Documents nouveaux sur Olivier Cromwell/03

Documents nouveaux sur Olivier Cromwell
Revue des Deux Mondes, période initialetome 13 (p. 878-911).
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DOCUMENS NOUVEAUX


SUR


OLIIER CROMWELL.




CROMWELL CHEF DE LA REPUBLIQUE D'ANGLETERRE.

(1650-1658 – TROISIEME ET DERNIERE PARTIE.)[1]

Letters and Speeches of Oliver Cromwell, with elucidations, etc.,

by Thomas Carlyle. – 2 vol. Londres, 1846.




Après la bataille de Worcester, le calvinisme vainqueur se divisait en deux fractions : les hommes de guerre puritains, Cromwell à leur tête ; les hommes de loi, ayant derrière eux les presbytériens et le parlement.

Le long parlement siégeait toujours. Le vainqueur de Dunbar, de Worcester, de Trédah, c’est-à-dire l’ame puritaine de l’Angleterre, le calvinisme incarné, se trouvait donc en face d’une centaine de parlementaires, qui ne manquaient ni de bravoure, ni de sagacité, ni de talent. Pendant que la destinée s’agitait sur le champ de bataille, ils avaient administré avec vigueur, et l’opinion populaire avait pour eux du respect ; c’étaient les premiers commis de l’état.

Cependant leurs qualités même n’avaient rien de royal, de dominant et de souverain. Godwin le philosophe[2] et récemment M. Forster[3] les ont trop vantés. Nul d’entre eux ne s’élevait à la hauteur de Cromwell, — ni le pesant Bulstrode, rempli d’arguties pédantesques, heureux de sa gravité magistrale et de sa robe de juge ; — ni le vieux avocat Saint-John, « au nez crochu, à la phrase tortue, » fanatique sombre et avare dans sa vieillesse ; — ni le métaphysicien Vane, subtil constructeur de nuages, et portant dans la vie réelle cet amour des abstractions, cette active subtilité d’intelligence qui embarrasse la vie pratique au lieu de la servir ; — ni le plus brillant et le plus puissant d’entre eux, Henri Marten, qui, plaisant à tous et même se faisant craindre, ne pouvait diriger personne ou se faire obéir, faute de dignité, d’aplomb et de sérieux. Il n’était pas sans analogie avec notre Camille Desmoulins ; c’était, pour le dire en passant, un des plus curieux et des plus aimables personnages de cette grave et terrible époque. Poète, homme de sens, de cœur et d’esprit vif, ce petit homme, que les contemporains nous représentent « toujours droit sur les reins et bien serré dans ses habits, » changeait par une saillie et un à-propos le cours des discussions parlementaires ; le feu de ses bons mots a traversé deux siècles sans s’éteindre. L’indomptable railleur avait toujours dans sa poche des chansons contre les royalistes et de belles odes en faveur de la république. Mais comment en faire un roi ? Il n’est pas sérieux.

Ce roi sera Cromwell. Il arrive du champ de bataillé de Worcester le 16 septembre 1651, et trouve un parlement qui, depuis le mois d’avril 1649, devrait ne plus siéger, mais qui a pris un moyen excellent de continuer sa vie, celui de s’assembler tous les mercredis pour ne rien faire, ou, comme le dit Henri Marten, « pour considérer ce qu’il y aurait à faire. » Le peuple, qui n’appelle Cromwell que le général, a pour ce débris de parlement immobile une désignation moins polie, il le nomme le croupion. Afin d’arrêter les mauvais discours, et par l’instigation de Cromwell, l’assemblée décide qu’elle vivra trois ans de plus, et là, pendant trente et un mois, les élémens confusément entassés du puritanisme, de la monarchie et de la démocratie, essaient de se débrouiller, mais en vain. Les hommes d’armes veulent une république avec Cromwell pour chef. Les hommes de loi accepteraient soit Cromwell, soit un fils du roi, avec un gouvernement mixte. Cromwell tient plusieurs conférences, où l’on parle beaucoup, et qui n’aboutissent à rien, selon la coutume ; il ne se déclare ni pour la république, ni contre elle, écartant seulement le nom des Stuarts, et réclamant comme nécessaire un pouvoir fort et centralisé.

Pendant ce temps, les terribles matelots puritains balaient la mer, font respecter le pavillon et enivrent le peuple d’orgueil ; les gens de loi et les commissaires de la république vendent les biens nationaux des royalistes réfractaires, et reçoivent les amendes exigées de tous les gentilshommes qui ont servi le roi Stuart. On abuse fort de ce droit d’exaction ; l’avidité s’en mêle, et, grace à la chicane des hommes de loi, plus d’un honnête bourgeois est confondu avec les royalistes ; on spécule sur la terreur publique ; chacun des membres du croupion reçoit dans la matinée trente ou quarante solliciteurs. C’est alors que les chefs de l’armée, qui sont aussi les meneurs du puritanisme, adressent à Cromwell une pétition contre ce débris d’assemblée, et demandent la régénération totale du gouvernement. Le ton de la prière et celui de la menace se mêlaient dans ce document étrange, qui effraya les parlementaires. « La chose est dangereuse, dit Bulstrode à Cromwell ; prenez-y garde, arrêtez cela. » Cromwell n’arrêta rien, tout au contraire. Cette force militaire, son appui et son instrument, allait détruire à son bénéfice les parleurs des communes. Il chargea leur président Lenthall de remercier les officiers, et Carlyle, qui ne manque jamais une occasion de bouffonnerie, s’arrête pour dire à ce pauvre président : « Votre discours, seigneur, a dû vous faire autant de plaisir qu’un bel âne en éprouve en mangeant des chardons ! »

L’assemblée comprend le mécontentement populaire, prévoit le sort qui lui est réservé, et, après avoir travaillé pendant des mois et des années avec une processionnelle lenteur à l’acte constitutif, elle s’éveille tout à coup, et veut achever ce bill à l’instant même. Il faudrait satisfaire tout le monde ; la chose est difficile. Presbytériens qui voudraient revenir au pouvoir, hommes de loi qui voudraient le garder, officiers puritains qui demandent avant tout le calvinisme pur et l’examen libre, ne s’accordent pas aisément, et le bill qui leur plairait également est une impossible chimère. On ne convient que d’un fait et d’une clause agréables à tous les membres de l’assemblée, c’est que le croupion lui-même, transformé en comité électoral, décidera de la validité des élections, manière ingénieuse de se continuer et de se perpétuer. De nouvelles conférences se tiennent chez Cromwell, et là les officiers, devenus plus véhémens, jurent, à la barbe des membres des communes qui y assistent, que le croupion sera détruit. Le général se tait ; il attend, sachant bien que les choses ne peuvent se décider qu’en sa faveur. Nous sommes au 20 avril 1653.

Le juge Bulstrode, qui, la veille, est rentré chez lui « les larmes aux yeux, » vient chercher le matin Cromwell, qu’il trouve dans son salon, « en habit noir et en bas gris de filoselle, » attendant les parlementaires, qui doivent avoir une nouvelle conférence avec les officiers. Ces membres ne viennent pas ; ils ont résolu de passer leur bill et de lui donner force de loi. Pendant qu’ils se dépêchent de terminer cet acte, qui tuera Cromwell et ses officiers, Cromwell, qui a peine à croire ce qu’on lui rapporte, fait venir une compagnie de mousquetaires de son propre régiment, et s’écrie : « Ce n’est pas honnête ; non, ce n’est pas de l’honnêteté la plus vulgaire ; » et marche droit à la chambre. Elle ne se composait que de cinquante-trois personnes ; on y débattait le bill qui allait passer, quand Cromwell entra et se mit à sa place ordinaire. Cette scène décisive doit aux recherches du nouvel historien quelques faits nouveaux, de peu d’importance.

Après avoir écouté quelque temps le débat, il fit signe à Harrison, qui vint se placer près de lui. Pendant un quart d’heure, il garda le silence ; mais, quand la question suivante fut mise aux voix : « Le bill passera-t-il ? » il fit signe à Harrison, et dit : « Voici le moment ; il le faut, je le ferai. » Puis il se leva, mit son chapeau sur la table, et parla d’abord et assez long-temps en faveur du parlement ; puis, changeant de ton, il lui rappela ses fautes, ses dénis de justice, son égoïsme et toutes ses iniquités ; il s’échauffa jusqu’à la colère et jusqu’à l’injure. Sir Peter Wentworth le rappelle à l’ordre. « Ce langage est étrange, dit-il, inaccoutumé dans les murs du parlement et de la part d’un homme qui avait notre confiance, que nous avons si hautement honoré, d’un homme… — Allons ! allons ! s’écria le général de tous ses poumons, nous en avons assez, je vais finir tout cela, et faire taire les bavards ; » et, s’avançant jusqu’au centre de la chambre, enfonçant son chapeau, frappant du pied le parquet : « Vous ne devez pas siéger ici plus long-temps, vous allez céder la place à de meilleurs hommes ; faites-les entrer ! » Et, sur l’ordre de Harrison, trente mousquetaires, terribles vétérans des guerres civiles, se rangent sur deux lignes et portent les armes. La fureur de Cromwell éclate encore : « Vous vous appelez un parlement ! leur dit-il ; vous n’en êtes pas un ; je le répète, vous n’êtes pas un parlement ; vous avez parmi vous des ivrognes, » — et son regard tombe sur ce pauvre M. Chaloner. — « Vous avez des coureurs de filles, » — et il se tourne vers le petit Henri Marten, qui avait dans son tempérament un peu du faune et du poète. — « Vous avez des corrompus, » - et il regarde Bulstrode ; — « des gens scandaleux, qui font honte à d’Évangile ! Et vous seriez un parlement du peuple de Dieu ! Allez ! partez ! qu’on n’entende plus parler de vous ! au nom de Dieu, allez ! »

Tous les membres se sont levés, et le général, soulevant la masse d’argent qui repose sur la table, symbole sacré du pouvoir des communes : « Que ferons-nous de ce joujou ? Emportez-le ! » - Il le donna à un mousquetaire. Puis, voyant que le président ou orateur Lenthall ne quitte pas son siège : « Faites-le descendre, dit-il à Harrison. Je ne céderai qu’à la force ! Eh bien ! reprend Harrison, je vais vous donner la main ! ’ » - On sait le reste, et ce 18 brumaire a été décrit plusieurs fois avec une exactitude et une similitude de détails qui ne laisse aucun doute sur leur authenticité. On a dit que Cromwell y avait joué la comédie. Je crois tout simplement qu’il était fort en colère de ce qu’on avait voulu le gagner de vitesse et le duper. Cette colère de Cromwell était grande, et je ne puis la croire exagérée ni factice ; ce qui est certain, c’est que les sénateurs disparurent comme un rêve s’efface, qu’on n’entendit plus parler d’eux, que la nation ne prit nullement leur défense. « A leur départ, disait Cromwell en riant de son rire sérieux qui était fort redoutable, je n’entendis pas un chien aboyer ! »

Il se calma dès que cette singulière bataille fut gagnée ; le jour même, le 23 avril 1653, il s’occupait des intérêts locaux de ces marécages dont il avait été « seigneur » dans sa jeunesse, et il traçait de sa main la lettre suivante, que M. Carlyle a retrouvée manuscrite et autographe dans les archives de Sergeant’s Inn à Londres. Il avait fait continuer, dans sa province, ces travaux de desséchement et cette construction de levées (new Bedford level) que les ingénieurs anglais achèvent aujourd’hui et dont nous avons parlé ; il était même entré de ses deniers dans une compagnie d’entrepreneurs (adventurers) chargés de ces travaux. Les propriétaires des terrains adjacens, se trouvant lésés par le mouvement des terres, avaient réclamé des indemnités et un arbitrage que le parlement avait promis et fait attendre ; puis, fatiguées de ces délais, les populations s’étaient ameutées ; elles avaient détruit les tranchées, bouleversé les travaux et dispersé les travailleurs, ce que Cromwell ne voulut pas souffrir. En sortant de la chambre des communes, dont il avait mis « la clé dans sa poche, » il écrivit donc :

A M. Parker, agent de la compagnie des entrepreneurs pour le desséchement des marécages.

« Whitehall, 23 avril 1653.

« MONSIEUR PARKER,

« J’apprends que quelques gens de désordre ont commis de graves dommages dans le comté de Cambridge, du côté de Swaftham et de Botsham, qu’ils ont renversé les travaux commencés par les entrepreneurs, et menacé les ouvriers qu’on emploie de ce côté- là. Je vous prie d’envoyer un de mes régimens avec un capitaine, qui emploiera tous les moyens pour faire rentrer la population dans l’ordre, et qui lui dira que personne ne doit susciter de trouble, que cela ne peut être souffert ; mais que, si les entrepreneurs causent du tort à quelqu’un, plainte doit être portée, qu’alors on prendra les mesures que l’équité réclame, et que justice sera faite. Je reste

« Votre bon ami,

« OLIVIER CROMWELL. »


Aussitôt après, cent quarante lettres de convocation sont adressées aux notables puritains dont Cromwell et ses officiers se croient sûrs, et qui tous, à l’exception de deux seulement, répondent à son appel ; personne ne réclame, tant est réelle l’analogie de ses vues et de celles qui sont le fonds même du calvinisme bourgeois. « On y trouvait, dit Clarendon, des hommes estimés et des propriétaires. » - « Beaucoup d’entre eux, ajoute Bulstrode (un des membres du croupion qui vient de succomber), avaient du savoir et de la fortune. » C’est parmi ces hommes que siégeait le tanneur Barbone, homme opulent, d’une piété sévère, dont le magasin était un des plus achalandés de Fleet-Street ; les mauvais plaisans, défigurant son nom, le nommèrent Barebone (ossement sec), et donnèrent ce sobriquet au parlement dont il faisait partie. D’autres puritains, fort considérables dans leur temps, Ireton l’alderman, Jaffray d’Aberdeen, Swinton d’Édimbourg, le célèbre amiral Blake, le poète biblique Rouse, prévôt d’Éton, et dont les vieux hymnes se chantent encore dans les solitudes d’Écosse, s’y trouvaient à côté d’Ashley Cooper, qui devint lord Shaftshury, de Charles Howard, et du colonel Édouard Montagne, qui, tous trois, firent souche ; les descendans de ces républicains sont aujourd’hui pairs d’Angleterre.

Le parlement Barebone, comme l’histoire l’a nommé par mépris, s’assemble, et ne dure que cinq mois. Incapable de s’accorder, fatigué d’une situation inférieure que domine la volonté de Cromwell, ce parlement se détruit lui-même et demande un roi à grands cris. A cinquante-quatre ans, le fermier puritain, « dont les cheveux châtains tirent sur le gris, » dit Maidstone, mais dont la vigueur n’est pas affaiblie, est installé solennellement comme lord protecteur des trois royaumes. Le premier homme de la nation, le king, koenning, canning, knowing, l’homme qui « peut et qui sait, » est enfin trouvé, et tout se tait, et tout se calme, et tout repose, excepté dans le fond de quelques tavernes obscures, où les débris du mysticisme anarchique se remuent avec une sourde fureur. Soixante ordonnances émanent l’une après l’autre de la chancellerie du protecteur. Des traités de paix sont signés avec les puissances étrangères. La France, même l’Espagne, envoient des ambassades. La Hollande, la Suède, le Danemark, le Portugal, reconnaissent Cromwell. Il quitte « le Poulailler de Henri VIII » et va loger à Whitehall, dans le palais même des Stuarts. C’est à cette époque qu’il adresse à Richard Mayor, qui veut lui faire faire une acquisition avantageuse de propriétés, la lettre suivante :


Pour mon bon frère Richard Mayor, écuyer, à Hursley, dans le Hampshire, cette lettre.

« Whitehall, 4 mai 1654.

« CHER FRÈRE,

« J’ai reçu votre aimable lettre et je vous en remercie. S’il était convenable de poursuivre cette affaire, vous n’en auriez eu que la peine et non la dépense, car vraiment ma terre d’Essex et quelque argent que j’ai entre les mains y auraient été employés.

« Mais, en vérité, j’ai répugnance à courir après les choses du monde, lorsque le Seigneur m’a comblé de tant de faveurs que je n’ai pas demandées, et je répugne à faire penser aux hommes que je cours après ces choses, ce qu’ils ne manqueront pas de croire pour peu que vous vous mêliez de l’affaire (car ils le sauront de manière ou d’autre) ; je répugne tant à cela que, véritablement, je n’ose ni agir en cette chose ni m’en mêler. Ainsi, je vous ai dit ma pensée toute nue. Ma tendre amitié à vous et à ma sœur, mes bénédictions et mon amitié à ma chère Dorothée et à son enfant, mon amitié à tous.

« Je suis votre frère affectionné,

« OLIVIER P. »


Cependant le puritanisme anglais, dont Cromwell tient le gouvernail, suit une route prospère. On procède à la première élection régulière qui ait eu lieu depuis quarante ans. Elle envoie au parlement quatre cents membres, dont trente Écossais, trente Irlandais ; la majorité en est presbytérienne et constitutionnelle. Cromwell, après le serment prêté, vient ouvrir ce parlement. — « Vous êtes réunis, messieurs, dit-il aux communes, pour le plus grand objet dont l’Angleterre ait été témoin. Vous avez sur les épaules les intérêts de trois grandes nations et de tous les domaines qui dépendent d’elles. Et vraiment, je crois pouvoir le dire sans exagération, vous avez sur les épaules l’intérêt du christianisme sur la face du globe… » Ces paroles servent de début à un discours marqué d’un bout à l’autre du même caractère de sagacité, de simplicité et de force. Il réclame des députés la « conservation de l’Angleterre, » d’une part la « sainteté, » de l’autre la « discipline. » Il blâme du même coup et à la fois le presbytéranisme despotique qui imposerait aux consciences une loi uniforme et violente, et le mysticisme anarchique qui livrerait la société aux utopies des rêveurs. C’est en d’autres mots et sous d’autres formes la situation même des temps modernes, où l’ordre essaie de s’asseoir et de se compléter entre l’effervescence des volontés individuelles et l’abus de l’autorité centrale. « Il y avait, dit Cromwell, trop de sévérité et de dureté dans le vieux système (l’uniformité presbytérienne) ; oui, trop de domination en matière de conscience, un esprit peu chrétien dans tous les temps, et qui ne convient nullement à celui-ci. Quoi ! refuser la liberté de conscience à ceux qui l’ont achetée de leur sang, à ceux qui ont acheté la liberté civile et religieuse des gens même qui voudraient les tyranniser ! » Le despotisme presbytérien et l’intolérance une fois écrasés, Cromwell se retourne vers les puritains extrêmes, les anarchistes bibliques, qu’il traite moins rudement ; la plupart sont ses anciens amis : -« Ceci est une erreur plus subtile et plus raffinée, et qui a déçu beaucoup de gens d’intégrité et de mérite, beaucoup de gens sincères… Ils ont des prétentions spiritualistes très hautes ; ils espèrent le règne du Christ sur la terre. Ce règne n’arrivera que lorsque l’esprit saint aura subjugué, vaincu et effacé toute iniquité terrestre, lorsque l’éternelle et complète justice disposera du monde ; alors nous approcherons de cette gloire, mais non auparavant !… Sous ce prétexte, un homme ou plusieurs hommes ont-ils le droit de dire qu’ils sont les seuls propres à faire des lois et à gouverner les nations ? les seuls qui puissent régler la propriété et la liberté ? Cela est insoutenable ! Qu’ils nous apportent donc d’irréfragables preuves de leur mission et des manifestations claires de la volonté de Dieu ! S’ils gardaient leurs idées en eux-mêmes et leurs théories (notions), on les laisserait tranquilles, elles ne pourraient nuire qu’à ceux dont l’esprit les a conçues. Mais que l’on en vienne à la pratique, et que l’on nous dise que la liberté et la propriété ne s’accordent point avec le règne du Christ, qu’il faut abolir la loi, la subvertir, peut-être la remplacer par la loi judaïque, au lieu de nos lois, à nous, que nous connaissons !… non, cela n’est point supportable ! Quand de telles idées veulent régner, il est temps alors que le magistrat s’en mêle. Si de plus on met tout en œuvre pour bouleverser les choses, famille contre famille, mari contre femme, parens contre enfans ; si l’on ne répète que ces mots : Révolutionnez, révolutionnez, révolutionnez (overturn, overturn, overturn)’, oh ! alors, je dis que l’ennemi public veille, et que le magistrat doit s’en mêler ! » Telle est en général l’éloquence publique de Cromwell, pleine de sens et de choses. Pour trouver de telles paroles obscures et équivoques, il faut certes avoir grande envie de ne pas comprendre.

Quand ce discours fut achevé, dit un vieux journal, « les membres du parlement firent hum[4] ! et témoignèrent leur contentement et leur satisfaction par des expressions singulières. » Cette satisfaction mutuelle ne dura pas long-temps. À peine assemblé, le parlement se mit à délibérer ardemment, « de huit heures du matin à huit heures du soir, dit Guibon Goddard, et tous les jours, pour savoir s’il avait raison de siéger, » si le gouvernement appartenait à un seul homme ou à plusieurs, et dans quelles proportions ; ce qui ruinait la base même du protectorat et déplaisait assurément à celui que l’on ébranlait ainsi. Huit jours après l’ouverture de cette chambre, « je voulus, dit un membre (ce même Guibon Goddard, qui a laissé des notes intéressantes), me rendre à Westminster, et je trouvai la porte des communes fermée, des sentinelles devant. — On ne passe pas, me dit-on ; si vous êtes membre, vous pouvez vous rendre à la chambre peinte, où le protecteur va se trouver. — J’y allai. Entre neuf et dix heures, il arriva avec son escorte d’officiers, de hallebardes et de gardes-du-corps, s’assit couvert sous le dais, et parla une heure et demie. »

Nous entrons dans une portion nouvelle du travail de Carlyle, la collation et la reproduction exacte des discours publics tenus par Cromwell, travail excellent qui présente le fermier puritain, chef politique de l’Angleterre, sous une face entièrement nouvelle. Ces discours improvisés, que Cromwell n’a jamais corrigés ni revus, avaient été publiés sans ponctuation, sans exactitude, mêlés d’interpolations et de commentaires ridicules, dont les reporters avaient orné l’original, et complètement défigurés. Carlyle a consulté les registres des communes, les pamphlets de l’époque, les notes manuscrites de quelques membres des divers parlemens du protectorat, et les a restitués avec un très grand soin. Il résulte de ce travail que les circonlocutions ambiguës attribuées à Cromwell ne lui appartiennent nullement.

Ces discours sont fort simples et ne portent aucune trace d’hypocrisie ou de charlatanisme. Il ne dissimule pas son origine ; il n’est qu’un soldat et se regarde comme un soldat de Dieu. Une grande énergie, une clarté parfaite, un besoin ardent et quelquefois extrême de bien faire comprendre et de mettre en relief sa pensée, de fréquentes répétitions de mots, tels en sont les principaux caractères. Il a souvent peine à rendre ce qu’il médite ; on assiste au travail confus d’un esprit qui se cherche, on sent que le métier d’orateur le gêne ; plus l’idée qui le tourmente est profonde, étrange ou élevée, plus les angoisses de cet enfantement se laissent sentir. C’est par une subtilité inadmissible que l’on accuse d’obscurité volontaire les embarras de diction et les périphrases de ce fermier mystique étonné de sa puissance. Un autre genre d’obscurité résulte de l’emploi fervent des paroles bibliques qu’il emprunte surtout à David, Isaïe et Jérémie, et qui donnent aux discours de cet autre Mahomet une couleur tout orientale. Ainsi, dans la salle de Whitehall, le dos à la fenêtre, ayant ses officiers rangés à sa droite et à sa gauche, et devant lui la table au tapis vert entourée des notables puritains qu’il a convoqués, il énumère la série de miracles providentiels dont il a été l’instrument, et entonne tout à coup, comme sur le champ de bataille de Dunbar, le psaume du triomphe : « Oui ! la victoire, s’écrie-t-il, est excessivement grande, et ce que Dieu accomplit est extrêmement haut. La fin de ce psaume frappe à mon cœur, et, j’en suis sûr, aux vôtres : — « Dieu foudroie les montagnes comme les collines, et elles tremblent… Dieu lui-même a sa colline, élevée comme la colline de Bashan, et les chariots de Dieu sont vingt mille et les anges plus de mille, et Dieu demeurera sur cette colline pour toujours ! »

Ensuite il reprend avec sa familiarité d’homme populaire : « Je suis bien fâché de vous en avoir dit si long dans une chambre si étroite, et il fait bien chaud ! » ce qui n’empêche pas les paroles précédentes d’être fort éloquentes, y compris le verset de ce psaume qui « frappe au cœur de Cromwell et de ceux qui l’écoutent. » (It closeth with my heart.)

Quand il veut expliquer son élévation et faire comprendre par quel enchaînement fatal et nécessaire il est parvenu au suprême pouvoir : « Je suis un homme, dit-il (vous le savez ; pour moi, certes, je m’en souviens), qui de mon premier grade ai monté successivement et été porté à des fonctions de confiance plus haute. D’abord capitaine de cavalerie, j’ai travaillé à faire de mon mieux, et Dieu m’a protégé comme il lui a plu. J’ai eu une idée fort simple et ingénue, — que des hommes très grands et très sages, même très honnêtes, ont jugée commune et presque idiote, — l’idée de me faire aider par des instrumens qui eussent les mêmes vues que moi. Je vais vous dire toute la vérité : j’avais alors un ami, homme très estimable, — une très noble personne, — dont la mémoire, j’en suis sûr, est chère à tous, — M. John Hampden. Quand nous commençâmes cette entreprise, je vis que nos hommes étaient partout battus. Je le vis, et je demandai que l’on ajoutât quelques régimens à l’armée de milord Essex ; je lui dis que je pourrais y mettre des hommes qui, selon moi, auraient en eux l’Esprit qu’il fallait pour avancer un peu l’œuvre. C’est très vrai ce que je vous dis ; Dieu sait si c’est vrai ! — « Vos soldats, lui dis-je, sont la plupart de vieux domestiques, des garçons d’auberge et de telles gens ; — et, quant à nos ennemis, ce sont fils de gentilshommes, cadets de famille, hommes de qualité, et croyez-vous que les courages de personnes de ce genre seront de force contre des cavaliers ayant honneur, bravoure et résolution ? » - En vérité, je lui représentai cela selon ma conscience, et je lui dis : — « Il faut que vos hommes aient un Esprit, — ne prenez pas en mal mes paroles, -un Esprit qui aille aussi loin que peuvent aller ces gentilshommes, sans quoi vous serez battus, toujours battus ! » - Réellement, je lui dis cela. C’était un homme prudent et honorable, et il me répondit que j’avais une bonne idée, mais qu’elle était impraticable. Je repris que je pourrais l’y aider tant soit peu, et je le fis. Et en vérité il faut bien que je le dise, — attribuez-le à qui vous voudrez ! — je réussis à enrégimenter des hommes qui avaient la crainte de Dieu devant les yeux et de la conscience dans ce qu’ils faisaient, et depuis ce jour jusqu’à présent ils ne furent jamais battus, mais toujours battans, dès qu’ils se mettaient de la partie ! Et vraiment il y a là de quoi louer Dieu, et cela peut vous apprendre à choisir ceux qui sont religieux et saints. Et il y en a tant, parmi eux, de paisibles, d’honnêtes, prêts à vivre sous un gouvernement réglé, à obéir, aux magistrats et aux autorités, selon la loi de l’Évangile ! De la sainteté ! non, il n’y en a pas, je n’en reconnais pas hors de ce cercle ! Sans l’esprit d’ordre et de discipline, que l’on dise ce que l’on voudra, il n’y a qu’esprit diabolique, démoniaque et qui vient des profondeurs de Satan ! »

Ainsi s’explique Cromwell devant le parlement sur les événemens de sa vie. Rien n’est moins obscur. Il mérite d’être roi, selon lui, et il l’est devenu pour avoir donné une ame à l’armée protestante et créé l’esprit des troupes populaires. Il soutiendra jusqu’à la mort l’ordre et la discipline d’une part, la liberté calviniste de l’autre.

C’est à propos de cette obscurité prétendue des discours tenus par Cromwell et laborieusement improvisés, que Thomas Carlyle s’amuse à comparer en cinq longues pages les labeurs artificieux de la rhétorique et ceux d’une conviction qui se dépêtre lentement au sein d’une diction inexpérimentée et incertaine ; l’étrange commentateur s’écrie « Art du discours ! art du discours ! fantôme rhétorique à deux jambes ! blasphème scandaleux ! avortement de la nature ! va-t’en ! Cède la place à l’intelligibilité, à la véracité de ces paroles, à la splendeur du vrai et à l’héroïque profondeur de cet homme qui parle et qui a quelque chose à dire ! Et toi, singe de la mer morte, rhéteur, ne regarde pas de ton œil louche dans le saint des saints ! Tu ne vas pas jusqu’au fond ! » Quelque jugement que l’on porte sur ce dithyrambe bouffon, il reste prouvé que Cromwell, violent dans l’emploi de sa ruse hardie, était sincère quant à son but, et persuadé de la nécessité fatale de sa mission.

Quant au talent de l’orateur, Cromwell n’a pas la moindre prétention ; il sait ce qui lui manque, il avoue son embarras et son peu d’habileté dans ce genre. « Je n’ai pas étudié, dit-il au parlement, l’art de rhétorique ; je n’ai pas grande liaison avec les rhéteurs ni avec leur marchandise (what they deal with)… des paroles ! — Vrai, messieurs, vrai, notre affaire ici est de parler choses (speah things). La dispensation de Dieu qui est sur nous le veut ainsi… La première chose dont j’ai à parler, c’est la conservation… le droit d’être, le droit de nature… Il faut conserver l’Angleterre ; comment la conserverons-nous ? comment existerons-nous ? C’est ce que je vais examiner. » Sous quelque phraséologie grossière ou mal enchaînée que de telles idées se cachent, c’est de l’éloquence politique toute pure, l’éloquence des choses et des faits. Il frappe toujours au but.

Ayant donc convoqué les communes, coupables, selon lui, d’ébranler sa nouvelle autorité en recherchant trop curieusement les causes de son pouvoir, il leur dit avec beaucoup de simplicité qu’on l’a « porté au trône, qu’on l’a prié de l’accepter, qu’il n’y a plus à reculer aujourd’hui ; » puisqu’on le lui a donné, il faut le lui rendre possible. Après une installation solennelle, un consentement général et un parti pris, il est trop tard pour discuter les bases d’un gouvernement accepté. Que ce parlement un peu pédantesque et qui remue imprudemment de telles questions y prenne bien garde ; la dissolution n’est pas loin. Pendant que « le gouvernement du protecteur, comme dit le Correspondant de Bruxelles, devient plus formidable et plus important qu’il n’a jamais été aux yeux de toutes les nations, » Cromwell, toujours maître de son armée et de ses saints, laissera-t-il vivre ce parlement qui ne concourt pas à augmenter la prépondérance de la nation, — un parlement qui s’amuse à bâtir des constitutions sur le papier, qui brûle un ou deux hérétiques, chose assez inutile en soi, et qui ne donne pas d’argent, chose nécessaire ? Non. C’est ce qu’il leur dit d’une façon fort verte, assez brutale et très peu oratoire :

« Je ne me suis point appelé à cette place. Je le répète, je ne me suis point appelé à cette place ! De cela Dieu m’est témoin, et j’ai beaucoup de témoins qui, je le crois, offriraient leur vie et porteraient témoignage de cela. Non, je ne me suis point appelé à cette place ! et, lorsque j’y suis, ce n’est pas moi seul qui porte témoignage pour moi-même ou pour mon office ; c’est Dieu et le peuple de ces nations qui ont aussi porté témoignage pour mon office et pour moi. Si Dieu m’y a appelé et si le peuple porte témoignage pour moi, — Dieu et le peuple me l’ôteront, autrement je ne le quitterai pas ! Je serais infidèle au dépôt que Dieu m’a confié et à l’intérêt du peuple si je le quittais.

« Que je ne me suis point appelé moi-même à cette place, voilà ma première assertion.

« Que je ne me porte pas témoignage pour moi-même, mais que j’ai beaucoup de témoins, voilà ma seconde. Je vais, prendre la liberté de vous parler plus au long de ces deux choses. — Pour rendre mes assertions plus claires et plus intelligibles, permettez-moi de remonter un peu en arrière.

« J’étais gentilhomme de naissance, ne vivant ni dans une grande splendeur ni dans l’obscurité. J’ai été appelé à plusieurs emplois dans la nation, pour servir dans le parlement et dans d’autres emplois, et, — afin d’entrer dans d’autres détails, — je me suis efforcé de remplir, dans ces services, le devoir d’un honnête homme envers Dieu, dans l’intérêt de son peuple et envers la chose publique (commonwealth) ; j’ai eu à cette époque une approbation suffisante dans les cœurs des hommes, et j’en ai reçu quelques preuves. Je ne veux pas raconter toutes les époques, les circonstances et les occasions qui, par la volonté de Dieu, m’ont appelé à l’y servir, ni la présence et les bénédictions de Dieu qui en ont porté témoignage.

« Ayant eu quelques occasions de voir, avec mes frères et compatriotes, une heureuse fin mise à vos guerres violentes et à nos débats opiniâtres contre l’ennemi commun, j’espérais, dans la vie privée, recueillir avec mes frères les fruits et les compensations de nos fatigues et de nos dangers, à savoir, jouir de la paix et de la liberté, et des privilèges d’un chrétien et d’un homme à peu près sur le pied d’égalité avec les autres, selon ce qu’il plairait à Dieu de me dispenser. Quand, dis-je, Dieu mit fin à nos guerres, ou du moins les amena à une issue qui faisait espérer d’en voir bientôt la fin, — après le combat de Worcester, — je vins à Londres pour rendre mes hommages et mes devoirs au parlement alors assemblé, espérant que tous les esprits seraient disposés à faire ce qui semblait la volonté de Dieu, à savoir, donner la paix et le repos à son peuple, et particulièrement à ceux qui avaient répandu le plus de leur sang dans l’exécution des affaires militaires. — Je fus trompé dans mon attente, l’issue ne fut pas telle. [Murmures étouffés de Bradshaw et compagnie.] Malgré tous les charlatanismes et les fausses représentations, l’issue ne fut pas telle, elle ne le fut pas.

« Je puis le dire dans la simplicité de mon ame, je n’aime pas, je n’aime pas, -je n’ai pas voulu le faire dans mon discours précédent, — je dis que je n’aime pas à fouiller les plaies, à découvrir la nudité ! Le point auquel je veux en venir est ceci : j’espérais obtenir la permission, quant à moi, de me retirer dans la vie privée. Je demandai à être quitte de ma charge ; je l’ai redemandé et redemandé, et que Dieu soit juge entre moi et tous les hommes si je mens en cette affaire. Il est connu de beaucoup que je ne mens pas quant aux faits ; mais, si je mens en mon cœur en cherchant à vous représenter ce qui n’était pas en mon cœur, de cela que le Seigneur soit juge. Que les hommes sans charité, qui mesurent les autres d’après eux-mêmes, jugent comme ils voudront. Pour les faits, c’est vrai. Quant à la sincérité et l’intégrité de mon cœur dans ce désir, j’en appelle au grand juge ! — Mais je ne pus obtenir ce que je demandais, ce après quoi mon ame soupirait, et la pure vérité est que beaucoup étaient d’opinion que ma demande ne pouvait pas être accordée. »


Maintenant qu’on l’a porté au pouvoir et qu’on l’a fait ce qu’il est, il ne quittera pas la place. Il exige que ceux qu’il a convoqués reconnaissent l’autorité qui les convoque, et il continue :


« Je suis fâché, je suis fâché, je suis mortellement fâché qu’il y ait sujet à cela, mais il y a sujet, et, si vous ne donnez pas satisfaction dans les choses que l’on vous demande raisonnablement, moi, pour ma part, je ferai ce qui convient à mon devoir, et je demanderai conseil à Dieu. -Voici donc quelque chose (montrant un parchemin écrit) qui vous sera présenté, et qui, je l’espère, suffira, avec les qualifications que je vous ai dites.

« Faites connaître votre opinion à cet égard en donnant votre assentiment et en signant ; cela vous donnera l’entrée pour faire, comme parlement, les choses qui sont pour le bien du peuple. Ce parchemin, quand on vous l’aura montré et que vous l’aurez signé comme je l’ai dit, terminera la controverse, et cela peut donner à ce parlement une marche heureuse et une bonne issue.

« J’avais pensé intérieurement qu’il ne serait ni déshonnête ni déshonorable, ni contre la vraie liberté, non, ni la liberté des parlemens, si, quand un parlement était choisi, comme vous l’avez été, en vertu de la puissance du gouvernement, et conformément à ce gouvernement, on exigeait, avant votre entrée dans la chambre, que vous reconnaissiez votre élection et l’autorité qui vous envoie. On s’y est refusé ; ce dont je me suis d’abord abstenu par une juste confiance, vous m’y forcez à présent. Voyant que l’autorité qui vous a élus est peu respectée, qu’elle est méprisée, j’agis ; — jusqu’à ce que vous ayez fait une semblable déclaration et qu’elle soit manifestée, jusqu’à ce que vous ayez accepté votre mandat, J’AI DONNÉ L’ORDRE DE METTRE FIN A VOS ENTRÉES DANS LA CHAMBRE DU PARLEMENT. »


Cette chambre aurait dû vivre cinq mois, jusqu’au 3 février, et il est probable que le protecteur avait cette date fort présente à la mémoire lorsqu’il s’avisa de la dissoudre le 22 janvier, douze jours avant le temps légal, par un de ces violens artifices dont l’effet fut toujours certain, et qui tiennent tant de place dans sa vie de chef de parti. Il reproche aux communes de lui rendre la constitution intenable et le gouvernement impossible. — « J’avais, messieurs, dit-il, de très consolantes espérances, que Dieu ferait une bénédiction de la convocation de ce parlement, et, que le Seigneur m’en soit témoin ! je désirais pouvoir mener à ce but les affaires de la nation. Cette bénédiction vers laquelle nous avons gravi si péniblement, c’était vérité, justice, paix, — et j’espérais tout améliorer. — J’ai été fait ce que je suis par votre pétition, et c’est vous qui, vous reportant à l’ancienne constitution, m’avez engagé à accepter la place de protecteur. Pas un homme vivant ne peut dire que je l’aie cherchée ! non, pas un homme, pas une femme qui foule aux pieds le sol anglais ! Mais, quand je contemplais la triste condition à laquelle échappait notre nation sortant d’une guerre intestine pour jouir d’une paix de cinq ou six années, je croyais qu’elle s’estimait heureuse. Vous vous êtes adressés à moi, vous m’avez demandé que je me chargeasse du gouvernement, fardeau trop lourd pour toute créature ; cette pétition me venait de l’assemblée qui avait alors la capacité législative, et très assurément je pensai que ceux qui avaient fait la charpente me la rendraient logeable et commode. Je puis le dire en présence de Dieu, devant qui nous sommes de pauvres fourmis rampantes, — j’aurais été heureux de vivre au coin de ma forêt, en gardant un troupeau de brebis !… » - N’est-ce pas un passage de Shakspeare, moins l’idéal de la poésie ? Ainsi, dans tous ses discours comme dans ses lettres, l’ame de Cromwell est transparente ; et si des nuages et des ténèbres y apparaissent, si l’on y voit des tristesses sombres et des obscurités pénibles, c’est précisément en cela qu’elle est naïve ; elle se montre dans son état réel et sans rien déguiser. D’ailleurs, le but et le fonds de ce discours, c’est la nécessité : « Si vous gouvernez, l’Angleterre est perdue ; car vous ne gouvernez pas. Quant à moi, que vous avez fait protecteur, je ne peux pas reculer ; je resterai où je suis, et je vous chasse. » Il le dit sans périphrases et de la manière la plus rudement éloquente : « Placé comme je suis et dans ce poste, je ne puis le quitter. Je veux qu’on me roule dans mon tombeau, et que l’on m’enterre avec infamie avant que j’y consente. »

Entre 1655 et 1656, il essaie le gouvernement des majors-généraux, tous puritains, les maréchaux du puritanisme, entre lesquels il divise l’Angleterre ; véritables gouverneurs militaires, dévoués à Cromwell et à sa cause. La monarchie pondérée et constitutionnelle n’a pas pu lui servir ; l’arbitraire sans doute vaudra mieux, et il en use ; personne ne se plaint : on paie les taxes, l’ordre s’établit, les magistrats reprennent leur place aux assises ; les journaux de Hollande annoncent avec aigreur que le commerce renaît à Londres.

Cet arbitraire porte d’ailleurs d’excellens fruits : Cromwell surveille l’Amérique, s’entend avec les protestans de l’Europe entière, protège les calvinistes piémontais ; enfin il attire à lui tous les cœurs et tous les intérêts de la bourgeoisie et du commerce par un seul acte, en abrégeant les délais de justice, et diminuant les frais de procédure. Il y trouvait l’avantage d’une popularité très grande, d’un bienfait réel pour les classes pauvres, et aussi celui de soumettre et de punir les avocats et les hommes de loi réfractaires contre lesquels son armée avait une vieille dent. Les avocats résistent ; Bulstrode et Widdrington, savans jurisconsultes, répondent qu’ils « n’osent » obéir à un mandat que le parlement n’a pas sanctionné. Le maître des rôles, Lenthall, ce Brutus que Harrison a fait descendre de son siège, quand il présidait le parlement, s’écrie : « Je n’y consentirai jamais ; on me pendra plutôt à la porte de l’hôtel des Rôles ! » Il ne fut pas pendu, et garda sa place. Widdrington et Bulstrode abandonnèrent la leur en s’écriant : « Nous y perdons mille livres de rente. » Cependant, ajoute Bulstrode, qui raconte l’anecdote, « le protecteur, qui était un bon homme, sentant qu’il nous avait fait tort, nous nomma commissaires du trésor par forme de dédommagement. » Ainsi, à force d’adresse, de fermeté et de patience, Cromwell, chose peu croyable, vint à bout de ce groupe criard et blessé, dont il mutilait les honoraires et qui se tut. D’ailleurs, ajoute Bulstrode, « par de petites caresses qui ne signifient rien, il gagnait le cœur de beaucoup de monde, et il donna un dîner où il fut très gai… » Par parenthèse, Bulstrode n’y fut pas invité. Ces caresses, quoi qu’il en dise, signifient beaucoup. Cordialité pour ceux qui nous aiment, dureté envers qui résiste, la main ouverte à ceux qui sont utiles, bienveillance pour tous, fortune offerte aux généreux et aux fidèles : ce sont des marques royales, et la grande ambition se reconnaît là.

Cromwell avait bien ces marques royales, et l’Europe entière les respectait en lui ; ses hommes de mer, Blake, Penn et Goodson, toujours vainqueurs, donnaient la chasse aux Espagnols ; l’ambassadeur extraordinaire de Suède venait le complimenter en cérémonie, au milieu de ses gardes-du-corps « en uniforme gris à revers de velours noir ; » toutes les populations méridionales reculaient de terreur à son nom. Il aurait voulu profiter de la circonstance pour former définitivement sa grande ligue du Nord, celle que les Nassau avaient préparée, la ligue du Nord protestant ; le temps n’était pas venu, les évènemens n’étaient pas mûrs. Il était réservé à Guillaume III d’achever cette œuvre redoutable, dont Louis XIV a senti les premières atteintes et Napoléon les derniers coups.

Cependant l’Irlande remuait, et le fils de Cromwell avait à y combattre la révolte, l’anarchie, et de trop justes rancunes. Le protecteur lui écrivit :


Pour mon fils Henri Crom2cell à Dublin, Irlande.

« Whitehall, 21 novembre 1655.

« MON FILS,

J’ai vu votre lettre à M. le secrétaire Thurloe, et j’y vois la conduite de quelques personnes qui sont auprès de vous, tant vis-à-vis de vous-même que dans les affaires publiques.

Je suis persuadé qu’il peut y avoir quelques personnes qui ne sont pas très satisfaites du présent état de choses, et qui saisissent volontiers les occasions de manifester leur mécontentement ; mais cela ne devrait pas faire trop d’impression sur vous. Le temps et la patience peuvent les conduire à une meilleure disposition d’esprit, et les amener à reconnaître ce qui, pour le présent, semble leur être caché, particulièrement s’ils voient votre modération et votre amour pour eux, quand ils se trouvent dans des sentimens inverses à votre égard. Je vous engage sérieusement à vous appliquer à cela ; faites tous les efforts qui sont en vous. Vous et moi, nous recueillerons le fruit de votre manière d’agir, quels qu’en soient l’issue et l’événement.

« Quant au secours que vous demandez, il y a long-temps que j’y pense, et je ne manquerai pas de vous envoyer un nouveau renfort au conseil, aussitôt qu’il pourra se trouver des hommes qui conviendront à ce poste. Je pense aussi à vous envoyer une personne capable de commander le nord de l’Irlande, pays qui, je le crois, en a grand besoin ; je crois comme vous que Trevor et le colonel Mervin sont des hommes très dangereux, et qui pourraient devenir les chefs d’une nouvelle rébellion. C’est pourquoi je vous engage à changer le siége du conseil, afin qu’il soit à l’abri dans quelque localité sure ; plus loin ces hommes seront de leur propre localité, mieux cela vaudra.

« Je vous recommande au Seigneur et suis votre père affectionné,

« OLIVIER P. »

Patience, modération, fermeté, tolérance, mais aussi vigilance et prévoyance, voilà ce que le protecteur recommande à son fils ; il prêche d’exemple d’ailleurs, et amnistie tous ceux qu’il peut sauver sans péril pour lui-même et le pays. Un charmant poète, que le capitaine Hayne lui amena, Cleveland, celui qui avait composé tant de vers satiriques contre les puritains et Cromwell lui-même, esprit brillant et ingénieux, le Tyrtée de son parti, lui dut la vie. Une petite édition de ses œuvres (la vingtième), que j’ai sous les yeux, a roulé sans doute dans la poche de quelque cavalier, du champ de bataille à la taverne, entre Worcester et Edgehill. Ce pauvre poète est « bien déchu » en 1655, « bien vieilli, mais toujours élégant ; » il se cache à Norwich chez un gentilhomme auquel il apprend la littérature « pour trente louis par an, » seule pitance qui reste à cet ancien élève de Cambridge, avocat spirituel, plus royaliste que le roi et plus célèbre alors que Milton. De sa muse, tantôt érotique et tantôt grossière, provenait la chanson célèbre que les cavaliers avaient si souvent répétée dans leurs marches :

En avant, chenapans bibliques !
Gredins bénis, montrez du cœur !
Anglais, cavaliers, catholiques,
Fuiront à votre seule odeur, etc., etc.

Le chef de ces « chenapans bénis, » David Lesley, avait fait Cleveland prisonnier à Newark, et, au lieu de lui décerner la couronne du martyre, il l’avait renvoyé avec ces mots : « Laissez aller le pauvre diable, et qu’il débite ailleurs ses chansons ! » Cromwell en fit autant et ne fut pas moins magnanime que Lesley.

Les anabaptistes, les papistes, les conspirateurs à surveiller, Blake, Montaigu et les amiraux à diriger, les protestans piémontais à protéger, n’empêchent pas le protecteur d’établir l’ordre dans ses finances, de vendre et d’acheter, de mettre ses propriétés en état comme du temps où il demeurait à Saint-Yves. Il veut vendre le domaine de Newhall, et il écrit à son fils Richard comme à son héritier :


À mon bon fils Richard Cromwell, écuyer, à Hursley, cette lettre.

« Whiteball, 29 mai 1656.

« MON FILS,

« Vous savez qu’il y a toujours eu chez nous un désir de vendre Newhall, parce que depuis quatre ans il n’a rapporté que peu ou point de revenu, et je ne vous ai jamais entendu dire qu’il vous plût comme manoir.

« Il paraît que l’on peut trouver un acquéreur qui en donnera 18,000 livres sterling. On placera cet argent où vous voudrez, chez M. Wallop ou partout ailleurs, et l’argent sera mis entre les mains d’un fidéi-commis chargé de le placer ainsi : ou je vous constituerai Burleigh, qui rapporte près de 1,300 livres[5] par an, outre les bois. Waterhouse vous donnera tous les autres détails.

« Je suis votre père affectionné,

« OLIVIER P. »


Newhall ne fut pas vendu. La liste civile du protecteur devint fort considérable, et en 1658 il put disposer en faveur de sa famille de douze domaines dont Richard, à la mort de son père, donna la liste et la cédule : — Dalby, 989 liv. st., 9 sh. 1 d. ; — Broughton, 533 liv., st., 8 sh. 8 d. ; — Cower, 479 liv. st. ; — Newhall, 1,200 liv. st. ; — Chepstall, 559 liv. st., 7 sh., 3 d. ; — Magore, 448 liv. st. ; — Tydenham, 3,121 liv. st., 9 sh. 6 d. ; -Woolaston, 664 liv. st., 16 sh. 6 d. ; — Chaulton, 500 liv. st., 8 d. ; -Burleigh, 4,236 liv. st., 12 sh. 8d. ; — Okham, 326 liv. st., 14 sh. 11 d. ; -Egleton, 79 liv. st., 11 sh. 6 d. Ce total considérable prouve assez que Cromwell, généreux envers la république servie par lui, sait toutefois qu’on n’est pas roi long-temps sans la force pécuniaire, et qu’il a su mettre à profit les dons de son parlement et les fruits de la guerre. Les mauvais jours peuvent renaître, car l’Irlande remue encore.


A Henry Cromwell, major-général de l’armée en Irlande

« Whitehall, 20 août 1656.

« MON FILS HARRY,

« Nous sommes informés de plusieurs côtés que le vieil ennemi forme le dessein d’envahir l’Irlande et divers autres points de l’état (commonwealth), et que lui, ainsi que l’Espagne, correspondent activement avec quelques irlandais influens, afin de faire éclater une rébellion soudaine dans ce pays.

« C’est pourquoi nous jugeons très nécessaire que vous mettiez tous les soins possibles à disposer les forces de façon qu’elles soient en état de faire face à tout événement de ce genre qui pourrait arriver, et dans ce but que vous concentriez toutes les garnisons d’Irlande, et que vous teniez en campagne une armée d’expédition, divisée en deux ou trois corps placés dans les positions les plus convenables et les plus avantageuses au service, selon que l’occasion le requerra ; ayant aussi le plus grand soin, sur toutes choses, de rompre et d’empêcher les desseins et les combinaisons de l’ennemi. — Et il faut particulièrement avoir l’œil sur le nord, où sans nul doute des mécontens et des agitateurs s’efforcent de fomenter de nouveaux troubles. Je ne fais nul doute que vous communiquerez cette lettre au colonel Cooper, afin qu’il redouble de surveillance, d’activité, et pare à ce danger.

« Je suis votre père affectionné

« OLIVIER CROMWELL. »


On vient à bout de l’Irlande, et un nouveau parlement s’assemble ; Cromwell, qui n’a point peur des parlemens et qui les brise sans peine, installe celui-là ; son allocution à cette nouvelle assemblée n’a pas moins de cinquante pages ; elle mériterait d’être transcrite tout entière, tant il y a de clarté et de force dans l’enchaînement logique des idées et des faits. « L’Espagne, le catholicisme, sont vos ennemis nécessaires, éternels, dit-il. L’Allemagne, le Danemark, la Suisse, ont les mêmes intérêts que vous. Sans doute, il y a des Anglais papistes ; mais ce sont des Anglais espagnolisés ; ils ne sont plus Anglais ; ce sont vos ennemis. » Comme dans le premier discours que nous avons cité, des papistes il passe aux mystiques, aux quakers, aux utopistes, qu’il ménage un peu moins cette fois ; sa forte ironie est digne d’être citée. « J’ai peine à vous parler de certaines idées purement séraphiques. Ce sont des imaginations bien pauvres et de bien peu de prix ! » Et il continue, écrasant tout sur sa route, et démontrant d’une manière irréfragable que le calvinisme du Nord veut un guide et que l’Angleterre doit l’être. Ces idées, d’une très haute et très juste politique, se répandent comme un torrent, sans ordre et sans grammaire, quelquefois avec embarras, toujours avec éloquence.

Toutefois il épure ses communes, et ne laisse siéger au parlement que trois cents et quelques membres sur quatre cents qui ont été nommés. Cette élimination, fort arbitraire, fort illégale, n’excite pas le moindre murmure dans le peuple, qui voit trente-huit chariots, pleins de l’argent que Blake a pris aux Espagnols, suivre triomphalement la route de Portsmouth à Londres, parcourir les rues encore assez mal pavées de la capitale, et verser enfin leur prise dans les caveaux de la Tour. Les majors-généraux, qui commençaient à exercer sur les royalistes des exactions insupportables, sont rappelés, et le protecteur est plus solide qu’auparavant. Deux ou trois assassinats ou tentatives d’assassinat ne l’ébranlent pas, au contraire. Aux yeux du bourgeois calviniste, et même du cavalier épouvanté, le roi-modèle, le roi nécessaire, c’est le protecteur. Quant au parlement, soumis à l’illégal triage du maître, il devient docile, aimable, humble et prévenant.

Seulement, pour s’occuper de quelque chose, ces quatre cents personnes s’amusent, pendant trois mois et demi, à juger un quaker, un pauvre fou nommé Nayler ; qui se croit une incarnation du Christ. Sera-t-il pendu, rôti, mutilé, emprisonné, marqué, fouetté ? Cent dix séances sont consacrées à ce beau débat, « qui prouve, dit assez malhonnêtement l’Écossais Carlyle, le puits et l’abîme sans fond de stupidité que contient le caractère anglais. » Ce pauvre Nayler est condamné à « monter sur un âne à rebours, la tête tournée du côté de la queue de l’animal, — à être marqué sur l’épaule, — à avoir la langue percée, — au pain et à l’eau, — et aux travaux forcés à perpétuité. » Cromwell, mécontent sans doute de ce beau jugement, et trouvant dangereux que l’on châtie si durement les quakers, alors même qu’ils sont fous, ne voulant pas non plus que la chambre s’arroge l’autorité judiciaire, envoie au président ou speaker Widdrington, personnage « bien emparlé, » dit le duc de Créqui dans une lettre, le message suivant :


À notre très aimé et féal sir Thomas Widdrington, speaker (président) du parlement, pour communiquer au parlement.
O. P.

« TRÈS AIMÉ ET TRÈS FÉAL,

« Nous, de notre part, salut.

« Avant remarqué un jugement rendu par vous (le parlement) contre un certain James Nayler : quoique nous détestions et abhorrions l’idée d’accorder ou faire accorder la moindre protection à des personnes qui ont de telles opinions et de telles pratiques, ou qui sont sous le poids des crimes généralement imputés à cette personne ; néanmoins, nous, à qui le présent gouvernement est confié dans l’intérêt du peuple de ces nations, et ne sachant pas jusqu’où pourraient s’étendre les conséquences d’une procédure entreprise entièrement sans nous, — nous désirons que la chambre nous fasse connaître d’après quels principes et quelles raisons elle a procédé.

« Donné à Whitehall le 25 décembre 1656. »


Le pauvre parlement demanda humblement pardon et ne jugea plus de quakers. Ce n’était point d’ailleurs une œuvre aisée, même pour Cromwell, de contenir, d’étouffer ou de réprimer les saillies mystiques du puritanisme, et de condamner au repos ou à la règle l’élément vital et constitutif de la nouvelle société britannique. Ce principe de l’examen individuel, qui avait renversé la hiérarchie papale, continuait de s’agiter, et faisait éruption de mille manières extravagantes. Tout homme qui priait croyait posséder l’esprit saint, et ses actions, quelles qu’elles fussent, se trouvaient justifiées. Telle est l’origine du quakerisme, secte de paix, bercée d’abord dans les persécutions et foulée aux pieds de tous. On vit un nommé John Davy, surnommé Theauro John, c’est-à-dire Souffle-de-Dieu, entrer dans la chambre des communes l’épée nue, frapper d’estoc et de taille, et s’écrier : « Que faites-vous là ? Dieu le défend ! » - Un fou plus pacifique et plus doux, le cordonnier George Fox, obéit à Dieu d’une façon moins violente ; Dieu lui ordonne de se faire une culotte de peau, et il la fait, — de s’en revêtir, et il obéit, — de s’en aller prêcher, une Bible sous le bras, l’inspiration divine et la nécessité de suivre aveuglément l’instinct, il cède à cette injonction suprême. Indépendant de tout le genre humain, il quitte sa boutique, et descend lentement la jolie vallée de Bever ou Belvoir, « où l’éternel firmament couvre et protège de pauvres toits de chaume, et où le vent qui murmure agite à peine la colonne de fumée qui sort de ces toits. » Il entend du sein de ces chaumières des voix douces qui lui crient : « Sauvez nos ames, sauvez-nous ! » et il continue sa route, pour obéir à ces voix ; il entre dans les cabanes, prêche la doctrine de l’impulsion divine, de l’esprit saint qu’on doit écouter, et fonde la nation des quakers. Ainsi se développe, en face du spiritualisme catholique de Rome, le spiritualisme calviniste, qui ne tarde pas à produire des monstres étranges.

C’est au protecteur Cromwell qu’il appartient de les écraser, bien qu’ils renaissent comme l’hydre de Lerne, et que ce travail d’Hercule ne soit pas sans danger : le calvinisme ne doit point frapper sa propre racine. Cromwell se montre assez clément. Le pal, le lacet et la hache, que ses communes voudraient employer contre les rebelles, lui semblent de surérogation ; il ne tue et ne mutile pas ; la prison et quelques amendes bénignes lui suffisent. Aussi Bunyan, le troupier-chaudronnier calviniste, et Fox, « qui a trouvé des ames fort tendres dans la vallée de Bever, » poursuivent-ils leurs croisades mystiques ; on les enferme de temps en temps dans une geôle, et ils vont leur train. Au mois d’octobre 1655, huit hommes et femmes, le premier à cheval et escorté de deux femmes à pied qui tiennent sa bride, homme musculeux, « de cinquante ans, aux longs cheveux jaunâtres et plats, qui descendent plus bas que ses joues, les lèvres serrées et minces, muet et sombre, le chapeau sur les yeux, » traversent processionnellement la ville de Bristol stupéfaite. Les cinq autres personnes, à pied et à cheval, chantent à pleine poitrine : « Hosannah ! saint ! saint ! trois fois saint ! seigneur Sabaoth ! » - et ne répondent qu’en chantant aux questions qu’on leur adresse. Une pluie violente et la fange des chemins ne les arrêtent pas, et ils chantent toujours « leurs mélodies nasales, » comme dit Butler, jusqu’à ce que l’autorité suspende la marche triomphale des quakers, et les envoie à Londres, où le parlement doit les examiner et les juger.

Ce sont des symptômes menaçans. Il n’y a rien de plus dangereux pour une autorité que les révoltes qui émanent du principe même qui la constitue. Ici le calvinisme mystique, ennemi de Rome, se révolte contre l’autorité de Cromwell. Fox, malgré sa paisible humeur, fut arrêté dans le Leicestershire, mis en prison, traîné de geôle en geôle par les officiers subalternes de la police, et forcé de coucher souvent, ou dans une cave, ou à la belle étoile, « ce qui lui rendait très utile (il en convient dans son journal) la culotte de peau qui l’escorta toute sa vie, et qu’il avait cousue d’après un ordre exprès de Dieu même. »

Au milieu de ces persécutions, il trouva moyen d’écrire au protecteur et de lui demander un rendez-vous. Cromwell l’accorda. C’était le matin ; on habillait le protecteur, lorsque le quaker faisant son entrée : « La paix soit dans cette maison ! » s’écria-t-il. — « Merci, George, » répondit doucement Cromwell ! — « Je viens t’exhorter, reprit George, à rester dans la crainte de Dieu ; ce qui pourra t’acquérir la sagesse de Dieu, chose si nécessaire à ceux qui gouvernent. — Amen ! » - « Il m’écouta très bien, continue Fox[6] ; je lui parlai longuement et sans crainte de Dieu et de ses apôtres d’autrefois, de ses prêtres et de ses ministres d’aujourd’hui, de la vie et de la mort, de l’univers sans limites, du rayon et de la lumière, et souvent le protecteur m’interrompait pour me dire : C’est très bien, c’est vrai, et il se comporta envers moi avec beaucoup de douceur et de modération. » - Comment Cromwell n’aurait-il pas de la sympathie pour George Fox, qui est exactement dans la même situation mentale on se trouvait le fermier de Saint-Yves en proie à ses vapeurs noires ? Ces pensées mystiques rouvraient en lui les sources des émotions de sa jeunesse. « Son œil devint humide, et comme plusieurs personnes, de celles qui se disaient nobles et seigneurs, entraient dans la chambre, il me prit la main : « Reviens me voir, me dit-il ; va, toi et moi, si nous passons une heure ensemble, nous nous rapprocherons fort. Je ne te souhaite pas plus de mal que je n’en veux à mon ame. » - « Prête donc l’oreille à Dieu, » lui dis-je en m’en allant. — « Le capitaine Drury me pria de rester et de dîner avec les gardes-du-corps d’Olivier. Je refusai, Dieu ne me le permettant pas. » - C’est ainsi, avec cette douceur si politique et ce mélange de pitié, de sympathie et de respect, que Cromwell traitait les maladies et les abus du calvinisme.

L’histoire des relations de Mazarin avec Cromwell est encore à faire, et ce serait une curieuse monographie que celle qui mettrait en présence ce Sicilien qui gouverna la France et le fermier du Nottinghamshire, devenu roi d’Angleterre. Un intérêt commun les rapprochait, la crainte de l’Espagne. Mazarin, assez peu catholique, Cromwell, roi du calvinisme, s’entendaient à merveille pour abaisser la puissance espagnole et arrêter l’essor de cette grande monarchie catholique, maîtresse de la moitié de l’Europe et du Nouveau-Monde. Cromwell et Mazarin avaient des espions communs, des trames cachées, des desseins que leur coopération pouvait seule faire réussir ; l’un et l’autre travaillaient à brouiller les deux Stuarts, Charles et Jacques, et l’on jugera par cette lettre secrète, dont l’authenticité est incontestable, du degré d’intimité que ces rapports avaient fini par atteindre.


A son éminence le cardinal Mazarin.

« Les obligations et les nombreuses marques d’affection que j’ai reçues de votre éminence m’engagent à y répondre d’une manière digne de votre mérite ; mais dans les présentes conjonctures et dans l’état actuel de mes affaires, malgré la résolution que j’en ai formée en mon esprit, il est possible[7] (vous dirai-je, il est nécessaire ?) que je n’obéisse pas à votre appel en faveur de la tolérance (pour les catholiques).

« Je dis que je ne le puis pas, quant à la déclaration publique de mon sentiment sur ce point ; cependant je crois que sous mon gouvernement votre éminence a moins à se plaindre, au sujet des catholiques, de violences faites aux consciences des hommes que sous le parlement, car j’ai eu compassion de quelques-uns, et ces quelques-uns sont nombreux ; j’ai fait une différence. Véritablement (et je puis le dire avec joie en présence de Dieu, qui est témoin dans mon intérieur de la vérité de ce que j’affirme) j’ai fait une différence, et, selon les paroles de Jude, « j’en ai délivré plusieurs du feu, » - du feu dévorant de la persécution qui tyrannisait leurs consciences, et par un emploi arbitraire du pouvoir usurpait leurs biens. Et dans ceci, aussitôt que je pourrai me débarrasser des obstacles et des affaires dont le poids m’oppresse, c’est mon dessein d’aller plus avant et de remplir la promesse que j’ai faite à votre éminence à ce sujet.

« Et maintenant je viens faire mes remerciemens à votre éminence du choix judicieux de la personne à qui vous avez confié notre affaire la plus importante, affaire dans laquelle votre éminence est concernée, mais pas aussi sérieusement et aussi profondément que moi. Je dois confesser que j’avais quelques doutes du succès, jusqu’au moment où la Providence les a dissipés par les effets. Véritablement, et pour parler avec candeur, je n’étais pas sans quelques doutes, et je n’aurai pas honte de faire connaître à votre éminence les causes que j’avais de douter fortement. Je craignais que Berkley ne fût pas capable de conduire cette besogne et de la mener à bonne fin, et que le duc[8] ne se fût refroidi dans sa poursuite ou qu’il eût cédé à son frère. Je craignais aussi que les instructions que j’avais envoyées par 290[9] ne fussent pas exprimées d’une manière assez claire ; quelques affaires que j’avais ici me privaient du loisir de prendre toutes les précautions que je prendrais en quelques circonstances. Si je ne me méprends pas sur le caractère du duc, d’après ce que m’en a communiqué votre éminence, le feu qui est allumé entre eux n’aura pas besoin de souffler pour l’animer et le faire continuer de brûler ; mais j’enverrai par Lockhart, à votre éminence, mon opinion sur ce que je crois ultérieurement nécessaire à ce sujet.

« Et maintenant je me vanterai à votre éminence de mon entière tranquillité qui repose sur une confiance fondée dans le Seigneur, car je ne doute pas que, si l’on agrandit cet éloignement[10] et que l’on entretienne ce désaccord, en choisissant avec précaution les personnes que l’on adjoindra à l’affaire, je ne doute pas que ce parti, déjà abandonné de Dieu quant à la dispensation extérieure des miséricordes et déjà odieux à ses compatriotes, ne s’avilisse finalement aux yeux du monde entier.

« Si j’ai occupé trop long-temps votre éminence par cette lettre, vous pouvez l’attribuer à la joie que j’éprouve de l’issue de cette affaire, et je conclurai en vous donnant l’assurance que je ne resterai jamais en arrière pour démontrer comme il convient à un frère et confédéré que je suis

« Votre serviteur,

« OLIVIER P. »


Il est assez probable que le cardinal espérait attraper le puritain, et ce spirituel ministre avait assurément tout ce qu’il faut pour faire des dupes. La lourde rudesse de Cromwell paraissait devoir s’y prêter assez bien. Le 23 mars 1656, un traité fut signé, d’après lequel le roi de France fournissait vingt mille hommes, Cromwell dix mille et une flotte ; ces forces combinées devaient attaquer l’Espagne dans sa partie faible, en Flandre, prendre Gravelines, qui resterait à la France, Dunkerque et Mardyck, dont hériterait l’Angleterre, à laquelle de telles possessions maritimes sont fort désirables. Les dix mille hommes de Cromwell débarquent à Boulogne, « en uniformes rouges tout neufs, dit un pamphlet ; » le jeune Louis XIV va les passer en revue sur la côte, ce qui est assurément la seule revue de troupes anglaises qu’il ait jamais passée. Cependant le cardinal, qui a tant soit peu peur de Cromwell et du traité, l’élude, dirige l’armée sur Montmédy et Cambrai, et néglige ou fait semblant d’oublier Dunkerque et Mardyck, sur lesquels son confédéré avait eu l’œil ouvert. La cour et Mazarin se trouvent à Péronne ; Lockhart, homme d’esprit, ambassadeur de Cromwell, et qui se trouve près de Mazarin, reçoit coup sur coup les deux véhémentes lettres que voici, écrites le même jour par le protecteur, tant ce dernier était de mauvaise humeur et résolu.


A sir William Lockhart, notre ambassadeur en France.

« Whitehall, 31 août 1657.

« MONSIEUR,

« J’ai vu votre dernière lettre à M. le secrétaire, ainsi que plusieurs autres, et, quoique je ne doute ni de votre zèle ni de votre capacité pour nous servir dans une si grande affaire, cependant je suis entièrement convaincu que le cardinal manque à la bonne foi dans l’exécution. Et ce qui vient encore augmenter notre mécontentement à cet égard, c’est la résolution que nous avions prise de notre côté de faire plutôt plus que moins que notre traité. Et quoique nous n’ayons jamais été assez simple pour croire que les Français et leurs intérêts ne faisaient qu’un avec les nôtres en toute chose, cependant, à l’égard des Espagnols, qui ont été de tout temps les ennemis les plus implacables de la France, nous ne pouvions jamais supposer, avant de faire notre traité, que, nous réglant sur de telles bases, on pût nous manquer de foi comme on l’a fait.

« Parler de nous donner des garnisons à l’intérieur pour garant de ce que l’on fera à l’avenir, parler de ce que l’on doit faire dans la campagne prochaine, ce sont des mots bons pour les enfans. S’ils veulent nous donner des garnisons, qu’ils nous donnent Calais, Dieppe et Boulogne, ce qu’ils sont, je trois, aussi disposés à faire que de tenir leur parole en nous remettant entre nos mains une des garnisons espagnoles sur les côtes ! Je crois positivement ce que je vous dis : ils ont peur que nous occupions une position de l’autre côté de la mer, fût-elle espagnole.

« Je vous prie de dire de ma part au cardinal que je pense que si la France désire conserver son terrain, et, encore mieux, en gagner sur les Espagnols, l’exécution de son traité avec nous contribuera mieux à le faire que tout ce que je connais des desseins qu’il a. — Quoique nous ne prétendions pas avoir des troupes comme celles qu’il a, cependant nous pensons qu’ayant en notre pouvoir de renforcer et d’assurer par mer son siège, et d’augmenter par mer ses forces si nous le voulons, et l’ennemi ne pouvant rien faire pour secourir la place, le meilleur moment de l’attaquer est à présent, particulièrement si nous considérons que la cavalerie française pourra ravager la Flandre, que l’on ne peut amener aucun secours à la place, et que l’armée française, ainsi que la nôtre, recevront constamment autant de renforts que l’Angleterre et la France pourront en fournir sans que rien l’empêche, — surtout en considérant que les Hollandais sont à présent fort occupés du côté du midi.

« Je vous prie de lui faire savoir que les Anglais ont fait une bonne expérience des expéditions. Ils sont certains, si les Espagnols gardent, la campagne, que ces derniers ne peuvent pas s’opposer au siège, et ne pourront pas non plus diriger une attaque contre la France ni se ménager la possibilité d’une retraite. Que signifient alors tous ces délais, si ce n’est qu’ils donnent aux Espagnols l’occasion de se renforcer d’autant, et de faire que nos hommes servent encore la France un autre été sans la moindre apparence de réciprocité et sans le moindre avantage pour nous ?

« C’est pourquoi, si l’on ne veut pas écouter ceci, je désire que l’on pèse les choses et que l’on nous donne satisfaction pour les grandes dépenses que nous avons faites avec nos forces navales et d’autre manière, dépenses que nous avons encourues dans un but honorable et honnête, pour remplir les engagemens que nous avions pris. Et enfin on peut prendre en considération comment on peut mettre nos hommes en position de nous être rendus, — et nous espérons que nous saurons les employer plus utilement que de les laisser où ils sont.

« Je désire que nous puissions savoir ce que dit la France et ce qu’elle fera à ce sujet : nous serons toujours prêts, en tant que le Seigneur nous assistera, de faire ce que l’on peut raisonnablement attendre de notre part. Et vous pouvez aussi dire en outre au cardinal que nos intentions, comme elles l’ont été, seront de rendre tous les services en notre pouvoir pour avancer les intérêts qui nous sont communs.

« Pensant qu’il est important que cette dépêche vous parvienne vite, nous vous l’envoyons par exprès.

« Votre ami sincère,

« OLIVIER P. »


Aussitôt après, il reprend la plume et écrit


A sir William Lockhart, notre ambassadeur en France.

« Whiteball, 31 août 1657.

« MONSIEUR,

« Après la lettre que nous vous avons écrite, nous désirons que Dunkerque soit le but plutôt que Gravelines, et nous désirons beaucoup mieux qu’il le soit ; — mais l’un des deux plutôt que d’y manquer.

« Nous ne manquerons pas d’y envoyer, aux frais de la France, deux de nos vieux régimens, et deux mille hommes de pied, si besoin est, — si Dunkerque est le but. Je crois que si l’armée est bien retranchée, et si l’on y ajoute le régiment à pied de la Ferté, nous pourrons laisser à la plus gravée partie de la cavalerie française la liberté d’avoir l’œil sur les Espagnols, — n’en laissant que le nombre nécessaire pour soutenir l’infanterie.

« Et comme ce mouvement empêchera probablement les Espagnols d’assister Charles Stuart dans toute entreprise contre nous, vous pouvez être assuré que, si l’on peut avec quelque raison compter sur la coopération des Français, nous ferons de notre côté tout ce qui sera raisonnable ; mais, si véritablement les Français sont tellement faux envers nous que de ne pas vouloir nous laisser prendre un pied de l’autre côté de l’eau, — alors je vous prie, comme dans notre autre lettre, que toutes choses soient faites pour nous donner satisfaction pour les dépenses que nous avons encourues et pour le retrait de nos troupes.

« Et, véritablement, monsieur, je vous prie de prendre sur vous de la hardiesse et de la liberté dans vos rapports avec les Français à l’égard de ces choses.

« Votre ami sincère,

« OLIVIER P. »


Malgré Cromwell et Mazarin, l’Espagne et Stuart essaient encore de lever la tête. Don Juan d’Autriche promet dix mille hommes ; les marchands hollandais, calvinistes au fond de l’ame, mais jaloux du commerce anglais, prêtent vingt-deux vaisseaux. On veut tenter, par tous les moyens, de rendre à Charles Stuart le trône de son père, et de renverser le puritanisme et Cromwell. Il faudrait seulement que les cavaliers de Londres fussent prêts à marcher pour le roi. Une espèce de fermier qui arrive de Flandre, « le chapeau couvert d’une toile cirée, un bonnet par-dessus, et une petite valise roulée derrière lui sur la croupe de son bidet, » trotte de Colchester à Stratford-at-Bow, s’arrête dans les plus humbles auberges, « boit de l’ale chaude avec les fermiers, joue au trictrac avec eux, » et n’éveille aucune défiance. Il vient soulever l’Angleterre pour le roi Charles ; c’est le duc d’Ormond, le bras droit et le principal conseiller de Charles Stuart. Il a fait « teindre ses cheveux, » et va loger fort secrètement « chez un chirurgien papiste, domicilié à Drury-Lane. » Peu de personnes se doutent de ce qu’il vient faire à Londres ; Cromwell et ses espions sont parfaitement instruits. Le duc d’Ormond s’était caché pendant une quinzaine, lorsque le protecteur, rencontrant lord Broghill dans le parc, l’accosta par ces mots : « Un de vos vieux amis est ici ; c’est le duc d’Ormond, qui demeure maintenant à Drury-Lane, chez le chirurgien papiste. Il ferait mieux de partir ; dites-le-lui. » Lord Broghill, qui n’en savait rien, fut très étonné, s’informa, reconnut la vérité du fait, et instruisit de sa conversation avec Cromwell le duc d’Ormond, qui ne se le fit pas dire deux fois, et s’en alla à franc étrier de Londres à Douvres ; puis il s’embarqua pour Bruges, où il retrouva le prétendant. « Cromwell a beaucoup d’ennemis, lui dit-il ; quant à le renverser au moyen d’une insurrection royaliste, c’est chimère !… » Charles, au surplus, ne l’espérait guère, et cet homme d’esprit, qui savait très bien sa position, n’usait des loisirs de l’exil qu’en faveur de ses jouissances gastronomiques et de ses erreurs amoureuses. Pour alliés sincères, il n’avait que Rome et l’Espagne, alliés dangereux, car ils étaient profondément odieux à la population calviniste. La France de Mazarin soutenait Cromwell, et Charles n’avait rien de mieux à faire que de danser avec les beautés flamandes-espagnoles de Bruges, et de donner des bals à Bréda. Parmi les royalistes anglais, les gens raisonnables croisaient les bras et se taisaient ; ceux qui ne l’étaient pas, devenus furieux par l’impuissance, se réunissant dans les tavernes, tramaient des assassinats, formaient des plans insensés, s’apprêtaient à mettre le feu à la Tour, à s’emparer de la Cité, fomentaient l’émeute à grand’peine et à grand bruit, et, comme il arrive toujours dans ces affaires, au moment même de l’exécution, on leur mettait la main sur le collet. Le 22 mai 1658, Barkstead, le gouverneur de la Tour, entra dans la Cité au grand galop, suivi de cinq couleuvrines (drakes) « qui faisaient un bruit formidable, » mit en fuite les émeutiers, saisit les chefs, et tout fut fini.

On fit aussi peu d’exécutions sanglantes que possible. Quelques royalistes, conspirateurs obstinés, succombèrent. Cromwell en laissa échapper beaucoup, et pardonna aux autres. Dunkerque fut arraché aux Espagnols ; les victoires succédèrent aux victoires. La république d’Angleterre avait conquis auprès des puissances européennes le même rang que Bonaparte en 1802 avait assigné à la république française. C’en est fait des espérances de Charles II ; le ministre espagnol lui-même, don Louis de Haro, secoue la tête quand on lui parle d’une restauration en faveur des Stuarts ; Mazarin, satisfait du résultat pour lui-même, bien que Cromwell ait pris la part du lion, et n’ait laissé à son confrère que celle du renard, rencontre Ormond sur le grand chemin, et lui dit en passant : « Il n’y a plus d’espoir ! » - Son neveu arrive à Londres, qu’il traverse dans un équipage doré, pour complimenter « le plus invincible des souverains, » et les journaux anglais prétendent même (ce que nous ne croyons guère) que le jeune Louis XIV l’eût accompagné sans une attaque de petite-vérole qui l’en empêcha. L’Angleterre puritaine, sauvée et glorifiée par cet invincible fermier de Saint-Yves, l’Angleterre, debout, « le pied sur l’Espagne catholique, tenant d’une main la Bible, et de l’autre l’épée, » symbole expressif que Cromwell fait élever sur Temple-Bar, accueille l’ambassadeur Créqui ; et le beau Fauconberg, l’élégant de la cour de Cromwell, celui dont l’oncle a été décapité pour conspiration, vient à cheval au-devant de l’ambassadeur de Mazarin, et lui fait les honneurs de Londres devant la foule ébahie.

Au milieu de ces succès, il ne se relâche pas de son activité, et, dans une lettre des plus remarquables, il jette déjà les yeux sur Gibraltar


« Nous sommes informé que les Espagnols ont envoyé tous les hommes dont ils pouvaient disposer par les six ou sept vaisseaux qu’ils ont expédiés aux Indes occidentales au mois de mars dernier. Nous savons aussi qu’il a toujours été reconnu que ce qui manque le plus aux Espagnols, ce sont les hommes, — comme aussi, dans ce moment, l’argent. Vous êtes à même de savoir mieux quel nombre d’hommes il y a à Cadix et à l’entour. Nous ne parlons que de probabilités. Ne serait-il pas digne de votre attention et de celle de votre conseil de guerre de juger s’il ne serait pas possible de brûler ou détruire par tout autre moyen la flotte qu’ils ont à présent à Cadix ; si Puntal et les forts sont assez formidables pour décourager d’une semblable entreprise ; si Cadix lui-même est inattaquable, ou si l’île sur laquelle il est situé ne peut être empêchée d’avitailler la ville par le pont, l’île étant si étroite en quelques endroits ; si quelque autre endroit n’est pas attaquable, particulièrement la ville et le château de Gibraltar ? et, si nous pouvions nous en emparer et le conserver, ne serait-ce pas un avantage pour notre commerce et un désavantage pour les Espagnols ? et cela ne nous mettrait-il pas en état, sans entretenir une si grande flotte sur ces côtes, en y faisant stationner six frégates légères, de faire plus de mal aux Espagnols et de diminuer nos dépenses ? »


Les grandes colonisations de l’Angleterre indiquées et même commencées, les finances en bon état, la France alliée et amie, l’Espagne battue, les mers soumises, tous les ennemis du protecteur réduits au silence, prouvent assez que c’est un roi. Ici, en 1657, lorsque depuis long-temps le pouvoir réel est à lui, vient se placer. l’offre solennelle que Widdrington lui fait de la part des communes, l’offre du titre royal ; « une plume au chapeau, » rien de plus, comme il le dit lui-même aux officiers-généraux qui l’avertissent que le peuple de Dieu sera scandalisé s’il se fait roi. « Roi ! je le suis déjà, » leur répond-il en cent cinquante pages, six discours et une énorme quantité de paroles. « Quant à ce nom que vous m’offrez, je ne sais si je dois le prendre. » On a fait de la royauté offerte à Cromwell une affaire beaucoup trop importante ; ce titre, dont il possédait la réalité suprême, n’ajoutait qu’un danger à sa situation. Entre ce danger et son ambition, entre la crainte de blesser le peuple et celle d’irriter les soldats, il hésite long-temps ; la trace de cette hésitation est partout empreinte dans les interminables argumentations de ses discours, que l’on a regardées comme le dernier terme de la fraude. Il était seulement fort embarrassé. Cromwell refuse donc, avec beaucoup de raison, selon nous, et non sans quelque peine ; puis le cours triomphal de la république continue. Mais la vieillesse arrive, et le ton de Cromwell, dans les deux discours suivans, est mélancolique.


« … A vous dire vrai, j’ai éprouvé une indisposition ; c’est pourquoi je n’ose vous parler plus longuement, — si ce n’est pour vous faire savoir crue j’ai déclaré simplement et avec franchise l’état où est notre cause, et ce qu’elle a obtenu par les soins et les travaux de ce parlement depuis la dernière fois qu’il s’est assemblé. Je serais heureux de reposer mes os près des vôtres, et je l’aurais fait gaiement et de bon cœur dans la condition la moins élevée que j’aie jamais occupée, pour servir le parlement.

« Si Dieu, comme je l’espère, vous donne… il vous l’a donné ; car de quoi ai-je parlé, excepté de ce que vous avez fait ? il vous a donné la force de faire ce que vous avez fait, et, si Dieu vous bénit dans cette œuvre et rend cette assemblée heureuse en cela, vous serez tous nommés les bénis du Seigneur. Les générations à venir nous béniront. Vous serez les « réparateurs des brèches et des sentiers dans lesquels il faut vivre ; » et, s’il est un ouvrage plus grand que celui-ci dans ce monde et que les mortels puissent exécuter, j’avoue mon ignorance à cet égard.

« Comme je vous l’ai dit, je suis malade. Je n’ai pas le pouvoir de vous parler plus longuement ; mais j’ai prié une honorable personne qui est ici à mon côté de discourir un peu plus en détail de ce qui peut être le plus convenable pour cette occasion et cette assemblée. »

Pourtant les vues mâles et fortes de l’homme politique se retrouvent dans ce dernier discours, où « son altesse, dit Carlyle, regardant l’avenir et le passé, l’extérieur et le pays même, tout bien considéré, s’exprime véritablement avec noblesse. »


« MILORDS ET MESSIEURS DES DEUX CHAMBRES DU PARLEMENT,

« (Car c’est ainsi que je dois vous reconnaître), en vous ainsi qu’en moi est déposé le pouvoir législatif de ces nations ! — L’impression du poids de ces affaires et de ces intérêts pour lesquels nous sommes rassemblés est telle, que je ne saurais, en bonne conscience, être content de moi-même, si je ne vous exposais quelques-unes de mes craintes sur l’état des affaires de ces nations, vous proposant en même temps le remède qu’il peut être utile d’appliquer aux dangers dont nous sommes menacés en ce moment.

« Je considère que le bien-être, que l’existence même de ces nations est à présent en danger. Si Dieu bénit cette assemblée, notre paix et notre tranquillité peuvent être prolongées ; s’il en était autrement, — quand j’aurai parlé, je vous laisserai à considérer et à juger si, en ce qui concerne l’honneur, il y a même possibilité à nous de remplir ce devoir qui pèse sur nous, d’assurer la préservation et le salut de ces nations ! Quand je vous aurai dit les choses qui se présentent à ma pensée, je leur laisserai faire sur vos cœurs impression qu’il plaira à Dieu tout-puissant de produire en vous.

« Je regarde ceci comme le grand devoir de ma place, (je me regarde) comme étant placé sur la tour de garde pour voir ce qui peut servir le bien public de ces nations, et ce qui peut empêcher le mal ; qu’ainsi, par les avis d’un conseil aussi sage et aussi grand que celui-ci, dans lequel est la vie et l’esprit de ces nations, ce bien puisse, humainement parlant, être obtenu, et ce mal, quel qu’il soit, être évité.

« Je vous prie instamment de jeter les yeux sur vos affaires intérieures ; voyez sur quel pied elles sont ! Je suis persuadé que vous êtes tous, j’admets que vous êtes tous des hommes bons, honnêtes et dignes, et qu’il n’y a pas un homme parmi vous qui ne désire d’être reconnu pour un bon patriote ; je sais que c’est votre désir. Nous sommes sujets à nous vanter quelquefois de ce que nous sommes, et certainement il n’y a pas de honte à nous d’être Anglais ; — mais c’est pour nous un motif d’agir en Anglais et de chercher le bien réel et l’intérêt de cette nation. — Mais, je vous prie, où en sont les choses chez nous ? — Je déclare que je ne sais pas bien par où commencer ni par où finir un pareil sujet, je n’en sais rien ; mais, je dois vous le dire, que l’on commence par où l’on voudra, on aura de la peine à se tirer de l’embarras que je vous signale. Nous sommes pleins de calamités et de divisions entre nous au sujet de l’esprit qui doit animer les hommes, et cela n’a rien d’étonnant ; cependant, par une providence de Dieu, providence merveilleuse, admirable et jamais suffisamment admirée, nous sommes encore en paix ! Et les combats que nous avons soutenus ! et les avantages que nous avons remportés ! — Oui, vraiment, nous qui sommes ici, nous sommes un étonnement pour le monde ; et considérant la manière dont nous sommes disposés ou plutôt indisposés, c’est le plus grand miracle qui soit jamais arrivé aux fils des hommes que nous soyons revenus à la paix. Et quiconque essaiera de la rompre, que Dieu tout-puissant déracine cet homme du sein de cette nation ! et il le fera, quelques prétextes que l’on prenne.

« Ceux qui brisent la paix considèrent-ils où ils nous poussent ? Ils devraient y regarder. Celui qui ne considère pas la femme enceinte dans cette nation, les enfans à. la mamelle qui ne connaissent pas leur main droite de leur main gauche (et, autant que je sache, cette cité en est aussi pleine que l’on disait qu’était Ninive) ; celui qui ne considère pas ces êtres, et le fruit que porteront celles qui vivent et qu’il faut y ajouter ; celui qui ne considère pas ces choses doit avoir le cœur d’un Caïn qui fut marqué et fait ennemi de tous les hommes ses ennemis ! Oui, la colère et la justice de Dieu poursuivront un tel homme jusqu’au tombeau, sinon jusqu’à l’enfer… »

De ses anciens majors-généraux, ces maréchaux du calvinisme, Cromwell fait autant de lords, et constitue sa chambre des pairs. La première session du parlement se termine assez bien ; la seconde commence mal pour Olivier. Il n’hésite pas, fait venir les membres à Whitehall, et les casse. « S’ils eussent siégé deux ou trois jours de plus, dit Samuel Hartlib dans une lettre, une conspiration royaliste éclatait, et Londres était à feu et à sang. »

Cromwell touchait à sa soixantième année. Robuste encore, mais affaissé, Dieu venait de le frapper dans sa famille de plusieurs coups successifs : il avait passé quatorze jours près du lit de sa fille mourante, Élisabeth Claypole, et cette énergie colossale, qui pendant vingt années avait porté le fardeau, « trop lourd pour un homme, » dont il parle si souvent, pliait et laissait pressentir la décadence. Ce fut alors que George Fox, le quaker, fit sa dernière apparition devant lui et vint réclamer en faveur des quakers persécutés. Malgré son indulgence pour les folies mystiques, Cromwell ne voulait pas qu’on troublât l’ordre. On avait pris au collet et mis en prison, « dans les Mews, » quelques « grands chapeaux » de quakers qui avaient essayé de prêcher en place publique, et de suivre l’inspiration avec une obéissance trop entière ; George lui-même et son impérissable culotte de cuir avait eu le même sort ; « la puissance de Dieu agissant sur les persécuteurs, » on l’avait bientôt relâché. Cependant il voulut adresser au protecteur quelques remontrances, et comme ce dernier, « dans son grand carrosse, entouré de ses gardes, faisait sa promenade du soir dans Hyde-Park, » Fox s’avança ; il fut d’abord repoussé ; Cromwell baissa les glaces et l’accueillit très cordialement. Le lendemain, à Whitehall, Fox se croyant sûr de son affaire, la scène changea ; Cromwell « se moqua un peu de moi, dit le quaker… il s’assit sur le bout d’une table,… me dit des choses comiques,… et me traita lestement. » - Je le crois bien ; le bon sens de Cromwell avait découvert le défaut de la cuirasse. « Il me dit que mon énorme confiance en moi-même, c’est-à-dire en Dieu qui était en moi, n’était pas la moins notable de mes acquisitions[11]. » Le quaker s’en alla peu content, et le lendemain « je pris un bateau, dit-il, et je descendis (il veut dire je remontai) la Tamise jusqu’à Kingston, d’où je me rendis à Hampton-Court pour parler au protecteur des souffrances des amis. Je le rencontrai dans le parc ; il était à cheval à la tête de ses gardes-du-corps, et, avant même que je le visse, j’aperçus et sentis un souffle[12] de mort qui s’élançait et traversait l’air contre lui, et, quand je me trouvai devant lui, il était pâle comme un mort. Quand je lui eus expliqué les souffrances des amis et l’eus averti, selon que j’étais poussé de Dieu, il me dit : Venez me voir demain… Le lendemain, on me dit qu’il était malade, et je ne le vis plus. »

Son œuvre était accomplie. Le 26 août 1658, il tomba malade, quitta Hampton-Court pour Londres, et ne se releva plus. Tel nous avons vu le fermier rêveur, mystique, déchiré des doutes de Hamlet, dans la solitude de Saint-Yves, tel nous le retrouvons à sa mort. Jeune, il n’avait aucune raison pour simuler le fanatisme ; mourant, il n’avait plus de motif pour garder le masque. « Mes enfans, disait-il en se soulevant, vivez en chrétiens. Je vous laisse le pacte avec le Seigneur pour vous alimenter ! » Les trois jours de son agonie, pendant laquelle une furieuse tempête éclata, ne furent pour lui qu’une longue et mystique angoisse, une lutte avec Dieu révélée par des gémissemens, des sanglots et des prières continuelles.

Cromwell laissait non-seulement l’Angleterre florissante, mais remplie de germes qui devaient faire la grandeur des deux siècles suivans. Carlyle ne reconnaît pas cette grandeur ; il eût fallu, selon lui, que l’Angleterre demeurât attachée au puritanisme et fidèle à la loi biblique du covenant. Carlyle ne se contente pas de regretter cette époque, il flétrit celles qui lui ont succédé, n’épargnant ni le XVIIIe siècle, ni le XIXe. Il pense que le développement de l’Angleterre depuis Cromwell ne doit compter absolument pour rien ; l’Inde, le commerce, la richesse, l’industrie, ne sont rien. Il termine son livre par une comparaison des plus burlesques, où l’Angleterre actuelle est assimilée à une autruche qui tourne le dos au soleil. Le soleil, c’est le puritanisme que l’on a cessé de regarder en face ; je ne veux pas priver le lecteur de ce curieux morceau : « Comme une gourmande autruche, occupée seulement de vivre et de garder sa peau, l’Angleterre d’aujourd’hui montre au soleil son autre extrémité, avec sa tête cachée dans le premier buisson de défroques d’église… Elle se réveillera bientôt d’une terrible manière, a posteriori, cette autruche absorbée par le soin grossier de sa vie… » Telle est la bouffonnerie grotesque qui couronne l’œuvre.

Ce reproche, ce jugement, cette prétention, n’ont rien de philosophique et de raisonnable. L’état de fièvre ardente, qui développe les énergies d’un peuple et prépare la fécondation de son avenir par l’intensité du désir et la violence de l’enthousiasme, situation anormale et de peu de durée, doit céder la place à des phases moins magnifiquement orageuses ; quand la crise a cessé, on profite du renouvellement ; la vie ordinaire reprend son cours. A quoi donc les crises violentes seraient-elles bonnes sans ce progrès tranquille des époques secondaires, qui recueillent le bénéfice des grands orages ?


PHILARETE CHASLES.

  1. Voyez les livraisons des 15 janvier et 15 février 1846.
  2. Histoire de la République, 3 vol.
  3. Hommes d’état de la République, 6 vol.
  4. Parliamentary history, XX, 318, 33.
  5. Au-dessus de cette somme est écrit : 1,260 livres.
  6. Fox’s Journal, 1636 ; Leeds, I, 265.
  7. I may not (shall I tell you, I cannot ?).
  8. Le duc d’Yorck, frère de Charles II.
  9. C’est un chiffre à la place du nom d’un homme ; probablement la clé en est perdue.
  10. La brouille entre les deux frères et la division du parti royaliste, division que Mazarin fomentait.
  11. Journal de Fox, I, 381, 2.
  12. Waft, mot qui n’est pas anglais, mot inventé par Fox. Les Bunyan, les Fox, les Baxter et les mystiques anglais ont enrichi la langue de beaucoup d’expressions, dont quelques-unes sont restées.