Documents obtenus des archives du Département de la marine et des colonies à Paris, par l'entremise de M. Faribault, lors de son voyage en Europe en 1851


DOCUMENTS


OBTENUS DES ARCHIVES DU DÉPARTEMENT DE LA MARINE ET DES COLONIES À PARIS, PAR L’ENTREMISE DE M. FARIBAULT, LORS DE SON VOYAGE EN EUROPE EN 1851.

[ 5 mai 1719. ]


SEIGNEURIES DU CANADA.

Pour estre porté au Conseil de Régence.

Le Conseil croit qu’il faut rendre un arrest suivant que le Sr. Begon le propose.
L. A. B.
L. M. D.
M. Bégon a marqué l’année dernière que, dans les contrats de concessions que les personnes qui ont des seigneuries en Canada donnent à ceux à qui ils concèdent des terres, ils y mettent plusieurs servitudes contraires à la coutume et à l’établissement de la colonie.

Telles sont, les corvées que les seigneurs exigent, outre une rente foncière pour la commune qui sert de pacage aux bestiaux.

D’autres seigneurs ont repris cette commune, après le défrichement qu’en avaient fait quelques habitants, pour la vendre à d’autres.

Ils établissent encore des corvées dont la coutume ne parle point.

Ils se réservent la faculté de rentrer dans les terres qu’ils ont concédées toutes les fois qu’elles seront vendues, en remboursant l’acquereur ; ce qui est aussy contraire à la Coutume de Paris, à laquelle ils déclarent qu’ils dérogent en ce point pour suivre celle de Normandie. Il a marqué qu’il croyait à propos d’ordonner que cette clause demeurera sans exécution à l’égard des contrats où elle se trouve, et de deffendre de l’insérer dans ceux qui seront faits à l’avenir.

Quelques uns de ces seigneurs se réservent dans chaque concession la liberté de prendre, sans payer, le bois nécessaire pour leur maison ou autres ouvrages et pour leur chauffage ; d’autres la préférence des bois à vendre.

D’autres accordent à leurs habitans la permission de couper des pins dans les terres qu’ils n’ont pas encore concédées, à la charge de leur payer le dixième des planches qu’ils tireront de ces pins ; ce qui fait qu’ils ne concèdent point ces terres.

Lorsqu’ils les concèdent, ils se réservent tous les pins et tous les bois de chesne sans en rien payer à ces habitans, ce qui rend ces seigneurs les maîtres d’exiger le prix qu’ils veulent mettre aux chesnes ; de sorte, qu’ils les vendent très cher, ce qui est préjudiciable aux constructions et empêche le commerce que l’on ferait de ces bois pour les Isles, ou pour France, s’ils étaient à bon marché.

Ces seigneurs retirent aussi le XIe poisson que leurs habitans peschent sur le front de leurs concessions.

Ils les assujetissent au droit de moulin banal, ce qui ne convient pas à la colonie où la multiplicité des moulins ne peut être qu’avantageuse.

Sur quoy, le Conseil a décidé le 12 mai 1716, qu’il falait suivre la Coutume de Paris, et déclarer comme nuls tous les actes faits contre cette Coutume, à moins que, lors de l’établissement de la Coutume de Paris en Canada, le Roy, n’ait fait une exception pour les concessions précédemment faites suivant d’autres Coutumes ; c’est ce que le Conseil a ordonné de vérifier, afin qu’il puisse donner sur cela une décision précise.

Il a esté écrit, en conformité de cette décision, à M. Begon pour faire la vérification ordonnée.

Il marque par sa lettre du 14e octobre 1716 qu’il parait, que la première Compagnie de la Nouvelle-France formée en 1628, a concédé des terres en fief, spécialement l’Isle de Montréal, à condition que les droits et la foy et hommage lui seraient faits et payés suivant la Coutume de Paris ; et par l’article 33 de l’édit d’établissement de la nouvelle Compagnie formée en 1664, sous le nom de Compagnie des Indes Occidentales, le Roy a ordonné que les juges établis en tous les dits lieux seraient tenus de juger suivant les loix et ordonnances du royaume, et les officiers de suivre et se conformer à la Coutume de la prevoté et vicomté de Paris, suivant laquelle les habitans pourraient contracter, sans que l’on y puisse introduire aucune autre Coutume pour éviter la diversité.

Il envoye copie de cet article auquel le Roy n’a point dérogé ; et puisque l’intention du Conseil est, que les clauses insérées dans les actes de concession contre la disposition de la Coutume de Paris soient déclarées nulles, il est nécessaire que Sa Majesté rende un arrest qui l’ordonne ainsy.

Fait et arresté par le Conseil de Marine le 9e may 1717.


(Signée de leurs mains) L. A. DE BOURBON,
LE MARÉCHAL D’ESTRÉES,
Par le Conseil,xx
(Signé) LACHAPELLE


Mrs. de Peauharnais et Hocquart.

10 octobre 1730.


Monseigneur,


Dans le séjour que nous avons fait à Montréal, plusieurs particuliers se sont plaint que les seigneurs leur refusaient des concessions dans leurs seigneuries, sous différens prétextes, quoiqu’ils soient obligés par l’arrest du Conseil d’État du mois de juillet 1711, de donner aux habitants celles qu’ils leur demanderont, et en cas de refus qu’ils puissent se pourvoir par devant les gouverneur et intendant du pays, auxquels Sa Majesté ordonne de concéder aux d. habitants les terres par eux demandées. Nous avons l’honneur de vous rendre compte, Monseigneur, qu’à cette occasion il s’est glissé jusqu’à présent plusieurs abus, tant de la part des seigneurs, que de celle des habitants, et qui sont également contraires aux arrests du Conseil d’État de 1711, et à l’établissement de la colonie. Il est arrivé que, quelques seigneurs se sont réservés des domaines considérables dans leurs seigneuries, et que sous prétexte de possession de leur domaine ils refusent de concéder les terres qui leur sont demandées dans le d. domaine et se croyent fondés à les pouvoir vendre, et les ont vendues en effet. Nous avons reconnû aussi, que dans les partages des seigneuries entre cohéritiers, ceux d’entre eux qui n’ont pas le droit de justice ni le principal manoir ne se regardent plus comme seigneurs de fief, refusent de concéder aux habitants les terres qui leur sont demandées dans leur partages, et croyent n’estre point dans le cas de l’arrest du Conseil qui oblige les seigneurs de concéder, et au contraire se croyent en droit de vendre les concessions qu’ils accordent.

Il se trouve un autre inconvénient de la part des habitans, lesquels étant en droit d’exiger des concessions de la part des seigneurs, après en avoir obtenû, les vendent à d’autres dans un petit espace de tems ; ce qui fait une sorte d’agiot et de commerce dans le pays, préjudiciable à la colonie, sans aucune augmentation pour le défrichement et la culture des terres, et entretient la paresse des habitans : à quoy les seigneurs ne s’opposent point, parcequ’ils retirent des lods et ventes de ces concessions ; de cette façon, plusieurs concessionnaires ne tiennent point feu et lieu, et les seigneurs s’embarassent peu de les faire réunir à leur domaine, et s’ils en demandent la réunion, ceux qui sont en possession ne peuvent répéter les sommes qu’ils ont données en payement.

Nous estimons, Monseigneur, qu’en maintenant les arrêts du Conseil d’État de 1711, il conviendrait d’en faire rendre un qui déffendist aux seigneurs, et à tous autres propriétaires, de vendre aucune terre en bois debout, sous quelque prétexte que ce pust estre, à peine contre les seigneurs et propriétaires des d. terres ainsi vendues de nullité des contrats, de restitution du prix de la vente, et d’estre déchus de tous droits et propriété qu’ils auraient pu prétendre sur les d. terres qui seraient de plein droit réunies au domaine du Roy, et de nouveau concédées, en son nom, par nous.

Il est vray en général que les seigneurs concèdent les terres ou paraissent les concéder gratis, mais ceux qui éludent la disposition de l’arrest du Conseil ont besoin de s’en faire payer la valeur, sans en faire mention dans les contrats, ou d’en faire passer des obligations aux concessionnaires sous prétextes de sommes qui leur sont dues d’ailleurs, ou de quelques petits défrichements de terre sans culture, ou de prairies naturelles qui s’y rencontrent.

Si M. Hocquart avait voulu prononcer sur toutes les contestations concernant les abus que nous avons l’honneur de vous exposer, il aurait troublé plusieurs familles et donné occasion à beaucoup de procès. Il a crû, que les concessionnaires n’ayant point profité des dispositions des arrêts du Conseil qui leur sont favorables, c’avait esté leur pure faute d’avoir donné des sommes pour les concessions qu’ils ont eues, et qu’il n’y avait pas lieu à restitution suivant la maxime du droit… Volenti non fit injuria.

Nous croyons, Monseigneur, qu’il convient au repos des seigneurs et des habitants de laisser subsister les choses comme elles se sont passées, en attendant l’arrest du Conseil que nous avons l’honneur de vous demander, et ne rien changer à ce qui s’est pratiqué jusqu’à présent. Il nous paraîtrait cependant juste que, dans le cas où il se trouverait des défrichements et des prairies naturelles, les seigneurs pussent en profiter, et que dans les concessions qu’ils donneraient l’étendue des d. défrichements et prairies fust marquée, ainsi que les sommes qu’ils recevraient des d. concessionnaires.

Les terres en bois debout commencent à estre prisées dans cette colonie, parce qu’actuellement les concessionnaires des devantures manquent de bois, et qu’ils sont dans la nécessité de demander de nouvelles concessions dans le troisième ou le quatrième rang, pour se pourvoir de ce seul besoin. La plus part des habitants ne sont guère instruits des dispositions des arrêts du Conseil qui les regardent sur le fait en question. M. Hocquart en a fait instruire quelques uns des principaux, sans les faire publier de nouveau. Il se réserve à le faire suivant les ordres que nous recevrons de vous, Monseigneur, l’année prochaine.


Nous sommes avec un très profond respect,
Monseigneur,
Vos très humbles et très obéissants serviteurs,
(Signé)xxxxxxBEAUHARNAIS,
HOCQUART.


À Québec, le 3 Sbre. 1731.


Mgr.,


Par la lettre que vous nous avez fait l’honneur de nous escrire le 24e avril dr. sur les abus dont nous vous informions au sujet des concessions des L. Com
Concerne les seigneuries et concessions et papier terrier.
terres en Canada, nous voyons que Sa Majesté a suspendu à rendre un arrest, jusqu’à ce que vous eussiez notre réponse et notre avis, et vous recommandez fortement à M. Hocquart de faire achever le papier terrier, attendu que l’examen de cet ouvrage peut seul faire prendre des arrangements certains sur cela.

M. Hocquart a toujours senti de quelle importance il est que le papier terrier soit fait pour en tirer toutes les lumières nécessaires aux réglements que cela demande ; mais, il ne dépend pas de lui que cet ouvrage aille plus vite.

Ce sont les communautés qui empeschent principalement de l’accélérer par le peu d’empressement qu’elles affectent à se mettre en règle. Cependant, M. Hocquart est parvenu à faire fournir par le Séminaire de Montréal l’aveu et dénombrement des terres qu’il possède en Canada. Il y a lieu d’espérer que les Jésuites, le Séminaire de Québec et autres communautés ne reculeront plus, car jusques ici les uns et les autres semblaient se défendre de faire les premiers leurs déclarations.

Nous attendrons nous mêmes la fin du papier terrier pour estre plus en état de donner, à la réponse et à l’avis que Sa Majesté souhaite de nous, la justesse et la précision convenables ; nous aurons seulement l’honneur de vous observer pour le présent, qu’une partie des abus dont nous parlons dans notre lettre du 10 octobre 1730, paraîtrait susceptible de réformation, dès aujourd’huy, sans qu’il fut absolument besoin de consulter le papier terrier. Nous n’avions point cru par cette raison devoir différer à vous en instruire, quoique ce papier terrier soit encore imparfait : telles sont par exemple, les ventes que quelques seigneurs se mettent sur le pied de faire de leurs terres, quoiqu’elles soient entièrement en bois debout, au lieu de les concéder simplement a raison d’un sol du cens par arpent, et un chapon par chaque arpent de front : ventes que quelques seigneurs cherchent à colorer ou à déguiser sous différents prétextes, et par différentes voyes détaillées dans notre d. lettre. Tel est encore le trafic des billets de concession que notre même lettre explique. Mais, Sa Majesté a entendu vraisemblablement statuer sur le tout par un seul et même réglement, et n’estime pas à propos d’en faire un séparé sur ces sortes de ventes.

Cependant, s’il plaist à Sa Majesté d’ordonner de nouveau la publication des arrêts de 1711, de défendre à tous particuliers de vendre des terres en bois debout à peine de nullité des contrats, et de restitution du prix, et de donner un nouveau délay d’un an ou deux aux propriétaires des seigneuries non encore défrichées, pour les établir ou faire établir, nous estimons, Mgr., indépendamment du papier terrier, que ces ordres remédieraient en partie, s’ils ne le faisaient pas totalement, aux abus dont nous avons eu l’honneur de vous rendre compte. À l’égard des concessions accordées par les seigneurs aux habitants, M. Hocquart s’est conformé jusqu’à présent à l’arrest du 16 juillet 1711, et a prononcé, depuis qu’il est en Canada, la réunion de plus de 200 concessions au domaine des seigneurs faute par les concessionnaires d’y avoir tenu feu et lieu.

Il a cependant pris sur luy de donner un délay de 6 mois, ou d’un an, à ces concessionnaires pour leur oster tout sujet de plainte avant d’en venir à la réunion. Ce délay en a mis plusieurs en règle et les a engagé à establir leurs terres pour se mettre à couvert de la peine portée par l’arrest du Conseil d’État du mois de juillet 1711.


Nous sommes, etc.,
(Signée) BEAUHARNAIS, et
HOCQUART.
10 novembre 1707,


Mr. Raudot, père.


Monseigneur,


L’esprit d’affaires qui a toujours, comme vous savez, beaucoup plus de subtilité et de chicane, qu’il n’a de vérité et de droiture, a commencé à s’introduire ici depuis quelque temps et augmente tous les jours par ses deux mauvais endroits. Si l’on pouvait les retrancher, cet esprit pourrait être bon pour l’avenir ; quoique la simplicité dans laquelle on y vivait autrefois fût encore meilleure. Mais pour régler le passé, il n’y a rien à mon sens de plus pernicieux que cet esprit et de plus contraire au repos et à la tranquillité qu’il faut donner aux peuples d’une colonie, laquelle ne se soutient et ne s’augmente que par le travail de ses habitants, auxquels il ne faut pas donner les occasions de s’en détourner, Comme il n’y a presque rien dans le commerce qu’ils ont entr’eux qui se soit fait dans les règles, les notaires, les huissiers, les juges mêmes ayant quasi tous été ignorants, particulièrement ceux qui ont formé cette colonie, ayant la plupart travaillé sur leurs terres, sans une sureté valable de ceux qui les concédaient, il n’y a point de propriété sur laquelle on ne puisse former un trouble, point de partage sur lequel on ne puisse revenir, point de veuve qu’on ne puisse attaquer pour la rendre commune, point de tuteurs auxquels on ne puisse faire un procès pour les comptes qu’ils ont rendus à leurs mineurs. Ce n’est pas que tout ne se soit fait souvent dans la bonne foi, mais l’ignorance et le peu de règles qu’on a observées dans toutes ces affaires a produit tous ces désordres, lesquels en causeraient encore de plus grands si l’on souffrait ceux qui pourraient se prévaloir de cet esprit, ou de leur chef ou par le conseil des autres intentassent des procès sur ce sujet. Il y aurait plus de procès dans ce pays qu’il n’y a de personnes. Et comme les juges sont obligés de juger suivant les règles, dont ils commencent à avoir quelque teinture, en les appliquant à des affaires où l’ignorance a fait qu’on n’en à point observé, ils seraient obligés de faire mille injustices, ce que j’aurais cru faire moi-même, Monseigneur, si je m’y étais entièrement assujéti dans plusieurs procès qui sont venus pardevant moi.

Par toutes ces raisons, Monseigneur, je crois que vous ne pourriez pas faire un plus grand bien aux habitants de ce pays que d’obtenir pour eux de S. M. une déclaration qui assurât la propriété des terres dans toutes les consistances et suivant les lignes qui ont été tirées à ceux qui en sont en possession depuis cinq ans où par le travail qu’ils ont fait dessus où en vertu d’un titre, tel qu’il soit, qui validât aussi tous les partages qui ont été faits jusqu’à présent, qui fit défense d’intenter aucun procès au sujet des comptes de tutelle et des renonciations que les femmes ont dû faire à la communauté de leurs maris, et qui fit défense aux juges de recevoir les parties à plaider sur ces matières. Enfin, Monseigneur, une déclaration qui validât tous les décrets qui sont intervenus et tous les autres actes et contrats qui ont été passés jusqu’à présent et les droits que les particuliers ont acquis les uns contre les autres, excepté dans les matières odieuses, comme les actes et contrats où il y aurait de l’usure, du dol, de la fraude, et les possessions où il y aurait de la violence ou de l’autorité.

Ce n’est que par là, Monseigneur, que vous pouvez mettre la paix et la tranquillité dans ce pays, lequel sans cette précaution si juste, sera toujours malheureux et hors d’état de pouvoir augmenter, ses habitants qui devraient être occupés à cultiver leurs terres étant obligés de les quitter tous les jours pour soutenir souvent de mauvais procès ; je connais ce mal, Monseigneur, par toutes les affaires qui viennent continuellement pardevant moi et dont on peut vous dire que j’ai été accablé depuis que j’y suis, parce que ces pauvres habitants me trouvant d’un accès facile et n’étant point obligés de mettre la main à la bourse pour plaider, il n’y a guère de jour que je n’aie rendu plusieurs ordonnances sur toutes les affaires qui se sont faites entr’eux avant que j’y arrivasse ; il y en a même qui craignant les procès, viennent m’en demander pour empêcher ceux qu’on pourrait leur faire à l’avenir, l’ignorance où ils sont leur faisant craindre les moindres menaces qui leur sont faites sur ce sujet par d’autres aussi ignorants qu’eux.

J’ai eu l’honneur de vous dire, Monseigneur, que si S. Majesté leur donne la déclaration que j’ai l’honneur de vous demander pour eux, il est nécessaire pour assurer la propriété des terres à ceux qui les possèdent, d’y insérer en vertu d’un titre tel qu’il soit, en y ajoutant même, quand il n’y aurait que la simple possession, parce qu’on n’a pas observé ici beaucoup de formalités dans les concessions qu’on a faites, Plusieurs habitants ont travaillé sur la parole des seigneurs, d’autres sur de simples billets qui n’exprimaient point les charges de la concession. Il est arrivé de là un grand abus qui est que ces habitants qui avaient travaillé sans un titre valable, ont été assujétis à des rentes et à des droits fort onéreux, les seigneurs ne leur voulant donner des contrats qu’à ces conditions, lesquelles ils étaient obligés d’accepter, parce que sans cela ils auraient perdu leurs travaux ; cela fait que quasi dans toutes les seigneuries les droits sont différents : les uns paient d’une façon, les autres d’une autre, suivant les différents caractères des seigneurs qui les ont concédés. Ils ont introduit même presque dans tous les contrats, un retrait roturier dont il n’est point parlé dans la Coutume de Paris, qui est néanmoins celle qui est observée dans ce pays, en stipulant que le seigneur, à chaque vente, pourrait retirer les terres qu’il donne en roture pour le même prix qu’elles seraient vendues, et ils ont abusé par là du retrait conditionnel dont il est parlé dans cette Coutume, qui est quelquefois stipulé dans les contrats de vente où le vendeur se réserve la faculté de réméré, mais il ne se trouve point établi du seigneur au tenancier ; cette préférence, Monseigneur, gène mal à propos toutes les ventes,

Il y a des concessions où les chapons qu’on paie aux seigneurs, leur sont payés ou en nature où en argent au choix du seigneur ; ces chapons sont évalués à 30 sous et les chapons ne valent que 10 sous ; les seigneurs obligent leurs tenanciers de leur donner de l’argent, ce qui les incommode fort, parce que souvent ils en manquent, car quoique 30 sous paraissent peu de chose, c’est beaucoup dans ce pays où l’argent est très rare, outre qu’il me semble que dans toutes les redevances, quand il y a un choix, il est toujours au profit du redevable, l’argent étant une espèce de peine contre lui quand il n’est pas en état de payer en nature.

Les seigneurs ont encore introduit dans leurs concessions le droit de four banal dont les habitants ne peuvent jamais profiter parce que les habitations étant fort éloignées de la maison du seigneur, où doit être établi ce four, lequel même ne peut pas l’être dans un endroit plus commode pour eux, dans quelque lieu qu’on le mit, parce que les habitations sont fort éloignées les unes des autres, il ne leur est et ne leur serait pas possible d’y porter leur pâte dans toutes sortes de maisons ; en hiver même, elle serait gelée avant qu’elle y fût arrivée : les seigneurs même se trouvent si mal fondés dans ce droit à cause de cette impossibilité qu’ils ne l’exigent pas présentement, mais ils s’en feront un titre à l’avenir pour y contraindre leurs habitants ou les forcer à s’en racheter moyennant une grosse redevance, et par là, avoir un droit dont les habitants ne tireront aucun profit ; cela s’appelle, monseigneur, se donner un titre pour les vexer à l’avenir.

Il y a encore un avantage qui est, à ce que je crois, contre les intentions de S. M. que quelques seigneurs ont pris sur leurs habitants ; pour vous le faire entendre, monseigneur, il est nécessaire que j’aie l’honneur de vous faire observer que les Normands étant venus les premiers dans ce pays, ils y établirent d’abord la Coutume du Vexin, comme cette coutume ne les accommodait pas, par rapport à la mouvance dans laquelle ils étaient de S. M. ils ont demandé dans la suite d’être soumis à la Coutume de Paris, pour ce qui regarde la dite mouvance, ayant conservé la Coutume du Vexin contre leurs vassaux et leurs tenanciers, parce qu’elle leur est plus avantageuse, il me semble que ce serait encore un article sujet à réformation en les obligeant à suivre la Coutume de Paris à leur égard, comme ils font à l’égard de Sa Majesté.

Je croirais donc, monseigneur, sous votre bon plaisir, que pour mettre les choses dans une espèce d’uniformité et faire aux habitants la justice que les seigneurs ne leur ont point faite jusqu’à présent, et les empêcher de leur faire dans la suite les vexations auxquelles ils seront sans doute exposés, qu’il serait nécessaire que Sa Majesté donnât une déclaration qui réformât et qui réglât même pour l’avenir tous les droits et rentes que les seigneurs se sont donnés et qu’ils se donneront dans la suite, et que S. M. ordonnât qu’ils prissent seulement par chaque arpent de ce que contiendraient les concessions un sol de rente et un chapon par chaque arpent de front, ou 20 sous au choix du redevable ; qu’on supprimât la clause de préférence que le seigneur se donne dans les ventes pour les héritages roturiers ; qu’on supprimât aussi le droit de four banal ; que dans les endroits où il y a de la pêche, qu’on réduisit les droits du seigneur au 10e purement et simplement sans autres conditions ; qu’on conservât aux seigneurs le droit de banalité en faisant bâtir un moulin dans leurs seigneuries dans un an, sinon qu’on les déclarât déchus de leurs droits, sans que les habitants fussent obligés, lorsqu’il y en aurait un de bâti, d’y aller faire moudre leurs grains, sans cela, monseigneur, on ne viendra jamais à bout de leur faire bâtir des moulins, de la privation desquels les habitants souffrent beaucoup, n’étant pas en état, à cause de leur peu de moyens, de profiter de la grâce que S. M. leur a faite, en leur accordant la permission d’en bâtir en cas que les seigneurs ne le fissent dans un an.

Cela leur a été accordé en l’année 1686, par un arrêt qui a été enregistré au conseil de ce pays, mais l’arrêt d’enregistrement n’ayant pas été envoyé aux justices subalternes pour être publié, ces peuples n’ont pu jouir de cette grâce jusqu’à présent et il ne l’a été que depuis que je suis ici, en ayant eu connaissance par un procès qui a été jugé depuis peu, dans lequel cet arrêt était produit et dont une des parties du procès n’a pas pu tirer avantage, parce qu’il était demeuré sans publication, on n’en peut imputer la faute qu’au Sieur D’Auteuil, lequel, en qualité de procureur-général de ce conseil, est chargé d’envoyer les arrêts de cette qualité dans les sièges subalternes ; mais il était de son intérêt comme seigneur et aussi de l’intérêt de quelques conseillers, aussi seigneurs, de ne pas faire connaître le dit arrêt.

Voilà, monseigneur, comme le roi est obéi dans ce pays, dans lequel je puis vous dire que si on n’y tenait pas continuellement la main, les intérêts de S. M. et ceux du public seraient toujours sacrifiés aux intérêts des particuliers.

Relu,
P. M.





Lettre de Mr. de Pontchartrain à Mr. Raudot, Père,
Du 13 juin 1708,


J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite le 10 du mois de novembre, concernant l’état de la justice en Canada.

J’ai vu avec beaucoup de peine le peu de règle que l’on a observé dans tout ce qui s’est fait jusqu’à présent et l’embarras où les habitants se trouveraient si l’on revenait contre les actes et contrats qui se sont passés par les défauts de formalités, qu’il y a. J’examinerai la proposition que vous faites de confirmer par un arrêt général tous ceux qui possèdent des terres et qui les cultivent depuis cinq ans, en vertu d’un titre tel qu’il soit ; mais comme il ne se pourra rien faire sur cela que pour l’année prochaine, examinez encore cette matière et envoyez-moi un mémoire de tout ce que vous estimez devoir être inséré dans cet arrêt.

Il serait fort à désirer qu’on pût réduire les droits seigneuriaux dans toute l’étendue du Canada sur le même pied. Voyez ce qui se pourrait faire pour cela et rendez-m’en compte en observant que dès que l’on se conforme à la Coutume de Paris, il ne faut point admettre le retrait roturier. Je serais aussi d’avis qu’on n’admît pas aussi le lignager et même le féodal, à moins qu’il n’eût été stipulé par la concession du fief.

À l’égard des redevances que l’on paie aux seigneurs, l’évaluation dont on se plaint ne doit être qu’en cas que l’espèce manque, à moins que dans la concession il ne soit dit au choix du seigneur ; mais je serais d’avis d’abolir ces redevances parce que c’est matière à vexation. Je verrai ce qui se pourra faire sur cela et je vous en informerai. À l’égard aussi des fours bannaux, il n’y a qu’à se conformer à l’arrêt qui a été rendu en l’année 1686 qui a statué sur cela et le suivre.

Je suis fort de votre avis au sujet des différents degrés de jurisdiction où les habitants du Canada sont obligés de plaider, mais comme il ne me paraît pas possible de supprimer les prévôtés, par les plaintes que cela attirerait, je serais d’avis que ces prévôtés pussent juger en dernier ressort jusqu’à une certaine somme et que quand elle sera au dessus, l’appel des justices des seigneurs pût se faire directement au conseil supérieurs

Envoyez-moi un mémoire de ce qui se pourrait faire sur cela avec votre avis.

Relu,
P. M.

Lettre de Mr. de Pontchartrain à Mr. Deshaguais, à Fontainebleau,


Le 10 juillet 1708,


Mr. de la Touche m’a remis, monsieur, en partant de Versailles, une lettre de Mr. Raudot concernant la justice qu’il rend en Canada, avec le mémoire des observations que vous avez faites sur chacun des articles. J’ai fait réponse au dit Sieur Raudot en conformité de ces observations et je lui ai marqué que je proposerais au Roi de rendre une déclaration pour fixer les droits des seigneurs des paroisses de ce pays qui ont concédé des terres à des habitants tant pour le passé que pour l’avenir à un sou de rente et un chapon par chaque arpent de terre de front ou vingt sous au choix du redevable suivant votre avis. Je vous prie de projeter cette déclaration de concert avec Mr. D’Aguesseau comme vous le proposez.

Voici une lettre que je lui écris pour le prier d’y travailler à son loisir parce que je compte que les vaisseaux du Canada sont à présent partis et qu’ainsi nous ne pourrons envoyer cette déclaration que l’année prochaine. Je vous renvoye la lettre du dit Sieur Raudot avec votre mémoire d’observations.

Relu,
P. M.

À Mr. Daguesseau,


Même date.


Mr. Raudot, intendant en Canada, m’écrit, monsieur, que les seigneurs des paroisses de ce pays qui ont concédé des terres à des habitants les ont assujétis à tous les drois qu’ils ont voulu qui sont presque tous différents ; qu’il y a dans la plupart de ces concessions des redevances qu’il ne faudrait point souffrir parce que c’est matière à vexation et qu’il serait nécessaire de rendre une déclaration pour fixer les droits et rentes de ces seigneurs, tant pour le passé que pour l’avenir.

J’ai prié Mr. Deshaguais de vous voir et de prendre votre loisir pour pouvoir projeter cette déclaration. Je lui envoye la lettre du dit Sieur Raudot qui vous mettra au fait de ce qu’il écrit sur cela.

Relu,
P. M.





Lettre de Mr. Raudot à Monseigneur.


Québec, 18 octobre 1708.


Monseigneur,


J’ai reçu les trois lettres que vous n’avez fait l’honneur de m’écrire les 6, 13 et 18 juin dernier. J’avais, monseigneur, été obligé pour vous faire entendre ce que j’ai voulu dire lorsque j’ai eu l’honneur de vous demander une déclaration qui assurât la propriété des terres à ceux qui les possédaient qu’on insérât ces mots : « Par un titre tel qu’il soit, » et pour cela j’ai eu l’honneur par ma lettre du 10 novembre dernier de vous expliquer que plusieurs habitants de ce pays ont eu des concessions de terres sur de simples billets. D’autres n’ont pour eux que la possession sur la parole que les seigneurs leur ont donnée. D’autres encore ont perdu ou adhéré les dits billets. Il y a même beaucoup de contrats qui ne se retrouvent plus. La possession même d’une partie de ces terres a été fort interrompue par l’abandon que l’on a été obligé d’en faire à cause de la guerre des Iroquois. Cela fait que les prescriptions établies par la coutume ne peuvent quasi servir à personne, et c’est par ces raisons que je crois qu’il serait nécessaire d’insérer dans la déclaration que j’ai l’honneur de vous demander, que la propriété en demeurerait à celui qui en aurait eu la possession pendant cinq années ou qui la posséderait par tel titre que ce fût.

Il serait aussi nécessaire par rapport aux droits seigneuriaux, pour y mettre une uniformité, de les réduire tous sur le même pied, et pour cela, Monseigneur, j’ai l’honneur de vous envoyer un mémoire contenant les droits que j’ai trouvés dans plusieurs contrats de concessions[1], tous différents, à côté duquel j’ai mis mon avis touchant les diminutions et retranchements qu’on pourrait y faire et je me suis conformé en cela aux premières concessions qui ont été données dans un temps innocent et où l’un ne cherchait pas tant ses avantages, et je crois, Monseigneur, que la justice que l’on doit aux habitants y étant par là gardée, S. M. pourrait dans sa déclaration y insérer ces mots sans s’arrêter aux charges, clauses et conditions portées par leurs titres de concessions, qu’on ne paierait les redevances que suivant ce qui serait porté par la dite déclaration.

Pour le retrait roturier, vous convenez, Monseigneur, avec raison qu’il faut le supprimer dans tous les contrats de concession, et on pourrait en user de même à l’égard du féodal, parce que s’il en est parlé dans la Coutume de Paris, et n’a été que parce qu’on a supposé que les fiefs pour lesquels on le verra faisaient partie de la seigneurie dont ils ont été aliénés et on a voulu par là donner au seigneur le droit de remettre son fief sur le même pied qu’il était anciennement, mais il n’en est pas de même en ce pays. Ici les seigneurs ayant donné les fiefs en même temps qu’ils ont formé leurs seigneuries et on ne peut pas dire que ces fiefs en soient un démembrement.

Pour le retrait lignager, il me paraît que l’on ne peut pas en user de même, ayant été établi par la Coutume pour de bonnes raisons ; au contraire il doit, ce me semble, être favorablement interprété puisque cela perpétue les biens dans les familles, et assure un droit à ceux à qui la nature le donne. Je n’ai demandé, Monseigneur, la suppression des fours bannaux que par l’impossibilité dans laquelle sont ceux qui s’y seront assujétis de profiter de l’obligation dans laquelle on les met d’y aller cuire à cause de l’éloignement dans lequel sont tous les habitants des seigneuries de la maison de leurs seigneurs. Les seigneuries de ce pays ici, n’étant point établies comme en France où quasi tous les habitants sont réunis en villages, les uns proches des autres et à portée d’aller tous cuire au four banal. Ici les habitants des seigneuries, lesquelles ont au moins deux lieues de tour le long du dit fleuve St. Laurent, sont tous établis le long du dit fleuve, ainsi le four banal étant dans la maison du seigneur qui est toujours le centre de la seigneurie, il y a tel habitant qui serait obligé de porter son pain à une lieue et même à deux ou trois de chez lui. Outre l’incommodité que cela leur donnerait en toute sorte de saison, il y a même de l’impossibilité dans l’hiver, puisque leur pâte serait gelée avant d’arriver dans l’endroit où serait le dit four. C’est un droit, Monseigneur, qu’il faut supprimer, les habitants n’en pouvant tirer aucun avantage et les seigneurs ne l’ayant et ne le voulant établir que pour les obliger à s’en rédimer en se soumettant à l’avenir à quelque grosse redevance par rapport à la servitude dont ils se libéreraient. Il n’en est pas de même, Monseigneur, des moulins bannaux, le moulin bannal étant toujours à l’avantage des habitants qui ne sont pas en état d’en construire, et le four bannal à leur désavantage, puisqu’il n’y en a pas un qui n’ait un four dans sa maison et du bois tant qu’ils veulent pour le chauffer.

Relu,
P. M.




Extrait du résumé, pour le travail du Roi, des lettres de MM. Raudot et D’Aigremont,


Des 4 et 7 nov. 1711.


……… Qu’étant bien instruit des prétentions du Sr. de Cabanac, il ne peut pas s’empêcher de dire qu’elles sont mal fondées, puisqu’il ne veut pas s’assujétir au réglement général qui a été fait au Conseil de Québec, touchant les droits honorifiques dûs aux seigneurs, il joint l’arrêt du Conseil Supérieur du 8 juillet 1709, pour ces droits honorifiques, (ici venaient les mots « et pour ceux des seigneurs hauts-justiciers, » qui sont barrés sur la pièce déposée aux archives).

Relu,
P. M.



Extrait de la lettre du Ministre à Monsr. Bégon.
Du 16 juin 1716.


……… Il a examiné ce que vous avez marqué au sujet des concessions données par les seigneurs des paroisses du Canada et de ce qu’ils exigent de leurs concessionnaires, suivant les différentes Coutumes sous lesquelles ils ont concédé. L’intention du Conseil est que l’on suive la Coutume de Paris ; que tous les actes faits contre cette Coutume soient déclarés comme nuls à moins que lors de l’établissement de la Coutume de Paris en Canada, le Roi n’ait fait une exception pour les concessions précédemment faites suivant d’autres Coutumes : c’est ce qu’il est nécessaire que vous vérifiiez et que vous en envoyiez les pièces afin que le Conseil puisse mettre entièrement cette affaire en règle.

Relu,
P. M.




Extrait du Mémoire du Roi à MM. de Vaudreuil et Bégon,
Du 5 juin 1716.


Sa M. n’ayant aucun titre pour établir aucune censive dans l’Île de Montréal, son intention n’est point que le Séminaire de St. Sulpice, seigneur de cette île, soit troublé dans les droits qui lui appartiennent sur les concessions qu’il a faites de plusieurs habitations, et les Sieurs de Vaudreuil et Bégon rendront cette décision publique afin que les habitants de l’île n’aient aucun prétexte de se dispenser de payer les rentes dont ils sont débiteurs envers les propriétaires des dites concessions.

Relu,
P. M.




Extrait du Mémoire du Roi, id., id.,
Du 26 juin 1717.


……… L’attention qu’ils auront à l’exécution de l’arrêt du 6 juillet 1711 qui réunit au domaine du Roi les seigneuries qui ne sont pas habitées et à obliger les seigneurs qui ont des terres à donner dans l’étendue de leurs seigneuries à les concéder est très nécessaire pour l’établissement et l’augmentation de la colonie, ils doivent empêcher que ces seigneurs reçoivent de l’argent pour les terres qu’ils concèdent en bois debout, n’étant pas juste qu’ils vendent le bien sur lequel ils n’ont fait aucune dépense et qui ne leur est donné que pour faire habiter.

Relu,
P. M.



Arrêt pour annuler, dans les actes et contrats de concession faits en Canada, les clauses contraires à la Coutume de Paris et ordonner qu’elle y sera observée à l’avenir.
Mai 1717.


Le Roi étant informé que la Compagnie de la Nouvelle-France, formée en 1628, a concédé des terres en fief, spécialement l’île de Montréal, à condition que la foi et hommage lui seraient faits et les droits payés suivant la Coutume de Paris ; que cette Compagnie qui a possédé ce pays jusqu’en 1663, n’y a point introduit d’autre Coutume, que pour en éviter la diversité, le feu Roi a défendu par l’article 33 de l’édit d’établissement de la nouvelle Compagnie formée en 1664 sous le nom de Compagnie des Indes Occidentales, d’introduire aucune autre Coutume dans les pays accordés à la Compagnie, et ordonné aux officiers des lieux de suivre et se conformer à la Coutume de la prévôté du vicomté de Paris, suivant laquelle ces habitants des dits pays pourraient contracter, que nonobstant la disposition de cet édit plusieurs de ses sujets qui ont des terres en seigneuries dans la Nouvelle-France, imposent dans les contrats de concession des terres qu’ils concèdent dans leurs censives des clauses et servitudes très onéreuses, contraires aux dispositions de la dite Coutume et à l’établissement de la colonie : telles sont les corvées qu’ils stipulent ou exigent, outre une rente foncière pour la commune qui sert de pacage aux bestiaux ; les corvées qu’ils établissent encore à cause des concessions de terres, la faculté qu’ils se réservent de rentrer dans les terres qu’ils ont concédées toutes les fois qu’elles seront vendues en remboursant à l’acquéreur le prix de la vente ; la réserve de pouvoir prendre dans chaque concession, sans rien payer, tout le bois nécessaire pour leurs maisons ou autres ouvrages, ou pour leur chauffage, et d’avoir la préférence des bois, graine, bestiaux ou autres choses que leurs habitants auront à vendre ; la réserve de tous les pins et chênes qui se trouveront sur chaque concession sans en rien payer, ce qui les rend maîtres d’exiger tels prix qu’ils veulent de ces bois, préjudicie aux constructions et empêche le commerce qu’on en pourrait faire pour le royaume et pour les îles, s’ils étaient à bon marché ; la réserve du poisson que leurs habitants pêchent sur le front de leurs concessions et l’obligation qu’ils leur imposent de porter leurs blés moudre aux moulins à vent qu’ils ont sur leurs seigneuries quoique ces moulins ne soient point bannaux par la Coutume de Paris, et que dans une colonie la multiplicité des moulins ne puisse qu’être avantageuse, surtout dans les seigneuries qui sont d’une longue étendue et où il n’y a point de moulin à eau. S. M. étant aussi informée que quelques-uns des dits seigneurs accordent la permission à leurs habitants de couper des pins dans les terres qu’ils n’ont pas encore concédées à la charge de leur payer le 10e des planches, madriers ou bordages qu’ils tirent de ces pins, ce qui préjudicie d’autant à l’établissement de la colonie que pour se conserver ce 10e ils ne concèdent point ces terres ; et étant nécessaire de pourvoir à tous ces abus ;

Ouï le rapport et tout considéré, S. M. étant en son Conseil, de Lévis de Monseigneur le duc d’Orléans, régent, a ordonné et ordonne que le dit article 33 du dit édit d’établissement de la Cie. des Indes Occidentales, du mois de mai 1664, sera exécuté selon sa forme et teneur, ce faisant que les habitants du dit pays de la Nouvelle-France ne pourront contracter que suivant et conformément à la Coutume de Paris ; fait défense d’y en introduire aucune autre ; veut S. M. que toutes les clauses insérées dans les actes et contrats de concession ou autres, contre la disposition de la dite Coutume, soient et demeurent nulles tant pour le passé que pour l’avenir, et en conséquence S. M. a déchargé et décharge les habitants du dit pays envers les dits seigneurs, de toutes corvées pour quelque cause que ce soit, de la réserve du retrait conventionnel et ensuite de la réserve de prendre sans payer aucun bois de quelque nature qu’il soit, de construction ou de chauffage ; de la préférence pour quoi que ce soit de ce qu’ils auront à vendre ; de la réserve du 11e poisson qu’ils pêcheront ; de l’obligation d’aller moudre aux moulins à vent, et de l’exécution de toutes autres clauses contraires à la disposition de la dite Coutume, sans néanmoins que pour raison de ce que les dits habitants se trouveront avoir donné ou payé jusqu’au jour de la publication du présent arrêt, pour servitudes ou clauses contraires à la dite Coutume, ils puissent exercer aucune répétition contre les dits seigneurs ; fait défense S. M. aux seigneurs de donner permission de prendre des bois sur les terres qu’ils n’ont point encore concédées sous la réserve du 10e des planches, madriers ou bordages qui en seront tirés, ou sous telle autre réserve ou condition que ce puisse être ; enjoint S. M. aux dits seigneurs de concéder les dites terres aux habitants qui leur en demanderont sous la redevance ordinaire, sinon permet aux dits habitants de se pourvoir par devant le gouverneur et lieutenant-général de Sa Majesté et l’intendant au dit pays, conformément à l’arrêt de son Conseil du 6 juillet 1711, et sera le présent arrêt enregistré au greffe du Conseil Supérieur de Québec, lu, publié et affiché partout où besoin sera, à ce que personne n’en ignore, à l’effet de quoi toutes lettres nécessaires seront expédiées.



Extrait du mémoire du Roi à MM. de Vaudreuil et Bégon,
Du 23 mai 1719.


……… Sa Majesté a vu le mémoire du Sr. Désjord Moreau, capitaine des troupes, qui demande une concession de terre à titre de fief et de seigneurie avec (sic) tout moyenne et basse justice ; elle se serait portée volontiers à lui accorder cette grâce, mais le grand nombre de seigneuries n’ayant que trop préjudicié à l’établissement du Canada, il y a plusieurs années qu’il fut résolu de n’en plus accorder, S. M. l’a encore expliqué aux Srs. de Vaudreuil et Bégon, par sa dépêche du 15 juin 1716 et son intention n’est point de rien changer. Elle ne veut à l’avenir accorder des concessions qu’en roture. Cependant quoiqu’elle leur ait ordonné de ne les donner que de 3 arpents de front et de 40 de profondeur, dans les bonnes terres, elle trouvera bon qu’ils étendent d’avantage, s’ils le jugent à propos.

Extrait du mémoire du Roi à MM. de Beauharnois et Hocquart, du 25 avril 1730, au sujet des contestations survenues dans la colonie entre les propriétaires de fiefs et les redevables des cens et rentes seigneuriales. — Ordonnance rendue par Mr. Bégon le 21 juin 1723 et celles rendues ensuite par Mr. Dupuy les 16 novembre 1727 et 13 janvier 1728.


……… Sur le compte que j’ai rendu au Roi, tant des dispositions de ces ordonnances qui se contrarient en tout, que des mémoires qui me furent envoyés l’année dernière, de la part des seigneurs de fiefs et de leurs tenanciers, S. M. a jugé nécessaire de rendre sa déclaration ci-jointe en interprétation de l’art. 9 de celle du 5 juillet 1717. Elle ordonne que sans avoir égard aux ordonnances des dits Sieurs Bégon et Dupuy, les cens, rentes, redevances et autres dettes contractées avant l’enrégistrement de la déclaration du dit jour 5 juillet 1717, et où il ne sera point stipulé monnaie de France ou monnaie tournoise ou parisis, seront acquittées avec la monnaie de France à la déduction du quart, qui est la réduction de la monnaie du pays en monnaie de France, et que celles où il sera stipulé monnaie de France ou monnaie tournoise ou parisis, seront acquittées sur le pied de la monnaie de France, sans aucune réduction, vous aurez agréable de la faire publier et enrégistrer et vous tiendrez exactement la main à son exécution.


Lettre du Ministre à MM. de Beauharnois et Hocquart,
Du 24 avril 1731.


J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite le 10 octobre de l’année dernière, au sujet des concessions des titres en Canada et j’en ai rendu compte au Roi. Sa M. a appris avec peine l’inexécution des arrêts du 6 juillet 1711 au sujet de ces terres et les abus qui se commettent en contravention à ces arrêts. Elle se serait déterminée pour faire cesser un désordre aussi préjudiciable à l’établissement de la colonie qu’aux intérêts des habitants et du commerce, à rendre un arrêt pour ordonner l’exécution de ceux du 6 juillet 1711 et déclarer en même temps nulles toutes les concessions des terres en seigneuries et en roture qui n’ont point été confirmées et qui ne sont point en valeur et de vous défendre de concéder des terres jusques à la confection du papier-terrier et jusqu’à ce qu’il en fût autrement ordonné, mais elle a bien voulu suspendre jusqu’à ce que j’aie reçu votre réponse et votre avis sur cela. Ces défenses ont deux objets : le premier de finir l’ouvrage de ce papier-terrier et le second de parvenir à la réserve des forêts pour prévenir la disette des bois dont vous marquez que les concessionnaires des devantures manquent actuellement et aussi pour faire dans la suite dans le pays un domaine à S. M.

Ce ne sera que par l’examen du papier-terrier que l’on pourra avec connaissance de cause et avec utilité établir l’étendue de ces forêts, ainsi Mr. Hocquart ne peut avoir trop d’attention à commencer cet ouvrage qui dure depuis si longtemps.


Extrait du résumé de la lettre de MM. de Beauharnois et Hocquart,
Du 6 octobre 1734.


MM. de Beauharnois et Hocquart envoient un état des différentes concessions qu’ils ont accordées à divers particuliers depuis 1731, tant en fief qu’en censives.

(Cette liste est ci-jointe, on y a marqué par apostille celles qui ont été ratifiées par le Roi.)

La plupart de celles qu’ils ont accordées à titre de fief, sont situées dans le lac Champlain, où les établissements ne se peuvent faire que peu à peu. Il y a cependant déjà quelques habitants dans celles des Sieurs de Noyan, Daine et Léry. Ils engageront les autres à suivre leur exemple.

Celles qui sont en censive, sont situées au Détroit, et déjà presque toutes établies. Les titres qu’ils en ont expédiés, contiennent à peu près les mêmes clauses par rapport aux réserves que les concessions en fief, et les charges sont aussi les mêmes que celles auxquelles les seigneurs particuliers assujétissent ordinairement leurs vassaux, à l’exception de la liberté qui est donnée aux concessionnaires du Détroit de payer au receveur du domaine les cens et rentes en pelleteries, jusqu’à ce qu’il y ait une monnaie établie en ce poste. Ils ont eu égard dans l’expédition de ces concessions aux droits que le Sieur de la Motte Cadillac peut avoir sur une partie du terrain du Détroit, ayant conservé aux particuliers les terrains qu’il leur avait concédés, qu’ils faisaient valoir et dont ils avaient un titre.

Les concessions qu’ils ont faites sont en faveur des autres habitants du Détroit qui ont commencé des défrichements ou qui ont continué d’avancer ceux qui étaient abandonnés et qui leur avaient été successivement distribués par les commandants du poste sans autre titre ni formalité…



Terres en censives au Détroit du Lac Érié.
16 juin 1734.


Sur les représentations qui ont été faites par les habitants du Fort Pontchartrain du Détroit du Lac Érié, à Messieurs de Boishébert, capitaine d’une compagnie du détachement de la marine, ci-devant commandant au dit Fort Pontchartrain, et Péan, chevalier de l’ordre militaire de St. Louis, major des ville et gouvernement de Québec, à présent commandant au dit fort, et dont ils nous ont rendu compte, contenant que jusqu’à présent ils n’avaient osé entreprendre des défrichements, et établir des terres au dit lieu, parcequ’ils n’avaient aucun titre qui pût leur en assurer la propriété ; que s’il nous plaisait leur en accorder, ils seraient non-seulement en état de travailler sans courir risque d’être inquiétés, mais qu’il résulterait de leurs travaux des avantages considérables, en procurant par là dans le dit lieu des vivres en abondance, qui serviraient à faire trouver une subsistance commode, tant à la garnison qu’aux habitants et aux voyageurs, à quoi ayant égard, vû les lettres patentes de S. M. données à Paris au mois d’avril 1716, régistrées au conseil supérieur le premier décembre suivant, l’arrêt du conseil d’état du Roi du 19 mai 1722 ;

Nous avons, au nom de Sa Majesté, donné, accordé et concédé, donnons, accordons et concédons, à titre de cens et rentes, dès maintenant et à toujours à Chauvin, habitant du dit Fort Pontchartrain du Détroit, y demeurant, pour lui, ses hoirs et ayants cause à l’avenir, une concession de terre située sur le Détroit du lac Érié, de la contenance de deux arpents de front sur quarante de profondeur, tenant d’un côté, vers l’Est N. E. à la terre du nommé Faffart DeLorme, qu’il tient du Sr. de la Motte Cadillac par contrat du 10 mars 1707, bornée par la ligne N. N. O. et S. S. E. et d’autre côté à l’O. S. O. aux terres non concédées ; par devant sur le Détroit du Lac Érié et dans la profondeur par une ligne E. N. E. et O. S. O. joignant pareillement les terres non-concédées, pour en jouir, faire et disposer par le dit Chauvin, ses hoirs et ayants cause aux charges, clauses et conditions ci-après, savoir :

Que le dit Chauvin, ses hoirs et ayants cause seront tenus de porter leurs grains moudre au moulin banal, lorsqu’il y en aura d’établi, à peine de confiscation des grains et d’amende arbitraire, d’y tenir ou faire tenir feu et lieu dans un an d’huy au plus tard, découvrir les déserts des voisins à mesure qu’ils en auront besoin, cultiver la dite terre, y souffrir les chemins qui seront jugés nécessaires pour l’utilité publique, faire les clôtures mitoyennes ainsi qu’il sera réglé, et de payer par chacun an au receveur du domaine de S. M. en ce pays, ou au commis du dit receveur qui résidera au Détroit, un sou de cens par chaque arpent de front, et vingt sous de rente pour chaque vingt arpents en superficie, faisant pour les dits deux arpents sur quarante de profondeur quatre livres de rente ; et en outre, un demi minot de bled froment pour les dits deux arpents de front. Le tout payable par chaque année au jour et fête de St. Martin, dont la première année écherra au onze novembre 1735, et continuer d’année en année ; les dits cens portant profit de lods et ventes, défaut et amende, avec tous autres droits royaux et seigneuriaux quand le cas y écherra suivant la Coutume de la prévôté et vicomté de Paris.

Sera cependant loisible au dit Chauvin de payer les dites quatre livres de rente et le sou de cens en pelleteries au prix du Détroit, jusqu’à ce qu’il y ait une monnaie courante d’établie.

Réservant au nom du Roi sur la dite habitation tous les bois dont Sa Majesté aura besoin pour charpente et construction de bâtiments et forts, qu’elle pourra établir par la suite, ainsi que la propriété des mines, minières et minéraux s’il s’en trouve dans l’étendue de la concession.

Et seront le dit Chauvin, ses hoirs et ayant cause, tenus de faire incessamment aligner, mesurer et borner la dite concession dans toute sa largeur et profondeur à ses dépens, et d’exécuter les clauses portées par le présent titre, et de prendre un brevet de confirmation de Sa Majesté dans deux ans, le tout à peine de nullité des présentes.

Fait et donné à Montréal, le 16 juin 1734.

(Signé)xxxxxxBEAUHARNAIS et
HOCQUART.


(Suit une série de concessions dans les mêmes termes.)



Extrait d’un Mémoire au sujet de la Colonie du Canada et de celle qu’on projette de faire dans l’Île Royale.
Du 1er  mars 1716.


En 1675, le Roi afferma le domaine de toutes les colonies à Jean Oudiette, pour la somme de trois cent cinquante mille livres, et dans ce bail sont énoncés tous les droits que le dit fermier devait percevoir, et S. M. le chargea de faire faire un papier-terrier pour régler les droits de cens et lods et ventes que S. M. aura résolu d’établir dans les dites colonies, pour servir de preuve dans tous les temps à venir et de ses droits seigneuriaux et domaniaux, et pour assurer en même temps aux particuliers la propriété incommutable de leurs possessions et héritages : Sa M. se chargea en même temps de payer les gouverneurs et autres officiers de terre et de justice, employés à son service dans les dites colonies ; cette charge était pour lors très médiocre, y ayant peu ou point de troupes ; il n’y en avait aucunes en Canada ; M. de Frontenac y avait été nommé gouverneur par la Compagnie des Indes Occidentales ; S. M. l’y confirma et se contenta d’y ajouter un intendant, ce fut M. Duchesneau qui remplit cette place en l’année 1675.

Cet intendant fit faire aux dépens du fermier du domaine le papier-terrier du Canada et y établit les droits et lod de ventes ; les intendants des Îles de l’Amérique n’eurent pas la même attention, et jusqu’à présent cet ordre du Roi n’a point été exécuté ni à Cayenne ni dans les Îles. C’est un ouvrage qui mérite l’attention du Conseil de la Marine.



  1. Je n’ai pas trouvé ce Mémoire.