Essai de psychologie/Chapitre 18

(p. 41-43).

Chapitre 18

De la perfection, du génie & de l’origine des langues en général.


L’abondance des mots & la multitude des inversions constituent la principale richesse d’une langue. Moins de richesses & même une sorte de pauvreté peuvent être très-bien compensés par la clarté et le naturel.

Le génie des langues paroît tenir principalement au physique. La flexibilité & la délicatesse des organes, leur disposition à recevoir certaines impressions & à les retenir semblent imprimer à une langue le tour ou l’air qui la caractérise. Le moral aide au physique en cultivant ces dispositions. Une imagination vive, & si je puis m’exprimer ainsi, extrêmement mobile saisit tout, épuise tout. Le pinceau agit sans cesse ; le coloris domine ; mais le dessin est souvent peu correct, & les peintures sont chargées. L’orient abonde en semblables tableaux.

Si nous recherchons la premiere origine du langage et que nous consultions la genese, nous la trouverons, ce semble, dans l’ordre que Dieu donna à Adam de nommer tous les animaux. Si nous ne consultons là-dessus que la raison & que nous supposions une famille sous la simple direction de la nature, nous croirons trouver cette origine dans les sons ou dans les cris que les premiers besoins feront pousser aux enfans, & qui étant remarqués par les parens, deviendront par la suite signes d’institution de ces mêmes besoins. L’ombre que tout corps jette à la lumiere a pu donner naissance à la peinture ; celle-ci à l’écriture. à mesure que la raison s’est perfectionnée elle a simplifié les signes & les a rendus capables de représenter un plus grand nombre de choses. Les symboles & les hyéroglyphes des peuples les plus anciens justifient cette conjecture.