(p. 2-45).
École impériale vétérinaire de Toulouse


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THÈSE


POUR LE


DIPLÔME DE MÉDECIN-VÉTÉRINAIRE


Présentée et soutenue le 27 juillet 1869

PAR


J. GOULOUMÈS,


Né à Gourdon (Lot).


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DU TOURNIS.


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MONTAUBAN

TYPOGRAPHIE DE VICTOR BERTUOT

9, place impériale, 9


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1868.

JURY D’EXAMEN
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MM. BOULEY (O. ❄) Inspecteur-général.
LAVOCAT ❄, Directeur.
LAFOSSE ❄, Professeurs.
LARROQUE,
GOURDON,
SERRES,
Bonnaud, Chefs de Service.
Mauri,
Bidaud,


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PROGRAMME D’EXAMEN
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INSTRUCTION MINISTÉRIELLE
22 août 1866.
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THÉORIE Épreuves
écrites
1o Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ;
2o Dissertation sur une question complexe d’Anatomie, de Physiologie et d’Histologie.
Épreuves
orales
1o Pathologie médicale spéciale ;
2o Pathologie générale ;
3o Pathologie chirurgicale ;
4o Maréchalerie, Chirurgie ;
5o Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ;
6o Police sanitaire et Jurisprudence ;
7o Agriculture, Hygiène, Zootechnie.
PRATIQUE Épreuves
pratiques
1o Opérations chirurgicales et Ferrure ;
2o Examen clinique d’un animal malade ;
3o Examen extérieur de l’animal en vente ;
4o Analyses chimiques ;
5o Pharmacie pratique ;
6o Examen pratique de Botanique médicale et fourragère.

À MES PARENTS


À MES PROFESSEURS


À MES AMIS

DU TOURNIS


La médecine vétérinaire ne connaît qu’une maladie vermineuse des organes encéphaliques chez nos animaux domestiques. Cette maladie est connue sous le nom de tournis. C’est de cette affection que nous avons entrepris de faire la description. Nous en donnerons d’abord une définition aussi complète que possible ; nous en énumérerons ensuite les causes, les symptômes et enfin le traitement chez nos divers animaux domestiques qu’elle affecte.

Définition. — Le tournis, encore appelé tournoiement, vertige, lourderie, mouton lourd, avortin, est une maladie affectant tous nos ruminants domestiques et principalement l’espèce ovine, apportant des troubles variés dans les centres nerveux. Son principal caractère, est le mouvement en cercle qu’exécutent en marchant les animaux qui en sont atteints. M. Lafosse l’a remarqué sur la gazelle ; on l’a observé également sur le mouflon, le renne, le chameau, le chevreuil. Il parait s’être montrée chez l’homme. Hurtrel d’Arboval en cite deux cas observés, l’un par Bréra, l’autre par Carrère

Origine — Les auteurs qui les premiers se sont occupés du tournis et l’ont décrit, l’ont considéré comme une apoplexie séreuse. Plus tard cette opinion s’est reproduite et Lullin s’en est montré vif partisan ; il prétendait que le tournoiement était dû à une hydropisie résultant des coups de tête que les animaux se donnent réciproquement dans les combats qu’ils se livrent, ou bien aux commotions qu’ils éprouvent en bondissant ou en se heurtant les uns contre les autres dans leur jeune âge, alors que le crâne a, dit-il, un quart de ligne d’épaisseur, tandis qu’il en a trois chez les moutons de trois ans.

Gérike a partagé l’opinion de Lullin. Cet auteur n’avait pas remarqué que l’amincissement de l’os observé au dessus du cœnure est dû à l’hydatide et que les parties voisines sont aussi épaisses que chez les autres animaux du même âge. Il est facile de se convaincre de l’erreur de ces deux observateurs.

Si les animaux recevaient dans la région crânienne des coups assez forts pour perforer l’os, il se développerait assurément une inflammation, ou tout au moins une congestion cérébrale qui emporterait les blessés en peu de jours, au lieu de donner naissance à un être organisé vivant.

Voisin a émis une opinion se rapprochant beaucoup de celle de Lullin et Gérike. Pour lui le tournis serait dû à un engorgement séreux du cerveau ; il croyait que l’hydatide se développait aux dépens de cet engorgement, comme l’hydrocéphale des enfants.

Pour Valois la vésicule s’accroît aux dépens de la lymphe augmentée que l’hydatide attire au cerveau. Aussi, d’après lui, il n’y aurait que les jeunes animaux qui en seraient atteints parce que c’est à cet âge que la lymphe prédomine dans l’économie.

Barbançois admet la surabondance de la partie aqueuse de la lymphe des jeunes animaux comme cause de l’affection ; mais il se demande pourquoi cette surabondance fait développer les hydatides plutôt dans le cerveau que dans le foie, ainsi que cela a lieu dans la pourriture. Il attribue cela à la faiblesse d’organisation de la pulpe cérébrale, lorsque cette faiblesse est augmentée par une cause particulière. D’après lui, toutes les circonstances tendant à produire une accumulation, au cerveau, de fluides, même de sang, font dilater les vaisseaux et occasionnent cette faiblesse qui détermine l’éclosion du cœnure, et le germe de l’hydatide ne viendrait pas du dehors.

Morgangni croyait que la maladie était due à un kyste séreux formé par le déplissement de la pie-mère.

Navières fut le premier qui crut à l’arrivée du dehors du germe du ver ; il se demande si l’on ne pourrait pas supposer que les œufs surmontant le kyste séreux proviennent d’une mouche à tarière, perforant le crâne dans le jeune âge.

Linnée le premier a reconnu la véritable origine du tournis, et a placé parmi les helminthes le corps vésiculeux qui détermine de si graves désordres dans les centres céphalo-rachidiens.

Le ver qui occasionne le tournis porte le nom de cœnure (de χοινος commun et ουρα queue). Il a reçu des naturalistes des noms différents, ce qui indique l’incertitude qui a longtemps régné sur sa véritable nature zoologique. Linnée lui a donné le nom de tænia cerebralis ; Batsch, l’appelait hydatula cerebralis ; Schrank, vesicaria socialis ; Zéder, polycephalus ovinus ; Gœze tænia vesicularis et polycephalus cerebralis, et Rudolphi, cœnurus cerebralis. C’est ce dernier nom qui est le plus usité.

Nous allons reproduire ici la description du cœnure cérébral telle qu’elle a été donnée par notre honorable professeur M. Gourdon[1] : « Le cœnure forme avec le cysticerque et l’échinocoque, un groupe particulier d’entosoaires nommés cystiques constituant la famille des cestoïdes de Rudolphi et des acephalocystes de Laennec, dont on a fait pendant quelque temps une famille à part, mais que l’on s’accorde généralement aujourd’hui à ranger parmi les tænias ou cestoïdes à l’exemple de Linnée qui avait déjà posé le principe de cette analogie dans le nom donné par lui à l’hydatide du cerveau, nom que plus tard adopta Chabert, en appelant le cœnure tænia globuleux. Les cystiques, en effet, ont la tête exactement conformée comme les tænias ; ils n’en différent qu’en ce qu’ils ont le corps plus court et fixé sur une vésicule spéciale, portant un ou plusieurs individus qui représentent chacun, un tænia à un degré incomplet de développement. »

« Considéré isolément, le cœnure forme une espèce d’ampoule ovoïde constituée par une mince pellicule contenant un liquide transparent. Son volume est très variable ; presque microscopique au début, il peut dépasser le volume d’une orange. À la face interne de la vésicule, on remarque une foule de petits corpuscules blanchâtres, opaques, rangés en plusieurs groupes ; ce sont autant d’individus dont le nombre total peut s’élever à quelques centaines. Chacun de ces individus présente une tête obtuse et tétragonale, un cou plus petit que la tête, court et étroit, et un corps cylindrique contractile et ridé comme articulé sur la vésicule. La tête ainsi que celle des tænias, est munie de quatre suçoirs latéraux assez développés, et est terminée par une double couronne de crochets, divisés en grands et petits, et dont le nombre varie de vingt-cinq à trente-deux. »

« Tel est l’état définitif du cœnure lorsqu’il reste engagé, dans la substance cérébrale. Il y meurt au bout d’un certain temps et se transforme en un kyste, où l’on ne trouve plus aucune trace d’animalité. Mais s’il se trouve introduit dans le tube digestif d’un chien, ou peut-être d’un autre carnassier, il acquiert un nouveau développement ; les petits cestoïdes passent au dehors de la poche, se détachent, et forment autant d’individus nouveaux pouvant se transformer en tænias ; chacun de ces individus présente à son extrémité une surface inégale dite cicatrice caudale. »

« On ne voit pas encore les anneaux caractéristiques du tænia ; quelques plis seulement apparaissent sur le corps ; les anneaux se forment plus tard entre le corps et la cicatrice caudale, laquelle pour cela s’éloigne progressivement du corps de manière à constituer toujours l’extrémité du cestoïde. »

« Le cœnure, auquel on ne reconnaît qu’une seule espèce, se distingue des autres cestoïdes cystiques, en ce qu’il n’est pas, comme ceux-ci, contenu dans un kyste extérieur à parois propres ; sa vésicule est directement en rapport avec la substance du cerveau. En outre, le cysticerque ne porte qu’une tête. Quant à l’échinocoque, il en porte plusieurs comme le cœnure, mais elles restent constamment en dedans de la vésicule, peuvent même se détacher et flotter en liberté dans le liquide hydatique ; tandis que le cœnure ne peut faire saillie et se détacher qu’à la surface extérieure de la poche vésiculaire ».

Étiologie. — Une grande obscurité a longtemps régné sur les causes du tournis tant sur l’espèce ovine et la chèvre que sur l’espèce bovine ; aussi son origine a-t-elle été pendant longtemps ignorée ou diversement expliquée. On a toujours remarqué que cette maladie se développe surtout sur les sujets jeunes ; que les animaux de l’espèce ovine âgés de plus de deux ans ne sont que rarement affectés ; qu’il en est de même pour ceux de l’espèce bovine âgés de plus de trois ans. Les taureaux sont plus rarement attaqués que les génisses. Les animaux de l’espèce ovine sont le plus souvent atteints vers le septième ou huitième mois, quelquefois même à leur naissance ; mais ce ne sont que de bien rares exceptions.

D’après Huzard ce seraient les animaux débilités par un lait trop aqueux, qui en seraient affectés. Fromage de Feugré est complètement en désaccord avec Huzard ; d’après lui, les animaux forts y seraient prédisposés. On l’a attribué aux insolations trop fortes, aux changements de température, à une irritation des centres céphalo-rachidiens, à un engorgement séreux de ces mêmes parties, ainsi que nous l’avons déjà vu précédemment. Tantôt la pluie, tantôt la rosée, le pacage des nuits dans les saisons pluvieuses et froides, le sevrage précipité, la chaleur des bergeries ont encore été accusés de faire développer cette maladie. Un berger d’Écosse, James Hoog, croyait qu’il était dû au refroidissement de la région dorsale pendant les pluies froides et les vents de l’hiver. On a été jusqu’à invoquer l’influence du mâle ; ainsi on a prétendu que les pères faibles donnaient le jour à des produits affectés de tournis. L’attelage au joug a été aussi considéré comme faisant développer cette affection sur l’espèce bovine. Or nous savons qu’on n’attèle que rarement les bœufs avant l’âge de deux ou trois ans, et le tournis se développe principalement dans le jeune âge ; il est donc impossible d’admettre une pareille opinion.

Il est cependant des contrées où l’on attèle les bœufs à l’âge de dix-huit mois, deux ans, comme cela se voit fréquemment dans la partie Nord et Nord-Est du département du Lot, dans la Corréze, une partie de la Dordogne etc. Néanmoins dans ces contrées le tournis n’est pas plus commun que dans tout autre département où l’on n’attèle qu’à l’âge de trente mois ou trois ans. Il est donc impossible, nous dirons même absurde, d’émettre une pareille opinion. On peut parfaitement admettre, comme le dit M. Gourdon dans son ouvrage, que les causes débilitant l’économie prédisposent les animaux à l’affection. Ainsi, par exemple, dans les pâturages marécageux, pendant les années pluvieuses, le tournis se développe fréquemment. Cela résulte sans doute de ce que, dans ces contrées, les anneaux du tænia cœnurus étant toujours ramollis par l’humidité, et par suite très vigoureux, pénètrent facilement dans l’économie animale, vu leur plus grande résistance pour se greffer aux plantes exposées à la dent des animaux ; en outre, les animaux absorbent avec les plantes une grande quantité d’eau qui débilite l’économie. Par conséquent les scolex arrivés dans les organes digestifs éprouvent moins de difficulté à s’introduire dans les vaisseaux, et par suite à arriver aux organes encéphaliques.

Les animaux croisés, jeunes, mal nourris ou provenant de parents affaiblis par la copulation, par l’émigration, se trouvant dans des conditions débilitantes, sont prédisposés à l’affection.

Plusieurs naturalistes, notamment Kuécheinmester, ont démontré que le ver donnant lieu aux désordres cérébraux dans le tournis, n’est autre chose que le scolex du tænia cœnurus du chien. C’est Kuécheinmester qui a prouvé que les anneaux ou proglottis du tænia cœnurus parvenus à maturité se détachent, et renferment des proscolex, espèce de germes microscopiques du cœnure. En outre, il a fait voir que ces anneaux, déposés dans les champs avec les excréments des carnassiers, sont avalés par les ruminants et vont ensuite se développer dans la cavité crânienne de ces derniers.

Il y a eu bon nombre d’incrédules et de contradicteurs, qui n’ont pas voulu accepter une pareille origine du cœnure. Cependant les expériences négatives qu’ils ont faites ne sont pas suffisantes pour détruire les conclusions des expériences faites par des personnes très-distinguées dans la science.

M. Reynal ne s’est pas montré partisan de l’opinion de Kuécheinmester. Il s’est basé sur les expériences qu’il a faites à l’école d’Alfort. Il a fait pendant quatre ans des expériences pour s’assurer si l’opinion allemande était fondée. Dans cet intervalle de temps, il a fait avaler à cinquante moutons encore jeunes (un à trois ans) des anneaux de tænia rendus par des chiens différents. Ses expériences n’ont donné que des résultats négatifs. Quoique ces recherches aient été faites par un homme éminent dans le corps vétérinaire enseignant, il est cependant permis de croire que les scolex, par lui employés, n’étaient pas des scolex de tænia cœnurus, mais bien de quelque autre tænia.

Il existe beaucoup de faits et d’expériences qui prouvent que le cœnure cérébral est le scolex du chien.

M. le général marquis de Castelbajac possédait des troupeaux qui en 1853 furent affectés du tournis. En octobre (même année) il écrivit à notre professeur, M. Lafosse, une lettre dans laquelle il réfutait l’opinion des helminthologistes allemands et belges, disant que la maladie régnait dans ses troupeaux depuis six mois, que son berger n’avait que deux chiens de six semaines seulement, et que par conséquent ceux-ci ne pouvaient pas avoir donné la maladie à ses moutons. Il se basait encore sur ce fait : que les excréments du chien repoussent les herbivores par leur odeur.

M. Lafosse lui répondit avec raison que des chiens autres que ceux du berger pouvaient avoir passé et déposé les proglottis dans les pâturages fréquentés par ses animaux et que, si ces derniers refusaient les aliments couverts d’excréments de chien, les proglottis étaient assez vivaces pour se conserver jusqu’à ce que les excréments fussent décomposés. On sait, en effet, qu’ils peuvent se conserver longtemps, puisqu’on en a vu rester vivants après avoir passé vingt jours dans la glace.

Le général prit dès ce moment des mesures pour empêcher les chiens d’entrer dans ses pâturages, et ce ne fut que grâce à ces mesures qu’il fit disparaître le tournis de ses troupeaux.

Les résultats des expériences qui ont été faites à l’école de Toulouse, et les observations de plusieurs vétérinaires et éleveurs ont bien éclairé la question sur l’origine du cœnure. M. Lafosse a fait des expériences relatives à cette question. Il a fait avaler à des moutons des proglottis que M. Kuécheinmester lui avait envoyés d’Allemagne, et il a fait développer la maladie.

M. Baillet a fait des expériences à l’école de Toulouse sur le mouton, la chèvre, le veau et il a fait naître sur eux l’affection dont nous nous occupons. Il a fait des expériences longtemps soutenues qui n’ont fait que confirmer la véritable origine du tænia.

Un vétérinaire M. Huot Marchant a communiqué à M. Prince, ancien directeur de l’école de Toulouse, des faits par lesquels il ne démontrait pas l’origine du tournis, mais la rendait très-probable. Ces faits ont été relatés par M. Prince dans le journal des vétérinaires du midi.

M. Garcin, vétérinaire à St Quentin, dans un travail présenté à la société académique de la même ville, prétend que, dans la Picardie, les moutons de la race mérine et leurs dérivés sont plus souvent affectés que ceux qui sont originaires du pays.

C’est, dit-il, parce que les mérinos broutent l’herbe plus près du sol que les vrais picards. On ne peut admettre l’opinion de ce vétérinaire. Il se peut que cette différence résulte de ce que les mérinos arrivés dans la Picardie, mangent des plantes trop aqueuses, et sont débilités, deviennent faibles, conditions favorables aux migrations et au développement des proscolex, ainsi que nous l’avons déjà dit précédemment.

Il est évident que ces moutons mérinos sont exposés à avaler les scolex plus facilement que les moutons picards mais M. Garcin n’aurait peut-être pas mal fait d’ajouter à cette cause la faiblesse produite par les fourrages trop aqueux de cette contrée. Ne pourrait-on pas, en effet, objecter à ce vétérinaire que, dans nos départements du Sud et Sud-ouest, les mérinos ne sont pas plus souvent affectés du tournis que les autres races de l’espèce ovine ? Il est cependant à présumer qu’ils ne broutent pas autrement dans la Picardie que dans nos contrées méridionales. Pourquoi donc cette différence ? cela résulte de ce que dans ces dernières contrées ils reçoivent des aliments beaucoup plus substantiels, plus tonifiants et contenant moins de principes aqueux.


Conditions favorables au développement du Cœnure.


Il ne s’agit pas simplement, pour que le tournis se développe, que les ruminants aient, en prenant leur nourriture, avalé des proglottis ; il faut encore certaines conditions qui, quoique non indispensables à l’éclosion du cœnure, lui prêtent au moins leur concours et lui sont d’une grande utilité. Toutes ces conditions découlent des causes que nous avons déjà citées.

Ce qu’il importe surtout, c’est la maturité complète des anneaux du tænia, c’est-à-dire qu’ils doivent contenir des embryons bien achevés pour que ceux-ci, arrivés dans les organes digestifs, soient viables, et que, parvenus à l’état de proscolex, ils puissent se diriger au moyen de leurs crochets vers les organes céphaliques et s’y développer. Dans le cas contraire ces embryons (proglottis) ne pourraient s’introduire dans les vaisseaux et seraient rendus avec les excréments. Il faut, en outre, que les animaux, ayant dégluti ces anneaux soient faibles, circonstance dont nous avons déjà parlé.

Cet état des animaux favorise les migrations et le développement de l’helminthe. Ainsi l’on a remarqué que presque toujours ce sont les sujets lymphatiques qui en sont atteints, car ce sont eux qui présentent presque toujours cet état de faiblesse. On a encore observé que le croisement des races, la faiblesse des générateurs sont des conditions très-favorables à l’éclosion du cœnure. C’est du reste ce qui avait été remarqué depuis longtemps, avant même que l’on connût l’origine du cœnure, car nous avons vu que Voisin et Valois considéraient ces circonstances comme favorables au développement de la maladie.

Le jeune âge est encore une condition favorable à l’éclosion du ver, aussi sont-ce les antenais dans l’espèce ovine et les sujets de moins de trois ans dans l’espèce bovine, qui le plus souvent laissent développer en eux les anneaux du tænia.

Il ne faudrait cependant pas déduire de cette dernière condition qu’il n’y a que les animaux jeunes et faibles qui soient atteints. Nous savons, en effet, que Fromage de Feugré a remarqué l’affection sur des animaux robustes, et qu’il considérait l’embonpoint comme une cause de cette maladie. M. Lafosse assure dans son ouvrage de pathologie l’avoir observée sur un bélier dishley-mauchamp-mérinos, se trouvant en bon état, ainsi que sur une gazelle âgée de quatre ans.

Hérédité. — Quelques vétérinaires ont cru que le tournis était héréditaire. Nous pouvons citer comme partisans de cette opinion Girou de Buzareingue et M. Reynal. Voyons jusqu’à quel point peut-être fondée cette opinion. Si l’on soumet à la reproduction des animaux atteints ou guéris du tournis, il est impossible qu’ils transmettent à leurs produits le germe du cœnure, et cela est facile à s’expliquer d’après les connaissances que nous possédons sur les migrations et les métamorphoses des tænioïdes. Nous pouvons admettre que les procréateurs transmettent la prédisposition. Dans quelques circonstances les reproducteurs peuvent être infectés de proscolex au moment de la copulation. Il pourra arriver dans ces cas que ces animalcules s’introduisent dans l’ovule et que le produit soit atteint du tournis au moment de sa naissance. Néanmoins il est plus vraisemblable d’admettre que le développement du cœnure se fait en même temps que s’accomplissent les actes maternels de la génération. Il est facile, en effet, de concevoir qu’au moment où le cerveau du fœtus se forme, un proscolex change de direction et aille se développer chez le produit et non chez la mère, alors que d’autres choisiront pour demeure le cerveau de cette dernière.

Il peut se faire qu’à l’époque de la naissance le cœnure ne soit pas assez développé pour déterminer des troubles dans l’économie du nouveau né, que son accroissement persiste pendant la vie extra-utérine, et que les troubles ne surviennent que quelques jours après la naissance.

Girou de Buzareingue a observé un pareil cas sur un agneau de douze jours.

Contagion. — La maladie dont nous nous occupons n’est pas contagieuse. Si dans un même troupeau plusieurs animaux en sont affectés en même temps, cela résulte de ce que toutes ces bêtes ont été soumises aux mêmes influences, débilitées par une même alimentation, ont, en outre, pacagé dans les mêmes pâturages et ont été par conséquent exposées à avaler des proglottis de tænia cœnurus, toutes en même temps. En outre, des animaux ayant avalé des anneaux, peuvent en rendre dans leurs excréments, tels qu’ils les ont pris ; ces anneaux sont déposés sur les plantes destinées à être broutées par des moutons du même troupeau ou d’un troupeau voisin. Ceux-ci s’emparent de ces anneaux et sont au bout de quelques jours affectés de lourderie.

Des personnes ont considéré ce mode de propagation comme une transmission par contagion. Pour peu que l’on réfléchisse, on s’assure aisément que ce n’est qu’une transmission par intermède et non la contagion, attendu que, dans la maladie qui nous occupe, il n’a jamais été possible de reconnaître un virus.

Quoique le chien soit la cause directe de la maladie, on peut dire aussi qu’il y a des agents de transmission dans l’espèce ovine ; c’est ce que nous venons de voir. Néanmoins ce sont des cas assez rares.

Symptômes. — Le tournis a été connu de tout temps. Depuis que son origine a été déterminée, on s’est livré à un grand nombre de travaux pour en apprécier les caractères et trouver les moyens propres à en arrêter les ravages. La promptitude et l’intensité des symptômes varient.

Si des sujets jeunes ont avalé un grand nombre de proscolex, les symptômes du tournis ne tardent pas à se manifester, car les proscolex se fraient plus facilement un passage dans les tissus encore mous de ces jeunes animaux. Au début, alors que commence le développement des cœnures, les signes du tournis sont à peine marqués. Du huitième au douzième jour, on constate d’après M. Lafosse : « de l’anorexie, du vertige, des convulsions, des grincements de dents, des paralysies partielles, puis générales, l’accélération, l’irrégularité de la respiration. Les animaux sont morts de six à vingt-quatre heures après l’invasion.

Il n’en est pas toujours ainsi ; les animaux n’avalent pas toujours une grande quantité d’anneaux. S’ils n’ont dégluti qu’un ou deux proscolex ; les symptômes sont plus lents à se manifester ; ce n’est guère que du douzième au quinzième jour que l’on remarque des troubles dans l’économie. Au début les animaux perdent de l’appétit et de la gaîté, ils mangent très-peu et ruminent incomplètement ; ils portent la tête basse, chancellent sur leurs membres, se heurtent contre les corps qui se trouvent sur leur passage ; ils n’écoutent plus la voix du berger qui les rappelle, ne craignent plus le chien qui veut les ramener au troupeau. Si par hasard, ils sont pris dans quelques broussailles, ils ne peuvent s’en sortir. Le berger a beau les appeler, ils n’écoutent plus sa voix, ils errent çà et là, ont l’air hébété, l’œil hagard, la vue altérée ou abolie ; l’œil devient quelquefois bleuâtre, mais cette couleur se voit à l’état sain, alors que les animaux sont placés dans une bergerie obscure et que leur axe visuel se dirige vers la porte ouverte. Il est facile de se convaincre de ce fait dans toutes les bergeries obscures. Il ne faut donc pas trop se baser sur ce trouble oculaire. Bientôt après, les symptômes s’aggravent ; il survient du vertige ; les animaux tournent soit à droite, soit à gauche ; ils partent en prenant une direction rectiligne, puis tout à coup ils se portent à droite ou à gauche, quelquefois ils décrivent des cercles concentriques pendant des demi-heures, des heures ; les animaux ne conservent plus leurs poses normales ; leurs mouvements sont irréguliers et désordonnés ; il y a des convulsions dans les mâchoires, pirouettement de l’œil dans l’orbite ; la pupille est dilatée comme pour recevoir une plus grande quantité de lumière.

Si l’on considère la maladie à une période plus avancée, on remarque de grands troubles. Les animaux ne mangent plus, ne ruminent plus, sont affectés de paralysies et la mort ne tarde pas à arriver. L’époque de la mort varie ; quelquefois elle survient dix jours après l’invasion ; d’autrefois ce n’est qu’après vingt ou trente jours. Parfois le cœnure ou les cœnures ingérés produisent pendant quelques jours un certain malaise par la compression exercée sur le cerveau ; mais bientôt ce malaise disparait (au bout de 4, 5, 6, jours). Les animaux récupèrent leur calme normal, le conservent pendant un ou plusieurs mois de suite, après lesquels les cœnures, ayant acquis leur développement complet, occasionnent les symptômes suivants :

Les animaux sont tristes, leur appétit est diminué ; les mouvements sont lents ; les malades peuvent à peine rester debout ; le décubitus est fréquent, le goût est diminué. Si parfois les animaux broutent, ils ne s’emparent que des sommets des plantes ; ils restent en arrière du troupeau ou se tiennent à l’écart. Parfois ils se couchent sans ruminer ; si cet acte s’accomplit, ce n’est que par intervalle et les mouvements des mâchoires sont lents. Pendant la rumination qui est très-souvent interrompue, il y a une salivation abondante et le fluide salivaire s’écoule de la bouche. Oblige-t-on les malades à courir, ils ne le font qu’avec difficulté, buttent, fléchissent, tombent sur leurs genoux, et l’on ne parvient qu’avec peine à les faire relever.

Pendant la durée de la maladie, il peut y avoir des accès et des intermittences ; ainsi un animal affecté de tournis a un accès pendant lequel il se livre à des mouvements plus ou moins désordonnés, suivant le siége de l’hydatide ; il tombe, a des convulsions ; il a quelquefois comme des accès d’épilepsie, mais le calme reparait, l’animal se relève ne présentant plus aucun symptôme de maladie ; enfin le vertige et le tournoiement reparaissent quelques instants après. La gestation semble avoir une certaine influence sur l’apparition des accès, elle les retarde.

Quand la maladie est arrivée à une période assez avancée l’animal tourne tantôt à droite, tantôt à gauche ou bien il porte la tête haute, avec ou sans tournoiement, ou bien encore il s’encapuchonne, porte la tête entre les jambes en courant. Lorsqu’il lève la tête, on dit qu’il est voilier, cingleur ou qu’il porte au vent. Lorsqu’il la tient entre les jambes, on l’appelle trotteur, parce qu’il est obligé d’accélérer sa marche pour ne pas tomber. Dans le cas où il marche la tête levée, il court en ligne droite et se heurte contre les obstacles qu’il rencontre. S’il baisse la tête, il trotte, butte et tombe quelquefois pour ne plus se relever. Quand il tourne, il a ordinairement une tempe tournée en l’air, celle qui est opposée au côté sur lequel s’effectue le mouvement en cercle. Il peut se faire que le malade tourne, sans que sa tête soit renversée et aussi quand elle est portée au vent. Ce dernier cas a été observé par M. Jacques en septembre 1853. Quelquefois les oreilles sont pendantes ; tantôt elles le sont toutes les deux, tantôt il n’y en a qu’une. Les yeux changent également : l’axe visuel se dirige en bas, en haut ou sur les côtés. On peut, d’après la direction que prend l’œil et la position des oreilles, être à peu près certain du siége qu’occupe l’hydatide, car ces changements de direction et de position correspondent au côté où siége l’helminthe. C’est du moins ce qui a été observé par M. Lafosse sur une chèvre, en décembre 1854.

Plus tard il survient des symptômes d’inflammation encéphalique, les animaux ont des convulsions, tombent, ce qui indique une compression ou une désorganisation du cerveau ; les malades se roulent selon leur grand axe, restent couchés ; souvent après s’être couchés ou roulés, il leur est impossible de se relever, vu l’absence des forces. L’appétit et la rumination ont complètement disparu ; les sabots tombent mortifiés ; les diverses sécrétions s’altèrent, les animaux maigrissent, la diarrhée survient. On doit se hâter de donner des secours aux malades avant que de si graves désordres se soient produits, sinon, la mort survient et à cette dernière période les remèdes sont impuissants. La cécité précède parfois la mort.

Dans certaines circonstances, la pression exercée de dedans en dehors par l’hydatide sur la boite osseuse, détermine la destruction de l’os au point correspondant à son siége. On remarque alors que la vésicule hydatique fait hernie au dehors et produit sous la peau une tumeur de volume variable et fluctuante. Cette fluctuation est due au liquide qu’elle contient. C’est un signe diagnostique qu’il est bon de signaler, car, quand il existe, il indique le siége certain du ver.


Symptômes particuliers subordonnés au siége de l’hydatide.


Il est dans l’étude des symptômes un point important à signaler au point de vue de la thérapeutique chirurgicale. C’est la différence des mouvements exécutés par les malades selon le siége occupé par l’hydatide. Cette partie de la symptômatologie n’est pas encore arrivée à un degré de certitude complet. Nous allons résumer le mieux possible ce qui est connu et ce qui a été dit sur ce point.


Hydatide dans l’un des lobes cérébraux.


D’après Gerike, Valois, Guillaume, Hurtrel, Garreau, MM. Rey et Saint-Cyr, la tête est inclinée et l’animal tourne du côté où est le cœnure. M. Gourdon prétend aussi que le tournoiement se fait du côté où siége l’hydatide. D’après Neyrac il se fait du côté opposé ; c’est ce qu’a aussi observé M. Lafosse, mais non toujours. Ce professeur fait remarquer que, dans les cas où le tournoiement s’opérait du côté de la vésicule, il y avait plusieurs hydatides de dimensions variables situées dans les deux lobes, ou bien, dans le cas où il n’y en avait qu’une, elle n’occupait pas exclusivement un seul hémisphère, soit qu’elle n’eût pas acquis son complet développement et se fût placée près du plan médian, soit encore que son grand développement l’eût, pour ainsi dire, obligée à s’étendre dans le lobe opposé à celui où elle avait primitivement fixé sa demeure. Dans ce dernier cas le ver avait refoulé devant lui les parties situées dans le plan médian et avait pénétré dans le lobe opposé.

Quelques auteurs admettent les deux opinions et disent que le tournoiement se fait ; tantôt du côté du ver, tantôt du côté opposé. De ce nombre sont Maunoir, Huzard, Girou de Buzareingue et M. Reynal. Ce dernier, sur plus de soixante cas qu’il a observés, dit que les deux tiers des animaux affectés opéraient le tournoiement du côté du ver, alors que celui-ci était placé à l’intérieur, ou à la surface des couches formant la voûte des ventricules latéraux, ou le plan supérieur des hémisphères latéraux ; et que, dans l’autre tiers, le tournoiement avait lieu du côté opposé, alors que le cœnure était arrivé dans les couches profondes du plan inférieur, comme les corps striés, le trigone cérébral, les cornes d’ammon, les couches optiques. M. Lafosse dit avoir remarqué cette alternance, mais qu’il n’a pu la rapporter à aucune des causes citées par M. Reynal.

Une pareille dissidence entre deux professeurs d’un si haut mérite, nous prouve combien est obscur ce point diagnostique. Aussi conseillerons-nous de se baser, lorsqu’il sera possible, plutôt sur l’amincissement des parois crâniennes que sur le tournoiement, pour diagnostiquer le siége du ver.


Hydatide dans le cervelet ou le comprimant.


L’observation a démontré que lorsque l’hydatide est dans le cervelet, il se produit des phénomènes morbides particuliers qui font éprouver aux malades des chutes fréquentes. Lorsqu’il est à sa partie inférieure, la tête est basse, la marche raccourcie, accélérée, mais l’animal ne tourne pas longtemps. Lorsqu’il est à sa partie supérieure, la tête est portée au vent, le nez est relevé et les animaux se jettent contre les obstacles.


Hydatide sur le bulbe-rachidien.


Le malade a de la peine à se tenir sur ses membres, l’appui se fait sur les genoux ou sur les fesses, l’animal se traîne sur le sol, puis survient le décubitus, se faisant tantôt à droite, tantôt à gauche. Parfois surviennent l’insensibilité complète et la paralysie accompagnée de la mort.

La paralysie ne précède pas toujours la mort ; mais, lorsqu’elle existe, c’est toujours le côté affecté de cœnure qui en est atteint. Il peut néanmoins se faire que le côté du corps, opposé au siége de l’helminthe, soit paralysé ; mais dans ce cas les symptômes sont généraux, les troubles cérébraux sont très-prononcés, et la nécropsie fait découvrir, dans presque toute la substance cérébrale, des cœnures de dimension variable.


Perte de la Vision.


Nous avons dit précédemment que les animaux malades perdaient quelquefois la vue, soit d’un seul côté, soit des deux. Si un seul œil est frappé de cécité, c’est ordinairement celui qui correspond au siége de l’helminthe. Quelquefois les deux yeux sont perdus, alors cela peut résulter de l’existence de deux hydatides, ou bien d’une seule et de l’action réflexe des nerfs optiques, de sorte qu’il est assez difficile de diagnostiquer sûrement s’il y a un seul ou plusieurs cœnures. Parfois la pupille est très dilatée et reste contractile, ce qui indique que les nerfs fournis par la cinquième paire sont sains.

Dans le cas de cécité on peut être à peu près sûr que l’hydatide est à la partie inférieure du cerveau.

Nous avons cru devoir entrer dans ces quelques considérations, non-seulement parce qu’elles servent à baser le diagnostic sur des connaissances physiologiques, mais encore parce qu’elles sont d’un haut intérêt, comme guide dans les opérations à pratiquer pour tuer ou extraire les hydatides. Il n’est pas toujours facile de poser un diagnostic certain avec ces données. Les observateurs devraient s’attacher à les confirmer par des autopsies faites avec le plus grand soin. Ce point restera probablement dans l’obscurité pendant de longues années, car les vétérinaires ne sont que très exceptionnellement appelés à donner des soins aux animaux de l’espèce ovine ; c’est ce que nous avons du moins observé dans notre pays où de nombreux troupeaux sont confiés à la garde des chiens, et où les vétérinaires pourraient, s’ils étaient appelés, voir bon nombre de cas de tournis. Mais les propriétaires préfèrent s’adresser à des empiriques ou à de vieux radoteurs, qui prétendent guérir les malades en murmurant quelques prières plus ou moins absurdes.

Pour plus amples détails nous allons relater un résumé des observations de Girou de Buzareingue fait par M. Lafosse[2]. « Lorsque l’animal tourne, le cœnure est dans un hémisphère ;

Lorsqu’il élève la tête le cœnure est près des nerfs olfactifs ;

S’il tient la tête en bas, c’est que le ver est dans les parties postérieures du cerveau, près des cornes d’ammon ;

S’il ne peut suivre le troupeau, le ver est dans le cerveau ;

S’il veut et ne peut faire suivre le train postérieur, le ver est dans le cervelet. »


Symptômes sur les animaux autres que ceux de l’espèce ovine.


Sur le bœuf, la gazelle et la chèvre, les symptômes ne diffèrent pas de ceux que nous avons signalés pour l’espèce ovine. Gelé croyait que chez le bœuf l’hydatide était quelquefois logée dans les sinus frontaux, et que ce n’était que dans ce cas qu’elle pouvait détruire l’os et faire hernie au dehors, comme dans l’espèce ovine. Il pourrait avoir confondu avec le cœnure tout autre hydatide.

D’après Dupuy, Langlois avait remarqué que sur les bêtes bovines très jeunes, dont les sinus sont peu ou pas développés, le cœnure qui a grossi dans la cavité crânienne pouvait produire de la fluctuation par l’atrophie de l’os encore mince à cet âge.

Les recherches et les observations de MM. Baillet, Lafosse et Prince, ont démontré que le cœnure ou un cestoïde, ayant avec lui une grande ressemblance, peut se développer dans le tissu cellulaire du lapin domestique. Pourquoi ne pourrait-il pas arriver que, déposé par le système circulatoire dans les sinus, au lieu d’aller dans le cerveau, il se développe dans les premiers ; dans ce cas, la compression au lieu d’être directe se ferait par l’intermédiaire de la lame osseuse interne des sinus. L’opinion de Gelé pourrait donc être fondée, de sorte qu’il serait bon de le vérifier.


À quoi sont dus les symptômes du tournis ?


La plupart des vétérinaires pensent que les symptômes résultent de la compression et de l’irritation que la présence du ver détermine sur le cerveau.

D’après M. Duvaisne, les têtes, qui sont greffées sur la vésicule, sont exsertiles, quoique leur déhiscence se fasse en dedans. Ces têtes, d’après lui, s’allogent par intervalle piquent la substance cérébrale et donnent naissance aux symptômes et au tournoiement.

Nous sommes portés à croire que la piqûre des têtes du cœnure occasione les symptômes ou plutôt les troubles cérébraux, mais non le tournoiement. Celui-ci, d’après nous, est plutôt dû à la compression exercée par les hydatides sur un des hémisphères latéraux. L’animal cherche à se soustraire à une pression, faisant l’effet d’un poids assez lourd du côté où siége l’hydatide ; de là le tournoiement du côté correspondant au siége du ver, lorsque celui-ci est à la partie supérieure et sur les lobes cérébraux.

Lorsque le ver au contraire se trouve à la partie supérieure, mais dans le plan médian, la pression exercée par le cœnure étant égale des deux côtés, la bête ne cherche pas à tourner, elle n’a plus besoin de rétablir l’équilibre ; d’où la non existence du tournoiement. Il en est de même lorsque l’hydatide est à la partie inférieure et médiane.

Les accès du tournis n’arrivent pas à des époques fixes, ainsi il arrive quelquefois qu’ils ne se manifestent qu’au bout de trois, quatre mois, alors même que le cœnure a acquis le volume d’un œuf de poule, tandis que d’autres fois ils se manifestent alors que le ver est encore très-petit.


Diagnostic différentiel.


La lourderie peut être confondue avec d’autres maladies ayant avec elle une certaine analogie, mais qu’il est cependant facile d’en distinguer avec un peu d’attention. Telles sont le vertige par inflammation des méninges, les épanchements sanguins, séreux ou purulents dans le crâne, la compression du cerveau par enfoncement des os, les désordres dus à l’existence de céphalémyies dans les sinus ou dans les cavités nasales, enfin l’hydrocéphale.

Vertige. Se distingue du tournis par son état aigu, sa marche rapide ; il y a une vive inflammation que l’on reconnaît à la chaleur de la tête, la rougeur des muqueuses, l’accélération de la respiration et de la circulation. Les battements de cœur sont forts. Il est rare qu’il y ait tournoiement dans le cas de vertige et la mort vient mettre un terme à tous ces désordres, tandis qu’elle se fait longtemps attendre dans le tournis.

Épanchements et compression. Les épanchements et la compression due à l’enfoncement des os du crâne sont à marche plus régulière, plus rapide ; il n’y a pas de mouvement en rond. Ces maladies ont du reste des causes spéciales et des symptômes propres, qui empêchent de les confondre avec les troubles dus à des hydatides.

Céphalémyies. — Tournoiement quelquefois ; en outre ébrouements fréquents, enchifrènement, respiration sifflante. De plus, jetage par une ou les deux narines de matières muqueuses, épaisses, adhérentes, quelquefois sanguinolentes ; la pituitaire devient le siége d’un engorgement et d’une inflammation.

Hydrocéphale. — On pourrait encore confondre les tumeurs dues à la présence d’hydatides faisant hernie à travers les parois crâniennes avec l’hydrocéphale, à cause de la fluctuation. Dans cette dernière affection il n’y a pas de mouvement en cercle, les animaux sont assoupis, ont les yeux fixes, proéminents, et la pupille reste dilatée.

Marche, durée, terminaison. — Cette maladie est quelquefois aigüe et tue promptement les animaux, aussi promptement que la congestion cérébrale. D’autres fois elle débute par le type aigu et passe ensuite au type chronique. Parfois elle débute par le type chronique, se manifeste par des symptômes à peine perceptibles, mais dure ainsi longtemps. D’autres fois ce n’est qu’à l’ouverture des cadavres que l’on reconnaît l’existence déjà ancienne de cœnures, et les lésions produites par ces parasites.

Que la maladie soit aigüe ou chronique, rarement les animaux guérissent. Dans les cas exceptionnels où la guérison a lieu, les animaux ont toujours des troubles nerveux accompagnant la maladie, après que les symptômes du tournis ont déjà disparu.


Lésions cadavériques.


Si la maladie date de quelques jours seulement et que le cerveau ait été envahi par une grande quantité de cœnures, on constate l’injection des vaisseaux de l’encéphale et de ses enveloppes. Les cœnures, s’ils n’ont été ingérés que depuis une vingtaine de jours, sont de petite dimension, ils ne dépassent guère la grosseur d’une tête d’épingle. Il est même possible d’en voir à l’œil nu qui n’atteignent pas ce volume. Ils sont en nombre variable, mais on n’en a pas trouvé au-delà de quarante à cinquante sur le même animal. Les cœnures se trouvent principalement à la surface du cerveau, dans ses ventricules, entre les circonvolutions, dans les sillons ou les scissures, dans les plexus choroïdes. Ils sont plus rarement dans la substance cérébrale. Il est facile de faire détacher les hydatides en plongeant le cerveau dans l’eau.

Examinée avec soin, la surface du cerveau laisse apercevoir de petits sentiers capillaires sinueux, de couleur grisâtre. Si l’on suit ces petits sentiers jusqu’à l’une de leurs extrémités, on y aperçoit de petits corps arrondis, ressemblant à des grains de sable par leur dimension. Ce n’est autre chose que les cœnures, qui n’ont pas encore acquis un grand développement.

Si la maladie dure depuis longtemps et qu’elle ait paru sous le type chronique, les lésions sont différentes des précédentes ; les cœnures sont peu nombreux ; et il y en a le plus souvent un seul, quelquefois 4, 5, 6. Leur volume est assez grand ; il y en a comme des œufs de pigeon, de poule, et même comme de grosses oranges.

Considérées alors qu’elles sont petites, transparentes et pourvues d’une seule tête, ces vésicules semblent avoir un mouvement particulier ; mais, à mesure qu’elles acquièrent du volume et qu’elles s’épaississent, elles perdent toute espèce de mouvement, se garnissent de granulations calcaires ; de petites taches opaques plus épaisses se dessinent à leur surface. Ce ne sont que des rudiments de scolex qui se produisent par gemmation. Les scolex, arrivés à leur développement complet, sont sous forme de granulations grosses comme des têtes d’épingle, se groupant en nombre variable.

Le contenu des groupes d’une vésicule représente à lui seul une centaine d’individus.

Voici d’après M. Reynal la composition du liquide contenu dans l’intérieur d’une poche hydatique :

Eau 98,262
Matière animale 0,804
Chlorure de Sodium 0,498
Phosphate alcalin
0,436
Sulfate alcalin
Chaux
Soude
Total 100,000

On constate la dépression, l’atrophie et la flétrissure de la substance cérébrale, située au voisinage des grosses hydatides. Si le ver est dans un ventricule, la paroi supérieure de celui-ci est tellement amincie qu’il ne reste que les membranes renforcées par la matière cérébrale condensée et formant une sorte d’enveloppe d’enkystement aux cœnures. Le septum, le pillier postérieur du trigone cérébral, le corps calleux comprimés, amincis, ou perforés, sont refoulés jusque vers l’hémisphère ou dans le ventricule opposé où dans quelques cas le cœnure fait hernie.

Lorsque l’hydatide siège dans la substance cérébrale, on remarque ordinairement que cette dernière est enflammée ; elle a augmenté de densité, en outre elle est devenue granuleuse. Il existe de la matière séro-purulente grumeleuse dans la poche où siège le ver ; cette matière se trouve entre les parois de l’hydatide, et la substance cérébrale environnante.

L’helminthe est-il sur les parois du crâne, les lames osseuses peuvent s’écarter, de sorte que la cavité crânienne semble avoir acquis un plus grand volume. Parfois ces mêmes lames s’amincissent peu à peu au lieu de s’écarter, et se trouvent réduites, à l’endroit occupé par le ver, à l’épaisseur d’une feuille de papier. D’autres fois enfin, il n’existe plus de matière osseuse sur le ver qui, dans ce cas, fait hernie au dehors et n’est retenu que par les enveloppes cérébrales et la peau, contractant entr’elles de fortes adhérences et augmentant d’épaisseur. Après l’usure du crâne, il arrive parfois que le tissu sous-cutané se condense et se transforme en un fibro-cartilage assez épais, résistant, établissant un rapport exact entre la peau et le périoste au point d’usure de l’os.

Il est de remarque que le poids du cerveau diminue, abstraction faite des hydatides, cette différence n’est cependant pas toujours bien marquée. D’après Héring, le lobe cérébral affecté pèse quelquefois plus que l’opposé.

Le cœnure est-il mort dans l’intérieur de la substance cérébrale, les parois de la cavité où siège l’helminthe sont jaunâtres et parsemées de petites granulations également jaunâtres et de 1 à 2 millimètres de diamètre. Ce ne sont que des scolex desséchés.

Traitement. — Les diverses ressources de la thérapeutique échouent le plus souvent contre la maladie dont nous nous occupons. Presque toutes ces substances ont été employées, mais elles n’ont donné aucun résultat. Les propriétaires sachant que leurs animaux affectés de tournis sont condamnés à mourir après avoir dépéri pendant quelques mois, préfèrent les vendre à la boucherie, dès que les premiers symptômes de la maladie se sont manifestés. Au commencement la maladie n’a produit que peu de désordres dans l’économie, les animaux sont bons pour la boucherie ; tandis que plus tard ils ont maigri, leur viande a perdu de ses propriétés alimentaires.

Divers moyens ont été essayés contre le tournis, les uns comme préservatifs, les autres comme curatifs.

Traitement préservatif. — Comme moyens préservatifs nous citerons les suivants :

Le berger James Hoog conseille de mettre sur le dos des agneaux une bande de drap ou de peau pour empêcher l’eau de pénétrer sous la peau des animaux et de refroidir la région lombaire.

On a recommandé de ne pas tondre le dessus de la tête et du cou avant que les animaux soient arrivés à l’âge de dix-huit mois ou deux ans.

Navières, croyant qu’un insecte perce le crâne au moyen de sa tarière et y dépose ses œufs, recommande d’appliquer, sur le front et les tempes des agneaux, un emplâtre de goudron pour éviter l’accès de cette prétendue mouche.

On a essayé des décoctions de garance de tanaisie etc. (Voisin)

La saignée a été mise en usage par quelques vétérinaires. Citons encore les frictions de teinture de cantharides faites à la base des oreilles, et suivies de l’application d’un vésicatoire. Pour cela on rasait la laine à la base des oreilles, puis on faisait des frictions de teinture de cantharides, jusqu’à ce que quelques gouttes de sang sortissent de la peau ; après cela, on appliquait une couche d’onguent vésicatoire.

Neyrac employait comme préservatif, ainsi que comme curatif la cautérisation du crâne.

M. Reynal recommande d’éloigner de la reproduction les animaux affectés de tournis, et de n’accoupler que des reproducteurs arrivés à leur parfait développement, tels que des brebis de trente mois et des béliers de quinze à dix-huit mois au moins.

On a enfin recommandé avec raison d’employer tous les soins possibles d’hygiène pour ne pas laisser débiliter les animaux jeunes.

Toutes ces précautions et tous les préservatifs dont nous venons de faire le résumé aussi succinct que possible n’ont produit aucun effet.

Nous avons déjà vu, en parlant de la symptômatologie, que la débilité est une prédisposition au tournis ; par conséquent, si avec l’hygiène on évite cette faiblesse, les animaux seront moins exposés à laisser développer les scolex ingérés.

Le meilleur préservatif résulte de la connaissance des transformations et migrations des tænioïdes. Il consiste à ne pas faire pacager les troupeaux dans les champs où passent souvent de jeunes chiens, de la sorte on empêcherait l’ingestion des œufs mûrs ou des proscolex du tænia cœnurus. À l’époque où nous sommes il est très difficile de s’opposer à ce que les troupeaux ne passent pas dans les pâturages fréquentés par des chiens, car, dans presque tous les pays où l’on élève le mouton, on confie à l’espèce canine la garde des troupeaux. Les pâturages n’étant pas clos, un berger ne pourrait suffire à la garde de quatre ou cinq cents bêtes, aussi est-il obligé de se munir de chiens. Les bergers devraient surveiller ces derniers et les séquestrer dès qu’ils rejettent des anneaux de tænias, leur faire prendre des vermifuges énergiques pour les débarrasser de ces parasites intestinaux.

Les vermifuges, qui conviennent le mieux pour arriver à ce résulat, sont les graines de citrouille, le kousso, l’écorce de racine de grenadier, l’essense de térébenthine, en un mot tous les vermifuges. Ces derniers ne font qu’engourdir les tænias ; il faut faire terminer l’action de ces substances par des purgatifs (aloès scammonée, nerprunt, jalap). Les chiens devraient, en outre, être tenus à l’attache pendant qu’ils seraient soumis à ce traitement ; les excréments et les litières, brûlés. Si l’on répandait ces derniers dans les champs, les quelques scolex ayant échappé à l’action des vermifuges redonneraient la maladie, et les précautions que l’on aurait prises resteraient par suite sans résultats.

Traitement curatif. — Ce traitement consiste en des opérations ayant pour résultat de ponctionner l’hydatide ou de le tuer par la ponction, la cautérisation du crâne, ou bien de l’extraire par une ouverture faite à l’os.

1o Simple ponction de l’hydatide. — Cette opération a été mise en usage d’abord par les Allemands Riem et Reuter en 1791, puis en Angleterre et en France par Tessier, Huzard, Valois, les écoles vétérinaires et bon nombre de vétérinaires. Les Allemands faisaient la ponction avec un trocart de la grosseur d’une plume à écrire qu’ils introduisaient dans la poche hydatique, après en avoir découvert le siége, tondu le point correspondant et fait une incision à la peau. Après avoir fait la ponction, ils aspiraient le liquide avec une seringue se vissant à la canule du trocart ; ils recouvraient la plaie avec un emplâtre de poix.

M. Reboul de Coursan a opéré la ponction sur vingt et un sujets affectés et a compté onze réussites. Il a ponctionné le crâne et l’hydatide avec un poinçon de la grosseur d’une plume à écrire, il a fait écouler le liquide en deux fois. Lorsqu’il a fait sortir le liquide pour la seconde fois, il attire au dehors le cœnure cérébral en totalité ou en partie. Pour cela il se sert d’un petit tube portant, à trois lignes de l’extrémité introduite, de petites fenêtres en losange et pourvues à leur angle inférieur d’une petite dent exubérante. Il imprime des mouvements de rotation pour saisir et entraîner au dehors la poche hydatique. Si ces mouvements rotatoires ne sont pas suffisants, un crochet ou une aiguille à broder est nécessaire pour aider l’action du tube. M. Reboul prétend qu’il n’est pas indispensable d’extraire le ver pour obtenir la guérison. Ce procédé a bien réussi entre les mains de Guillaume et Ignard ; le premier a compté vingt-quatre guérisons, et le second quarante-sept.

2o Ponction et occision du ver. — Ce procédé se fait de deux manières : par le fer et par l’injection.

A. Par le fer. James Hoog se servait d’une brochette de fer huilée à son extrémité libre ; il l’introduisait par les cavités nasales, et la faisait arriver, en passant à travers la lame criblée de l’ethmoïde, jusqu’au siége du ver. On comprend facilement la barbarie de ce procédé, quoique ce berger ait prétendu en avoir retiré de bons résultats. Il devait produire dans les cavités nasales et l’ethmoïde des délabrements qui ne pouvaient que hâter la mort de l’animal. Cet écossais employait aussi quelquefois la ponction avec le trocart, mais il a prétendu ne pas en avoir retiré d’aussi bons résultats.

Barré et Vilmorin faisaient, à l’endroit correspondant au siége de l’hydatide, une cautérisation assez profonde pour perforer la cavité crânienne ; l’ouverture produite était de la dimension d’un pois, et l’eau de l’hydatide se déversait par cette ouverture. Ils extrayaient au moyen de pinces ou la pointe d’un bistouri la partie d’os détruite par le feu. On peut facilement s’expliquer les nombreux inconvénients, qui devaient résulter de l’introduction du calorique dans la cavité crânienne. Il serait absurde de proposer un pareil procédé.

B. Par injection. Gérike vétérinaire Westphalien pratique à la peau une incision ayant à peu près un centimètre, ponctionne l’hydatide à travers l’os avec un petit trocart, fait écouler le liquide et termine l’opération par une injection de trois ou quatre gouttes de teinture de Myrrhe, au moyen de la canule laissée en place, et il répète cela pour chaque hydatide. Quelques vétérinaires ont depuis injecté de la teinture d’iode, d’aloès, mais ce procédé est dangereux, vu qu’on peut faire développer une inflammation cérébrale.

3o Cautérisation du crâne. — Neyrac employait la cautérisation sur la région frontale. Il se servait d’un cautère cylindrique, ayant vingt sept centimètres de longueur et quatorze millimètres de diamètre. Une des extrémités se termine par une pointe, pour pouvoir s’enfoncer dans un manche de bois. L’autre extrémité représente un N saillant, dont les jambages ont quatorze millimètres de hauteur sur deux millimètres de surface. On chauffe le cautère jusqu’à ce qu’il carbonise une carte à jouer sans la percer. Ainsi chauffé il peut servir pour trois cautérisations. La première dure deux secondes, la deuxième un peu plus, et la troisième cinq secondes. Avant de procéder à la cautérisation, on doit raser la région sur laquelle doit s’appliquer le cautère. Neyrac indiquait le devant de la tête, sur les sinus frontaux, entre les deux yeux, comme point d’application du cautère. Ce procédé a été essayé par Guillaume, Huzard, Andrieu, Girou de Buzareingue, Roche-Lubin, D’Arboval ; mais il ne leur a donné aucun résultat. Nous avons déjà vu que Neyrac employait ce procédé comme préservatif et qu’il n’avait pas obtenu de meilleurs résultats.

4o Extirpation du ver. — On arrive à ce résultat par deux modes d’opérations : La ponction et la trépanation.

A. Ponction. Yvart et Rappolt, directeur de la bergerie de la Roër, pratiquent l’opération avec une alêne ou un poinçon, ayant onze centimètres de longueur, y compris le manche. La tige a une longueur de trente-trois millimètres, et le diamètre d’une plume à écrire ; la pointe en est arrondie, de manière à glisser sur les vaisseaux et les filets nerveux sans les blesser, elle n’est pas trop mince, ce qui lui permettrait de se briser.

L’opérateur tient l’instrument entre le pouce, l’index et le médius, prend un point d’appui sur la tête du malade avec l’annulaire et l’auriculaire, enfonce la pointe dans la paroi osseuse, sans déployer une grande force. Il est préférable d’y revenir une seconde fois, si à la première l’instrument n’a pénétré assez profondément. L’ouverture faite, on pousse le poinçon à la profondeur de quinze à vingt millimètres au plus. Si l’os est flexible et aminci, on pénètre moins profondément. Dès qu’on a ponctionné on ramène le ver à l’extérieur et on le saisit, soit avec les doigts, soit avec des pinces ou bien encore avec une épingle. On doit avoir le soin de renverser la tête de l’animal, afin de donner écoulement au liquide. On peut favoriser la sortie de ce dernier, en faisant mâchonner les malades. Si une première opération ne suffit pas, on introduit de nouveau le poinçon avec soin, on perce l’hydatide et on l’extrait. Il survient souvent, à la suite de cette opération, une apoplexie que M. Reboul attribue à l’afflux subit du sang venant remplacer l’hydatide. Probablement, comme le dit M. Lafosse, ce sont plutôt les manipulations exercées sur la région crânienne, que l’afflux sanguin.

Yvart et Rappolt se contentent de terminer l’opération en mettant quelques gouttes d’essence de térébenthine sur la plaie ; ils n’y placent pas d’emplâtre. Ils ont soin de nettoyer la plaie et de l’ouvrir, soit en enlevant l’eschare, soit en introduisant de nouveau le poinçon, afin de faire écouler le liquide qui s’est accumulé à la place du ver. Ils continuent ainsi tous les jours pendant un septenaire.

Maillet pratique une incision cruciale à la peau, rugine la surface osseuse, perfore l’os avec une vrille, après cela, il introduit dans l’hydatide une plume taillée en pointe et dentée sur ses bords dans le sens des barbes. Il lui imprime un mouvement de rotation, de manière à bien saisir l’hydatide, et retire cette dernière sans précaution. Il termine en recouvrant les lambeaux avec un emplâtre de poix.

B. Trépanation. C’est Chabert, qui, le premier l’a mise en usage. Il pratiquait, comme Maillet, une incision cruciale, ruginait la surface de l’os, trépanait celui-ci, pratiquait une incision cruciale aux enveloppes cérébrales, puis, au moyen de pinces, il saisissait le ver et s’aidait, pour l’extraire, du manche d’un scalpel. Après avoir ainsi opéré, il rapprochait les lambeaux de peau, les maintenait au moyen d’un plumasseau imbibé d’huile empyreumatique, et, par dessus le tout, il plaçait un emplâtre de poix.

aunoir prétend que l’on pratiquait une incision en V, et que, après avoir extrait le ver, on plaçait sur la dure-mère le sindon en toile, sec ou imprégné d’un liquide émollient ou spiritueux. On rabattait les lambeaux de peau que l’on maintenait par un bandage peu serré.

Rigot, après avoir trépané, se servait, pour extraire le ver, d’une plume, dont il enlevait la moitié, selon sa grosseur jusqu’à sa partie moyenne. Il pratiquait des dentelures sur la partie restante, l’introduisait entre les membranes et le cerveau, la roulait jusqu’à ce qu’elle eût saisi l’hydatide avant de la retirer.

Langlois employait un procédé à peu près analogue à celui de Rigot. Après avoir trépané, il extrayait l’hydatide au moyen des barbes dentées d’une plume.

Wepfer prétend qu’en Suisse on percute le crâne avec des marteaux avant de trépaner, pour s’assurer, dit-il, de l’existence d’une résonance particulière qui, d’après lui, caractérise, une cavité hydatique. Cette idée est absurde, car nous savons que la percussion sur un vase plein de liquide, donne un son mat et non de la résonnance. Or l’hydatide est pleine de liquide, elle ne peut donc pas produire de la résonnance à la percussion. D’après cet auteur, on suce le liquide et l’on termine l’opération en bouchant l’ouverture avec du liége.

Berthelot, au lieu de se servir d’une couronne de trépan, a employé une feuille de sauge pour perforer le crâne. Huveman a fait usage d’un couteau pour percer l’os, et d’un crochet pour extraire le ver.


À quel procédé doit-on donner la préférence ?


La simple ponction est le procédé qui a le plus de partisans parce qu’elle produit moins de délabrement et qu’elle suffit pour extraire le ver.

Nous devons repousser la cautérisation et les injections irritantes qui peuvent occasionner des troubles plus ou moins prononcés dans le cerveau.

La simple ponction de M. Reboul, paraît être un bon procédé, car pratiquée à plusieurs reprises, comme le fait M. Reboul, elle diminue insensiblement la pression exercée par l’hydatide sur le cerveau, et la circulation cérébrale se trouve à peine modifiée.

Dans le procédé de Riem et Reuter il peut arriver de graves inconvénients. On peut ébranler le cerveau, en détacher des particules, déchirer des vaisseaux ou des nerfs, cela a été signalé par Yvart et Rappolt et plus tard par M. Reboul[3].

Comme il est assurément impossible de tuer ou d’extraire par les opérations chirurgicales les cœnures qui sont encore microscopiques ou pisiformes, et qu’on ne peut même en diagnostiquer le siége. M. Lafosse conseille de s’adresser à certains agents thérapeutiques, toxiques, agissant sur le système circulatoire, sans produire de troubles dans le système nerveux. Ces agents sont l’acide cyanhydrique, ses divers composés, le chloroforme, les préparations mercurielles, les arsenicaux, de préférence ces derniers, parce que les ruminants les supportent mieux à des doses assez élevées.

Si, d’après le même professeur, ces médicaments échouaient, on pourrait employer une médication palliative pour sauver la vie du malade, et empêcher l’afflux du sang jusqu’à ce que les cœnures eussent acquis un assez grand développement et qu’on pût employer les moyens chirurgicaux.

Dans ce cas on peut avoir recours au traitement de la mémingo-encéphalite et de la congestion cérébrale. Il serait peut-être bon de donner au cerveau et à ses enveloppes une certaine expansion pour éviter la compression due à l’accroissement des cœnures et à l’afflux sanguin toujours croissant qu’ils y provoquent. On obtiendrait ce résultat en pratiquant la trépanation.

Dans le cas où le cœnure est arrivé, sans produire de troubles bien marqués, à un grand développement, il est bon d’opérer la ponction suivie de l’évacuation intermittente du liquide. Le cerveau, en effet, s’est habitué, peu à peu à une compression lente et graduelle, c’est aussi avec lenteur et graduellement qu’il faut le ramener à son état physiologique. Nous savons que l’extraction subite du cœnure produit une sorte d’apoplexie pouvant amener la mort ; c’est donc par un écoulement intermittent du liquide que l’on évitera cette apoplexie.

Pour obtenir de bons résultats de cette opération, M. Lafosse recommande de prendre les précautions suivantes :

« 1o Pour peu que l’animal soit pléthorique, il faut l’y préparer (à l’opération) par la saignée plus ou moins réitérée ; cette dernière est de rigueur pour tous les animaux, la veille de l’opération.

« 2o Les poils doivent être rasés sur le point de l’opération.

« 3o Quant à ce point lui-même, il est déterminé, dans tous les cas où il existe une tuméfaction ou une fluctuation du crâne, par le siége de l’une ou de l’autre.

« Mais lorsque ces signes indicateurs manquent, on peut encore parfois prendre pour guide certains signes rationnels.

« Nous avons vu que le tournoiement n’était pas un indice certain, puisqu’il s’effectue tantôt sur le côté correspondant à celui qu’occupe l’hydatide, tantôt sur le côté opposé. Mais il en est un autre qui ne nous a jamais trompé, c’est l’inclinaison du sommet de la tête. Lorsque ce sommet penche d’un côté, de telle sorte que l’oreille ou la corne qui lui correspond est plus basse que l’opposée, c’est de ce côté que se trouve le ver. C’est là une circonstance très heureuse, que cette position inclinée existe toujours, lorsque le ver existe dans l’un des côtés du crâne, lorsque même il en occupe le plan médian, mais se prolonge dans l’une de ses parties latérales plus que dans l’autre.

Lorsqu’il n’existe ni tuméfaction, ni inclinaison, il n’y a plus de motif pour donner la préférence à un côté plutôt qu’à l’antre. On doit opérer près du plan médian, et non sur ce plan lui-même, afin d’éviter le sinus médian.

Chez les bêtes ovines et la chèvre, c’est à 1 ou 2 centimètres en avant de la ligne menée par la pensée à la partie antérieure de la base des cornes ou du sinus, qui en tient lieu, que la ponction doit être faite. Chez les bêtes bovines, c’est au milieu du quart supérieure de l’intervalle qui sépare le chignon de la ligne conjonctive des arcades orbitaires.

« 4o On abat l’animal de manière à ce que le point à opérer se trouve en dessus, sauf à le retourner, ou simplement à renverser la tête, après la ponction, à supposer que l’une ou l’autre de ces positions nouvelles soit indispensable pour favoriser l’écoulement du liquide.

5o On incise la peau et les tissus sous-jacents jusqu’à l’os, et sur une étendue assez grande pour que l’instrument puisse aisément se mouvoir dans l’incision. La forme en V de cette dernière mérite la préférence.

6o L’os mis à découvert est ruginé pour le débarrasser du périote, là où l’instrument doit agir.

7o Cet instrument peut-être une vrille, un trocart, un poinçon, une alêne, une mèche de vilebrequin ou un trépan exfoliatif. L’important est qu’il ne puisse faire qu’une ouverture de demi-centimètre environ de diamètre. Nous donnons la préférence au trépan exfoliatif, à pointe aussi peu saillante que possible, à cause de son action rapide et de la facilité avec laquelle on peut le guider.

8o Dès que le crâne est perforé ou seulement la peau, à supposer que l’os soit atrophié et détruit, il ne faut pas se hâter d’inciser les membranes. Si l’on attend, après les avoir abritées du contact de l’air, il se peut qu’elles se distendent graduellement, après quelques minutes, par suite de la poussée exercée par l’hydatide ; le retour du sang dans le cerveau s’opère ainsi d’une manière graduelle et sans secousse nuisible.

9o Si, après un quart d’heure au plus d’attente, la distension ne s’effectue pas à cause de la résistance de la dure-mère, on incise cette dernière en croix avec la pointe du bistouri, en ayant soin de ne pas intéresser le cerveau ; et alors on temporise, comme précédemment, et toujours en recouvrant l’ouverture. L’hydatide alors, si la ponction a été pratiquée en lieu convenable, fait hernie dans l’ouverture ; on ne devrait la ponctionner que quand son mouvement de sortie cesse de s’effectuer.

10o Dès qu’il est évident que la hernie cesse de grossir, on ponctionne, et il ne faut laisser sortir le liquide que goutte à goutte ou seulement en très-mince filet. Il n’y aurait à introduire dans l’ouverture, soit un stylet soit un tube, tel que plume ou trocart fin, que si l’écoulement ne pouvait s’effectuer par l’ouverture pratiquée.

11o La quantité de liquide à extraire ne devrait jamais dépasser, en une fois, plus d’un demi centilitre pour les bêtes ovines et un centilitre pour les bœufs. On provoquerait un écoulement égal de douze en douze heures, jusqu’à épuisement.

12o Après avoir fait écouler le liquide, on devrait, chaque fois, placer sur l’ouverture le sindon, et sur celui-ci de l’étoupe fine ; enfin on rabattrait le lambeau, sur lequel on maintiendrait un léger plumasseau à l’aide d’une coiffe ou capote en toile, que l’on imbiberait d’eau fraîche ou glacée.

13o Lorsque le liquide serait tari, on procéderait à l’extraction du cœnure au moyen d’une petite plume taillée à bec mousse et dentée dans le sens des barbes sur les bords de la coupe, à supposer que l’on ne pût saisir l’hydatide avec des pinces. En tout cas, saisie par les mors des pinces ou les dents de la plume, la vésicule serait enroulée sur eux par des mouvements de torsion, puis amenée graduellement au dehors.


  1. Éléments de Chirurgie tome II, page 657.
  2. Traité de pathologie vétérinaire, tome 3, 1ère partie, page 61.
  3. Journal des Vétérinaires du Midi, Tome XVI, pages 255, 302.