Texte établi par Inst. des Sourds Muets,  (p. 137-140).

UN ANCIEN NID DU TONNERRE

C’était vers le déclin d’une époque ancestrale,
L’Ottawa s’appelait le Mahamoucébé ;
Vierge était la forêt, loin le Visage-pâle :
Nul arbre, sous ses coups, n’avait encor tombé.

Les contes de ce temps roulent sur des merveilles :
Oka voyait alors les cimes du mont Bleu
S’élancer dans les airs, à des donjons pareilles,
Se couronner d’orage et se grimer de feu.

Car le mont qu’ombrageaient la nue et le mystère,
Dressait à pic son front par la foudre râpé,
Et sa crête portait l’affreux nid du tonnerre
Au-dessus des sapins dont il était drapé.

De noirs oiseaux mêlés à de sombres nuages.
Tourbillonnaient autour du bloc pyramidal.
Et l’éclair en zigzags, jet de leurs yeux sauvages,
S’émoussait au granit de l’âpre piédestal.

Il sortait, aveuglant, de leurs glauques prunelles,
Volait en lézardant les voûtes de la nuit ;
Et le mont résonnait sous le fléau des ailes,
Et les forêts, au loin, répercutaient le bruit.

Le vol passait, grondant, au-dessus du village.
Et malheur au mortel dont l’œil voyait l’oiseau ;
Enserré sous un ventre au fulgurant plumage,
Il montait vers la cime où s’ouvrait son tombeau.

Ravi, tel un lézard que surprend une orfraie ;
Par le choc étourdi, brûlé par les éclairs,
Au nid vertigineux dont la pensée effraie.
Il mourait sous les becs enfoncés dans ses chairs.

* * *
Sur le mont Bleu rêvant, silencieux, sublime,

Ô vent, pourquoi gémir aux angles des granits ?
Des monstres pleures-tu quelque douce victime
Gisante sous ces blocs, ruines de leurs nids ?

Ô vent, chante plutôt sur le rocher placide
Par l’esprit du tonnerre aujourd’hui délaissé ;
Dis comment fut brisé son courroux homicide.
Son repaire détruit et lui-même chassé.

* * *
Un de ces jours d’automne où se dorent les chaumes.

Où le chardonneret pend aux épis grenus,
Le ciel devient livide et d’étranges fantômes
D’oiseaux planent dans l’ombre, autour des sommets nus.
Le jour se change en nuit, dans les bois le vent gronde,
Déchaîné par la main de Kabébonicka[1] ;
À coup de fouet cinglant sa rage vagabonde,
Comme un champ de roseaux courbe les pins d’Oka.

Le lac, bouleversé, bave sur ses rivages ;
L’arbre craque et se tord dans le val ténébreux ;
On voit au ciel rouler des vagues de nuages
Pleins de sourds grondements et sillonnés de feux.

Autour des sommets noirs bourdonne le tonnerre,
Et ses vibrants éclats auxquels répond l’émoi
Tourmentent les échos, font tressaillir la terre :
Le Peau-Rouge ne sait ou cacher son effroi.

La montagne chancelle et son faîte s’écroule :
L’avalanche de pierre à grand fracas descend,
Sur les rochers se brise, en mille morceaux roule.
Sous la chute le sol résonne en frémissant.

Les blocs font des amas pleins de grottes, de caches ;
Le roc s’accoude au roc par-dessus les ravins.
Les printemps leur feront des hures, des panaches,
En mêlant des buissons à de maigres sapins.

Alors, avec sa foudre et ses flammes rapides.
Semeuses d’épouvante et de folle terreur,
Le tonnerre gagna le haut des Laurentides.
L’assiette de son nid n’inspire plus d’horreur.

Il passe, fulgurant et déchire les nues,
Quand, surchargés d’orage, accourent les autans ;
Mais, dans les airs, pendants à ses serres crochues,
Oka ne verra plus s’envoler ses enfants.

* * *

Et vous, débris, jadis repaires formidables,
Tour à tour, le printemps de fleurs vous embellit,
L’automne de carmin habille vos érables
Et prélude à l’hiver qui vous ensevelit.

Vos impassibles rocs, hérissés de fougères,
Dégagent leurs profils de monstres accroupis.
L’araignée y suspend ses tentures légères,
Fines gazes d’argent sur leurs flancs décrépits.

Ici, baille sous bois la farouche ouverture
D’une grotte qui fut un séjour des esprits.
Là chuchote le vent dans l’épaisse ramure
De pins que nos aïeux peuplaient de mistigris.

Oui, tout a refleuri sur tes grandes ruines,
Ô montagne qui vis périr tant d’Algonquins.
Les mânes de ces morts errent sur tes collines
Où dansèrent longtemps les Poukouaginins.

Près d’eux, l’esprit du soir aux larmes de rosée,
S’assoit sur tes granits qu’ont baisés tant d’éclairs,
Les pieds parmi les fleurs dont l’herbe est irisée ;
Pour eux le passereau babille dans les airs.

Dès qu’avril le ramène à tes cimes plaintives,
Sur leurs tombes posant la gaîté de son nid,
Il charme par sa voix leurs ombres fugitives
Et plus pâles que l’astre argenté de la nuit.

  1. Manitou qui d’après les Algonquins préside au vent du nord-ouest.