Eloge de Blaise Pascal n° 5 - Il faut relever le courage

Eloge de Pascal




« Il faut relever le courage de ces gens timides qui n’osent rien inventer en physique ; et confondre l’insolence de ces téméraires qui produisent des nouveautés en théologie »
( pensées de pascal )


Ce seroit à Newton à louer Descartes, a dit un écrivain dont l’auvergne s’honore : Et nous pénétrés d’admiration pour le grand homme qui est devenu l’objet de notre émulation et de notre zèle, comme il le fut toujours de nos respects, nous dirions, pleins du sentiment de notre faiblesse : ce seroit à l’éloquent, au vertueux Thomas à louer les vertus et les talents de Pascal. Le panégyriste et le héros seraient pour nous un double triomphe, et l’Auvergne, fière de couronner à la fois deux de ses enfants, les présenteroit avec orgueil aux hommes de la postérité. Le génie peut dignement interpréter le génie. Pour entrer dans le secret d’un esprit supérieur, il faut comme lui avoir reçu quelques rayons de ce feu divin qui féconde la pensée et qui éclaire la direction. Aussi, en répondant à l’appel qu’a fait aux hommes de lettres une société aussi reconnue par son patriotisme que par ses lumières, nous n’avons pas la prétention d’avoir rempli la tâche qu’elle leur impose, mais nous avons dû mêler notre voix au concert de louanges qui va s’élever de toutes parts et payer un tribut de reconnaissance à l’auteur dont les immortels ouvrages éclairent notre esprit et prémunissent chaque jour notre cœur contre les séductions et les sophismes d’un monde frivole et irréligieux. Essayons donc de suivre pascal dans son vol rapide ; nous le verrons tout-à-tour marquer ses premiers pas dans les sciences par des succès éclatants, démasquer le faux zèle, confondre l’impiété et donner à la langue françoise cette heureuse souplesse, cette précision énergique, cette élégance et cette noblesse soutenues qu’elle ne connoissoit pas avant lui : Et soit qu’il combatte l’incrédulité ou l’hypocrisie, ou qu’il élève son langage à la hauteur de sa pensée pour le rendre digne d’elle, nous trouverons partout le grand homme et l’homme de bien ; c’est toujours le génie inspiré par la vertu.

Le mensonge se glisse trop souvent dans les éloges consacrés aux talens extraordinaires. Le désir d’agrandir son héros et peut-être aussi l’amour du merveilleux pousse l’orateur au-delà du vrai. Ce n’est plus un simple mortel avec ses talens, ses vertus et ses faiblesses qu’on présente à nos hommages et qu’on propose à notre émulation ; c’est le modèle décourageant d’une perfection inimitable. En présence du grand pascal le mensonge reste impuissant : un mérite comme le sien dédaigne et les vains secours de l’exagération et les voiles mensongers des réticences. Dans un sujet aussi riche, les ornements sont au moins superflus, et bien loin d’employer les artifices du langage dans le dessein de faire naître l’étonnement et l’admiration, pour être vraisemblable, nous éprouverons sans-cesse le besoin d’affaiblir par l’expression ce qu’il y a de prodigieux dans le développement et la conception de ce rare génie.

Blaise Pascal naquit dans cette ville en 1623. Privé, dès ses plus jeunes ans de la meilleure et de la plus vertueuse des mères, il n’eut à regretter que ses caresses. Son père, président à la cour des aides, fit de ce tendre rejetton [sic] l’objet de toute ses sollicitudes. Mais profondément pénétré de l’importance de sa fonction, plein de cette grande vérité que la magistrature n’est qu’un noble esclavage, et que celui qui s’y dévoue, s’il n’est pas un héros, n’est pas même un homme de bien(a)(a)Daguesseau, il comprit que les devoirs de sa charge ne pouvoient se concilier avec les soins qu’il vouloit donner à son fils. Encore accablé du souvenir toujours récent d’une perte irréparable, il quitta l’auvergne pour s’établir dans la capitale et se consacrer tout entier à l’éducation du jeune pascal. Versé dans la connaissance des langues et des mathématiques, il ne voulut point le confier à des mains étrangères ; il cultivoit lui même ses rares dispositions, heureux de trouver dans ses études une diversion à sa douleur, et dans les progrès rapides de son élève la plus douce récompense de tant de soins.

Attentif à démêler ses gouts, il aperçoit bientôt en lui un penchant élevé et presque exclusif pour les sciences de raisonnement. Il craint les effets de cette prédilection et il doit la combattre. Ses réflexions, mûries par une longue expérience, lui ont appris que l’habitude d’opérer sur des nombres et de considérer les propriétés de la grandeur d’une manière abstraite, finit par éteindre la plus brillante et la plus féconde de nos facultés intellectuelles, l’imagination. Il sait que les théorèmes mathématiques se réduisent à un petit nombre de vérités primitives ; que l’arithmétique et l’algèbre se bornent à nous apprendre de mille manières une suite de propositions toujours identiques ; que ces propositions, en revêtant des formes diverses, ne changent point de nature et qu’elles peuvent être considérées comme des traductions plus ou moins différentes et plus ou moins compliquées ; Il sait que le travail qui consiste à saisir le fil de cet enchaînement ne donne point au jugement une justesse applicable aux problèmes de la vie, problèmes qui n’ont aucun rapport avec la marche infaillible du calcul C’est dans les langues anciennes et modernes que pascal veut faire puiser à son fils une éducation plus solide et plus conforme à ses vues ; l’étude de la grammaire n’exige pas moins de travail et de force d’attention que celle des mathématiques ; mais l’une et pour ainsi dire animée et l’autre est privée de vie. Le calcul n’enchaîne que des chiffres et la grammaire lie des idées. La logique grammaticale ne le cède pas en précision à celle de l’algèbre et cependant elle s’applique à tout ce qu’il y a de plus indépendant aux opérations de l’intelligence. Les mots sont les chiffres du langage ; mais ils ne sont pas des signes muets seulement, ils passent encore à la pensée. L’enfant n’eut d’abord que l’acception attachée à ces mots isolés, puis il s’élève au sein de la phrase tout entière, et il finit par goûter le charme attaché au mérite de l’expression. Sans cesse aux prises avec les difficultés qu’il se propose de vaincre et avec le génie d’une langue étrangère il combine, il compare, il juge et chaque jour son esprit s’enrichit de quelque connaissance nouvelle.

Enumérer les avantages que présente l’étude des langues, c’est dire les progrès que fit le jeune pascal. Son esprit actif, curieux, toujours plus impatient de connoître, à mesure qu’il s’éclaire davantage, ne lui permet plus d’autre délassement que celui qui naît de la variété des occupations. Il semble que cet enfant prodigieux ne doit participer en rien de l’humaine faiblesse ; Il n’appartient plus à son âge que par la délicatesse de ses traits et la candeur de son âme innocente et pure. Il dédaigne les jeux, les amusements de l’enfance pour se livrer à un travail opiniâtre qui paroît devoir briser les ressorts d’une organisation si débile et bientôt le cerveau si frêle, si délicat recèle les connoissances les plus positives et les plus étendues. Il a à peine atteint la fin de son deuxième lustre et déjà il s’est approprié toutes les richesses de la littérature antique, déjà il a puisé dans le commerce des historiens, des poètes et des orateurs de l’antiquité ce goût du vrai et du beau dont il doit être lui même un jour un des plus parfaits modèles.

Son penchant pour les mathématiques avoit été contenu mais non éteint ; c’est alors qu’il prend tous les caractères d’une passion irritée par les obstacles qu’on lui oppose. Le jeune pascal est en proie à des désirs inquiets, à ces tourmens du génie qui annoncent que de nouveaux alimens sont devenus nécessaires à son activité dévorante. Il ne faut à cet autre Archimède qu’un point d’appui pour ébranler la terre ; Enfin ce point d’appui est trouvé : Son père, pour se débarrasser d’une curiosité importune, plutôt que pour le satisfaire, lui dit un jour que la Géométrie est une science qui a pour objet de tracer des figures exactes et de trouver les proportions qu’elles ont entr’elles ; mais en même temps il lui défend d’en parler et d’y penser davantage ; Il dérobe à sa vue les livres de géométrie ; mais c’est en vain : pour cette fois l’autorité paternelle sera méconnue. Cette définition est pour le jeune pascal un trait de lumière, il s’en empare, il la soumet à toute la force de sa pénétration ; un charbon à la main, il trace des lignes, il dessine des figures et, chose incroyable, si elle n’étoit attestée de la manière la plus authentique, il fait jaillir de quelques mots échappés à l’impatience et qui, pour tout autre que lui, seroient vides de sens, un enchaînement de théorèmes admirablement déduits les uns des autres : son génie inventif a deviné toute la géométrie d’Euclide. Son père le surprend au milieu de ces étonnantes recherches : passionné lui même pour les sciences exactes, il est délicieusement ému à la vue des ces prodiges et reconnoissant à ces traits une vocation irrésistible, il embrasse ce fils qui lui promet tant de gloire et le serre tendrement dans ses bras. Dès ce moment l’étude des mathématiques lui est permise, et les élémens du géomètre grec sont remis entre ses mains ; Il en saisit les difficultés avec tant d’intelligence et y fait des progrès si rapides, qu’il compose quatre ans après son traité des sections coniques. Ce traité excite l’admiration des amis de son père. Les Mersenne, les Roberval, les Gassendi, le jugent digne d’être envoyé à Descartes, alors retiré en Hollande. L’illustre philosophe découvre à chaque page un talent supérieur, refuse de croire qu’il soit l’ouvrage d’un jeune homme et s’obstine à l’attribuer à un géomètre du premier ordre. Cet étonnement, cette incrédulité de la part de Descartes, qui tenoit alors le sceptre des sciences en Europe, dut flatter le jeune Pascal ; c’étoit un prix digne de lui. Tandis que le monde savant admire ce brillant essai et cherche à concevoir comment dans un âge si tendre on peut s’élever à cette vigueur de conception, pascal, de son côté, regrette de n’être encore qu’à l’entrée de sa carrière. Il a fait un pas de géant, et, au gré de cette âme ardente, une marche si rapide est pleine d’embarras et de lenteur ; Il voit dans les calculs numériques autant d’entraves qui arrêtent l’essor de sa pensée. Ces opérations fatigantes par leur répétition et leur monotonie, lui paroissent indignes du temps qu’elles exigent et de l’attention qu’elles réclament et c’est pour abréger ce travail subalterne qu’il conçoit et fait exécuter sa machine arithmétique. C’est un assemblage de roues et d’autres pièces à l’aide desquelles des chiffres ou imprimés ou gravés se meuvent et exécutent dans leur mouvement les principales règles du calcul élémentaire. Au moyen de cette découverte Pascal pourra désormais additionner, multiplier, soustraire d’une manière aussi prompte que sûre et son esprit, avide de résultats, ne se traînera plus aussi péniblement sur des opérations en quelque sorte mécaniques, indispensables, il est vrai ; mais sans attrait pour l’intelligence.

Cette machine singulière où brille au plus haut degré le génie de l’invention, fit retentir dans toute l’Europe le nom de Pascal et marqua sa place au rang des savans les plus distingués.

Tout se ressentait alors de l’impulsion philosophique qui avoit été communiquée d’un bout de l’Europe à l’autre. Les immenses découvertes du siècle précédent avoient changé la face de la navigation, du commerce et de la politique ; La reconnoissance des lettres avoient tirés les peuples de l’état de torpeur et d’engourdissement où ils languissoient depuis tant de siècles, et quelques uns de ces hommes, qui semblent destinés par la nature à marquer les grandes époques de l’esprit humain, avoient porté sur les sciences ce coup d’œil du Génie qui leur assigne leur véritable fondement et leur trace la marche qu’ils ont à suivre pour atteindre leur but. Bacon avoit indiqué les vraies sources de la philosophie, et Descartes, avec cette immense supériorité de savoir qui étonne et confond notre faiblesse, renversoit d’une main hardie l’édifice de nos connoissances pour le reconstruire sur des bases nouvelles, et ouvroit, même au milieu de ses erreurs, la route à toutes les vérités. La pensée, depuis si longtemps esclave, recouvroit son indépendance et brisoit x la vieille idole du péripatétisme. L’expérience et l’observation étoient substituées à l’autorité d’Aristote. On n’avoit plus pour des mots vides de sens un respect imbécile. La raison reprenoit son empire ; Elle cédoit à son tribunal les subtilités trop souvent absurdes et barbares de l’école et faisoit une justice éclatante de ces vains raisonnements où la liaison et l’enchaînement de conséquences dispensoient de la justesse des principes ; où les artifices d’une argumentation captieuse tenoient lieu de bon sens.

C’est au milieu de cette fermentation des esprits, de cette espèce d’insurrection générale contre les usurpations de l’erreur que Galilée, dont le nom rapp[elle] de grands talens et de grandes persécutions, découvrit la pesanteur du fluide qui nous environne. Après cette importante découverte, il semble qu’il étoit facile d’en conclure que la pression atmosphérique étoit la cause de l’ascension de l’eau dans les corps de pompe, et cependant on continuoit de rendre raison de ce phénomène en disant avec les anciens philosophes que la nature avoit horreur du vide ce qui n’étoit autre chose que le superbe aveu de leur ignorance. Mais le hazard voulut que l’on imaginât de construire des pompes aspirantes de plus de trente pieds de hauteur et l’on s’aperçut que l’eau ne s’élévoit pas au dessus de cette limite. Torricelli ayant médité sur ce phénomène, conjectura que l’ascension de l’eau dans les pompes étoit due à la pesanteur de l’air et, par une expérience à laquelle nous devons le baromètre, il acquit la certitude que la pression d’une colonne d’air atmosphérique étoit égale au poids d’un cylindre d’eau du même diamètre et de trente deux pieds de hauteur, ou à une colonne de mercure de vingt huit pouces.

Torricelli s’occupoit de ces recherches en 1643. Le bruit de cette découverte ne tarda pas à se répandre dans toute l’Europe. Elle blessoit la réputation d’une foule de savans, elle devoit trouver des contradicteurs. On ne contredit point les faits ; mais la cause étoit devenue l’objet des plus vives discussions. C’est alors que Pascal se déclare le champion de la vérité. Il répète l’expérience de Torricelli et, pour ne plus laisser le moindre doute, il conçoit l’idée de la faire de nouveau sur une grande montagne et à différentes hauteurs ; Il veut que le Puy-de-Dôme soit le théâtre de cette opération décisive et il en charge son ami Etienne Périer. À mesure que celui-ci s’élève sur la montagne, la colonne de mercure s’abaisse dans le tube et au sommet elle a subi une diminution de plus de trois pouces dans sa longueur. Toutes les incertitudes sont maintenant fixées, Pascal a prononcé et les partisans aveugles de la philosophie scholastique voudroient en vain désormais se débattre contre l’évidence. Cet imposant spectacle a eu pour témoin l’Europe attentive, et l’Europe entière va proclamer à la fois le triomphe de la vérité et de l’immortel Pascal. Pourquoi faut-il que des lieux, illustrées par de si glorieux travaux, ne renferment aucun monument qui en rappelle la mémoire ? Pourquoi le marbre et l’airain n’ont-ils point encore consacré une gloire si belle ? Est-il donc dans la nature de l’homme de ne se prosterner que devant la Grandeur qui l’écrase et les paisibles conquêtes du Génie, si elles n’éblouissent point notre imagination, sont elles condamnées à rester toujours sans honneurs et sans récompenses ?

Mais n’oublions pas qu’il s’agit ici d’un bienfaiteur du genre humain et poursuivons :

Pascal avait toujours soupçonné l’élasticité de l’air et dans le cours de ses expériences il avoit eu occasion de vérifier cette conjecture. Il avoit également observé que les variations du baromètre étoient modifiées par la température et la composition de l’atmosphère et l’analogie l’avoit conduit à quelques inductions hazardées. Nous ne devons pas nous étonner de cette erreur. Dans les sciences qui reposent sur des faits, une marche lente et circonspecte est toujours nécessaire et le génie, prompt à généraliser, est sujet à perdre de vue qu’il est plus important d’assurer ses pas que de les précipiter et qu’il vaut mieux marcher dans le champ de l’observation que de courir sur le terrain mouvant des hypothèses.

À ces recherches sur les propriétés de l’air, Pascal joignit des recherches profondes sur la théorie de l’équilibre des liqueurs. Archimède avoit indiqué la perte de poids que font les corps solides plongés dans un fluide, les loix suivant lesquelles ces mêmes corps tendent à s’élever et la position qu’ils prennent relativement à leur masse et à leur figure.

Stévin, mathématicien flamand, paroit avoir prouvé le premier que la pression d’un fluide sur sa base est comme le produit de cette base par la hauteur du fluide ; Enfin on savoit que les liqueurs pèsent en tous sens sur les parois des vases dans lesquels elles sont contenues.

Pascal détermina la mesure de cette pression ; il démontra qu’elle étoit la même sur chaque point des parois et cette égalité de pression fut fondée sur l’incompressibilité des fluides. Il prouva encore par l’expérience et la théorie que tout corps plongé dans un liquide déplaçoit une masse d’eau proportionnée à son volume ; qu’il existoit une disproportion entre la pesanteur spécifique du corps de l’homme et celle d’un volume d’eau égal au sien et que l’art de la natation consistoit à triompher de cette différence.

Telles sont les observations qui donnèrent lieu au traité dans lequel sont exposées les conditions générales de l’équilibre des liqueurs et à celui qui a pour objet la pesanteur de la masse de l’air. Pascal continua de se livrer à son goût pour la Géométrie et il composa encore quelques opuscules au nombre desquels se trouvent : le Triangle arithmétique et la Théorie des jeux de hazard. Ces derniers ouvrages ne présentent pas sans doute au même degré ce caractère d’utilité et d’importance que nous avons remarqué dans les autres ; mais c’est partout la même originalité, la même fécondité d’esprit et si l’on fait attention que Pascal eut plus d’une fois à combattre et les préjugés du vulgaire et les erreurs des savans, on n’admirera pas moins son courage que l’étendue de sa lumière.

Ici se bornent ses productions scientifiques. Son corps faible et souffrant ne peut plus suffire à l’activité de son esprit. Depuis longtemps Pascal a bravé la douleur et rejetté les conseils de l’amitié ; mais enfin la nature se refuse à de nouveaux efforts, il faut que ce génie si actif, si indépendant reconnoisse des obstacles et se condamne au repos. C’est au milieu des distractions dont la délicatesse et la langueur de ses organes lui ont fait une loi que son âme est accablée des plus terribles coups. La mort vient pour ainsi dire frapper dans ses bras le sage mentor qui prit soin d’éclairer sa raison et de former son [illisible] à toutes les vertus et pendant qu’il verse encore des larmes sur une perte aussi douloureuse la religion et le goût de la retraite lui arrachent une sœur digne de sa tendresse et de ses regrets.

Privé des amis que lui avoit donnés la nature, Pascal cherche dans le monde un adoucissement à ses maux, et partout le tendre intérêt, le respect, la douce bienveillance s’empressent d’accueillir sa douleur et son austère vertu. Déjà même le calme semble renaître dans son cœur ; mais tout à coup, à la suite d’un événement qui l’a glacé d’épouvante, il consacre à Dieu les restes d’une vie dont la conservation tient du prodige.

Suivons Pascal au milieu des pieux solitaires de port-royal des champs ; Il s’apprête à combattre les ennemis de la morale et de la foi, et dans cette lutte nouvelle, il va nous révéler un talent nouveau et puiser ses titres de gloire les plus éclatants. Nous le verrons déployer l’incroyable souplesse d’un esprit auquel rien n’est étranger ; manier avec une adresse égale l’arme du raisonnement et celle du ridicule, mêler à la dialectique toujours victorieuse de Bossuet, le sel piquant de Molière, et s’il nous paroit toujours vrai, toujours admirable, c’est que la véritable éloquence prend sa source dans une forte conviction, c’est que les grandes pensées viennent du cœur. (1)(1) Vauvenargues



Il semble qu’une religion toute d’amour et de charité, qui nous révèle dans tous les instans son origine céleste par une chaîne de bienfaits dont une extrémité est sur la terre et l’autre dans les cieux, qui en signalant sous nos pas les écueils de la vie, nous fait un précepte d’être heureux et nous promet une éternité de délices pour prix de notre obéissance, ne devroit point subir l’affligeante nécessité de prouver sans cesse son excellence et sa vérité. Et cependant l’impiété l’attaque à front découvert, le libertinage la ruine sourdement par ses sarcasmes sacrilèges, et la mauvaise foi affecte de la croire complice des fureurs du fanatisme et des absurdités trop souvent odieuses de l’aveugle superstition. Mais ses ennemis les plus redoutables ne sont pas ceux qui arborent l’étendard de la révolte ; les vains systèmes de l’incrédulité et de l’hérésie s’évanouissent devant son flambeau sacré comme ces vapeurs légères et malfaisantes qui [sic] dissipent les premiers rayons du soleil. Ils étoient bien plus dangereux ces hommes qui, dans leur orgueil, se proclamoient exclusivement les apôtres du christianisme et qui en sapoient les bases par leurs funestes accommodements avec la faiblesse et la vanité des hommes qui sacrifoient à de méprisables desseins les intérêts de la morale, et qui élevoient sur les débris des vérités les plus saintes le monstrueux édifice de leur crédit et de leur puissance. À ces traits qui pourroient méconnoître les Jésuites ? Cette société fameuse se recommande par de grands talens et d’éminens services ; mais elle avoit fait trembler les souverains sur leurs trônes et l’excès de leur son ambition causa sa ruine. Lorsque Pascal alla s’ensevelir dans sa retraite de Port-Royal, les Jésuites étoient loin de soupçonner qu’ils courroient à leur perte. Tout puissans à la Cour d’Espagne ils rampoient aux pieds de Louis XIV pour mieux l’asservir et s’en faire un appui contre leurs adversaires. Mais avant d’aller plus loin rappellons en quelques mots les querelles du Jansénisme, leur origine et leur objet.

Dans tous les temps la liberté morale de l’homme a occupé les esprits et les a divisés. Nous avons la conviction intérieure que nous sommes libres, et c’est d’après cette conviction que nous distribuons le blâme et la louange ; mais comment concilier cette liberté avec la prévision, cette vertu de la divinité en vertu duquel l’avenir ne lui est pas moins connu que le passé et le présent. Ces questions furent agitées par les premiers philosophes grecs : les uns firent de l’homme un souverain absolu, les autres ne virent en lui qu’un instrument aveugle du destin.

Les premiers chrétiens s’humilioient devant des mystères impénétrables et pratiquoient en paix les vertus de l’Evangile ; mais peu à peu les liens de la morale se relâchèrent et l’on se livra à de vaines recherches sur les moyens de faire accorder le libre arbitre et la prédestination. De là naquirent des sectes rivales.

Pendant que les Thomistes ou les Docteurs de la Grâce, et les franciscains, partisans de la liberté, faisoient retentir les écoles de théologie de leurs controverses ; le Jésuite Espagnol Molina développa ses principes sur l’accord de la grâce et du libre arbitre, et malgré les contradictions et les subtilités puériles de ce système, la science des futurs conditionnels fut prônée avec enthousiasme par les Jésuites comme la véritable solution de toutes les difficultés.

Un prélat respecté pour sa piété et ses mœurs, Jansénius évêque d’Ypres, s’occupoit alors à rassembler en corps de doctrine des principes qu’il avoit cru découvrir dans les livres de St. Augustin. Son ouvrage fut publié en latin sous le ttire d’Augustinus et soumis aux décisions de l’Église. Cet énorme in-folio étoit aussi mal écrit que mal conçu, mais il renfermoit un système opposé à celui de Molina ; aussitôt les solitaires de Port-Royal professèrent hautement les sentimens de Jansénius. Les Jésuites, de leur côté, se déchaînèrent avec fureur contre l’ouvrage et à l’aide de rapprochemens forcés, d’interprétations mensongères et de quelques perfides équivoques, ils forcèrent ils formèrent cinq propositions qu’ils dirent appartenir au texte et qu’ils firent condamner par la cour de Rome.

Parmi les Jansénistes de Port-Royal, Antoine Arnaud se faisoit remarquer par une érudition profonde, une âme élevée, des mœurs austères et un caractère inflexible. Les Jésuites voyoient en lui leur ennemi le plus redoutable et ils résolurent de le perdre. Quelques uns des ses écrits en faveur de Jansénius leur servirent de prétexte et le savant théologien étoit à la veille de subir l’humiliante censure de la Sorbonne, lorsque ses amis en appelèrent à un tribunal plus redoutable encore, celui de l’opinion publique. Mais ici il s’agissoit moins de faire l’apologie du Docteur Arnaud, que de verser le ridicule à pleines mains sur ses juges et ses accusateurs. Le projet étoit bien conçu, mais d’une exécution difficile. Pascal fut jugé seul capable de traîter ce sujet d’une manière solide et piquante tout à la fois et il s’empressa de prêter le secours de sa plume à des savans vertueux aussi dignes de son estime et de son amitié.

Il ne tarda pas à faire paroître sous le nom de Louis de Montalte la première de ces lettres qui ont été improprement appelées Provinciales. Elle eut un succès extraordinaire : Les femmes, les gens du monde, les hommes de tous les états la recherchèrent avec une avidité incroyable et grâce à la forme ingénieuse sous laquelle la matière étoit présentée, on vit le public s’intéresser au pouvoir prochain et accabler le parti jésuitique de tout le procès d’une prévention générale. Malgré cet avantage la cabale avoit si bien pris ses mesures qu’Arnaud fut condamné d’une voix unanime et exclu pour toujours de la faculté de Théologie.

Pascal ressentit vivement cette injustice faite à son ami, et bien loin d’abandonner sa défense, il crut devoir redoubler de zèle. Mais il savoit combien il est difficile de fixer longtemps l’attention et l’intérêt d’un monde léger et capricieux sur les plaintes d’un opprimé ; au lieu de s’adresser à la Justice du public, il résolut donc d’offrir à sa malignité un aliment nouveau, et il trouva dans la morale des Jésuites une source inépuisable.

La croyance du dogme et la pratique des vertus sont les deux bases sur lesquelles repose la religion chrétienne. L’Église frappe d’anathème les attaques dirigées contre le dogme et les principaux devoirs de la morale sont invariablement tracés par elle ; mais les rapports de l’homme avec ses semblables sont devenus si compliqués, les hazards de la vie sont si variés et si nombreux qu’il a été impossible de prévoir les modifications dont les règles générales pourroient être susceptibles et chaque jour il se présente en effet une foule de circonstances dans au milieu desquelles l’homme ne trouve plus ni dans les enseignements qu’il a reçus ni dans ses lumières naturelles des guides suffisans.

Un tribunal fut donc nécessaire pour poser la limite entre le mal et le bien, pour nous soustraire au danger xxx de devenir coupable, ou nous rassurer contre les scrupules exagérés de la conscience.

Ces fonctions augustes furent confiées aux théologiens, obligés par état d’expliquer la religion, et tant qu’à l’exemple des philosophes de l’antiquité, avec tout l’avantage que leur donnoit sur eux sa révélation, ils cherchèrent la vérité de bonne foi, leur ministère fut utile aux peuples et servit aux perfectionnements de la morale ; mais dans la suite l’esprit de systême et de domination fut substitué à l’esprit de l’Evangile et l’on ne vit plus dans ce Ministère sacré qu’un moyen sûr de maîtriser les volontés dans des intérêts purement humains. Des Casuistes ambitieux épuisèrent gravement leur subtilité à réduire en problème les notions les plus simples, à envisager une action évidemment criminelle, sous toutes ses faces jusqu’à ce qu’elle présentât un côté innocent, ils dépouilloient ainsi la vie de sa laideur et tenoient en réserve des dispenses toujours prêtes contre le remords.
Les Jésuites avoient fait admirer les ressources de leur dialectique dans ce genre d’invention. Il eût été facile de les rendre odieux en dévoilant les conséquences désastreuses de leur système ; mais il s’agissoit de les couvrir de ridicule ce qui présentoit plus de difficultés. Cependant ils avoient discuté avec tant d’érudition des questions puériles où l’immoralité le disputoit à l’extravagance ; ils avoient trouvé des moyens si singuliers de trahir la vérité sans mentir ; de se permettre les imputations les plus fausses et les plus injurieuses sans calomnier ; de manquer aux engagemens les plus saints, aux sermens les plus solennels, sans être parjures ; de ravir le bien d’autrui sans
être coupables de vol, d’arracher la vie à ses semblables sans être homicide, de goûter tous les raffinemens du luxe et de la volupté sans cesser d’être simple et chaste et toutes ces découvertes étoient présentées avec une confiance, une apparence de bonne foi et de naïveté si originale, qu’on pouvoit oublier un instant le danger de ces maximes pour n’en voir que la folie et le ridicule.

C’étoit un champ vaste pour la plaisanterie et le sarcasme. Mais pour tirer de ces matériaux un chef-d’œuvre de persiflage et d’éloquence ; pour faire jouer à des personnages sérieux le rôle le plus comique et provoquer le rire et la gaîté au milieu des plus arides discussions, il falloit tout le génie de Pascal. On retrouve dans cet excellent écrit l’exactitude géométrique d’un esprit accoutumé au langage sévère des sciences exactes, mais ici le raisonnement est embelli de tous les charmes d’une élocution toujours variée, brillante et facile ; c’est la force unie à la grâce, c’est la mâle vigueur de l’Hercule antique, mais ses formes athlétiques n’ôtent rien à la souplesse de ses mouvemens. Tantôt il met en scène deux graves docteurs qui débitent à l’envi des inepties pitoyables ou de coupables extravagances et il fait sortir de leur bouche l’arrêt qui les condamne à l’humiliation ou à la honte. Tantôt, acteur lui-même dans ces dialogues, il interroge, il propose ses doutes ; mais chacune de ses paroles est un piège, chaque question amène à la suite une décision ou burlesque ou scandaleuse dont il déduit à l’instant toutes les conséquences et sa feinte admiration est une critique sanglante, une véritable flétrissure « que je vous sais gré, dit-il à propos de la grâce actuelle, de nous aplanir ainsi les chemins du salut ; les autres apprennent à guérir les âmes par des austérités pénibles mais vous, mon père, vous montrez que celles qu’on auroit crues les plus désespérément malades se portent bien. Ô la bonne voie pour être heureux en ce monde et en l’autre ! J’avois toujours pensé qu’on péchoit d’autant plus, qu’on prenoit moins à Dieu ; mais, à ce que je vois, quand on a pu gagner une fois sur soi de n’y plus penser du tout, toutes choses deviennent pures pour l’avenir. Point de ces pécheurs à demi, qui ont quelque amour pour la vertu : ils seront tous damnés ; mais pour ces francs pécheurs, pécheurs endurcis, pécheurs sans mélange, pleins et achevés, l’enfer ne les tient pas : ils ont trompé le Diable à force de s’y abandonner »

Et ailleurs, en parlant de la doctrine de la probabilité :

« Vous avez mis ceux qui suivent vos opinions probables en assurance du côté des confesseurs ; car vous avez obligé les prêtres à les absoudre, à peine de péché mortel ; il est fâcheux seulement que vous les laissiez dans l’inquiétude du côté des magistrats. Mais si d’une part vous êtes les juges des confesseurs, n’êtes-vous pas de l’autre les confesseurs des juges ? Obligez-les d’absoudre les criminels qui ont une opinion probable, à peine d’être exclus des sacremens ; afin qu’il n’arrive pas, au grand mépris et scandale de la probabilité, que ceux que vous rendez innocents dans la la [sic] théorie, soient fouettés ou pendus dans la pratique. »

Ce ton d’une légèreté vive et piquante, d’une plaisanterie fine et délicate domine dans les premières lettres provinciales. La seconde moitié de l’ouvrage est surtout remarquable par une logique rigoureuse, une dialectique véhémente : c’est la foudroyante sublime énergie de Bossuet : Tout en appelant le mépris sur ses adversaires, Pascal a semblé d’abord les protéger de sa pitié contre la haine publique ; mais enfin il ne peut plus contenir les éclats de son indignation, et il voue à l’opprobre les ennemis de la religion, de la morale et de la société.

La puissance des Jésuites étoit fondée sur l’opinion : Pascal les fit connoître et leur empire fut détruit. Ce n’est qu’un siècle après que tous les Etats de l’Europe les ont rejettés de leur sein ; mais c’est dans les lettres provinciales qu’on avoit appris à les mépriser et à les haïr.

Cet ouvrage, qui n’avoit aucun modèle chez les anciens ni chez les modernes, fait époque dans l’histoire de notre littérature. Malherbe, Corneille et Descartes avoient été jusqu’alors les seuls écrivains qui eussent mis dans leur style du naturel et de la noblesse ; Pascal joignit à ce mérite celui d’une diction toujours élégante et pure, d’un goût exquis et d’une finesse de langage dont il n’y avait pas encore d’exemple. Ses plaisanteries, tirées de la nature des choses et de l’essence même du cœur humain, feront éternellement les délices des esprits sains et délicats, et la langue française, dont il a deviné le génie et fixé les formes, lui sera à jamais redevable de ces tournures fortes ou gracieuses, de cette heureuse combinaison de termes, de ces expressions pittoresques, de ces images vives et frappantes que Pascal avoit puisées dans une étude approfondie des langues anciennes et dont il a doté sa nation.

Quel est donc cet homme extraordinaire qui, par ses succès prodigieux dans les sciences, semblait être né exclusivement pour elles et dont les premiers pas dans le champ de la littérature et de la morale sont marqués par un chef-d’œuvre de gout et d’éloquence ? Sans doute les années se sont accumulées sus sa tête, il a dû blanchir au milieu des veilles indispensables pour de si grands travaux. Non, Pascal est encore à cet âge où le savant laborieux met au jour les premiers fruits de ses médiations, où le génie lui-même a coutume de prendre son premier essor. Au lieu de jouir paisiblement de tant de gloire, il jette un regard autour de lui, il voit l’Église déchirée par ses propres enfans, et les ennemis de la foi à la faveur, à la faveur de ces guerres intestines, pénétrer dans le sanctuaire et le souiller de leurs profanations. Sa foudroyante dialectique a réduit au néant les corrupteurs de la morale, il va maintenant rassembler toutes ses forces pour terrasser les incrédules. Pascal veut élever à la religion un monument impérissable comme elle ; Déjà même il a jeté les fondemens de ce grand ouvrage où l’on ne sait ce qu’on doit admirer le plus, de la grandeur originale du dessin ou de l’élévation des idées. Dans l’impossibilité de le suivre ici en détail, donnons une idée générale et abrégée de son plan :

Pascal suppose l’homme placé tout-à-coup au milieu des merveilles de la créations. Quel sentiment éprouvera cet être sensible et intelligent ? Il verra avec une surprise mêlée d’admiration, les étonnans contrastes que présente sa nature, ce mélange incompréhensible de faiblesse et de force, de grandeur et de bassesse ; les lueurs incertaines de sa raison comparées aux ténèbres qui l’environnent x de toutes parts ; inquiet, égaré dans cet espèce de vide, il s’élèvera à l’idée d’un être suprême qui qui a créé l’univers et qui le gouverne par sa volonté toute puissante. Mais l’homme se bornera-t-il à contempler tant de prodiges ? Ne doit-il pas au créateur un tribut de reconnaissance et d’amour ? Quel est le culte ⁁digne d’un être si parfait ?

Pour éclairer ces doutes, il interrogera les philosophes, ils parcourra tout l’univers et tous les âges ; mais l’histoire des peuples et les livres des philosophes sont pleins de contradictions, de folies, d’égaremens déplorables ; c’est la plus étrange diversité d’opinions sur la cause première de toutes ces existences, sur la nature de l’homme, sur sa destination, sur l’immortalité de l’âme et sur la manière d’adorer un Dieu, reconnu par les uns et contesté par les autres.

Au milieu de ces erreurs et de ces superstitions, un peuple, situé dans un coin de l’Asie, fixe son attention par les circonstances les plus extraordinaires consignées dans un livre qui comprend l’histoire, la loix et la religion de ce peuple. Ce livre lui apprend que le monde est l’ouvrage d’un Dieu ; que ce même Dieu avoit créé l’homme à son image, et que celui-ci, s’étant révolté contre son créateur, xx avoit été plongé, ainsi que ses descendants dans la faiblesse, la misère et le désordre.

Ce même livre lui annonce un Dieu libérateur et l’éclaire sur le culte qui lui est dû. À mesure qu’il approfondit davantage l’histoire du peuple Juif, il est frappé de la majesté des écritures, de la grandeur des miracles racontés par Moïse, des preuves qui en établissent l’authenticité ; il admire dans la venue du Messie, l’accomplissement des prophéties et des figures de la loi ; Enfin il trouve dans le nouveau Testament, dans les miracles et la doctrine de Jésus-Christ, et dans l’établissement xxxxxxx merveilleux de la religion chrétienne, le complément des vérités sur lesquelles repose la foi

Tel est le plan vaste et bien ordonné qu’avait conçu Pascal ; ses Pensées ne sont autre chose que les matériaux qu’il avoit recueillis pour ce magnifique ouvrage ; mais on retrouve dans ces aperçus incomplets la force, la précision, la marche fière et imposante qui caractérisent ce grand écrivain. À l’élévation des idées, se joint un caractère de franchise et de persuasion qui attache et subjugue partout le lecteur : « C’est la raison la plus profonde, avec la foi la plus sincère ; l’auteur se montre tout entier, quand d’un côté, il rapetisse et rabaisse le moi humain, pour s’élancer de l’autre à ce qu’il y a de plus grand dans le beau idéal de la religion, et qu’il jette, au milieu d’une simple prière, ces paroles sublimes : tout ce qui n’est pas Dieu ne peut pas remplir mon attente»(a) Francois de Neufchateau(a)


On regrettera toujours que la mort ait arrêté l’exécution d’un projet qui promettoit de si grands résultats, mais le corps faible et souffrant languissant de Pascal devoit succomber enfin à l’excès des veilles et des souffrances. Dévoré par une fièvre brûlante qu’avoient allumée les insomnies et la douleur, il fut enlevé avant l’âge de quarante ans aux lettres, à la philosophie et à la religion.

Ainsi s’éteignit cet homme qui prouva avant Newton qu’une croyance inébranlable, une profonde piété peuvent avoir les mêmes autels et reposer sur les mêmes bases que la vraie philosophie ; que le Génie peut marcher dans le sentier des découvertes en avouant Dieu pour point de départ et pénétrer dans tous les esprits pénétrables de l’ordre phisique sans échafauder ses démonstrations sur les débris de la foi chrétienne et l’orgueilleuse proclamation de l’hérésie.

Pascal a laissé peu d’ouvrages, mais, si l’on considère que dans les sciences exactes une idée neuve est une plus grande conquête que des milliers de corollaires et de déductions, et qu’en géométrie et en phisique Pascal a fait jaillir deux ou trois vérités d’une vaste application

Si l’on fait attention que dans les fragmens qu’il destinoit à son grand ouvrage sur le christianisme on retrouve, étroitement enchaînées, la profondeur du sens, l’énergie du style et l’autorité inexorable du raisonnement ; que dans ces cadres resserrés son esprit a disposé, avec une concision admirable, cette théorie flétrissante pour les vanités humaines qui élève l’âme et rapétisse l’homme aux yeux du créateur

Si l’on regarde remarque enfin que, dans le livre des provinciales, Pascal a deviné la langue et la plaisanterie(b) Dalembert(b) que cet ouvrage immortel a survécu à l’intérêt qui l’inspira et fut envié de Bossuet lui-même ; que la forme ingénieuse sous laquelle il accabla le tarif des consciences et la morale graduée des Jésuites, a peut-être servi de type à un chef-d’œuvre d’un autre genre, les lettres persannes, on dira avec Voltaire que Pascal est un des Génies les plus originaux du siècle de Louis XIV et l’on croira sans peine que la postérité n’aura point d’héritage plus riche et plus glorieux que le nom de Blaise Pascal