En voyage, tome II (Hugo, éd. 1910)/Alpes et Pyrénées/C/14

Texte établi par G. SimonLibrairie Ollendorff (p. 409-410).

de bayonne à pau.
notes. —
[14 août.]

Quatre heures du matin. — Impériale. — Brumes. — Grandes plaines. — Le soleil dans les yeux. — Une traînée de vapeurs marque à droite le gave de Pau. — Vers midi on ne distinguait les Pyrénées qu’à quelques stries blanches à l’horizon, comme si la robe bleue du ciel éraillée par places laissait voir sa trame d’argent. À un gros bourg, à Bianvos, je crois, colline surmontée d’une belle ruine. Plus loin Peyrehorade. Le nom semble indiquer un ancien gnomon, peut-être un peulven dont l’ombre en tournant disait l’heure.

Orthez. — Belle et haute tour carrée des anciens vicomtes. Ville gaie et ouverte au soleil. À l’entrée de la ville, des paysannes allant au marché mettaient naïvement leurs bas dans la rue.

Dans une jolie vallée déserte deux femmes menaient paître un troupeau composé d’une oie. Chacune de ces deux femmes semblait fort affairée à garder sa moitié d’oie. L’oie goguenarde avait l’air de se moquer d’elles.

Pau. — Le château. On n’en voit que trois ou quatre salles médiocrement restaurées, mais admirablement meublées, avec les vieux bahuts et les vieilles tapisseries du garde meuble. Comme on attend M. le duc de Montpensier, on a frotté les salles. Un laquais chargé de protéger le parquet veut m’empêcher d’aller voir une statue de Henri IV dans le grand salon du premier étage. Je houspille le laquais et je vais regarder la statue. Belle, fine, spirituelle et délicate sculpture du 16e siècle. Pourtant c’en est la fin. Déjà la lourdeur de Louis XIII se fait sentir.

Je me fais ouvrir d’autorité la grosse tour. Admirable vue de la plate-forme. Toutes les Pyrénées. Toute la ville. Toits d’ardoise. Une jeune dame anglaise que j’avais fait monter avec les personnes qui l’accompagnaient, dont un habitant de la ville, considérait avec beaucoup de curiosité une maison basse, fermée, isolée dans un jardin. Pas une fenêtre ouverte. Les vignes et les lierres cachant les murs. Un homme travaillant dans le jardin. C’est la maison du bourreau de Pau. Cet homme, c’était le bourreau. Il est riche, disait l’habitant de la ville.

Porte de la chapelle, renaissance ; restaurée d’une façon charmante, complète, exquise. Gâtée pourtant par une croix de mauvais goût qui remplace le chou de l’imposte. Admirables escaliers à vis, bien restaurés.

Berceau de Henri IV. L’écaille de tortue rongée par les bords. Est-elle bien authentique ? (Voir le livre Saget.) Ridiculement affublé d’un faisceau de piques en bois doré, et d’un casque en carton à panaches blancs style Louis XVIII. Une relique du 16e siècle et le royalisme à fleurs de lys ventrues de 1814. Rencontre criarde et fâcheuse.

Pau — ville gaie, jolie, propre. Un peu trop refaite et remaniée, ce qui lui ôte son air historique. La tranchée que fait le vieux fossé à travers la ville a conservé seule l’ancienne physionomie du Pau d’Antoine de Bourbon. Vieilles maisons d’ardoise. Cahotées, coupées d’accidents curieux d’architecture, et étalant à tous leurs étages les verrues originales et bizarres de la maçonnerie domestique du quinzième siècle.