Essai de psychologie/Chapitre 22

(p. 54-58).

Chapitre 22

De la méchanique des idées du toucher.


Trois membranes posées les unes sur les autres recouvrent le corps humain, l’épiderme, le réticule, la peau proprement dite. Elles sont formées de l’entrelacement ou des ramifications d’un nombre prodigieux de fibres de différens genres. Le tissu qu’elles composent est plus mince dans l’épiderme, plus lâche dans le réticule, plus épais dans la peau. L’épiderme placé à la surface du corps recouvre immédiatement le réticule, qui a sous lui la peau. Après avoir traversé celle-ci, les nerfs du toucher s’insinuent dans les mailles du réticule : ils s’y dépouillent du tégument épais qu’ils avoient apporté du cerveau, & ne retenant que le plus fin, ils prennent la forme de mammelons plus ou moins saillans. Sous cette forme ils s’élevent jusques à l’épiderme qui leur demeure adhérent et sur lequel ils tracent ces petits sillons concentriques qu’on apperçoit au bout des doigts.

Ce court exposé suffit pour donner une légere idée de la méchanique du toucher. On voit que les mammelons ébranlés par l’impression médiate ou immédiate des objets, transmettent cet ébranlement à la partie du cerveau qui leur répond.

À l’égard de la diversité des impressions que nous recevons par le sens du toucher, il ne paroît pas qu’il soit nécessaire de supposer dans les mammelons une diversité relative, d’imaginer qu’ils contiennent des fibrilles à l’unisson de chaque espece d’impression. Nous concevons assez de variétés dans les différens états que les fibres du toucher peuvent subir, dans les différens mouvemens qui peuvent leur être communiqués, pour satisfaire à tout ce que nous éprouvons. De la contraction & de l’engourdissement des mammelons peut résulter la sensation du froid ; de la dilatation & du trémoussement de ces mêmes mammelons peut résulter la sensation du chaud. De la plus grande contraction à la plus grande dilatation, du trémoussement le plus foible au trémoussement le plus fort les nuances sont infinies. Du degré de la nuance dépend le plaisir ou la douleur. Si de l’état d’une dilatation médiocre & d’un trémoussement vif mais doux, les fibres passent à l’état d’une si grande dilatation et d’une agitation si violente qu’elles en soient séparées ou même divisées, l’ame passera du sentiment d’une chaleur douce à celui de la brûlure.

Entre le chatouillement & la cuisson il y a les mêmes gradations qu’entre la chaleur & la brûlure. L’espece de la sensation dépend du mouvement imprimé. Il faut juger de ce mouvement par celui de l’objet ou des corpuscules qui en émanent. La petitesse & l’activité des corpuscules du feu doivent imprimer aux fibrilles des mammelons des vibrations incomparablement plus promptes que celles qu’y produit le passage d’une plume fort déliée ou la marche d’un fort petit insecte.

Une pression douce, égale, uniforme des mammelons peut donner à l’ame le sentiment du poli. Une pression rude, inégale, variée peut lui donner le sentiment de l’aspérité.

Une contraction subite des mammelons, une espece de spasme dans leurs fibres nerveuses peut occasioner le frissonnement. La cause de ce spasme n’est pas la même chez tous les individus. Tel frissonne à l’attouchement de certains corps qui font éprouver à un autre des sensations fort agréables. Le tempérament & l’habitude produisent ces variétés.

Le même corps nous paroît à la fois chaud & poli. Le tremoussement que le feu occasione dans les mammelons n’est point incompatible avec une certaine pression de ces mammelons.

L’adhérence de l’épiderme aux mammelons modérant l’impression que les corps font sur eux, le toucher est plus vif là où il est plus mince, plus délicat ; plus grossier là où il est plus épais, plus endurci.