Encyclopédie anarchiste/Plaisir - Planète

Collectif
Texte établi par Sébastien FaureLa Libraire internationale (p. 2050-2060).


PLAISIR [et peine]. Éléments simples et fondamentaux de la vie affective, plaisir et peine sont impossibles à définir. Il serait d’ailleurs inutile de le faire, chacun sachant par expérience à quels états mentaux ces termes répondent. Perpétuellement, ils se mêlent et se succèdent dans la conscience ; entre ces deux pôles, la vie psychologique oscille sans arrêt. Trop diverses sont nos tendances pour que toutes puissent être satisfaites ou contrariées en même temps. C’est à une proportion entre les éléments agréables et douloureux, à une prédominance des uns sur les autres que se ramènent joies et souffrances. La blessure qui permettait au soldat d’échapper à l’existence du front, sans que sa vie soit en danger, sans qu’il soit privé d’un membre, lui occasionnait des douleurs physiques quelquefois vives ; elle remplissait, par contre, son esprit d’espoir consolateur. C’est une douce peine qu’éprouvent les amants, lorsqu’ils se font de tendres reproches ou qu’ils se séparent pour peu de temps. Poussé à l’extrême ou trop prolongé, le plaisir se transforme en souffrance : si belle que soit une mélodie, il est difficile de la tolérer pendant plus de deux heures ; des saveurs même agréables provoquent la nausée lorsqu’elles reviennent trop fréquemment ; et c’est à une vraie torture qu’aboutit le chatouillement.. En sens inverse, de pénible un état peut devenir agréable : saveur et odeur des narcotiques, de l’alcool, du tabac répugnent d’abord à certains qui, par l’effet de l’habitude, les jugeront délectables plus tard ; des exercices musculaires, douloureux à l’origine, seront générateurs de joies par la suite. « Il y a une espèce de douleur, écrivait Mme de Lespinasse, qui a un tel charme qu’on est tout prêt à préférer ce mal à ce qu’on appelle plaisir. Je goûte ce bonheur ou ce poison. » On rencontre des malades qui éprouvent du plaisir à gratter leurs plaies ; l’euphorie des phtisiques, et des mourants est chose connue ; sadisme et masochisme impliquent, associé à l’impulsion sexuelle, le besoin de frapper ou d’être frappé. Certains savourent le spleen, la mélancolie ; nul événement heureux ne parvient à les dérider. De pareilles voluptés sont de nature morbides ; elles montrent du moins combien il est difficile de tracer des limites précises entre la douleur et le plaisir. Aussi plusieurs psychologues ont-ils admis que ces deux états ne sont point deux manifestations contraires, mais deux moments d’un même processus ; ils géraient la traduction, dans l’ordre affectif, du rythme fondamental de la vie, constitué par l’assimilation et la désassimilation (deux processus réciproquement dépendants et dont l’un implique l’autre). C’est la conception de Th. Ribot. D’autres affirment, au contraire, que plaisir et douleur sont aussi nettement distincts que la sensation visuelle l’est de la sensation auditive. Selon Goldscheider et von Frey, il y aurait dans la peau des points sensibles à la douleur et à la pression ; Strong et Nichols parlent de nerfs dolorifères ; à la suite de minutieuses expériences, Mmes Ioteyko et Stefanowska ont admis, elles aussi, l’existence d’un sens spécial de la douleur ; elles croient même à l’existence d’un centre cérébral dolorifère différent des centres percepteurs. Ce qui les conduit à préciser que des états désagréables peuvent n’être pas douloureux : « L’élément désagréable est un élément qu’on doit exclure de toute théorie objective de la douleur. » Bourdon et Georges Dumas font aussi cette dernière distinction, que n’acceptent point la majorité des psychologues. Ces doctrines ont du moins le mérite de ne pas s’écarter du domaine expérimental. Autrefois les métaphysiciens s’en tenaient à des considérations imprécises et vagues qui encombrent encore les manuels de philosophie. « C’est dans l’action, déclarait Aristote, que semble consister le bonheur, le plaisir n’est pas l’acte même, mais c’est un surcroît qui n’y manque jamais, c’est une perfection dernière qui s’y ajoute, comme à la jeunesse sa fleur. » Toutes les fois que l’activité se déploie librement et se trouve en possession de son objet, la jouissance apparaît. Reprenant la même pensée, Hamilton ajoute que le plaisir naît d’une activité moyenne et la douleur d’une activité trop faible ou surmenée. Pour Descartes, notre bonheur réside dans le sentiment de quelque perfection. D’après Spinoza, la joie résulte du passage d’une moindre à une plus grande perfection, la tristesse du passage inverse. Adoptant une conception que l’on trouve déjà chez Épicure, Kant et d’autres penseurs, Schopenhauer par exemple, soutiennent que le fait primitif est non le plaisir, mais la douleur ; seule la seconde est positive, le premier n’est qu’un état négatif, une absence de douleur. La vie s’avère une continuelle souffrance, car elle est essentiellement volonté, et l’on ne veut que pour satisfaire des besoins pénibles et toujours renaissants, pour obtenir ce dont le manque fait souffrir. Mais une telle conception paraît inadmissible. Tous les besoins ne sont pas douloureux ; et certains plaisirs, la vue d’un beau spectacle ou l’audition d’une belle musique, par exemple, n’impliquent nullement l’existence d’une privation antérieure. Pour Wolf, un disciple de Leibniz, les états affectifs se ramènent à la contemplation d’une perfection ou d’une imperfection ; la sensibilité n’est qu’une connaissance confuse. Sans être aussi catégorique, Leibniz affirmait cependant : « Je crois que dans le fond le plaisir est un sentiment de perfection, et la douleur un sentiment d’imperfection, pourvu qu’il soit assez notable pour qu’on s’en puisse apercevoir. » Les stoïciens pensaient de même, lorsqu’ils faisaient dépendre bonheur et malheur de l’idée que s’en font les humains. « Ce qui trouble les hommes, déclare Epictète, ce ne sont pas les choses mais l’opinion qu’ils se font des choses. Ce n’est pas la mort qui est terrible, mais l’opinion que nous nous faisons de la mort. Lorsque nous sommes troublés ou affligés n’accusons donc jamais que nous-mêmes, c’est-à-dire nos jugements. » Une telle maxime, il est vrai, s’applique surtout au plaisir et à la souffrance d’ordre psychologique. Mais Ribot soutient que les états affectifs les plus éthérés ne diffèrent des états affectifs d’ordre physique que par leur point de départ : les premiers sont liés à une image ou à une idée, les seconds à une sensation. « Au premier abord, écrit-il, il semblera paradoxal et même révoltant à plus d’un de soutenir que la douleur que cause un cor au pied ou un furoncle, celle que Michel-Ange a exprimée dans ses Sonnets de ne pouvoir atteindre son idéal ou celle que ressent une conscience délicate à la vue du crime, sont identiques et de même nature. Je rapproche à dessein des cas extrêmes. Il n’y a pourtant pas lieu de s’indigner si l’on remarque qu’il s’agit de la douleur seule, non des événements qui la provoquent, qui sont, eux, des phénomènes extra-affectifs. » De même, la distinction entre les joies spirituelles et les joies sensorielles n’a qu’une valeur pratique. « Le plaisir, comme état affectif, reste toujours identique à lui-même ; ses nombreuses variétés ne sont déterminées que par l’état intellectuel qui le suscite. » Herbart n’explique pas les états affectifs, ainsi que le faisait Wolf, par un jugement de valeur, mais par l’accord ou le désaccord qui existe entre nos représentations. Dissonances et harmonies musicales n’apparaissent qu’avec les notes de la gamme ; souffrances et voluptés d’ordre psychologique (Herbart s’occupait seulement de celles-là) résultent, à son avis, de la coexistence dans l’esprit d’idées qui se contredisent ou se renforcent. Loin d’être inertes, nos représentations intellectuelles sont des forces capables de se combattre ou de s’unir. C’est dans l’activité que Spencer, après bien d’autres, place la cause du plaisir. « S’il y a, dit-il, comme on ne peut le nier, des douleurs négatives qui naissent de l’inaction, et des douleurs positives qui ont leur origine dans l’excès d’activité, il en résulte que le plaisir accompagne les actions moyennes, c’est-à-dire situées entre les deux extrêmes. » S’appuyant sur la doctrine évolutionniste, il a montré, en outre, que les douleurs sont les corrélatifs d’actions qui nuisent à l’organisme, les plaisirs les corrélatifs d’actions qui le favorisent. L’adaptation de l’être au milieu constitue une indispensable nécessité biologique ; un vivant ne peut survivre que si les états agréables s’associent, chez lui, aux actes utiles, la souffrance aux actes nuisibles : « Si nous substituons au mot plaisir la phrase équivalente : un état que nous cherchons à produire dans la conscience et à y retenir ; et au mot douleur, la phrase équivalente : un état que nous cherchons à ne pas produire dans la conscience ou à en exclure, nous verrons que, si les états de conscience qu’un être s’efforce de conserver sont les corrélatifs d’actions nuisibles, et que si les états de conscience qu’il s’efforce de chasser sont les corrélatifs d’actions profitables, l’être doit rapidement disparaître, s’il persiste dans ce qui est nuisible et fuit ce qui est profitable. En d’autres termes, ces races d’êtres seules ont survécu chez lesquelles, en moyenne, les états de conscience agréable ou qu’on désire accompagnent les activités utiles au maintien de la vie, tandis que les états de conscience désagréables ou qu’on fuit accompagnent les activités directement ou indirectement destructives de la vie ; par suite, toutes choses égales, parmi les diverses races, celles-là ont dû se multiplier et survivre qui possédaient les meilleurs ajustements entre leurs états de conscience et leurs actions, et tendaient toujours vers un ajustement parfait. » Mais cette adaptation du plaisir à l’activité utile n’est jamais complète ; milieu et conditions de vie changent très rapidement ; d’où les exceptions à la règle générale que l’on constate parfois. « Comme chaque espèce, sous la pression croissante du nombre, doit être refoulée dans les milieux voisins, chaque membre doit, de temps en temps, rencontrer des plantes, des proies, des ennemis, des actions physiques que ni eux ni leurs ancêtres n’ont encore expérimentés, et auxquels leurs états de conscience ne sont pas adaptés. » Ces désaccords entre les inclinations héréditaires et les nécessités actuelles sont particulièrement nombreux lorsqu’il s’agit de l’homme, car les sociétés dont il est membre subissent une évolution rapide. « D’une part, il survit encore de ces sentiments tout à fait propres à nos ancêtres éloignés, qui trouvent leur satisfaction dans l’activité destructive de la chasse et de la guerre : sentiments qui, par leur direction antisociale causent indirectement de nombreuses misères. D’autre part, la pression de la population a rendu nécessaire le travail persistant et monotone ; et quoique le travail ne répugne nullement à l’homme civilisé autant qu’au sauvage, et qu’il soit même pour quelques-uns une source de plaisirs, cependant, pour le présent, la réadaptation est loin d’avoir été assez loin pour qu’on trouve du plaisir habituellement dans la quantité de travail requise habituellement. » Nul ne peut nier que la souffrance soit le signe ordinaire du danger, le plaisir, celui de l’utilité ; la thèse de Spencer ne manque ni de logique ni de profondeur. Néanmoins, le progrès scientifique a démontré que ces signes étaient souvent trompeurs. De pénibles opérations chirurgicales sont parfois singulièrement fécondes en conséquences heureuses ; certains poisons flattent le goût et l’odorat. Plaisir et douleur n’expriment que les effets immédiats, l’influence partielle et momentanée d’une action. Des troubles d’importance minime, tels que la carie dentaire, engendrent des souffrances hors de proportion avec les dangers courus par l’organisme ; de très graves maladies, comme le cancer du foie et la tuberculose pulmonaire, se développent sans que le sujet soupçonne le péril. D’une façon générale cependant, les sensations affectives internes deviennent d’autant moins vives que l’organisme est plus parfait ; à l’état normal, cœur et foie ne donnent naissance qu’à des sensations très vagues. Et non seulement la douleur, cette « sentinelle vigilante », ne nous informe parfois que quand le mal est irrémédiable, mais elle nous trompe très fréquemment sur le siège et la cause de la maladie : certains troubles de l’estomac se traduisent par des céphalalgies, certains désordres du foie par une douleur à l’épaule droite ; une démangeaison du nez peut être due à des vers de l’intestin. L’existence de plaisirs morbides est attestée par de nombreux faits. « J’ai connu, déclare Mantegazza, un vieillard, qui m’avouait trouver un plaisir extraordinaire et qui ne lui paraissait inférieur à nul autre, à égratigner les contours enflammés d’une plaie sénile qu’il avait depuis plusieurs années à une jambe. » Dans son autobiographie, Cardan affirme « qu’il ne pouvait se passer de souffrir et quand cela lui arrivait, il sentait s’élever en lui une telle impétuosité que toute autre douleur lui semblait un soulagement. » En conséquence, il s’infligeait à lui-même de véritables tortures. Spencer, qui constate la réalité de ce qu’on appelle le plaisir de la douleur, ne parvient pas à fournir une explication satisfaisante : « J’avoue, que cette émotion particulière est telle que ni l’analyse ni la synthèse ne me mettent en état de la comprendre complètement. » Ribot, qui a donné de fortes pages sur ce sujet et résumé ce que d’autres avaient dit, ne réussit pas davantage à trouver la cause de ces anomalies. Considérées en tant que guides, joie et souffrance n’ont donc qu’une valeur relative ; souvent, elles ont besoin d’être corrigées par la connaissance réfléchie. Une recherche imprudente du plaisir qui répudie l’indispensable contrôle de la raison, aboutit à des effets désastreux. Il est certain que l’exercice normal des fonctions organiques est lié à une sensation fondamentale de bonheur ; l’état normal n’est pas la douleur, comme le prétendent les pessimistes, mais le plaisir. Vivre, c’est essayer d’éviter la première et de se procurer le second ; toutefois, pour y mieux parvenir, il faut n’accorder qu’une confiance limitée aux impressions du moment et chercher une règle de conduite plus sûre : celle que la science nous propose. L’affectivité, qu’elle soit agréable ou pénible, semble un appel à l’action ; son rôle est celui d’un indicateur, mais d’un indicateur qui sacrifie volontiers l’individu à l’espèce. Témoin ces insectes chez qui le geste procréateur du mâle est suivi d’une mort immédiate.

Tout état affectif requiert-il la présence d’un élément représentatif ? La majorité des psychologues l’affirment. « Le plaisir et la douleur, déclare Lehmann, sont toujours liés à des états intellectuels. » Si vague, si confuse que soit la connaissance, pense Höffding, elle existe même dans des impressions agréables ou pénibles qui, de prime abord, semblent l’exclure. Ribot admet, par contre, que l’élément affectif n’est pas assujetti au rôle perpétuel d’acolyte ou de parasite et qu’il a une existence propre, indépendante, au moins quelquefois. « L’enfant ne peut avoir, au début, qu’une vie purement affective. Durant la période intra-utérine, il ne voit, ni n’entend, ni ne touche ; même après la naissance il lui faut plusieurs semaines pour apprendre à localiser ses sensations. Sa vie psychique si rudimentaire qu’elle soit, ne peut évidemment consister qu’en un vague état de plaisir et de peine, analogues aux nôtres. Il ne peut les lier à des perceptions, puisqu’il est encore incapable de percevoir… Règle générale : tout changement profond dans les sensations internes se traduit d’une façon équivalente dans la cénesthésie et modifie le ton affectif ; or, les sensations internes n’ont rien de représentatif et ce facteur, d’une importance capitale, les intellectualistes l’ont oublié… Mais la source la plus abondante où l’on pourrait puiser à volonté est certainement la période d’incubation qui précède l’éclosion des maladies mentales. Dans la plupart des cas, c’est un état de tristesse vague. Tristesse sans cause, dit-on vulgairement ; avec raison, si l’on entend qu’elle n’est suscitée ni par un accident, ni par une mauvaise nouvelle, ni par les causes ordinaires ; mais non pas sans cause, si l’on prend garde aux sensations internes dont le rôle, en pareil cas inaperçu, n’en est pas moins efficace. » On a reproché à Ribot de s’adresser de préférence à la psychologie pathologique ; en outre, on estime contestables la plupart des exemples qu’il cite. Ces critiques comportent une part de vérité. Néanmoins tous reconnaissent que l’élément affectif et l’élément représentatif, loin de suivre une marche parallèle, varient plutôt en raison inverse l’un de l’autre. Dès lors il n’apparaît pas impossible qu’ils se dissocient complètement, dans certains cas. Enfin, il est incontestable que, chronologiquement, la vie affective se développe avant la vie représentative. Concernant les rapports du plaisir et de la douleur avec l’activité, les philosophes ont affirmé de bonne heure que les premiers avaient leur source dans la seconde ; mais ils restaient dans le vague. Grâce aux progrès de la physiologie moderne, nous sommes mieux renseignés sur ce sujet. Là encore il faut bannir les préoccupations métaphysiques, pour sen tenir aux données de la science expérimentale. Nous avons déjà signalé les recherches de ceux qui admettent des nerfs dolorifères spéciaux. Beaucoup supposent que le bulbe joue un rôle essentiel en matière d’affectivité ; la couche corticale des hémisphères cérébraux, siège des facultés supérieures, n’aurait qu’une importance minime. Agréable lorsqu’elle est modérée, l’excitation des nerfs sensitifs devient douloureuse quand elle est excessive ; suppression ou diminution de l’excitation modérée provoque une impression désagréable. Dans l’analgésie, soit spontanée soit artificielle, la sensation persiste alors que l’a douleur disparaît. Hystériques, aliénés, thaumaturges des différentes religions échappent ainsi, quelquefois, à des souffrances qu’un homme normal ressentirait cruellement. Le froid intense, le chloroforme et bien d’autres substances déterminent une analgésie totale ou partielle. Dans l’hyperalgésie, au contraire, la souffrance s’amplifie outre mesure ; le moindre contact, le plus léger bruit peuvent devenir intolérables. La douleur diminue la fréquence des battements du cœur, parfois au point de provoquer une syncope ; elle rend la respiration irrégulière et réduit notablement la quantité d’acide carbonique exhalé ; elle trouble les fonctions digestives et ralentit les secrétions ; dans des cas extrêmes, elle détermine une décoloration rapide des cheveux, phénomène qui résulte d’une insuffisance de nutrition. Tantôt elle provoque un arrêt des mouvements ; tantôt elle engendre une agitation convulsive qui laisse finalement l’individu très appauvri. Quant à la nature du processus intime qui produit la douleur, les uns le ramènent à une forme particulière du mouvement, d’autres l’attribuent à des modifications chimiques des tissus. D’après cette seconde hypothèse, la douleur chronique serait une véritable intoxication. Elle verserait, dans le sang, des produits d’une digestion défectueuse qui en altèrent la composition et favorisent l’éclosion, proche ou lointaine d’une maladie. La formation de toxines dans l’organisme, telle serait sa cause ultime. À l’inverse, le plaisir est favorable à la santé. Il active la circulation du sang, accélère la respiration, élève la température du corps, favorise la digestion et se traduit par une exubérance de mouvements ; en un mot, il est, selon la remarque de Ribot, essentiellement dynamogène. Mais à quelles modifications intimes de l’organisme répond le plaisir ? Quelles dispositions de l’axe cérébro-spinal, des nerfs, des terminaisons périphériques le font apparaître ? Nous l’ignorons ; la physiologie en sait moins sur ce sujet que sur les conditions de la douleur. Ajoutons que si l’absence de plaisir et l’absence de douleur vont généralement de pair, il existe néanmoins des cas où l’insensibilité au plaisir se manifeste seule. « Brown-Séquard a vu deux cas d’anesthésie spéciale de la volupté, écrit Richet, toutes les autres espèces de sensibilité, de la muqueuse urétrale et de la peau, persistant. Althaus en rapporte un autre cas. On en trouverait peut-être un plus grand nombre, sans la fausse honte qui empêche les malades d’en parler. Fonsagrives en cite un exemple très remarquable observé sur une femme. » Esquirol rapporte le cas d’un magistrat chez qui « toute affection paraissait être morte… S’il allait au théâtre (ce qu’il faisait par habitude), il ne pouvait y trouver aucun plaisir. » Les cas d’insensibilité au plaisir sont fréquents chez ceux dont l’existence est assombrie par une mélancolie profonde. Ces faits sont d’ordre pathologique, comme aussi ceux que nous avons cités à propos de l’analgésie. Parmi les phénomènes psychologiques normaux, en existe-t-il qui soient neutres, c’est-à-dire dépourvus de toute tonalité affective ! Bain, Wundt, Sergi répondent affirmativement. « Le plaisir et la douleur, écrit ce dernier, étant les deux pôles de la vie affective, il doit exister entre eux une zone neutre qui réponde à un tel état de parfaite adaptation. L’indifférence est précisément l’état de conscience neutre qui manifeste une adaptation parfaite de l’organe, alors qu’il n’y a ni augmentation, ni diminution d’activité vitale. » L’eau d’un bain tiède me procure une sensation agréable ; je passerai par un état neutre, avant de souffrir de la température trop élevée si l’on continue à chauffer l’eau de plus en plus. Ces raisonnements n’ont pu convaincre la majorité des psychologues qui nient que l’on parvienne à réaliser, en pratique, ces prétendus états indifférents. Sur les effets de l’habitude, en matière d’affectivité, il y aurait beaucoup à dire : nous renvoyons à l’article Habitude, où le lecteur trouvera des détails du plus haut intérêt. Quant au rôle moral de l’a douleur et du plaisir, il est de primordiale importance, puisque l’homme passe son existence à fuir la première, à rechercher le second. Et cette règle s’impose à tous, même à ceux qui prétendent s’y soustraire. Mais pour atteindre au bonheur durable, après lequel nous soupirons, pour éviter les embûches secrètes que ni l’instinct ni le sentiment ne parviennent à découvrir, il est indispensable de faire appel à la raison, et à la science le plus précieux de ses instruments. — L. Barbedette.


PLANÈTE n. f. Parler des planètes, c’est parler, pour les terriens que nous sommes, de notre système solaire qui est profondément plongé dans la Voie Lactée dont le nombre de soleils analogues au nôtre est évalué à quelques milliards et qui, d’après les données dernières, formerait, avec près d’un million d’autres voies lactées d’égale dimension moyenne, notre univers, une unité sphérique de voies lactées associées, dont le diamètre serait d’environ 300 millions et la périphérie un milliard d’années de lumière.

Cette sphère incommensurable, composée de trillions de systèmes solaires ou d’étoiles, ce qui est la même chose, n’est qu’une grande unité dans l’Univers, c’est-à-dire dans l’infini de l’espace et de l’éternité du temps, deux conceptions aussi inséparables que le sont la Matière et l’Energie qui lui est inhérente.

L’homme, étant un être conscient de son moi, ne saurait comprendre le néant. Il constate qu’il y a, avec tout ce qui l’entoure, depuis le brin d’herbe jusqu’aux mondes qui roulent dans l’espace, un commencement, qu’il traverse une période de croissance, d’apogée — de 20 à 50 ans, — de déclin, de désagrégation pour aboutir à la fin personnelle. Mais cette mort n’est qu’individuelle et la conception du substratum incréé, cause et effet, origine et fin de toute chose s’impose à notre entendement, sous peine de nous renier nous-mêmes, de ne plus nous saisir, nous comprendre et expliquer notre existence.

Ce n’est pas Dieu qui a créé les mondes, c’est la peur et l’ignorance qui ont été les fées malfaisantes qui ont présidé à la naissance des dieux et du surnaturel, cause première, après la misère physiologique, de la plupart de nos contradictions, de nos souffrances, de nos douleurs.

C’est pour cette raison aussi que nous n’acceptons pas aveuglement toute innovation et que sans rejeter les conquêtes chimiques concernant les atomes – il y en aurait des trillions dans un millimètre cube — qui sont à l’homme comme volume ce que l’homme est au Soleil, nous préférons tout de même appuyer nos raisonnements sur l’astre du jour qui est en quelque sorte palpable que sur les mondes invisibles qui nous révèleraient le monde visible,

À l’origine, y avait-il l’atome migrateur, « wandaring », disent les Anglais, ou les mondes, les étoiles qui brillent au-dessus de nos têtes se sont-ils formés par des condensations d’éther, c’est-à-dire de cette matière dite impondérable qui remplit l’Univers et permet à notre vue armée du télescope et du spectroscope d’arracher au grand Tout, dont nous faisons partie, ses secrets les plus troublants et en même temps les plus réconfortants ?

Voici ce que nous répond, à ce sujet, l’astronomie, la science la plus ancienne et la plus moderne en même temps :

Les grands corps célestes, notre soleil, ainsi que ses compagnons, qu’il nous a été possible d’étudier par le télescope et l’analyse spectrale dans les insondables abîmes de l’espace, passent tous par cinq périodes caractéristiques d’évolution ascendante. La sixième période marque le commencement de leur déclin, précédant leur dissolution dans le substratum incréé de l’Univers, d’où, phénix éternels, ils ressuscitent de la poussière cosmique sous des formes analogues mais rajeunies, pour parcourir un nouveau cycle de vie stellaire.

De ces six phases ou périodes d’évolution, les cinq premières, qui constituent la vie stellaire ascendante, peuvent être subdivisées.

Premièrement, en période de l’état gazeux incandescent.

Cet état est caractérisé par une nébulosité diffuse ne présentant aucun indice apparent de condensation et brillant d’une lueur uniforme bleuâtre qui va en s’éclaircissant légèrement vers les bords. Henchel désignait ces nébuleuses, qui donnent un spectre formé de raies brillantes et qui ne peuvent pas être résolues en étoiles, du nom de brouillard planétaire et voyait en elles des condensations de l’éther qui servent de matière première à la formation des mondes.

Deuxièmement, la période de la formation d’un noyau lumineux au milieu de la nébuleuse de plus en plus incandescente et de forme à peu près sphérique. Cette phase peut aussi être désignée par l’expression : nébuleuse stellaire.

Après une évolution qui compte des milliers de siècles et pendant laquelle la nébuleuse stellaire, devenue étoile, a brillé, tel Sirius ou Véga, d’un très vif éclat, elle a donné naissance à la troisième période, qui est celle de la formation de « taches », c’est-à-dire d’un premier commencement de refroidissement de la surface de l’astre.

La quatrième période est celle des éruptions. Elle correspond à l’état d’un astre couvert d’une écorce obscure et refroidie, mais encore trop ténue pour opposer un obstacle aux éruptions que détermine la partie centrale du globe demeurée à l’état de fusion, éruptions d’une telle violence que le soleil, déjà prêt à s’éteindre, se transforme, de temps en temps, en brasier ardent.

La cinquième période marque enfin le refroidissement complet de l’écorce extérieure de l’astre, la transformation d’une étoile en planète.

Au début de cette cinquième période, au milieu de laquelle se trouve aujourd’hui notre Terre, la mer la recouvrait probablement tout entière, et ce n’est que peu à peu que l’Himalaya, les Andes et les Alpes ont dû émerger des flots tièdes de l’Océan primordial.

Nous trouvons actuellement, dans le ciel, des astres qui représentent les cinq phases que nous venons de mentionner.

Ainsi, nous constatons la présence, dans la constellation de l’Orion, des Chiens de chasse et de la Lyre, des mondes en formation, à l’état purement gazeux.

Les représentants de la seconde phase d’évolution se voient dans toutes les régions du ciel.

Notre Soleil, Capella, Arcturus, Procyon, etc., etc., appartiennent à la troisième. La plupart des étoiles de cette période se font remarquer par l’altération que subit l’intensité de leur lumière.

Les représentants de la quatrième période, de la période des éruptions violentes qui brisent la surface déjà refroidie et sombre de l’astre, se rencontrent parmi les étoiles dites nouvelles. Depuis 2.000 ans, on a enregistré plus d’une trentaine d’apparitions de ce genre parmi lesquelles celle de 1572 était si brillante qu’elle était visible en plein jour.

Notre Terre certainement et toutes les planètes habitées, ses sœurs, appartiennent à la cinquième phase de leur évolution, phase qui est incontestablement à l’apogée d’une vie stellaire.

Notre nébuleuse solaire a donc dû aussi présenter à ses origines l’aspect d’un noyau lumineux enveloppé à une grande distance d’une sorte d’atmosphère gazeuse, de forme à peu près sphérique, et dont le diamètre a dû dépasser 30 milliards de kilomètres.

Les planètes, en commençant par les plus éloignées et en finissant par Mercure, se sont dégagées sous forme d’anneaux incandescents des entrailles équatoriales du Soleil, car le mouvement de rotation étant plus fort à l’équateur, la force centrifuge était naturellement prépondérante. Les anneaux se divisèrent et les débris les plus considérables, attirant et s’agrégeant les autres, formèrent de nouveaux centres ou noyaux nébuleux.

Chacun de ces noyaux a dû être animé de deux mouvements simultanés, l’un de rotation autour de son propre centre, l’autre de translation autour du centre commun, le noyau solaire. De plus, comme ces deux mouvements n’étaient que la continuation du mouvement antérieur général, le sens resta le même que celui de la rotation de tout le système ou du noyau solaire.

De la même façon, les planètes, encore à l’état d’incandescence, donnèrent naissance à de nouveaux corps, — les satellites ou lunes, — gravitant et tournant autour d’elles.

Il y a, s’il nous est permis de nous exprimer ainsi dans l’intérêt de la clarté, entre Soleil, planète et lune, en quelque sorte les mêmes rapports qu’entre mère, fille et petite-fille. Comme le Soleil, leur commun ancêtre, chaque planète et chaque lune ont commencé leur existence autonome à l’état de noyau nébuleux et, comme ces dernières également, le soleil et les étoiles, qui sont des soleils lointains, sont. tous appelés, à leur tour, à devenir des corps solides, des terres analogues à la planète que nous habitons ou à la lune qui éclaire nos nuits de la lumière réfléchie de l’astre du jour.

Le Soleil. — Actuellement, notre Soleil, l’astre du jour auquel nous devons la vie, occupe presque le centre de notre République planétaire. Son diamètre égale environ 109 fois, sa superficie 12.000, son volume 1.300.000 et son poids 324.439 fois celle de la Terre.

La définition usuelle du Soleil, corps gazeux incandescent à forme sphérique, est loin d’être rigoureusement exacte.

Le Soleil, dont la surface est à la température d’environ 6.000 degrés, n’est en réalité ni solide, ni liquide, ni gazeux dans le sens que nous attribuons généralement à ces mots, car les gaz qui composent son globe sont condensés dans une condition de physique absolument inconnue pour nous, leur poids n’est, en moyenne, à volume égal, que quatre fois moins lourd que les substances terrestres et la pesanteur est à la surface solaire 27 1/2 fois plus forte qu’à la surface de notre planète.

L’astre du jour tourne, de l’Ouest à l’Est, autour de son axe, en 25 jours 4 heures (la rotation des taches s’effectue entre le 45° et 50° parallèle boréal et austral en 28 jours) en entraînant avec lui, à raison d’une vitesse de 20 kilomètres par seconde tout notre système planétaire, composé de quatre planètes de moyenne grandeur, Mercure, Vénus, la Terre, Mars, un millier de petites planètes situées entre les orbites de Mars et Jupiter, quatre grandes planètes, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune et Pluton, dont les proportions ne sont pas encore suffisamment déterminées, ainsi qu’une quantité de comètes dans la direction de l’amas stellaire qui est situé dans la constellation d’Hercule.

Si nous quittons, par la pensée, l’astre du jour, qui se trouve presque au centre de notre système solaire, pour aller à la périphérie, la première planète, Vulcain, n’ayant jamais été découverte, est Mercure.

Mercure. — La planète Mercure marche avec une vitesse de 46 kilomètres 811 mètres par seconde et met 87 jours, 23 heures, 15 minutes et 46 secondes pour parcourir son orbite de 356 millions de kilomètres, qui se trouve à une distance de 58 millions de kilomètres du Soleil. L’année mercurienne est par conséquent d’environ 88 jours terrestres et comme cette planète, pareille à la Lune relativement à la Terre, tourne toujours le même côté contre l’astre radieux, elle ne compte qu’un jour dans son année. Le diamètre de Mercure est de 4.800 kilomètres, son volume est 19 fois plus petit que celui de la Terre, et son poids 16 fois moindre. La pesanteur à sa surface est moitié plus faible que chez nous et la densité des matériaux environ 1/5e plus forte. L’atmosphère de Mercure est plus dense et plus élevée que la nôtre et sa topographie nous est encore entièrement inconnue.

Ces données sont incontestablement insuffisantes pour affirmer la présence actuelle d’habitants sur Mercure. Mais la question est oiseuse depuis que les sciences exactes ont démontré qu’il n’y a aucune ligne de démarcation absolue entre la nature organique et inorganique et que l’analyse spectrale a révélé, non seulement l’origine commune de toutes les planètes de notre système, mais aussi l’unité constitutive de l’Univers, qui nous donne la certitude que toutes les étoiles qui scintillent dans le ciel sont des laboratoires qui se préparent les éléments de la vie organique et que chaque planète est, a été ou peut devenir un foyer de vie.

Vénus. — La seconde planète que nous rencontrons en venant du Soleil pour nous diriger vers la périphérie de son système est Vénus.

L’étoile du berger ou du matin et du soir gravite autour de l’astre du jour à une distance moyenne de 108 millions de kilomètres avec une vitesse de 34 kilomètres 600 mètres par seconde et met 224, 70 jours pour parcourir son orbite presque circulaire et longue de 672 millions de kilomètres. L’année de Vénus est par conséquent de 224 7/10e de jours terrestres.

Les proportions de Vénus sont presque les mêmes que celles de notre Terre ; son atmosphère est plus dense, on y voit rarement sa surface et jusqu’ici on n’a pu déterminer la longueur de son jour qui semble être, comme le nôtre, de 24 heures à peu près.

La Terre. — À 149.500.000 kilomètres en moyenne du Soleil, nous nous retrouvons chez nous, dans notre « home » sublunaire, âgé de 2 milliards d’années environ et dont l’humanité remonte bien à 300 mille années au moins.

La Terre tourne autour d’elle-même en 23 heures, 56 minutes, 4 secondes, et son mouvement de translation est de 365 jours, 6 heures, 9 minutes, 10 secondes, ce qui donne pour sa marche une allure moyenne de 29 kilomètres et demi par seconde pour accomplir sa révolution annuelle de 930 millions de kilomètres.

Le diamètre de notre Terre est de 12.742 kilomètres ; mais ce diamètre, qui va d’un pôle à l’autre, est plus court de 43 kilomètres que celui qu’on mènerait d’un point de l’équateur au point diamétralement opposé. Cet aplatissement — 1/292 du globe terrestre dans le sens de son axe de rotation et le renflement des parties équatoriales constituent la preuve mécanique de son état fluide primitif, la démonstration scientifique que la Terre a été un soleil.

La surface de notre planète est de 510 millions de kilomètres carrés, dont 384 millions sont recouverts par les mers et 26 millions — le quart seulement — composés de terres habitables.

Le volume de notre globe est d’un trillion 83 milliards 260 millions de kilogrammes cubes ; son poids de 5 septillons 957 sextillions, cinq cents quintillons de kilogrammes et sa densité supérieure 5 ½ fois à celle de l’eau.

Avant de décrire sommairement la lune, notre compagne fidèle, voici quelles sont, grâce à l’inclinai son de la Terre sur son axe de rotation, les durées des jours et des nuits, selon les latitudes sur lesquelles on se trouve. Le tableau suivant donne la longueur des jours pour les solstices d’été, 21 juin et 22 décembre, de l’hémisphère nord et sud. La longueur des jours pour les solstices d’hiver, 22 décembre et 21 juin, de l’hémisphère boréal et austral est égale à la longueur des nuits de leur solstice d’été respectif :

Longueur du jour au solstice d’été :

Equateur 12 heures 64° 50 21 heures
16° 44 13 — 65° 48 22 —
30° 48 14 — 66° 21 23 —
41° 24 15 — 66° 34 24 —
49° 02 16 — 67° 23 1 mois
54° 31 17 — 69° 51 2 —
58° 27 18 — 73° 40 3 —
61° 19 19 — 78° 11 4 —
63° 25 20 — 85° 05 5 —
64° 50 21 — Aux pôles 6 —

La température moyenne de la surface du globe terrestre est de 15° C., sensiblement la même que celle de Toulon. La température annuelle moyenne des régions équatoriales varie entre 26 et 30°, les maxima enregistrés sont de 52° à 56° à l’ombre. La température moyenne hivernale de Jakontsk et de Werchnojansk, latitude 62 et 67, en Sibérie Orientale, est de – 40° à — 45° avec température minima de — 63° pour Jakontsk et — 67° pour Werchnojansk. Température maxima dans l’eau : Mer Rouge, 32° ; Golf Persique, 35°.

La Lune. — La Lune, la muette compagne de nos nuits, qui fait avec nous le voyage autour du Soleil, n’est qu’à 384.436 kilomètres de nous, distance que la lumière franchit en une seconde un quart.

La Lune, qui réfléchit la 618.000e partie de la lumière solaire, autrement dit qui est 618.000 fois moins brillante que l’astre du jour, marche à raison de 1 kilomètre 17 mètres par seconde sur son orbite autour de notre planète en 27 jours, 7 heures, 43 minutes, 11 secondes, en lui montrant toujours la même face. Mais comme, pendant l’accomplissement de sa révolution sidérale, la Terre a continué son mouvement de translation autour du Soleil, la lunaison (révolution synodique), qui est l’intervalle entre deux nouvelles lunes, se trouve être de 29 jours 12 heures, 44 minutes, 3 secondes (pour rattraper la Terre dans sa marche autour du Soleil.

Il résulte de l’ensemble des 60 mouvements de la Lune qu’il n’y a environ que douze jours dans son année de 29 1/2 jours terrestres et que, pendant la durée du jour lunaire, la surface de notre satellite est alternativement exposée à plus de 300 heures de lumière et d’obscurité.

Les phases de la Lune sont déterminées par sa position relativement au Soleil. Lorsqu’elle passe entre lui et nous, nous ne la voyons pas, parce que son hémisphère non éclairé est tourné vers la Terre, c’est la nouvelle Lune. Lorsqu’elle forme un angle droit avec le Soleil, nous voyons la moitié de son hémisphère éclairé : c’est le premier ou dernier quartier, et lorsqu’elle est à l’opposition du Soleil, c’est la pleine Lune et nous voyons toute sa surface éclairée.

Le diamètre de la Lune est de 3.480 kilomètres, sa surface de 38 millions de kilomètres carrés, soit un peu moins que la 14e partie de celle de la Terre, mais comme elle nous montre constamment le même côté, nous ne connaissons que 21.833.000 kilomètres carrés de sa surface totale.

Le volume de la Lune est 49 fois plus petit et son poids, égal à 74 sextillions de kilogrammes, 81 fois plus léger que celui de la Terre.

Mais ce qui caractérise le plus la Lune, c’est son absence d’atmosphère, de son, d’eau, ses volcans éteints. C’est le règne du silence éternel.

Selon toutes les probabilités, la Lune est une terre morte, Mars une terre qui décline, notre planète en pleine activité a encore des millions d’années devant elle et le monde géant de Jupiter l’avenir. Dans ces conditions, paix aux trépassés et encore un mot, pour prendre congé, sur les éclipses de la Lune qui intéressent les vivants que nous sommes.

La Lune offre à notre curiosité deux genres d’éclipses : sa propre éclipse, qui a toujours lieu au moment de la pleine Lune, quand elle entre dans la zone d’ombre de la Terre, et est visible au même instant physique dans tous les pays où elle se trouve au-dessus de l’horizon, et l’éclipse du Soleil qui se produit toujours à la nouvelle Lune, quand notre satellite s’interpose entre la Terre et l’astre du jour. L’éclipse totale de la Lune peut durer deux heures, l’éclipse totale du soleil ne dépasse guère 5 à 6 minutes.

Mars. — Nous voici à la planète Mars, célèbre, pour nous autres humains, par les flots d’encre que nous avons versés sur les habitants présents ou absents et sur la surface de laquelle nous avons absolument voulu voir, suggestionnés par Schiaparelli, des « canaux », sorte de travaux d’irrigation pour faire profiter les plaines de cette planète, où l’eau se ferait rare, de la fonte des neiges, constatées au printemps, de ses régions polaires.

À ce désir et rêve des chercheurs scientifiques qui, depuis Galilée jusqu’à Flammarion, ont fouillé le sol de chars dans toutes les directions par le télescope et l’analyse spectrale, afin de trouver des traces palpables de vie, l’uranographie de chars, notre sosie en miniature, répond :

Mars, la planète rouge-jaunâtre, vogue sur son orbite elliptique, longue de 1.400.000.000 de kilomètres avec une vitesse de 23 kilomètres 850 mètres par seconde, et met un an 327 jours pour accomplir sa révolution en tournant autour de son axe en 24 heures, 37 minutes, 23 secondes.

L’année de Mars est conséquemment égale à un an 322 jours, soit 687 jours terrestres — 668 2/3 jours martiens et son jour a 24 heures, 37 minutes, 23 secondes.

A sa distance moyenne, Mars est à 225.400.000 kilomètres du Soleil. De la Terre, la distance de Mars varie dans le rapport de 1 à 7, de sorte que son diamètre apparent peut aller de 4° à 30° quand l’opposition arrive vers l’aphélie de la Terre et le périhélie de Mars. Lorsque l’opposition arrive au moment du périhélie de Mars, cette planète passe à sa plus grande proximité possible de la Terre, soit à 56 millions de kilomètres. La Terre et Mars tournent dans le même sens, ne se rencontrent d’un même côté du Soleil qu’après 2 ans et 2 mois et se trouvent à leur plus grande proximité tous les 15 ans un quart. Leur prochaine distance minima aura lieu en 1938.

Le diamètre et la périphérie de Mars ne dépassent guère la moitié de ceux de la Terre et leur longueur respective est de 6.753 et 21.200 kilomètres. La superficie de l’astre est de 143.163.600 kilomètres carrés, ce qui fait un peu plus que la quatrième partie de celle du globe terrestre. Le volume de notre voisine est 6 fois et demie plus petit et son poids 9 fois et demie plus léger que le nôtre. Etant 6 fois et demie plus petit que la Terre, en volume, Mars se trouve être 7 fois et demie plus gros que la Lune et 3 fois plus gros que Mercure.

La densité des matériaux constitutifs de cette planète est égale aux 71/100 de la densité moyenne de notre Terre et la pesanteur à sa surface est presque 3 fois, 0, 374, plus faible qu’ici, ce qui veut dire que 100 kilos transportés sur Mars n’y pèseraient que 37 kilos.

Nos connaissances à l’égard de Mars ne se bornent pas à son uranographie. Le télescope et l’analyse spectrale, découvert par Kirchhof et Frauenhofer, en 1860, nous ont permis d’acquérir des notions positives sur son atmosphère, ses climats, ses saisons, sa géographie.

La présence de nuages, très rares il est vrai, et de glace et de neige, qui recouvrent ses pôles, en augmentant ou en diminuant d’extension, selon qu’il fait hiver ou été sur la région circumpolaire que nous observons, attestent suffisamment l’existence d’une atmosphère.

Huggins a prouvé, à l’aide du spectroscope, la présence de vapeurs d’eau. Il a constaté que le spectre de Mars est coupé dans sa zone orangé par un groupe de raies noires qui coïncident avec les lignes qui appartiennent, dans le spectre solaire, au coucher du Soleil, quand la lumière de cet astre traverse les couches les plus denses de notre atmosphère. Si ces raies étaient causées par l’atmosphère terrestre, elles auraient dû également se montrer dans le spectre lunaire comme dans celui de Mars. Or, elles n’y sont pas perceptibles, ce qui prouve que celle du spectre martien appartiennent à l’atmosphère de Mars et que cette dernière est comme la nôtre, quoique un peu moins, chargée de vapeurs d’eau.

La surface de Mars est presque aux 3/4 composée de terres et à 1/4 de mers, contrairement à notre Terre, où cette proportion est renversée. Les montagnes sur notre voisine sont bien moins hautes qu’ici et les mers bien moins profondes que nos océans, ce que paraît indiquer leur couleur claire.

Enfin, l’obliquité de l’elliptique étant sur Mars de 24° 52’— ici 23° 27’ — il en résulte que les saisons martiennes sont de même nature que les nôtres, quoique presque deux fois plus longues, comme le montre, pour l’hémisphère nord des deux planètes, le tableau suivant :

Sur La Terre
Printemps 93 jours terrestres
Eté 93 — —
Automne 90 — —
Hiver 89 — —
Sur Mars
Printemps 191 jours martiens
Eté 181 — —
Automne 149 — —
Hiver 147 — —

Il y a, sur Mars, comme sur notre Terre, trois zones : la torride, la tempérée et la glaciale, qui s’étendent respectivement de l’équateur à 24° 52 et de cette latitude jusqu’à 65.8 et de là aux pôles.

Ainsi, la longueur des jours et des nuits, leurs variations, selon le cours de l’année, leurs différences, selon les latitudes, sont autant de phénomènes semblables sur les deux planètes. La différence entre elles n’est notable qu’en ce qui concerne la lumière et la chaleur solaire, qui sont deux fois moins intenses sur Mars qu’ici, le diamètre apparent du Soleil étant, vu de Mars, 21°, de la Terre, 32° 3.

Ajoutons encore qu’au lieu d’un satellite, comme la Terre, Mars en a deux : Deimos qui effectue sa révolution en 30 heures 17° 54 » et Phobos en 7 heures 39° 15 », à des distances respectives de 20.325 et 6.055 kilomètres de la surface martienne.

Voilà à peu près l’essentiel de ce que nous savons de Mars. Naturellement, nous ne pouvons pas non plus affirmer que Mars soit actuellement habité par des êtres conscients et intelligents. Mais, pour nous, la question ne se pose pas ainsi : « La pluralité des mondes habités étant depuis longtemps mathématiquement tranchée par l’affirmative. » La seule question qui se pose encore pour nous est de savoir si les planètes d’un même système peuvent être simultanément habités par des « humanités évoluées », étant donné les millions d’années qui séparent probablement leurs naissances.

Les petites planètes. — La formation d’une grosse planète entre Mars et Jupiter a dû être empêchée par le voisinage du monde jovien dont l’attraction puissante, après avoir brisé l’anneau primitif en voie de devenir un globe, a mis ensuite obstacle à la réunion de toutes ces parcelles par les perturbations constantes qu’il exerce sur elles.

Dans cette zone du ciel, les mille petites planètes réunies en une seule ne dépasseraient guère le tiers de la masse de la Terre.

Etant donné l’excentricité extrême des orbites de ces planètes minuscules, quelques-unes, comme Acthra et Éros, peuvent s’approcher du Soleil plus que Mars dont elles coupent l’orbite.

Éros, qui n’est pas plus grande qu’un département français, peut s’approcher de la Terre jusqu’à 46 millions de kilomètres environ et s’éloigner jusqu’à 265 millions. Par contre, l’orbite de Hilda se rapproche de celle de Jupiter jusqu’à 184 millions de kilomètres.

Les orbites de quelques-uns de ces petits mondes s’entrelacent souvent à tel point que l’hypothèse d’une association comme planète double ou une collision éventuelle paraît admissible. La plus grande de ces petites planètes est Cérès, dont le diamètre est de 767 kilomètres, tandis que celui des petites n’atteint même pas 50 kilomètres. Néanmoins, rien ne s’oppose à admettre que ces terres lilliputiennes ne soient ou aient été le siège d’une vie intense et d’une civilisation, qui, comparée à la nôtre, l’éclipserait dans son rayonnement.

C’est notre anthropomorphisme, legs de longs siècles de religion qui ont enténébré la mentalité humaine, qui seul nous rend si difficile la compréhension de cette vérité évidente : qu’il n’y a dans la nature ni cause finale, ni grand ni petit.

Le monde géant de Jupiter. — En continuant par la pensée notre voyage vers la circonférence de notre République Solaire, nous voici en face du monde géant de Jupiter qui constituait, encore hier, astronomiquement parlant, avec le Soleil, une étoile double et nous offre, avec le cortège triomphal de ses belles lunes, l’image en raccourci de notre système planétaire.

Jupiter, qui est à peu près, comme taille et poids, au Soleil, ce que notre Terre est à lui, a un diamètre 11 fois plus long et un volume 1.300 fois plus grand que les nôtres et vogue sur son orbite longue de 4.830.180.000 kilomètres avec la rapidité de 12 kilomètres 800 mètres par seconde, en tournant autour de son axe en 9 h 55 et autour du Soleil en 11 ans 10 mois et 17 jours terrestres.

L’année de Jupiter égale conséquemment presque 12 de nos années, pendant que la durée de son jour n’est que de 9 heures 55’.

Tous les 399 jours, la grande planète revient en opposition relativement au Soleil, et le Soleil, la Terre et Jupiter se trouvent alors sur une même ligue. Cette date est, avec les trois mois qui la suivent, la plus favorable à l’observation.

L’orbite de Jupiter est, en moyenne, à 775 millions de kilomètres du Soleil, mais comme elle est elliptique avec une excentricité de 0, 048, il y a plus de 80 millions de kilomètres de différence entre sa distance au Soleil ou à la Terre à son périhélie qu’à son aphélie.

Selon que la grande planète est à son périhélie ou à son aphélie, son diamètre apparent varie de 30 à 47. C’est cette différence de distance qui constitue seule les saisons de Jupiter, car l’inclinaison de son axe de rotation n’est que de 3°, c’est-à-dire presque perpendiculaire à son orbite.

Le tour du globe de Jupiter et son diamètre équatorial dépassent onze fois, en longueur, ceux de la Terre. Le diamètre polaire, par contre, n’a que 132.800 kilomètres, car la rapidité du mouvement de rotation de la planète sur elle-même est si grande, qu’un point situé sur l’équateur court en raison de 12 kilomètres 450 mètres par seconde. De là, le renflement de son équateur et l’aplatissement de ses pôles qui est de 1/17°, tandis que celui des pôles terrestres n’est que de 1/292e. La surface de Jupiter est égale à celle de 114 terres.

La densité moyenne des matériaux qui composent ce grand monde, est de 0, 242, c’est-à-dire d’environ 1/4 de ce qu’elle est ici, et l’intensité de la pesanteur de 2 1/4 fois plus forte que sur la Terre.

Ces chiffres prouvent que les conditions de vie sont bien différentes sur Jupiter de ce qu’elles sont sur Mars, la Terre, Vénus et Mercure.

Non seulement Jupiter offre à ses habitants présents ou futurs, des années d’une longueur de 12 ans terrestres avec 10.455 jours de 10 heures chaque, une égalité quasi absolue de climat sous toutes ses latitudes, grâce à l’inclinaison de l’équateur sur l’orbite de 3° seulement, mais ce monde, qui gravite 5, 2 fois plus loin de l’astre du jour que la Terre ne reçoit qu’environ 27 fois moins de lumière et de chaleur du Soleil que nous.

Recevoir 27 fois moins de lumière que la Terre, c’est encore loin d’être plongé dans une obscurité opaque. La pleine lune répand une clarté 618.000 fois plus faible que celle du Soleil et puis le nerf optique des êtres d’une planète quelconque est forcément adapté au milieu où ils sont appelés à vivre et évoluer.

Pour ce qui est de la chaleur, qui existe sur la surface de Jupiter, elle dépasse certainement et de beaucoup celle qui résulterait de la seule action solaire et il est probable que ce globe, quoique né avant la Terre, a conservé, en raison de son volume et de sa masse, une partie de sa chaleur originelle.

L’atmosphère, dense, haute, tourmentée et saturée de vapeurs qui entoure la planète géante, indique que le climat de Jupiter est plus chaud que celui de la Terre et qu’il règne sur ce monde lointain, un déchaînement des éléments comme notre Terre n’en a plus connu depuis la période primordiale des époques géologiques. Sur sa zone équatoriale, le vent souffle constamment en ouragan et la rotation des nuages de cette région s’effectue en 9 heures 50’pendant que celle des nuages du 25° parallèle met 9 heures 55.

Nous ne voyons que très rarement la surface de la planète. Les bandes blanches et grises, souvent nuancées d’une coloration jaune et orangée, qui sillonnent ce globe principalement vers la région équatoriale, font partie de sa couche aérienne. Sur ces bandes, on remarque parfois des taches plus claires ou foncées que le bord sur lequel elles sont placées, ou encore des déchirures qui se déplacent les unes et les autres de la gauche à la droite (de l’Ouest à l’Est), si l’on observe la planète dans un télescope qui ne renverse pas les objets. Ces taches appartiennent également à l’atmosphère jovienne et font partie des nuages qui enveloppent ce monde colossal.

En général, l’équateur est marqué d’une zone blanche, il y a une bande plus sombre, nuancée d’une teinte rougeâtre foncée. Au-delà de ces deux bandes sombres, australe et boréale, on voit, ordinairement, des bandes parallèles alternativement blanches et grises. La nuance générale devient plus grise et homogène au fur et à mesure qu’on s’approche des pôles et les régions polaires elles-mêmes sont grises-bleuâtres.

Mais il n’y a aucune fixité dans ces bandes, dont l’aspect typique varie fréquemment et profondément.

Entre la 20° et la 30° latitude australe de la planète, MM. Corder et Terby ont aperçu, en 1872, pour la première fois, une grande tache rougeâtre, de forme ovale, longue de 42.000 et large de 15.000 kilomètres. Cette tache pourrait bien être un continent en formation qui serait, relativement à Jupiter, dans la même proportion que l’Australie l’est relativement à la Terre.

L’analyse spectrale montre que l’atmosphère de Jupiter, si dense dans ses couches inférieures, grâce à l’intensité de la pesanteur, est composée, sauf quelques substances qui paraissent spéciales à ce monde, de la même vapeur d’eau que celle de la Terre. Cette atmosphère est, comme nous l’avons dit, très agitée et soumise à des variations continuelles, qui, chose étrange, paraissent elles-mêmes être en relation avec les taches du Soleil et avoir aussi leur maximum tous les onze ans.

Jupiter ne vogue pas seul dans l’espace. Il marche sur son orbite accompagné de 4 grands et plusieurs petits satellites qui ne sont que des astéroïdes captivés par lui.

Io, Europe, Ganymède et Callisto, les quatre grands satellites, découverts en 1610, par Galilée, sont une des curiosités les plus attirantes du ciel, et font du monde jovien une miniature de notre système solaire.

Ces quatre lunes offrent, avec leur monde central, les principaux éléments astronomiques suivants :

Distance
de
Jupiter
(Durée du révol.)
en
jours joviens
Diamètre
Io 430.000 km (4, 27) 3.800 km
Europe 682.000 km (8, 58) 3.300 km
Ganymède 1.088.000 km (17,29) 5.800 km
Callisto 1.914.000 km (40,43) 4.400 km

Ganymède, comme importance, vaut une véritable planète. Son diamètre égale au 47/100e de celui de la Terre, surpasse de près du double le volume de Mercure, égale les deux tiers de celui de Mars et est cinq fois plus gros que notre Lune.

Comme la Lune le fait pour la Terre, tous ces satellites tournent autour de Jupiter en lui montrant constamment la même face et les différences d’éclat observées sur leurs disques prouvent que leur sol est accidenté comme le nôtre et qu’ils sont environnés d’une couche atmosphérique. Le spectroscope fait voir dans cette atmosphère la même vapeur d’eau qu’ici et quelques gaz qui n’existent pas sur la Terre, mais qui sont évidemment les mêmes que ceux constatés sur Jupiter.

Le globe jovien observé de Io présente un disque de 20° de diamètre, c’est-à-dire 1.400 fois plus vaste que celui du Soleil, vu de la Terre et le satellite Io reçoit de la planète, dont le pouvoir réflecteur égale trois fois celui de la Lune, plus de 155 fois et le dernier 8 fois plus de lumière que nous de la compagne de nos nuits.

Mais le monde colossal de Jupiter n’offre pas seulement aux habitants futurs de la planète géante un séjour incomparable à ceux présents ou passés de ses lunes, des effets grandioses de lumière et des perspectives célestes enchanteresses, il est encore pour nous une révélation permanente de la vie universelle et un enseignement hors ligne de vérités astronomiques.

C’est à l’observation des éclipses quotidiennes que les lunes de Jupiter produisent que nous devons la connaissance de la rapidité de la lumière. L’astronome danois Olaf Roemer remarqua le premier, en 1675, que ces éclipses retardaient ou avançaient d’environ 16 minutes et demie, selon que Jupiter se trouvait en conjonction ou en opposition avec le Soleil.

Le diamètre de l’orbite terrestre étant d’environ 298 millions de kilomètres, il était, désormais, prouvé que la lumière parcourt 300.000 kilomètres par seconde, ou plus exactement 299.796 kilomètres.

C’est à l’étude télescopique et spectroscopique du disque jovien que nous puisons, à l’heure qu’il est, les renseignements les plus précieux de géologie stellaire et que la philosophie astronomique trouve le mieux à se documenter.

Monde en voie de formation, Jupiter nous fait assister, d’ici, aux périodes les plus mouvementées de la préhistoire de notre propre planète. Ce qui se passe là-haut est ce qui s’est passé ici-bas, il y a une centaine de millions d’années, et c’est notre propre passé que nous étudions en observant le déchaînement de tous les éléments qui se produisent actuellement à plus de 600 millions de kilomètres d’ici, sur le géant de notre système.

S’il est exact que le vaste Jupiter soit, aujourd’hui, — et c’est certain — au même stade de son évolution où en était la Terre, il y a cent millions d’années, il faudra à la planète géante, qui est mille fois plus grosse et trois cents fois plus lourde que notre globe, des millions de siècles pour qu’elle puisse arriver dans son évolution ascendante, au point qui correspond à celui auquel nous sommes parvenus dès maintenant. Mais si, par hypothèse, d’ici là, le foyer d’action vitale de notre système planétaire qu’est le Soleil s’était éteint — et il y a des savants, et pas des moindres, qui n’accordaient, hier encore, qu’une quarantaine de millions d’années à sa lumière et à sa chaleur — les germes de vie, qui se trouvent actuellement à l’état embryonnaire sur notre grande planète sœur, n’arriveraient jamais à leur entière éclosion, à leur plein développement, Jupiter serait mort avant d’atteindre son apogée.

Qu’on puisse compter sur des millions de siècles et toutes les îles de notre archipel solaire auront le temps de parcourir le cycle entier de leur évolution. Par contre, l’astre du jour s’étant éteint dans quarante millions d’années, Jupiter, mort avant son heure, serait condamné à faire, à son détriment, l’expérience de manque de finalité dans l’Univers, la nature, alternativement marâtre et bienfaisante, ne faisant aucune différence, qu’il s’agisse de ces atomes du ciel, que sont les soleils et les planètes, ou de nous autres, habitants fugitifs de ce monde sublunaire.

Quoiqu’il en soit, la vie vaut la recherche de la vérité désormais acquise, que la vie est partout illimitée dans le temps et l’espace.

Saturne. — Saturne, où nous arrivons maintenant, est la plus grande merveille de notre système planétaire, dans lequel il reste, avec son anneau lumineux, comme le principal témoignage de la formation des mondes. Dieu du Temps et du Destin des anciens, son orbite était considéré, jusqu’à la fin du xviiie siècle, comme la frontière de notre République solaire.

Cette belle planète, dont l’inclinaison de l’équateur sur l’orbite est de 26° 49’, gravite à une distance moyenne de 1.400.000.000 kilomètres du Soleil, en faisant 9 kilomètres et demi par seconde sur son parcours de 8.860.000.000 kilomètres et met, en tournant autour de son axe en 10 h 14’, 29 ans et demi pour accomplir sa révolution autour du Soleil.

Le diamètre équatorial de Saturne est de 122.000 kilomètres, mais son volume n’est que 719 fois aussi gros que celui de la Terre, car l’aplatissement de ses pôles est de 1/10{{e}, tandis qu’il n’est que de 1/17e sur Jupiter et 1/292e ici.

Quoique 719 fois plus gros que la Terre en volume, le poids de Saturne ne dépasse guère 92 fois celui de notre planète.

Le spectre de Saturne présente la plus grande similitude avec celui de Jupiter, mais il n’en est pas de même de son anneau, où la bande caractéristique dans le rouge ne se retrouve, ce qui nous fait penser qu’il ne doit pas y avoir plus d’atmosphère dans l’anneau de Saturne que dans notre Lune.

La couronne de Saturne est un système d’anneaux concentrique, composés d’un grand nombre d’astéroïdes ou lunes minuscules se présentant dans le télescope comme un immense anneau nettement partagé en deux anneaux distincts séparés l’un de l’autre par un espace noir, large de 2.800 kilomètres, dit ligne de Cassini. La distance du bord intérieur de l’anneau à la surface de Saturne n’est que de 11.600 kilomètres.

Au-dessus de ce système d’anneaux, une dizaine de lunes, dont plusieurs ne sont que des astéroïdes gravitant autour du monde Saturnien et desquelles nous ne voulons retenir que les plus grandes : Rhé et Titan, dont les diamètres semblent atteindre 1.200 et 3.000 kilomètres et qui mettent 4 et 15 jours pour contourner Saturne.

De l’ensemble de l’uranographie des satellites et de leur planète nous concluons que la vie, comme sur notre Lune, s’est depuis longtemps éteinte sur les premières et qu’elle a dû coïncider chez eux avec l’époque où Saturne était encore un soleil en pleine activité. Du reste, les avis sont partagés. Quant au globe de Saturne lui-même, dont le faible soleil n’a qu’un diamètre apparent de 3’22, l’activité actuelle, à sa surface, l’atmosphère dense, chargée de vapeurs d’eau nous incite encore à penser qu’il doit encore produire de la chaleur par lui-même, grâce à son volume énorme pas encore entièrement refroidi ou parce que la constitution physique et chimique de son atmosphère et les influences cosmiques de ses anneaux s’unissent pour créer des effluves électriques et transforment certains mouvements en chaleur.

Uranus. — Avec Uranus, découvert par William Herschel, en 1781, nous arrivons aux confins de notre monde solaire, où des perturbations encore inexpliquées ont occasionné les mouvements rétrogrades des quatre satellites d’Uranus et de celui de Neptune. Au lieu de tourner de l’ouest à l’est, comme la Lune, des satellites de Mars, de Jupiter et Saturne, dans le plan de leurs équateurs respectifs de façon à ce que ce plan ne fasse pas un angle considérable avec celui de leurs orbites autour de l’astre du jour, les compagnons d’Uranus tournent, au contraire, de l’est à l’ouest et dans un plan presque perpendiculaire à celui dans lequel la planète se meut. Il résulte de cela que l’axe de rotation d’Uranus est presque couché sur le plan de son orbite et que dans le ciel uranien le Soleil tourne d’apparence d’ouest en est au lieu de l’est en ouest. L’équateur d’Uranus étant incliné sur l’orbite, le Soleil uranien doit s’éloigner pendant le cours de son année de 81 ans terrestres jusqu’à cette même latitude et les latitudes qui correspondent sur cette planète à celle de l’Europe septentrionale pour nous, ont, pendant leurs longs hivers et leurs longs étés de 21 ans, le Soleil sans interruption alternativement au-dessous et au-dessus de l’horizon.

La planète Uranus se meut lentement, à l’énorme distance de 2 milliards 864 millions de kilomètres du Soleil, en faisant 6 kilomètres 700 mètres par seconde sur sa longue orbite de 17 milliards 830 kilomètres et met, en tournant sur elle-même en 11 heures environ, 84 ans et 8 jours pour accomplir sa révolution entière.

L’année d’Uranus est donc de 84 ans 8 jours et son jour de 11 heures à peu près.

Le diamètre d’Uranus est 4 fois celui de la Terre, soit exactement 53.000 kilomètres, ce qui fait que ce monde est encore, à lui seul, plus gros que les quatre planètes intérieures, Mercure, Vénus, la Terre et Mars réunies. Sa masse, par contre, est à peine 14 fois celle de la Terre, car les matériaux qui la constituent sont très légers et ne valent, à quantité égale, qu’un cinquième, 0, 1% des nôtres,

Par l’analyse spectrale nous savons que l’atmosphère d’Uranus ressemble plus à celle de Saturne et Jupiter qu’à la nôtre, qu’elle forme, comme la leur, des bandes parallèles à l’équateur et qu’elle renferme aussi des gaz inconnus ici, mais identiques ou analogues à ceux que nous avons trouvés dans les deux grandes planètes. En outre, fait à noter, l’atmosphère d’Uranus se distingue surtout par la faculté d’absorption, faculté que nous n’avons jusqu’ici rencontrée dans aucune autre planète de notre système.

Uranus a quatre lunes : Ariel, à 196.000 ; Umbriel, à 276.000 ; Titania, à 450.000 et Oberon à 600.000 kilomètres de distance et elles tournent respectivement en 2 jours 12 heures, 4 jours 3 heures et demie, 8 jours 16 heures et 13 jours et demi autour de lui.

Neptune. — Depuis que le prodigieux mathématicien Le Verrier a presque doublé le rayon précédemment connu de notre République solaire en heurtant de sa plume la terre lointaine du ciel qu’est Neptune, il nous semble qu’il doit y avoir encore, dans le domaine de notre Soleil, plusieurs planètes au-delà de cette dernière.

Cette probabilité de l’existence de planètes transneptuniennes ressort surtout de ce que la troisième comète de 1862 a son aphélie à la distance 48 (48 fois celle qui sépare le Soleil de notre Terre) et que les orbites de quatre autres comètes aussi paraissent avoir leur point d’intersection à une distance de 70. Si ce calcul est exact, et il doit l’être, l’hypothèse de deux planètes voguant à environ 7 et 10 milliards et demi de kilomètres du Soleil se vérifiera réalité à condition, bien entendu, qu’elles soient assez volumineuses pour être visibles.

A défaut de ces deux planètes attendues, un visiteur inattendu, la planète Pluton, de la taille de notre Terre, vient de se présenter, mais nous ne sommes pas encore en état de l’apprécier parce qu’elle est encore sur le « chantier ».

Retournons donc à Neptune, encore gardien provisoire de la frontière de notre système.

L’orbite de Neptune, longue de presque 28 milliards de kilomètres, est tracée autour du Soleil, à la distance moyenne de 4 milliards 487 millions de kilomètres. Cette planète, qui ne fait que 5 kilomètres 370 mètres par seconde, en tournant probablement en 11 heures autour de son axe, met 164 ans 281 jours pour accomplir sa révolution autour du Soleil. L’année de Neptune est donc de presque 165 ans et son jour d’environ 11 heures.

Le diamètre de ce monde, le nôtre multiplié par 3,8, est de 48.420 kilomètres. La densité de ses matériaux n’est que le tiers des nôtres, mais la pesanteur à sa surface est à peu près égale à ce qu’elle est ici. Malgré la faiblesse de sa lumière, l’analyse spectrale a permis d’apprécier son atmosphère et nous savons qu’elle offre presque une identité complète avec celle d’Uranus et qu’elle a les mêmes facultés d’absorption que la sienne.

Nous ne connaissons qu’une lune à Neptune. Elle fut découverte par Lassel, également en 1846, et elle tourne à 400.000 kilomètres autour de Neptune en 5 jours, 21 heures. Son mouvement est rétrograde, de l’est à l’ouest, et c’est surtout par la rapidité de sa rotation que nous avons pu établir approximativement celle de Neptune, dont le disque, légèrement bleuâtre et diffus, n’offre pas de points de repère suffisant pour permettre avec précision un tel calcul.

Vu d’Uranus, qui est 19,18 et de Neptune qui est 30 fois plus éloigné de l’astre du jour que nous, la première de ces deux planètes ne reçoit plus que la 368e partie et la seconde la 900e partie de chaleur et de lumière dont il nous gratifie. La pleine Lune réfléchissant la 618.000e partie de la lumière solaire, Uranus reçoit donc tout de même du Soleil encore 1.500 fois, et Neptune 687 fois plus de lumière que nous de la pleine Lune…

Nous voici, avec un peu d’efforts, arrivés au terme de notre voyage idéologique. Uranus et Saturne exceptés, toutes les planètes de notre monde ont disparu de notre vue ; mais les quatre milliards et demi de kilomètres qui nous séparent du Soleil n’ont en rien modifié les figures des constellations qui brillent au-dessus de nos têtes. Pour changer les perspectives stellaires que nous offrent les constellations de la Grande Ourse ou de l’Orion, il nous faudrait, sur les ailes de la pensée, plus rapides que la lumière, franchir neuf mille fois la distance qui nous sépare de Neptune, pour aborder, après avoir assisté à un défilé de comètes — les trépassés du Ciel — Proxima ou Alpha du Centaure, la belle étoile double, dont le volume égale environ deux fois et demi celui de notre Soleil… Je gage que nous ne serions pas bien dépaysés, parce que partout nous retrouvons même loi fondamentale, même égalité constitutive avec des variétés infinies, mais semblables dans les formes ou manifestations de la vie éternelle. — Frédéric Stackelberg.

P. S. — Une poule aveugle, prétend un dicton allemand, trouve parfois un grain d’or. C’était mon cas, quant à la Bégude, près de Marseille, j’ai trouvé une étoile dite nouvelle, en glanant, sans l’aide d’un télescope, dans le ciel pendant une belle nuit d’été, en 1918, comme en fait foi le télégramme que j’ai envoyé alors à notre inoubliable Camille Flammarion et qu’il inséra dans sa Revue Astronomique.

Je n’ai pas plus de mérite aujourd’hui qu’alors, en affirmant, dans l’intérêt de la précision et de la clarté, que toutes les étoiles sont alternativement diffuses et géantes dans leur jeunesse, condensées et naines pendant leur vieillesse et qu’elles semblent varier comme poids, en moyenne, dans la même proportion que les hommes entre eux de 1 à 5 et que la longévité maxima d’un être humain qui ne dépasse guère 120 ans, trouve son pendant équivalent dans une étoile dont l’âge de la naissance à la mort (sortie et retour à l’éther intersidéral) ne doit pas dépasser 15 trillions d’années. — F. S.