Encyclopédie méthodique/Architecture/Nanni

NANNI di Baccio Bigio, architecte et sculpteur florentin. On ignore l’époque de sa naissance et celle de sa mort. Il vivoit encore au temps où Vasari, qui lui a consacré dans son ouvrage une courte notice, écrivoit les Vies des peintres. Voy. Vasari, tom. VII, pag. 96 et 97.

Nanni n’a pas laissé d’ouvrages capables de lui assurer une place distinguée parmi les architectes de son époque, et peut-être auroit-il peu mérité d’en obtenir une dans l’histoire de l’architecture, si l’homme dont il osa devenir le rival, et sur lequel il réussit par intrigue à l’emporter deux fois, ne lui eût donné une certaine célébrité.

Nanni fut, en sculpture, élève de Raphaël de Monte-Lupo. Il fit dans sa jeunesse de petits ouvrages qui donnèrent de lui d’assez grandes espérances. A Rome, il travailla sous le sculpteur Lorenzetto, exécuta quelques copies sous Michel Ange, et enfin il entra dans l’école d’architecture d’Antoine San Gallo, qui l’occupa aux travaux de l’église de Saint-Pierre, dont il avoit alors la direction.

Après la mort de San Gallo, Michel Ange, qui lui succéda, se mit, comme l’on sait, à détruire l’ouvrage de son prédécesseur. Il fit plus, il en renvoya tous les agens. Nanni fut de ce nombre. Michel Ange dès-lors eut en lui un ennemi déclaré, qui se fit le chef de tous ses détracteurs, et qui n’aspiroit à rien moins qu’à le supplanter dans la place d’architecte de Saint-Pierre.

Il réussit d’abord à se faire adjuger au préjudice de Michel Ange, mais surtout de la chose publique, la restauration du pont antique de Sainte Marie.

Michel Ange avoit commencé cette opération sous le pontificat de Paul III. Il avoit déjà procédé aux moyens de réparer les piles et d’en refaire les fondations par encaissemens. A cet effet, il avoit amassé beaucoup de grands bois de charpente et de pierre travertine, dans la vue de donner à toute cette construction la plus grande solidité. A force d’intrigues, Nanni parvint à capter la confiance d’une commission que le pape avoit chargée de la surveillance de ces travaux. Il alléguoit que Michel Ange étoit trop âgé pour s’y livrer. Il obtint enfin l’adjudication de l’ouvrage.

Son premier soin fut de vendre à son profit les matériaux qu’avoit amassés Michel Ange. Au lieu de renforcer les piles, il s’étudia à en alléger la construction en y employant une foible maçonnerie. Michel Ange avoit prédit ce qui ne tarda pas à arriver. Passant un jour à cheval avec Vasari sur le pont terminé, passons vite, lui dit-il, ce pont tremble sous nous. Effectivement, il fut renversé à la première forte inondation qui survint. Voyez Vasari, tom. VI, pag. 274.

Arrivé à un âge qui ne lui permettoit plus de porter dans la conduite des travaux de Saint Pierre l’active surveillance dont ils avoient besoin, Michel Ange prévoyoit que ses détracteurs pourroient bien profiter de son absence, soit pour lui prêter des erreurs, soit pour lui en faire commettre. Il avoit déjà présenté un successeur, qui fut trouvé trop jeune. Enfin il proposa Daniel de Volterre. Nanni avoit si bien fait, qu’il étoit parvenu à s’insinuer auprès des commissaires de la fabrique. L’ancienne cabale de San Gallo le soutenoit, et elle vint à bout de lui faire donner la préférence sur Daniel de Volterre.

Déjà il étoit à l’œuvre, et il avoit commencé de faire un pont de charpente, inutile pour le service des matériaux. Michel Ange l’apprend ; l’indignation lui rend toute la vivacité de la jeunesse. Il va sur-le-champ trouver le pape, et lui dénonce le choix que vient de faire la fabrique. On m’a donné, dit-il, un successeur; je ne sais quel homme c’est ; mais si les commissaires de votre Sainteté le connoissent, et s’ils me trouvent de trop, je demande à retourner à Florence. Le pape appaisa Michel Ange, manda les commissaires de la fabrique, pour qu’ils eussent à rendre compte de leur conduite. Ceux-ci alléguèrent des erreurs et des malfaçons dans la construction, qui, disoient-ils, menaçoit ruine. Soupçonnant bien que ces allégations pouvoient n’être que les échos de l’envie et de l’intrigue, le pape envoya vérifier par un homme de confiance, les faits avancés par les commissaires, avec injonction à Nanni d’administrer les preuves des erreurs dont on parloit. Cet éclaircissement justifia Michel Ange et dévoila les menées secrètes de Nanni qui fut ignominieusement congédié. On se rappela alors les bévues qu’il avoit commises quelques années auparavant dans la restauration du pont de Sainte-Marie ; on se souvint que, s’étant fait fort de nettoyer à peu de frais le port d’Ancône, il l’avoit plus encombré en quelques jours, que la mer ne l’avoit fait en dix ans.

Nanni fut un de ces hommes, comme il y en aura toujours, qui doivent précisément à leur médiocrité ce fonds de confiance en eux-mêmes, qui en impose à ce grand nombre d’hommes, dont le besoin est de croire au mérite sur parole, n’importe de qui, même de ceux qui se vantent eux-mêmes. Il auroit pu être bon en seconde ligne, Pour avoir voulu aspirer au premier rang, on ne sauroit lui eu donner aucun.

Si l’on juge de son goût et de son talent par quelques-uns des édifices qu’il a laissés, il fut très-certainement inférieur à tout les architectes de son époque. On ne sauroit trouver de qualité remarquable dans le palais de Ricci, situé rue Giulia. On est d’accord que la partie du palais Mattei, construite sur ses dessins, est inférieure à l’autre. Le palais Salviai, qu’il a élevé à la Longara, est sans doute un édifice important par sa musse, mais d’une disposition peu remarquable, d’un goût assez maussade ; les bossages employés dans sa façade n’y produisent que l’effet de la lourdeur, au lieu de l’impression de force et de sévérité qui doit résulter de leur emploi. Les détails de toute cette architecture ne sont d’accord avec son ensemble, que par le mauvais genre d’exécution qui est commun à toute cette ordonnance.