Essai de psychologie/Chapitre 21

(p. 51-54).

Chapitre 21

Considération générale sur la prodigieuse variété des perceptions & des sensations & sur la méchanique destinée à l’opérer.


Si toutes nos idées, même les plus spirituelles, dépendent originairement des mouvemens qui se font dans le cerveau, il y a lieu de demander si chaque idée a sa fibre particuliere destinée à la produire ou si la même fibre mue différemment produit différentes idées ? Je m’arrête d’abord aux idées purement sensibles. Il est incontestable qu’il n’y a point de sentiment là où il n’y a point de nerfs. Il ne l’est pas moins que chaque sens a une organisation qui lui est propre, d’où resultent ses effets. Les perceptions & les sensations sont ces effets. Quoiqu’elles aient toutes de commun d’être excitées par l’entremise des nerfs, il règne cependant entr’elles une variété inépuisable. Considérées relativement aux sens dont elles tirent leur origine on peut les ranger sous cinq genres principaux, qui renferment une multitude indéfinie d’espèces. Quand on demande si chaque idée a un instrument approprié à sa production, cela doit s’entendre des especes contenues sous ces genres. On demande donc si la saveur du salé, par exemple, est produite par des fibres différentes de celles qui occasionent la sensation de l’amer ?

En général, les nerfs sont tous de la même nature. Ils tirent tous leur origine du cerveau. Ils sont tous des corps blanchâtres, homogènes, solides. Mais, examinés plus en détail, on y découvre des variétés de plusieurs genres. Les uns s’éloignent beaucoup de leur origine, & sont par conséquent fort longs ; les autres s’en éloignent fort peu, & sont par conséquent fort courts. Les uns sont fort gros ; les autres fort déliés : les uns sont fort tendus ; les autres le sont moins : les uns sont revêtus de deux membranes qui sont un prolongement de celles du cerveau ; la membrane extérieure plus épaisse, plus ferme est moins sensible ; la membrane intérieure plus mince, plus délicate a plus de sensibilité ; les autres ne sont revêtus que d’une seule membrane, et cette membrane est la plus fine. Les uns sont rassemblés par petits paquets & forment des especes de houpes, de pyramides, de mammelons ; les autres composent des lames plus ou moins repliées, plus ou moins étendues, plus ou moins fines, &c. Toutes ces variétés sont relatives à la fin principale pour laquelle les nerfs sont destinés : cette fin consiste à transmettre à l’ame l’impression des objets. Cette impression se transmet par le mouvement, soit que l’objet lui-même, soit des corpuscules qui en émanent. Et comme la petitesse & le mouvement de ces corpuscules augmentent continuellement depuis ceux qui sont destinés à la sensation du tact, jusques à ceux qui occasionent la sensation de la lumiere, il y a de même dans les sens une gradation correspondante, depuis celui du toucher jusqu’à celui de la vue. Mais, y a-t-il assez de variétés dans les fibres nerveuses de chaque sens pour répondre à celles qu’on observe dans les perceptions et dans les sensations ; ou n’est-il pas nécessaire pour rendre raison des faits de recourir à de telles variétés ? Voilà précisément l’état de la question. Commençons par le sens du toucher.