Eloge de Blaise Pascal n°4 - Blaise Pascal naquit à Clermont en 1623

N°4


Eloge de blaise Pascal


Blaise Pascal naquit à Clermont en 1623 d'une famille distinguée par ses vertus et qui occupa toujours des places honorées par son mérite. elle fut ennoblie par louis XI, et cet éclat pouvait à peine ajouter à la considération qu'elle s'était acquise. Pascal reçut avec la vie le gout des sciences et des études abstraites ; car son père avait des connaissances étendues en littérature, en mathématiques, en phisique ; mais plus remarquable encore sous le rapport des bonnes mœurs. il était né pour servir de modèle. ses seuls plaisirs étaient attachés aux sentimens les plus doux de la nature. sa maison était un lieu de paix et de bonheur; et une épouse aimable et sage partageait avec lui une vie exempte de passions.

L'éducation de leurs enfans remplissait toute la journée ; ils s'appliquaient à les former à l'amour de la vertu, aux connaissances utiles, aux vérités consolantes du christianisme.

Blaise, dès le berceau, annonça cequ'il devait être un jour ; et dans les premiers élans d'un talent qui ne faisait que naître, on vit que son esprit tiendrait du prodige. Son instruction commença par les langues étrangères, mais il fit un chemin tellement rapide dans cette sorte d'étude que son père, étonné d'une conception si précoce, vit qu'il fallait à ce génie supérieur des alimens plus subtiles[sic], des difficultés à vaincre des secrèts[sic] à deviner. deux sœurs qui disputaient d'agrémens et de sagesse partageaient avec lui les heures du travail et faisaient dans les belles lettres, dans la langue latine, des progrès étonnans ; leur père, lié d'amitié avec des hommes illustres, tels que Roberval, Lepailleur, mersenne et Saci, les réunissait chez lui pour raisonner sur l'objet de leurs travaux. Blaise assistait à ces conférences il y prétait une attention singulière ; voulait savoir les causes et les effets, et trouvait toujours simples les questions difficiles. cette société savante a été l'origine de l'académie des sciences qui ne fut établie sous le sceau de l'autorité royale qu'en 1666. on s'y abstenait de parler devant lui de mathématiques et de phisique, trouvant ces sciences trop audessus de son âge ; et pur entraver cet esprit trop avide on lui promit la géométrie quand il saurait le grec et le latin ; mais la nature seule fait les bons écoliers. elle développa si rapidement l'entendement de Pascal qu'on craignit de cette application des suites funestes pour sa santé. il devancait[sic] tous ses contemporains dans un âge ou[sic] l'on obtient, avec tant de peine, l'aptitude des enfans et laissait bien loin derrière lui ceux qui, aidés d'un travail assidu, espéraient l'égaler. il leur montra que rien ne peut se comparer aux faveurs gratuites de la nature. Pascal était né d'un tempérament bilieux et mélancolique, caractère qui donne, plus que tout autre, l'ardeur et la constance nécessaire pour s'occuper aux grandes choses. il produit dans un homme de lettres, l'assiduité et l'opiniatreté. les heures de la récréation étaient consacrées à percer les mystères qu'on voulait lui cacher. une indication devenait, pour lui, un trait de lumière. dans les moments où son esprit aurait dû prendre du repos, où, par précaution, on lui avait enlevé les livres qu'il poursuivait ; il trouvait le moyen d'éluder cette surveillance, formait des triangles, traçait des cercles et des parallélogrammes en ignorant le nom de ces figures. quand son père l'aperçut dans cette occupation, il devina l'homme extraordinaire et ne mit plus d'entraves à sa curiosité. à onze ans il composa un traité sur les sons, à douze ans il lisait les propositions d'Euclide et tenait déjà un rang distingué dans les assemblées : de ce moment il s'élança, à pas de géant, dans la carrière des sciences qu'il disait être le plus noble exercice de l'esprit humain, mais il fut étonné d'avoir si peu à vaincre pour dépasser toutes les notions connues alors. les mathématiques et la phisique sortaient des ténèbres, la révolution que galilée et descartes avaient préparée, s'accomplissait rapidement, la poésie, déjà florissante depuis un siècle en italie, commençait à jeter son éclat en france, en angleterre ; mais le jeune émule d'archimède promettait déjà à sa patrie des lumières plus vives et des idées plus sûres sur les systèmes universels qui sortaient du chaos.

Quand Pascal entra dans le monde, c'était un temps de crise pour les mœurs nationales, la puissance des grands, abaissée et contenue par l'administration rigoureuse du cardinal de richelieu, cherchait encore à lutter contre l'esprit des factions. l'esprit d'intrigue agitait la france. la minorité de louis XIV parut aux grands un moment favorable pour reprendre quequ'influence[sic] sur les affaires publiques. chacun était entrainé par un mouvement général, mais celui qui dédaignait le faste et l'ambition ne vit dans cette guerre de la puissance qu'un mouvement de pitié pour les hommes. « à quoi me servirait d'être riche, disait-il, dans le court pèlerinage de cette vie? à quelle fin se rapportent les honneurs pour qui les hommes sont avides? tous courent après le fantôme qu'ils appellent bonheur, tous le poursuivent par des voies différentes, les uns dans l'ambition, les autres dans la curiosité des sciences ; les uns au prestige de la gloire, d'autres enfin aux faiblesses de l'amour : c'est une chose étrange que personne ne l'ait trouvé ; il n'y a donc rien dans la nature qui soit capable de le donner. cet éloignement pour le repos, cette ennui qui nous porte à nous agiter sans cesse, est sans doute une preuve de l'immortalité, une étincelle de la révélation. »

« Je considère horace, disait-il comme le plus sage et le plus heureux des romains, puisqu'il se conserva libre de l'amour des richesses et des soucis de l'avarice ». Pascal regardait les pauvres comme ses frères ; et jamais il ne leur refusa l'aumone. « j'ai remarqué, dit-il, qu'aussi pauvre qu'on soit on laisse toujours quelque chose en mourant ». sa maison était l'asile de tous les malheureux. il donnait des états aux jeunes filles pour les préserver du vice, et disait que la charité était la première des vertus.

À dix neuf ans Blaise inventa la fameuse machine arithmétique qui porta son nom. cette découverte ingénieuse lui couta de grands efforts, surtout pour faire comprendre les combinaisons des rouages aux ouvriers chargés de l'executer. ce travail opiniatre et forcé commença d'affaiblir sa constitution phisique : depuis ce temps sa santé dépérissait visiblement ; mais cet état de souffrances ne l'empêcha pas de remplir ses journées comme il l'avait fait jusqu'alors. il rectifia les découvertes de galilée sur la pesanteur de l'air, changea toutes ses conjectures en démonstrations évidentes ; et c'était un grand mérite de perfectionner les découvertes du philosophe florentin, lui qui lisait dans le ciel et immortalisa le nom des ses princes en le donnant aux astres qu'il connut le premier. jamais on ne vit un esprit plus vaste et plus orné chez un homme aussi simple ; mais ses yeux qui avaient découvert tant de merveilles s'éteignirent avant la mort comme ceux d'homère, de milton, de Delille!!

Descartes voulut ravir à Pascal la gloire d'avoir calculé la pesanteur de l'air ; mais tout le monde sait que cette expérience se fit au puy-de-dôme par notre savant compatriote, celui que notre pays s'enorgueilli d'avoir vu naître! il était lié d'amitié avec le célèbre Leibniz, mathématicien philosophe et jurisconsulte qui puisa dans les ouvrages de Pascal tous les secrets de la géométrie. Leibniz avait l'esprit universel : c'était plusieurs savans dans le même homme. le roi d'angleterre l'appelait son dictionnaire vivant.

Les grands talens sont rares dans tous les temps; on voit souvent passer un siècle sans qu'il paraisse un homme de génie ; mais le siècle de louis XIV, pour faire admirer Pascal, produisit une génération de savans : parmi ses contemporains illustres, il distinguait montaigne, nicole, mallebranche, labruyère, bourdaloue et lafontaine ; mais celui avec qui la nature lui donna une conformité étonnante pour les gouts, les talens et l'esprit : ce fut locke, le Pascal des anglais. le parallèle de ces deux grands hommes nous offre des rapports singuliers : tous deux méthodiques et logiciens ; tous deux ayant exercé leurs nobles facultés pour expliquer l'entendement humain ; tous deux ayant prouvé l'existence d'un être suprême et par leur éloquence et par leurs actions ; tous deux ayant dépassé mallebranche, descartes ; descartes qui, d'un siècle savant fit un siècle éclairé ; tous deux nés d'une santé délicate et d'une humeur mélancolique ; tous deux ayant préservé leur jeunesse des vices où tombent la plupart des hommes ; tous deux ayant des mœurs pures, sacrifiant tout à la vertu. Pascal portait dans le monde une rêverie douce, un air de tristesse qui convenait à son esprit d'observation, à la faiblesse de sa santé ; mais il y plaisait par une raison supérieure toujours accommodée à la portée de ceux qui l'écoutaient. il n'y fit jamais parade de son savoir, disant qu'il aimerait mieux, comme newton, vivre inconnu que d'exposer sa vie aux troubles des orages littéraires. il supportait tous les maux de la vie sans se plaindre jamais ; et, quoique rempli d'indulgence pour les défauts d'autrui, il était pour lui, d'une rigidité extrême. en vain on voulut le décider à l'himen, il y avait renoncé pour toujours en pensant comme le maréchal de gassion qui n'estimait point assez la vie pour vouloir en faire part à quelqu'un.

Cependant ses ouvrages ruinaient de plus en plus sa santé : la faiblesse de son corps ne pouvait suffire à l'activité de son esprit. il fut, peu de temps après, attaqué d'une paralysie , et cequi[sic] contribua d'avantage[sic] aux douleurs qui l'accablaient, ce sont les suites d'une chûte qui, lui ayant ébranlé le cerveau, lui donnèrent des insomnies cruelles et des visions quil[sic] interpréta en un avis du ciel. il abandonna alors l'étude des sciences profanes, renonça à tous plaisirs, à toute superfluité; rompit avec le monde, ne conserva de liaisons qu'avec des amis remplis de principes religieux. cette vie paisible porta quelqu'adoucissement à ses maux ; mais il chérissait cet état de langueur, le trouvant fort désirable pour un chrétien tout à fait en rapport avec la modération de l'âme, exigée par la morale évangélique. il regardait la religion comme indispensable au bonheur des hommes, nécessaires pour fixer leurs incertitudes, pour adoucir les maux de la vie. tout lui annonçait un être suprême ; mais il ne se borna pas à une admiration stérile, il savait qu'il est un autre hommage, un tribut perpétuel de reconnaissance qui se paye à dieu en aimant, en servant nos semblables ; et tous ses jours furent employés à remplir les devoirs divins !

Il s’adonna alors à l’écriture des pères, à la morale chrétienne : cette instruction lui fournit les matériaux d’un ouvrage parfait qu’il ne put achever. les pensées sublimes que nous avons de lui n’en sont qu’une ébauche, il se proposait de prendre la défense de la religion, de la comparer à la philosophie et de prouver sa supériorité d’une façon manifeste. dans les fragmens qu’il en a laissés, on voit quelque chose de son grand dessein, et l’église doit regretter qu’il ne soit point achevé.

L’abaye[sic] port-royal qui s’était élevée à une réputation de vertu et de régularité ; soigneuse d’augmenter sa gloire, recevait dans une maison attenante des hommes émminens en savoir, en piété qui, dégoutés du monde, venaient chercher au désert le recueillement et la tranquillité, tels étaient Pascal, Saci, nicole et lancelot. l’occupation de ces illustres solitaires était l’instruction de la jeunesse : ce fut l’école de l’auteur d’athalie de ce génie immortel qui dépassa Corneille et enseigna Voltaire. Pascal faisait le charme de cette intimité il y développait des vérités toujours nouvelles ; et la facilité avec laquelle on les voyait naître chez lui faisait regretter les peines qu’elles avaient déjà coutées. tout cequi[sic] embarassait les autres géomêtres était dans sa bouche d’une brièveté, d’une simplicité qui le rendait presque suspect. il écrivit alors sur l’opinion des peuples, sur la morale, sur la philosophie et la littérature ; il disserta sur Epictète et sur montaigne, donna la connaissance de l'homme au milieu de l'univers, le plaça entre le néant et l'infini, prouva sa grandeur [illisible] la misère : il le comparait à un roseau pensant : idée remplie de grace et de mérite, fruit de l'imagination d'une philosophie aimable.

Dans ces temps les disputes des jansénistes et des molinistes éclataient de toutes parts : il s'agissait d'expliquer l'action de la grace sur notre volonté ou notre libre arbitre : cette question qui divisa les sectateurs d'omar et feux d'ali, les pharisiens et les saducéens[sic] divisait aussi la france. on attaquait port royal, Pascal s'en déclara le défenseur, et cette dispute donna lieu aux lettres provinciales, ouvrage d'une originalité piquante où l'auteur joint à la naïveté du vieux langage, une énergie qui lui est propre et une brièveté pleine de lumière ; les images sont fortes, grandes et pathétiques, il n'y dit jamais rien de vague ou d'inutile, donnant à ses raisonnemens une force invincible. il épuise tous les sujets sans paraître trop long et fait croître l'intérêt jusqu'à la fin de ses discours.

Despreaux a dit qu'il était également audessus des anciens et des modernes, et beaucoup de gens sensés sont persuadés qu'il avait plus de génie pour l'éloquence que demosthène. Bossuet avait de la majesté, de la magnificence ; il a surpassé les romains et les grecs : ses oraisons funèbres sont admirables ; mais si Pascal eut écrit son histoire des variations il eut réduit les quatre volumes en un seul ; eut combattu les hérésies avec plus d'ordre et plus de profondeur ; car Bossuet ne peut lui être comparé pour la force du raisonnement. cet auteur a fait une foule d'ouvrages que Pascal n'eut pas daigné lire. Fléchier qui écrivait avec élégance n'avait pas son génie. labruyère qui avait l'esprit si juste et si pénétrant n'avait pas sa profondeur.

En vain Condorcet et Voltaire ont fait la critique de ses pensées sublimes, en vain ils l'ont accusé d'avoir falsifié l'histoire pour plaire disaient-ils à quelques jansénistes qui avaient subjugué son imagination exaltée. ils sont les seuls qui aient osé insulter la religion dans la personne de Pascal, et les vertus de ce grand homme auraient dû la leur faire aimer. qui mieux que lui la rendit aimable et nécessaire ; mais Voltaire qui n'a pas voulu écouter la voix de toute la nature qui lui criait, il y a un dieu, a dû attaquer le premier soutien de la foi ; cependant ceux qui ont renoncé à toutes les lois de la religion s'en font eux-mêmes une : cequi[sic] montre combien l'irreligion est insensée.

à sa dernière maladie Pascal devina qu'il allait mourir. l'approche de cette dernière heure ne l'épouvanta pas, il n'y vit que la transmutation dans une autre vie où ses vertus lui avaient gardé place, que la fin d'un exil toujours douloureux pour celui qui a la révélation de son être, celui qui pressent une autre patrie. mais fidelle à son humilité, à sa compassion pour les malheureux, il demanda à être porté aux incurables pour mourir parmi les pauvres la seule classe qu'il eut privilégiée, seul titre qui eut reçu de lui des distinctions généreuses. que ce vœu est touchant! qu'il est noble, qu'il est bien le fruit d'une morale angélique ; cependant ce vœu ne fut pas rempli, il mourut au sein de sa famille, au milieu d'une carrière si noblement remplie. Tel fut cet homme extraordinaire qui reçut de la nature tous les dons de l'esprit ; géomètre ; dialecticien profond, écrivain éloquent et sublime ; dans une si courte vie, accablée de souffrances, il fixa les opinions flottantes des savans, inventa des choses utiles, composa des ouvrages qui serviront de modèles à la langue française ; écrivit sur l'existence de dieu d'une manière digne de son sujet. la force de ses pensées ira, à jamais, étonner et instruire les siècles futurs! il avait passé sa vie dans la retraite sans envier ni l'ambition ni la gloire, il mourut regretté des chrétiens, estimé des impies ; n'ayant rien demandé aux hommes que pour leur propre bonheur ; n'ayant aimé que les pauvres et la vertu. les pauvres les pleurèrent et la vertu descendit dans la tombe avec lui. il serait à souhaiter que la reconnaissance de ses compatriotes érigeât, à l'admiration de nos neveux, la statue de ce grand homme : ce serait parmi nous un monument éternel de religion, de simplicité, de philantropie ; et ce marbre muèt[sic] dirait à tous les cœurs contemplez la vertu!