Essai de psychologie/Chapitre 14

Chapitre 14

Continuation du même sujet. De la formation des idées d’unité, de nombre, d’étendue, &c. De mouvement, de tems.


Si détournant les yeux de dessus l’homme l’ame les porte sur les autres objets dont elle est environnée, & qu’elle continue d’exercer la faculté qu’elle a d’abstraire, ses connoissances se multiplieront en se diversifiant ; la mémoire, l’imagination & le raisonnement acquerront un nouveau degré de force & de perfection. La multiplicité, l’étendue, les mouvemens & la variété de ces objets occuperont l’ame tour à tour. L’ame ne considérant dans chaque objet que l’existence, & faisant abstraction de toute composition & de tout attribut, elle acquerra l’idée d’unité. La collection des unités conduira l’ame à la notion du nombre ou de la quantité numérique. Cette notion s’étendra & se diversifiera à l’infini si ajoutant des unités à d’autres unités ou combinant des unités avec d’autres unités, l’ame ne représente pas seulement par des termes, mais encore par des figures ce qui résultera de chaque addition ou de chaque combinaison. Si l’ame considere chaque objet comme un composé de parties placées immédiatement les unes à côté des autres ou les unes hors des autres, elle acquerra la notion de l’étendue. Si l’ame regarde une certaine étendue, celle de son doigt ou de son pied, par exemple, comme une unité, et qu’appliquant cette étendue sur une autre étendue elle recherche combien de fois celle-ci est contenue dans celle-là ou combien de fois celle-là est contenue dans celle-ci, elle parviendra à mesurer l’étendue, & comparant secrétement l’étendue des objets à celle de son corps elle nommera grands ceux dont l’étendue lui paroîtra surpasser beaucoup celle de cette portion de matiere à laquelle elle est unie : elle nommera, au contraire, petits les objets dont l’étendue lui paroîtra contenue un grand nombre de fois dans celle de cette même portion de matiere. Si l’ame considérant une étendue comme immobile voit un corps s’appliquer successivement à différens points de cette étendue, elle se formera la notion du mouvement. Si l’ame observe un corps qui se meut d’un mouvement uniforme dans une étendue déterminée, et qu’elle conçoive cette étendue partagée en parties égales ou proportionnelles, auxquelles elle donne les noms d’années, de mois, de jours, d’heures, &c. Elle acquerra l’idée du tems. Comparant ensuite les divers mouvemens qui s’offrent à elle à ce mouvement uniforme, comme à une mesure fixe ou commune, elle jugera qu’un mouvement a plus de vîtesse qu’un autre, quand il parcourt dans le même tems une plus grande étendue, &c.