Essai de psychologie/Chapitre 45

(p. 162-164).

Chapitre 45

Que l’expérience prouve qu’il faut à l’ame des motifs pour la déterminer.


L’expérience prouve si bien que l’ame ne sauroit se déterminer sans motif, que lorsque les objets proposés n’en fournissent aucun, nous voyons les petits esprits en chercher dans des choses absolument étrangeres au sujet : par exemple, dans un certain genre de sort. Et si vous leur faites voir que ce sort n’a aucune liaison avec les partis proposés, ils ne manqueront pas de recourir à quelqu’autre sort ou à d’autres expédiens aussi peu raisonnables. Faites sur ces nouveaux moyens de détermination les mêmes réflexions que vous avez faites sur le premier, vous les menerez ainsi pendant quelque tems de sorts en sorts, d’expédiens en expédiens, sans qu’ils parviennent à se déterminer. Ce jeu durera d’autant plus que les partis proposés seront plus considérables. Dans ces cas-là que fera le philosophe ? Il laissera agir la machine : il s’en remettra à la disposition actuelle de son corps : il dira pair ou non , suivant que sa bouche se trouvera disposée pour dire l’un ou pour dire l’autre. La marche du philosophe différera encore plus de celle du peuple dans les cas importans ou composés. Souvent dans ces sortes de cas le peuple cherche hors des partis proposés des motifs à ses déterminations. Quoique ces différens partis n’aient qu’un air de ressemblance, il suffit pour opérer sur son esprit l’effet d’une parfaite égalité. Le philosophe, au contraire, tourne et retourne plusieurs fois les mêmes objets : il veut les voir sous toutes leurs faces. Il pese toutes les probabilités, compare toutes les convenances, estime tous les avantages, & par ce sage examen il parvient à découvrir lequel de tous ces partis est le plus conforme à ses vrais intérêts.