Doctrine de la vertu (trad. Barni)/Eléments métaphysiques/Introduction/V/A

Doctrine de la vertu
Traduction par Jules Barni.
Auguste Durand (p. 22-24).



V.


explication de ces deux concepts.
A.


PERFECTION DE SOI-MÊME


Le mot perfection donne lieu à plus d’une équivoque. Il désigne quelquefois un concept qui est du ressort de la philosophie transcendentale, celui de la totalité des éléments divers, dont l’ensemble constitue une chose[1] ; mais il désigne aussi un concept qui relève de la téléologie, et alors il signifie la convenance des propriétés d’une chose avec une fin. Dans le premier sens, la perfection pourrait être appelée quantitative[2] (matérielle), et, dans le second, qualitative[3] (formelle). Celle-là doit nécessairement être une, car le tout d’une chose est un ; mais de celle-ci il peut y avoir plusieurs sortes dans une chose, et c’est de cette dernière que nous avons ici à nous occuper spécialement.

Quand on dit que c’est un devoir en soi de se proposer pour but la perfection qui est propre à l’homme en général (c’est-à-dire à l’humanité), on veut parler de celle qui réside dans ce qui peut être l’effet des actions de l’homme, et non dans ce qui est en lui un don de la nature ; car autrement elle ne serait pas un devoir. Elle ne peut donc être autre chose que la culture de nos facultés (ou de nos dispositions naturelles), au premier rang desquelles il faut placer l’intelligence, ou la faculté qui fournit les concepts, par conséquent aussi ceux qui se rapportent au devoir, et, avec lui, la volonté, ou la faculté de donner satisfaction à tous les devoirs en général (d’où sort la moralité intérieure[4]). 1o C’est pour l’homme un devoir de travailler à se dépouiller de la rudesse de sa nature, de l’animalité (quoad actum), pour se rapprocher toujours davantage de l’humanité, qui seule le rend capable de se proposer des fins ; de chasser son ignorance par l’instruction, et de corriger ses erreurs. Et cela, ce n’est pas seulement la raison techniquement pratique qui le lui conseille relativement à d’autres fins (celles de l’art), mais la raison moralement pratique qui le lui ordonne absolument : elle lui fait de cette fin un devoir, qu’il doit remplir pour se rendre digne de l’humanité qui réside en lui. 2o C’est pour lui un autre devoir de pousser la culture de sa volonté jusqu’au plus pur sentiment de la vertu, c’est-à-dire de donner la loi même pour mobile à ses actions, quand il agit conformément au devoir, et d’obéir à cette loi par devoir, ce qui est, en matière de pratique morale, la perfection intérieure. Ce sentiment, qui est l’effet produit en nous par une volonté, qui se donne à elle-même sa loi, sur notre faculté d’agir conformément à cette loi, s’appelle le sens moral (c’est comme un sens spécial, sensus moralis) ; et, quoique l’on en abuse souvent, en s’imaginant qu’il précède la raison (semblable au génie de Socrate), ou qu’il peut se passer de ses jugements, il est pourtant une perfection morale, qui consiste à se faire sa propre fin de toute fin particulière qui est en même temps un devoir.

Notes du traducteur modifier

  1. Allheit des Mannigfaltigen, was zusammengenommen ein Ding ausmacht.
  2. C’est le mot même dont Kant se sert. Je ne fais que le transporter, tel quel, du texte dans ma traduction.
  3. Même remarque.
  4. Sittliche Denkungsart.

Notes de l’auteur modifier