Enfants et Animaux/Le Petit Porcinet


Librairie Picard-Bernheim et Cie (p. 46-69).

Edwige et sa gouvernante.



LE PETIT PORCINET




À LA FERME


— Bonne nouvelle, dame Catherine, disait un jour Jean, le valet de charrue, à une fermière à l’air assez revêche. La grosse truie est une fameuse bête, elle a eu treize petits, cette nuit.

— Vraiment ! lui répondit-elle d’un air bourru. Et vous trouvez que c’est heureux ! Ne savez-vous pas que le nombre treize porte malheur et que jamais couvée ou portée de treize n’a réussi ?

— Bah ! dit Jean : pour les couvées ce sont des bêtises. Comme les truies n’ont que douze bouteilles à donner à leurs nourrissons et que ceux-ci gardent chacun la leur et ne veulent pas la prêter à leurs frères, il arrive quelquefois que le treizième meurt faute de nourriture ; mais cela n’empêche pas les douze autres de prospérer.

La truie a eu treize petits.

— Au jour d’aujourd’hui, on ne veut plus rien croire, reprit dame Catherine aigrement. Moi, je ne donne pas là dedans. Je ne pense pas toujours en savoir plus long que nos pères. Ainsi, pour détruire le mauvais sort, vous allez tuer le plus faible des gorets.

Peut-être ne savez-vous pas, mes enfants, que c’est ainsi qu’on appelle les petits d’un porc ou cochon, et que la femelle s’appelle une truie.

Lorsque la fermière fut partie, Jean se mit à examiner l’une après l’autre chacune de ces pauvres bêtes.

La petite vachère Louison avait assisté à cette scène. — Vraiment ! Jean, dit-elle, est-ce que vous aurez le courage de tuer un de ces pauvres mignons ? Comme ils sont gentils ! On ne dirait jamais que cela doit devenir de gros vilains porcs. Ils sont si roses, si doux à toucher, et quelle drôle de petite queue tortillée ! Oh ! je vous en prie, donnez-moi celui-ci, au lieu de le tuer. J’essayerai de l’élever.

Jean. — Ah bien oui ! dame Catherine ferait un beau train, si je ne faisais pas comme elle me l’a ordonné. Je n’ai pas envie de perdre ma place, par amour pour un cochon.

Louison. — Mais, Jean, elle n’en saura rien. Je le cacherai si bien, et elle ne vient jamais aux champs où je passe toutes mes journées.

Jean. — Tu ne pourras jamais l’élever, cela demande plus de soins qu’un enfant. Et puis comment le nourriras-tu ?

Louison. — Je le soignerai tout comme s’il était mon enfant et je lui donnerai du lait de la vache brune, la meilleure de toutes. Je la trairai pour lui chaque fois qu’il aura soif. Oh ! Jean, mon bon Jean, je vous en prie. Je suis si malheureuse, je m’ennuie tant, toute seule dans les champs, sans avoir autre chose à faire qu’à garder les vaches !

Le valet de ferme considéra un instant la pauvre petite fille noire, maigre, à peine vêtue, qui le regardait avec de grands yeux si suppliants. Il savait qu’elle était orpheline, élevée aux frais de l’hospice, et que chez dame Catherine elle recevait souvent des coups, jamais de caresses, et pour tout salaire une assez mauvaise nourriture.

Il eut pitié d’elle, et non seulement il finit par consentir à lui abandonner le petit cochon, mais il lui donna une vieille fiole à sirop, lui montra comme elle devait y mettre du lait et adapter un chiffon au goulot, pour que l’animal pût le téter. Jamais avare n’estima son trésor autant que la pauvre Louison son singulier petit nourrisson. Elle l’enveloppa dans un vieux châle déchiré, le seul vêtement chaud qu’elle possédât, et partit pour les champs en le tenant dans ses bras. De temps en temps, elle entr’ouvrait le châle, embrassait tendrement le petit museau rose et reprenait sa route à la suite de ses vaches.

Après avoir beaucoup réfléchi à cette grave question, elle baptisa le petit animal du nom de Porcinet.

Toute la journée, elle le tint sur ses genoux et lui offrit à boire beaucoup plus souvent qu’il n’était nécessaire. Le soir, elle le coucha auprès d’elle dans son lit. Ce n’était pas très propre, mais la pauvre enfant n’avait pas été élevée de façon à être très délicate sur ces sujets-là. Elle continua ainsi à le soigner, aussi vint-il à merveille, et bientôt il connut sa petite maîtresse et put jouer et folâtrer autour d’elle. Dès qu’il fut assez solide sur ses jambes, il se mit à la suivre partout où elle allait. Il l’aimait beaucoup et paraissait tout aussi intelligent qu’un chien.

La ferme appartenait à dame Catherine.

Pendant quelque temps on réussit à le cacher aux yeux perçants de dame Catherine ; mais, un beau jour qu’il rentrait avec les vaches, il vint justement se jeter dans les jambes de la fermière. Comme les douze petits frères venaient à merveille, celle-ci ne se fâcha pas trop, et se contenta de dire : — Cela en fera un de plus à vendre au marché.

Louison prit ces paroles pour une vaine menace. Vendre Porcinet ! son enfant chéri, le seul être qui l’aimât, cela n’était pas possible ! Autant aurait valu lui arracher le cœur.


LOUISON ET EDWIGE


La fillette menait souvent paître ses vaches sur une colline qui dominait le parc du comte de Chéhon, le propriétaire de la ferme. Il y avait là quelques beaux chênes, sous lesquels elle s’étendait. Un jour elle vit dans ce parc, ordinairement désert, une petite demoiselle vêtue d’une manière très élégante, qui paraissait à peu près de son âge, et qui était très pâle et très mince. Un joli petit chien la suivait et elle portait dans ses bras une superbe poupée presque aussi grosse qu’un enfant.

— Comme elle doit être heureuse ! se dit Louison : elle a tout ce qu’il lui faut, elle ! Sa robe est bien belle ! et la mienne qui est si courte, si sale, si déchirée ! Elle a de si jolies petites bottines, tandis que moi, je vais pieds nus sur les cailloux ; et surtout elle a des gens qui la soignent et qui l’aiment, elle a un papa et une maman ! Comme cela doit être bon d’avoir un papa et une maman, car enfin, ils sont forcés de vous aimer, ils ne peuvent pas faire autrement. Moi je ne suis pas la vraie maman de Porcinet, et pourtant, parce que j’ai eu la peine de l’élever, je l’aime, je l’aime de tout mon cœur. Il est vrai que c’est un amour de petit cochonnet, ajouta-t-elle en passant la main sur les poils encore doux et soyeux de l’animal, qui se frottait contre elle avec tendresse. Puis, regardant de nouveau dans le parc, elle reprit : Mlle Edwige n’a pourtant pas l’air de s’amuser ; car je pense bien que cette petite fille doit être Mlle Edwige de Chéhon, la fille de M. le comte, qui est arrivée hier soir. La voilà qui donne sa poupée à tenir à cette demoiselle si roide qui la suit partout. Elle s’asseoit sur un banc d’un air ennuyé, et elle repousse son chien qui veut la caresser.

Miss May, disait en effet Edwige à sa gouvernante anglaise, je m’ennuie ici, on ne voit personne.

— Il est vrai, mon enfant, lui répondit-elle, que ce n’est pas ici comme à Paris ; mais vous savez que le docteur vous a ordonné l’air de la campagne.

— Le docteur, reprit l’enfant en bâillant, m’a ordonné de me distraire, et moi, je m’ennuie toujours. Oh ! miss, s’écria-t-elle en changeant de ton, voyez donc cette petite paysanne là-bas ! Quel singulier animal elle a avec elle ! Est-ce un chien ? Je n’en ai jamais vu de pareil.

Miss May prit lentement son pince-nez dans sa poche, l’ajusta sur son nez long et pointu, et, après avoir bien regardé, déclara qu’elle ne pouvait imaginer de quelle espèce était cet étrange animal.

— Je croyais que vous saviez l’histoire naturelle, lui dit Edwige d’un air un peu moqueur. Eh bien ! pour nous instruire, allons l’examiner de plus près. Je crois qu’il y a une porte de ce côté-là.

— Mais, ma chère Edwige, vous allez vous fatiguer, et je ne sais pas si c’est convenable que vous sortiez du parc pour aller causer avec une paysanne.

— Très convenable, très convenable, je vous assure. D’ailleurs, je ne veux pas causer avec la paysanne, je veux voir de près la drôle de bête.

Pour voir la drôle de bête, il fallut bien causer avec la paysanne, car Porcinet, effrayé par l’approche du petit chien, s’était caché dans les jupes de sa chère maîtresse. Edwige, essoufflée d’avoir monté, bien que la pente ne fût ni haute ni raide, se laissa tomber sur l’herbe et dit à Louison :

— Comment s’appelle le petit animal qui joue avec toi comme un chien ? Je n’en ai jamais vu de pareil.

La petite vachère se mit à la regarder, la bouche ouverte, et l’air fort étonné. Puis, sans rien dire, elle tira Porcinet de sous son jupon et le montra à Edwige de tous les côtés.

Miss May, arrêtée à quelques pas, prit la parole d’un air digne et dit : — Eh bien ! petite, n’entendez-vous pas que mademoiselle vous demande le nom de cet étrange animal. N’est-ce pas une loutre ?

Pour le coup, Louison n’y tient plus, elle éclate de rire. Ne pas reconnaître un cochon ! prendre Porcinet pour une loutre ! Certes, elle, pauvre fille ! ne sait pas grand’chose, mais elle sait pourtant reconnaître un cochon et une vache, et une chèvre ; et les éclats de rire continuent.

La gouvernante prend un air très offensé tandis qu’Edwige, gagnée par la contagion, se met à rire aussi. L’idée que la savante miss May n’a pas reconnu un cochon lui semble aussi fort drôle. Lorsqu’elles se furent un peu calmées, elle se mit à faire mille questions à Louison, et celle-ci lui raconta l’histoire de Porcinet, et lui montra ses talents. Déjà il savait donner la patte et rapporter dans sa bouche une petite baguette. Tout cela amusa beaucoup la petite Parisienne. Elle força son chien à faire connaissance avec le goret et bientôt tous deux se mirent à jouer ensemble.

Lorsque miss May déclara qu’il était temps de rentrer, les deux petites filles se séparèrent avec regret et se promirent de se retrouver là tous les jours.

Ce fut une heureuse rencontre pour chacune d’elles, car, lorsque Edwige apprit que la pauvre Louison ne savait ni lire ni écrire, elle lui proposa de lui donner des leçons, et miss May, tout en gardant son air roide, la laissa faire parce qu’elle vit que c’était une excellente distraction pour son élève. Elle daigna même l’aider à choisir et à faire confectionner des vêtements pour sa protégée. Comme elle fut heureuse, la petite vachère, lorsque, pour la première fois, elle se trouva tout de neuf habillée ! Jusque-là, elle n’avait jamais eu d’autres robes que celles qu’on lui taillait dans de vieilles jupes rapiécées à dame Catherine.

On fit aussi la toilette à Porcinet. Les deux petites le baignèrent et le savonnèrent dans un ruisseau. Puis, quand il fut bien sec et bien propre, Edwige lui attacha un joli ruban bleu autour du cou.


LA SÉPARATION


C’étaient là de beaux jours pour la pauvre orpheline, mais ils ne devaient pas durer longtemps. Un matin, Edwige lui annonça que le docteur lui ordonnait d’aller prendre des bains de mer et que, la semaine suivante, elle partirait avec sa mère et sa gouvernante. Son père seul resterait au château. Louison fut consternée. Elle commençait justement à pouvoir épeler, et ses leçons de lecture l’intéressaient beaucoup. Puis, elle s’amusait tant avec Edwige ; celle-ci était si bonne pour elle, pauvre fille, qui jusque-là n’avait été aimée que de son cochon. Il lui semblait que tout son bonheur s’en allait. Elle ne reprit un peu de courage que quand son amie lui eut assuré que, dans deux mois, elle reviendrait au château et qu’elle lui eut fait plusieurs petits cadeaux, entre autres un livre facile dans lequel elle lui recommanda de bien s’exercer à lire.

Six semaines se passèrent assez tristement. Cependant Porcinet était une grande distraction pour sa maîtresse. Il avait beaucoup grossi et était devenu presque un grand cochon. Malgré la mauvaise réputation qu’ont ses pareils, il était très propre, très intelligent, et très caressant pour Louison. Quel ne fut donc pas le désespoir de la pauvre enfant lorsque dame Catherine lui annonça que, le vendredi suivant, Jean devait le prendre et aller le vendre au marché de la ville. Ce fut pour elle comme un coup de foudre ; elle ne pouvait y croire. — Vendre mon cochon ! mon Porcinet, que j’ai élevé avec tant de soins ! répétait-elle d’un air désolé. Cela n’est pas possible. — Ton cochon ! reprit aigrement la méchante fermière, n’est-il pas l’enfant de notre truie ? Est-ce que tu ne l’as pas élevé avec le lait de nos vaches ?

C’était vrai, et Louison fondit en larmes sans rien ajouter.

Jean, qui avait toujours été assez bon pour elle, lui dit : — Console-toi, fillette. Cela vaut mieux ainsi ; si on avait gardé ta bête, tu l’aurais vu tuer sous tes yeux, tandis que c’est pour l’engraisser qu’on la vend.

Louison ne l’écoutait pas ; elle sanglotait à fendre l’âme. Elle se représentait les cris de son pauvre ami, lorsqu’on lui attacherait les jambes pour le mettre sur la charrette, les mauvais traitements qu’il recevrait, l’affreux endroit où on l’enfermerait et, à la fin, le couteau du charcutier.

Et elle ! que deviendrait-elle sans son Porcinet ! toute seule au monde. Oh ! si au moins Edwige avait été là ! elle l’aiderait à sauver ce pauvre animal qui l’amusait tant ; mais elle ne devait pas encore revenir.

On était au mercredi, elle n’avait donc plus que la journée du lendemain à passer avec son fidèle compagnon. De toute cette nuit elle ne dormit pas un instant, elle ne fit que chercher dans sa tête un moyen de le sauver. Le matin, elle se leva à peu près décidée à ne pas revenir à la ferme, à abandonner ses vaches et à s’enfuir bien loin, avec Porcinet. En attendant, elle le conduisit sous les vieux chênes, à l’endroit où elle avait vu Edwige pour la première fois, et là, pendant que ses vaches se mettaient à paître autour d’elle, elle s’assit et recommença à réfléchir tristement ; car elle sentait bien que c’était folie que de se sauver ainsi sans un sou dans sa poche ; puis, si elle le faisait, elle ne reverrait plus Edwige. Que dirait celle-ci lorsque, en revenant, elle ne retrouverait plus sa petite Louison ?


PORCINET DÉCOUVRE DES TRUFFES


Elle en était là de ses réflexions lorsqu’elle entendit Porcinet faire de petits grognements de satisfaction. Elle se retourna, et le vit occupé à fouiller avec son groin ou boutoir (c’est ainsi qu’on nomme le nez d’un porc), dans un trou qu’il avait fait près du chêne. Il tirait de ce trou des boules noires, assez semblables à des pommes de terre, et les mangeait avec délice.

Curieuse de voir ce que cela pouvait bien être, elle lui prit celle qu’il venait de déterrer et lui donna un petit morceau de pain à la place.

— Tiens ! cela sent bon, dit-elle. Je suis sûre que cuit, cela serait tout aussi bon que des pommes de terre. Je vais en faire une petite provision.

Elle continua donc à en faire déterrer par Porcinet, qui les échangeait volontiers contre du pain et paraissait même comprendre ce qu’on désirait de lui. Lorsqu’elle en eut une certaine quantité, elle les mit dans son tablier et courut vers Jean qui labourait un champ, à peu de distance de là. Il était justement alors en train de causer avec un monsieur de la ville. La petite lui demanda s’il savait ce que c’était que ce drôle de légume qui poussait sans tiges ni feuilles, et si on pouvait le manger.

Le monsieur, qui était un aubergiste, ne laissa pas à Jean le temps de répondre et s’écria d’un air fort étonné : — Mais ce sont des truffes que tu as là ! de superbes truffes ! Où as-tu donc trouvé cela ?

— Sous les chênes de M. le comte, répondit l’enfant, c’est Porcinet, mon cochon, qui les a découvertes.

— Et que vas-tu en faire ? reprit l’aubergiste, veux-tu me les vendre !

— Vous les vendre ! s’écria Louison rougissant de plaisir à une idée qui venait de lui passer par la tête. Me donneriez-vous assez d’argent pour acheter un jeune cochon ?

— Oh, oh ! dit l’homme un peu surpris, la petite est intéressée. Eh bien ! je te promets de te donner plus d’argent qu’il ne t’en faut pour cela, si tu veux t’engager à ne dire à personne où tu as trouvé les truffes, et si tu veux m’apporter toutes celles que tu découvriras.

— Quel bonheur ! s’écria Louison ; alors je garderai Porcinet, il sera à moi, bien à moi, lorsque je l’aurai acheté !

En disant ces mots, son visage s’assombrit, elle réfléchit un moment, puis elle dit : — Mais ces truffes, elles ne sont pas à moi, elles sont à M. le comte, puisque je les ai trouvées sous ses arbres. Si je déterrais des pommes de terre dans un de ses champs et que j’allasse les vendre, ce serait voler, et il me semble que c’est la même chose. Je ne veux pas être une voleuse, moi !

— Petite nigaude, dit l’aubergiste, ce n’est pas du tout la même chose. Puisqu’il ne sait pas qu’il a ces truffes, ce n’est pas voler que de les vendre. D’ailleurs, puisque tu dis qu’elles sont à lui, si tu les lui portes, il ne te donnera pas un sou, tandis que moi je t’offre un bon prix.

— C’est vrai, dit l’enfant en hésitant, il ne sait pas qu’il les a, et puis, Porcinet, mon cher Porcinet ! Cependant, ajouta-t-elle, dans un champ de pommes de terre il ne sait pas combien il y en a, et c’est pourtant voler que d’en prendre quelques-unes. Les voleurs sont toujours punis, je le sais bien. Non, non, décidément, je ne dois pas, je ne veux pas vous les vendre, je cours les porter à M. le comte.

Je cours porter les truffes à M. le comte.

— Petite niaise, dit l’hôtelier en lui tournant le dos d’un air désappointé.

— Jean, cria Louison, je vous en prie, veillez un instant sur mes vaches ; je reviens de suite. Et elle partit à toutes jambes comme si, en restant, elle craignait de succomber à la tentation. Porcinet se mit à galoper après elle et c’était fort drôle de voir ses petites jambes se démener ainsi.

— Holà ! que veux-tu, petite ? demanda un vieux domestique en voyant l’enfant et l’animal entrer ainsi dans la cour du château.

— Parler à M. le comte, dit Louison avec une révérence.

— Crois-tu qu’on parle ainsi à monsieur ? Dis vite ce que tu veux, et prends garde que ta vilaine bête n’entre dans la maison.

— Voyez, dit l’enfant timidement en ouvrant son tablier, je veux donner cela à M. le comte. On dit que cela vaut de l’argent.

Le domestique examina le contenu du tablier.

— Des truffes ! dit-il, et des belles, encore ! je crois bien que cela vaut de l’argent, tu en as là pour plus de dix francs. Mais c’est au cuisinier qu’il faut t’adresser, si tu veux les vendre.

— Je ne veux pas les vendre, reprit Louison, je veux parler à M. le comte. Oh ! je vous en prie, laissez-moi lui parler.

Le valet entra dans le château et revint bientôt suivi du comte lui-même.

— Ah ! dit-il en voyant Porcinet, la petite au cochon, dont Edwige m’a parlé si souvent. Que veux-tu, mon enfant ?

Louison devint toute rouge, hésita, puis dit :

— Voyez, monsieur, ces belles truffes. Mon cochon et moi, nous les avons trouvées dans votre bosquet de chênes, et, comme elles sont à vous, nous vous les apportons.

Le comte. — Comment ! tu as trouvé des truffes dans mon bosquet de chênes ; mais c’est une précieuse découverte que tu as faite là. Et tu me les apportes au lieu de les vendre ! tu ne sais peut-être pas qu’elles valent beaucoup d’argent.

Louison. — Oh ! si, monsieur, je le sais bien. L’aubergiste du Lion d’Or voulait me les acheter ; mais, comme elles étaient à vous, je ne pouvais pas les vendre.

Le comte. — Tu n’as sans doute pas besoin d’argent ?

Louison. — J’en ai bien grand besoin, au contraire, pour mon pauvre Porcinet. Et, en disant ces mots, elle fondit en larmes.


LOUISON ET PORCINET VONT DEMEURER
AU CHÂTEAU


Le comte, étonné de trouver tant de délicatesse chez une ignorante petite paysanne, lui parla avec bonté, l’encouragea et lui fit raconter toute son histoire. Lorsqu’elle eut fini, il lui dit :

— Porcinet et toi vous avez fait une découverte qui me sera très avantageuse, il est donc juste que vous en soyez récompensés. J’achète Porcinet à dame Catherine. Je le loge dans les dépendances du château, et tant qu’il vivra, il sera soigné comme un prince et n’aura rien d’autre à faire qu’à chercher des truffes. Quant à toi, ma fillette, comme je ne veux pas te séparer de ton cher ami et que je sais que ma fille t’aime beaucoup, je te prends aussi au château et je t’engage, tout en soignant Porcinet, à apprendre tout ce qui te sera nécessaire pour devenir un jour la femme de chambre d’Edwige. Cela te convient-il ?

— Oh ! monsieur, dit Louison tout émue, je ne méritais pas un tel bonheur, car j’ai été un moment bien tentée de vendre les truffes.

— Et c’est justement, reprit le comte, parce que tu as su résister à une grande tentation, que tu le mérites. Du reste, rappelle-toi, mon enfant, que presque toujours le chemin de la probité est en même temps celui du bonheur.