École impériale vétérinaire de Toulouse




DU BŒUF AGENAIS


ESSAI SUR SON AMÉLIORATION


Applicable par ses principes à beaucoup d’autres lieux.


Une ferme sans bétail est une cloche sans batail, et le fermier travaillera tout son soûl sans faire sonner les cent sous.
(Jacques Bujault.)


PAR


B.-Claudien BUISSON


Né à Lamontjoie (Lot-et-Garonne)




THÈSE POUR LE DIPLÔME DE MÉDECIN-VÉTÉRINAIRE

Présentée et soutenue le 28 juillet 1869




TOULOUSE
IMPRIMERIE JEAN PRADEL ET BLANC,
Rue des Gestes, 6.



1869



À MES PARENTS




À MES MAITRES DE TOULOUSE




À tous ceux qu’il m’a été donné d’aimer

Au baron général de GONDRECOURT


HOMME DE LETTRES


Et commandant l’École militaire de Saint-Cyr.

JURY D’EXAMEN



MM. BOULEY O. ❄, Inspecteur-général.
LAVOCAT ❄, Directeur.
LAFOSSE ❄, Professeurs.
LARROQUE,
GOURDON,
SERRES,
ARLOING,
Bonnaud, Chefs de Service.
Mauri,
Bidaud,


――✾oo✾――


PROGRAMME D’EXAMEN



INSTRUCTION MINISTÉRIELLE
du 12 octobre 1866.



THÉORIE Épreuves
écrites
1o Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ;
2o Dissertation sur une question complexe d’Anatomie et de Physiologie.
Épreuves
orales
1o Pathologie médicale spéciale ;
2o Pathologie chirurgicale ;
3o Manuel opératoire et Maréchalerie ;
4o Thérapeutique générale ; Posologie et Toxicologie ;
5o Police sanitaire et Jurisprudence ;
6o Hygiène, Zootechnie, Extérieur.
PRATIQUE Épreuves
pratiques
1o Opérations chirurgicales et Ferrure ;
2o Examen clinique d’un animal malade ;
3o Examen extérieur de l’animal en vente ;
4o Analyses des sels ;
5o Pharmacie pratique ;
6o Examen pratique de Botanique médicale et fourragère.


ÉCOLES IMPÉRIALES VÉTÉRINAIRES




Inspecteur général.
M. H. BOULEY O ❄, Membre de l’Institut de France, de l’Académie de Médecine, etc.


ÉCOLE DE TOULOUSE



Directeur.

M. LAVOCAT ❄, Membre de l’Académie des Sciences de Toulouse, etc.

Professeurs.

MM. LAVOCAT ❄, Physiologie (embrassant les monstruosités).
Anatomie des régions chirurgicales.
LAFOSSE ❄, Pathologie médicale et maladies parasitaires.
Police sanitaire.
Jurisprudence.
Clinique et Consultations.
LARROQUE, Physique
Chimie.
Pharmacie et Matière médicale.
Toxicologie et Médecine légale.
GOURDON, Hygiène générale et Agriculture.
Hygiène appliquée ou Zootechnie.
Botanique.
SERRES, Pathologie et Thérapeutique générale
Pathologie chirurgicale.
Manuel opératoire et Maréchalerie.
Direction des Exercices pratiques.
N… Anatomie générale.
Anatomie descriptive.
Extérieur des animaux domestiques.
Zoologie.

Chefs de Service.

MM. BONNAUD, Clinique et Chirurgie.
MAURI, Anatomie, Physiologie et Extérieur.
BIDAUD, Physique, Chimie et Pharmacie.

INTRODUCTION.



L’abondance des moissons est dans la force du bœuf.
(Proverbe, chap. IV, v. 4.)


L’empire Français, favorisé d’un si grand nombre de productions différentes, emploie à leur culture et à leur transport plusieurs espèces d’animaux. Chaque département doit une partie de sa prospérité à une ou plusieurs de ces espèces.

Ces animaux n’ont attiré souvent qu’une attention superficielle, et ont souffert du même oubli que les autres branches agricoles. Tout n’est dirigé que par la force des routines, que l’on voit uniquement présider aux travaux ruraux. De ce vice d’application il est résulté, par rapport aux animaux, que la dégénération a succédé à l’amélioration ; qu’on ne voit que des productions viciées, que des sujets faibles et tellement dégénérés, qu’on ne pourrait les comparer aux sujets primitifs, sans croire qu’ils sont plutôt des monstres que leurs vrais successeurs.

Pourquoi l’agriculture, cette première science qui multiplie et perfectionne les productions naturelles, qui a honoré les plus grands hommes de l’antiquité, est-elle restée stationnaire au milieu du torrent qui entraîne les autres sciences vers leur perfection ? Je le sais, les réussites sont grandes ; mais c’est toujours le grand effet du hasard. L’expérience et la raison nous disent que le hasard est ce qui n’obéit à aucune loi, et ce dont nous ignorons la cause ; cependant, nous sommes tentés parfois d’en faire une individualité et lui prêter une sorte de calcul, en raison de l’à-propos de quelques-uns de ses effets que nous avons raison d’appeler des coïncidences.

Que l’émulation, que la connaissance raisonnée de nos devoirs et de nos intérêts nous dessillent les yeux, que les vues de l’homme de bien se dirigent vers la prospérité de son pays ; et à l’aide d’une marche hardie et permanente, nous atteindrons le vrai bonheur, c’est-à-dire nous aurons une bonne agriculture.

Si l’état de civilisation dans lequel nous vivons avait pour base d’instruction l’agriculture ; si les hommes, par de sages réflexions, se pénétraient que c’est par elle qu’ils prospèrent, que c’est à elle qu’ils doivent l’entretien de l’existence sociale, ne se feraient-ils pas un devoir, un honneur de l’approfondir, d’en associer l’étude avec les autres sciences, auxquelles ils se livrent avec tant d’empressement ? Elle a sans doute des droits à leurs méditations, puisqu’elle seule forme les hommes robustes et vigoureux qui résistent le plus aux fatigues de la guerre, puisqu’elle seule les rend dispos, et entretient la vie et la santé. Quelle différence de force entre l’homme des champs et celui des cités, et quelle mâle vigueur distingue le premier de l’habitant de la ville, que l’on voit faible et délicat !

Le commerce émane également de l’agriculture ; elle est son principal aliment et l’agent de sa prospérité. Je le dis hautement, l’agriculture est la mère de toutes les sciences, la nourrice des hommes, la prospérité des états, le garant de leur force, la base de l’industrie, du commerce, etc.

Quoique l’on soit généralement pénétré de toutes ces vérités, il n’y a qu’un petit nombre d’hommes éclairés qui s’appliquent à l’agriculture, qui recherchent les moyens de la perfectionner, et qui aient à cœur de détruire les superstitions et les routines désolantes, qui mettent les plus grandes entraves à son amélioration.

Toutes les parties d’un État montrent, par leur situation variée, par les qualités dissemblables du sol, des différences marquées dans les ressources locales et dans les produits ; de là, telle contrée convient mieux pour telle application agricole que pour telle autre.

L’agriculteur en cela doit avoir pour principe de conserver, de multiplier et de perfectionner les productions les mieux appropriées au sol qu’il cultive, et qui lui offrent le plus d’intérêt.

Pour parvenir à ce point de perfectionnement, il serait essentiel que dans chaque département on se livrât à l’étude de l’agriculture locale ou partielle, que de zélés agriculteurs voulussent y introduire tout ce qui pourrait concourir, par d’heureuses innovations, à la bonifier plus ou moins directement, et qu’ils fissent connaître les moyens les plus puissants pour détruire les mauvaises administrations.

Par devoir, par état et par goût, je m’occupe de l’étude des animaux domestiques qui, dans le Lot-et-Garonne, servent à l’agriculture et au commerce, et qui font une partie essentielle de sa prospérité.

Que ne puis-je traiter ce sujet d’une manière assez persuasive, pour rappeler à de meilleurs procédés les hommes qui abandonnent au sort de l’abâtardissement, qui excèdent de travail ces pauvres animaux, que l’état de domesticité livre à leur pouvoir ! Non-seulement ils les épuisent, ils les énervent, mais encore ils les font fléchir sous les coups ; ils portent l’inhumanité jusqu’à les priver de la nourriture suffisante pour réparer leurs forces, ou ils leur donnent des aliments viciés ou altérés, plus capables de les rendre malades que de les restaurer. Hommes durs et impitoyables, pouvez-vous être assez barbares pour oublier, pour maltraiter ainsi les fidèles compagnons de vos travaux, les soutiens de votre existence, les réparateurs de vos pertes ? Un juste châtiment vous attend ; vous gémirez sur votre insouciance et sur vos emportements passés, en regrettant, trop tard, de vous y être livrés.

Des animaux si précieux, les voir ainsi oubliés et maltraités ! Ô vous agriculteurs et habitants des campagnes, vous à qui le soin de leur éducation est confié, n’abusez point de votre supériorité, traitez-les avec ménagement : ils l’exigent de vous, ils seront reconnaissants de vos soins, car ils apprécient le bien et le mal qu’on leur fait. Vous avez sous les yeux des exemples de leur dévouement et de leur bonté quand vous les soignez avec douceur ; comme vous les voyez furieux et vindicatifs, après des traitements durs et inconsidérés : aussi le service des uns est-il bien différent de celui des autres ; les premiers sont dociles, constants aux plus pénibles travaux et résistent longtemps ; tandis que les autres sont quinteux, ne respirent que la vengeance ; ils frappent les bonnes qui les approchent, travaillent toujours mal, se ruinent prématurément, et s’exposent fréquemment à des accidents mortels, etc.

« Pour perpétuer et étendre le cercle de la prospérité commune, dit un auteur célèbre, quatre choses sont indispensablement nécessaires : 1o la protection constante du gouvernement ; 2o l’intelligence du propriétaire ; 3o les bras du fermier ; 4o le ménagement et la conservation des animaux, qui sont le nerf de l’agriculture. »

Dans tous les temps, et dans tous les pays, on a senti de quelle nécessité étaient pour l’homme les animaux domestiques. Aussi leur éducation peut-elle être regardée comme la principale branche de l’art agricole, puisqu’ils concourent le plus à sa prospérité, que la perte de quelques-uns ruinent le fermier, que les épizooties ruinent et désolent des pays ; des états, etc.

En considérant le département du Lot-et-Garonne, objet bientôt de mon application particulière, sous ce point de vue essentiel, nous dirons qu’il est peu de pays qui présentent une plus belle perspective pour ce genre d’amélioration ; qu’indépendamment de sa disposition à la réussite de toutes les autres branches agricoles, il est naturellement disposé pour l’éducation des grands animaux.

Dans le cours de cet essai, nous allons nous occuper spécialement du Bœuf, universellement reconnu comme la richesse des campagnes, le soutien de l’agriculture.

À lui de grandir et de prospérer, à moi de le soutenir vaillamment dans le parcours de sa carrière.

BUISSON.

DU BŒUF AGENAIS.



Le Bœuf est le compagnon le plus laborieux de l’homme.
(Pline.)


Ses Services et son essentielle utilité.


De tous les animaux domestiques que notre pays voit naître et se multiplier, l’espèce la plus précieuse et la plus productive est sans contredit celle bovine. C’est la source de toutes nos richesses, le but de notre sollicitude continuelle. Le Bœuf est, en effet, l’animal par excellence à élever et à propager dans beaucoup de vastes contrées, dans toutes celles abondantes en fourrages et en pâturages, notamment dans le département du Lot-et-Garonne. C’est lui qui, sous un climat et des soins particuliers, y prospère le mieux, qui sert le plus aux besoins de l’agriculture. C’est sa multiplication et son perfectionnement qui concourent plus directement et d’une manière presque invariable à enrichir les campagnes et à alimenter les villes ; comme aussi lui seul détermine et entretient une branche essentielle de commerce qui offre les meilleurs résultats.

Le volume de son corps, la finesse de ses membres poussée, il est vrai, un peu trop loin, son peu de choix pour toute nourriture végétale quelconque, la facilité avec laquelle il fait son repas, sa grande constance dans les travaux pénibles et de longue durée, tout prouve, enfin, qu’il est né le compagnon du laboureur, le domestique le plus utile de la ferme.

Non-seulement le Bœuf concourt plus que les autres animaux domestiques à la culture des terres, aux charrois ou transport des denrées à des distances considérables, mais encore il est précieux sous le rapport des engrais, que sa manière de vivre nous procure : en amendant nos champs, il les rend doublement fertiles, il améliore sensiblement le sol sur lequel il vit, etc.

Ce n’est pas assez pour nous qu’il sacrifie sa plus belle carrière, je veux dire, qu’il dévoue avec bonté et constance le temps et la force qui caractérisent son âge adulte, à des travaux non interrompus ; après sa mort, il est pour nous un aliment justement considéré comme le plus sain et le plus agréable, comme le plus succulent et le plus nutritif de tous ceux adoptés pour la nourriture de l’homme ; sa chair est un mets universel ; sa peau, son poil, ses cornes, jusqu’à ses os et ses sabots sont conservés et utilement employés pour les arts, nos usages et nos besoins.

Ces deux éclats de sa vie, si dissemblables l’un de l’autre par leurs effets, déterminent pour chacun d’eux des soins et des ménagements particuliers.

Le premier, en tant que Bœuf de travail, comprend sa multiplication et tout ce qui a rapport à son éducation physique, ainsi que la manière de le dresser, de le diriger à propos dans ses services domestiques. Le second embrasse l’engraissement et tout ce que prescrit l’économie rurale à ce sujet.


De la Beauté et du Choix des Bœufs.


Telle étable, telle bête.
(Ancien Proverbe.)


En règle générale, la beauté d’un bœuf consiste principalement dans l’ensemble et la proportion de ses formes, dans la force et la vigueur qui lui sont naturelles.


Choix du bœuf de travail. — Un bon bœuf pour le travail ne doit être ni trop gras, ni trop maigre ; il doit avoir, ainsi que le taureau, la tête courte et ramassée, l’oreille grande, velue et unie ; la corne forte, luisante et de moyenne grandeur, le front large, les yeux gros et noirs, les naseaux ouverts, les dents blanches et égales, les lèvres plus blafardes que la robe, le cou charnu, les épaules grosses, larges et chargées de chair, le fanon pendant jusque sur les genoux, les reins larges et forts, le ventre spacieux, les flancs grands, les hanches longues, la croupe épaisse, les cuisses et les jambes grosses, charnues et nerveuses ; le dos droit et plein, la queue pendante jusqu’à terre et garnie de poils fins et touffus ; les pieds fermes, les sabots courts et larges. Il faut aussi qu’il soit jeune et docile à la voix qui le commande.


Choix des bœufs pour l’engraissement. — Les bœufs à rechercher pour l’engraissement répondront aux qualités que je viens d’énumérer ; seulement, la charpente osseuse sera moins saillante, plus déliée ou moins matérielle. L’observation ayant démontré que les animaux les plus susceptibles d’engraisser étaient ceux dont les os avaient moins de dimensions en épaisseur.

Il est beaucoup d’agriculteurs qui tirent des conséquences des différents poils pour décider des tempéraments, du bon ou du mauvais service des bœufs. Je ne m’arrêterai point à discuter cette opinion, je me bornerai seulement à dire que j’ai vu des bœufs ayant des robes différentes et des marques variées être aussi bons les uns que les autres.


Choix des Taureaux et des Vaches.


Comme des bonnes semences et plantes procèdent les bons bleds et fruits, ainsi de l’élection du bétail dépend le gain de sa nourriture.
(Olivier de Serres.)


Le célèbre John Sainclair établit les règles suivantes, comme étant les plus propres à servir de guide dans les soins importants de l’amélioration des races d’animaux domestiques :

« L’art d’élever les bestiaux, dit-il, consiste à faire un choix des mâles et femelles employés à la reproduction, afin de produire une race qui ait moins de défauts et de meilleures qualités que les races originaires, en conservant les perfections de ces races et en corrigeant leurs défauts naturels. »

Il ajoute : « Quant à l’âge auquel on doit commencer d’accoupler les animaux, une vache ne doit pas faire son premier veau avant d’avoir atteint trente mois au moins. On peut commencer d’employer le taureau à dix-huit mois ; il montre alors beaucoup de vigueur, qui se communique à ses produits. » On conçoit aisément que les taureaux et les génisses trop jeunes, n’ayant rien de trop pour fournir à l’accroissement et au perfectionnement de leur être, exigeant de plus en plus des sucs nutritifs et abondants pour achever l’édifice de l’économie animale, on conçoit, dis-je, qu’une dérivation de ces sucs, pour tout autre usage que celui auquel la nature les a destinés, rend les sujets débiles et les dépossède pour jamais de la faculté de transmettre à leurs descendants la force et la beauté primitivement accordées, et que l’on voit, avec une sorte de jouissance, caractériser ceux qu’une administration bien entendue conserve et protège.

J’ai souvent, mais avec peine, vu livrer à la reproduction des vaches épuisées par des conceptions hâtives, une nourriture mauvaise et des traitements barbares. Comment voulez-vous que ces mères arrivent à donner un fruit seulement passable ? Impossible. Éleveurs intelligents, prenez donc à cœur cette grande maxime : Du bon choix des reproducteurs dépend une race tout entière.

Poussés par un esprit d’intérêt ou plutôt d’égoïsme, les propriétaires mettent encore en pratique le système suivant : Il consiste à traire les vaches nourrices, ou à les forcer d’adopter d’autres nourrissons, pour disposer en entier du lait de celles à qui on a ravi les nouveaux nés. Sans contredit, rien n’exténue, rien n’appauvrit davantage les vaches, rien n’est plus nuisible aux veaux à allaiter. Si on réfléchit sur cet abus, quel mal n’entrevoit-on pas en être la suite. Je dois m’élever contre ces routines pernicieuses et essayer de les anéantir à jamais.

Pourquoi ne pas commencer par le choix des individus les mieux construits et les plus perfectionnés ? Pourquoi, par rapport à nos bêtes à cornes, ne pas débuter par mieux choisir les pères et les mères, ne pas veiller à ce que les accouplements soient mieux raisonnés et proportionnés ? Pourquoi aussi ne pas s’appesantir, sur les soins que prescrit l’acte important de la procréation, dont la négligence ou l’oubli est essentiellement préjudiciable ? C’est aux hommes instruits, aux propriétaires, notamment aux vrais agriculteurs, qu’est confié ce travail important. Eux seuls, par des exhortations, par des exemples répétés et persévérants, mis à la portée du simple colon, parviendront, il n’y a pas de doute, à le tirer de l’ignorance qu’il a hérité de ses aïeux.

Il m’est difficile de comprendre comment une telle ignorance a pu dominer et domine encore dans les campagnes. Je sais qu’il existe des communes où la civilisation n’a pu pénétrer, mais elles peuvent se compter. L’avenir nous promet beaucoup ; avec lui, nous tâcherons d’anéantir l’apathie et l’indifférence qui règnent encore sur une large échelle.

Pour arriver à un résultat parfait et infaillible, les vues de l’éleveur doivent se porter essentiellement sur les conditions suivantes : 1o Se procurer de beaux taureaux ayant acquis tout leur accroissement, dont les facultés physiques décèlent de la force et une mâle vigueur, démontrant de plus de l’aptitude à la génération et étant pourvus de matériaux qu’exige tout perfectionnement de procréation ; 2o de belles vaches, ni trop jeunes ni trop vieilles, bien constituées et aptes à la génération ; 3o soigner et ménager les vaches pleines, surtout dans les derniers temps de leur portée ou gestation ; 4o procurer à ces mêmes vaches et aux nouveaux-nés, les soins qu’ils exigent au moment du vêlage et dans les premiers jours qui le suivent ; 5o abandonner la funeste pratique de donner deux veaux à la même mère, pour les allaiter, habitude trop commune dans le Lot-et-Garonne.


Du Taureau. On choisit l’animal qui réunit les plus belles formes et le plus de vigueur ; car confier la tâche de féconder, est chose sérieuse et de la plus grande importance. Lafore, ancien professeur de l’école de Toulouse, donne de la manière la plus exacte le signalement du procréateur : Le taureau doit avoir la tête courte, carrée, le front large, garni de longs poils, le mufle évasé, les cornes courtes, grosses à leur base, bien attachées et bien dirigées ; l’œil noir, le regard vif ; les oreilles grosses, velues, horizontales ; l’encolure forte, très charnue ; le fanon bien pendant, bien ondulé ; le corps long, la nuque, le sommet des épaules et de la croupe, à peu près sur la même ligne ; la poitrine ample, la côte bien arrondie, bien relevée ; le ventre moyennement développé ; la croupe large, la queue forte, attachée haut ; les testicules bien pendants, plutôt petits que volumineux ; les membres forts, nerveux et d’aplomb ; l’épaule et la cuisse bien fournies ; le poil brillant, quelle qu’en soit la nuance ; la corne des pieds grise, brillante et ferme.

L’animal ainsi choisi, c’est-à-dire réunissant toutes ces belles qualités, ne doit être livré à la reproduction qu’à l’âge de vingt ou vingt-quatre mois. Alors seulement, il peut donner le germe d’une procréation digne de le remplacer, et de faire mieux que lui par la suite des générations. Les pères et les mères étant parfaits, plus on marche, plus on s’améliore. Un taureau ménagé, peut perfectionner l’espèce pendant 10 ans et plus. Il arrive souvent que cet animal devient gênant, très dangereux à cause de ses méchancetés, d’un entretien dispendieux ; dans ce cas, il est regardé comme ayant terminé sa carrière, et subit alors la règle commune. On enlève à l’animal les attributs de son sexe, et après certaines préparations que nous ferons connaître plus loin, il va approvisionner la boucherie.


Des Vaches. Il est certain que les vaches concourent pour beaucoup au développement des races, que les veaux sont d’autant plus beaux, qu’elles ont de plus belles formes, plus de corpulence, que leur âge est plus convenable, qu’elles jouissent d’un meilleur tempérament, et qu’elles sont en meilleur état. Voici encore, d’après Lafore, les caractères de la belle vache : Ils sont à peu près les mêmes que ceux du taureau. On observe cependant qu’elle à la tête moins grosse et plus allongée, le mufle moins évasé, les oreilles moins épaisses, le regard moins vif, l’encolure moins forte, le fanon moins pendant, le ventre plus prononcé, la croupe plus large, la cuisse plus mince, etc.

Elle doit avoir, en outre, les mamelles bien développées, souples, sans être flasques, et la veine mammaire bien saillante. Il ajoute : Les caractères sur lesquels on doit encore porter son attention, sont les suivants : un corps bien étoffé, un large bassin, un ventre bien développé ; des reins larges, des membres plutôt courts que longs et bien fournis.

La marche qui paraît la plus simple, la plus sûre à adopter et la plus directe à suivre, celle qui se montre naturellement et presque sans frais à tout agriculteur éclairé, consiste dans le choix à faire des plus belles génisses, élevées sur le sol même ou tirées d’autres lieux. Ce choix doit porter spécialement sur celles qui, ayant deux ans au moins, auront été soigneusement soustraites de la copulation avant ce terme : Sans contredit, il serait préférable d’attendre que les génisses eussent trois ans révolus, avant de les livrer à l’acte de la génération ; mais ce serait détourner le cultivateur de toute idée d’amélioration de ce genre, que de reculer si subitement les limites de la saillie. L’espèce gagnera toujours beaucoup, si, contre l’usage adopté, on diffère d’un an de plus ce travail important.


Du soin des Vaches pleines. Les vaches pleines, mieux que toute autre femelle domestique, ne demandent l’attention des personnes qui les soignent que vers les deux derniers mois de leur gestation. À ce terme, il faut s’abstenir de les traire, la traite se faisant toujours au préjudice du fœtus. Une nourriture de bonne qualité, administrée à propos, entre aussi dans les soins qu’exigent les vaches pleines et avancées. Du foin choisi, soit des prés naturels, soit des prés artificiels (ces derniers sont plus nourrissants, surtout la luzerne bien récoltée), sera donné au besoin et sans prodigalité.

Il serait encore d’un bon usage de procurer, le plus souvent possible, quelques plantes fraîches et aqueuses, telles que des choux, des navets, des betteraves, des carottes, des pommes de terre, etc. Ce correctif alimenteux a l’avantage d’augmenter le lait des vaches, qui vêlent le plus ordinairement dans des temps rigoureux, et conséquemment les veaux en deviennent plus beaux.

Lorsque les pâturages s’offrent à nous sous un bon état, il est convenable d’envoyer les vaches parcourir ceux qui avoisinent les habitations ; mais pour cela, il faut éviter la rosée, veiller à ce qu’elles ne mangent pas trop d’herbes, afin d’écarter les indigestions, les tympanites ou gonflements, dont le développement est prompt et les suites fâcheuses. On aura de plus l’attention de les faire mener doucement, veiller à ce qu’elles ne soient pas battues et poursuivies, faire en sorte que la pluie ni le froid ne les surprennent, car ces derniers agents sont les causes les plus directes des avortements chez nos femelles domestiques. On peut encore, s’il y a possibilité, donner le vert à l’étable, et sans en vouloir trop préconiser l’usage, je le considère comme très avantageux. Ce dernier régime varie beaucoup, suivant les cantons et suivant le mode adopté ; mais partout dans le Lot-et-Garonne il se trouve assez de ressources pour conserver ce grand système. Le vert étant donné à l’étable, il faut beaucoup de surveillance et d’attention, surtout par rapport à la luzerne et au trèfle, dont les effets sont souvent incendiaires. Nous aurons occasion, à l’article Nourriture, de faire connaître les précautions et les moyens les plus sûrs pour annuler ou corriger tout effet malfaisant de ces plantes.

Il se présente maintenant un quatrième point à discuter : il consiste à s’occuper des vaches au moment du vêlage et dans les premiers jours qui le suivent, et des soins particuliers à donner aux nouveaux-nés. Traiter cette question est chose inutile ; tous les éleveurs, depuis le premier jusqu’au dernier, sont parfaitement initiés ; ce qu’il faut faire en pareil cas, est par eux mis en pratique avec la plus grande rigueur. Je dirai seulement que ces mères sont exposées à des accidents graves, qui causent souvent leurs pertes, si les secours de l’art vétérinaire ne sont promptement portés. Ceux de ces accidents faisant partie du part laborieux, sont : le renversement de la matrice, les fièvres inflammatoires, la paraplégie postérieure, qui se manifeste souvent deux ou trois jours, même plus tard, après le vêlage. Ces circonstances maladives reconnaissent pour cause les plus fréquentes, l’extraction de l’arrière-faix par une main téméraire et brutale, l’administration inconsidérée de médicaments incendiaires, la négligence dans les soins à porter à ces nouvelles mères, comme de ne pas les tenir chaudement, de négliger de les bouchonner ; comme aussi lorsqu’on n’a pas la précaution de leur donner de l’eau tiède, blanchie de farine d’orge, ou qu’on la donne trop froide, ainsi qu’à la suite d’une nourriture trop abondante et trop excitante. Il est des veaux si faibles, qu’ils prennent difficilement le trayon ; pour les disposer, il faut leur faire avaler quelques jaunes d’œufs frais, ou bien un peu de vin tiède miellé ou sucré, ce qui les fortifie beaucoup. Les veaux naissants sont proportionnellement moins forts que les autres animaux domestiques ; ils sont également plus sensibles au froid et à l’humidité. Pour en prévenir les mauvais effets, il est essentiel de laisser séjourner pendant plusieurs jours les vaches auprès d’eux, dans des étables saines, pour les échauffer et les allaiter à volonté, afin de les fortifier plus promptement, et de leur donner la facilité de mieux supporter les privations limitées par leur allaitement. D’ailleurs, les mères demandent ce temps-là pour réparer les déperditions que leur a nécessité le pénible travail du vêlage, et pour les garantir des dangers que nous avons fait connaître, auxquels elles sont exposées par ces manques de précautions. On est dans l’usage de ne faire téter les veaux que trois fois le jour, encore a-t-on l’habitude de traire les vaches avant de les leur présenter. De cette pratique vicieuse et irréfléchie, il résulte : 1o que les nourrissons ayant besoin de prendre à chaque instant pour se substanter, souffrent ostensiblement de cette privation ; que lorsqu’on les veut allaiter, ils se jettent avec avidité sur le pis, ils prennent en une fois ce qui aurait dû leur être procuré en plusieurs ; ils donnent des secousses violentes aux mamelles et y causent souvent des engorgements, des squirrhes plus ou moins dangereux ; 2o que le lait qui suit la traite est trop épais, dépourvu de la partie séreuse salutaire et essentiellement nécessaire à ces mêmes nourrissons, leur cause des coliques, des constipations et autres maux ; 3o que les ménagères, ignorant quelles sont les qualités relatives de ce même lait, montrant au surplus la plus grande répugnance pour traire après l’allaitement, comptant surtout sur une plus grande quantité pour chaque traite, croient que le premier lait que donnent chaque jour les trayons est beaucoup préférable, tandis qu’il est le moins sain pour les usages domestiques.

Un autre usage, trop généralement adopté, un des plus contraires à l’amélioration de l’espèce bovine, est celui de donner deux veaux, quelquefois trois, à allaiter à une seule vache. Ce procédé, dont les effets appauvrissants ne sont point équivoques, tant qu’il existera, tant que l’incurie qui le gouverne ne sera pas anéantie par d’autres systèmes judicieusement raisonnés et censurés par l’expérience, on sera privé de tout perfectionnement.

Il est un grand nombre de veaux qu’on n’élève que pour la boucherie. Ils sont ordinairement allaités pendant cinq à six semaines, et à cette époque ils possèdent toutes les qualités nécessaires pour que leur viande soit justement considérée.


Un mot sur les Vaches de l’Agenais.


De bonne vache, veau plus beau.
(Ancien Proverbe.)


Ces précieuses femelles, servant le plus aux besoins de l’homme, ne sont pas moins, d’une manière impitoyable, abandonnées à elles-mêmes. Non-seulement on ne fait rien pour les régénérer, pour les améliorer, mais encore elles souffrent de l’abandon et du mauvais traitement si injustement exercés contre elles. Ces pauvres bêtes, si bonnes, si utiles surtout, si dignes d’un meilleur sort, réclament des procédés de conservation, d’entretien et de ménagement que notre indifférence s’est refusée à leur accorder. Nulle autre femelle domestique, sans contredit, n’a droit comme la vache, à la protection, à la bienfaisance réciproque de l’homme. Non-seulement elle concourt d’une manière directe à augmenter l’aisance des campagnes, non-seulement elle suffit seule à pourvoir, par la valeur de son produit journalier, aux besoins de première nécessité pour une famille indigente ; non-seulement sa corpulence, ses belles formes et son tempérament, sont des agents directs de la race bovine, mais encore que ne lui devons-nous pas sous le rapport du lait, de ce précieux aliment et médicament tout à la fois, de cette source intarissable de biens, qui est du goût de tout le monde, qu’on recherche avec une sorte d’avidité et de plaisir renaissant, de cette liqueur animale, de qui tant d’hommes tiennent l’existence et le rétablissement de leur santé, appauvrie, ou altérée par une infinité de maux ?

Elles offrent toutes un grand intérêt ; mais les plus précieuses, celles qui méritent le plus d’attention et d’égards, sont celles livrées à la reproduction, celles sur qui on doit fonder le plus grand espoir de multiplication et de perfectionnement de l’espèce. Les différents travaux que commandent le commerce et l’agriculture, sont en entier faits dans le Lot-et-Garonne par ces pauvres femelles domestiques. Elles méritent donc l’estime de leurs maîtres sous tous les points de vue.


Vaches laitières. Elles sont assez nombreuses dans les trois races de l’Agenais, mais il faut les choisir. Voici, d’après Girou de Buzareingue, le moyen de les reconnaître.

Les vaches laitières ont le pis très développé, le bassin ample, le corps long, le cou mince, le front étroit, les cornes petites, mais la mâchoire forte et la bouche bien fendue. À ces caractères, on a ajouté plus tard des membres grêles des cuisses minces, le regard doux et surtout la veine mammaire bien développée.

Nous voyons, en 1858, Guenon de Libourne, appeler l’attention des agronomes sur un fait important. Après bien des années de méditation, il est arrivé à connaître : 1o la quantité de lait que fournit par jour une vache laitière ; 2o le temps pendant lequel elle le conservera quand elle sera revenue pleine ; 3o la qualité de ce lait. L’expérience a censuré ses riches découvertes ; qui connaît la méthode Guenon, connaît les bonnes laitières.


Régime alimentaire. Ce régime varie suivant la taille et surtout suivant l’abondance de la sécrétion lactée.

Voici, d’après Thaër, quelle est la ration qui convient pendant l’hiver à une bonne laitière et de taille moyenne.


Foin 
 4
kilog. 1/2
Paille hachée 
 4
» »
Pommes de terre 
 8
» »
ou
Betteraves 
 18
» »
Raves 
 21
» »
Paille longue et boissons blanches, à discrétion,

En été, la ration de fourrage vert, est fixée à 40 kilog. pour les vaches de moyenne taille, et à 70 pour les plus fortes. Si les vaches vont pâturer sur un terrain maigre, inutile de dire qu’un supplément de nourriture leur sera donné à l’étable.


Règle de conduite. Le logement de ces femelles domestiques doit être chaud et humide, et la lumière ne doit y pénétrer que faiblement. Le calme le plus parfait doit régner autour des vaches laitières, car la sécrétion prédominante se trouve troublée par le moindre bruit.

Éleveurs intelligents, observez ces principes, et les résultats seront des plus satisfaisants.

Il faut traire les vaches deux fois par jour, quelquefois trois, ceci varie selon les circonstances. Bon nombre de ces femelles domestiques refusent de se laisser traire ; il faut les y habituer peu à peu, en les amusant, pendant qu’on les soumet à cette opération ; ces animaux, se trouvant alors préoccupés, se laissent faire sans se débattre. Pour éviter tout accident, l’homme ou la femme doivent se placer du côté opposé au mamelon pressé, l’expérience ayant démontré que le membre en regard de la main qui fonctionne est toujours en mouvement.


Castration. La castration des vaches est inusitée dans nos contrées ; du reste, employée en grand, elle serait plutôt nuisible qu’utile, en ce sens qu’elle rendrait les naissances moins nombreuses et le choix des jeunes sujets conséquemment plus restreint. Elle conviendrait à l’approche des villes et chez les propriétaires qui entretiennent des vaches pour la production exclusive du lait. Cette opération, le plus ordinairement innocente, détermine chez les femelles opérées à quatre ou cinq ans, la sécrétion d’un lait plus abondant et de meilleure qualité pendant quatre ou cinq années. Soumise à l’engraissement, la vache castrée arrive au but que l’on veut atteindre avec beaucoup plus de promptitude et d’une manière plus complète.

Je laisse aux autres le soin de prôner tous ses avantages ; pour ma part, je suis loin de la conseiller.


Améliorations des races par elles-mêmes. De la nécessité de se procurer des Taureaux et des Vaches de races étrangères, pour parvenir à une amélioration plus prompte.


Avec une race améliorée, vous abattriez 350,000 bêtes de plus ; vous ne seriez plus tributaires ; vous fourniriez amplement la marine ; les États-Unis qui portent leurs salaisons jusqu’au fond de l’Inde, ne vendraient rien chez vous.
(Jacques Bujault.)


L’amélioration de nos races bovines par elles-mêmes est, sans contredit, le moyen le plus efficace pour arriver rapidement, et avec le moins de difficulté, au degré de perfectionnement désirable. Cette règle porte dans tous ses points le cachet de la vérité, mais elle à ses limites.

Huzard s’exprime ainsi au sujet du croisement des races :

« Chaque climat, par ses influences ou celles de la nourriture, donne aux animaux une certaine conformation, qui pèche par quelques excès ou par quelques défauts. Le produit de deux animaux de même espèce, mais de race différente, dont les défauts se corrigeraient réciproquement, deviendrait la production la plus parfaite de cette espèce. Tel est le but, tel doit être le résultat du croisement. »

Si l’on attend d’un ménagement mieux entendu une amélioration désirable, sans d’autres secours, je veux dire sans avoir recours aux races étrangères, comme on l’a fait à des époques éloignées, il est évident que ce ménagement seul, lorsqu’il y a tant d’imperfections à corriger, lorsqu’il s’agit de renouveler en quelque sorte des races dégénérées ; il est évident, dis-je, que ce ménagement est insuffisant à la restauration de la race bovine, qu’il ne peut remplir à lui seul le but qu’on se propose, ou du moins serait-il d’une longueur infinie.

Mais si, au contraire, des agriculteurs éclairés et aisés, appréciant l’importance, la nécessité d’améliorer des animaux si utiles et si précieux, tant sous le rapport de leurs services domestiques et des autres produits dont l’économie rurale tire tant d’avantages, que sous celui de rappeler la beauté et la vigueur à nos races indigènes ; si, dis-je, de zélés agriculteurs se procuraient des races étrangères, si mieux encore, le gouvernement, par une généreuse bienfaisance, nous accordait cette faveur, nous verrions bientôt un changement sensible dans l’amélioration de l’espèce ; nous la verrions bientôt, par l’effet des croisements, par d’heureux résultats et par l’émulation qui en serait la suite naturelle, se multiplier, procréer des individus bien constitués et procurer au département une jouissance qu’il n’aurait jamais goûtée.

Pour perfectionner une race, il faut choisir des individus possédant des qualités opposées au défaut de celle que l’on veut améliorer.

Les mâles seuls nous conduisent promptement à cette amélioration, eux seuls méritent d’être importés. Je serais loin d’approuver l’introduction de vaches étrangères dans l’Agenais. Ces nouvelles mères donnent de mauvais produits pendant les premières années ; ce n’est qu’après avoir subi l’influence des nombreuses conditions qui régissent ce département, qu’elles arrivent à donner à leurs nouveaux nés le cachet de leur parfaite conformation.

Attendre longtemps, n’est pas dans ce cas chose possible.

Que les croisements soient bien entendus, les campagnes seront riches et peuplées de bœufs forts et vigoureux, capables de résister aux fatigues qu’exigent les besoins de l’agriculture, et susceptibles d’un prompt engraissement.


Éducation physique du Bétail.


Ce qu’animal prend en jeunesse, il le continue en vieillesse.
(Ancien Proverbe.)


Les veaux destinés à peupler les campagnes, ceux sur qui doivent porter les besoins de l’agriculture, ceux que les formes et les qualités font rechercher pour l’importance de la procréation, ces veaux, dis-je, exigent beaucoup de ménagements.

On doit avoir pour principe de faciliter leur accroissement et de les rendre le plus robustes possible. L’habitant des campagnes, fidèle imitateur de ses pères, ne voit de bien que ce qu’ils ont pratiqué et se fait un mérite de condamner ce qu’il ne connaît pas, plutôt que de chercher à en approfondir la valeur. Pourquoi ne pas donner de l’exercice à ces jeunes animaux ? ce besoin leur est naturel. Pourquoi tenir habituellement ces élèves enfermés dans des étables trop petites, infectes et dépourvues de toute ouverture propre au renouvellement de l’air ? Pourquoi tenir ces nourrissons par leur attache pendant l’allaitement ; ce dernier vice influe sur leur santé, il les expose à des coliques, à des constipations opiniâtres, à des diarrhées et autres dérangements.

Pour agir conformément aux vues de la nature, il faut procurer aux veaux un exercice convenable. En conséquence, on enverra ces jeunes élèves se promener ensemble, dans de légers pâturages, près des habitations, en ayant soin de ne pas les exposer à la pluie ni au froid qui leur sont contraires. Cette promenade, pratiquée sous un bon auspice, le grand air et quelques brins d’herbes qu’ils paissent çà et là, facilitent leur développement et les fortifient beaucoup. Tout en découle. En les habituant de bonne heure à ramasser leur nourriture, le sevrage s’exécute avec facilité et se supporte sans le moindre dérangement.

En éloignant toute idée routinière et superstitieuse à ce sujet, l’agriculteur qui agit suivant les procédés d’améliorations sagement médités, parviendra à un but désirable ; les veaux acquiéront un accroissement et une force qui ne pourront être comparés aux victimes de l’impéritie, à ceux que le malheureux état prive de ces avantages.

L’époque du sevrage passée, ces jeunes animaux ne demandent que de bons pâturages, un exercice soutenu, afin de détendre et d’assouplir leurs membres engourdis, et de revivifier en quelque sorte toute la machine animale. Cette heureuse application facilité leur développement et amène à d’excellents résultats. De plus, la nourriture printanière, considérée comme une lessive animale, purge, débarrasse les herbivores des matières alvines qui ont longtemps séjourné dans les principales voies de l’appareil digestif ; elle ranime les sécrétions et les excrétions, et elle répare la machine qui fonctionne de toutes les souffrances et altérations qui ont été susceptibles de s’y manifester.

Il faut les habituer peu à peu au changement de nourriture, car un passage subit du sec au vert expose les animaux, surtout les jeunes, à des dérangements manifestes plus ou moins nuisibles.

Éleveurs intelligents, évitez la rosée, car elle est la vraie cause de ces indigestions, de ces météorismes graves qui sont trop souvent mortels.

Les veaux, beaucoup mieux que les autres animaux domestiques, sont faciles à manier dans les pâturages ; un enfant de douze ou quinze ans peut conduire et garder un troupeau considérable. Il en est pourtant dont la fougue est poussée à l’extrême, dont la méchanceté se fait sentir partout ; alors comment les maîtriser ? La castration se montre à nous avec tous ses attributs ; elle arrête cette démarche fière, éteint ce regard énergique, et fait disparaître la prédominance sur l’organisme des organes essentiels à la génération.


Castration des veaux. Cette opération, que quelques auteurs ont appelée une mutilation barbare, est un mal nécessaire pour les produits mâles des races chevalines, et indispensable pour ceux des races bovines. Le bœuf, comme nous le savons, n’est pas exclusivement destiné aux travaux de l’agriculture ; il doit en outre, tôt ou tard, approvisionner les boucheries, et il est impossible d’engraisser convenablement un taureau ; jamais sa chair n’offrirait le goût agréable de celle du bœuf.

C’est à l’âge de deux ans, et quelquefois trois, que les taureaux sont bistournés dans le Lot-et-Garonne. Je vais essayer de faire ressortir la différence marquée qui existe, dans l’ordre de développement des bœufs affranchis à dix-huit mois, deux ans, et de ceux qui ne le sont qu’à trois ans. On voit, par exemple, que les premiers deviennent en général plus volumineux que les autres et qu’ils engraissent plus promptement ; mais aussi, ils se déforment à mesure qu’ils accroissent, il n’y a plus une distribution égale des sucs nutritifs dans toutes les parties constituantes, le tempérament est sensiblement dénaturé et dégénère en lymphatique ; aussi ont-ils l’allure lente et pénible ; ils sont sans énergie, et font un mauvais service comme bœuf de travail ; ils sont également bien plus exposés aux influences épizootiques. Les seconds, au contraire, conservent d’une manière moins variable leurs belles formes, leur force et leur vigueur ; ils résistent longtemps au travail, leur tempérament est plus fort et plus nerveux ; mais en revanche ils prennent la graisse moins facilement.

De ces deux conséquences, il résulte que le cultivateur qui a pour but l’élève de travail proprement dit, ne doit faire hongrer ses taureaux qu’à trois ans ; que celui, au contraire, qui spécule sur la grande question d’engraissement, trouvera plus d’avantages à faire pratiquer cette opération à deux ans et au-dessous. Un auteur que j’ai consulté prétend avoir vu des veaux châtrés à un an, devenir de bons bœufs gras ; mais, en outre, les services domestiques étaient nuls. D’ailleurs, nous savons que l’exception a toujours régné, et qu’aucune règle ne se présente sans qu’elle intervienne.


Manière de soumettre et de diriger les Bœufs au travail.


Examine sans cesse tes troupeaux et donne leur ton affection.
(Proverbe, chap. xxvii, v. 23.)


Cette partie de l’art agricole est ignorée des hommes qui les élèvent et les gouvernent. Ces jeunes animaux domestiques ne sont pas plutôt guéris de l’opération qu’ils viennent de subir, qu’on les assujettit au joug et à la charrue. On ne s’est jamais pénétré de les habituer peu à peu au travail, de calculer, de comparer leur force individuelle avec ce que les besoins champêtres commandent.

On a toujours vu, d’un œil indifférent, ces faibles animaux s’épuiser, contracter de nombreuses maladies, qui les rendent souvent victimes de leur dévouement, à de trop pénibles travaux.

Pour parer à cette manière d’agir, pour maintenir ces jeunes compagnons de labour dans leur force et leur vigueur, pour leur en faire acquérir plus encore, il est nécessaire d’adopter une méthode susceptible de bien les dompter et de les bien dresser, tout en ménageant leurs facultés et tout en leur faisant démontrer de l’aptitude aux devoirs domestiques que nous attendons d’eux. L’hiver qui suit l’époque de la castration est la saison qu’il convient de choisir pour cet effet.

Lorsque les jeunes bœufs sont réunis à l’étable, qu’ils se sont rendus familiers entr’eux, qu’ils souffrent l’approche de l’homme qui les soigne, les caresse, ce même homme, après avoir donné un nom à chacun de ses élèves, et dans ses délassements, placera dans la crèche et devant eux les jougs, les courroies qui doivent les accoupler et les lier ; il les habituera au bruit des chaînes et autres instruments aratoires, le tout afin de les préparer, en exerçant leurs sens, à se soumettre avec confiance à la servitude qui les attend. Ces précautions, quoique paraissant de peu de conséquence, concourent pour beaucoup à dresser les jeunes bœufs et à les rendre dociles. Quand ils sont faits la main qui doit les commander et aux nombreux instruments qu’ils doivent faire mouvoir, l’homme procède d’une autre manière.

On appuie sur leur chignon, après les avoir préalablement placés par rang de taille et de force, un joug, qu’on laissera ainsi pendant une ou deux heures. Cette opération sera répétée suivant le besoin, suivant la disposition et la docilité du sujet. Il faut abandonner la funeste pratique d’accoupler toujours les mêmes individus ensemble et du même côté. Dans le cadre de l’économie domestique se trouve mentionné le principe suivant : « Il faut lier alternativement les sujets à droite et à gauche, et les uns avec les autres, en observant la taille et la force, sans distinction de paires adoptées. »

Les premières leçons suffisent ordinairement pour dresser et soumettre ces jeunes animaux à tout ce qu’on exige d’eux. Pour achever ce travail important, on les attelle à de légers fardeaux, on les conduit avec ménagement dans des prés, des champs ou des cours assez vastes. Cette somme d’applications étant bien comprise et bien dirigée, on élèvera des animaux qui montrent beaucoup d’aptitude et de docilité par les travaux soutenus. Ils ne se refuseront jamais à la volonté de leur maître ; ils se rangeront volontairement chacun à sa place, à droite ou à gauche, sous le joug qui leur sera présenté, etc.

On rencontre souvent dans les campagnes des hommes qui traitent ces jeunes colons avec la plus grande dureté. C’est là le vrai moyen d’arriver à un résultat le plus négatif. Éloignez de vous tous ces coups, tous ces jurements lancés avec force et bien articulés ; car voilà des agents qui rendent vos animaux quinteux et disposés à vous désobéir. Ce n’est pas tout, le bœuf est l’animal le plus vindicatif et le plus dangereux, lorsqu’il a été maltraité. Dans une métairie voisine du pays que j’habite, j’ai été témoin d’un fait qu’il est utile de rapporter. Le métayer, homme vif et brutal, ayant eu des discussions avec sa femme et ne pouvant se venger sur elle, fut lâchement assouvir sa colère sur un jeune bœuf de quatre ans. Depuis sa rentrée dans la ferme, l’animal avait toujours montré beaucoup de docilité à la main barbare qui le commandait. Quelques heures après la vengeance, la bête dut quitter l’étable pour se rendre avec les autres au pâturage du soir. Se trouvant libre, dégagée de cette chaîne qui retenait sa fureur, elle fit un bond sur notre homme, qui fut lancé à huit mètres, distance mesurée par moi-même. Je suis loin de demander de pareilles leçons ; mais pour les éviter, oubliez cette funeste et barbare pratique.


De la Nourriture.


Nourriture passe nature.
(Ancien Proverbe.)
Quelques animaux parfaitement nourris donnent plus de produits qu’un troupeau très nombreux qui souffre de la faim.
(Columelle.)


La nature, dit Rozier, a décidé la question, et les hommes l’ont embrouillée. Cette partie si importante de l’hygiène des animaux est encore dans son berceau. La nourriture du bétail varie dans chaque arrondissement, suivant les habitudes des contrées, suivant le nombre des animaux, le genre de culture et l’adoption des fourrages cultivés ou appropriés au sol. Il est à remarquer que les contrées de petite culture, que celles peu abondantes en fourrages, qui ne comportent que peu de bétail, sont celles où l’on voit le ménagement le mieux entendu.

Traiter les différents fourrages, à part le trèfle et la luzerne, serait sortir du cadre que je me suis tracé. Avant de commencer mon sujet, je dois dire un mot de l’emploi indispensable du sel ordinaire ou du sel gemme. Voici sommairement le compte-rendu de M. Gosselin :


Du sel. — « Un instinct général porte tous les animaux à rechercher le sel. Cette substance, en effet, est salutaire ; mais, à trop forte dose, elle devient nuisible. Comme on ne saurait déterminer la portion qui convient au tempérament de chaque sujet, le mieux est de s’en rapporter à son instinct, et de mettre dans le râtelier un bloc de sel gemme, ou un sac rempli de sel ordinaire, qu’il peut lécher à volonté. On pourra aussi se servir du sel pour faire accepter, en temps de pénurie, des fourrages avariés ou médiocres. On les assaisonne, soit lors de la récolte en jetant le sel au milieu du foin, soit au moment de la distribution en les arrosant d’eau salée. »

Frédéric-le-Grand, qui s’occupait d’agriculture avec beaucoup de sollicitude, pensait de même.

Frédéric, s’adressant au bailli de Fehrbellin :

« Y a-t-il des épizooties dans votre canton ? »

le bailli.

» Non, Sire.

frédéric

» Y en a-t-il eu ?

le bailli.

» Oui, Sire.

frédéric

» Faites manger beaucoup de sel gemme, et le mal ne reviendra pas.

le bailli.

» C’est ce que je fais. Mais le sel commun est presque aussi bon.

frédéric

» N’en croyez rien. Il ne faut pas piler le sel gemme, mais le mettre à portée du bétail pour qu’il le lèche. »

(Histoire de Frédéric-le-Grand, par M. Paganel, citée par M. Barral.)


La quantité de sel employé varie, d’après Lafore, suivant le degré d’altération du fourrage. On peut évaluer qu’il en faut, en terme moyen, une ou deux onces pour assainir la ration journalière d’un bœuf.


Luzerne. — La luzerne est une des plus anciennes plantes cultivées en prairies artificielles ; c’est la plus abondante en végétation de toutes celles connues. Suivant la convenance du sol sur lequel on la sème, elle donne annuellement de trois à cinq coupes. Ses facultés nutritives ne sont point équivoques ; nulle autre plante ne les possède à un plus haut degré. Mais son usage, comme nourriture, verte surtout, prescrit des précautions dont l’omission serait on ne peut plus funeste aux animaux qui s’en alimenteraient. Cette plante, qui contient beaucoup de parties aqueuses fermentescibles, si elle est donnée trop fraîche aux animaux, particulièrement aux ruminants, produit des effets on ne peut plus incendiaires. Pour prévenir tout inconvénient à ce sujet, il faut : 1o couper la luzerne le soir pour le matin, et le matin pour le soir, en calculant la quantité suffisante à consommer dans ces deux époques du jour : si on en coupait davantage, étant ainsi mise en tas, elle ne tarderait pas à s’échauffer et à fermenter, et le danger pour l’économie serait alors le même ; 2o dans le début, il faut mélanger ce vert avec moitié fourrage sec, ou foin ou paille, continuer ce mélange pendant huit ou dix jours, et plus si besoin est, avec l’attention de réduire graduellement la quantité de fourrage sec jusqu’à zéro. Il serait prudent, lorsque le temps est humide ou pluvieux, d’ajouter toujours une certaine quantité de fourrage sec, ce qui empêche les animaux de se dégoûter de cette nourriture verte, lorsqu’on la donne ou trop fraîche ou d’une manière inconsidérée, comme cela se montre assez souvent ; 3o l’entretien de l’appétit des animaux mis au vert exige encore qu’on leur en donne peu et souvent. Une trop grande quantité les dégoûte, et peut leur causer des indigestions ou d’autres maladies.

Il est préférable et plus économique de faire consommer la luzerne en vert, donnée à l’écurie, que tout autrement ; car l’inconvénient qu’entraîne la récolte en sec, vu l’abondance de ses sucs, l’expose rapidement et pour peu qu’il pleuve, à se noircir et à s’altérer, au point de ne plus être considérée que comme une nourriture nuisible. On ne doit donc pas négliger la culture de cette plante fourragère, généralement reconnue comme ayant la faculté de donner en peu de temps de l’embonpoint aux animaux maigres et épuisés, comme augmentant de beaucoup le lait des vaches, etc. Le parcours des prairies en luzerne est très dangereux.; pour cette raison on ne doit pas en faire usage. Si le besoin l’exige impérieusement, il ne faut y envoyer le bétail qu’après avoir mangé du sec et avoir bu, qu’après que la rosée sera dissipée ; encore faut-il que la luzerne soit peu développée, qu’on tienne les animaux toujours en mouvement et qu’on ne les y laisse séjourner que peu de temps.

L’importance de cette nourriture pour l’entretien de nos animaux herbivores, nous porte à indiquer ici toute indisposition causée, ou par son usage longtemps continu, ou par des données inconsidérées, ou par l’effet de ses parties aqueuses fermentescibles.

Dans le premier cas, lorsque la luzerne, surtout verte, est donnée pour toute nourriture et en trop grande quantité, elle développe des pléthores sanguines à la tête, aux membres (fourbures) et autres parties de l’animal, qui sont souvent mortelles, même malgré les secours prompts qui peuvent être portés. Ces sortes de congestions se combattent par des saignées copieuses, répétées suivant le besoin, par des breuvages fortement acidulés, des douches d’eau froide, des pédiluves, des lavements.

Il arrive, en second lieu, que lorsque les animaux, notamment les ruminants, sont annuellement mis au vert, ils appètent avec une sorte de voracité l’aliment frais et aqueux qui leur est distribué ; alors nous voyons se développer des tympanites d’une plus ou moins grande gravité. Il faut sans retard faire la ponction du rumen (panse, flanc gauche) et prolonger cette ouverture de manière qu’on puisse extraire avec la main ou avec une cuiller à long manche les matières surabondantes contenues dans ce sac membraneux. Une telle opération ne peut être heureusement pratiquée que par un homme habile et expérimenté, que par un vétérinaire.

Si la tympanite n’est causée que par un dégagement de gaz, à la suite de l’ingestion de la luzerne trop fraîche ou couverte de rosée, on peut neutraliser ce gaz par quelque potion d’ammoniaque (alcali volatil-fluor) ou d’éther. Ces breuvages peuvent être répétés toutes les deux heures, si le besoin l’exige. Souvent même, il suffit de faire promener les malades, de les bouchonner fortement et longtemps sous le ventre, sur le dos, de les faire baigner, pour triompher assez vite de ces tympanites simples.


Du trèfle. — Le trèfle est une autre plante fourragère qui aujourd’hui se trouve répandue dans tous les pays. Avantageusement connue par sa végétation précoce et facile, par l’abondance de son fourrage, par l’amendement qu’elle procure à la terre qui lui prête vie et par ses facultés nutritives, cette plante, si préconisée par tous les agriculteurs éclairés, est malheureusement ignorée, dépréciée parmi nous, considérée même comme pernicieuse. C’est ici le cas de dire que l’abus des meilleures choses est nuisible.

Il en est du trèfle comme de la luzerne, comme de tout autre plante succulente, dont l’usage en vert, quoique préférable et plus économique, demande beaucoup plus de précautions. Cette plante, par la facilité qu’elle a de croître et de prospérer partout, excepté sur les sols ou trop secs ou trop humides, enrichit toujours l’agriculture qui la cultive et améliore le bétail qui s’en repaît. Très difficile à sécher, elle s’altère ou se détériore lorsque le temps n’est pas favorable. Le trèfle expose les animaux aux mêmes maux et aux mêmes dangers que la luzerne, lesquels doivent être combattus par les mêmes moyens.

Ce n’est pas tout d’avoir sous la main les aliments indispensables, il faut savoir les distribuer aux animaux, en un mot, il faut apprendre à connaître la quantité de nourriture nécessaire à l’entretien de chacun d’eux.

Pour arriver à un résultat satisfaisant, il faut tenir compte de la race, de l’âge, de la taille et des services qu’on exige des animaux. Ensuite, le volume, la capacité, le caractère ou l’idiosyncrasie des individus, sont autant d’obstacles difficiles à vaincre pour déterminer d’une manière positive la quantité de nourriture suffisante à chacun ; ce qui fait qu’il se trouve des animaux d’un entretien facile, quoique mangeant peu, comme on en trouve d’autres dont la voracité fait qu’ils consomment beaucoup, sans pour cela montrer de l’embonpoint. Malgré tout, on estime qu’un bœuf de moyenne taille consomme de douze à quinze kilogrammes de bons fourrages par vingt-quatre heures. Lafore cite l’exemple suivant : Le bœuf gascon, dont le poids est de 300 à 400 kilogrammes, s’entretient difficilement au repos, avec une ration de 10 kilogrammes de foin et 5 kilogrammes de paille ; tandis que la même nourriture est plus que suffisante pour entretenir encore dans un bon état la race garonnaise dont le poids est de 500 ou 600 kilogrammes.

Des expériences faites en Allemagne, il résulte que la ration d’entretien seulement est de 1 1/2 à 3/4, pour 1/100 du poids de l’animal ; que pour un animal dont on exige quelques produits et du travail, la ration doit être de 2 1/2 à 3 pour 100 du poids de l’animal.

Ainsi un bœuf de travail, du poids de 400 à 500 kilogrammes, exigerait de 10 à 12 kilogrammes de foin ou autre fourrage équivalent.


Des boissons. — L’eau la plus convenable à servir de boisson au bétail est sans contredit l’eau courante, claire, saturée de l’action de l’air et du soleil, celle qui ne contient pas, ou le moins possible, des matières hétérogènes. L’eau des puits est trop crue, trop froide et trop pesante ; celle des mares et des fossés, constamment stagnante et boueuse, contenant beaucoup de matières végéto-animales est sans contredit la plus nuisible.

Il est nécessaire d’abreuver le bétail trois fois le jour en été et deux fois en hiver. Lorsque les dispositions locales ne permettent pas d’autres boissons que celles d’eau de puits, on ne doit jamais en abreuver les animaux, sans l’avoir puisée plusieurs heures à l’avance, sans l’exposer à l’action immédiate de l’air et du soleil, sans l’agiter et la battre le plus longtemps possible, sans préalablement y avoir jeté un peu de farine ou de son et un peu de vinaigre. L’addition de cet acide, dans les saisons de haute température est rigoureusement nécessaire. Ces manques de précautions exposent souvent les animaux à des coliques vives et dangereuses.

Il existe des tonneaux filtres, qui clarifient, qui dépurent de toutes leurs parties hétérogènes les eaux dont on fait usage ; de manière que celles les plus stagnantes et les plus mauvaises sont bonifiées par ce procédé. Il serait à souhaiter que les riches fermiers de la plaine de la Garonne, que les propriétaires qui ont en vue l’éducation des animaux, voulussent se procurer ces tonneaux filtres, que je crois d’autant plus avantageux qu’on pourrait, par quelque moyen mécanique, les transporter partout où l’un voudrait abreuver le bétail et partout où il serait nécessaire de puiser l’eau à filtrer.


Soins particuliers à donner aux Bœufs.


Il ne suffit pas, pour l’entretien du bétail, de lui procurer une nourriture suffisante ; son aménagement exige encore d’autres attentions non moins essentielles. Ces attentions comprennent : 1o le logement ; 2o le pansage ; 3o le temps du travail et sa durée.


Logements. — Ce sont des locaux particuliers destinés à contenir le bétail à couvert. Les habitations bien dirigées et bien tenues, influent beaucoup sur le développement et la santé des bestiaux. Le Lot-et-Garonne se montre supérieur à bon nombre de ses voisins, les étables dans ce département étant très convenables. Il existe pourtant des exceptions, c’est pour tâcher de les éteindre que je me propose de consacrer quelques lignes à cet important sujet.

Une étable sera convenablement située et construite, si elle est sur un terrain sec ou desséché, éloignée des égoûts, des fumiers et de tout autre influence malsaine. Si elle est au-dessus du niveau du sol commun, si elle est spacieuse en tous sens, si plusieurs ouvertures facilitent la libre circulation de l’air atmosphérique, si ce fluide se renouvelle sans interruption ; elle sera saine si, joint à ces conditions, son intérieur est débarrassé ou vide de fumier, de toiles d’araignées et d’autres malpropretés ; les toiles d’araignées que les animaux avalent avec les fourrages, causent des coliques violentes, qu’on est loin d’attribuer à ce styptique puissant. Le bétail, de plus, devra être placé à des distances convenables, appuyé sur un sol en pente douce, suffisante pour faciliter l’écoulement de l’urine. Les pentes trop prononcées fatiguent beaucoup les animaux, leur font contracter de fausses attitudes et exposent les vaches mères, lors de la parturition, au renversement de l’utérus.

Il entre dans l’économie du fourrage et dans l’ordre de la propreté de faire construire des crêches et des râteliers dans chaque étable. Tout cela évite une déperdition considérable d’aliments, car après être passés sous les pieds des animaux, ils peuvent être considérés comme objets de litière. Il arrive souvent que la presse des travaux empêche le nettoiement journalier des étables ; enlevez au moins ce qui jure le plus, vous réservant le dimanche pour achever ce travail indispensable.


Du pansage. — Le pansage, ou pansement de la main, est absolument ignoré de la majeure partie des cultivateurs. Esclaves de leurs routines, ils prétendent que cette nouveauté (c’est ainsi qu’ils s’expriment), ne signifie rien et qu’elle est inutile. Sans s’arrêter à ce faux raisonnement, enfant de la paresse et de l’indifférence, il est essentiel, pour maintenir en santé le bétail, de l’étriller, de le bouchonner chaque jour ; comme aussi, dans ses moments de loisir ou à sa rentrée du travail, de le tenir sur de la paille fraîche ; le tout, afin de faciliter d’une part les fonctions salutaires de la peau et de l’autre de les disposer au repos, qu’une déperdition de force dans les travaux exige pour sa santé.

Des hommes qui font autorité dans la science affirment que plusieurs étables de diverses contrées, désolées par des épizooties endémiques, ont été préservées de leur influence morbifique, par les seuls effets du pansage et de la propreté.

Tenez donc vos animaux en bon état, et vous verrez disparaître pour toujours les maladies dartreuses et pédiculaires, les poulx ne pouvant vivre et se multiplier au milieu de tout ce qui leur est contraire.


Du travail et de sa durée. — Le temps du travail n’est pas moins subordonné aux ignorances des habitants des campagnes. Suivant la saison et la presse, le cultivateur intelligent doit savoir disposer des heures les plus favorables pour ménager ses animaux. On sait que les bœufs souffrent beaucoup des grandes chaleurs ; il arrive en effet, et assez fréquemment qu’étant sous le joug, ils tombent morts par l’effet des hautes températures. Que le laboureur profite de la fraîcheur du matin jusqu’à neuf ou dix heures, et le soir depuis quatre jusqu’à l’entrée de la nuit. En agissant ainsi, on préviendra tout accident, tout développement pléthorique qu’il n’est plus temps de penser à éviter quand il s’est manifesté. En hiver, les pluies abondantes et les froids rigoureux, interdisent tout travail aux bêtes attentivement gouvernées. Puis, autant que faire se pourra, on doit avoir l’attention de partager le travail journalier des bêtes à cornes, afin de leur donner le temps et la facilité de prendre haleine, de ruminer à leur aise, de se reposer et de fournir par là à des fatigues plus soutenues.

On n’est pas assez attentif à l’égard de la rumination qu’on brusque journellement ; une infinité d’indispositions naissent de ce travail important, et nous pouvons avancer que les indigestions putrides, qui se montrent le plus souvent en hiver, reconnaissent pour principale cause la rumination trop longtemps suspendue ou dérangée dans ses fonctions, fonctions essentielles à la digestion des matières alimentaires chez les ruminants.


Propagation.


Le bœuf agenais n’est pas exclusivement destiné aux travaux de l’agriculture. Après avoir grandi sous la main du colon, après avoir bouleversé la terre six ou sept ans de sa vie, il est de toute rigueur soumis à l’engraissement. C’est là sa destination certaine. Pour bien se faire une idée des traits caractéristiques de cette race, il faut visiter les foires de Nérac, Moncrabeau, Mezin, Calignac, Francescas, Lectoure, Lamontjoie, etc. Situé entre deux grandes villes, Bordeaux et Toulouse, notre chef-lieu fait de ces animaux un commerce important. Les marchands viennent de partout, ils arrivent en grand nombre, visitent nos communes et marchés, où ils font des emplettes considérables en bétail. Nos Durhams du midi se placent sur tous les points de la France ; mais je crois pouvoir affirmer qu’une grande partie vont habiter le Limousin, l’Auvergne et le département de la Charente. Quoique les habitants des campagnes considèrent l’élève des bêtes à cornes comme l’essentiel de leur revenu et de leur prospérité ; comme l’agent le plus direct, la cheville ouvrière de l’art agricole, ils ne montrent pas plus d’empressement pour les améliorer ; il semble même que tout sujet de méditation sur ce point de perfectionnement important ne soit pas fait pour eux. Il est constant que l’espèce bovine a souffert le plus et souffre encore de l’insouciance qui préside depuis trop longtemps à l’appauvrissement de toutes les branches agricoles. On l’a absolument oubliée, abandonnée à elle-même, et il n’y a pas de doute que, si le climat, la nature et l’abondance des pâturages, par leur convenance parfaite, n’avaient prévenu et corrigé les dépravations commises par les mésalliances inconsidérées et les abus, nous n’aurions que des monstruosités, ou cette espèce se serait anéantie.

Autant par fausse spéculation que par le manque de principes indispensables, les cultivateurs qui élèvent du bétail n’en considèrent que le nombre. Se refusant à tout ce qui est contraire aux routines usuelles, il leur importe peu d’élever des individus forts ou faibles, beaux ou laids ; ils ne s’appliquent pas plus à conserver les uns qu’à améliorer les autres ; en vain, veut-on leur démontrer que quatre forts bœufs et de belle race, rendent beaucoup plus de services, mangent moins et se vendent plus que six, même que huit petits et chétifs.

Il en est de même pour les vaches qu’ils livrent à la reproduction et qu’on exporte en assez grand nombre. Comment ne pas vouloir comprendre qu’un choix bien fait de mâles et de femelles donne des résultats favorables sur tous les points.

Je ne crois pas que les éleveurs du Lot-et-Garonne puissent raisonner ainsi ; non, ils ne peuvent avoir de pareilles bases pour asseoir leurs grandes spéculations. J’aime à croire qu’à l’avenir tout ira pour le mieux, et notre belle race agenaise occupera le faite de l’échelle bovine.


De l’Engraissement.


Plus on réfléchit, plus on compare les ressources variées qu’offre l’éducation du bétail, plus on voit combien il importe de l’améliorer et de la ménager, combien sa multiplication et son perfectionnement augmentent les richesses, et son entretien l’amendement des terres ; combien ses services domestiques, comme premier instrument comme l’agent le plus direct et le plus indispensable de l’art agricole, sont précieux pour l’abondance des récoltes céréales ; combien, en tant qu’objet de consommation, après de longs et de pénibles travaux, après avoir prodigué sa force et sa vigueur à nous donner du pain, après avoir succombé sous le poids de la massue, combien il nous est précieux encore, consommé comme viande, dont les sucs et les facultés nutritives sont universellement reconnus et appréciés de tout le monde ; combien aussi ses produits indirects, comme le cuir, le suif, les cornes, etc., sont d’une utilité indispensable, employés dans les arts et métiers pour divers de nos besoins.

Il entre dans notre manière de vivre d’adopter, de rechercher comme premier besoin, comme objet d’absolue nécessité, le pain ; toute autre substance nutritive n’est considérée que comme secondaire ou accessoire ; toute autre ressource de même faculté ou supérieure, ne peut être comparée à celle fournie par les céréales.

L’apparence d’une petite quantité de blé fait craindre la disette, met la désolation dans tous les cœurs, surtout parmi les habitants des campagnes, de qui tout autre mode d’entretien de la vie est en partie ignoré, qui même n’envisagent l’usage de la chair animale que comme tenant de la sensualité et de l’ostentation, par rapport à ce qui concerne la viande de boucherie, plus particulièrement le bœuf.

Combien d’exemples de fausses famines n’avons-nous pas sous les yeux, qui ont toutes pris naissance dans cet esprit d’égarement populaire, déterminé par la crainte de manquer de pain, de cette sorte d’inertie dans les facultés morales, dont l’effet paralyse la pensée, fait oublier les ressources sans nombre dont on est entouré, mais que l’imagination égarée n’aperçoit pas, que l’irréflexion, l’erreur, plus encore l’effet de l’habitude, éloignent ou rebutent. Dans les six premiers mois de 1812, à quels tourments n’avons-nous pas vu se porter l’égarement du peuple, à l’apparence disetteuse du blé, que la sagesse des autorités a su contenir assez pour éviter les excès et les malheurs. Cependant, les ressources étaient grandes, non en blé, mais en tous autres aliments, dont l’usage est malheureusement trop oublié et négligé. Dans tout autre pays, en pareille pénurie, la viande serait d’un précieux secours alimentaire ; mais en France, l’abandon de l’éducation du bétail, l’état chétif de nos races, le petit nombre des individus, le mettent dans l’impossibilité de pouvoir subvenir au manque de notre premier aliment. Cet état de dépérissement est une vraie calamité qui se fera davantage sentir si on n’y porte un prompt remède, si le gouvernement ne prend sous son aile protectrice cette partie essentielle de l’économie rurale, qui fait la base de la richesse nationale.

Si nous comparions le mode d’éducation des animaux domestiques en général, avec celui soigneusement adopté chez plusieurs puissances, notamment en Angleterre, nous verrions une somme d’applications diamétralement opposée à notre système. Là, la spéculation en économie rurale est basée sur la grande quantité et sur la beauté du bétail ; ici, cette branche économique n’est vue que secondairement, les races sont petites et chétives, et le nombre bien insuffisant ; là, le bétail est uniquement, envisagé comme objet de consommation et non comme domestique ; ici, au contraire, il n’est élevé que pour fournir aux immenses travaux des labours, jusqu’à un âge avancé ; après quoi, il est consommé comme matière alimentaire ; là, les opérations agricoles, sont subordonnées aux principes de perfectionnement du bétail ; son éducation est le principal agent de la sollicitude des agriculteurs ; ici, l’indifférence, l’ignorance éloignent toute idée d’amélioration et en paralysent les effets ; on ne pense qu’à abuser de ses facultés, sans s’occuper à en rehausser l’importance par des procédés convenables, on l’empêche de mourir de faim, et voilà tout. Ce n’est qu’après avoir appauvri ses bœufs, que le cultivateur pense à les échanger ou à les destiner à l’engraissement. On sent qu’indépendamment de l’âge trop avancé auquel on les réforme, les excès d’appauvrissement influent d’une manière directe sur l’altération de leur santé, et les prive, dans la majorité des cas, de toute aptitude à l’engraissement ; que la qualité de la viande est alors dure et coriace, peu juteuse, par conséquent peu délicate. Aussi est-il constant que la viande de boucherie est d’inférieure qualité sur divers points de la France, que la quantité est même moindre que ce qu’on l’a vue, il y a plusieurs années, et que si des mesures ne sont prises à temps, pour en prévenir et corriger les suites, nous éprouverons une disette réelle de ce genre de comestible.

Le Lot-et-Garonne et quelques autres départements, grâce à cet amour-propre, à cette vigilance particulière des éleveurs, se trouvent justement placés à côté de nos voisins d’outre-Manche. Espérons qu’à l’avenir tout ira pour le mieux, l’impulsion sera générale, elle se fera ressentir dans toute cette filière de l’économie domestique.


Règles principales de l’engraissement. — Ces règles sont nombreuses et fort simples en elles-mêmes ; mais c’est leur bonne application, dans les diverses circonstances de la pratique, qui offrent des difficultés :

1o Bon choix des individus ;

2o Méthode d’engraissement ;

3o Une transition convenable du système de nourriture suivi jusqu’alors, à celui de l’engraissement ;

4o La suppression de toute influence fâcheuse qui pourrait troubler l’animal ;

5o Enfin, l’observation du moment le plus propice pour terminer l’engraissement.


Bon choix des individus. — Voici le portrait d’un bœuf éminemment propre à l’engrais : tête fine, légère, un peu longue, yeux saillants, regard doux, assuré, en quelque sorte féminin ; cornes courtes, lisses, blanchâtres, ou semi-transparentes ; encolure courte, peu chargée, la chair de cette partie nommée viande de collet, étant peu estimée ; poitrail évasé, poitrine haute, épaules rondes, dos large et horizontal, corps allongé, côtes amples et arrondies, flancs pleins, ventre volumineux, ce qu’on appelle un bon dessous ; forme de corps à peu près cylindrique, reins larges, fesses bien charnues, on dit alors que l’animal est bien culotté ; hanches, croupe, cuisses également volumineuses, ce qui annonce la prédominance de l’arrière-train, dont les parties offrent une meilleure viande de boucherie, extrémités aussi courtes, aussi minces que possible : le fameux éleveur Bakewell s’attachait au caractère d’une manière toute particulière ; peau douce, souple, flexible, élastique, se détachant facilement ; poils longs, brillants, clairs, moelleux, et veines superficielles apparentes.


Considérations tirées de la taille et l’âge. Avant d’envisager la question, il faut tenir compte d’une manière très rigoureuse du système d’engraissement. S’il doit se pratiquer à l’étable ou dans de gras pâturages, l’éleveur choisira de préférence les animaux de grande taille ; tandis que l’opposé se montrera dans le cas contraire. Sous le rapport de l’âge, le choix varie suivant les races. Qui de vous ne connaît pas cette race d’outre-Manche, dont Colling est le créateur, si renommée par ses grandes aptitudes à l’engraissement. Oui, le Durham de l’Angleterre est le type par excellence, il couronne fort jeune, et de la manière la plus glorieuse, la carrière bovine. Les bœufs de l’Agenais pourraient aussi s’engraisser à trois ou quatre ans ; mais les propriétaires y renoncent, trouvant beaucoup plus de bénéfices à les vendre comme bêtes de travail. Ce n’est qu’après avoir rendu les plus grands services à l’agriculture, qu’après avoir porté le pain sur la table du maître, c’est-à-dire à l’âge de sept ou dix ans, qu’ils vont approvisionner les boucheries.


Modes d’engraissement. Les méthodes à suivre pour l’engraissement sont au nombre de trois :

Engraissement au pâturage ou de Pâture ;

Engraissement à l’étable ou de Pouture ;

Engraissement Mixte.


Engraissement au pâturage. Il n’est pas usité dans le Lot-et-Garonne, si ce n’est toutefois chez quelques éleveurs privilégiés, habitant les riches bords de la Garonne.


Engraissement à l’étable. Il est possible dans toutes les localités, il exige beaucoup plus de soins et d’intelligence que celui de pâturage.


Engraissement mixte. Ce dernier est le plus généralement suivi par les éleveurs de l’Agenais. Les animaux qui suivent cette méthode vont d’abord pâturer, puis ils reçoivent à l’étable un supplément de nourriture. Comme on le voit, le système à suivre n’est pas plus compliqué que les précédents.

Il est impossible de préciser au juste la quantité d’aliments nécessaires pour engraisser un bœuf. Tout le monde sait que cette règle est basée sur de nombreuses conditions : il faut mettre en ligne de compte l’embonpoint du sujet, considérer sa race, sa taille, sa plus ou moins grande aptitude à l’engraissement, etc. On ne peut donc que poser des principes qui se rapprochent le plus possible de la vérité. Espérons que de nombreuses observations de la part des éleveurs amèneront à un résultat vrai et définitif.

On estime qu’il faut pour engraisser un bœuf, 4 à 5 kilogrammes de foin, ou de toute autre nourriture qui ait la même propriété nutritive, pour cent kilogrammes de poids de l’animal.

Voici la ration d’un bœuf à l’engrais, en Allemagne :


Betteraves 
 70
kilog.
Grains broyés 
 9
»
Foin ou Regain 
 4
»
Paille 
 3
»
ou encore :
Betteraves 
 30 à 40
kilog.
Regain 
 15
»
Grains broyés 
 6 à 10
»
Paille 
 5
»

Avec cette nourriture, les animaux sont gras en quinze semaines.

Enfin, c’est à l’engraisseur intelligent à modifier, à combiner le système d’alimentation, suivant les moyens qui sont en son pouvoir.


Transition convenable du système de nourriture suivi jusqu’alors à celui de l’engraissement. L’expérience, aussi bien que le raisonnement, indiquent assez que cette transition doit s’opérer peu à peu ; et je regarde comme mal fondés les principes de certains éleveurs, qui veulent que dès le début on force sur la nourriture, afin, disent-ils, d’activer les organes de la sécrétion. Il peut être avantageux de donner, dès le commencement, des substances très nourrissantes et en même temps émollientes, afin de fortifier et d’agrandir le calibre des vaisseaux ; mais on atteindrait mal ce but, en doublant de suite la quantité de nourriture jusqu’alors donnée. Un bœuf, qui pendant longtemps n’a eu que 20 livres de foin, en mangera 40 si on les lui donne ; néanmoins, il ne pourra s’approprier de suite toutes les parties nutritives de cette masse de fourrage, et 30 livres, données pendant quelque temps avant de passer aux 40, auraient produit les mêmes résultats. L’expérience rend maître ; aussi persuadez-vous que ce mode d’agir est tout-à-fait irrationnel. Suivez les conseils de ceux qui veulent votre prospérité, et vous goutterez bientôt les grands effets d’une transition bien suivie.


Soins hygiéniques. Dans les soins hygiéniques, il faut distinguer : 1o ceux que l’on donne aux animaux dans les pâturages ; 2o ceux que l’on donne à l’étable.


Pâturages. Dans les pâturages, on doit éviter que les bœufs ne se livrent à trop d’exercice, et si les abreuvoirs sont loin, ils doivent y être conduits lentement. On doit rentrer les animaux pendant le moment des fortes chaleurs, à cause des insectes nombreux qui peuvent les fatiguer. Bon nombre d’autres attentions se lient encore à celles que je viens de citer ; mais les éleveurs de l’Agenais ne sauraient pécher sur ce point important de l’hygiène.


Étable. Le bétail à l’étable doit être tenu constamment sur de la paille fraîche. S’il est un point de l’économie rurale qui puisse tolérer, même engager à la prodigalité, il se trouve ici : une grande consommation de paille donne une grande quantité de fumier, et ce dernier promet ou fait espérer d’abondantes récoltes ; c’est le cas de dire : que plus on met et plus on trouve. En suivant les autres procédés tenant du pansage, nous dirons qu’il est d’une grande utilité de frictionner journellement les animaux ; non-seulement la peau devient souple et moelleuse, mais encore ce bouchonnement fait plaisir au bétail, excite l’action tonique de la peau et du tissu qu’elle recouvre, dispose à la rumination, à de bonnes digestions et au repos ; il ranime la circulation dans toute la machine animale, plus particulièrement dans les parties immédiatement frictionnées. Il est à présumer que c’est à l’aide de ce procédé que dans quelques pays, notamment en Angleterre, on parvient à faire acquérir sensiblement plus de volume à telle région de l’animal qu’à telle autre.

L’air de l’étable doit être plutôt chaud et humide que froid et sec, et la lumière ne doit y pénétrer qu’indirectement, afin que les animaux soient dans un demi jour. Le silence doit régner aux environs des habitations ; le bruit distrait les animaux, distraction qui, dans ces circonstances, leur est on ne peut plus funeste.

Perdre la mauvaise habitude de faire lever les animaux quand ils sont couchés ; vous portez, sans le savoir, une atteinte à leur santé.

Parmi les nombreux soins hygiéniques qui existent, il s’en trouve un de la plus grande importance ; je veux parler de la saignée.


Saignée. Elle se pratique souvent, et les éleveurs sont loin d’ignorer ses bons effets. Elle prévient les apoplexies, qui sont le résultat d’une combinaison de causes variables selon les circonstances ; au début de l’engraissement, c’est-à-dire avant de soumettre la machine animale à ce mouvement particulier, la saignée est de toute nécessité ; elle contrebalance l’effet d’une alimentation trop riche, à laquelle les animaux ne sont pas habitués ; surtout, comme je l’ai déjà dit, si on a marché sans réfléchir, en franchissant le cadre d’une transition graduelle.


Moment le plus propice pour terminer l’engraissement. Il est assez difficile d’indiquer à quel degré de graisse on termine en général, l’engraissement avec le plus d’avantage. Le boucher préfère sans doute la bête fin-gras, à celle qui ne l’est qu’à moitié ; la première contient proportionnellement plus de suif et par conséquent, peut être vendue à un prix plus élevé que la seconde ; mais le principal, ici, est de savoir dans quel rapport est le prix, avec les frais chez les deux bêtes ; sous ce point de vue, les chiffres ne seront pas toujours en faveur de l’animal fin-gras ; car, une fois que les bêtes ont atteint un bon point de graisse, sans toutefois être parfaitement grasses, on s’aperçoit que l’accroissement se ralentit d’une manière bien sensible ; et si, d’un côté, elles consomment une moins grande quantité de nourriture qu’auparavant, en revanche elles exigent des aliments plus substantiels et plus recherchés.

Aussi trouve-t-on du profit à terminer l’engraissement dés que l’on s’aperçoit d’une diminution notable dans l’accroissement de l’animal, si toutefois il n’est pas avantageux de vendre même plus tôt ; car, à part le degré d’embonpoint, il est toujours préférable de se défaire d’une bête dès que l’on en trouve un prix convenable. Il vaut mieux la remplacer par une nouvelle que de s’entêter à atteindre le plus haut degré d’engraissement, ou un prix déterminé. D’un autre côté, l’engraisseur est souvent obligé d’attendre plus longtemps qu’il ne le voudrait et que ne le supporte l’avantage de sa spéculation, avant de trouver un acquéreur raisonnable. Ceux qui s’occupent constamment d’élever des animaux pour la boucherie et qui s’entendent au commerce, trouvent toujours leur profit à vendre leurs bêtes aussi promptement que possible, en se contentant d’un gain modéré. Il faut seulement, dans ce cas, savoir bien acheter ; alors il est facile de bien vendre.


Un mot sur les maniements. — Ce sont des coussinets graisseux qu’on touche sur les côtes, au défaut de l’épaule, sous le poitrail, entre les cuisses et le ventre, au tronçon de la queue, à l’endroit où étaient les testicules. À l’exploration de ces signes, on joint l’examen de la poitrine, de l’épine dorsale, des hanches ; on s’assure que les parties osseuses, saillantes, sont bien couvertes de chair ; il faut surtout que le dos et la croupe soient bien garnis ; encore tous ces indices n’annoncent-ils que l’état de graisse en dehors, lequel n’est pas toujours proportionné à l’état de graisse en dedans. Les bœufs gras qui ont fait une longue route recèlent en général plus de graisse que n’en amènent les maniements, parce qu’une partie de cette substance qui était isolée, s’est mêlée à la chair, qui est devenue plus savoureuse, à moins, toutefois, que la marche de ces bœufs n’ait été forcée, auquel cas la graisse s’est concentrée dans un tissu adipeux durci ; elle est devenue ce qu’on appelle filandreuse. L’homme qui a l’habitude de voir des animaux, de les manier, ne s’y laissera point tromper.

Mathieu de Dombasle a proposé une méthode propre à indiquer sur un bœuf le poids de la viande nette qu’il fournira ; elle est fondée sur un principe reconnu par cet éminent agronome, après mille épreuves : c’est que le poids de cette viande est constamment en rapport avec le périmètre du thorax ; on mesure ce périmètre au moyen d’un ruban, dont on fixe un bout sur le point le plus élevé du garrot, tandis qu’on fait passer l’autre autour du thorax pour rejoindre le premier : ce ruban est divisé, par des nœuds, en plusieurs parties ; l’antérieur, dont l’étendue est de 1m 82, dénote, en se contournant sur la poitrine, 175 kilogrammes de viande nette ; les nœuds suivants, placés à des distances inégales, annoncent chacun 25 kilog. à ajouter aux 175 kilog. indiqués par le premier nœud.


Moyens conservateurs à mettre en usage.


Les détails dans lesquels je suis entré sur ce qui concerne les bêtes à cornes peuvent donner une idée assez exacte de l’importance de cette espèce précieuse pour le département, dont elle constitue une partie considérable de la richesse agricole.

N’est-ce pas le cas d’appeler toute la sollicitude du gouvernement sur cet élément de la prospérité du pays, pour lequel la représentation départementale a fait déjà de grands sacrifices, tendant à le conserver et à l’améliorer, mais qui aurait besoin néanmoins de recevoir aide et protection plus efficaces encore, soit par l’introduction gratuite que ferait le ministre de l’agriculture, dans les localités les plus convenables, de taureaux et de mères-vaches des meilleures races connues sous le rapport de la production du lait et sous celui de l’engraissement, soit encore dans la promulgation de mesures légales pour interdire ces prétendus guérisseurs qui usurpent la confiance des cultivateurs crédules, et qui compromettent ainsi la conservation d’animaux si précieux, partie essentielle de la fortune publique et privée.