Essai de psychologie/Chapitre 27

(p. 75-78).

Chapitre 27

Conjectures sur la méchanique de la reproduction des idées.


Les idées qui affectent l’ame à l’occasion des mouvemens que les objets extérieurs impriment aux organes des sens, l’ame a la faculté de les reproduire sans l’intervention de ces objets, et cette faculté porte le nom général d’imagination.

Il nous a paru que la reproduction des idées étoit l’effet de la force motrice dont l’ame est douée, de cette force en vertu de laquelle agissant à son gré sur tous les points du cerveau qui correspondent avec les sens, elle le monte sur le ton qui convient à chaque espece de perception et de sensation.

Évitant donc de décider sur les deux hypotheses qui nous occupent, préférant de les réunir pour mieux satisfaire à tous les phénomenes, nous dirons que l’ame reproduit les idées sensibles, tantôt en donnant aux fibres le mouvement qu’exige l’idée qu’elle veut rappeller, tantôt en remuant l’espece de fibre appropriée à cette idée.

Ce sera de la premiere de ces deux manieres que l’ame rappellera les différentes impressions que le même corps a produites sur sa peau, sur sa langue, sur son nez. Ce sera de la seconde maniere qu’elle rappellera les impressions de ce même corps sur ses oreilles & sur ses yeux.

Je souhaiterois de répandre quelque clarté sur cette espece de théorie. Je sens que je touche à des abîmes : mais je n’ai pas la témérité d’entreprendre de les sonder : je ne veux que les regarder en me tenant à quelque appui.

La lumiere & les couleurs sont la source féconde des perceptions que nous recevons par le sens de la vue. En bannissant de la nature l’obscurité, la confusion & l’uniformité elles impriment à chaque objet des traits qui lui sont propres et qui le caractérisent.

Les formes, les grandeurs, les distances, les situations, les mouvemens sont des genres de perceptions visuelles qui ont sous eux une multitude innombrable d’especes.

Toutes ces perceptions l’ame les reproduit. Le degré de force & de vivacité avec lequel cette reproduction s’opere est toujours proportionnel à l’intensité des mouvemens communiqués par l’objet, à la fréquence des reproductions, au tempérament des fibres.

Mais, chaque genre, chaque espece de perception visuelle a-t-elle dans le cerveau sa place marquée, a-t-elle des fibres qui lui soient consacrées et qui ne soient consacrées qu’à elle ?

Ce seroit étendre l’hypothese au-delà du besoin que de le supposer. On peut admettre raisonnablement que la rétine est formée de fibres à l’unisson de différentes couleurs : mais, comme le mélange de la lumiere & de l’ombre suffit pour représenter tout ce qui est corps, il suffit de même que quelques endroits de la rétine soient plus éclairés que d’autres ou éclairés d’une lumiere différemment modifiée, pour faire appercevoir à l’ame différens objets ou différentes parties du même objet. Il en est à cet égard des fibres de la vision comme des caracteres d’imprimerie, dont la seule combinaison exprime une infinité de choses & de sens ; ou pour employer une comparaison qui se rapproche plus de notre sujet, il en est de ces fibres comme des couleurs que le peintre a sur sa palette, et dont il forme à volonté une plante, un animal, un païsage ou toute autre représentation.