Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme/En m’en revenant un soir d’été


EN M’EN REVENANT UN SOIR D’ÉTÉ


vers neuf heures et demie.


Que faudrait-il, hélas ! pour que cette grande âme
Reprit goût à la vie et ranimât sa flamme ?
Jeune, comme il vieillit ! comme il se traîne seul !
À le voir si voûté, l’on dirait un aïeul !
Il se ride, il jaunit, il penche vers la tombe ;
Du front, chaque matin, une mèche lui tombe.
Sans doute, bien des coups, dès longtemps, l’ont blessé ;
Son destin finira, tel qu’il a commencé,
Dans l’ennui, dans les pleurs ; il connaît trop la vie,
Et combien tout est vain dans tout ce qu’on envie ;
Sans doute, il sait trop bien ce que valent de soins
La gloire, le bonheur, — fantômes ! — Mais, au moins,
Si quelque chose ici le consolait encore !
Car son génie ardent, chaque nuit, se dévore,
Comme la lampe, au soir, laissée en un caveau,
Sans qu’une vierge y verse un aliment nouveau.

Est-elle donc bien loin, la vierge, où donc est-elle,
Qui pourrait ranimer cette lampe immortelle ?…

Peut-être elle a passé, ce soir, tout près de lui,
Mais pour la lui montrer la lune n’a pas lui ;
Peut-être, lorsqu’au parc il prit la grande allée.
Elle était sur sa route, assise et non voilée ;
Mais, lui, marchait sans voir et le front soucieux,
Ou bien un éventail la cachait à ses yeux ;
Un regard eût tout fait ! — Peut-être c’était celle
Que je vis l’autre jour, au lac, sur la nacelle.

Non pas qu’elle ait, je pense, un cœur capable, au fond,
De sentir le poëte et son amour profond,
Qu’elle vaille bien mieux qu’Adèle ou que Fanie[1],
Ni qu’elle entende fort ce que c’est que génie.
Mais elle est blonde et blanche ; elle a le front brillant,
Et sa bouche, où scintille un ivoire riant,
Comme pour écouter, s’ouvre avec nonchalance ;
Mais elle a deux beaux yeux qui parlent en silence ;
Mais elle sait placer à propos un souris,
Et, quand elle soupire, on croit qu’elle a compris.


  1. C’est bien Fanie que l’on a droit d’écrire. — Petite Fanie, Φανίον en grec, veut dire proprement petite lumière, petit flambeau.