Essai sur l’influence des bas prix des blés sur les profits du capital

Essai sur l’influence des bas prix des blés sur les profits du capital

ESSAI
SUR
L’INFLUENCE DU BAS PRIX DES BLÉS
SUR LES PROFITS DU CAPITAL ;

MONTRANT


LE VICE DES RESTRICTIONS DIRIGÉES CONTRE LES IMPORTATIONS ;


ET CONTENANT DES


REMARQUES SUR LES DEUX DERNIÈRES PUBLICATIONS DE M. MALTHUS
AYANT POUR TITRES :
RECHERCHES SUR LA NATURE ET LES PROGRÈS DE LA RENTE (FERMAGE),
ET BASES d’une OPINION SUR LA LÉGISLATION RESTRICTIVE
DIRIGÉE CONTRE l’IMPORTATION DES BLÉS ÉTRANGERS.


INTRODUCTION.




Lorsqu’on veut aborder l’étude des profits du capital, il est nécessaire d’examiner les principes qui régissent la hausse et la baisse de la rente ; car la rente et les profits ont entre eux des rapports intimes, qu’on pourra apprécier. Les principes auxquels obéit la rente ont été brièvement exposés dans les pages suivantes et ne différent que très-légèrement d’ailleurs de ceux qui ont été développés d’une manière si complète et si habile dans la dernière publication de M. Malthus ; publication précieuse à laquelle je dois beaucoup. L’examen de ces données et de celles qui régissent les profits du capital m’a conduit à approuver un système de législation qui n’opposerait aucun obstacle à l’importation du blé. La pensée générale qui domine dans toutes les publications de M. Malthus m’assure qu’il partage cette opinion, quant à ce qui est relatif à la question de profit et de richesse. Mais il a cru qu’il y avait danger, et danger redoutable à faire dépendre des approvisionnements étrangers une portion considérable de nos subsistances, et, en masse, il a jugé prudent de restreindre les importations. Éloigné de toutes ces craintes et plus porté peut-être à apprécier hautement l’avantage du bas prix des blés, je suis arrivé à des conclusions différentes. J’ai essayé de répondre à quelques-unes des objections présentées dans son dernier ouvrage « Bases d’une opinion, etc. » Elles m’ont paru indépendantes du danger politique qu’il redoute, et irréconciliables avec les doctrines générales de liberté commerciale que ses écrits ont si puissamment contribué à faire triompher.


ESSAI
sur
L’INFLUENCE DU BAS PRIX DES BLÉS.




M. Malthus a défini d’une manière très-exacte la rente de la terre[1] en disant : « qu’elle consiste dans cette fraction du produit total qui demeure aux mains du propriétaire après que tous les frais de culture, quels qu’ils soient, ont été prélevés ; fraction oui comprend aussi les profits du capital fixe, évalués d’après le taux général et ordinaire des bénéfices que donnent les capitaux agricoles à une époque désignée. »

Dès lors, il ne saurait y avoir rente toutes les fois que le taux ordinaire et général des profits sur les capitaux agricoles, joint aux avances consacrées à la culture de la terre, arrive à égaler la valeur du produit total.

Et quand ce produit équivaut seulement en valeur aux frais indispensables de culture, il ne peut y avoir ni rente ni profits.

Lors de l’établissement primitif d’une nation sur une terre fertile, à une époque où chacun peut aspirer par son choix à en posséder une partie, le produit total dont nous venons de parler, dégagé des frais de culture, constituera les profits du capital et appartiendra au propriétaire de ce capital sans aucune déduction pour la rente.

Ainsi supposons que le capital consacré par un individu sur cette terre s’élève à la valeur de deux cents quarters de froment, et se répartisse par moitié en capital fixe, tel que bâtiments, ustensiles, etc., et en capital circulant ; si, après avoir prélevé le capital fixe et circulant, le produit définitif restait de cent quarters de froment ou d’une valeur égale à cent quarters de froment, le profit net du capitaliste serait de 50%, ou en d’autres termes il jouirait d’un bénéfice de 100, sur un capital de 200.

Les profits du capital agricole pourraient se maintenir pendant quelque temps au même taux ; parce qu’il se pourrait aussi qu’il y eût abondance de terres également fertiles, également bien situées, et, par conséquent, abondance de terres qu’on peut exploiter à des conditions aussi avantageuses, à mesure que s’accroîtraient les capitaux des premiers habitans et de ceux qui les ont suivis.

Il pourrait même se faire que les profits augmentassent par le seul fait que la population se multipliant dans une proportion plus forte que le capital, les salaires diminueraient. Ainsi, au lieu d’être égale à cent quarters de froment, le capital circulant nécessaire serait seulement de quatre-vingt-dix quarters et les profits s’élèveraient de 50 à 55%.

Des perfectionnements introduits dans les méthodes agronomiques et dans les instruments de culture contribueraient aussi à accroître les profits du capital en augmentant le produit obtenu avec les mêmes frais d’exportation. D’un autre côté, les profits bais seraient, si l’on adoptait un système d’agriculture plus vicieux, ou si les salaires haussaient.

Ces circonstances ont une action plus ou moins énergique, sans doute, mais néanmoins constante. Elles retardent ou précipitent les effets naturels du développement de la richesse, en multipliant ou diminuant les profits, en augmentant ou réduisant la masse de produits obtenus sur une terre avec le même capital[2].

Nous admettons cependant que l’agriculture n’a été fécondée par aucun perfectionnement, que le capital et la population se développent sur une échelle égale, de sorte que les salaires réels du travail restent uniformément au même taux ; et cela, afin d’apprécier l’influence particulière, que l’accumulation du capital, l’accroissement de la population et l’extension des cultures exercent sur les terres plus éloignées et moins fertiles.

À cette époque des sociétés où nous, avons évalué par hypothèse les profits des capitaux agricoles à 50%, les profits sur tous les autres genres de capitaux engagés, soit dans les manufactures grossières, propres à ce degré de civilisation, soit dans les opérations commerciales destinées à procurer certains objets de consommation en échange des matières premières, ces profits, dis-je, seront aussi de 50%[3].

En effet, si le bénéfice des opérations commerciales s’élevait au-dessus de 50 p. 0/0, le capital fuirait la terre pour être appliqué aux échanges : si au contraire il était moindre, on transporterait les fonds du commerce à la terre.

Le capital et la population croissant simultanément, après que toutes les terres fertiles situées dans le voisinage des premiers habitants auraient été mises en culture, le besoin de subsistances s’accroîtrait aussi et on devrait avoir recours pour les obtenir à des terres moins avantageusement situées. En admettant même que ces terres aient une fécondité égale, la nécessité d’y consacrer plus d’ouvriers, de chevaux, etc., afin de transporter le produit des lieux de culture aux lieu de consommation conduirait indispensablement à employer une plus grande quantité de capital pour obtenir le même produit : et cela sans que les salaires du travail subissent aucune modification Supposons que cette addition soit égale à la valeur de 10 quarters de froment, l’ensemble du capital employé sur la nouvelle terre, pour recueillir le même rendement que sur l’ancienne, serait de 210 ; et conséquemment les profits du capital descendraient de 50 à 43%, ou 90 quarters sur 210[4].

Sur les terres soumises à la première culture, le rendement serait le même qu’auparavant, c’est-à-dire 50% ou 100 quarters de froment. Mais comme les profits généraux du capital se règlent sur ceux qu’on retire du placement agricole le moins avantageux, il s’établirait immédiatement une division dans les 100 quarters ; 43% ou 86 quarters iraient constituer le bénéfice du capital, et 7% ou 14 quarters formeraient la rente. Et cette division nous paraîtra irrécusable si nous considérons que le propriétaire du capital équivalant à 210 quarters de froment, obtiendrait précisément les mêmes bénéfices en cultivant les terres éloignées ou en payant aux premiers habitants une rente de 14 quarters.

Les profils sur tous les capitaux employés dans le commerce tomberaient à cette époque à 43%.

Si par le développement progressif de la population et de la richesse, il devenait nécessaire d’appliquer au même résultat une plus grande somme de produits agricoles, et d’y consacrer en raison de la distance, ou d’une fertilité inférieure, la valeur de 220 quarters de froment, les profits du capital descendraient, immédiatement à 36% ou à 80 sur 220 quarters ; la rente des premières terres s’élèverait à 28 quarters de froment et un fermage de 14% commencerait pour le second lot de terre cultivée.

Les profits sur tous les capitaux industriels et commerciaux tomberaient en même temps à 36%.

En mettant ainsi successivement en culture des terrains moins favorablement situés ou d’une qualité inférieure, on élèverait le taux du fermage sur les premières exploitations et on diminuerait proportionnellement les profits. De plus si la ténuité des profits ne mettait pas frein à l’accumulation, il serait ; presque impossible d’assigner des limites à l’accroissement du fermage et à la chute des profits.

Si, au lieu de diriger le capital sur une terre nouvelle et éloignée, on sollicitait les terres déjà en culture avec un fonds additionnel équivalant à 210 quarters de froment ; si en outre le rendement se trouvait être encore de 43% ou de 90 quarters sur 210, le produit de 50% donné par le capital primitif se fractionnerait de la même manière : 43% ou 86 quarters constitueraient le profit, et 14 quarters le fermage.

Si l’on ajoutait encore au fonds d’exploitation un supplément de 220 quarters, donnant collectivement le même résultat, le capital primitif fournirait une rente de 28 quarters ; le second une rente de 14, et les profits, sur l’ensemble de 630 quarters, s’élèveraient par analogie à 36%.

Supposons que la constitution de l’homme ait éprouvé de tels changements que ses besoins alimentaires soient devenus doubles de leur somme actuelle, et, par conséquent, supposons que les frais de culture aient reçu un très-grand accroissement, l’expérience et les capitaux d’une vieille société, consacres à l’exploitation des terrains vierges et fertiles d’un pays neuf, auraient à lutter contre toutes ces éventualités. Ils créeraient un produit net très-affaibli et maintiendraient par là les profits à un taux médiocre. Mais les progrès de la richesse, quoique lents, pourraient encore se poursuivre, et la rente daterait comme auparavant, du jour où l’on défricherait, des terres plus éloignées ou moins fécondes.

Les limites naturelles de la population se trouveraient nécessairement resserrées dans des proportions plus étroites et la rente ne s’élèverait jamais à là hauteur qu’elle peut atteindre aujourd’hui ; car la nature même des choses empêcherait d’exploiter les terres également pauvres ; et d’un autre côté il ne serait plus possible d’attendre de la même somme de capital consacré aux terrains supérieurs des profits proportionnels.

Le tableau suivant repose sur cette supposition que la première catégorie de terrains donne un profit de 100 quarters sur un capital de 200 quarters ; la seconde 90 quarters sur 210, conformément aux calculs précédents[5]. On y verra que pendant la période de développement, d’un pays, le produit général du sol suit une marche croissante. Pendant quelque temps cette portion du produit qui appartient aux profits du capital s’accroît parallèlement à celle qui constitue la rente.

Mais aux époques ultérieures chaque accumulation de capital, tout en permettant aux rentes de s’accroître uniformément, déterminera une diminution relative et absolue dans les profits. Le propriétaire du capital jouira nécessairement d’un revenu moindre quand il répartira 1350 quarters sur les différentes qualités de terres au lieu de


capital évalué en quarters de froment. Profit à tant pour cent. Produit net en quarters de froment obtenu après le prélèvement, sur chaque capital, des frais de production. Profits de la 1re classe de terres, en quarters de froment. Rente de la 1re classe de terres, en quarters de froment. Profits de la 2e classe de terres, en quarters de froment. Rente de la 2e classe de terres, en quarters de froment. Profits de la 3e classe de terres, en quarters de froment. Rente de la 3e classe de terres, en quarters de froment. Profits de la 4e classe de terres, en quarters de froment. Rente de la 4e classe de terres, en quarters de froment. Profits de la 5e classe de terres, en quarters de froment. Rente de la 5e classe de terres, en quarters de froment. Profits de la 6e classe de terres, en quarters de froment. Rente de la 6e classe de terres, en quarters de froment. Profits de la 7e classe de terres, en quarters de froment. Rente de la 7e classe de terres, en quarters de froment. Profits de la 8e classe de terres, en quarters de froment.
200 50 100 100 nul.
210 43 90 86 14 90 nul.
220 36 80 72 28 76 14 80 nul.
230 30 70 60 40 63 27 66 14 70 nul.
240 25 60 50 50 52 ½ 37 ½ 55 25 57 ½ 12 ½ 60 nul.
250 20 50 40 60 42 48 44 36 46 24 48 12 50 nul.
260 15 40 30 70 31 ½ 58 ½ 33 47 34 ½ 35 ½ 36 24 37 ½ 12 ½ 40 nul.
270 11 30 22 78 23 67 24 56 25.3 47.7 26.4 33.6 27 ½ 22 ½ 27.6 12.4 29.7
1100 quarters. Dans le premier cas ses bénéfices seront seulement en totalité de 270 : dans le second ils s’élèveront à 275. Enfin s’il employait 1610 quarters ses profits descendraient à 241 1/2[6].

Ce coup d’œil sur les effets de l’accumulation est éminemment curieux et n’a pas encore, je pense, été révélé.

Le tableau suivant démontrera que dans un pays en progrès, la rente ne s’accroît pas seulement d’une manière absolue ; mais encore relativement au capital d’exploitation. Ainsi quand ce capital s’élevait à 410, le propriétaire obtenait 3 et 1/2 % ; quand il atteignait 1100, 13 et un 1/4 %. Enfin quand il était de 1880, 16 et 1/2 %. Le propriétaire reçoit donc à la fore un produit et une part plus considérable.

La rente[7] est donc, en tous cas, une partie des, profits originellement obtenus sur le sol. Il ne constitue jamais un revenu nouveau, mais toujours une fraction du revenu déjà créé.

Les profits du capital ne fléchissent, d’ailleurs, qu’en raison de l’impossibilité où l’on se trouve de rencontrer des terres aussi bien préparées pour les cultures alimentaires ; et l’importance de cette baisse et de l’accroissement de la rente dépend exclusivement du surcroît de dépenses appliqué à la production.

C’est pourquoi, dans l’hypothèse où de nouvelles portions de terrains fertiles correspondraient immédiatement à l’augmentation du capital et viendraient s’ajouter au territoire des nations dans la période de leur développement en richesse et en population, c’est pourquoi, dis-je, les profits ne fléchiraient et les rentes ne hausseraient jamais[8].

Quand bien même le prix pécuniaire du blé et les salaires du travail ne subiraient aucune modification pendant la durée du développement en richesse et en population, on verrait diminuer les profits et grandir la rente ; car, pour obtenir sur des terres plus distantes ou moins fécondes la même quantité de matières premières, il faudra multiplier le nombre des travailleurs. On aura donc ainsi accru les frais d’exploitation, pendant que la valeur des produits sera restée la même.

Mais l’expérience universelle nous apprend que le prix du blé et de tous les autres produits naturels, s’élève constamment à mesure qu’une nation grandit en richesse et se trouve contrainte à solliciter de nouvelles terres pour leur faire produire une partie de ses subsistances. Une légère réflexion suffira pour nous convaincre en effet que telles doivent être naturellement les conséquences des phénomènes économiques de ce genre.

La valeur échangeable de toutes les marchandises s’accroît avec les difficultés de leur production. Si donc par l’effet d’un travail additionnel, devenu nécessaire, la production du blé se compliquait de nouvelles difficultés, tandis que pour produire l’or, l’argent ; le drap, la toile etc., il suffirait du travail primitif, la valeur échangeable du blé hausserait comparativement à ces articles. Au contraire, cette valeur diminuerait toutes les fois que des améliorations introduites dans la production du blé ou de toute autre espèce de marchandises permettrait d’obtenir le même résultat avec moins de travail[9]. Ainsi nous voyons que les perfectionnements introduits en agriculture ou dans les instruments aratoires abaissent la valeur échangeable du blé[10], que les perfectionnements, appliqués aux machines qui servent dans l’industrie du coton, diminuent la valeur échangeable des étoffes de coton ; qu’enfin des procédés minéralogiques plus avancés, ou la découverte de mines plus abondantes en métaux précieux abaissent la valeur de l’or et de l’argent, ou, ce qui revient au même, élèvent le prix de toutes les autres marchandises. Toutes les fois que la concurrence pourra prendre un libre essor et que la production ne sera pas limitée par les lois de la nature, comme dans le cas spécial de quelques vins, la valeur échangeable des marchandises se réglera en dernier ressort sur la difficulté ou la facilité de leur création[11]. Il semble, alors, que le seul effet du développement de la richesse sur les prix, indépendamment de tout perfectionnement agricole ou manufacturier, se réduit à élever le prix, des produits naturels et du travail, et à abaisser le taux général des profits à raison de l’accroissement des salaires, — laissant d’ailleurs toutes les autres marchandises à leur valeur première.

Ce fait a plus d’importance qu’on ne serait disposé à lui en accorder tout d’abord, car il touche aux intérêts du propriétaire et de toutes les classes de la société. Les conséquences de l’accumulation, en accroissant les difficultés de la production agricole, améliorent la situation du propriétaire sous deux formes distinctes : elles lui donnent une plus grande quantité de produits, et en outre elles augmentent la valeur échangeable de ces produits. Quand sa rente grandit de quatorze quarters à vingt-huit elle fait plus que doubler, parce qu’elle lui permet d’obtenir plus du double de la quantité des marchandises contre lesquelles il échange les vingt-huit quarters. Comme la rente est stipulée et acquittée en numéraire, il reçoit dans cette hypothèse plus de deux fois le montant primitif de sa rente pécuniaire.

Réciproquement, la rente venant à fléchir, le propriétaire aurait a subir deux pertes : il perdrait d’abord cette fraction des produits naturels qui constituait sa rente additionnelle ; puis, il supporterait la dépréciation de la valeur échangeable du produit brut ou de l’équivalent du produit brut avec lequel doit être acquittée la rente dont veut jouir.

Comme le revenu du fermier se traduit en produits naturels ou dans une quantité représentative de ces produits, il est aussi intéressé que le propriétaire à en voir augmenter la valeur échangeable ; mais un prix médiocre peut se compenser à ses yeux par de grandes quantités supplémentaires.

Il en résulte nécessairement que l’intérêt du propriétaire est constamment opposé à celui de toutes les autres classes de la société. Sa situation n’est, jamais plus florissante qu’aux époques où les subsistances sont rares et chères ; tandis que pour les autres membres de la famille humaine une nourriture à bas prix est un immense bienfait.

Si des rentes élevées et des profits minimes, — car ces deux termes sont inséparables et coexistants, — sont l’effet naturel de la marche des circonstances, on ne doit jamais en faire surgir des motifs de plaintes. Ils demeurent tous deux comme les preuves les plus irréfragables de richesse et de prospérité, et témoignent d’une population nombreuse, relativement à la fertilité du sol. Les profits généraux du capital reposent entièrement sur ceux de la dernière portion de capital consacrée à la terre. Dès lors, quand bien même les propriétaires abandonneraient la totalité de leurs fermages, ils ne parviendraient ni à élever le taux général des profits, ni à diminuer le prix du blé pour le consommateur. Cet abandon gratuit aurait pour unique effet, comme l’a dit M. Malthus, de procurer les loisirs du gentleman aux fermiers dont les terres acquittent aujourd’hui une rente ; il les mettrait à même de dépenser cette fraction du revenu général qui constitue aujourd’hui la part du propriétaire, et tout se réduirait à un déclassement.

La richesse d’une nation se mesure, non d’après l’abondance de son numéraire ou le haut prix pécuniaire pour lequel ses marchandises ont cours, mais bien d’après l’abondance des objets qui contribuent à son bien-être et à ses jouissances. Quoique cette proposition rencontre peu d’adversaires, il est beaucoup de personnes qui n’envisagent qu’avec effroi une diminution de leur revenu en argent, et cela dans le cas même où leur revenu ainsi réduit aurait assez grandi en valeur échangeable pour leur permettre d’accroître la satisfaction de ces besoins ou de ces superfluités qui accompagnent notre existence.

Si donc les principes que nous avons énoncés relativement à la rente et au profit sont exacts, les profits généraux du capital ne peuvent s’accroître qu’en raison d’une baisse dans la valeur échangeable des subsistances, et cette baisse elle-même ne peut résulter que de trois causes :

1o Une réduction des salaires réels du travail qui permette au fermier d’apporter sur le marché un excédant de produits plus considérable ;

2o Des perfectionnements introduits dans les méthodes agronomiques ou dans les instruments de culture, et tendant aussi à accroître cet excédant.

3o La découverte de nouveaux marchés d’où il soit possible d’exporter le blé à un prix inférieur au coût de la production indigène.

La première de ces causes agit d’une manière plus ou moins constante, suivant que le taux des salaires se rapproche plus ou moins de la rémunération légitime qui est nécessaire à la subsistance du travailleur.

Ces oscillations des salaires sont communes à toutes les périodes des sociétés ; elles les accompagnent à titre égal dans la phase stationnaire, ascensionnelle ou rétrograde. Dans la phase stationnaire elles se règlent entièrement sur l’accroissement ou la décadence de la population. Dans la phase progressive elles varient suivant que le capital ou la population se développe plus rapidement. Dans la troisième phase enfin, elles agissent suivant que le capital ou la population a déchu avec plus de rapidité.

Comme l’expérience démontre que tour à tour le capital et la population sont en avant du mouvement et que les salaires sont en conséquence alternativement élevés et exigus, il est impossible de rien statuer de positif sur la question des profits envisagés relativement aux salaires. Mais je pense qu’il est possible de prouver surabondamment que, dans toute société où la richesse et la population sont en voie de progrès, les profits généraux doivent fléchir indépendamment de l’influence des salaires, à moins toutefois que l’agriculture n’ait été enrichie dé quelques perfectionnements ou que l’on ne puisse importer du blé à un prix inférieur.

Ces conclusions semblent dériver nécessairement des principes que nous avons considérés comme réglant les mouvements de la rente. Cependant elles seront difficilement acceptées par ceux qui attribuent la marche des profits à l’extension du commerce et à la découverte de nouveaux marchés où nos marchandises trouvent des prix plus élevés, et où nous pouvons nous procurer à des conditions plus douces les denrées étrangères, — faisant ainsi abstraction totale de l’état de la terre et du taux des bénéfices obtenus sur les dernières portions de capital agricole. Rien n’est plus fréquent que d’entendre répéter que les profits de l’agriculture ne règlent pas plus les profits commerciaux, que ces derniers n’influent eux-mêmes sur les bénéfices agricoles. On soutient qu’ils dominent alternativement ; et si les profits du commerce s’élèvent effectivement, comme on le prétend, lors de la découverte de nouveaux marchés les profits de l’agriculture augmenteront aussi ; car il est admis que s’ils n’augmentaient pas on enlèverait le capital à la terre pour l’affecter aux opérations les plus avantageuses. Mais si les principes dont nous avons étayé la théorie, de la rente sont exacts, il est évident qu’au sein d’une population immobile, en face d’un capital agricole dont on n’a pas affaibli d’importance, il est évident, dis-je, que les profits de l’agriculture ne sauraient grandir ni la rente tomber. Il n’y a donc ici que deux opinions possibles : ou l’on soutiendra, — ce qui est en contradiction avec toutes les lois de l’Économie politique, — que les profits des fonds commerciaux peuvent s’accroître considérablement sans réagir sur le capital agricole, ou l’on décidera que dans de telles circonstances les profits du commerce doivent eux-mêmes rester immobiles[12].

Je me range de cette dernière opinion que je trouve d’accord avec la vérité. Je ne nie pas que le spéculateur qui, le premier, découvre un marché nouveau et plus favorable ne puisse recueillir pendant quelque temps et avant que la concurrence ne s’éveille, des bénéfices exceptionnels. Il pourra, en effet, vendre les marchandises qu’il exporte à des prix plus élevés que ceux pour qui le nouveau marché est inconnu, ou bien il pourra acheter les marchandises d’importation à dès conditions plus favorables. Tant que son industrie seule, ou jointe à celle de rares concurrents, exploitera ce champ commercial, ses profits pourront dépasser le niveau général des profits. Mais nous parlons ici du taux universel des profits, non des bénéfices de quelques individus, Et je ne doute pas que ces profits extraordinaires obtenus par un petit nombre de spéculateurs initiés à un commerce nouveau, loin d’élever le taux général, ne redescendent eux-mêmes au niveau habituel. En effet, à mesure que l’exercice de ce commerce s’étendra et sera mieux connu, l’abondance sans cesse croissante des marchandises étrangères et les facilités d’acquisition en feront baisser la valeur à un degré tel que la vente se fera au taux ordinaire de tous les bénéfices.

Ces conséquences sont analogues à celles qui résultent, à l’intérieur, de l’emploi d’agents mécaniques perfectionnés.

Tant que l’usage de ces machines est restreint à un seul manufacturier ou à un nombre très-limité de concurrents, ils peuvent en recueillir des profits exceptionnels ; parce qu’ils ont alors la faculté de vendre leurs marchandises à des prix très-supérieurs aux frais de production. Mais aussitôt que les machinés se répandent au sein de toute l’industrie, le prix du marché se rapproche des frais de production actuelle et ne donne plus que des profits modérés et habituels.

Pendant le cours du déplacement du capital d’une industrie à l’autre, les profits de celle vers laquelle il se dirige seront relativement élevés ; mais cette hausse cessera dès l’instant où les fonds nécessaires y auront été mis en œuvre. Le commerce ouvre aux peuples deux voies de richesse : — l’une par l’accroissement du taux général des profits ; accroissement qui, selon moi, ne peut avoir lieu qu’en vertu d’un approvisionnement à bas prix et qui ne profite qu’à ceux qui tirent un revenu de leurs capitaux, à titre de fermier, de manufacturier, de commerçant, ou de capitaliste prêtant à intérêt ; — l’autre, par l’abondance des marchandises et par une réduction de leur valeur d’échange à laquelle tous les membres de la société participent. Dans le premier cas, le revenu du pays a reçu un véritable accroissement ; dans le second, le même revenu se multiplie en procurant à tous une part plus large dès nécessités et du luxe de notre existence.

C’est sous ce dernier point de vue[13], que les nations sont appelées à recueillir des bienfaits de l’extension du commerce, de la division du travail dans les manufactures et de l’invention de puissantes machines. Tous ces phénomènes ajoutent à la masse des denrées et contribuent énergiquement à l’aisance et au, bonheur de l’humanité ; mais ils n’ont aucune influence sur le taux dés profits, car ils n’augmentent pas la quantité des produits relativement aux frais d’exploitation agricole, et il est impossible que les autres profits s’élèvent, si ceux de la terre demeurent stationnaires ou rétrogrades.

Le prix, ou plutôt la valeur des subsistances est donc le régulateur suprême des profits. Tout ce qui tend à faciliter la production alimentaire tend à élever le taux des profits, quelle que soit, d’ailleurs ? l’abondance ou la rareté ultérieure des marchandises. Au contraire, tout ce qui tend à augmenter les frais de production sans accroître en même temps la masse des subsistances[14], doit nécessairement abaisser le taux général des profits. Les possesseurs de capital retirent un double avantage des facilités apportées à la production des subsistances ; elles élèvent les profits et augmentent le montant des articles de consommation. Des facilités analogue dans tout autre genre d’exploitation ne feraient que multiplier les marchandises.

Si donc la faculté d’obtenir des subsistances à bas prix est d’une telle importance, et si l’importation libre tend à amener ce résultat en réduisant le prix des blés, il faut évidemment qu’on s’arme d’arguments irrésistibles propres à démontrer le danger d’une situation dans laquelle une partie de nos approvisionnements serait confiée aux étrangers ; Ces arguments, les seuls qu’on soit admis à invoquer dans cette question, sont effectivement nécessaires pour nous amener à restreindre les importations et à enchaîner, par conséquent, le capital dans une voie qu’il abandonnerait autrement pour se diriger vers des opérations plus avantageuses.

Si le pouvoir législatif se décidait à adopter un système définitif relativement au commerce des céréales ; si, au lieu de restreindre ou d’encourager l’importation suivant les oscillations des prix, il autorisait une liberté d’échanges perpétuelle, notre pays deviendrait indubitablement et régulièrement un pays importateur. Nous devrions ce caractère à la supériorité de notre richesse et de notre population, comparées à celles des nations voisines et à la fertilité de notre territoire. C’est seulement lorsqu’un pays est relativement riche, lorsque ses terres les plus fertiles déjà sollicitées par la culture la plus habile, il se trouve conduit à exploiter les terrains inférieurs pour puiser sa nourriture ; lorsqu’enfin il se trouve privé, dès l’origine, dé tous les avantages d’un sol fécond, c’est seulement alors que les importations de blé deviennent favorables[15].

À tant d’avantages qui accompagneraient dans la position spéciale de l’Angleterre, les importations étrangères, on ne peut opposer que les dangers d’un système qui ferait dépendre du dehors une majeure partie de nos subsistances.

Il est impossible d’apprécier exactement la portée de ces dangers, Ils dépendent des caprices de l’opinion et n’admettent point le calcul sévère auquel il est facile de soumettre les avantages contre lesquels on les invoque. On les réduit généralement à deux phénomènes. Ainsi : 1o dans le cas où la guerre éclaterait, une coalition de toutes les puissances continentales ou l’influence de notre principal ennemi, pourrait suffire à arrêter nos approvisionnements ordinaires ; 2o lors dés mauvaises récoltes au dehors, les pays d’exploitation auraient le pouvoir de retenir le contingent ordinaire de nos subsistances, et ils exerceraient infailliblement ce droit dans le but de combler le déficit de leurs propres approvisionnements[16].

Si notre pays se classait régulièrement parmi les pays d’importation, et si les étrangers pouvaient avoir confiance dans les demandes de notre marché, on les verrait immédiatement accroître la culture de leurs terres à blé, et cela, en vue d’une exportation nouvelle. Lorsque nous évaluons le chiffre auquel se monte, pendant quelques semaines seulement, la consommation de l’Angleterre en céréales, nous demeurons convaincus que dans le cas où le continent serait appelé à nous fournir une grande partie de cette consommation, la moindre interruption apportée au mouvement des exportations engendrerait le plus vaste et le plus terrible désastre commercial. Ce désastre, il n’est aucun souverain, ni aucune coalition de souverains qui voulussent le provoquer, et si, d’ailleurs, les rois osaient décréter de telles mesures, tous les peuples se lèveraient pour protester. L’effort que tenta Bonaparte pour arrêter l’exportation des produits naturels de la Russie, contribua plus que toute autre cause à provoquer les efforts merveilleux que cette nation sut opposer à la puissance la plus colossale qu’on ait peut être organisée contre un peuple.

Il serait impossible de déplacer immédiatement l’énorme capital engagé dans la terre sans occasionner des pertes immenses et proportionnelles. De plus, l’encombrement des marchés extérieurs, qui, en réagissant sur leur approvisionnement total, abaisserait à l’infini la valeur du blé ; l’absence de ces retours, qui sont si essentiels dans les combinaisons commerciales, se réuniraient pour offrir le spectacle d’une ruine partout envahissante. Et s’il arrivait qu’un pays résistât à ces terribles catastrophes, croit-on qu’il lui resterait assez de force pour conduire la guerre avec succès ? Nous avons tous été témoins des misères de notre pays ; nous avons tous connu les malheurs plus grands encore qui ont affligé l’Irlande, à la suite d’une baisse dans le prix du blé, à l’époque même où il est avéré que notre propre récolte était insuffisante, où l’importation a été déterminée par l’état des prix, et où nous n’axons ressenti aucun des effets de l’encombrement ; — quelle n’eut pas été la grandeur du désastre, si le taux du blé était descendu à une 1/2 l. ster. le quarter, ou au huitième du prix actuel ; car les effets de l’abondance ou de la disette sur le prix du blé obéissent à une proportion infiniment plus rapide que le simple rapport de l’accroissement ou de la diminution en quantité. Voilà donc les inconvénients qu’auraient à subir les pays d’exportation.

Les nôtres ne seraient certes pas légers. J’avoue qu’une diminution considérable dans nos approvisionnements ordinaires, se montant probablement au huitième de la consommation générale, serait un désordre d’une immense portée. Mais nous avons déjà obtenu du dehors un contingent semblable à une époque même où la culture n’y était ni stimulée ; ni régularisée par notre marché. Nous savons tous l’efficacité prodigieuse que des prix élevés ont sur la quotité de l’offre. Personne ne doutera, je pense, que nous ne puissions tirer un approvisionnement considérable de ces pays avec lesquels nos relations seront toutes pacifiques. Et cet approvisionnement, joint à un emploi économique de nos propres ressources et à la quantité de blé en réserve[17], suffirait à nos besoins jusqu’au moment où nous aurions consacré à notre territoire et à une production future, le capital et le travail nécessaire. Je n’hésite pas à reconnaître que ces perturbations seraient fatales ; mais d’un autre côté je suis persuadé que nous ne serons jamais réduits à de telles alternatives et, qu’en dépit de la guerre, les pays étrangers persisteront à verser sur nos marchés le blé qu’ils ont cultivé pour notre consommation. À l’époque où l’inimitié de Bonaparte était à son comble, où tout commerce était prohibé et où une mauvaise récolte avait renchéri nos prix, il permit d’exporter du blé en Angleterre et distribua des licences à cet effet. D’ailleurs de tels événements n’éclatent pas tout à coup, un danger aussi terrible s’annonce toujours par des pressentiments et on saurait lui opposer de puissantes précautions. Serait-il donc sage de créer des lois entièrement destinées à prévenir des maux qui peut-être n’éclateront jamais ? Serait-il sage de dévorer annuellement un revenu de quelques millions dans le but de conjurer des désastres hypothétiques,

Lorsqu’il étudie un commerce de céréales, dégagé de toutes restrictions et alimenté en conséquence par les approvisionnements de la France et des autres pays où le prix du blé, sur le marché, ne s’élève pas beaucoup au-dessus de celui auquel nous pouvons l’obtenir sur quelques-unes de nos terres les plus pauvres ; lorsque, dis-je, il étudie ce phénomène commercial, M. Malthus ne tient pas assez compte de la quantité supplémentaire qu’on créerait au dehors, si notre pays adoptait, comme situation normale, un système fixe d’importations. Certes, si tous les pays à blé pouvaient s’en fier aux marchés de l’Angleterre pour des demandes régulières ; s’ils étaient assurés contre les oscillations perpétuelles de notre législation alimentaire, qui se traduisent alternativement par des bonifications, des restrictions ou des prohibitions, nul doute que la culture générale ne se multipliât largement, et que les dangers d’un approvisionnement insuffisant, déterminé par de mauvaises saisons, ne devinssent moins probables. Des pays qui n’ont jamais contribué à notre approvisionnement pourraient, sur la foi d’une législation immuable, diriger sur nos marchés de vastes exportations.

C’est précisément à de telles époques que l’intérêt des nations étrangères serait plus particulièrement attaché à satisfaire nos demandes. Car la valeur échangeable du blé ne grandit pas seulement en proportion de l’insuffisance de l’offre, mais deux, trois, quatre fois plus rapidement, suivant l’importance de la disette. Si la consommation de l’Angleterre est dé 10 millions de quarters vendus, année moyenne, au prix de 40 millions, en numéraire, et si l’approvisionnement se trouve diminué d’un 1/4, les 7 millions 500 mille quarters ne se vendront pas seulement 40 millions, mais probablement 50 millions et plus. Il en résulte que dans tous les cas de mauvaises récoltes, les pays cultivateurs se contenteront de la plus petite quantité de produits alimentaires, et profiteront des prix élevés de l’Angleterre pour écouler la masse entière du blé ravi à la consommation ; car le prix du blé s’accroît non seulement par rapport à la monnaie, mais encore par rapport aux autres denrées., Si les producteurs de céréales suivaient une autre marche, ils se placeraient, quant à la richesse, dans une situation bien inférieure à celle où ils se trouveraient, s’ils avaient constamment limité la culture du blé aux besoins de leur propre nation.

S’ils ont consacré un capital de 100 millions à la production nécessaire pour leur propre subsistance, et 25 millions de plus à celle du contingent d’exportation, ils perdront dans l’année de disette le revenu total de ces 20 millions ; et cette perte ils ne l’eussent pas supportée s’ils n’avaient pris le rôle d’exportateurs.

Quelle que soit l’importance des restrictions imposées à leurs exportations par les pays étrangers, la hausse dans le prix des blés s’y arrêterait toujours en raison de la quantité supplémentaire de céréales produite en vue de notre marché.

Quant à la production du blé, et en » prenant un seul pays pour point d’observation, on a remarqué que si les récoltes sont mauvaises dans un district, elles sont généralement abondantes dans un autre, et que si les saisons ont été fatales à un sol ou à une localité, elles ont été favorables à une localité et à un sol différents. C’est ainsi que la Providence, exerçant son pouvoir régulateur, nous a généreusement protégés contre le retour fréquent des famines. Si cette observation est juste, appliquée à un pays, quelle puissance n’acquiert-elle pas si on l’étend à l’ensemble des pays qui composent notre monde ? L’abondance d’un pays ne viendra-t-elle pas toujours suppléer à la disette qui afflige d’autres points : et après l’expérience personnelle qui nous démontre l’influence fécondante des prix élevés sur la masse des approvisionnements, nous est-il permis de croire aux dangers qui nous menaceraient, si nous laissions aux importations le soin de nous fournir le blé nécessaire à notre consommation de quelques semaines ?

Tous les documents, que j’ai consultés tendent à établir que le prix du blé en Hollande, c’est-à-dire dans un pays dont l’approvisionne ment dépend presqu’entièrement des marchés étrangers, a été d’une fixité remarquable, et cela au milieu des convulsions qui ont dernièrement agité l’Europe. Malgré l’exiguité de ce pays, un tel phénomène prouve que l’effet des mauvaises saisons ne frappe pas exclusivement les pays importateurs.

Je reconnais que l’agriculture a été enrichie de nombreux perfectionnements et que de grands capitaux ont été consacrés à la culture du sol ; mais tant d’efforts et de perfectionnements n’ont pu vaincre les complications naturelles qui résultent pour nous d’une richesse et d’une prospérité en progrès, et qui nous obligeront à cultiver à perte nos terres inférieures si l’on restreint ou si l’on prohibe l’importation du blé. Si, dégagés des entraves de la législation, nous étions livrés à nous-mêmes, nous enlèverions de la culture de ces terrains arides les capitaux qui y sont engagés, et nous demanderions à l’importation la masse de produits qu’ils nous donnent aujourd’hui. Le capital ainsi mobilisé serait consacré à la fabrication des marchandises qui pourraient être exportées en échange du blé.

Cette nouvelle distribution d’une partie du capital national devrait offrir plus d’avantages sous peine d’être immédiatement rejetée. Ce principe figure au premier rang parmi ceux qui consolident la science de l’économie politique, et personne ne l’a admis avec plus d’ardeur que M. Malthus. Il constituera base de tous les argumens qu’il émet dans ses Observations sur les lois des céréales, quand il balance les avantages et les désavantages inhérents à un commerce de blé complètement libre.

Dans quelques parties de sa dernière publication, il insiste cependant avec une très-grande sollicitude sur la déperdition de capital agricole que le pays aurait à supporter dans l’hypothèse d’une libre importation ; il déplore la perte de celui que la marche des événements a rendu stérile et dont l’emploi est pour nous aujourd’hui une charge onéreuse. On eût pu nous dire avec autant de raison, au moment où les machines à vapeur et le métier à coton d’Arkioughir atteignirent leur perfection relative, qu’il fallait les proscrire, parce qu’ils devaient nous faire perdre la valeur de nos machines vieillies et barbares. Nul doute que les fermiers des terrains les plus pauvres n’éprouvent des pertes réelles ; mais la nation, en général, y trouverait un bénéfice bien supérieur au montant de leurs pertes. Et dès que le transport du capital agricole aux manufactures aurait été opéré, les fermiers comme toutes les autres classes de la société, à l’exception des propriétaires, verraient s’accroitre leurs profits dans des proportions très-considérables. Il serait pourtant à désirer que l’on protégeât les fermiers contre les perturbations de la valeur des monnaies. En effet, placés comme ils le sont sous le poids de baux stipulés en argent, ils supporteraient inévitablement les pertes résultant du bas prix des blés comparé au taux pécuniaire de leurs contrats.

L’existence, même temporaire, d’un haut prix pour les blés imposerait à la nation des sacrifices bien supérieurs aux bénéfices que les fermiers pourraient en recueillir ; mais il serait juste cependant d’établir pendant quelques années des droits restrictifs sur l’importation des céréales. On déclarerait qu’au bout de ce temps le commerce du blé serait libre, et que les quantités importées seraient soumises seulement à un droit égal à celui que l’on pourrait juger convenable d’imposer au blé de notre propre territoire[18].

M. Malthus est évidemment dans le vrai quand il dit : « Si seulement l’on étendait au loin les brillantes méthodes appliquées actuellement à la culture de quelques parties de la Grande-Bretagne ; si par une accumulation progressive et par une distribution plus équitable du capital et de l’art, on ramenait toute la surface du pays aux avantages naturels du soi et de sa situation topographique, la masse des produits supplémentaires serait immense et suffirait pour alimenter un très-grand surcroît de population.

Cette réflexion est vraie et, de plus, éminemment consolante. Elle montre que nos ressources sont loin d’être épuisées et que nous pouvons prétendre a un développement de prospérité et de richesse bien supérieur à celui de tous les peuples qui nous ont précédés. Mais ces résultats peuvent se réaliser également dans un système d’importation et dans un système de restriction. La seule différence éclatera dans la rapidité de leur marche, et rien ne s’oppose à ce que nous profitions, à chaque phase de notre vie nationale, de l’ensemble des avantages qui nous sont offerts ; rien ne s’oppose à ce que nous utilisions notre capital de manière à nous assurer les plus riches résultats. M. Malthus a, comme je l’ai déjà dit, comparé la terre à une grande réunion de machines susceptibles à la fois d’être incessamment perfectionnées par les efforts directs du capital, et cependant caractérisés par des qualités et des forces diverses. Serait-il sage alors d’employer à un très-haut prix quelques-unes des plus mauvaises machines, tandis qu’à moins de frais nous pouvons louer les meilleures chez nos voisins ?

M. Malthus croit que le bas prix pécuniaire du blé ne serait pas avantageux aux classes pauvres de la société, parce que la valeur échangeable réelle du travail, c’est-à-dire le pouvoir qu’il a d’acheter les nécessités, le bien-être, le luxe de l’existence, serait, non pas augmentée, mais diminuée par cette modicité de prix. Quelques-unes de ses observations à ce sujet sont évidemment d’un grand poids ; mais il n’évalue pas assez haut les conséquences d’une meilleure distribution du capital national sur le sort des classes inférieures. Cette répartition nouvelle leur serait favorable en ce qu’elle permettrait au même capital d’employer plus de bras ; de plus, des profits additionnels conduiraient à une accumulation additionnelle, et la population recevrait ainsi de ces hauts salaires un stimulant énergique, qui ne tarderait pas à améliorer la condition des travailleurs.

Les conséquences de ces événements sur les intérêts des classes laborieuses ressembleraient à celles que produisent des perfectionnements mécaniques, dont on ne nie plus de nos jours la tendance à élever les salaires réels du travail.

M. Malthus dit encore « que, de toutes les classes commerciales et manufacturières, celles directement engagées dans les opérations extérieures sont les seules qui puissent profiter du système des importations libres. »

Si le coup d’œil que nous avons jeté sur la rente est exact ; si elle s’élève à mesure que les profits généraux baissent, pour fléchir au moment où ils augmentent ; enfin, si, comme la admis et habilement démontré M. Malthus, l’effet immédiat des importations est d’abaisser la rente, tous ceux qui prennent part au commerce, tous les capitalistes, qu’ils soient fermiers, manufacturiers, ou commerçants, recevront une grande augmentation de profits. Joute baisse produite dans le prix du blé par des perfectionnements agricoles ou par des importations affaiblira la valeur échangeable du blé, sans réagir sur le prix des autres marchandises. Si donc le prix du travail tombe, comme il doit nécessairement le faire quand le prix du blé diminue, les profits de toute nature devront grandir, et personne n’est plus appelé que les classes manufacturières et commerciales à recueillir les bénéfices de ces mouvements économiques.

Si la chute de la rente, en diminuant les ressources des propriétaires, diminue aussi la demande de marchandises nationales, celle-ci s’accroît d’un autre côté dans une proportion bien plus considérable, en raison de l’opulence ascendante des classes commerciales.

Je suis loin de croire que des restrictions imposées à l’importation du blé puissent nous enlever une partie de notre commerce extérieur, et sur ce point je suis d’accord avec M. Malthus. Mais ce commerce prendrait un immense développement dans l’hypothèse de libres opérations ; et, d’ailleurs, la question n’est pas de savoir si nous pourrions conserver à notre commerce extérieur toute son importance, mais bien si, dans les deux cas, nous en retirerions des bénéfices égaux.

La liberté commerciale et le bas prix des blés n’augmenteraient ni ne réduiraient la valeur de nos marchandises au dehors ; mais le prix de revient pour nos manufactures serait bien différent dans le cas où le taux du blé, au lieu de s’élever à 80 shillings le quarter, descendrait à 60 shillings. Conséquemment les profits s’accroîtraient de toutes les sommes épargnées dans la production des marchandises exportées.

M. Malthus produit une observation qui déjà avait été faite par Hume, c’est-à-dire que le renchérissement des prix exerce une influence magique sur la marche de l’industrie : il en conclut que les effets de toute baisse doivent être radicalement contraires et désastreux. On a constamment envisagé l’accroissement des prix comme un contre-poids destiné à combattre avantageusement le cortège des désordres qui résultent de toute dépréciation survenue dans la monnaie, soit par une chute réelle dans la valeur des métaux précieux, soit par la surélévation arbitraire des dénominations numéraires, soit enfin, par des émissions exagérées de papier monnaie. Dans toutes ces circonstances on l’a considéré comme favorable, parce qu’il améliore la situation des classes commerciales aux dépens de ceux qui jouissent de revenus fixes, et parce que c’est principalement au sein de ces classes que s’accumulent les grands capitaux, que se développe le travail productif.

Le retour vers un système monétaire plus régulier, retour si désirable, tendrait à paralyser momentanément l’accumulation et le travail, en blessant les intérêts de la portion industrieuse de la nation : or, ajoute-t-on, c’est là l’effet d’une baisse dans les prix. M. Malthus suppose qu’une réduction dans la valeur des céréales produirait les mêmes effets. Quand bien même l’observation de Fume serait fondée en principe, on n’aurait aucun droit à l’appliquer ici, car les produits que le manufacturier aurait à vendre resteraient au même prix. L’avilissement de la valeur atteindrait seulement les objets qu’il doit acheter, nommément le blé et le travail, et servirait aussi à multiplier ses profits. Je dois redire ici, qu’une hausse dans la valeur de la monnaie abaisse le prix de toutes choses ; tandis qu’une baisse dans le prix du blé réduit seulement les salaires du travail, et par cela même, élève le taux des profits.

Si donc la prospérité de la classe commerciale conduit inévitablement à l’accumulation des capitaux et aux progrès des industries fécondes, on doit se rallier à une baisse dans les prix des blés comme au moyen le plus sûr pour atteindre ce résultat[19].

Je ne saurais approuver comme M. Malthus cette opinion d’Adam Smith, « qu’à quantités égales, le travail productif consacré aux manufactures ne peut jamais donner des résultats aussi beaux qu’en agriculture. » Je suppose qu’il a laissé échapper ce mot de jamais, qui ramènerait ici son opinion à la doctrine des économistes plutôt qu’à ses théories personnelles ; car il a établi, et selon moi très-exactement, qu’au début d’une nouvelle nation, et dans toutes les phases de son développement ultérieur il est une portion des capitaux agricoles, dont l’emploi est simplement destiné à produire les profits ordinaires du capital, et dont on ne retire aucune rente. Il est positif que le travail, appliqué à de telles terres, ne sera jamais aussi fécond que le même travail engagé dans l’industrie manufacturière.

La différence n’est pas grande au fond, et nous en ferons volontiers abstraction en raison de la sécurité, de la considération qui accompagnent les capitaux consacrés à l’agriculture ; mais dans l’enfance des sociétés, à cette époque de leur existence où la rente n’existe pas encore, le produit des capitaux engagés dans l’industrie et dans les instruments de culture n’égale-t-il pas au moins le quantum reproductif des fonds consacrés aux exploitations agricoles ?

Cette opinion diffère cependant des doctrines générales que M. Malthus a Si habilement fondées dans un dernier écrit et dans toutes ses autres publications. Dans ses Recherches, en parlant de ce que je considère comme analogue à l’opinion d’Adam Smith, il dit : « Je ne puis cependant pas reconnaître avec lui que toute terre sur laquelle on recueille des subsistances doive nécessairement produire un fermage. Les terrains que le progrès des civilisations tend à faire exploiter successivement peuvent suffire à ne payer que les profits et le travail. Un profit convenable sur l’ensemble des capitaux engagés, y compris nécessairement les salaires du travail, sera toujours un appât suffisant pour les cultivateurs. » Les mêmes motifs conduiront quelques individus à fabriquer des marchandises, et ces deux natures de profits seront, à des époques analogues de la vie sociale, ramenées à un taux à peu près équivalent.

J’ai eu souvent occasion de constater dans le cours de ces déductions que la rente ne tombe jamais sans déterminer une hausse immédiate dans les profits du capital. S’il nous plaît aujourd’hui d’importer le blé plutôt que de le récolter à l’intérieur, nous n’aurons obéi qu’à une seule influence, l’attrait d’un prix plus favorable. Si nous réalisons effectivement ces importations, la dernière portion de capital appliquée au sol, et improductive de rente, sera mobilisée. La rente baissera, les profits s’élèveront et une autre fraction du capital agricole se substituera à celle-ci pour ne produire que les profits habituels du capital.

Si l’on peut importer le blé à un taux moins élevé que celui auquel nous le livrerait l’exploitation d’un second terrain déjà plus fertile, la rente descendra encore, les profits s’élèveront, et une nouvelle terre d’une catégorie supérieure sera mise en culture pour ne produire exclusivement que des profits. À chaque phase de notre développement social des profits du capital croîtront, la rente baissera et de nouvelles terres seront abandonnées. Le pays jouira ainsi de toute la différence entre le prix de revient du blé à l’intérieur et le prix auquel on peut l’introduire, et cette différence sera prélevée sur l’ensemble des importations.

M. Malthus a exposé avec la plus grande habileté l’effet du bas prix des céréales sur ceux qui contribuent à servir l’intérêt de notre énorme dette. J’adopte complètement un grand nombre de ses conclusions à ce sujet. Une réduction majeure dans le prix du blé donnerait certainement une puissante impulsion à la richesse de l’Angleterre, mais la valeur monétaire de cette richesse serait diminuée. Elle serait diminuée, dis je, de toute la différence introduite dans la valeur pécuniaire du blé consommé ; elle s’accroîtrait, au contraire, de l’excédant de valeur échangeable acquis par l’ensemble des marchandises qu’on exporterait contre les céréales. Il y aurait toutefois inégalité sensible entre le dernier phénomène et le premier, et la valeur monétaire de nos marchandises tomberait inévitablement dans une grande proportion.

Mais cette diminution réelle dans la valeur de toutes nos marchandises ne prouve en aucune manière que notre revenu annuel doive fléchir au même degré. Les partisans de l’importation basent la supériorité de cette opinion sur la certitude où ils sont que le revenu ne subirait pas une telle réduction ; et comme les taxes s’acquittent au moyen de notre revenu, il en résulte qu’en réalité le fardeau ne serait pas aggravé.

Supposons que le revenu d’un pays descende de 10 à 9 millions à une époque où la valeur de la monnaie aura été altérée dans le rapport de 10 à 8. Un tel pays jouirait d’un revenu net plus considérable après avoir payé un million sur la somme la puis petite, qu’après l’avoir prélevé sur la somme la plus considérable.

Il est positif encore que le détenteur de fonds publics recevrait une valeur réelle, supérieure aux termes des conventions stipulées, pour les emprunts des dernières années ; mais comme ils contribuent aussi très-largement aux charges, publiques, et par conséquent au paiement des intérêts qu’ils reçoivent, ils supporteraient en dernier ressort une portion assez importante des contributions. Et si nous évaluons rigoureusement la valeur des profits additionnels répartis aux classes commerciales, nous reconnaîtrons qu’en dépit d’une augmentation d’impôt elles gagnent encore à ces mouvements économiques.

Quant au propriétaire, seul il en souffrirait, car il devrait payer davantage non-seulement sans compensation immédiate et proportionnelle, mais encore avec une rente affaiblie.

Les créanciers de l’État et ceux qui vivent de revenus fixes pourront objecter légitimement que le poids de la guerre s’est surtout appesanti sur eux. La valeur de leur revenu s’est en effet affaiblie en-raison du renchérissement des blés et d’une dépréciation de papier-monnaie survenue à une époque où l’avilissement des fonds publics avait fortement diminué la valeur de leur capital. Ils ont eu gravement à souffrir aussi des récentes violations du fonds d’amortissement, violations qui constituent la plus criante injustice, et qu’on menace d’étendre au mépris des engagements les plus solennels. Le fonds d’amortissement entre en effet dans les termes du contrat comme le service des dividendes, et c’est méconnaître complètement les vrais principes que d’en faire une source de revenus. C’est dans l’extension de ce capital que nous devons placer les moyens de soutenir les guerres futures, à moins cependant que nous ne soyons préparés à abandonner le système entier des dettes fondées. Attenter au fonds d’amortissement, c’est obtenir un secours passager par le sacrifice d’avantages futurs considérables, c’est renverser de fond en comble le système conçu par M. Pitt lorsqu’il créa ce fonds spécial. Il agit alors avec la persuasion qu’un léger sacrifice actuel devrait conduire à d’immenses résultats pour l’avenir. Nous avons été témoins des bienfaits provoqués par sa détermination inflexible de ne jamais porter atteinte au fonds d’amortissement. Au milieu même de notre plus grande détresse financière, à une époque où le 3% était descendu à 48, nous l’avons vu obéir à cette loi souveraine, et nous ne saurions, je pense, hésiter à croire qu’il n’eût pas appuyé les mesures qui ont été adoptées.

Pour reprendre cependant mon sujet, je terminerai en disant quels seraient mes regrets si l’on accordait à des considérations particulières, pour telle pu telle classe, le droit d’arrêter le développement de notre richesse et de notre population. Si les intérêts des propriétaires ont assez d’importance pour nous déterminer à rejeter tous les bénéfices qui découlent de l’importation des céréales à bas prix, ils doivent aussi nous conduire à proscrire tous les perfectionnements qu’on pourrait appliquer à l’agriculture et aux instruments aratoires ; car il est clair que, pendant un certain temps, ces améliorations contribueront aussi puissamment que l’introduction des céréales à abaisser le taux des rentes et le prix du blé, et à diminuer les ressources avec lesquelles le propriétaire doit acquitter les impôts. Pour être conséquents alors, il nous faut prohiber d’une main les importations et proscrire de l’autre tout progrès.


  1. Je me range complètement de l’opinion émise par M. Rossi quant au mot de fermage. Il le trouve impropre, et il est dans le vrai : car, dans une discussion théorique sur le profit foncier, il faut envisager ce profit dans son acception générale de revenu, et non dans l’acception spéciale, qui est la répartition ultérieure entre le propriétaire et le cultivateur-Fermier.
    (A. F.)
  2. M. Malthus envisage l’excédant de produit déterminé par une diminution de salaires ou par des perfectionnements agricoles, comme une des causes qui élèvent la rente. Selon moi, il n’a pour effet que d’augmenter les profits.

    « L’accumulation constante du capital, poussée au delà du nombre des terres » douées de la plus grande fertilité ou de la plus belle position, doit nécessairement abaisser les profits ; d’un autre côté, la tendance qu’a la population à s’accroître au delà des moyens de subsistance, doit, au bout d’un certain temps, réduire les salaires du travail. »

    « Le coût de la production diminuera donc, mais la valeur du produit, c’est-à-dire la quantité de travail et de toutes les autres créations du travail, outre le blé, qu’elle peut acquitter, s’élèvera, infailliblement, au lieu de diminuer. »

    Un plus grand nombre d’individus réclamera des subsistances et sera prêt a à offrir ses services pour tous les genres de travail. L’intensité de la demande réagira immédiatement sur la valeur échangeable du blé, valeur qui dépassera le prix de revient et comprendra les profits du capital agricole, évalués d’après le taux général dès profits à cette époque. L’excédant ci-dessus constitue la rente. » (Recherches sur la nature et le progrès de la rente)

    En parlant de la Pologne, page 19, il considère aussi le bas prix des salaires comme un des éléments de la rente. À la page 22 il est dit que toute baisse dans les salaires, dans le nombre des travailleurs et toute réduction déterminée par des améliorations agricoles, tendent à élever le taux de la rente.

  3. Je ne prétends pas que le taux des profits agricoles et manufacturiers sera rigoureusement le même, mais que ceux-ci seront vis-à-vis l’un de l’autre dans de certaines proportions. Adam Smith a expliqué pourquoi les profits varient suivant qu’on a appliqué les capitaux dans de certaines entreprises, différentes par leur degré de sécurité, de propreté, de notabilité, etc., etc.

    La détermination de ce rapport importe fort peu à mon argument ; car j’ai voulu seulement prouver que les profits du capital agricole ne peuvent varier d’une manière sensible sans déterminer une variation correspondante dans ceux des capitaux engagés dans l’industrie et le commerce.

  4. Les bénéfices du capital diminuent par cela seul que l’on ne saurait rencontrer des terres également fertiles et que dans tout le cours des sociétés les profits se règlent sur la facilité ou la difficulté d’obtenir les subsistances. Ce principe, d’une si haute importance, a été presqu’entièrement négligé dans les écrits des économistes. Ils semblent croire que les profits du capital peuvent croître sous l’influence de causes commerciales, indépendamment de l’approvisionnement alimentaire.
  5. Il est à peine nécessaire de faire observer que les données sur lesquelles se fonde cette table sont supposées et s’écartent probablement beaucoup de la vérité. Elles ont été choisies comme tendant à sanctionner un principe qui resterait le même, soit que les premiers profits atteignissent 50% ou 5%, soit qu’un capital additionnel de dix quarters ou de cent devînt nécessaire pour obtenir, des terres nouvellement exploitées, le même produit. À mesure que le capital consacré à la terre augmentera sous la forme de capital engagé, pour diminuer sous celle de capital circulant, les progrès de la rente et la décadence de la propriété se ralentiront.
  6. Tel serait l’effet d’une accumulation constante de capitaux dans un pays qui prohiberait à l’exportation les blés moins chers de l’étranger. Mais aussitôt que les profits seraient descendus à une certaine limite, l’accumulation s’arrêterait d’elle-même et l’on exporterait le capital pour l’utiliser dans les pays où la nourriture est à bas prix et les profits élevés. Toutes les colonies européennes, créées avec les capitaux de leurs mères-patries ont arrêté ainsi l’accumulation. De même cette partie de la population qui s’est dévouée au commerce extérieur se nourrit avec les blés étrangers.

    Il est indubitable que des profits inférieurs, résultat inévitable d’une cherté réelle dans le blé, tendent à entraîner le capital au dehors. Cette considération devrait, dès lors, être un argument puissant pour nous conduire à lever toutes les prohibitions.

  7. Par le mot de rente je désigne constamment la redevance payée au propriétaire pour en obtenir le droit d’user de la puissance productive naturelle et inhérente à la terre. Que le propriétaire ait engagé son capital sur sa propre terre ou qu’un tenancier précédent y ait laissé ses fonds incorporés à l’expiration du bail, il pourra obtenir ce qu’on appelle, en réalité, une plus grande rente ; mais il entre toujours dans cette somme une quotité distincte qui représente évidemment l’intérêt du capital. L’autre partie, seule, sert à payer le loyer de la puissance naturelle du sol.
  8. À moins, comme je l’ai déjà remarqué, que les salaires du travail n’aient augmenté ou qu’on n’ait adopté un système d’agriculture plus vicieux.
  9. Des perfectionnements agricoles qui détermineraient une baisse dans le prix du blé, seraient un stimulant pour la population ; et, par suite, en accroissant les profits et favorisant l’accumulation, ils relèveraient encore le prix du blé et affaibliraient les profits. Mais il se peut qu’une population plus abondante subsiste avec les mêmes conditions de prix, de profits et de rentes : on attribuerait alors à ces améliorations agronomiques le pouvoir d’augmenter les profits et d’abaisser momentanément le taux de la rente.
  10. Les causes qui tendent à rendre plus difficile la production d’une quantité additionnelle de blé ; agissent incessamment au sein des pays qui sont en progrès, tandis que des améliorations importantes en agriculture ou dans les instruments aratoires, se succèdent plus rarement. Si ces causes contraires agissaient avec même intensité, le prix du blé ne serait exposé qu’à des variations accidentelle, provenant de mauvaises saisons, de salaires affaiblis ou accrus, d’altérations sur venues dans la valeur des métaux précieux par suite de leur abondance ou de leur rareté.
  11. Quoique les prix se règlent définitivement sur les frais de production, y compris les profits généraux du capital, et tendent constamment vers ce criterium les marchandises sont soumises, et le blé, plus que toutes les autres peut-être, à des prix exceptionnels dérivant de causes temporaires.
  12. M. Malthus me fournit ici une heureuse confirmation. Il a comparé avec justesse « le sol à la réunion d’un très-grand nombre de machines, toutes susceptibles de perfectionnements continuels par le capital qu’on y consacre, mais cependant toutes caractérisées par une puissance et des qualités diverses. » Je demanderai alors comment les profits peuvent s’élever quand nous sommes obligés de mettre en œuvre celle des machines dont la puissance et les qualités sont les moins parfaites. Nous ne pouvons refuser de remployer, car elle est la condition sine quâ non pour obtenir les subsistances nécessaires à la population, subsistances dont nous n’avons pas supposé que la demande eût diminué. Et qui donc consentirait à l’utiliser s’il pouvait recueillir ailleurs de plus grands bénéfices ?
  13. Excepté lorsque le développement du commerce nous permet d’obtenir les subsistances à des prix véritablement plus modérés.
  14. Si, par l’effet du commerce extérieur ou de l’invention des machines, le prix des marchandises consommées par l’ouvrier subissait une baisse, les salaires diminueraient ; et cette circonstance, ainsi que nous l’avons déjà observé, élèverait les bénéfices du fermier, et, par cela même, le taux de tous les autres profits.
  15. Ce principe a été supérieurement établi par M. Malthus dans ses Recherches, etc.
  16. C’est sur cette dernière opinion que M. Malthus insiste principalement dans sa dernière publication : Bases d’une opinion, etc.
  17. Comme Londres devrait être un entrepôt pour les blés étrangers, cette réserve pourrait atteindre un chiffre élevé.
  18. Je ne partage aucunement la doctrine d’Adam Smith, ou de M. Malthus relativement à l’effet des impôts établis sur les denrées nécessaires à la vie. Le premier ne trouve pas de termes assez énergiques pour les caractériser ; M. Malthus est plus indulgent. Tous deux pensent que ces taxes tendent beaucoup plus rigoureusement que les autres à diminuer le capital et la production. Je ne prétends pas y voir le beau idéal des taxes : mais je ne pense pas non plus qu’ils nous assujettissent au cortège de maux qu’Adam Smith leur assigne relativement au commerce intérieur, ni qu’ils produisent des conséquences très-différentes des autres impôts. Adam Smith prétendait que ces sortes de droits pesaient exclusivement sur le propriétaire. M. Malthus pense qu’ils se divisent entre le propriétaire et le consommateur, Selon moi, ils sont acquittés intégralement par le consommateur.
  19. Cette conclusion serait désolante, s’il était vrai que l’abaissement du prix des céréales dût réagir fatalement sur les salaires. Dans ce cas, loin d’ouvrir largement les portes aux importations étrangères, loin de favoriser le progrès des méthodes agronomiques, loin de multiplier les moissons dans un pays et de verser l’abondance à pleines mains ; dans ce cas, disons-nous, il faudrait redresser les barrières abattues, briser les charrues, faire brûler, par la main du bourreau, les traités d’agriculture, afin de diminuer la masse des céréales produites, d’en augmenter conséquemment les prix, et d’en faire une denrée de luxe. Après quoi il ne resterait plus aux ouvriers qu’à opter entre les deux conseils qui leur furent donnés au dix-huitième siècle par une princesse et, par un traitant : — ils auraient à manger de la brioche ou à brouter l’herbe des prés. Ricardo penche pour la brioche, car il ne peut séparer, dans ses abstractions, la hausse des salaires de l’élévation des prix : nous, au contraire, nous craignons la plus horrible détresse, car nous avons pour nous la logique des idées et la logique des faits, car nous avons le compte des générations mortes au souffle de la famine, car nous savons ce que des prix de 39 francs l’hectolitre et de 100 sch. le quarter ont produit de faillites, de douleurs, de secousses sanglantes en France et en Angleterre. Nous ne saurions, d’ailleurs, nous résigner aussi facilement que le savant économiste anglais, à voir ainsi grandir les profits aux dépens des salaires, et nous ne verrions aucun progrès dans un système qui, renversant toutes les lois de la charité et du bon sens, tailleraient dans les haillons du pauvre de quoi vêtir les riches. Notre cri serait, dans le système de Ricardo, en faveur des monopoles, des restrictions, des impôts, en un mot de tout ce qui accroît la valeur des choses, contre tout ce qui tend à niveler le bien-être : et au lieu d’être les disciples de Smith, de Say et de Cobden, nous chercherions encore à réaliser, avec une balance — et des faux poids, — le rêve des mercantilistes. Mais nous croyons avoir démontré déjà que Ricardo se trompe, que le bas prix des subsistances est un progrès aussi bien que le bas prix des objets manufacturés, des livres, des transports, et que le grand problème économique de l’avenir doit être précisément de donner une marche ascendante aux salaires et une marche rétrograde aux prix.
    A. F.