenu n’est que partiel, portant seulement sur les revenus mobiliers, où d’un autre côté il est excessif, s’élevant jusqu’à 13, 20 p. 100, où enfin les moyens de perception et le personnel des percepteurs sont défectueux. Aux États-Unis l’impôt sur le revenu a été appliqué pendant la guerre de sécession et quelques années après, les documents qui le concernent offrent de l’intérêt. En Angleterre, l’Income tax, cet impôt appliqué depuis près de quarante ans, fournit des indications moins précieuses parce que cette taxe frappe les choses plutôt que les personnes, qu’elle se morcelle en plusieurs impôts différents et qu’elle ne relève pas le revenu total du contribuable. Néanmoins, en ce qui concerne deux des catégories de l’Income tax, la cédule D qui frappe les revenus industriels, commerciaux, professionnels, et la cédule E, qui atteint les traitements et les pensions, on a des tables où les contribuables sont rangés par ordre d’importance.

En France il, semble au premier abord que tous les documents manquent sur la répartition des fortunes. Il n’en est pas ainsi, cependant, et nous en avons même de fort précieux. Il n’existe pas chez nous, il est vrai, d’impôt sur le revenu. Les droits de succession ne peuvent pas non plus nous servir de guide. L’administration pourrait classer les successions par ordre d’importance, elle ne le fait pas, ou du moins elle garde pour elle ces relevés et n’en publie aucun. Un tableau de cette nature serait, d’ailleurs, non probant : les droits de succession, en effet, sont payés pour les meubles et la fortune mobilière au domicile du décédé, pour les immeubles au bureau d’enregistrement de la circonscription où ils se trouvent. Les déclarations concernant une même succession peuvent donc être morcelées et se faire à des bureaux différents, de sorte que la connaissance du chiffre total de la succession peut échapper à la connaissance du fisc. En second lieu, les droits de succession portent en France sur l’actif brut, sans aucune déduction du passif ; une succession peut ainsi dans beaucoup de cas être plus importante en apparence qu’en réalité ; c’est ce qui arrive quand le décédé était grevé de dettes, soit hypothécaires, soit chirographaires. D’autre part et en sens inverse, il faut tenir compte de la fraude que les valeurs mobilières au porteur rendent souvent facile. Il dépend des héritiers, s’ils sont d’accord et s’ils n’ont aucun intérêt à conserver l’origine de leur fortune, de déclarer ces valeurs au fisc ou, par leur silence, de les soustraire aux droits.

Si les valeurs successorales sont pour toutes ces raisons un mauvais fil conducteur, il en est de même des statistiques concernant la dette publique, les rentes sur l’État. On répète partout qu’il y a en France quatre millions de rentiers, ce qui est une absurdité. Il y a, en effet, sur notre grand livre de la Dette publique plus de quatre millions d’inscriptions de rentes, dont les trois quarts (plus de trois millions) sont des inscriptions au porteur, de sorte qu’une seule personne peut en posséder cent ou mille. Quant aux onze ou douze cent mille inscriptions nominatives, il s’en faut aussi qu’elles correspondent à un nombre égal de rentiers un seul capitaliste peut être propriétaire de dix, douze, vingt inscriptions nominatives dans les cinq catégories de rentes perpétuelles qui existent en France, à savoir le 3 p. 100 ancien, le 3 p. 100 amortissable, le 4 p. 100, le 4 1/2 p. 100 et le 5 p. 100. Une statistique des rentiers, même par ordre d’importance, serait donc de peu de secours.

Si les documents semblent ainsi manquer pour guider l’économiste dans ses recherches sur la répartition de la richesse et des revenus en France, on finit avec un peu de zèle par rencontrer sur ce point des indications précieuses et plus dignes de foi que celles qui existent dans la plupart des pays. Ces informations, ce sont d’abord celles qui concernent les cotes foncières mais elles sont encore défectueuses. Des renseignements plus sûrs, tout à fait topiques, mais qui ont le malheur de n’être que partiels, ce sont ceux qui concernent les loyers dans les grandes villes, à Paris notamment, et qui proviennent des statistiques de l’impôt mobilier, ce sont aussi ceux qui se rapportent à l’impôt sur les chevaux et voitures. On peut y joindre encore les statistiques des enterrements des différentes classes, d’après les relevés des Pompes funèbres. L’importance des gros revenus peut, avec une suffisante exactitude dans l’ensemble, être appréciée d’après ces indices. Il suffit de connaître les mœurs françaises, les habitudes parisiennes, pour savoir, par exemple, quel est le revenu qui correspond en général, en mettant de côté les exceptions négligeables, à un loyer déterminé.

Commençons cette étude statistique par l’Allemagne et particulièrement par le royaume de Prusse qui est le pays sur lequel nous avons les informations les plus précises. Il existe en Prusse des impôts qui permettent de se faire une idée assez exacte de la distribution des revenus du pays. Ces impôts sont l’Einkommensteuer et la Classensteuer. Quoique portant deux noms différents que l’on doit traduire en français par « l’impôt sur le revenu » et « l’impôt de classes », ces deux taxes sont en réalité deux parties d’un même impôt. L’une et l’autre frappent l’ensemble des revenus du contribuable, avec cette différence que la Classensteuer s’adresse seulement aux petits revenus, ceux au-dessous de 3,000 marks, ou 3,700 francs, tandis que l’Einkommensteuer grève uniquement les revenus au-dessus de ce dernier chiffre. Il y a bien aussi des divergences pour l’assiette et pour la quotité du droit entre ces deux taxes qui, en définitive, n’en forment qu’une mais ces divergences n’ont pour nous, en ce moment, aucun intérêt, puisque nous nous occupons non de la question fiscale, mais de la simple question économique de la répartition des richesses. L’impôt sur le revenu est, en principe, en Prusse de 3 p. 100 seulement, comme les revenus sont distribués par catégories, ainsi de 3,000 marks à 3,600, de 3,600 à 4,200, etc., et que pour chaque catégorie la taxe est uniforme, il en résulte que la plupart des contribuables paient un peu moins de 3 p. 100 qui est le taux maximum. Quant aux petits revenus, ceux entre 400 marks (500 francs) et 3,000 marks (3,750 francs), le droit varie pour eux de 1/2 à 2 1/2 p. 100. Au-dessous de 400 marks, il n’y a aucune taxe, un revenu inférieur étant considéré comme l’indigence. On sait que pour qu’un impôt sur le revenu soit tolérable, il faut qu’il soit excessivement modéré ni en Allemagne, ni en Angleterre, sauf dans des circonstances extraordinaires, cette taxe ne dépasse 3 p. 100.

Grâce à ces deux impôts et aux publications officielles dont ils sont l’objet, nous avons à différentes époques des tableaux approximativement exacts des revenus des différentes classes composant la population prussienne.

En 1853, dans la Prusse primitive, celle qui existait avant les annexions du dernier quart de siècle, on comptait 18 millions d’habitants environ. Sur ce nombre il n’y avait que 44, 407 personnes jouissant d’un revenu supérieur à 1,000 thalers ou à 3,750 francs et imposables par conséquent à l’Einkommensteuer. À ces 44,407 contribuables il faudrait joindre, il est vrai, les membres de leur famille, ce qui porterait à 176,000 environ sur 18 millions le nombre des personnes faisant alors partie de familles ayant plus de 3,750 francs de revenu. Si l’on peut appeler du nom pompeux de riches ceux qui ont un revenu de cette importance, il y aurait eu dans la Prusse de 1853 un riche sur cent habitants. Il faut tenir compte de ce fait que le revenu imposable n’est pas seulement celui qui provient de capitaux ou de terres, que c’est encore le revenu professionnel, industriel ou commercial. Le total de l’impôt que payaient ces contribuables à l’Einkommensteuer ne représentait pas le tiers du produit de l’impôt perçu, à un taux généralement un peu moindre, sur les contribuables dont les revenus étaient inférieurs à 3,750 francs.

Sur les 44,407 personnes qui, dans la Prusse de 1853, possédaient un revenu supérieur à ce chiffre de 3,750 francs (1000 thalers ou 3,000 marks)[2], la moitié environ, soit 21,783, avaient moins de 5,250 francs (1,400 thalers) de revenu ; les cinq sixièmes de ces 44,407 contribuables restaient au-dessous d’un revenu de 10,500 francs (2,800 thalers) ; 444 contribuables seulement dans tout le royaume de Prusse avaient plus de 45,000 francs de revenu (12,000 thalers). Parmi ces 444 heureux de la terre, on n’en comptait que 160 dont le revenu dépassât 75,000 francs (20,000 thalers) ; 29 seulement de ces derniers jouissaient d’un revenu supérieur à 195,000 francs (52,000 thalers) ; enfin 7 personnes seulement avaient plus de 450,000 francs de revenu (120,000 thalers).

Par ces chiffres on peut juger du nombre infinitésimal de personnes qui, à l’époque dont nous parlons, possédaient en Prusse, non seulement l’opulence, mais plus simplement une large aisance. On objectera peut-être que la Prusse est un pays pauvre, que la statistique qui vient d’être citée remonte à 1853, que la dissimulation et les fraudes dans les déclarations ou les constatations ont dû être considérables, que depuis lors la richesse a dû se concentrer davantage et que les grandes fortunes y doivent être plus nombreuses qu’autrefois. Que la Prusse ne soit pas un des pays les plus riches de l’Europe, c’est incontestable ; elle contient, cependant, des provinces très-prospères, telles que celles du Rhin ; depuis lors elle en a acquis de plus riches encore. Quant aux fraudes et aux dissimulations, elles doivent être nombreuses, mais, sauf dans des cas exceptionnels, elles ont des limites qu’elles ne peuvent guère dépasser. Les modes de taxation à l’Einkommensteuer sont très stricts : ce sont des commissions, composées en grande partie de fonctionnaires administratifs ou financiers, qui lèvent l’impôt ; ces commissions sont armées de très-grands pouvoirs, elles peuvent exiger la production des titres, contrats, livres de commerce, et déférer le serment[3]. Ces mesures ne suppriment pas absolument la fraude, mais elles la restreignent ; On peut considérer que les dissimulations ne s’étendent guère ; au delà du quart ou du cinquième de la matière imposable, si bien qu’en relevant du quart ou du tiers les chiffres que nous-venons de donner ou atteint, si on ne la dépasse même pas l’exacte vérité.

On vient de considérer une première époque, celle de 1853. En 1864, la fortune générale s’était développée en Prusse comme partout, à la fois d’une manière nominale parla simple dépréciation du signe monétaire, et d’une manière réelle par l’essor de l’industrie et par l’ouverture de nombreux chemins de fer. Aussi comptait-on en 1864 dans le royaume de Prusse 68,111 contribuables possédant plus de 3,750 francs de revenu c’était moitié plus que onze ans auparavant. Mais ces 68,111 contribuables, riches ou aisés, ne payaient au fisc par l’impôt sur le revenu, guère plus du tiers de ce qu’acquittaient par la taxe correspondante les revenus inférieurs à 3,750 francs. La proportion était donc demeurée à peu près la même qu’auparavant entre les revenus de la classe aisée ou riche et les revenus de la classe laborieuse. Les premiers étaient aux seconds comme 1 est à 3.

Reportons-nous quinze ans plus tard, à l’époque actuelle. Le royaume de Prusse s’est singulièrement agrandi par les annexions, il s’est aussi enrichi : il compte dans son sein, la ville qui, proportionnellement à sa population, est la plus riche du monde, Francfort. La proportion des grandes fortunes ou même des moyennes sera-t-elle devenue beaucoup plus forte ? Les chiffres qui suivent vont nous l’apprendre[4].

D’après les rôles de l’impôt la population du royaume de Prusse en 1878-79 était de 26,356,866 personnes. Sur ce nombre environ le quart, soit 6,664,390, étaient exemptes de tout impôt sur le revenu, parce qu’elles n’avaient pas 400 marks (500 francs) de ressources annuelles par famille ou par individu isolé, ou bien encore parce qu’elles rentraient dans quelques autres des rares cas d’exemption. Sur le reste de la population, les trente-cinq trente-sixièmes environ étaient assujettis à la Classensteuer, l’impôt qui frappe les revenus de 400 marks (500 francs) à 3,000 marks (3,750 francs) ; le total de ces contribuables à la Classensteuer montait à 18,473,864 personnes, dont 3,923,363 chefs de famille (Haushaltungs vorstände), 1,193,190 personnes isolées (Einzelerwerbende), et 13,357,309 membres de famille (Haushaltungsanggehörige). Ainsi, la presque totalité de la nation prussienne avait moins de 3,750 francs de revenu par famille ou par individu vivant seul. L’Einkommensteuer qui frappe les revenus au-dessus de 3,750 francs n’atteignait que 609,206 personnes, soit 139,118 chefs de famille, 441,899 personnes dépendant d’eux, et 28,189 contribuables isolés, célibataires.

C’est déjà un point intéressant que sur les 26 millions 356,000 habitants de la Prusse en 1878, il n’y en ait que 609,000 appartenant à des familles ayant plus de 3,750 francs de revenu, 1 sur 43 seulement. Aussi, quoique le taux de la Classensteuer (impôt frappant les revenus au-dessous de 3,750 francs) soit notablement moins élevé que le taux de l’Einkommensteuer qui grève les revenus supérieurs à ce dernier chiffre, néanmoins le premier de ces impôts rend beaucoup plus que le second : 45 millions de marks ou 56 millions et demi de francs en 1878 contre 23 millions de marks ou 29 millions de francs environ.

Entrons davantage dans les détails. Les statistiques prussiennes sur les deux impôts dont nous parlons arrivent à une évaluation totale de revenu des habitants de la Prusse de 8 milliards 69 millions 337,000 marks, soit 10 milliards 87 millions de francs environ. On peut classer les revenus en Prusse en six catégories : 1° les très-petits revenus, que nos voisins appellent revenus nécessiteux ou d’indigents (dürftige Einkommen), qui vont jusqu’à 525 marks, soit 657 francs par contribuable, qu’il soit chef de famille ou célibataire ; 2° les petits revenus qui partent de 525 marks pour s’élever jusqu’à 2,000, de 687 francs à 2,300 on voit que-ces derniers peuvent, procurer une certaine aisance ; 3° les revenus modiques (mässige Einkommen), qui, de 9, 000 marks, s’élèvent jusqu’à 6,000, soit de 2,500 à 7,500 francs ; 4° les revenus moyens (mittlere Einkommen), de 6,000 marks à 20,000 ; soit de 7,500 à 25, 000 francs cette catégorie comporte déjà la richesse ; 5° les grands revenus, entre 30,000 marks et 100,000 (entre 23,000 et 125,000 fr.) enfin, 6° les très-grands revenus (sehr grosse Einkommen) dépassant 100,000 marks ou 125,000 francs.

Veut-on savoir comment se partage le revenu national en Prusse entre ces-six catégories ? Les deux premières, celles des très-petits et des petits revenus comprennent plus des deux tiers du total, à savoir la première 1 milliard 402 millions et demi de marks (1,770 millions de francs), ou 17.38 p. 100 de l’ensemble du revenu des habitants du royaume, la seconde 4 milliards 417 millions de marks (5,521 millions de francs), ou 54.71 p. 100 de l’ensemble. Ainsi, près des trois quarts des revenus totaux des Prussiens appartiennent à des personnes dont les plus riches ont 2,500 francs de revenu annuel.

La troisième catégorie, celle des revenus modiques qui va de 2,500 francs à 7,500, représente 1 milliard 266 millions de marks de revenu (1,582 millions de francs), et 15.68 p. 100 de l’ensemble des revenus du pays. Ces trois catégories réunies forment près des neuf dixièmes du revenu total de la Prusse, exactement 87.80 p. 100 : cependant on n’est pas encore arrivé à la véritable richesse.

La quatrième catégorie, celle des revenus dits moyens, variant entre 7,000 et 25,000 francs, comporte, elle, une très large aisance : elle ne renferme que 61,972 contribuables et, si on y comprend les membres des familles, 225,676 personnes ; toutes réunies, elles ont un revenu de 593,215,000 marks ou moins de 750 millions de francs, ce qui constitue 7.35 p. 100 du revenu total du pays.

Il est temps d’arriver aux gros revenus. La cinquième catégorie, celle qui les comprend, concerne les revenus entre 20,000 marks et 100,000, soit entre 25,000 et 125,000 francs ; on compte 7,671 contribuables de cette catégorie, soit 27,920 personnes avec les enfants et les femmes. Le revenu total de cette classe est de 289,394,000 marks ou 365 millions de francs, environ 3.59 p. 100 du revenu total de la nation. Enfin, la sixième catégorie, c’est-à-dire celle des très-gros revenus qui dépassent 125,000 francs, comprend, dans tout le royaume de Prusse, 491 contribuables en 1878, soit, avec les membres de leurs familles, 1,800 personnes ; le chiffre du revenu de cette classe est de 101,770,000 marks, environ 127 millions et demi de francs, ou 1.26 p. 100 du revenu total des habitants de la Prusse. Si donc l’on confisquait les revenus des deux catégories qui précèdent, soit tous les revenus au-dessus de 25,000 francs de rente, pour les partager entre les autres catégories de contribuables, chacun de ces derniers verrait ses ressources annuelles augmenter de 4 1/2 p. 100. Si, poussant la confiscation plus loin, l’État s’attribuait tous les revenus au-dessus de 7,500 francs et en faisait des largesses à tous les individus moins bien lotis, chacun de ces derniers verrait son propre revenu hausser de 10 à 12 p. 100, en admettant, bien entendu, que ces procédés sommaires et iniques n’eussent pas pour effet de jeter le plus grand désordre dans l’industrie, de décourager l’épargne et de faire fuir les capitaux. Or, ce dernier résultat serait inévitable.

Ce n’est pas qu’il n’y ait en Prusse de fort grandes fortunes : la Prusse actuelle, il ne faut pas l’oublier, comprend, outre Berlin, des villes comme Francfort, Cologne, Breslau, qui ont toujours été fort opulentes. Sur les 491 contribuables qui ont plus de 125,000 francs de revenu, il s’en trouve 49 qui possèdent de 255,000 à 375,000 francs de ressources annuelles ;15 ont de 375,000 à 450,000 fr. ; 8 de 458,000 à 625,000 fr. ; 6 de 525,000 à 600,000 fr. ; 2 contribuables possèdent un revenu de 600,000 à 675,000 fr. ; 4 en ont un de 675,000 à 750,000 fr. ; 1 jouit d’un revenu de 750,000 à 825,000 fr. ; 4 ont un revenu de 825,000 à 975,000 fr. Nous voici arrivés au revenu d’un million. Un contribuable a un revenu qu’on évalue entre 975,000 et 1 million 50,000 fr. ; 2 autres payent pour un revenu de 1,125,000 à 1,200,000 fr. ; 2 encore sont taxe pour 1,275,000 à 1,350,000 fr. ; 2 aussi pour 1,350,000 à 1,425,000 fr. Un contribuable paie pour un revenu de 1,425,000 à 1,500,000 fr., un autre pour un revenu de 1,650,000 à 1,725,000 fr. ; un encore pour un revenu de 2,475,030 fr. à 2,550,000. Il reste deux contribuables : l’un est taxé pour un chiffre de revenu supérieur à 2,850,000 fr., mais inférieur à 2,925,000 enfin celui qui tient la tête de cette brillante catégorie, le contribuable le plus fortuné de Prusse, acquitte l’impôt sur un revenu supérieur à 2,925,000 fr., mais inférieur à 3 millions de francs. On voit que les très-grandes fortunes ne manquent pas en Prusse ; il y en a une douzaine de fort notables, et l’on s’aperçoit que la ville de Francfort est devenue prussienne ; un des gros contribuables est aussi, croyons-nous, le célèbre fabricant de canons, M. Krupp. Mais combien toutes ces fortunes sont peu de chose dans l’ensemble de la richesse nationale !

Il est intéressant de comparer la statistique des revenus prussiens en 1878 avec celle des revenus du même pays en 1853 et en 1864, quoique la Prusse de 1878 soit beaucoup plus étendue et beaucoup plus peuplée que celle de 1864 ou de 1853. De cette dernière date à 1878, la Prusse a gagné plus de 8 millions d’habitants, ce qui est un accroissement de 45 p. 100, et elle s’est enrichie de provinces et de villes très-prospères. En 1853, le total de l’impôt payé à l’Einkommensteuer par les personnes ayant plus de 3,750 francs de revenu ne représentait pas tout à fait le tiers des sommes payées à la Classenteuer par les personnes ayant un revenu moindre de 3,750 francs. En 1864, la proportion n’avait que très-légèrement changé : l’impôt payé par les revenus de plus de 3,750 fr. ne dépassait que très-légèrement le tiers de l’impôt payé par les revenus moindres. En 1878-79, il n’en est plus tout à fait de même: les revenus de plus de 3,750 fr. fournissent au fisc 29 millions de fr., et les revenus inférieurs 56 millions et demi les premiers versent au fisc un peu plus de la moitié de ce que versent les seconds. Si la proportion a aussi notablement changée, c’est principalement parce qu’on a dégrevé dans une certaine mesure, par des remaniements de la législation fiscale, les contribuables à la Classensteuer, c’est-à-dire les petites gens. Cela ressort de ce fait, constaté plus haut, qu’en 1878, près des trois quarts (72,09 p. 100) des revenus prussiens appartenaient à des personnes ayant moins de 2,500 fr. de revenu.

En 1853, les contribuables prussiens imposés pour un revenu supérieur à 3,750 fr. étaient au nombre de 44,407 ; en 1864, on en comptait 68,111 ; en 1878-79, dans la Prusse plus vaste et beaucoup plus peuplée, il y en avait 167,307. La population avait augmenté de moitié, le nombre des personnes ayant des revenus de plus de 3,750 fr. avait presque quadruplé. Cela ne veut pas nécessairement dire que l’accumulation de la richesse ait été plus rapide dans les classes supérieures que dans les classes inférieures. D’abord l’annexion de contrées et de villes très-riches fait que les deux Prusses, celle de 1853 et celle de 1878, ne sont pas absolument comparables. Ensuite les revenus généraux, soit réellement, soit nominalement, s’étaient énormément accrus, dans cet intervalle de vingt-cinq ans, par le développement de l’industrie et du commerce, par les voies de communication et même par la dépréciation des métaux précieux. Quand l’ensemble des revenus d’un pays augmente, il est naturel, inévitable, qu’un certain nombre de personnes sortent de la classe des petits revenus pour entrer dans celle des revenus moyens, et qu’un nombre assez considérable d’autres sorte de cette dernière classe pour entrer dans celle des gros revenus : il n’en résulte pas que la richesse se répartisse plus inégalement qu’autrefois, cela signifie uniquement que toute la population a fait un pas en avant, que chaque classe, par exemple, a avancé d’un rang, prenant le rang occupé antérieurement par la classe immédiatement supérieure.

Il est vrai que quelques-unes des catégories les plus élevées de contribuables semblent avoir vu multiplier, dans une proportion plus forte que la proportion usuelle, le nombre des individus qui les composent. En 1833, dans le royaume, de Prusse, contenant 18 millions d’habitants, il n’y avait que 444 personnes imposées pour un revenu de plus de 45,000 fr. ; en 1878, dans la Prusse peuplée de plus de 26 millions d’âmes, on compte 2,273 contribuables qui sont dans ce cas, soit cinq fois plus qu’un quart de siècle auparavant ; il faut tenir compte, non seulement de ce que la population générale a augmenté de moitié, mais aussi de ce que le pouvoir d’achat des métaux précieux ayant baissé d’environ 30 ou 40 p. 100, un revenu de 45,000 fr. ne représentait pas, en 1878, plus de jouissances et d’importance qu’un revenu de 30 ou 35,000 fr. en 1853. Dans ces circonstances, après les annexions de 1866, après le prodigieux développement du commerce, de l’industrie et de la finance, on doit plutôt s’étonner de ce que la quantité de personnes ayant plus de 45,000 fr. de revenu ne se soit pas accrue davantage dans le dernier demi-siècle.

En 1853, il y avait en Prusse 160 personnes imposées pour plus de 75,000 fr. de revenu en 1878, dans la Prusse agrandie, on en compte 928 ; ce n’est pas six fois plus, proportion qui n’a rien d’anormal. On pourrait dire que, vu le progrès de la richesse nationale et la dépréciation des métaux précieux, un revenu de 75,000 fr. en 1878 est l’équivalent d’un revenu de 45,000 fr. en 1853 ; or, comme dans la petite Prusse de 1853 il y avait 444 personnes imposées pour un revenu de plus de 45,000 fr., et que dans la grande Prusse de 1878 il y a 928 personnes imposées pour un revenu de plus de 75,000 fr., l’augmentation des classes riches a été très-lente, puisque la population a augmenté de moitié dans l’intervalle. La période traversée de 1853 à 1878 a été cependant singulièrement féconde en inventions industrielles, en fondations commerciales, en créations financières qui sembleraient avoir dû décupler le nombre des grandes fortunes.

Dans la Prusse de 1853 vingt-neuf personnes avaient plus de 195,000 francs de rentes (52,000 thalers) ; dans la Prusse de 1878, cent quarante-quatre personnes sont imposées pour plus de 210,000 francs de revenu (168,000 marks) ; le nombre n’a pas quintuplé, or la population a augmenté de 40 p. 100, et il est incontestable que 210,000 francs de revenu représentent beaucoup moins de puissance d’achat et d’importance sociale en 1868 que 195,000 francs de revenu en 1853. Enfin, sept personnes dans la Prusse de 1853 avaient plus de 450,000 francs de revenu, trente-quatre personnes dans la Prusse de 1878 sont dans le même cas : ce n’est pas tout à fait cinq fois plus ; mais outre qu’il faut bien tenir compte de l’accroissement de la richesse générale et de la dépréciation des métaux précieux, la seule annexion de Francfort doit avoir singulièrement augmenté cette classe des gens énormément riches.

Le statisticien allemand qui a le plus et le mieux étudié la répartition du revenu national, M. Soëtber, a dressé une série de tableaux sur les modifications subies par les différentes classes de revenus dans la période de 1872 à 1878, qui a été marquée jusqu’en 1874 par une très-grande animation commerciale, industrielle et financière et, depuis 1874, par une égale dépression dont nous sommes à peine débarrassés. Nous allons le suivre dans ces recherches et en tirer quelques conclusions.

Moyenne des revenus
Années. Population d’après les rôles. Nombre des contribuables[5]. Ensemble des revenus
marks[6].
par
contribuable
marks.
par tête
marks.
1872 23,820,000 8,058,183 6,969,385,000 865 293
1873 24,060,000 8,140,438 7,195,614,000 884 299
1874 24,525,778 8,220,029 7,532,365,800 916 307
1875 24,543,082 8,301,287 7,628,308,700 919 311
1876 24,832,784 8,467,076 7,857,192,400 928 316
1877 25,346,277 8,648,649 7,992,203,600 924 315
1878 25,747,660 8,790,285 8,069,837,300 918 323

Dans les six dernières années, malgré le Krach et la grande crise commerciale, le revenu des habitants de la Prusse a augmenté d’environ 16 p. 100 en monnaie, la population n’a crû que de 7 1/2 p. 100. Il en résulte que le revenu moyen par tête s’est élevé de près de 10 p. 100, passant de 293 marcks ou 376 francs à 323 marks ou 403 fr. 75.

Ce sont surtout les petits, les modiques et les moyens revenus qui ont profité de cette amélioration. Le nombre des personnes composant la classe des revenus indigents (au-dessous de 525 marks ou de 651 francs) est passé de 6, 212, 000 en 1872 à 6,664,000 en 1878, ce qui est un accroissement d’un peu moins de 7 p. 100, soit très-légèrement inférieur à la proportion de l’accroissement moyen de la population. Le revenu moyen par tête, dans cette catégorie inférieure de revenu, s’est élevé de 202 marks (252 fr. 50) à 210 marks (262 fr. 50). La catégorie des petits revenus, de 525 marks à 2,000 marks (de 651 fr. à 2,500), comptait 16,217,500 personnes en 1872, en 1878 on y en recensait 17,390,767, ce qui était une augmentation de 1,173,000 personnes, ou 7 p. 100 environ, soit un peu moins encore que la proportion moyenne de l’accroissement général : le revenu moyen par tête dans cette classe s’est élevé dans cette période de 245 marks (306 fr. 25) à 254 marks (317 fr. 50). Le progrès est sensible, il est encore plus marqué pour les deux classes supérieures. Celle des revenus modiques (mässige Einkommen) ou des revenus de 2,000 à 6,000 marks (de 2,500 à 7,500 fr.) comptait 1,191,100 personnes en 1872 et 1,437,000 en 1878, ce qui est un accroissement de 243,000 personnes, soit de plus de 20 p. 100, très-supérieur par conséquent à la proportion de l’accroissement général de la population. Le revenu par tête dans cette classe était de 866 marks (1082 fr. 50) en 1872, il s’est élevé à 881 marks (1,101 fr. 25 en 1878). La classe des revenus moyens (de 6,000 marks à 20,000 ou de 7,300 à 25,000 francs) s’est accrue en population, mais a légèrement baissé pour la moyenne du revenu par tête. Elle comptait 146,000 personnes en 1872, 225,600 en 1878, accroissement énorme de plus de 50 p. 100 le revenu par tête qui était de 2,641 marks ou 3,301 fr. 25 est tombé à 2,630 marks ou 3,287 fr. 50 : ce n’en est pas moins pour cette classe un progrès considérable. La catégorie des gros revenus, de 20,000 marks à 100,000 marks (de 25,000 francs à 125,000), comptait 22,120 personnes en 1872 et 27,920 en 1878, augmentation de 5,800 personnes ou plus de 20 p. 100 ; le revenu moyen n’a que très légèrement augmenté dans cette classe : de 10,229 marks ou 12,787 francs, il s’est élevé à 10,365 marks ou 12,956 francs. La catégorie supérieure, celle des très-gros revenus qui sont supérieurs à 100,000 marks ou 125,000 francs, s’est aussi accrue comme nombre dans cette période de 1872 à 1873, mais le revenu moyen par tête dans cette classe a aussi baissé : les contribuables de cette catégorie (y compris les membres de leurs familles), étaient au nombre de 1,300 en 1872, ils sont 1800 en 1878 ; le revenu moyen par tête y était de 62,403 marks ou 78,003 francs en 1872, il est tombé à 56,539 marks ou 70.666 francs en 1878. Il ne faut pas oublier que cette période de six années n’est pas une période normale elle a été marquée par un entraînement extraordinaire de spéculation qui a profité surtout aux gens de finances, aux habiles fondateurs de sociétés et aux joueurs à la Bourse.

Quoique cette période soit défavorable pour l’observation des phénomènes normaux, quoiqu’elle ait été spécialement propice à l’agiotage, c’est-à-dire a la fondation d’énormes fortunes dans la classe des gens d’affaires et à l’appauvrissement des gens naïfs de la petite bourgeoisie, le progrès de l’aisance et des revenus s’est néanmoins fait, sentir dans toutes les catégories de la population sans exception. Les revenus dits d’indigents ont gagné 4 p. 100 par tête, les petits revenus autant, les revenus modiques 2 p. 100, mais le nombre de ces derniers s’est plus accru que la moyenne de l’accroissement de la population. Les revenus moyens, au contraire, ont légèrement diminué d’importance par tête, mais ils sont aussi devenus plus nombreux ; les grands revenus ont augmenté aussi en nombre, mais ils ont peu gagné comme importance moyenne par tête. Les très-gros revenus, ceux au-dessus de 135,000 francs, sont devenus plus nombreux eux aussi, mais comme importance moyenne par tête ils ont assez notablement diminué.

Si, au lieu de considérer toute la période de 1872 à 1878, on prenait pour point de départ le point culminant de la spéculation et de l’agiotage, c’est-à-dire l’année 1874, on verrait que les quatre premières catégories de revenus, les revenus d’indigents, les petits revenus, les revenus modiques, les revenus moyens se sont beaucoup moins ressenti de la crise industrielle et financière que les deux catégories supérieures, les gros et les très-gros revenus. Dans les quatre premières catégories le progrès a été continu ; chaque année l’ensemble du revenu de chaque classe a donné une plus-value supérieure à celle de l’année précédente. Il n’en a pas été de même pour les deux catégories les plus élevées de revenus : la classe des gros revenus offre des chiffres moins considérables en 1875, en 1876, et 1877 qu’en 1874, et c’est à peine si les résultats de cette dernière année sont regagnés dans cette classe en 1878. Les très-gros revenus ont été plus éprouvés encore par la crise. En 1874, l’ensemble des revenus constatés dans cette catégorie, c’est-à-dire pour les revenus de plus de 100,000 marks ou de 125.000 francs, était de 121,750,000 marks ou 152.187.000 francs ; chaque année depuis lors l’ensemble des revenus de cette classe a décru il ne s’élevait plus, en 1878, qu’à 101,770,000 marks ou 127,212,000 francs : la perte éprouvée par les très gros revenus atteignait ainsi 25 millions de francs environ ou 16 p. 100. Au lieu de représenter 1.62 p. 100 de l’ensemble des revenus de la Prusse, cette catégorie n’en formait plus que 1.26 p.100.

De ces faits particuliers, desquels on pourrait rapprocher beaucoup d’autres analogues, on peut tirer une induction générale : c’est que l’élévation des très petits et des moyens revenus est continue dans un pays civilisé, que c’est un phénomène qui se manifeste sans interruption ; il peut y avoir ralentissement du mouvement ascendant ; il n’y a jamais arrêt complet. L’amélioration, la hausse du niveau des couches inférieures et moyennes de la société est constante. Les crises industrielles, commerciales, financières affectent beaucoup plus les sommets que les régions plus basses. On croit que la misère générale va résulter d’un embarras industriel ou commercial, de mauvaises récoltes successives, d’un Krach à la bourse : il n’en est rien ; autrefois, c’était une des conséquences naturelles de ces fléaux intermittents ; aujourd’hui, pris dans leur masse, les petits, les modiques et les moyens revenus ne cessent pas de progresser contre vents et marée. Les gros revenus seuls, surtout les très gros, sont sujets, en tant que classe, à rétrograder ou à rester stationnaires. Ceux qui ignorent ces vérités, ceux qui n’ont pas su les dégager de la multiplicité des faits contemporains ne comprennent rien au mouvement économique du monde actuel. Ils s’ébahissent à chaque instant devant les plus-values d’impôts, l’augmentation des dépôts aux caisses d’épargnes, la hausse des valeurs mobilières, l’essor des recettes des chemins de fer, phénomènes qui coïncident souvent avec des crises agricoles, des crises industrielles, des crises financières. Les petits revenus, de même que les revenus modiques et les revenus moyens, ont dans nos sociétés civilisées un essor régulier, constant, ininterrompu, tandis que le mouvement ascendant des gros et des très-gros revenus est saccadé, variable, sujet à suspensions, à reculs, dépend, en un mot d’une foule de hasards.

Ajoutons, en ce qui concerne l’Allemagne, que la hausse par tête des catégories inférieures de revenu, de 1872 à 1878, est d’autant plus satisfaisante que dans cette période, contrairement à ce qui s’était passé dans le demi-siècle antérieur, les prix des principaux objets de consommation populaire, même le prix des loyers, n’avaient pas haussé, qu’ils avaient eu plutôt une tendance à la baisse.

La Prusse n’est pas le seul pays germanique qui possède un impôt sur le revenu permettant de classer les citoyens en catégories suivant leur avoir. Une autre contrée très prospère en agriculture et en industrie est dans le même cas : c’est le petit royaume de Saxe. Il n’y a pas dans ce pays de ces énormes fortunes de banque comme celles qu’on rencontre dans la Prusse nouvelle, adonnée à l’agiotage. En 1878, on comptait en Saxe 1,007,020 contribuables à l’impôt sur le revenu, sans y comprendre les membres des familles de ces contribuables. L’ensemble du revenu de la Saxe était évalué à 896 millions de marks, un peu plus de 1 milliard 120 millions de francs. Les très-petits revenus, au-dessous de 625 francs, formaient la première catégorie, se composant de 472,644 contribuables, soit 46.91 p. 100 du chiffre total, et représentant un revenu de 225 millions de francs environ ou 20.01 p. 100 de l’ensemble du revenu. La seconde catégorie, celle des petits revenus, allant de 625 à 2,375 francs, comprenait 465,706 imposés, soit encore 46.22 p. 100 de l’ensemble, et 492 millions de francs ou 43.92 p. 100 du total des revenus du pays. La catégorie des revenus modiques, qui vient après, concernant les revenus de 2,375 fr. à 7,850 francs, comptait 59,445 contribuables ou 5.90 p. 100 de l’ensemble, et 230 millions de francs de revenu imposable, soit 20.48, du total. Les revenus moyens, de 7,850 francs à 25,000, n’étaient possédés que par 8,432 individus, soit 0.84 de l’ensemble des contribuables ; ils représentaient environ 106 millions de francs ou 9.40 p. 100 de l’ensemble du revenu. La cinquième catégorie, comprenant les gros revenus de 25,000 à 125,000 francs, comptait en Saxe 1,220 contribuables, soit 0.13 p. 100 du nombre total, pour un revenu de 53 millions de francs ou 4.72 p. 100 de l’ensemble des revenus du pays. Enfin, la sixième catégorie, celle des très gros revenus, supérieurs à 125.000 francs, comprenait 73 contribuables, pour une somme de 16 millions et demi de francs revenu imposable, soit 1.47 p. 100 du revenu total du pays.

L’exemple de la Saxe confirme celui de la Prusse, avec cette légère différence que les très petits et les petits revenus sont plus infimes encore en moyenne dans le royaume de Saxe que dans celui de Prusse, et que les moyens revenus y sont, au contraire, plus nombreux. Néanmoins, si l’on confisquait tous les revenus supérieurs à 7,875 francs et qu’on les répartit entre le reste de la population, chacun de ceux auxquels on accorderait dette aubaine ne verrait encore ses ressources annuelles augmenter que de 14 à 15 p. 100 : Nous nous plaçons, d’ailleurs, au point de vue des socialistes, et nous supposons ici — ce qui est absurde — qu’il n’y aurait aucune déperdition de revenu par la disparition de la classe qui possède les revenus les plus élevés. Cependant, la société serait alors comme décapitée elle aurait perdu ses meilleurs industriels, ses meilleurs commerçants, ses meilleurs ingénieurs, ou ceux-ci n’auraient plus le stimulant qui les pousse à faire d’incessants efforts et à exercer sans relâche leurs puissantes facultés. On connaît la parabole du réformateur Saint-Simon sur les conséquences qu’aurait pour une nation la perte subite de ses cinquante premiers industriels, ses cinquante premiers savants, ses cinquante premiers ingénieurs, ses cinquante premiers artistes, ses cinquante premiers médecins, etc. Si l’on confisquait tous les revenus au-dessus de 7,875 francs, ce ne sont pas seulement les cinquante premiers sujets de chacune de ces spécialités ; Ce sont tous ceux qui ont quelque talent dans chacune d’elles que l’on ferait en quelque sorte disparaître, ou auxquels on enlèverait toute force d’initiative.

Les recherches qui précèdent démontrent que, en Allemagne du moins, les revenus un peu élevés forment une part très modique de l’ensemble des revenus du pays. En est-il autrement en Angleterre, en France, dans les autres contrées civilisées ? A priori on est tenté de répondre affirmativement pour l’Angleterre on éprouve plus d’hésitation pour la France.

Le Royaume-Uni est un pays de grande propriété, de grande industrie, de commerce concentré et de gros traitements. On doit donc s'attendre à à y rencontrer plus d’inégalités dans la répartition des richesses que partout ailleurs. La race anglaise est prolifique et médiocrement économe. Se reposant sur la charité légale, ne redoutant pas pour ses vieux jours l’hôpital et le workhouse, l’ouvrier anglais fait moins d’épargnes que celui du continent. Ce serait exagérer, néanmoins, que de dire qu’il n’en fait pas, puisqu’il y a trois millions et demi de livrets et deux milliards de dépôts aux caisses d’épargne britanniques. Mais ces chiffres perdent de leur importance relative, quand on sait que la caisse d’épargne reçoit à peu près toutes les économies de la classe laborieuse et de la petite classe moyenne d’Angleterre, la propriété foncière, les fonds publics et la plupart des valeurs mobilières n’attirant pas, comme en France, les placements des petites gens.

Malheureusement nous ne possédons pas sur la distribution des revenus en Angleterre des données aussi positives que celles que nous offre sur le même phénomène l’Allemagne. Une étude faite en 1868 par M. Dudley Baxter sur les revenus dans le Royaume-Uni a été l’objet d’abord d’extraits et de commentaires sur le continent, de la part du Dr Soëtber en Allemagne et de M. le duc d’Ayen en France ; mais, soumis ensuite à une critique plus attentive, le travail de M. Dudley Baxter a paru tant à M. Nasse, professeur très compétent d’Allemagne, qu’à M. Soëtber lui-même, ne pas offrir une base suffisamment certaine et précise pour qu’on pût y rien édifier de solide. Nous sommes donc obligé de nous en tenir aux indications approximatives que nous offrent certains documents officiels, tels que Domesday book ou grand livre de la propriété territoriale, les statistiques de l’impôt sur le revenu, celles aussi de la taxe sur les domestiques mâles. Si incomplets que soient ces documents, le lecteur nous permettra d’en faire usage ; ils nous suffiront pour jeter quelque lumière sur un sujet intéressant et, grâce à ces sources, si limitées qu’elles soient, nous aurons encore l’occasion de dissiper quelques préjugés.

Il ne faut pas juger de la distribution des revenus dans la Grande-Bretagne d’après la propriété terrienne celle-ci est en peu de mains ; il n’en peut être autrement avec les lois actuelles qui perpétuent la féodalité en plein dix-neuvième siècle. On ne pourra juger de ce que produit, même dans un pays de vieilles fortunes et de grand commerce, le cours naturel des choses relativement à la distribution de la propriété foncière que lorsqu’on aura établi le free trade in land, le libre commerce de la terre, comme le demande la fraction la plus avancée du parti libéral anglais. Ce n’est pas qu’il ne se rencontre dans les statistiques officielles anglaises, dans le New Domesday book, datant d’il y a trois ou quatre ans, un nombre fort respectable de propriétaires : on en a recensé alors pour les trois royaumes 1,152,816, dont 972,836 pour l’Angleterre proprement dite. Ce chiffre est considérable et dépasse singulièrement toutes les évaluations qui avaient cours dans le public, beaucoup de personnes s’imaginant que l’Angleterre comptait seulement 30,000 propriétaires fonciers.

Toutefois, quand on examine d’un peu plus près ce gros chiffre de 973,836 auquel on estime le nombre des propriétaires anglais, on voit qu’il a beaucoup moins d’importance réelle qu’on ne lui en supposait. En effet, 703,289 propriétaires anglais ne détiennent que des parcelles inférieures à un acre, c’est-à-dire à 41 ares : ils possèdent, sans doute, un simple cottage et un jardin potager, peut-être même seulement l’un ou l’autre. Parmi les 269,547 propriétaires de plus d’un acre, il y a sans doute beaucoup de doubles emplois. N’en tenons pas compte 220,642 personnes possèdent de 1 acre à 100 (de 0,41 ares à 41 hectares) ; 37,216 personnes ont de 100 acres à 1,000 (de 41 à. 410 hectares) ; c’est là ce qui correspond à la grande propriété française. Enfin, 5,408 propriétaires ont plus de 1,000 acres ou de 410 hectares. Un recueil intéressant que nous avons déjà cité à propos des pensions dans le Royaume-Uni, le Financial Reform Almanach, a fait une catégorie particulière parmi ces 5,408 très-gros propriétaires. Il a dressé la liste alphabétique, comté par comté, de 2,184 individus, dont aucun ne possède moins de 5,000 acres (2,000 hectares), et qui, tous réunis, détiennent une étendue de 38,875,522 acres, soit 15,850,208 hectares, un peu plus de la moitié de toute la superficie du Royaume-Uni. Ce n’est pas tout encore : sur ces 2,184 propriétaires si fortunés, il s’en rencontre 421 dont la part totale n’est pas inférieure à 9,152,302 hectares, soit 21,700 hectares en moyenne par personne. Citons quelques-unes de ces surprenantes fortunes territoriales, qui sont un reste de la féodalité : le duc de Sutherland possède à lui seul 1,206,694 acres, 482,676 hectares, presque l’étendue moyenne d’un département français. Le duc de Buccleugh et le marquis de Breadalbane ont l’un 459,000 acres (184,000 hectares), l’autre 437,400 acres (175,000 hectares) ; quatre autres personnages, dont il serait superflu de dire les noms, possèdent plus de 200,000 acres (80,000 hectares), soit l’étendue d’un de nos petits arrondissements. Toutes ces propriétés géantes sont en Écosse mais en Angleterre il s’en rencontre plusieurs au-dessus de 150,000 acres (60,000 hectares). Ne nous arrêtons pas plus longtemps à ce phénomène qui tient, non au libre mouvement des fortunes, mais à des lois restrictives, aux substitutions et aux majorats[7]. On doit espérer que ces lois d’un autre âge finiront par disparaître, et que la législation ne s’efforcera plus de maintenir artificiellement l’inégalité des richesses territoriales.

La propriété mobilière est-elle, dans la Grande-Bretagne, concentrée comme la propriété foncière ? Nous n’avons pas à ce sujet de moyens certains de nous renseigner. Mais nous pouvons savoir grosso modo, par les statistiques de l’Income tax, quelle est la distribution des revenus commerciaux ou professionnels, ainsi que des traitements ; ces deux catégories de revenus correspondent aux cédules D et E de l’impôt sur le revenu.

En 1876-77, la dernière année sur laquelle nous ayons des renseignements détaillés, l’ensemble des revenus imposés à la cédule D (bénéfices professionnels et commerciaux, y compris les chemins de fer, canaux, mines, établissements de gaz et d’eau), s’élevait à la somme de 258,908,743 livres sterling ou 6 milliards 473 millions dé francs, c’était un peu moins de la moitié du total des revenus imposés aux différentes catégories de l’Income tax. Les états détaillés présentés aux chambres (Income tax. Return, etc. 17 july 1879. Parlementary paper, n° 298) donnent le relevé des différentes classes de contribuables d’après l’importance de chacune d’elles[8] : mais le total de ces revenus individuels, provenant de bénéfices commerciaux ou professionnels, assujettis à ; l’impôt et figurant dans ce tableau, ne monte qu’à 130,825,878 livres sterling (3 milliards 270 millions de francs) pour la Grande-Bretagne (non compris l’Irlande), et à 5,533,442 livres sterling (139 millions de francs) pour l’Irlande). On est loin ainsi du chiffre de 258,908,743 livres ou 6 milliards 473 millions qui figure dans d’autres documents comme le montant des revenus imposés à la cédule D la raison en est, vraisemblablement, que dans les états détaillés on n’a tenu compte que des bénéfices commerciaux ou professionnels individuels, et qu’on a laissé de côté les revenus des sociétés anonymes, tels que les chemins de fer, les banques, les mines, etc.

Ainsi en 1876-77, l’ensemble des revenus commerciaux et professionnels individuels imposés à la cédule D de l’Income tax, pour la Grande-Bretagne proprement dite (non compris l’Irlande), s’élevait à 130,825,878 livres sterling ou 3 milliards 270 millions de francs. Les revenus au-dessous de 180 livres sterling (3,750 francs)[9] n’étaient en principe pas imposés. Cependant, comme l’exemption n’est accordée qu’à ceux qui pour l’ensemble de leur revenu, n’avaient pas 3,750 francs, il en résulte qu’il figure dans les relevés officiels un certain nombre de revenus commerciaux ou professionnels au-dessous de 3,780 fr. ce sont les revenus professionnels qui, quoique étant inférieurs à 3,780 francs, se trouvaient appartenir à des personnes qui, grâce à l’appoint d’autres ressources, avaient un revenu total supérieur à ce chiffre.

Le chiffre de 3 milliards 270 millions de francs, pour l’ensemble des revenus professionnels et commerciaux individuels dans la Grande-Bretagne (non compris l’Irlande), doit probablement dans la pratique être relevé d’un tiers, l’expérience prouvant que l’impôt sur le revenu est perçu sur des déclarations qui sont, en général, inférieures de 30 p. 100 à la réalité[10]. On peut donc admettre que l’ensemble des bénéfices professionnels et des profits commerciaux individuels dans la Grande-Bretagne atteint 4 milliards et demi de francs environ. Ces 4 milliards et demi sont distribués entre 381,972 personnes. De ce que 381,972 personnes (parmi lesquelles, il est vrai, sont les gens exerçant des professions diverses) acquittent l’impôt sur le revenu dans la cédule D, on peut conclure que le commerce et l’industrie ne laissent pas que d’être disséminés dans la Grande-Bretagne en plus de mains qu’on ne le pense généralement. Un peu moins de la moitié du revenu total des contribuables individuels imposés à la cédule D échoit à ceux qui sont taxés pour moins de 25,000 francs de revenu. Cette première catégorie représente un revenu total de 57 millions 300,000 livres, sur 130 millions 800,000 livres : si l’on tient compte de ce que tous les très petits commerçants et industriels, ceux qui n’ont pas un ensemble de revenus dépassant officiellement 3,750 francs, c’est-à-dire réellement 5,000 francs ne figurent pas dans ce tableau, on peut conclure que c’est tout au plus le tiers, ou le quart des bénéfices commerciaux et industriels du pays qui appartient à des personnes ayant plus de 25,000 francs de revenu.

Voici, d’ailleurs, d’après les documents parlementaires, la classification des revenus industriels imposés à la cédule D.


cédule D de l’Income tax
(Revenus commerciaux et professionnels).
Classes :
Revenus.
Nombre de contribuables. Revenu total de chaque classe en livres sterling.
Au-dessous de 3,750[11]fr. 56,671 2,018,754
De 3,750 à 5,000xxx» 126,692 6,397,102
5,000 à 7,500xxx» 89,030 12,429,912
7,500 à 10,000xxx» 39,909 10,845,924
10,000 à 12,500xxx» 17,179 6,989,131
12,500 à 15,000xxx» 12,818 6,461,280
15,000 à 25,000xxx» 17,738 12,550,983
25,000 à 50,000xxx» 12,274 15,464,818
50,000 à 75,000xxx» 3,861 8,748,034
75,000 à 100,000xxx» 1,774 5,789,808
100,000 à 125,000xxx» 1,008 4,324,435
125,000 à 250,000xxx» 1,896 12,533,015
250,000 à 1,250,000xxx» 1,036 18,312,724
Au-dessus de 1,250,000xxx» 86 7,958,957


Total 
381,972 130,825,878


Ces chiffres ne laissent pas que d’être instructifs. Ce tableau, on doit le rappeler, s’applique seulement à la Grande-Bretagne proprement dite et laisse de côté l’Irlande. Il ne comprend pas les très petits commerçants, ceux qui ont moins de 3,700 francs de revenu total, soit de 5,000 francs en réalité, si l’on tient compte des dissimulations d’usage. Néanmoins, il reste encore, même dans ce pays de commerce concentré et de sociétés coopératives de consommation, un nombre fort respectable de petits industriels et de petits commerçants ou d’industriels moyens[12]. Les 381,972 personnes recensées dans ce tableau font bien, en effet, avec leurs familles, 2 millions d’individus, peut-être même 2 millions et demi. Le petit commerce ou la petite industrie[13] et les petites professions indépendantes, que l’on peut considérer comme s’arrêtant à un revenu officiel de 7,500 francs correspondant à un revenu réel de 10 à 12,000 fr., sont représentés par 272,000 contribuables. Le moyen commerce, la moyenne industrie et les professions diverses aléatoires, qui vont d’un revenu officiel de 7,300 francs à un revenu officiel de 23,000 francs, correspondant à 11,000 et 34, 000 fr. de revenu réel, comprennent 88,000 contribuables. Le grand commerce, la grande industrie et l’exercice lucratif des professions libérales s’étendent, selon nous, de 25,000 francs de revenu officiel à 230,000 francs inclusivement ; ce qui correspond à des revenus réels de 34,000 à 325,000 francs environ ; 21,000 personnes à peu près sont dans ce cas. Enfin les très grandes fortunes commerciales ou industrielles, ou plutôt les très gros revenus, pour être plus correct, commencent au chiffre de 250,000 francs de revenu officiel ou de 325,000 francs de revenu réel on voit que 1,122 individus seulement sont dans cette situation, dont 86 pour un revenu évalué à plus de 1,230,000 francs, correspondant à un revenu réel de 1,600,000 à 1,700,000 francs.

Si nous ne nous trompons, ces chiffres sont de nature à corriger des erreurs fort répandues. Même dans ce pays de commerce et d’industrie concentrés, les fortunes géantes sont donc beaucoup plus rares qu’on ne le pense, puisqu’on ne recense que 1,122 contribuables à la cédule D (Revenus commerciaux et professionnels) pour un revenu de plus de 250,000 francs, lequel correspond, il est vrai, à un revenu réel de 325 000 ou 380,000 francs environ. Quant aux énormes revenus commerciaux et professionnels, ceux qui dépassent annuellement 1,250,000 francs, on se serait attendu, au premier abord, à trouver un chiffre supérieur à 86, lequel renferme probablement quelques personnes morales. C’est encore un fait remarquable qu’il ne se rencontre pas en Angleterre 22,000 personnes ayant un revenu industriel, commercial ou professionnel (autre qu’un traitement fixe) de plus de 25,000 francs d’évaluation officielle et de plus de 34,000 francs en réalité.

Si, de la cédule D nous passons à la cédule E qui concerne les traitements des administrations, les pensions, les salaires et gages payés par les sociétés (all public offices and pensions paid out of the public Revenue and salaries and employs of Corporate Bodies, etc.), nous relevons pour l’année 1876-77 et pour la Grande-Bretagne (non compris l’Irlande) le tableau suivant :


Catégories Nombre
de
personnes.
Revenus
imposables
livres sterling.
Au-dessous de 3,750 [14] fr. 66,889 2,875,348
De   3,750 à 5,000 " 21,752 1,991,936
5,000 à 7,500 " 22,811 3,551,203
7,500 à 10,000 " 10,596 2,922,531
10,000 à 12,500 " 5,541 2,305,251
12,500 à 15,000 " 4,063 1,565,176
15,000 à 25,000 " 4,317 3,070,605
25,000 à 50,000 " 2,284 2,815,412
50,000 à 75,000 " 356 776,024
75,000 à 100,000 " 120 385,623
100,000 à 125,000 " 39 179,603
Supérieur à 125,000 " 84 549,237


140,852 22,987,949


Ce tableau fait aussi connaître que, même en Angleterre, les revenus sont moins concentrés qu’on ne le suppose. Ainsi, sur 140,852 personnes imposées pour des traitements, il ne s’en trouve que 123 ayant un traitement supérieur à 100,000 francs, et il y a là aussi des personnes morales, comme les universités, les corporations ou les églises. Dans toute l’Angleterre, il ne se rencontre que 599 personnes percevant un traitement de plus de 50,000 francs, et moins de 3,000 personnes ayant un traitement de plus de 25,000 francs. Si l’on distribuait l’excédent des traitements au-dessus de 25,000 francs entre tous les traitements inférieurs, on n’obtiendrait pas non plus une énorme augmentation de ces derniers : et cependant, il n’y a pas de pays où les traitements et les pensions[15] approchent de ceux de la Grande-Bretagne, et l’on peut dire que, dans bien des cas, ils y sont exagérés.

L’étude rapide que nous venons de faire, s’appliquant au pays le plus aristocratique du monde, à celui où l’industrie et le commerce présentent la plus grande concentration, est donc, elle aussi, instructive, et contribue à mettre en lumière ce phénomène, déjà observé en Allemagne, que dans les sociétés modernes la richesse est beaucoup plus répandue qu’on ne le pense, et que les énormes fortunes y sont plus rares qu’on ne le croit.

Le produit de l’impôt sur les domestiques mâles dans la Grande-Bretagne pourrait encore servir d’indice relativement à la distribution des fortunes. Nous avons déjà (page 290, note) analysé les statistiques anglaises concernant la taxe on male servants, établie en 1777. Malheureusement on avait, à l’origine, et jusque vers 1834, donné à l’expression de domestique mâle une extension singulièrement exagérée, y comprenant les garçons d’hôtel ou de café, certaines catégories de commis, notamment les caissiers et les commis-voyageurs. Aussi l’impôt rapportait-il deux fois et demie plus vers 1812 que maintenant. À l’heure actuelle ce droit ne pèse que sur les véritables domestiques mâles il portait, en 1878, sur 207,237 personnes exerçant cette profession. Il est assez difficile d’en conclure le nombre exact des personnes qui sont, par leur revenu, en état d’entretenir un domestique mâle. Les grands seigneurs anglais et les grands commerçants, les lords du coton de même que les lourds de la terre, ont chacun à leur service dix, douze, quinze, vingt laquais, valets de chambre, cochers. Les personnes dans une situation plus réduite, les simples squires ou riches propriétaires campagnards en ont souvent deux ou trois. Si l’on parcourt les annonces du Times, on voit qu’une colonne et demie, soit 500 lignes environ, à raison de 3 lignes pour chacun, est remplie des offres de serviteurs masculins. Ceux-ci ont les désignations les plus diverses, qui indiquent combien les riches maisons anglaises ont de variétés de domestiques. Nous trouvons le butler ou maître d’hôtel qui en général n’accepte une place que quand il a sous ses ordres un ou plusieurs autres hommes, where one or more footmen are kept, where two in livery are kept, where a footman or page is kept ; puis viennent l’in door servant, notre simple et solitaire domestique d’intérieur ; le valet qui s’occupe ou de la chasse ou des voyages le footman ou valet de pied qui s’intitule, dans ses réclames, tantôt premier, tantôt second, tantôt troisième valet de pied : Footman first, footman second, footman third puis toute la variété des cochers et palefreniers, coachmen, horsemen first and second, grooms, tigers, etc., sans comprendre les cuisiniers mancooks. À parcourir ces listes du Times on ne peut douter que la plus grande partie des domestiques mâles ne soit occupée dans des maisons où la livrée est nombreuse. Or, comme en 1878 il y avait 207,237 domestiques mâles imposés, on peut penser que 50,000 ou 60,000 personnes tout au plus dans la Grande-Bretagne avaient un ou plusieurs domestiques mâles à leurs gages. En France il y a bien peu de personnes jouissant de 30,000 francs de rente qui n’aient pas un domestique mâle à leur service ; en Angleterre on peut mettre cette limite à 40,000 francs de rente peut-être ; il en résulterait que 50 ou 60,000 personnes au maximum auraient dans ce pays 40,000 francs de revenu ou davantage.

Il ne paraît pas, d’ailleurs, que le nombre des domestiques mâles ait une tendance à augmenter dans la Grande-Bretagne, soit parce que les hommes ayant d’énormes fortunes réduisent leur train extérieur pour se conformer aux habitudes démocratiques de notre temps, soit parce que, les gages s’élevant, beaucoup de personnes renoncent à ce luxe. En 1868 le nombre des domestiques mâles imposés était de 279,836, en 1876 il s’élevait à 223,143, en 1878 il était tombé à 207,237. Que la civilisation tende à réduire le nombre des hommes, nous ne disons pas des femmes, directement attachés au service personnel d’autres hommes, c’est incontestable.

Si les très grandes fortunes ne sont pas, même en Angleterre, aussi communes qu’on le juge généralement, il s’en faut que le paupérisme soit aussi grand dans ce pays qu’on le pense d’ordinaire, et que la classe inférieure soit dénuée d’épargnes. Nous ne reviendrons pas sur les chiffres que nous avons donnés concernant le paupérisme britannique (voir pages 430 et suiv.). Quant aux épargnes des basses classes, elles sont importantes, puisqu’on ne compte pas moins de 3 millions et demi de livrets de caisses d’épargne. Il est vrai que, par contre, les petites gens en Angleterre ont moins que chez nous des valeurs mobilières. On ne compte que 108,000 détenteurs de titres de la dette consolidée mais cela tient uniquement à ce que l’administration anglaise n’a pris aucune mesure pour mettre les fonds publics à la portée des petites bourses. Les assurances sur la vie prospèrent singulièrement en Angleterre.

Après l’Allemagne et l’Angleterre, il est naturel que nous soumettions la France à notre étude. Plus haut nous avons expliqué les causes qui rendent au premier abord difficile un travail sur la répartition des richesses dans notre pays[16]. Néanmoins, à défaut d’impôt sur le revenu à la mode allemande ou à la mode anglaise, nous possédons divers indices qui permettent de se faire une idée de la distribution des fortunes : les statistiques des cotes foncières, les relevés relatifs à l’impôt mobilier à Paris, les renseignements qui concernent l’impôt sur les chevaux et voitures et même les pompes funèbres. Essayons d’user de ces documents avec sagacité et circonspection.

Nous ne reviendrons pas sur l’étude que nous avons faite de la propriété rurale en France[17] : résumons-en seulement les traits principaux.

Il y avait, en 1877, dans notre pays, 14,200,000 cotes foncières, ce qui ne veut pas dire qu’il y eût 14 millions de propriétaires. De même qu’une personne peut avoir plusieurs inscriptions de rente, elle peut acquitter plusieurs cotes foncières, et nous connaissons des gens qui, sans avoir d’énormes fortunes, en payent cinq ou six. Il suffit, pour être dans ce cas, d’avoir une maison de ville et quatre ou cinq fermes situées dans des perceptions différentes. Le recensement de 1876 relevait 10,620,000 propriétaires cultivant eux-mêmes leurs terres, plus 1,957,000 propriétaires ou rentiers vivant de leur revenu. Ces renseignements sont singulièrement confus on a eu le premier tort de réunir, pour les personnes vivant de leur revenu, les propriétaires et les rentiers, qui sont deux catégories fort différentes. Ensuite, beaucoup de personnes sont inscrites dans les professions libérales, en qualité d’avocat, de magistrat, etc., qui sont en même temps propriétaires, soit urbains, soit ruraux. Enfin, d’autres sont recensés comme ouvriers, comme employés qui possèdent néanmoins quelque lopin de sol. On peut grosso modo admettre qu’il y a, en France une douzaine ou une quinzaine de millions de personnes ayant un intérêt dans la propriété foncière ces douze ou quinze millions de personnes représentent aussi bien les femmes et les enfants des propriétaires que les propriétaires eux-mêmes. Plus du tiers, près de la moitié des habitants a donc quelque propriété ; mais souvent c’est bien peu de chose.

Le dernier recensement des cotes foncières par catégorie est, à notre connaissance, celui qui a été fait en 1858. On comptait alors 13,000,000 cotes, sur lesquelles 6,686,000 étaient taxées à moins de 3 francs[18], ce qui peut être considéré comme correspondant à un revenu maximum de 40 à 80 francs suivant les localités[19]. Sur les six millions et demi de cotes restantes, 2 millions étaient imposées de 5 à 10 francs, ce qui correspondait, suivant les lieux, à un revenu maximum de 60 à 80 francs. Deux autres millions de cotes foncières variaient entre 10 et 20 francs d’imposition, et ce dernier chiffre paraît indiquer un revenu net de 160 à 320 francs ; quelques propriétés de cette catégorie peuvent, à la rigueur, faire vivre une famille, le revenu brut étant au moins double, souvent triple, parfois quadruple, du revenu net.

Les trois millions de cotes foncières plus élevées constituent la propriété de quelque importance. La presque totalité de ces trois millions de cotes variait entre 20 et 500 francs, soit entre un revenu net minimum de 160 ou 320 francs, suivant les lieux, et un revenu net maximum de 4,000 à 8,000 francs. On ne comptait en 1858 que 37,000 cotes foncières de 500 à 1,000 fr., soit de 4,000 à 15,000 ou 18,000 francs de revenu net ; les cotes supérieures à 1,000 francs n’étaient qu’au nombre de 13,800. On voit combien est faible le nombre des grands propriétaires en France.

Ces chiffres doivent être sans doute accrus, parce qu’il y a des personnes qui ont des propriétés dans plusieurs circonscriptions différentes et qui acquittent plusieurs cotes foncières. Il n’en est pas moins vrai qu’il n’y a vraisemblablement pas en France 60,000 personnes ayant un revenu net foncier égal à 6 ou 7,000 francs ou supérieur à ce chiffre. Ces 60,000 personnes ne représentent pas seulement les propriétaires ruraux ; car les propriétés urbaines sont comprises dans les statistiques des cotes foncières. Il n’y a vraisemblablement pas en France plus de 30,000 personnes (350 en moyenne par département à posséder un revenu net foncier rural de 6 ou 7,000 francs ou de plus ; et cette catégorie de propriétaires ne doit pas détenir le sixième du sol français[20].

Ces nombres seraient encore réduits de beaucoup si l’on tenait compte des hypothèques. Bien loin de rester au-dessous de la vérité, nous sommes, sans doute, au-dessus. Des juges compétents estiment que le nombre des propriétaires fonciers de quelque importance est en France encore moins considérable que nous ne t’admettons. M. Casimir Périer, dans son rapport sur le budget rectifié de 1871, s’exprimait, par exemple, en ces termes (séance de l’Assemblée nationale du 31 août 1871) : « Les revenus élevés provenant du sol sont une exception en France. Sur huit millions de propriétaires il y en a six millions qui paient moins de 30 francs de contribution foncière ; il n’y en a pas quinze mille qui paient plus de 1,000 francs ; et comme il s’agit ici du principal et des centimes additionnels, cela équivaut à dire qu’il n’y a pas quinze mille personnes ayant 7 à 8,000 francs de revenus fonciers[21]. »

M. Casimir Périer allait trop loin. Il oubliait que les statistiques auxquelles il faisait allusion étaient déjà un peu anciennes et que le revenu foncier s’était développé depuis lors ; il ne tenait pas compte surtout de ce que dans un grand nombre de départements, notamment dans la plupart de ceux du midi, une cote foncière de 6 ou 700 francs correspond en général à un revenu d’au moins 7 ou 8,000 francs, souvent même de 10,000. En évaluant, comme nous l’avons fait, à 50 ou à 60,000 le nombre des personnes qui en France possèdent des propriétés soit urbaines, soit rurales, rapportant 6 ou 7,000 francs de rentes, on approche autant que possible de la vérité.

Ces conclusions étonneront sans doute beaucoup de gens. Elles sont cependant confirmées par les observations les plus sérieuses faites dans un pays voisin, en Belgique. M. Émile de Laveleye a publié dernièrement, en y joignant une savante introduction, un ensemble de documents sur l’Agriculture belge[22]. Il résulte des recherches de l’économiste belge et de tous les documents qu’il analyse qu’en 1850 le tiers des revenus de la propriété foncière en Belgique appartenait à 668,914 petits propriétaires, ayant un revenu cadastral qui ne dépassait pas 400 francs, soit 800 francs environ de revenu net réel. Le second tiers des revenus du sol en Belgique était la propriété, la même époque, de 58,637 personnes ayant un revenu cadastral de 400 à 2,000 francs, soit un revenu réel de 800 à 4,000 francs. Enfin, le tiers seulement du revenu foncier se répartissait entre 10,941 grands propriétaires dont le revenu cadastral était au-dessus de 2,000 francs, et le revenu réel au-dessus de 4,000. On ne comptait en Belgique que 3,300 propriétaires ayant plus de 5,000 francs de revenu net cadastral, ce qui correspond approximativement a 10,000 francs de revenu net réel.

Nous ne croyons pas nous éloigner beaucoup de la vérité en disant qu’en France à l’heure actuelle la moitié environ des revenus nets du sol revient à la petite propriété, celle dont le revenu net réel ne dépasse pas 1,000 francs ; qu’un quart échoit à la propriété moyenne, celle qui jouit d’un revenu net réel de 1,000 à 3,000 francs et que c’est tout au plus le dernier quart qui appartient a ce que l’on appelle pompeusement la grande propriété, celle qui fournit au minimum plus de 3,000 francs de revenu net.

Les renseignements qui précèdent et les conclusions que nous en avons tirées ont un caractère conjectural qui les rend susceptibles de controverse. On arrive à un degré de beaucoup plus grande précision quand on veut juger des fortunes ou des revenus d’après les statistiques de l’impôt mobilier dans les grandes villes et particulièrement a Paris. La statistique des loyers est beaucoup plus exacte que ne le sont tous les relevés de l’impôt sur le revenu dans les pays où cet impôt existe. La dissimulation de la valeur locative est, malaisée, surtout dans les villes comme Paris où les comparaisons sont faciles et où, d’ailleurs, tous les baux sont soumis à l’enregistrement. Les chiffres officiels doivent être relevés toutefois dans la proportion d’un tiers, l’impôt mobilier admettant une réduction de 23 0/0 sur la valeur locative réelle.

Quelle est la proportion de leur revenu que les Parisiens mettent à leur loyer ? Cette proportion n’est sans doute pas rigoureusement uniforme, Il y a des personnes prodigues qui aiment l’ostentation ; il y en a d’autres qui sont avares, ou du moins fort économes, et qui se soucient fort peu d’être largement et élégamment logées. Ces deux catégories sont toutefois des exceptions. La gent humaine et principalement la gent parisienne est fort moutonnière ; elle aime assez à sauvegarder sa dignité, sa « respectabilité ». La portion du revenu que l’on consacre au loyer est vraisemblablement un peu plus forte pour les très petits revenus que pour les revenus moyens, mais nous croyons qu’elle est à peu près la même pour ceux-ci et pour les grands revenus, surtout depuis l’habitude, qui devient de plus en plus générale chez les personnes très riches, d’avoir un hôtel ou une maison uniquement occupée par le propriétaire et sa famille. Nous ne croyons pas être éloigné de la vérité en admettant que jusqu’à un loyer de 1,200 à 1,500 francs on consacre en moyenne au logement le sixième du revenu, et que, pour un loyer supérieur, la dépense du logement représente en général le huitième du revenu. Néanmoins, beaucoup plus pour complaire à l’opinion vulgaire que pour tenir compte de ce que nous croyons la vérité, nous admettrons qu’au-dessus de 64,000 francs de revenu on ne consacre plus que le dixième au loyer. C’est d’après ces données que nous allons dresser le tableau des revenus parisiens, en prenant pour base l’impôt mobilier perçu d’après le cadastre révisé en 1878.

On sait qu’il y a dans notre capitale 684,952 logements. De ce nombre, près des trois quarts, soit 468,641, représentent une valeur locative de 300 francs au maximum d’après les constatations officielles, soit réellement de 400 francs, en relevant, comme nous l’avons dit, d’un tiers toutes les évaluations qui servent de base à l’impôt mobilier. Pour cette catégorie d’appartements on met, croyons-nous, le sixième de son revenu à son loyer ainsi 468,641 personnes, soit célibataires, soit chefs de famille, auraient à Paris un revenu inférieur à 2,400 francs. De 300 à 500 fr. le nombre des logements est de 74,360 ; le chiffre du loyer, devant être relevé d’un tiers, représente une valeur locative de 400 a 667 francs, ou un revenu de 2,400 à 4,000 francs environ. On trouve ensuite 61,083 personnes occupant des logements d’une valeur matricielle de 500 à 750 francs, d’une valeur réelle de 666 à 1,000 francs, et correspondant à un revenu de 4,000 à 6,000 francs c’est la petite classe moyenne.

Les loyers de 750 à 1,000 francs de valeur matricielle et de 1,000 à 1,333 francs de valeur réelle, indiquant un revenu net de 6,000 a 7,500 fr., sont au nombre de 21,147 c’est encore là la petite bourgeoisie. On peut ranger dans la même classe la catégorie suivante qui se compose des logements de 1,000 à 1,250 fr. de valeur matricielle, soit de 1,333 à 1,660 francs de valeur réelle : ils sont au nombre de 17,202 et correspondent chacun à un revenu net de 7,500 à 10,000 francs.

Les loyers plus élevés indiquent déjà une certaine fortune. Les appartements de 1,250 à 1,500 francs de valeur officielle, soit de 1,700 à 2,000 francs de valeur réelle, ne sont qu’au nombre de 6,198. On peut multiplier encore par six pour avoir le revenu net il varie, pour cette catégorie de personnes, entre 10,000 et 12,000 francs. Il y a 21,453 contribuables qui habitent des logements de 1,500 à 3,000 francs, soit réellement de 2,000 à 4,000. Ici nous pouvons admettre que le loyer représente seulement le huitième du revenu il y aurait, par conséquent, a Paris 21,453 individus dont les revenus seraient de 16,000 a 32,000 francs de rente. Toutes les catégories que nous venons d’examiner dans ce paragraphe correspondent assez à ce que l’on appelle la moyenne bourgeoisie.

Nous arrivons à la classe opulente, à la haute bourgeoisie. Les loyers de 3,000 à 6,000 francs de valeur officielle, correspondant à 4,000 et 8,000 francs de valeur réelle, sont au nombre de 9,985. En multipliant le chiffre du loyer par huit, on a le revenu approximatif, soit 32,000 à 64,000 francs.

Au dessus de 6,000 fr. de loyer nous userons du multiple 10, au lieu du multiple 8, pour avoir le revenu. En agissant ainsi, je répète que je me conforme plutôt à l’opinion vulgaire qu’à mes propres observations. Car, avec l’habitude d’avoir un hôtel à soi, il est peu de personnes jouissant de 100,000 francs de rente qui ne dépensent pas plus de 10,000 francs à leur loyer. Beaucoup de personnes ayant 150,000 ou 200,000 francs de rente mettent le quart ou le cinquième de leur revenu à leur habitation. De 6,000 à 10,000 francs de valeur officielle, soit de 8,000 à 13,300 francs de valeur réelle, on compte à Paris 3,049 appartements, correspondant à des revenus de 80,000 à 130,000 francs. On ne relève que 1,413 appartements de 10,000 à 20,000 francs de valeur locative officielle, ou de 13,300 à 26,600 francs de valeur réelle, indiquant des revenus de 133,000 à 266,000 francs. Enfin il y a dans notre belle capitale 421 appartements de plus de 20,000 francs de valeur matricielle ou de plus de 26,600 francs de valeur réelle, occupés par des personnes qui, si l’on multiplie le loyer par dix, ont plus de 260,000 francs de revenu.

D’après ces données, la classe opulente à Paris, celle qui habite des appartements de plus de 3,000 francs de valeur officielle et de 4,000 francs de valeur réelle, correspondant à un revenu de plus de 32,000 francs, se compose de 14,858 contribuables seulement, dont 9,985 ont un revenu de 32,000 à 64,000 francs ; 3,049 en possèdent un allant de 64,000 a 130,000 ; 1,413 personnes auraient un revenu de 130,000 à 266,000 francs, et seulement 421 personnes posséderaient dans notre capitale un revenu supérieur à ce dernier chiure. Nous croyons plutôt ces conclusions au-dessus de la vérité qu’au-dessous.

Les statistiques de l’impôt mobilier, interprétées avec cité et circonspection, permettent de distribuer, comme il suit, les revenus de la population parisienne.


Nombre de
revenus de
chaque classe
Chiffre des revenus
dans chaque classe
Proportion pour
mille du nombre
des revenus de
chaque classe
au nombre
total des
revenus parisiens
421 revenus dépassant 266,000 francs 0,65
1,413 revenus variant de 133,000 à 266,000 fr. 2.35
3,049 70,000 à 133,000 5,00
9,985 32,000 à 70,000 15,00
21,453 12,000 à 32,000 31,00
6,198 10,000 à 12,000 9,00
17,202 7,500 à 10,000 25,00
21,147 6,000 à 7,500 31,00
61,083 4,000 à 6,000 89,00
74,360 2,400 à 4,000 108,00
468,641 inférieurs à 2,400 684,00


684,952 revenus. 1,000,00


La classe très riche, qui se compose des personnes possédant un revenu au-dessus de 133,000 francs, représenterait 3 pour 1,000 de la population parisienne ; la classe riche qui comprend les revenus de 32,000 à 133,000 fr. formerait 20 pour 1,000 de la même population la classe aisée qui renferme tous les revenus de 6,000 à 32,000 fr., constituerait 96 pour 1,000, près du dixième des habitants de Paris. Les revenus modiques qui vont de 2,400 a 6,000 francs seraient possédés par 197 p. 1,000, à peu près 20 p. 100 en chiffres ronds de la population ; enfin les petits revenus qui n’atteignent pas 2,400 francs seraient le lot des deux tiers de la population de notre capitale[23].

Les renseignements fournis par la statistique des chevaux et voitures ne semblent pas contredire ceux que vient de nous donner la statistique de l’impôt mobilier. En 1879, le service des contributions directes a recensé à Paris 6,436 contribuables pour la taxe sur les voitures et sur les chevaux dans ce chiffre, il est vrai, figurent un certain nombre de loueurs, de sorte qu’on peut évaluer à 7,500 ou 8,000 les personnes qui, à Paris, ont des chevaux et des voitures ou qui louent des voitures au mois. La possession de chevaux ou de voitures correspond en général à des revenus supérieurs à 50,000 francs. Beaucoup de personnes, sans doute, ayant des revenus supérieurs à ce chiffre, s’interdisent ce luxe ; mais d’autres, qui ont un revenu moindre, se le permettent. En supposant que ces deux exceptions en sens contraire se compensent, il y aurait à Paris 7 ou 8,000 personnes ayant plus de 50,000 francs de revenu ; c’est bien aussi à peu près ce qu’indique la statistique de l’impôt sur les loyers, puisque, d’après cette dernière, il y a 4,883 personnes imposées pour un loyer matriciel de plus de 6,000 francs, ce qui correspond à peu près à un minimum de revenu de 70,000 francs, et qu’en outre il y a 9,985 personnes imposées pour un loyer variant de 3,000 à 6,000 francs, parmi lesquelles le quart ou le tiers peut être considéré comme ayant une cinquantaine de mille francs de revenu[24].

Un statisticien expérimenté, M. de Foville, a voulu dans le journal l’Économiste français[25] soumettre à une contre-épreuve l’analyse que nous avions faite de la répartition des revenus à Paris. Il a recouru, pour avoir un autre indice, au relevé de l’administration des pompes funèbres. On sait qu’à Paris les inhumations sont divisées en classes d’après le prix de chacune d’elles. Les enterrements riches sont dans notre capitale excessivement coûteux, et les bénéfices qu’ils produisent servent à payer les enterrements gratuits. Il y a incontestablement une relation entre la classe d’une inhumation et la fortune ou le revenu soit du défunt soit de la famille. Dans beaucoup de cas, cependant, la bienséance, le rang social de la personne décédée, le désir qu’ont ses proches d’honorer sa mémoire font que l’enterrement est d’une classe assez élevée, quoique la fortune laissée aux héritiers soit modique. D’autres fois, par compensation, des personnes possédant de grandes richesses désirent soit par sentiment religieux, soit par modestie, soit même par affectation, être enterrées sans luxe. On peut considérer que ces deux exceptions en sens contraire se balancent à peu près ; si l’on avait quelque doute sur ce point on devrait admettre que la première exception est la plus fréquente, c’est-à-dire qu’il est plus usuel d’élever la classe de l’enterrement au-dessus de ce qu’indiqueraient la fortune ou les revenus du défunt que de l’abaisser au-dessous.

Ces observations faites, voici comment se divisent les 202,490 inhumations auxquelles l’administration des pompes funèbres a eu à pourvoir pendant les quatre dernières années :


Inhumations effectuées. 1876 1877 1878 1879 Totaux
1re classe 
11 19 16 23 69
2eclase 
178 156 165 187 686
3eclase 
485 521 562 587 2,155
4eclase 
1,028 940 950 1,051 3,969
5eclase 
2,314 2,112 2,214 2,407 9,047
6eclase 
4,876 4,766 4,973 5,194 19,809
7eclase 
11,461 11,053 11,564 12,201 46,279
8eclase 
2,110 2,157 2,412 2,774 9,453
9eclase 
27 24 27 27 105
Gratis 
27,811 27,286 27,054 28,767 110,918





Totaux 
50,301 49,034 49,937 53,218 202,490


Les enterrements de chaque classe, comparés au nombre inhumations effectuées. total, représentent les proportions indiquées par le tableau suivant :

Inhumations. Nombre proportionnel.
De 1re et de 2e classe 
4 sur 1,000
3e classe 
10
4ecl—   
20
5ecl—   
45
6ecl—   
98
7e, 8e et 9e classe 
276
Gratis 
547

Total 
1,000

Voulant faire coïncider ce tableau avec celui que nous avons dressé par l’évaluation des fortunes d’après les loyers (voir page 534), M. de Foville remarque que pour qu’il y eût concordance entre ces deux tableaux, il faudrait que les enterrements de première et de deuxième classe correspondissent à un revenu de plus de 100,000 francs, que ceux de troisième classe correspondissent à des revenus de plus de 50,000 fr., ceux de quatrième classe à des revenus de 25,000 à 50,000 fr., ceux de cinquième classe à des revenus de 8,000, enfin ceux de septième classe à des revenus restant au-dessous de 4,300 fr.

M. de Foville a des doutes sur l’exactitude de cette corrélation : « On trouvera peut-être fort exagérés, dit-il, les revenus indiqués ici comme correspondant aux deuxième, troisième, quatrième et cinquième classes du tarif. Il ne faut pas oublier que les tout petits enfants tiennent une grande place dans la nécrologie parisienne, et que leurs funérailles ne comportent pas d’ordinaire autant d’apparat que les autres. Cependant, tout en tenant compte de cette considération, nous croyons nous-même qu’on se rapprocherait de la vérité au lieu de s’en éloigner en réduisant notablement les fortunes attribuées tout à l’heure aux familles qui forment la clientèle respective des deuxième, troisième, quatrième et cinquième classes.

« Or, si cela est, qu’en faut-il conclure ? Il faut en conclure que la statistique des loyers, telle que M. Leroy-Beaulieu l’a interprétée, ferait plutôt aux riches la part trop grande que trop petite[26]. La statistique des inhumations vient donc confirmer et au delà les indications antérieures : les millionnaires, nous sommes doublement en droit de l’affirmer, ne représentent même pas la centième partie des chefs de famille parisiens. »

Ainsi un statisticien des plus compétents critique comme entaché d’exagération le tableau que nous avons dressé à la page 534 de la distribution des revenus à Paris d’après les loyers. Ces critiques ne nous étonnent pas puisque nous-même avons déclaré que nous nous tenions plutôt au-dessus de la vérité qu’au-dessous, augmentant plutôt que diminuant le nombre des gros revenus. En ce qui concerne les conclusions que M. de Foville tire de l’examen des statistiques des pompes funèbres, il est toutefois une observation importante, c’est que la partie riche de la population de Paris n’habite pas toute l’année la capitale, de sorte que beaucoup de personnages opulents, qui ont à Paris leur domicile, meurent à la campagne et dans les villes d’eaux. Il n’est guère de millionnaires qui ne s’absentent de Paris au moins pendant un ou deux mois, souvent pendant trois, quelquefois pendant quatre, cinq ou six. Cette réflexion peut expliquer, en partie du moins, le défaut de concordance que M. de Foville constatait entre les évaluations des revenus d’après les valeurs locatives d’habitations et les évaluations des revenus d’après les classes des pompes funèbres.

Il nous a été possible de nous faire une idée approximative de la distribution des revenus à Paris, pourrait-on avoir aussi quelques indices sur le même phénomène dans toute la France ? C’est difficile cependant on y peut arriver, par voie d’induction, pour les gros revenus. Il n’est pas téméraire d’affirmer que le nombre des très gros revenus français (ceux qui dépassent 266,000 fr.) n’est pas double du nombre des très gros revenus parisiens. C’est à Paris, en effet, que sont concentrées toutes les grandes fortunes de banque ; c’est à Paris aussi que la plupart des personnes ayant de très gros revenus viennent passer l’hiver et le printemps. Il y aurait ainsi peut-être en France 7 ou 800 personnes au plus ayant 250,000 francs de rentes ou davantage. Quant aux fortunes plus modiques, mais comportant déjà une certaine opulence, celles au-dessus de 50,000 fr. de rentes, l’observation indique qu’à Paris il s’en rencontre au maximum 7 ou 8,000 dans toute la France y compris Paris, d’après nos études personnelles faites sur plusieurs des arrondissements les plus riches du nord et du midi, il ne doit pas y avoir plus de 18 ou 20,000 fortunes de ce genre. La richesse est infiniment plus rare qu’on ne le suppose.

On a vu plus haut (page 503) que si l’État prussien confisquait tous les revenus au-dessus de 7,500 francs et distribuait aux revenus inférieurs l’excédant des revenus individuels au-dessus de ce chiffre, l’amélioration dont bénéficieraient les classes pauvres ou médiocrement aisées ne serait que de 10 à 12 p. 100, en supposant (ce qui est une hypothèse inadmissible) que cette sorte de confiscation ne diminuât pas la richesse sociale et l’ensemble du revenu national par le découragement qu’elle causerait aux capitalistes, aux entrepreneurs, à tous les hommes actifs et intelligents. En France, en se livrant à la même hypothèse, nous ne croyons pas que la distribution, aux revenus inférieurs, de tout l’excédant des revenus au delà de 6 ou 7,000 francs accrût de plus de 10 à 12 p. 100 également la part des hommes aujourd’hui les moins bien pourvus. Si, en effet, il y a en France plus de richesse qu’en Prusse, il ne faut pas oublier que dans notre pays la classe ouvrière et la petite classe moyenne sont beaucoup plus à leur aise, de sorte qu’un quantum plus considérable qu’on aurait à leur distribuer, par la confiscation hypothétique des revenus au-dessus de 6 ou 7,000 francs, se rapportant déjà à de petits ou de moyens revenus individuellement plus gros qu’en Prusse, ne les modifierait que médiocrement. Si jamais l’on établit en France un impôt général sur le revenu, on sera étonné de voir combien sont rares les revenus au delà d’un certain taux.

Partout où l’impôt sur le revenu a existé, soit sous la forme simple, soit sous la forme progressive, il a jeté de la lumière sur ce phénomène qui échappe à la plupart des yeux : la rareté des grandes fortunes.

Aux États-Unis, pendant la guerre de sécession, on établit un impôt sur le revenu qui avait une forme en partie progressive cet impôt dura encore quelques années après la guerre.

En 1866, la taxe était de 5 p. 100 pour les revenus entre 600 dollars et 3,000, de 7 1/2 et de 10 p. 100, suivant les cas, sur les revenus supérieurs à 5,000 dollars (23,000 francs). Le produit de la taxe fut de 72,982,000 dollars, soit 365 millions de francs environ sur ce chiffre 34,501,000 dollars, soit 17,500,000 francs, étaient fournis par les revenus au delà de 5,000 dollars ou de 23,000 francs. Ainsi les revenus des personnes riches ou aisées, quoique grevés d’un droit qui était de moitié ou du double plus élevé que le droit sur les petits revenus, ne fournissaient pas la moitié du produit de l’impôt. Si l’on tient compte de cette circonstance que les revenus au-dessous de 600 dollars étaient complètement exemptés, on voit que, même aux États-Unis, les revenus supérieurs à 5,000 dollars ou 25,000 francs ne devaient guère représenter plus du dixième de l’ensemble des revenus nationaux. Mais il faut remarquer aussi qu’à cette époque le cours forcé régnait aux États-Unis, que tous ces revenus sont estimés en papier qui perdait 30 ou 40 p. 100[27], qu’en outre, même en tout temps, la valeur de la monnaie relativement au travail humain est moindre aux États-Unis qu’en Europe ; si l’on tient compte de toutes ces circonstances, on voit qu’un revenu de 3,000 dollars en papier dans l’année 1866 aux États-Unis n’équivalait guère qu’à un revenu de 12,000 ou 13.000 francs en argent dans l’Europe continentale. Ces explications démontrent quelle faible proportion les classes riches détiennent de l’ensemble des revenus nationaux.

M. David Wells, l’ancien commissaire du trésor de l’Union américaine[28], nous donne d’autres détails qui mettent ce fait encore plus en lumière. En 1866, sur une population de 35 millions d’âmes, le nombre des personnes assujetties à l’Income tax, c’est-à-dire possédant un revenu de plus de 600 dollars en outre du loyer de leur maison et des sommes nécessaires pour les réparations et pour les taxes, n’était que de 460,170. L’année suivante, l’exemption de l’Income tax ayant été accordée aux revenus au-dessous de 1,000 dollars (5,000 francs), le nombre des personnes payant l’impôt ne fut plus que de 259,383. Dans cette même année, 50,088 personnes seulement payaient plus de 500 dollars (2,500 francs) à l’impôt sur le revenu la taxe étant de 10 p. 100 pour les revenus élevés, il n’y avait donc que 50,000 personnes possédant un revenu de 25,000 francs en papier déprécié, revenu que l’on peut considérer comme équivalent à un revenu de 15,000 francs en Europe[29].

On ne manquera pas de parler des fraudes. Les fraudes, nous les admettons mais alors même qu’on devrait doubler les chiffres qui précèdent et admettre que les 50,000 personnes dont il s’agit aux États-Unis en 1866 avaient un revenu, évalué en or, non pas de 15,000 francs au minimum, mais de 25,000 ou 30,000 francs, ce serait toujours sur l’ensemble de la population une proportion infiniment moindre que ne le pense le vulgaire.

Les petits pays ne diffèrent pas sur ce point des grands les cantons de la République helvétique nous en fournissent la preuve. Le petit État de Neufchâtel a publié dernièrement à ce sujet des statistiques curieuses. Il s’agissait d’un projet de transformation de l’impôt proportionnel existant sur les revenus et sur les capitaux en un impôt progressif. Le gouvernement du canton crut devoir, pour édifier le public, faire connaître le classement par catégories des contribuables à l’impôt proportionnel sur les capitaux et à l’impôt proportionnel sur les revenus. Voici quel était ce classement pour l’un et l’autre impôt en l’année 1874 : Le tableau qui précède concerne l’impôt sur les capitaux ; mais à Neufchâtel, comme dans beaucoup d’autres cantons suisses, il y a à la fois un impôt sur les capitaux et un impôt sur les revenus. Voici le tableau concernant ce dernier :

Nombre ’Jo~’enne, "" Chiffre"" Fortunes. des d~ne" C~e - contribuables. ch~~gse. ’c'~Ka~ :mp,iMMes. é. ’J'p

t :_m~ :

De 0 à SO.OOOfr. 42.245 4.000fr. 168.980.000 fr. 50,001 MO MO M5 70.000 S3.550. ’8Ô’0 J00.001 !50.000 Ml -1 25.000 28.8 ’75 .000 150.001 à 200.000 125 HS.OOO 21.8 ’ ?5.000 ’ 200.001 à 250.000 .84 225,000 18.900 .000 250.001 à 300.000 48 275.000 13.200 .000 300.001 à 350.000 5 325.000 1.’62~000 350.001 à 400.000 57 375.000 2t.375.000 400.001 à 500.000 33 MO. ’OOO 14.850.000 500.001 à 6QO.QOO 22 5M.OOO ..1 2.100 .000 600.001 à 700.000 18 650.000 11.700.000 700.001 à 800.000 7 7~000 5.250 .000 800.001 à 900.000 5 850.000 4.350 .000 900.001 M.000 :000 2 950.000 1.’900.060 1.000.000 et au-dessus 14 1.625.000 .2 2 .750.900 ’43.661 401.J80.0QO Nombre Moyenne Revenus.. des da revenu .des ; Revenus. des dans des. - contribuables, chaque classe. revenus imposables. De 0 à 3.000 fr. 42.714 600fr. 25.628.400 fr. 3.001 à 4.000 410 3.500 1.435 .000 4.001 à 5.000 196 4.550 S9I.SOO 5.001 à 6 .000 106 5.500 583.000 6.001 à 7.000 53 6.500 g~~OO 7.001 à 8.000 60 7.500 450.QOO 8.001 à 9.000 24 8.500 204.000 9.001 à 10.000 35 9.500 33S..500 lO.OOt à 12.000 19 11.000 209.000 12.001 à 15.000 15 13.500 202.500 15.OOt 20.000 10 l’T .&00 1.75.000 20.001 SO.OOO 14 25.000 350.000 30.00t 40.000 2 35.000 70000 40.001 à 60.00 ’) 1 45.000 45.000 50.001 et au-dessus 2 50.000 100.000 43.664 31.020.700


Impôt sur les revenus dans le canton de Neufchâtel.

CLASSEMENT DES CONTRIBUABLES D’APRÈS LES REGISTRES DE L’IHPÈT, EN ’ 1814. împ6t sur les capitaux dans le canton de Neufchâtel. CLASSEMENT DES CONTRIBUABLES D’APRES LES REGISTRES DE L’IMPÛT, EN 1874.

Comme le taux de l’impôt, qui était d’ailleurs proportionnel, était fort modéré dans le canton de Neufchâtel, ne dépassant guère 1 ou 2 p. 100, il est probable que les fraudes, les évasions de la taxe, comme disent les Anglais, se trouvaient réduites au minimum.

Or, qu’indiquent ces deux tableaux ? C’est que les fortunes un peu notables sont très peu nombreuses par rapport à l’ensemble de la richesse, et surtout que les revenus de quelque importance forment une très minime part de l’ensemble des revenus nationaux.

Dans l’État de Neufchâtel, sur un total de 401 millions de francs pour l’ensemble des fortunes privées, les très petites fortunes, celles qui ne dépassent pas 50,000 francs, forment plus des 2 cinquièmes, soit 169 millions en chiffres ronds. Les fortunes ne dépassant pas 100,000 francs composent plus de la moitié (222 millions sur 401) de l’ensemble des fortunes privées. Plus des trois quarts de l’ensemble de la richesse du pays est dans les mains d’hommes dont la fortune ne dépasse pas 300,000 francs. Les fortunes au-dessus de 600,000 francs ne représentent pas le huitième du total de la richesse du canton (46 millions sur 401). Cependant il s’agit là d’un pays industrieux et fort avancé en civilisation. La démonstration est encore plus frappante pour la distribution des revenus. Sur un total de 31 millions de francs de revenu pour le canton de Neufchâtel les 5 sixièmes (25,628,000 francs) sont dans les mains de personnes qui n’ont pas plus de 3,000 francs de revenu ; un trentième seulement de l’ensemble des revenus se trouve appartenir à des personnes dont le revenu dépasse 10,000 francs[30].

Ce sont surtout les revenus qu’il faut considérer, puisque les hommes vivent sur leurs revenus. Or on voit que si dans le canton de Neufchâtel, en 1874, on eût pu confisquer tous les revenus au-dessus de 5,000 francs et distribuer l’excédant au-dessus de cette somme aux revenus inférieurs, sans que par cette opération la production fût diminuée — ce qui est d’ailleurs une hypothèse absurde — c’est à peine de 10 p.100 que se fussent accrues les ressources des petits et des moyens contribuables.

Tous les faits assez nombreux que nous avons réunis dans ce chapitre, tirés de toutes les statistiques diverses qui peuvent jeter quelque jour sur cette grave question, témoignent de la très faible proportion que représente la somme des revenus de quelque importance relativement à l’ensemble des revenus nationaux. Les statistiques de l’impôt sur le revenu et de l’impôt, de classes en Prusse, en Saxe, en Angleterre, aux États-Unis, en Suisse, les relevés de la taxe sur les domestiques mâles, les documents relatifs à la perception de l’impôt sur les loyers dans la ville de Paris, à l’impôt sur les chevaux et voitures, aux pompes funèbres, tous ces renseignements, si divers et si variés quant à leurs origines, confirment que dans tous les pays, même dans les plus aristocratiques, non seulement la grande opulence, mais aussi la très large aisance sont exceptionnelles, et que si l’on pouvait déverser sur l’ensemble de la nation l’excédant de l’une et de l’autre, on accroîtrait de bien peu la part de chacun.

Ce qui a créé et ce qui entretient dans la masse de la nation des préjugés anti-scientifiques a ce sujet, ce sont diverses causes dont l’action est très puissante une littérature superficielle puis deux sentiments contraires, d’un côté l’envie, qui grossit l’importance de l’objet envié, de l’autre côté l’admiration béate qui enfle dans l’imagination du vulgaire les fortunes et les jouissances des prétendus favorisés de ce monde enfin la concentration de plus en plus habituelle des grandes fortunes dans les capitales et dans quelques villes, un degré ultérieur encore de concentration dans certains quartiers des grandes villes qui sont la résidence exclusive de l’opulence. Par suite de ces circonstances, certains faits matériels, quoique exceptionnels, frappent vivement les yeux du public et produisent sur son esprit une impression exagérée. Quand on assiste à la sortie du grand Opéra ou au défilé du retour des courses, qu’on voit se suivre et se presser tant de brillants équipages, on a peine à échapper à une sorte de vertige, et l’on croit facilement que le nombre des hommes riches est presque infini. Il n’y en a pas moins là une illusion d’optique que dissipent la réflexion et l’étude.

Si dans l’état actuel les revenus un peu élevés représentent une part si modique de l’ensemble des revenus de la nation, cette part, on l’a vu dans le courant de ce livre, ira toujours en diminuant ; il nous reste à grouper, dans un chapitre final, les diverses raisons que nous avons successivement analysées et qui chacune isolément nous ont acheminé à cette conviction.





  1. Ces découvertes, peuvent être essentielles ou frivoles, peu importe. Il suffit qu’une fraction importante de l’humanité les apprécie. Un parfum, par exemple, une eau de toilette, peuvent mener à une grande fortune, tout comme un procédé pour fabriquer l’acier ou pour l’éclairage électrique.
  2. Jusqu’en 1871 la monnaie prussienne était le thaler qui valait 3 fr. 75 ; depuis lors, c’est le mark qui vaut 1 fr. 25.
  3. Voir sur l’assiette de l’Einkommensteuer et de la Classensteuer notre Traité de la Science des finances (2e édition, t. I, pages 404 et suivantes).
  4. Les éléments de cette analyse nous ont été fournis par deux études du statisticien allemand bien connu M. Adolphe Soëtber : Umfang und Vertheilung des Volks-Einkommen im Preussischen Staat 1872-1978, von Dr Adolph Sötber, Leipzig, 1879, et du même article dans les Jahrbücher für National Œkonomie und Statistik, février 1880. M. Soëtber a lui-même tiré tous ses chiffres des documents officiels présentés aux Chambres.
  5. Le nombre des contribuables ne représente guère que 33 ou 34 p. 100 de la population, non pas à cause des exemptions qui sont peu nombreuses, mais parce que les contribuables sont seulement les chefs de famille ou les personnes isolées qui ont un revenu propre.
  6. Le mark vaut 1 fr. 25.
  7. On trouvera sur ce sujet de très nombreux détails dans l'Économiste français du 9 mars 1878 : La distribution du sol et la taxe de la terre en Angleterre.
  8. Nous n’avons pas eu dans les mains le document parlementaire en question, mais nous avons puisé les chiffres que nous citons dans la brochure du Dr Soëtber intitulée Umfang und Zertheilung des Volkseinkommen, etc., 1879.
  9. Jusqu’en 1876 l’exemption n’était accordée qu’aux revenus inférieurs à 100 livres sterl. (2,500 fr.) ; à partir de 1876, on en fit bénéficier tous les revenus au-dessous de 150 livres.
  10. Voir sur les dissimulations a l’Income tax notre Traité de la Science des finances (2e édition, t. I, pages 155 et suivantes). D’après des enquêtes faites en 1865 on estimait que 40 p. 100 des contribuables faisaient des déclarations inexactes. Des agents du fisc ont, d’autre part, pensé que les déclarations de la cédule D devaient être relevées de moitié. Depuis lors les procédés de perception sont plus rigoureux nous pensons être assez exact en relevant d’un tiers les chiffres officiels.
  11. Nous rappelons qu’en principe les revenus au-dessous de 3,750 fr. ne paient pas l’impôt, mais que, lorsqu’un revenu commercial ou professionnel, inférieur à 3,750 fr. appartient à une personne qui, avec des revenus d’autre nature, a plus de 3,750 fr. de revenu total, ce revenu commercial ou professionnel, quoique inférieur à 3,750 fr., est taxé a la cédule D de là la première catégorie du tableau qui est dans le texte.
  12. La cédule D ne comprend pas seulement, il est vrai, les industriels et les commerçants, il s’y joint aussi les personnes exerçant des professions diverses autres que les fonctions du gouvernement ou que les emplois des sociétés (corporate bodies) donnant lieu à un traitement fixe. On peut estimer que les neuf dixièmes des contribuables de la cédule D doivent être des industriels et des commerçants.
  13. Nous employons ici le mot de petite industrie dans le sens de petit industriel.
  14. Nous faisons ici la même remarque qu’à la page 520.
  15. Voir plus haut sur les Pensions britanniques le chapitre XIII, page 356.
  16. Voir page 497.
  17. Voir le chapitre VI, pages 167 et suivantes.
  18. Ce chiffre comprend à la fois le principal de l’impôt et les centimes additionnels.
  19. Dans les départements les plus chargés, comme les environs de Paris et certaines parties de la Normandie, l’impôt représente en général le septième ou le huitième du revenu net ; dans les départements les moins chargés, comme certains départements du Midi, l’impôt foncier (y compris les centimes additionnels) ne prélève en général que le douzième, parfois le quinzième du revenu.
  20. Dans un article de l'Économiste français du 19 juin 1880 nous avions parlé de 100,000 propriétaires fonciers, dont 50.000 ruraux avant au moins 6 à 7000 fr. de rentes, un examen plus attentif nous a convaincu que ces chiffres étaient exagérés.
  21. Nous empruntons cette citation a un Rapport fait par M. de Luçay au nom de la Société des agriculteurs de France (voir le Bulletin de la Société des agriculteurs, n° du 1er mai 1880, p. 362).
  22. L’Agriculture belge en 1878.
  23. Pour infirmer les conclusions que nous tirons de l’impôt mobilier d’après le cadastre révisé en 1878, peut-être dira-t-on que le nombre des grands appartements a considérablement augmenté en 1879 et en 1880. Il est très vrai que des Compagnies d’assurances et des spéculateurs ont dans ces deux années édifié un grand nombre de maisons contenant des appartements de 6,000 à 25,000 francs mais nous croyons que ces spéculateurs ont fait un faux calcul, que tous ces appartements nouveaux auront de la peine à se louer, et qu’il en résultera dans un an ou deux une baisse notable sur les gros loyers.
  24. L’évaluation que nous donnons dans le texte est même plutôt trop élevée, et il est douteux qu’il y ait à Paris 7 ou 8,000 personnes ayant des chevaux ou des voitures, ou bien en louant au mois. En effet, le dimanche 6 juin 1880, jour où se tenaient à Longchamps les courses pour le Grand Prix de Paris, il s’est présenté au turf d’après le pointage officiel : 17 voitures daumont ou demi-daumont, 64 voitures a quatre chevaux, 1,180 voitures de maître à deux chevaux, 3,720 voitures de maître à un cheval, 8,728 fiacres, soit, indépendamment des fiacres, 4,981 voitures de maître ou de grande remise. Or, quand on sait la passion qu’ont maintenant les Parisiens pour les courses et l’attraction tout exceptionnelle qu’exerce le grand prix de Paris, on peut admettre que les trois quarts au moins des personnes ayant chevaux et voitures à Paris ont dû assister à cette fête, et en outre pour cette partie de plaisir beaucoup de personnes louent à la journée des voitures de grande remise qui doivent venir en déduction du chiffre de 4,981 donné plus haut.
  25. Numéro du 10 juillet 1880.
  26. Nous rappelons que des extraits de notre analyse de la répartition des revenus avaient paru dans le journal l’Économiste français ; c’est ainsi qu’ils ont pu être, avant la publication de ce livre, l’objet de commentaires.
  27. Le 16 février 1866. l’or était coté 137 1/4 p. 100 ; au 17 septembre de la même année, il était monté à 145.
  28. A curious chapter in politico-economic history, publié dans la collection des Cobden Club Essays, 1871-72, p. 497.
  29. Le passage relatif aux États-Unis est tiré de notre Traité de la science des finances, tome Ier, chapitre de l’Impôt progressif.
  30. Ces passages sont extraits de notre Traité de la science des finances, t. I.