Essai de psychologie/Chapitre 49

(p. 174-176).

Chapitre 49

Que la nécessité ne détruit point la liberté.


Quoi donc, me direz-vous, le sentiment intérieur ne me persuade-t-il pas, que dans chaque cas particulier je pouvois agir autrement que je n’ai fait ? Ne sens-je pas que je pourrois mettre ma main dans le feu si je le voulois ? N’est-ce pas là une preuve que je ne suis pas nécessité ? Oui, vous êtes libre. Le sentiment intérieur vous convainc de votre liberté ; & ce sentiment est au-dessus de toute contradiction. Mais cette voix si claire, ce cri de la nature, qu’expriment-ils ? j’ai le pouvoir d’agir ; je fais ce que je veux : si je voulois autrement, j’agirois autrement.

rien de plus vrai que cette expression. Mais pourquoi, je vous prie, ne voulez-vous pas autrement ? Vous sentez que vous pourriez mettre la main au feu ? Sans doute, vous le pouvez : mais pourquoi ne le faites-vous pas ? Vous voulez le meilleur ; & il est impossible que cela vous paroisse le meilleur dans l’état actuel de votre ame. Vous sentez que vous pouviez agir autrement que vous n’avez fait dans tel ou tel cas particulier ? Cela est encore très-vrai : mais quand vous vous êtes déterminé, ne vous êtes-vous pas déterminé pour ce qui vous paroissoit le meilleur ? Vous avez donc agi librement , puisque vous avez fait usage du pouvoir que vous aviez d’agir.

Le sentiment de la liberté est la conscience que nous nous sommes déterminés volontairement, sans contrainte, en vue du meilleur . Nous sommes donc libres toutes les fois que nous usons à notre gré du pouvoir que nous avons d’agir.

Nous sommes contraints quand nous sommes privés de l’exercice de ce pouvoir.

Mais, nous ne sommes pas proprement contraints lorsque par des menaces on nous oblige d’agir d’une maniere contraire à celle dont nous aurions agi si nous eussions été laissés à nous-mêmes : car dans ce cas la volonté ne fait que changer d’objet : son meilleur actuel est alors d’éviter l’effet des menaces.

Les déterminations libres de l’ame viennent entiérement de son propre fonds. C’est l’ame elle-même qui se détermine sur certains motifs : mais elle n’est point déterminée ou nécessitée par ces motifs, comme un corps est déterminé ou nécessité à se mouvoir par la force qui agit sur lui. L’ame juge du rapport des objets avec son état présent, & elle se détermine sur la perception de ce rapport.

La volonté ne sauroit être contrainte ; parce qu’il seroit contradictoire à la nature de l’être intelligent qu’il voulût ce qui ne lui paroîtroit pas le meilleur. C’est ce qu’on rend en d’autres termes lorsqu’on dit, que l’ame veut toujours avec spontanéité ou de plein gré.