Œuvres de Florian/Fables/4/Don Quichotte

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Œuvres de FlorianCollection des grands classiques français et étrangers (p. 145-147).


Don Quichotte.


Contraint de renoncer à la chevalerie,
Don Quichotte voulut, pour se dédommager,
Mener une plus douce vie,
’ Et choisit l’état de berger.
Le voilà donc qui prend panetière et houlette,
Le petit chapeau rond garni d’un ruban vert,
Sous le menton faisant rosette.
Jugez de la grâce et de l’air
De ce nouveau Tircis ! Sur sa rauque musette
Il s’essaie à charmer l’écho de ces cantons,
Achète au boucher deux moutons,
Prend un roquet galeux, et, dans cet équipage,
Par l’hiver le plus froid qu’on eût vu de longtemps,
Dispersant son troupeau sur les rives du Tage,
Au milieu de la neige il chante le printemps.
Point de mal jusque-là : chacun, à sa manière,
Est libre d’avoir du plaisir.
Mais il vint à passer une grosse vachère ;
Et le pasteur, pressé d’un amoureux désir,
Court et tombe à ses pieds : belle Timarette !
Dit-il, toi que l’on voit parmi tes jeunes sœurs
Comme le lis parmi les fleurs,
Cher et cruel objet de ma flamme secrète,
Abandonne un moment les soins de tes agneaux,
Viens voir un nid de tourtereaux
Que j’ai découvert sur ce chêne.
Je veux te le donner : hélas ! c’est tout mon bien.
Ils sont blancs : leur couleur, Timarette, est la tienne ;
Mais, par malheur pour moi, leur cœur n’est pas le tien.

A ce discours, la Timarette,
Dont le vrai nom était Fanchon,
Ouvre une large bouche, et, d’un œil fixe et bêle,
Contemple le vieux Céladon ;
Quand un valet de ferme, amoureux de la belle,
Paraissant tout à coup, tombe à coups de bâton
Sur le berger tendre et fidèle,
Et vous l’étend sur le gazon.
Don Quichotte criait : Arrête,
Pasteur ignorant et brutal :
Ne sais-tu pas nos lois ? Le cœur de Timarette
Doit devenir le prix d’un combat pastoral ;
Chante et ne frappe pas. Vainement il l’implore ;
L’autre frappait toujours, et frapperait encore
Si l’on n’était venu secourir le berger,
Et l’arracher à sa furie.
Ainsi, guérir d’une folie,
Bien souvent ce n’est qu’en changer.