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Dans la Ville même de Paris, il coute ordinairement cinq sols par sac de mille livres, pour porter de l’argent d’une maison à une autre ; s’il falloit toujours le porter du Fauxbourg Saint Antoine, aux Invalides, il en couteroit plus du double, & s’il n’y avoit pas communément de porteurs d’argent de confiance, il en couteroit encore davantage : que s’il y avoit souvent des Voleurs en chemin on l’enverroit par grosses sommes, escorté, & avec plus de frais ; & si quelqu’un se chargeoit du transport, à ses frais & risques, il se feroit païer de ce transport, à proportion des frais & des risques. C’est ainsi, que les frais du transport, de Rouen à Paris, & de Paris à Rouen coutent ordinairement cinquante sols par sac de mille livres, ce qu’on appelle dans le langage des Banquiers, un quart pour cent ; les Banquiers envoient l’argent ordinairement en doubles barils, que les Voleurs ne peuvent gueres emporter, à cause du fer & de la pesanteur, & comme il y a toujours des Messagers sur cette route, les frais sont peu considérables, sur les grosses parties qu’on envoie de part & d’autre.
Si la Ville de Châlons sur Marne paie tous les ans au Receveur des Fermes du Roi, dix mille onces d’argent d’un côté, & si de l’autre côté les Marchands de vin de Châlons ou des environs vendent à Paris, par l’entremise de leurs correspondans, des vins de Champagne pour la valeur de dix mille onces d’argent ; si l’once d’argent en France passe dans le commerce pour cinq livres, la somme des dix mille onces en question s’appellera cinquante mille livres, tant à Paris qu’à Chalons.
Le Receveur des Fermes dans cet exemple a cinquante mille livres à envoïer à Paris, & les correspondans des Marchands de vin de Châlons ont cinquante mille livres à envoïer à Châlons ; on pourra épargner ce double emploi ou transport par une compensation ou comme on dit par lettres de change, si les parties s’abouchent & s’accommodent pour cela.
Que les correspondans des Marchands de vin de Châlons portent (chacun sa part) les cinquante mille livres chez le Caissier du Bureau des Fermes à Paris ; qu’il leur donne une ou plusieurs rescriptions, ou lettres de change sur le Receveur des Fermes à Châlons, païables à leur ordre ; qu’ils endossent ou passent leur ordre aux Marchands de vin de Châlons, ceux-ci recevront du Receveur à Châlons les cinquante mille livres. De cette maniere, les cinquante mille livres à Paris seront païées au Caissier des Fermes à Paris, & les cinquante mille livres à Châlons seront païées aux Marchands de vin de cette Ville, & par cet échange ou compensation, on épargnera la peine de voiturer cet argent d’une ville à l’autre. Ou bien que les Marchands de vin à Châlons, qui ont cinquante mille livres à Paris, aillent offrir leurs lettres de change au Receveur qui les endossera au Caissier des Fermes à Paris, lequel y touchera le montant, & que le Receveur à Châlons leur paie contre leurs lettres de change les cinquante mille livres qu’il a à Châlons : de quelque côté qu’on fasse cette compensation, soit qu’on tire les lettres de change de Paris sur Châlons, soit de Châlons sur Paris, comme dans cet exemple on paie once pour once, & cinquante mille livres pour cinquante mille livres, on dira que le change est au pair.
La même methode se pourra pratiquer, entre ces Marchands de vin à Châlons, & les Receveurs des Seigneurs de Paris qui ont des terres ou des rentes aux environs de Châlons, & encore entre les Marchands de vin, ou tout autres Marchands à Châlons, qui ont envoïé des denrées ou des marchandises à Paris, & qui y ont de l’argent, & tous Marchands qui ont tiré des marchandises de Paris & les ont vendues à Châlons. Que s’il y a un grand commerce entre ces deux Villes, il s’érigera des Banquiers à Paris & à Châlons, qui s’aboucheront avec les interressés de part & d’autre, & seront les agens ou entremeteurs des paiemens qu’on auroit à envoïer d’une de ces Villes à l’autre. Maintenant si tous les vins, & autres denrées & marchandises qu’on a envoïées de Châlons à Paris, & qu’on y a effectivement vendues pour argent comptant, excedent en valeur la somme de la recette des Fermes à Châlons, celles des rentes que les Seigneurs de Paris ont aux environs de Châlons, & encore la valeur de toutes les denrées & de toutes les marchandises qui ont été envoïées de Paris à Châlons & qu’on y a vendues pour argent comptant, de la somme de cinq mille onces d’argent ou de vingt-cinq mille liv. il faudra nécessairement que le Banquier à Paris envoie cette somme en argent à Châlons. Cette somme sera l’excédent ou la balance du commerce entre ces deux Villes ; on l’enverra dis-je nécessairement en especes à Châlons, & cette opération se trouvera conduite de la maniere suivante ou de quelqu’autre maniere approchante.
Les Agens, ou Correspondans des Marchands de vin de Châlons & des autres qui ont envoïé des denrées ou des Marchandises de Châlons à Paris, ont l’argent de ces ventes en caisse à Paris : ils ont ordre de le remettre à Châlons ; ils ne sont pas dans l’habitude de le risquer par les voitures, ils s’adresseront au Caissier des Fermes qui leur donnera des rescriptions ou lettres de change sur le Receveur des Fermes à Châlons, jusqu’à la concurrence des fonds qu’il a à Châlons, & cela ordinairement au pair ; mais comme ils ont besoin de remettre encore d’autres sommes à Châlons, ils s’adresseront pour cela au Banquier qui aura à sa disposition les rentes des Seigneurs à Paris qui ont des terres aux environs de Châlons. Ce Banquier leur fournira, de même que le Caissier des Fermes, des lettres de change sur son correspondant à Châlons jusqu’à la concurrence des fonds qu’il a à sa disposition à Châlons, & qu’il avoit ordre de faire revenir à Paris : cette compensation se fera aussi au pair, si ce n’est que le Banquier cherche à y trouver quelque petit profit pour sa peine, tant de la part de ces Agens qui s’adressent à lui pour remettre leur argent à Châlons, que de celle des Seigneurs qui l’ont chargé de faire revenir leur argent de Châlons, à Paris. Si le Banquier a de même à sa disposition à Châlons, la valeur des Marchandises qui y ont été envoïées de Paris, & qui y ont été vendues pour argent comptant ; il fournira encore de même des lettres de change pour cette valeur.
Mais dans notre supposition les Agens des Marchands de Châlons, ont encore en caisse à Paris vingt-cinq mille livres qu’ils ont ordre de remettre à Châlons, au-delà de toutes les sommes ci-dessus mentionnées. S’ils offrent cet argent au Caissier des Fermes, il répondra qu’il n’a plus de fonds à Châlons, & qu’il ne sauroit leur fournir de lettres de change ou des rescriptions sur cette Ville. S’ils offrent l’argent au Banquier il leur répondra, qu’il n’a pas non plus de fonds à Châlons, & qu’il n’a pas occasion de tirer, mais que si l’on veut lui païer trois pour cent de change, il fournira des lettres : ils offriront un ou deux pour cent, & enfin deux & demi, ne pouvant faire mieux. À ce prix le Banquier se déterminera à leur donner des lettres, c’est-à-dire, qu’en lui païant à Paris deux livres dix sols, il fournira une lettre de change de cent livres, sur son correspondant de Châlons, païable à dix ou quinze jours, afin de mettre ce correspondant en état de faire ce paiement des vingt-cinq mille livres qu’il tire sur lui : à ce prix de change, il les lui enverra par le Messager ou Carrosse en espece d’or, ou au défaut de l’or, en argent. Il paiera dix livres pour chaque sac de mille livres, ou suivant le langage des Banquiers un pour cent ; il paiera à son Correspondant de Châlons pour commission cinq livres-par sac de mille livres, ou demi pour cent, & il gardera pour son profit un pour cent. Sur ce pied le change est à Paris pour Châlons à deux & demi pour cent au-dessus du pair, parcequ’on paie deux livres dix sols sur chaque cent livres pour le prix du change.
C’est ainsi à peu-près que la balance du commerce se transporte d’une ville à l’autre, par l’entremise des Banquiers, & en gros articles ordinairement. Tous ceux qui portent le titre de Banquiers ne sont pas dans cette habitude ; & il y en a plusieurs qui ne se mêlent que de commissions & de spéculation de banque. Je ne mettrai au nombre des Banquiers que ceux qui font voiturer l’argent. C’est à eux à régler toujours les changes, dont les prix suivent les frais & les risques du transport des especes, dans les cas différens.
On fixe rarement le prix du change entre Paris & Châlons à plus de deux & demi ou trois pour cent, au dessus ou au dessous du pair. Mais de Paris à Amsterdam le prix du change montera à cinq ou six pour cent lors qu’il faudra voiturer les especes. Le chemin est plus long le risque est plus grand ; il faut plus de Correspondans & de Commissionnaires. Des Indes en Angleterre, le prix du transport sera de dix à douze pour cent. De Londres à Amsterdam, le prix du change ne passera guere deux pour cent en tems de paix.
Dans notre exemple présent, on dira que le change à Paris pour Châlons sera à deux & demi pour cent, au dessus du pair ; & on dira à Châlons que le change pour Paris est à deux & demi pour cent, au dessous du pair : parceque dans ces circonstances celui qui donnera de l’argent à Châlons pour une lettre de change pour Paris ne donnera que quatre-vingt-dix-sept livres dix sols, pour recevoir cent livres à Paris : & il est visible que la Ville ou Place où le change est au dessus du pair doit à celle où il est au dessous, tant que le prix du change subsiste sur ce pied. Le change n’est à Paris à deux & demi pour cent, au dessus du pair pour Châlons, que parceque Paris doit à Châlons, & qu’on a besoin de voiturer l’argent de cette dette de Paris à Châlons : c’est pourquoi lorsqu’on voit que le change est communement au dessous du pair dans une ville, par rapport à une autre, on pourra conclure que cette premiere ville doit la balance du commerce à l’autre, & lorsque le change est à Madrid ou à Lisbonne au dessus du pair pour tous les autres païs, cela fait voir que ces deux Capitales doivent toujours envoier des especes à ces autres païs.
Dans toutes les Places & Villes qui se servent de la même monnoie & des mêmes especes d’or & d’argent, comme Paris & Châlons sur Marne, Londres & Bristol, l’on connoît & l’on exprime le prix du change en donnant & en prenant tant pour cent, de plus ou de moins que le pair. Quand on paie quatre-vingt-dix-huit livres dans une place, pour recevoir cent livres dans une autre, on dit que le change est à deux pour cent au dessous du pair à-peu-près : lorsqu’on paie cent deux livres dans une place, pour ne recevoir que cent livres dans une autre, on dit que le change est à deux pour cent exactement au-dessus du pair : quand on donne cent livres dans une place, pour en recevoir cent livres dans une autre, on dit que le change est au pair. En tout cela il n’y a aucune difficulté, ni aucun mystere.
Mais lorsqu’on regle le change entre deux Villes ou Places, où la monnoïe est toute différente, où les especes sont de différentes grandeurs, finesses, tailles, & même de différens noms, la nature du change paroît d’abord plus difficile à expliquer ; mais dans le fond ce change étranger ne differe de celui entre Paris & Châlons que par la différence du jargon dont les Banquiers se servent. On parle à Paris du change avec la Hollande en reglant l’écu de trois livres contre tant de deniers de gros de Hollande, mais le pair du change entre Paris & Amsterdam est toujours cent onces d’or ou d’argent contre cent onces d’or ou d’argent de même poids & titre : cent deux onces païées à Paris pour recevoir seulement cent onces à Amsterdam, reviennent toujours à deux pour cent au dessus du pair. Le Banquier qui fait les transports de la balance du commerce, doit toujours savoir calculer le pair ; mais dans le langage des changes avec l’Etranger, on dira le prix du change à Londres avec Amsterdam se fait en donnant une livre sterling à Londres pour recevoir trente-cinq escalins d’Hollande en banque : avec Paris, en donnant à Londres trente deniers ou peniques sterling, pour recevoir à Paris un écu ou trois livres tournois. Ces façons de parler n’expriment pas si le change est au-dessus ou au dessous du pair ; mais le Banquier qui transporte la balance du commerce en sait bien le compte, & combien il recevra d’especes étrangeres pour celles de son païs qu’il fait voiturer.
Qu’on fixe le change à Londres pour argent d’Angleterre en Roubles de Moscovie, en Marcs Lubs de Hambourg, en Richedales d’Allemagne, en Livres de gros de Flandres, en Ducats de Venise, en Piastres de Gènes ou de Livourne, en Millerays ou Crusades de Portugal, en Pieces de huit d’Espagne, ou Pistoles &c. le pair du change pour tous ces païs, sera toujours cent onces d’or ou d’argent contre cent onces : & si dans le langage des changes il se trouve qu’on donne plus ou moins que ce pair, cela vient au même dans le fond que si l’on disoit le change est de tant au dessus ou au dessous du pair, & on connoîtra toujours si l’Angleterre doit la balance ou non à la place avec laquelle on regle le change, ni plus ni moins qu’on le fait dans notre exemple de Paris & de Chalons.