Essai de psychologie/Chapitre 29

(p. 84-88).

Chapitre 29

Continuation du même sujet.


Comment l’ame reproduit-elle les diverses idées dont nous venons d’entrevoir la production ? Comment se retrace-t-elle l’image d’un globe, sa forme, sa couleur, sa grandeur, sa distance, sa situation, son mouvement ?

La premiere production des idées est dûe au jeu des organes : leur seconde production, leur reproduction dépendroit-elle d’une cause totalement différente ? Je ne le présume pas, et le sentiment contraire me paroît plus probable.

L’ame se retrace la forme d’un globe en mouvant les fibres d’un même paquet de maniere que le mouvement décroisse par degré depuis le milieu du paquet jusqu’à ses bords.

L’ame colore cette image par les vibrations qu’elle excite dans les fibres appropriées à l’espece de couleur que le globe a réfléchie.

L’ame se représente la grandeur du globe en mettant en mouvement une étendue de fibres égale à celle que l’image tracée par ce globe occupoit sur la rétine.

En réveillant l’image des corps interposés et environnans, l’ame reproduit les idées de distance & de situation.

Elle reproduit la perception du mouvement en imprimant à toutes les fibres placées sur la ligne que l’image produite par le globe a parcourue, les mouvemens particuliers d’où résultent sa forme, sa couleur & sa grandeur.

Au reste ; comme les qualités sensibles qui caractérisent un objet s’offrent à nous en même-tems et que ce n’est que par abstraction & pour en faciliter l’examen que nous les séparons les unes des autres, l’ame reproduit aussi l’idée de cet objet en entier, avec toutes ses déterminations & dans le même instant indivisible. Tous les mouvemens dont nous venons de parler s’excitent donc à la fois.

Il en est de la reproduction des idées que nous recevons par le sens du toucher, du goût, de l’odorat & de l’ouïe comme de la reproduction des idées que nous recevons par le sens de la vue. C’est en imprimant à chaque organe des mouvemens semblables à ceux que les objets y avoient imprimés que l’ame se rappelle les perceptions et les sensations attachées à l’action de ces objets.

C’est, par exemple, en excitant une légere contraction dans les nerfs qui aboutissent aux mammelons de la peau, que l’ame se rappelle la fraîcheur qu’elle a goûté dans le bain. C’est en produisant une impression analogue sur les papilles de la langue, que l’ame fait renaître en elle la délicieuse saveur d’un fruit. C’est en touchant avec choix & mesure les fibres nerveuses de l’oreille, que l’ame croit entendre encore les accens qui l’ont charmée.

Enfin, c’est par la même méchanique que l’ame se rappelle les mouvemens de pitié, de compassion, de crainte, de terreur, &c. Qu’elle a éprouvés à la présence de certains objets.

Quand un objet agit en même tems sur plusieurs sens, l’ame est affectée à la fois de sensations de différens genres. Si elle veut se rappeller une de ces sensations, elle reproduira en même tems les sensations concomitantes. Il en est de même de la perception d’un objet par le seul sens de la vue. Cette perception est toujours accompagnée d’une multitude d’autres perceptions que l’ame réveille en même tems qu’elle reproduit la perception principale.

Je tâche à me rappeller le goût d’un fruit : aussi-tôt son odeur, sa forme, sa couleur, sa grandeur se représentent à moi. Je pense à un animal dont la forme m’a paru singuliere : au même instant je me rappelle le lieu où je l’ai vu et les circonstances particulieres où je me rencontrois alors. Ces reproductions n’ont point de fin, parce que toutes nos idées sont enchaînées les unes aux autres.