Discours sur les psaumes (Augustin)/Psaumes XLI à L
DISCOURS SUR LE PSAUME 41
modifierSERMON AU PEUPLE
modifierLES SOUPIRS DE L’ÉGLISE
modifierCe cerf altéré désigne les membres de l’Église, qui sont les fils de Coré ou du Calvaire. Le désir de la vie éternelle a de l’analogie avec les mœurs des cerfs qui sont agiles, qui tuent les serpents, ce qui leur occasionne une grande soif, qui se soulagent mutuellement du fardeau de leur tête. Le cerf du psaume se nourrit de ses larmes, quand on lui dit : Où est ton Dieu ? Il le trouve dans les régions spirituelles de la méditation, en s’élevant jusqu’aux saintes harmonies qui lui font désirer le ciel. Il s’afflige d’être encore ici-bas, il s’effraie des abîmes. Il veut aller au ciel par l’espérance, par l’humilité et surtout par la prière, qui est le meilleur des sacrifices.
1. Il y a longtemps, mes frères, que mon âme voudrait s’épanouir avec vous dans la parole de Dieu, et vous saluer en celui qui est notre secours et notre salut. Écoutez donc par notre intermédiaire ce que dit le Seigneur, et avec nous réjouissez-vous en lui, en sa parole, en sa vérité, en sa charité. Le Psaume dont nous voulons vous parler aujourd’hui, est en accord avec l’ardeur de vos désirs. C’est par un saint désir en effet qu’il commence ; et le chantre s’écrie : « Comme le cerf altéré brame après les sources d’eau vive, ainsi mon âme soupire après vous, ô mon Dieu ! »[1]. Qui donc parle ainsi ? C’est nous, si nous voulons. Pourquoi chercher ailleurs celui qui parle, quand tu peux être toi-même ce que tu cherches ? Toutefois, ce n’est point un seul homme, mais bien tout un corps. C’est le corps du Christ, ou l’Église[2]. Il est vrai qu’on ne trouve point le même désir chez tous ceux qui entrent dans l’Église : et néanmoins ceux qui ont goûté combien le Seigneur est doux, et retrouvé cette douceur dans ce cantique, ne doivent pas croire que cette faveur est pour eux seuls ; mais qu’ils se persuadent que cette semence est répandue dans le champ du Seigneur, par toute la terre, et que les chrétiens disent avec une certaine unité : « Comme le cerf altéré brame après les sources d’eau vive, ainsi mon âme soupire après vous, ô mon Dieu ». On peut en effet, sans erreur, appliquer ces paroles aux catéchumènes, qui s’empressent d’arriver à la grâce du baptême. De là tient qu’on leur chante solennellement ce psaume, afin qu’ils soupirent après cette source de la rémission des péchés. « Comme le cerf brame après les fontaines d’eau vive ». Qu’il en soit ainsi, et que cette interprétation, qui est vraie, qu’autorisent nos solennités, soit reçue dans l’Église. Toutefois, mes frères, il me semble que le baptême n’assouvit pas chez les fidèles cet ardent désir ; qu’il ne sert qu’à l’attiser davantage, s’ils savent bien en quel lieu ils voyagent comme étrangers, et où leur pèlerinage doit aboutir.
2. Voici donc le titre du psaume : « Pour la fin, pour l’intelligence, psaume aux fils de Coré »[3]. D’autres titres encore font mention des fils de Coré[4], et il me souvient de vous en avoir parlé, de vous avoir expliqué le sens de cette dénomination ; et pourtant, il faut dire un mot de ce titre : ce que nous en avons dit auparavant ne doit pas nous empêcher d’en parler ; tous n’étaient pas présents toutes les fois que nous en avons parlé. Que Coré ait été un homme, comme il est vrai, et qu’il ait eu des enfants appelés fils de Coré[5] pour nous, cherchons la figure qu’il nous dérobe et faisons ressortir les mystères dont ce nom est chargé. Car c’est dans le sens d’un profond mystère que l’on appelle les chrétiens fils de Coré. Comment fils de Coré ? fils de l’Époux, fils du Christ. Les chrétiens sont appelés aussi fils de l’Époux[6]. Comment donc le Christ serait-il Coré ? C’est que Coré signifie l’endroit chauve ou Calvaire. Mais ceci paraît encore bien éloigné. Je demandais pourquoi le Christ est appelé Coré, et je cherche plus encore les rapports du Christ avec le mot chauve ou Calvaire. Or, le lieu du Calvaire où il fut crucifié[7], ne vous vient-il pas en pensée ? Il vous vient assurément. Donc les fils de l’Époux, les fils de ses douleurs, les fils rachetés par son sang, les fils de sa croix, qui portent gravé sur leur front, ce que ses ennemis désirent sur le Calvaire, sont appelés fils de Coré. C’est pour eux, pour leur donner l’intelligence, que nous chantons ce Psaume. Stimulons donc notre intelligence, et comprenons-le, puisqu’il est chanté pour nous. Que nous faut-il comprendre ? En le chantant quelle intelligence veut-on nous en donner ? J’ose bien dire : « Les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde, par tout ce qui a été fait »[8]. Entrez donc avec moi, mes frères, dans une sainte avidité, prenez part à mon désir. Aimons ensemble, ayons soif ensemble et courons ensemble aux sources de l’intelligence. Soupirons comme le cerf après cette fontaine ; et, sans parler de cette source de la rémission des péchés, après laquelle soupirent nos catéchumènes, soupirons, nous qui sommes baptisés, après cette autre fontaine dont l’Écriture dit ailleurs : « C’est en vous qu’est la source de la vie ». Source qui est aussi une lumière, « puisque c’est à votre lumière que nous verrons la lumière »[9]. Si donc il est source et lumière, il est aussi intelligence, car il apaise dans une âme la soif de la science ; et quiconque a de l’intelligence est éclairé par une certaine lumière, qui n’est ni corporelle, ni charnelle, ni extérieure, mais intérieure. Il y a donc, mes frères, une certaine lumière intérieure qui manque à l’homme dépourvu d’intelligence. Aussi l’Apôtre conjure-t-il ainsi ceux qui soupirent après cette source d’eau vive, et qui en goûtent quelque peu : « Désormais, ne marchez plus comme les Gentils, qui s’avancent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l’esprit plein de ténèbres, entièrement éloignés de la vie de Dieu, à cause de l’ignorance qui est en eux et de l’aveuglement de leur cœur »[10]. Si donc leur intelligence est obscurcie, c’est-à-dire s’ils sont dans les ténèbres parce qu’ils ne comprennent point, il suit de là que l’intelligence est une lumière. Cours donc à la fontaine, soupire après les sources d’eau vive. C’est en Dieu qu’est la source de la vie et la source intarissable : c’est de son flambeau que nous vient une lumière qui ne s’obscurcira jamais. Soupire après cette lumière, après cette fontaine, lumière que tes yeux ne connaissent point, lumière à laquelle tu dois préparer l’œil de ton âme, fontaine où ne peut se désaltérer que la soif intérieure. Cours à cette fontaine, soupire après ses eaux ; mais n’y cours point d’une manière telle quelle, ni comme tout animal peut y courir ; cours-y comme le cerf. Qu’est-ce à dire, comme le cerf ? Qu’il n’y ait rien de pesant dans ta course, mais qu’elle soit légère, que tes désirs soient vifs. Le cerf est pour nous un modèle de vitesse.
3. Peut-être n’est-ce point l’agilité seulement, mais d’autres qualités encore que l’Écriture veut nous signaler chez les cerfs. Écoutez ce qu’ils ont encore de spécial. Ils tuent les serpents ; et, après les avoir tués, ils sont brûlés d’une soif plus ardente, la mort des serpents les précipite plus rapidement encore vers les fontaines. Pour toi, les serpents sont tes vices : donne la mort aux serpents de l’iniquité, et tu n’en auras que plus soif de la vérité. L’avarice souffle peut-être à ton âme une parole de ténèbres, elle siffle contrairement à la parole de Dieu, contrairement au précepte du Seigneur. Et comme l’on te dit : Dédaigne un tel gain, ne commets point l’iniquité si tu préfères l’iniquité, au lieu de dédaigner un gain temporel, tu aimes mieux être mordu par le serpent que le tuer toi-même. Mais dans cette faveur que tu as pour tes vices, pour tes convoitises, pour ta cupidité, en un mot pour ton serpent, comment reconnaîtrai-je ce désir qui te précipitera vers les sources d’eau vive ? Surchargé du poison de la malice, comment pourras-tu recourir aux sources de la sagesse ? Extermine donc en toi ce qui est contraire à la vérité ; et quand il n’y aura plus chez toi nulle convoitise mauvaise, n’en demeure point là, comme s’il ne te restait rien à désirer. Il y a toujours quelque point où tu dois t’élever ; si déjà tu as obtenu de n’avoir plus aucune entrave en toi-même. Mais si tu es du nombre des cerfs, tu me diras peut-être : Dieu sait que je ne suis point avare ni désireux du bien d’autrui, que je ne brûle point des feux de l’adultère, que je ne sens en mon âme ni haine ni envie contre qui que ce soit, et autres choses semblables. Tu me diras encore : Je n’ai point ces défauts ; et tu cherches peut-être où sera ton plaisir. Désire ce qui pourra te plaire, soupire après les sources d’eau vive. Dieu a de quoi te rassasier, te combler, quand tu viendrais à lui avec la soif et l’agilité du cerf qui a tué des serpents.
4. Il est encore une remarque à faire au sujet du cerf. On dit que les cerfs, et quelques-uns affirment l’avoir vu, car on n’oserait rien écrire de semblable si on ne l’avait vu ; on dit donc que des cerfs marchant en troupes, ou cherchant à la nage d’autres contrées, appuient l’un sur l’autre le poids de leurs têtes ; sorte que l’un ouvre la marche, que ceux qui suivent reposent leurs têtes sur lui ; et de même ceux qui suivent sur ceux qui les devancent, et, ainsi jusqu’au dernier ; que le dernier, fatigué au premier rang du poids de sa tête, revient derrière, afin de laisser au suivant le fardeau qu’il portait, et de se rendre de sa fatigue, en donnant sa tête à porter, comme le faisaient les autres. C’est ainsi que tour à tour, portant ce qu’ils ont de trop lourd, ils achèvent le voyage sans se quitter. N’est-ce point au cerf que l’Apôtre fait allusion quand il dit : « Portez mutuellement vos fardeaux, et vous accomplirez la loi du Christ ? »[11]
5. Un tel cerf, affermi dans la foi, qui voit ne point ce qu’il croit, qui désire comprendre ce qu’il aime, souffre des contradictions de qui ne sont point des cerfs, qui ont l’intelligence obscurcie, qui sont plongés dans les ténèbres intérieures et aveuglés par de coupables convoitises. Ils vont même jusqu’à dire insolemment à l’homme de foi qui ne peut montrer ce qu’il croit : « Où est donc ton Dieu ? »[12] Écoutons ce qu’a opposé à ces paroles ce cerf qu’il nous faut imiter, si le nous pouvons. D’abord il exprime l’ardeur de sa soif : « Comme le cerf », dit-il, « brame après l’eau de fontaine, ainsi mon âme soupire après vous, ô mon Dieu ». Mais est-ce pour s’y baigner que le cerf brame après les eaux ? Car jusque-là nous ne savons si c’est pour y boire ou s’y baigner. Écoute ce qui suit et ne questionne plus : « Mon âme a soif de vous, qui êtes le Dieu vivant ». Cette parole : « Comme le cerf brame après l’eau des fontaines, ainsi, mon âme soupire après vous, ô mon Dieu »[13], je la répète ici : « Mon âme a soif de vous, ô Dieu, source de vie ». Quelle est la cause de sa soif ? « Quand apparaîtrai-je devant la face de Dieu ? » Arriver, apparaître : voilà ce qui attise ma soif. J’ai soif dans mon pèlerinage, soif dans ma course : je serai désaltéré à mon arrivée. Mais, « quand arriverai-je ? » Ce qui est court aux yeux de Dieu, est bien long pour mes désirs. « Quand apparaîtrai-je devant la face de Dieu ? » C’est ce même désir qui lui fait pousser ailleurs cette exclamation : « Je n’ai fait au Seigneur qu’une seule demande, c’est d’habiter tous les jours de ma vie dans la maison du Seigneur ». Pourquoi ? « Afin », dit-il, « de contempler la beauté du « Seigneur »[14]. – « Quand viendrai-je et apparaîtrai-je devant la face de Dieu ? »
6. Pendant que je nourris ces desseins, que je cours, que je suis en chemin, avant d’arriver, avant d’apparaître : « Mes larmes nuit et jour ont été ma nourriture, alors qu’on me dit chaque jour : Où est ton Dieu ? »[15] – « Mes larmes », dit le Prophète, « étaient pour moi un pain », non pas une amertume. Elles m’étaient délicieuses, ces larmes ; et, comme dans ma soif pour ces eaux vives, je ne pouvais en boire, je buvais avidement mes larmes. Il ne dit point : Mes larmes sont devenues pour moi un breuvage, de peur qu’il ne paraisse les désirer comme les eaux vives ; mais en conservant cette soif qui me brûle, qui me porte vers les sources d’eau, mes larmes sont ma nourriture, avant que j’arrive. Et ces larmes, dont il se nourrit, redoublent assurément sa soif pour les eaux. Chaque jour, en effet, comme chaque nuit, mes larmes sont ma nourriture. Les hommes prennent pendant le jour cet aliment appelé du pain ; ils dorment la nuit ; mais le pain des larmes se mange la nuit comme le jour ; soit que par nuit et jour vous entendiez le temps de cette vie, soit que le jour vous désigne la félicité, et la nuit les afflictions d’ici-bas. Que je sois donc heureux ou malheureux ici-bas, dit le Prophète, je verse les larmes d’un saint désir, et ce désir insatiable ne me quitte point ; et le bonheur de cette vie est un malheur pour moi, jusqu’à ce que j’apparaisse devant la face de Dieu. Pourquoi m’obliger à bénir le jour où la joie du monde vient me sourire ? N’est-ce pas une joie trompeuse ? N’est-elle point insaisissable, caduque et mortelle ? N’est-elle point sans durée, volage, passagère ? N’offre-t-elle pas la déception plus que le plaisir ? Pourquoi donc, au milieu même de cette joie, mes larmes ne seraient-elles pas mon pain ? Quel que soit en effet le bonheur terrestre qui brille autour de nous, tant que nous habitons notre corps, nous sommes exilés loin du Seigneur[16] ; et « chaque jour on me dit : Où est ton Dieu ? » Qu’un païen me parle ainsi, ne puis-je pas, à mon tour, lui dire : Où est ton Dieu ? Il me montre son Dieu du doigt. Du doigt il me désigne une pierre et dit : Voilà mon Dieu. Mais encore, « où est ton Dieu ? » Que je raille sa pierre, il rougit de me l’avoir montrée : et, détournant les yeux de cette pierre, il regarde le ciel, et m’indiquant du doigt peut-être le soleil, il me dit encore Voilà mon Dieu. Mais enfin, « où est ton Dieu ? » L’œil de son corps a trouvé de quoi me montrer ; pour moi, ce n’est point que je n’aie un Dieu à montrer, mais le païen n’a pas ces yeux auxquels je puisse le désigner. Il a pu désigner à mon œil corporel le soleil pour son Dieu, mais moi, à quel œil montrerai-je le Créateur du soleil ?
7. Toutefois, à force d’entendre chaque jour : « Où est ton Dieu ? » et de me nourrir chaque jour de mes larmes, j’ai médité jour et nuit cette parole : « Où est ton Dieu ? » et à mon tour j’ai cherché mon Dieu, afin d’essayer si je ne pourrais point non seulement croire, mais encore voir quelque chose. Je vois en effet les œuvres de Dieu, et non le Dieu qui les a faites. Mais puisque je soupire comme le cerf après les sources d’eau vive, et qu’en Dieu est la source de la vie, et que notre psaume a pour titre : « Intelligence pour les fils de Coré », et que les perfections invisibles de Dieu deviennent visibles par la création du monde : que ferai-je pour trouver Dieu ? Je considérerai la terre ; mais la terre a été faite. J’y trouve sans doute une beauté admirable ; mais elle a un auteur. Il y a dans les plantes et dans les animaux des merveilles sans nombre ; mais tout cela est l’œuvre d’un Créateur. J’envisage les vastes plaines de la mer, elle m’épouvante ; je l’admire, mais je cherche celui qui l’a créée. Je regarde les cieux, la beauté des astres, j’admire cet éclat du soleil suffisant pour éclairer le jour, et la lune qui nous soulage des ténèbres de la nuit ; tout cela est admirable, tout cela digne d’éloges, tout cela nous ravit, car ce ne sont point des beautés de la terre, mais des beautés des cieux ; mais ma soif ne s’étanche point ; j’admire tout cela, je le chante, mais j’ai toujours soif de celui qui a fait tout cela. Je rentre donc en moi-même, et je me demande ce que je suis, moi qui veux approfondir tout cela : je trouve que j’ai une âme et un corps ; un corps que je dirige, une âme qui me conduit ; un corps pour servir, une âme pour commander. Je vois dans l’âme une supériorité sur le corps, et je comprends que c’est l’âme et non le corps qui peut discerner toutes ces choses : et cependant je reconnais que c’est par le corps que j’ai pu voir tout ce que j’ai vu. J’admirais la terre, mes yeux l’avaient vue ; j’admirais la mer, mes yeux l’avaient vue ; le ciel, les astres, le soleil, la lune, je ne les connais que des yeux. Ces yeux, membres de mon corps, sont les fenêtres de l’âme. Il y a intérieurement quelqu’un qui regarde par tes fenêtres, qui sont ouvertes sans profit, si la pensée est absorbée ailleurs. Ce n’est point avec ces yeux qu’il faut chercher mon Dieu, l’auteur de tout ce que mes yeux aperçoivent. Que mon âme considère donc par elle-même, s’il y a quelque chose que les yeux ne voient point, comme ils voient les couleurs et la lumière, quelque chose que je n’entende point par les oreilles, comme j’entends le chant elle bruit, quelque chose que je ne sente point par les narines, comme les odeurs, que ne discerne point le palais ni la langue, comme les saveurs, que je ne distingue point partout le corps, comme je sens ce qui est dur, mon, froid, chaud, doux, âpre ; mais s’il y a quelque chose que je voie intérieurement. Qu’est-ce à dire, voir intérieurement ? C’est-à-dire quelque chose, qui ne soit ni la couleur, ni le son, ni l’odeur, ni la saveur, rai le chaud, ni le froid, ni la dureté, ni la mollesse. Que l’on me dise un peu de quelle couleur est la sagesse. Quand nous pensons à la justice, et que sa beauté remplit déjà notre âme, quel son a frappé mes oreilles ? Quelle vapeur s’est élevée jusqu’à mon odorat ? Qu’en est-il venu à ma bouche ? Qu’est-ce que la main a pris plaisir à toucher ? Cette justice est toute intérieure, elle est belle, on la loue, on la voit, Et quand les yeux du corps seraient dans les ténèbres, l’esprit n’en jouit pas moins de sa lumière. Que voyait Tobie, quand cet aveugle donnait à son fils, qui voyait la lumière, des conseils pour la conduite de sa vie[17] ? Il y a donc quelque chose de visible pour l’esprit qui domine, qui gouverne, qui habite le corps ; quelque chose qu’il ne connaît ni par les yeux du corps, ni par les oreilles, ni par les narines, ni par le palais, ni par le contact du corps, mais par lui-même ; et ce qu’il connaît par lui-même est bien supérieur à ce qu’il connaît par son esclave. Cela est indubitable ; car l’esprit se connaît par lui-même ; et, pour se connaître, il se voit. Mais, pour se voir, il n’a point recours aux yeux du corps ; il fait même abstraction de tous les sens du corps comme d’autant d’obstacles et d’embarras, afin de rentrer en lui-même, de se voir en lui-même, de se connaître par lui-même. Mais Dieu est-il donc quelque chose de semblable à notre âme ? lieu sans doute ne peut être vu que de l’esprit, mais non à la manière de l’esprit. Car cette âme cherche quelque chose qui est Dieu, et dont on ne puisse lui dire insolemment : « Où est ton Dieu ? » Elle cherche une vérité immuable, nue substance indéfectible. Or, telle n’est pas notre âme qui a ses défauts, ses progrès, qui menait et qui ignore, qui se souvient et qui oublie, qui veut aujourd’hui, qui ne veut plus demain, Or, Dieu n’est point assujetti au changement. Si Dieu était assujetti au changement, ils m’insulteraient à bon droit, ceux qui me disent : « Où est ton Dieu ? »
8. Cherchant donc mon Dieu dans les choses visibles et corporelles, et ne le trouvant point ; cherchant encore en moi sa substance, assume s’il était de même nature que moi, et ne l’y trouvant pas plus, je sens que mon Dieu est supérieur à mon âme. Donc, afin de l’atteindre : « J’ai médité ces choses et répandu mon âme au-dessus de moi »[18]. Quand mon esprit pourrait-il atteindre ce que l’on doit chercher dans des régions supérieures, s’il ne se répandait au-dessus de lui-même ? À demeurer en lui-même, il ne versait que lui ; et en se voyant il ne verrait point Dieu. Que mes insulteurs me disent maintenant : « Où est ton Dieu ? » oui, qu’ils me disent : pour moi, tant que je ne verrai point, tant que je suis éloigné, je me nourris suit et jour de mes larmes. Qu’ils me disent encore : « Où est ton Dieu ? » je cherche mon dieu dans tous les corps, soit terrestres, soit célestes, et ne le trouve point ; je le cherche dans la substance de mon âme, et ne le trouve point ; et toutefois, j’ai résolu de chercher mon Dieu, et de comprendre par les créatures visibles les beautés invisibles de Dieu[19] ; « et j’ai répandu mon âme au-dessus de moi » ; il ne me reste plus rien à atteindre, si ce n’est mon Dieu ; c’est là, c’est au-dessus de mon âme qu’est la demeure de mon Dieu ; c’est là qu’il habite, c’est de là qu’il me regarde, de là qu’il m’a créé, de là qu’il me dirige, de là qu’il me conseille, de là qu’il me stimule, de là qu’il m’appelle, de là qu’il me redresse, de là qu’il me conduit, de là qu’il me fait aboutir.
9. En effet, lui qui a dans le secret une maison infiniment élevée, a aussi son tabernacle sur la terre ; et ce tabernacle, c’est son Église, encore étrangère. C’est là qu’il faut chercher Dieu, parce que dans ce tabernacle on trouve le chemin qui conduit à son palais. Quand je répandais mon âme dans les régions supérieures, pour chercher mon Dieu, quel était mon dessein ? « d’entrer dans le tabernacle du Seigneur ». Car je ne puis errer en dehors de ce tabernacle en cherchant mon Dieu. « Parce que j’entrerai dans le lieu de votre tabernacle admirable, jusqu’à la maison de Dieu ». J’entrerai donc dans le lieu de cette tente admirable, jusqu’à la maison de Dieu. Combien n’ai-je pas à admirer dans ce tabernacle ? Voici toutes les merveilles qu’il présente à mon admiration. Ce tabernacle de Dieu sur la terre, ce sont les âmes des fidèles ; j’admire en eux la subordination des membres, car le péché ne règne plus en eux pour les assouplir à ses convoitises ; ils ne font pas de leurs membres des instruments d’iniquité pour servir au péché, mais ils les font servir au Dieu vivant par leurs bonnes œuvres. J’admire les membres du corps devenus des armes pour l’âme qui sert Dieu[20]. Je jette les yeux sur cette âme soumise à Dieu, et qui règle toutes les œuvres de son activité, qui met un frein à ses convoitises, qui repousse l’ignorance, qui s’étudie à supporter ce qu’il y a de dur et de difficile, qui se maintient pour les autres dans la justice et dans la charité. J’admire dans une âme toutes ces vertus ; mais je ne suis encore que dans le tabernacle. Je m’élève encore au-delà ; et quelles que soient les merveilles du tabernacle, je suis dans la stupeur quand j’arrive à la maison de Dieu. C’est de ce palais que le Psalmiste parlait ailleurs, quand, s’étant posé cette question difficile et épineuse : Pourquoi les méchants sont presque toujours heureux sur la terre, et les bons malheureux, il s’écriait : « J’ai médité pour savoir, et mes yeux n’ont vu qu’un grand travail, jusqu’à ce que j’entre dans la maison de Dieu, et que j’aie vu à la fin des pervers »[21]. Telle est donc la source de l’intelligence, le sanctuaire de Dieu, la maison de Dieu. C’est là que le Prophète a compris la fin dernière, et qu’il a pu résoudre la question du bonheur des méchants et des souffrances des justes. Quelle solution y a-t-il donnée ? C’est que les méchants épargnés ici-bas, sont réservés à des châtiments sans fin ; et que les bons qui souffrent, sont éprouvés pour être mis ensuite en possession de l’héritage éternel. Voilà ce que le Prophète a connu dans le sanctuaire de Dieu ; telle est la fin des choses qu’il a comprises. Il s’est donc élevé jusqu’au sanctuaire pour arriver à la maison de Dieu ; toutefois, en admirant les merveilles du tabernacle, il est arrivé à la maison de Dieu, en suivant je ne sais quelle douceur, quel charme intérieur et caché, comme si une suave harmonie s’exhalait de la maison de Dieu. Or, comme il marchait dans le tabernacle, dominé par cette harmonie de l’intérieur, cédant à l’enchantement, suivant cette harmonie de l’oreille et s’élevant au-dessus de tout bruit de la chair et du sang, il est arrivé jusqu’à la maison de Dieu. Car il nous raconte ainsi sa marche et la voie qu’il a tenue, comme si nous lui disions : Tu admirais le tabernacle de Dieu sur la terre ; comment es-tu arrivé au secret de la maison de Dieu ? « C’est », dit-il, « au son de l’allégresse et de la louange, au son des cantiques des fêtes ». Quand les hommes célèbrent ici-bas les fêtes de la débauche, ils ont la coutume d’établir devant leur demeure des orchestres, des joueurs de harpe, ou toute symphonie quia des attraits, des stimulants pour la débauche. Or, quand nous passons par là, que disons-nous de ces bruits ? Que fait-on là ? Et on nous répond qu’il y a quelque fête. On y célèbre, dit-on, quelque naissance, quelque mariage ; on tâche de donner un prétexte à ces chants ridicules, de couvrir d’une excuse une telle débauche. Dans la maison de Dieu, c’est une fête continuelle. Or, on n’y célèbre rien de ce qui passe. Cette fête éternelle, c’est le chœur des anges : voir Dieu à découvert, c’est une joie sans défaut. Tel est ce jour de fête que n’ouvre aucune entrée, que ne vient clore aucune fin. Cette fête éternelle et sans fin a, pour les oreilles du cœur, je ne sais quoi de sonore et de ravissant, si toutefois cela n’est couvert par le bruit du monde. Pour celui qui marche dans ce tabernacle, et qui médite sur les merveilles de Dieu pour la rédemption des fidèles, il y a dans le concert de cette fête, un charme d’oreille qui l’entraîne comme le cerf aux sources d’eau vive.
10. Cependant, mes frères, tant que nous sommes en ce corps mortel, nous sommes éloignés du Seigneur[22], et le corps qui se corrompt aggrave l’âme, et cette demeure terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées[23] et bien que sur la route nous dissipions des nuages par la vivacité de nos désirs, que nous parvenions parfois à cette harmonie et à concevoir par nos efforts quelque chose de ce qui est dans la maison de Dieu, néanmoins le poids de nos faiblesses nous fait retomber dans notre torpeur ordinaire, et nous rentrons dans nos habitudes. Et, de même que nous avions trouvé de quoi nous réjouir, nous retrouvons ici-bas de quoi gémir. Ce cerf, en effet, qui a jour et nuit ses larmes pour nourriture, poussé par son désir vers les sources d’eau vive ou vers les délices intérieures de Dieu, et qui répand son âme dans les régions supérieures, pour atteindre plus haut que son âme, qui marche dans le lieu d’un tabernacle merveilleux, et qui se laisse aller aux ravissements d’une harmonie spirituelle et intelligible qui lui fait mépriser tout ce qui est extérieur pour les charmes intérieurs, ce cerf est encore un homme, il gémit encore ici-bas, il porte encore une chair fragile, il est encore exposé aux scandales du monde. Il se regarde alors comme venant des régions supérieures, et se voyant dans ce lieu de douleur, comparant à cet état présent les choses qu’il est allé voir, qu’il a vues avant de revenir, il s’écrie : « Pourquoi tant de tristesse, ô mon âme, et d’où te vient ce trouble ? »[24] Déjà noue avons goûté les charmes d’une joie intérieure, voilà que la perspicacité de l’esprit a pu pénétrer jusqu’à l’immuable, quoique en passant et seulement comme l’éclair ; pourquoi me troubler encore, et d’où vient ta tristesse ? Car ton Dieu n’est pour toi l’objet d’aucun doute. Tu ne manques pas de réponse contre ceux qui te disent : « Où est ton Dieu ? » J’ai déjà pressenti l’immuable, pourquoi me troubler encore ? « Espère en Dieu e. Et comme si sou âme lui répondait dans le silence : Pourquoi te troublé-je, sinon parce que je ne suis pas encore où l’on goûte la douceur ineffable, et où je n’ai fait que passer ? Puis-je boire sans crainte ires fontaines ? N’ai-je plus à redouter aucun scandale ? Mes passions sont-elles vaincues, domptées, au point de me laisser en sûreté ? le diable, mon ennemi, n’a-t-il pas toujours l’œil ouvert sur moi ? Chaque jour ne tend-il pas des pièges pour me surprendre ? Tu ne veux point que je te trouble, quand je suis encore en ce monde, exilée loin de la demeure de mon Dieu ! Mais, « espère en Dieu », répond-il à son âme qui le trouble, et qui semble justifier ce trouble par les misères dont le monde est rempli. En attendant, habite là en espérance. « Car l’espérance qui verrait ne serait plus une espérance ; et si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience »[25].
11. « Espère en Dieu ». Pourquoi, « Espère ? » « Parce que je le confesserai encore ». Comment le confesseras-tu ? « Je confesserai qu’il est mon Dieu, le Sauveur qui fixe mes regards »[26]. Le salut ne peut me venir de moi-même, je le publie, je le proclame ; « c’est mon Dieu, qui est le Sauveur que j’envisage ». Comme s’il craignait de perdre ce qu’il connaît en partie, il regarde avec inquiétude que le serpent ne vienne point à se glisser. Il ne dit pas encore : Je suis tout à fait sauvé. Car, possédant les prémices de l’esprit, nous gémissons intérieurement, en attendant que nous soyons adoptés et délivrés de notre corps[27]. Quand le salut sera parfait en nous, nous aurons la vie éternelle dans la maison de Dieu, nous bénirons à jamais celui à qui le prophète chantait : « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront dans les siècles des siècles »[28]. Nous n’avons pas encore ce bonheur, parce que nous ne possédons pas encore ce salut qui nous est promis ; mais je chante le Seigneur dans mon espérance, et je lui dis : « Mon Dieu est le Sauveur qui fixe mes regards ; car l’espérance nous sauve, « et l’espérance qu’on verrait ne serait point une espérance ». Persévère, afin d’arriver ; cours, jusqu’à ce que vienne le salut. Écoute le langage que ton Dieu te tient à l’intérieur : « Attends le Seigneur, que ton cœur s’affermisse et attende le Seigneur[29] ; car celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin[30]. Pourquoi donc cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler ? Espère dans le Seigneur, car je le confesserai de nouveau ». Et voici la confession que je ferai : « C’est mon Dieu, qui est le Sauveur que j’envisage ».
12. « Mon âme s’est troublée en moi-même »[31]. Est-ce en Dieu qu’elle s’est troublée ? Non, c’est en moi. Elle était raffermie en voyant l’immuable, elle s’est troublée en voyant ce qui est assujetti au changement. Je sais que la justice de Dieu demeure éternellement ; quant à la mienne, je ne sais si elle subsistera. Cette parole de l’Apôtre m’effraie : « Que celui qui est ferme prenne garde de tomber »[32]. Donc, parce qu’il n’y a en moi aucune stabilité, et que je ne puis espérer en moi, « mon âme se trouble en moi ». Veux-tu qu’elle ne se trouble point ? Qu’elle ne demeure pas en toi ; mais dis : « Seigneur, j’élève mon âme vers vous »[33]. Écoute plus clairement encore. N’espère jamais de toi, mais de ton Dieu. Si tu comptes en effet sur toi-même, ton âme se trouble, car elle ne trouve rien qui la rassure à ton sujet. Donc puisque mon âme se trouble en moi, que me reste-t-il sinon l’humilité, afin que mon âme ne présume point d’elle-même ? Que lui reste-t-il, sinon de s’anéantir afin de mériter d’être élevée ? De ne rien s’attribuer, afin que Dieu lui donne ce qui sera utile ? Donc, parce que mon âme se trouble en moi, et que ce trouble vient de l’orgueil : « Alors je me suis souvenu de vous, Seigneur, dans la terre du Jourdain, sur la colline d’Hermon »[34]. D’où m’est venu ce souvenir de vous ? D’une petite hauteur, dans la terre du Jourdain. Peut-être veut-il dire du baptême, où Dieu accorde la rémission des péchés. Nul en effet ne court à la rémission des péchés, s’il ne se déplaît à lui-même ; nul ne court à la rémission du péché qu’en s’avouant pécheur ; et nul ne s’avoue pécheur qu’en s’humiliant devant Dieu. Donc, je me suis souvenu de vous « dans la terre du Jourdain », non pas sur une haute montagne, mais « sur une colline peu élevée », afin que vous, ô Dieu, vous fassiez de cette faible colline une haute montagne : parce que « celui qui s’élève sera humilié, et quiconque s’abaisse sera élevé »[35]. Mais si tu cherches la signification des noms, Jourdain signifie descente. Descends alors, afin que tu sois relevé ; ne t’élève point, pour n’être pas brisé. Quant à « Hermon, cette faible colline », Hermon signifie anathème. Sois donc anathème à tes yeux, par l’horreur que tu auras de toi-même ; car c’est déplaire à Dieu que te plaire à toi-même. Donc, parce que le Seigneur nous donne tout ce que nous avons de bon, parce qu’il est bon lui-même, et non parce que nous sommes dignes ; parce qu’il est miséricordieux et non parce que nous l’avons mérité : « Je me suis souvenu de Dieu, de la terre du Jourdain, de la colline d’Hermon » ; et, parce qu’il s’en souvient avec humilité, il méritera d’être élevé et de jouir de Dieu ; car ce n’est point s’élever que se glorifier en Dieu[36].
13. « Un abîme appelle un autre abîme, dans le bruit de vos cataractes »[37]. Je pourrai sans doute achever le psaume, avec le secours de votre attention dont je vois la ferveur. J’ai droit de plaindre un peu moins la peine que vous avez de m’écouter, quand vous voyez vous-mêmes les sueurs et le travail que j’endure pour vous parler. En me voyant souffrir, vous y prenez part assurément, puisque c’est pour vous et non pour moi que je travaille. Écoutez donc, puisque c’est votre désir, je le vois. « Un abîme appelle un autre abîme au bruit de vos cataractes » : c’est à Dieu qu’il parle ainsi, celui qui s’est souvenu de lui dans la terre du Jourdain et d’Hermon ; c’est avec admiration qu’il s’écrie : « Un abîme appelle un autre abîme au bruit de vos cataractes ». Quel abîme appelle et quel abîme est appelé ? Le sens de ces paroles est vraiment un abîme. On nomme abîme une profondeur impénétrable, incompréhensible, et ce nom se donne ordinairement aux grandes eaux. Il y a là une hauteur et une profondeur que l’on ne peut mesurer complètement. Enfin il est dit en un certain endroit : « Vos jugements sont un profond abîme »[38] ; l’Écriture voulant nous montrer par là qu’on ne saurait comprendre les jugements de Dieu. Quel abîme appelle et quel abîme est appelé ? Si l’abîme est une profondeur, pensons-nous que le cœur de l’homme ne soit point un abîme ? Quoi de plus profond que cet abîme ? Les hommes peuvent parler, on peut les voir agir dans leurs mouvements extérieurs, les entendre dans leurs discours. Mais de qui peut-on pénétrer les pensées, et voir le cœur à découvert ? Qui peut comprendre ce qu’il porte dans son âme, ce qu’il pense dans son âme, ce qu’il médite, ce qu’il combine dans son âme, ce qu’il désire et ce qu’il repousse dans son âme ? Je pense que l’on peut appeler un abîme ces hommes dont il est dit ailleurs : « L’homme s’élèvera au faîte de son cœur, et Dieu plus haut encore »[39]. Si donc l’homme est un abîme ; comment l’abîme appelle-t-il un abîme ? Est-ce un homme qui appelle un autre homme ? L’appelle-t-il comme on invoque le Seigneur ? Non, mais le mot invocat signifie appeler près de soi. Quelqu’un a dit en effet : Il appelle la mort[40] ; c’est-à-dire, il vit de telle sorte qu’il appelle la mort. Car il n’est personne qui fasse une prière pour invoquer la mort ; mais, pour les hommes, vivre mal, c’est l’invoquer, l’appeler à eux « L’abîme appelle donc l’abîme », un homme appelle un autre homme. On apprend ainsi la sagesse, on s’instruit de la foi, quand l’abîme appelle un autre abîme. Ils appellent un abîme ces saints prédicateurs de la parole de Dieu. Ceux-ci ne sont-ils pas des abîmes ? Pour te montrer qu’ils sont des abîmes à leur tour, l’Apôtre a dit : « Peu m’importe que je sois jugé par vous, ou devant le tribunal de l’homme » ; mais écoute plus loin quel abîme il constitue : « Mais je ne me juge point moi-même »[41]. Croiriez-vous qu’il y ait en l’homme une telle profondeur, qu’elle se dérobe à ses propres yeux ? Quelle profondeur de faiblesse était cachée en saint Pierre, quand, aveuglé sur tout ce qui se passait en son âme, il promettait si témérairement de mourir avec son Maître[42] ! Quel abîme n’était-il point ! Abîme cependant découvert aux yeux de Dieu. Car alors le Christ lui montrait en lui ce qu’il ignorait lui-même. Donc tout homme est un abîme, quelles que soient sa sainteté et sa justice, quelques progrès qu’il ait faits dans la vertu, et il appelle un autre abîme, quand il instruit un autre homme de quelque article de foi, ou de quelque vérité qui concerne la vie éternelle. Mais l’abîme n’est utile à l’abîme qu’il appelle, que quand cela se fait au bruit de vos cataractes, ô Dieu. L’abîme appelle un abîme, un homme gagne un autre homme : non par sa propre voix, mais « par la voix de vos cataractes ».
14. Écoutez un autre sens : « L’abîme appelle un autre abîme, au bruit de vos cataractes ». Pour moi qui tremble quand mon âme est troublée en moi, je suis saisi d’effroi à cause de vos jugements. « Car vos jugements sont des abîmes profonds »[43] ; or, l’abîme appelle un autre abîme. Car cette chair mortelle, calamiteuse, pécheresse, pleine d’afflictions et de scandales, assujettie aux convoitises, est déjà un effet de votre jugement, puisque vous avez dit au pécheur : « Tu mourras de mort » ; et encore : « A la sueur de ton front tu mangeras ton pain »[44]. Tel est le premier abîme les jugements de Dieu. Mais si les hommes viennent à vivre dans le désordre, « l’abîme alors appelle un autre abîme » ; parce qu’ils passent de châtiments en châtiments, de ténèbres en ténèbres, de profondeur en profondeur, de supplice en supplice, et des brasiers de la convoitise aux brasiers de l’enfer. C’est là peut-être ce que craignait celui qui dit ici : « Mon âme est troublée en moi ; aussi me suis-je souvenu de vous, ô mon Dieu, dans les terres du Jourdain et d’Hermon ». Je dois être humble ; car je crains vos jugements : ces jugements me glacent d’effroi, aussi « mon âme en est-elle troublée en moi-même ». Et quels sont vos jugements que je redoute ? Faut-il donc peu craindre d’être jugé par vous ? Ils sont terribles vos jugements, ils sont sévères, insupportables, et plût à Dieu qu’il n’y eût rien que cela : « Un abîme appelle un autre abîme dans le bruit de vos cataractes » ; vous nous menacez, sous nous dites qu’après les eaux de cette vie il nous reste à craindre une autre damnation : « Au bruit de vos cataractes l’abîme appelle un autre abîme. Où irai-je pour échapper à vos regards, où fuirai-je devant votre esprit »[45], si l’abîme appelle un autre abîme, si, après ces peines, j’en dois craindre de plus douloureuses ?
15. « Toutes vos eaux soulevées, tous vos « flots ont passé sur moi »[46]. Vos flots dans les maux que j’endure ; vos eaux soulevées, dans les menaces que vous me faites. Tout ce que je souffre est un de vos flots ; toute menace de votre part est un soulèvement des eaux. Dans vos flots, c’est l’abîme, qui appelle dans ces eaux suspendues un autre abîme. Ainsi mes douleurs actuelles, voilà tous vos flots : les châtiments dont je suis menacé, ce sont là vos eaux suspendues qui ont passé sur moi. Une menace qui ne sévit pas encore, c’est un bras suspendu. Mais comme vous devez nous délivrer, j’ai dit à mon âme : « Espère en Dieu, car je confesserai de nouveau qu’il est un Sauveur à mes yeux, qu’il est mon Dieu »[47]. Plus nos maux sont fréquents, plus sera douce votre miséricorde.
16. C’est pourquoi le Prophète ajoute : « Pendant le jour le Seigneur annonce sa miséricorde, et il la fait sentir pendant la nuit »[48]. Nul ne peut écouter, s’il est dans la douleur. Veillez donc sur vous dans la prospérité ; écoutez dans le bonheur ; lorsque tout est calme, instruisez-vous des règles de la sagesse et recueillez la parole de Dieu comme une nourriture. Lorsqu’un homme est dans l’affliction, il doit se nourrir de ce qu’il a entendu dans le calme. Car c’est dans les jours de paix que le Seigneur promet sa miséricorde à celui qui le sert fidèlement ; il te promet alors de te délivrer, mais ce n’est que pendant la nuit qu’il te donne cette miséricorde promise pendant le jour. Quand viendra la tribulation, son secours ne te fera point défaut. Car il est dit en certain endroit : « La divine miséricorde, au jour de la tribulation, est comme la nuée de la pluie au temps de la sécheresse[49]. Pendant le jour le Seigneur promet cette miséricorde, qu’il fait « sentir pendant la nuit e. Il ne te fait sentir son secours, que s’il t’arrive quelque affliction, d’où te puisse tirer celui qui te l’a promis pendant le jour. De là vient qu’il nous avertit d’imiter la fourmi[50]. De même, en effet, que le jour marque la prospérité de cette vie, et que la nuit marque l’adversité ; de même, en d’autres endroits, c’est l’été qui désigne la vie heureuse, comme l’hiver désigne le malheur. Or, que fait la fourmi ? Pendant l’été, elle fuit des provisions qui doivent lui servir pendant l’hiver. Donc, au moment de l’été, quand vous êtes heureux et dans le calme, écoutez la parole du Seigneur. Comment, en effet, vous serait-il possible, au milieu des tempêtes de ce monde, de traverser toute cette mer sans aucune tribulation ? Comment cela pourrait-il se faire ? Quel homme l’a déjà fait ? Si cela est arrivé à quelqu’un, cette paix est encore plus à craindre. « Le Seigneur promet « pendant le jour la miséricorde qu’il fait sentir pendant la nuit ».
17. Que fais-tu donc dans ton pèlerinage ? Oui, que fais-tu ? « J’ai dans mon âme une prière pour le Dieu de ma vie »[51]. Voilà ce que je fais ici-bas, pauvre cerf altéré, soupirant après les fontaines d’eau vive, au souvenir de cette voie qui m’a conduit à travers le tabernacle, jusqu’à la maison de Dieu, Quand cette chair corruptible appesantit mon âme[52] : « J’ai en moi une prière pour le Dieu de ma vie ». Je n’irai pas, en effet, acheter au-delà des mers des présents pour les offrir à mon Dieu ; pour qu’il m’écoute plus favorablement, je n’irai point sur des vaisseaux chercher au loin de l’encens et des aromates, et je ne prendrai, dans mon troupeau, ni veau ni bélier. « J’ai dans mon âme une prière pour le Dieu de ma vie ». J’ai dans l’âme une victime à immoler ; dans l’âme, de l’encens à lui offrir ; dans l’âme encore, un sacrifice pour fléchir mon Dieu : « Une âme brisée par la douleur est un sacrifice agréable à Dieu »[53]. Or, vois quel est ce sacrifice d’une âme brisée, que j’ai en moi : « Je dirai à Dieu : Vous êtes mon « soutien, pourquoi m’avez-vous oublié ? » car je souffre ici-bas comme si vous m’aviez oublié. Toutefois vous m’exercez par ces douleurs ; et je sais que si vous différez, vous ne me ravissez point l’objet de vos promesses ; et néanmoins, pourquoi m’avez-vous oublié ? Notre chef a dit lui-même en notre nom « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? »[54] Je dirai à mon Dieu : Vous êtes mon soutien, pourquoi m’avez-vous oublié ?
18. « Pourquoi m’avez-vous repoussé ? » loin de ces sources profondes de l’intelligence et de l’immuable vérité. Pourquoi me repousser ? Pourquoi me rejeter dans ces bas-fonds, quand le poids si lourd de mon iniquité me faisait soupirer après le ciel ? C’est le même qui dit ailleurs : « J’ai dit dans mon extase » ; dans cette même extase sans doute où il a vu je ne sais-quoi de sublime. « J’ai dit dans mon extase : Me voilà rejeté loin de vos regards »[55]. Il compare les lieux où il se trouve avec ces régions auxquelles il s’était élevé, et alors il se voit rejeté loin des regards du Seigneur, comme il dit ici : « Pourquoi me repousser loin de vous ? Pourquoi marché-je dans ma tristesse, pendant que mon ennemi m’afflige, pendant qu’il brise mes os »[56], ce tentateur, qui est le diable, au milieu des scandales, qui vont toujours croissant, et qui refroidissent la charité de beaucoup[57] ? Quand nous voyons dans l’Église les vaillants succomber bien souvent sous les scandales, le corps du Christ ne dit-il point : « Pourquoi l’ennemi a-t-il brisé mes os ? » Car ces os, ce sont les forts qui parfois succombent eux-mêmes à la tentation. À la vue de ces malheurs, tout membre du Christ ne s’écrie-t-il pas avec la voix du Christ : « Pourquoi me rejeter ? pourquoi marché-je dans la tristesse, quand mon ennemi m’afflige et brise mes os ? » Non content de s’en prendre à ma chair, il brise encore mes os ; en sorte que ceux dont on attendait de la résistance, vous les voyez céder à l’épreuve ; et alors, en voyant succomber les forts, les faibles sont dans le désespoir. Quels dangers pour nous, mes frères !
19. « A la persécution ils ajoutent l’injure ». Voici encore ces défis insolents : « Chaque jour ils me disent : Où est ton Dieu ?[58] » C’est principalement dans les épreuves de l’Église, qu’ils nous répètent : « Où est ton Dieu ? » Combien les martyrs ont entendu ces défis, pendant qu’ils souffraient courageusement pour l’amour du Christ ? combien de fois on leur a dit : Où est votre Dieu ? Qu’il vous délivre, s’il peut. Les hommes voyaient au-dehors leurs tourments, ils ne voyaient pas leurs couronnes à l’intérieur. « A la persécution ils ajoutent l’injure, en me disant chaque jour : Où est ton Dieu ? » Et moi, que répondrai-je à ces provocations, quand mon âme est troublée en moi-même ; que lui dirai-je, sinon : « Pourquoi cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler ? »[59] Et comme si elle me répondait : Veux-tu que je ne te cause aucun trouble, au milieu de tant de maux ? Quand je soupire après les biens, quand je suis dévorée par la soif et le malheur, pourrais-je ne pas te troubler ? « Espère en Dieu, parce que je le confesserai de nouveau ». Et il répète cette confession, pour s’affermir dans l’espérance : « Il est à mes yeux un Sauveur, il est mon Dieu ».
DISCOURS SUR LE PSAUME 42
modifierSERMON AU PEUPLE.
modifierLES GÉMISSEMENTS DES SAINTS.
modifierCe discours fut prêché un jour de jeûne, dans l’après-midi. Saint Augustin y relève les gémissements du bon grain mêlé à la paille, et demandant à Dieu d’en être séparé par le jugement. C’est Dieu qui nous donne le courage de les supporter ici-bas ; qui nous donnera la lumière, nous fera approcher de son autel pour fortifier l’homme nouveau. Appliquons-nous à la justice, confessons le Seigneur, faisons les œuvres sanctifiantes de l’aumône, du jeûne, de la prière, et Dieu nous exaucera.
1. Ce psaume est court ; il convient ainsi à l’avidité des auditeurs et n’incommode point ceux qui sont à jeun. Nourrissons-en notre âme qui est triste, si l’on en croit celui qui chante le psaume ; tristesse qu’il attribue, je crois, à un certain jeûne, ou plutôt à une certaine faim qu’elle endure. Car le jeûne est un acte de volonté, la faim vient de la nécessité. L’Église endure la faim, le corps de Jésus-Christ a faim, cet homme répandu dans tout le monde, dont la tête est dans le ciel et les membres sur la terre. Comme il parle dans tous les psaumes pour y chanter ou y gémir, pour tressaillir de ce qu’il espère, ou pour soupirer de ce qu’il endure, nous devons connaître sa voix, être familiarisés avec elle, puisqu’elle est la nôtre. Ne nous arrêtons pas davantage à vous dire quel est celui qui parle ici ; que chacun de vous soit dans le corps du Christ, et alors chacun de vous parlera.
2. Vous connaissez tous ceux qui avancent dans la vertu, qui gémissent au souvenir de la patrie céleste, qui savent qu’ils sont ici-bas en exil, qui marchent dans la voie droite, qui s’affermissent dans le désir de la patrie céleste comme sur une ancre solide ; vous savez, dis-je, que cette race de chrétiens, cette bonne semence, ce froment du Christ, gémit sur la terre avec la zizanie, et cela jusqu’au temps de la moisson, c’est-à-dire jusqu’à la fin des siècles, ainsi que nous l’expose l’infaillible vérité[60]. Il gémit donc au milieu de la zizanie, c’est-à-dire parmi les méchants, les hommes de la fraude et de la séduction, ceux que trouble leur colère, ou qui s’empoisonnent par leurs ruses. Il comprend qu’il est avec eux dans le monde entier comme dans un seul champ, qu’il reçoit la même pluie, les mêmes tempêtes, qu’il croît avec eux au milieu des maux de cette vie, qu’il partage avec eux les mêmes dons que Dieu accorde indistinctement aux bons et aux méchants, « lui qui fait lever son soleil sur les bons et « sur les mauvais, et qui fait pleuvoir sur les « justes comme sur les injustes »[61]. Ce germe saint, cette race d’Abraham, voyant combien de vicissitudes lui sont communes avec ceux dont elle doit être un jour séparée, qui naissent comme elle, qui partagent avec elle les conditions de la vie humaine, qui portent comme elle une chair périssable, qui jouissent de la même lumière, des mêmes eaux, des mêmes fruits, qui partagent le bonheur comme le malheur de cette vie, la disette ou l’abondance, la paix ou la guerre, la santé ou la maladie ; elle voit que tout lui est commun avec les méchants, bien que sa cause ne leur soit pas commune ; et alors elle s’écrie « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle d’un peuple impie[62]. Jugez-moi », dit-elle, « ô mon Dieu ». Je ne crains pas votre jugement, parce que je connais votre miséricorde. « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle d’un peuple impie ». Maintenant que je suis dans ces contrées de l’exil, vous ne faites encore aucune séparation locale, parce que je vis avec l’ivraie, jusqu’au temps de la moisson[63] ; vous ne me donnez pas une pluie à part, non plus qu’une lumière à part ; seulement, séparez ma cause. Mettez une différence entre celui qui croit en vous et celui qui n’y croit point. Semblables par la faiblesse, ils diffèrent par la conscience ; le labeur est le même, les désirs sont opposés. Les désirs des méchants périront ; mais le désir des justes pourrait nous laisser des doutes, si l’auteur des promesses n’était infaillible. Le terme de nos désirs est celui-là même qui nous a fait les promesses. Il se donnera, parce qu’il s’est déjà donné ; il se donnera immortel à des hommes immortels, lui qui s’est donné mortel à des mortels. « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle de la nation impie. Délivrez-moi de l’homme impie et trompeur » ; c’est-à-dire, d’un peuple qui n’est pas saint. Délivrez-moi de l’homme, dit le Prophète, c’est-à-dire, d’une certaine race d’hommes. Car il y a homme et homme ; et de ces deux, l’un sera pris, l’autre sera laissé[64].
3. Mais parce qu’il faut de la patience pour supporter, jusqu’à la moisson, ce que j’appellerais, si je le pouvais, une séparation non séparée ; car l’ivraie est avec le froment, et alors ils ne sont pas encore séparés ; mais l’ivraie c’est l’ivraie, et le froment c’est le froment, et alors il y a déjà une distinction ; donc parce qu’il faut de la force, implorons-la de celui qui nous a ordonné d’être forts ; et, si lui-même ne nous rend forts, nous ne serons point tels qu’il nous veut. Demandons la force à celui qui a dit : « Celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin »[65] ; et de peur de s’affaiblir en s’arrogeant la force, l’âme ajoute aussitôt : « C’est vous, Seigneur, qui êtes ma force ; pourquoi une rejeter ? pourquoi marché-je dans la tristesse, quand mon ennemi m’afflige ? » L’âme recherche la cause de sa tristesse : « Pourquoi, dit-elle, marché-je dans la douleur sous l’oppression de mon ennemi ? » Je marche dans la tristesse, mou ennemi me harcèle chaque jour de ses vexations, en me suggérant ce qu’il est mal d’aimer ou mal de redouter ; et mon âme, en résistant à cette double suggestion, sans être vaincue, est b néanmoins en danger ; alors, saisie de tristesse, elle dit à Dieu : Pourquoi ? Qu’elle s’informe près de lui et qu’elle entende ce pourquoi. Elle cherche dans le psaume la cause de sa douleur, en disant : « Pourquoi m’avez-vous repoussée, pourquoi marché-je dans la tristesse ? » Qu’elle l’apprenne d’Isaïe, qu’elle se souvienne du passage que l’on vient de lire : « L’esprit », dit-il, « sortira de moi ; et c’est moi qui ai fait tout ce qui respire ; j’ai quelque peu contristé ce peuple à cause de son péché ; j’ai détourné de lui ma face, et il est devenu triste, et il s’en est allé tout affligé dans sa voie »[66]. Quelle est donc ta question : « Pourquoi me repousser ? pourquoi marché-je dans la tristesse ? » Tu l’as entendu : à cause du péché. La cause de ta tristesse est donc le péché ; puisse la justice être la cause de ta joie ! Tu voulais du péché sans vouloir souffrir, C’était peu à tes yeux que ta propre injustice, tu as voulu rendre injuste celui-là même dont tu récusais les châtiments, Écoute cette parole plus équitable d’un autre psaume : « Vos humiliations sont un bien pour moi, afin que j’apprenne votre justice »[67]. Dans mon orgueil j’avais appris mes iniquités ; que j’apprenne votre justice dans l’humilité. « Pourquoi marcher tristement sous l’oppression de mon ennemi ? » Tu te plains de l’ennemi ; il t’afflige, en effet ; mais tu lui en as donné l’occasion. Et maintenant qu’il y a remède, forme un bon dessein ; admets en toi ton roi et bannis le tyran.
4. Mais écoutez ce que dit le Prophète pour en arriver là, les supplications qu’il emploie, l’humble prière qu’il fait. Prie toi-même comme tu entends prier, et prie lorsque tu entends ; que, cette parole soit unanime pour nous : « Envoyez votre lumière et votre vérité : elles m’ont guidé, elles m’ont introduit sur votre montagne sainte et dans votre vestibule »[68]. Votre lumière est en même temps votre vérité ; il y a deux noms, mais un seul objet. Qu’est-ce eu effet que la lumière de Dieu, sinon la vérité de Dieu ? Ou qu’est-ce que la vérité de Dieu, sinon la lumière de Dieu ? Et l’une et l’autre forment un seul Jésus-Christ. « Je suis la lumière du monde : celui qui croit en moi ne marchera point dans les ténèbres. Je suis la voie, la vérité et la vie »[69]. C’est lui qui est la lumière, lui qui est la vérité. Qu’il vienne donc et nous délivre, en séparant notre cause de celle d’un peuple impie, qu’il nous arrache à l’homme de l’iniquité, de la fourberie ; qu’il sépare le froment de l’ivraie ; car au temps de la moisson, il enverra ses anges qui arracheront de son royaume tous les scandales, et les jetteront dans la fournaise ardente ; mais le froment, ils le mettront dans ses greniers[70]. Il enverra sa lumière et sa vérité, parce que ce sont elles qui nous ont déjà guidés et qui nous introduiront sur la montagne sainte et dans son vestibule. Nous avons des gages, espérons la récompense promise. Cette montagne sainte, la sainte Église du Christ. Telle est cette montagne qui, selon la vision de Daniel, de petite pierre d’abord, a pris de l’accroissement au point de renverser les royaumes de la terre, et qui dans son étendue renferme le monde entier[71]. C’est de cette montagne encore qu’a été exaucé, nous dit-il, celui qui s’écrie : « Mes clameurs se sont élevées jusqu’au Seigneur, il m’a exaucé du haut de sa montagne sainte »[72]. Qu’il n’espère aucunement être exaucé pour la vie éternelle, celui qui prie en dehors de cette montagne. Il est beaucoup d’hommes qui se voient exaucés en bien des points. Qu’ils ne s’applaudissent pas de ce que Dieu les exauce ; car les démons furent exaucés et envoyés dans les pourceaux[73]. Désirons être exaucés pour la vie éternelle, désir qui nous fait dire à Dieu : « Envoyez votre lumière et votre vérité ». Cette lumière veut les yeux du cœur. « Bienheureux en effet », est-il dit, « ceux dont le cœur est pur, car ils verront Dieu »[74]. Nous sommes aujourd’hui sur cette montagne, c’est-à-dire dans son Église, dans sa tente. La tente est le palais des voyageurs, la maison est pour ceux qui doivent l’habiter à demeure. La tente sert aussi pour les voyageurs et les gens de guerre. Au nom de tente, souviens-toi de la guerre, veille à l’ennemi. Mais quel sera le palais ? « Bienheureux ceux qui habitent votre palais, vous béniront dans les siècles des siècles »[75]
8. Arrivés au tabernacle, et affermis sur la montagne sainte, qu’avons-nous à espérer ? « Et je m’approcherai de l’autel de Dieu ». Il est en effet un autel sublime, invisible, dont n’approche pas l’homme injuste. Celui-là seul peut en approcher, qui s’approche avec sécurité de l’autel d’ici-bas : c’est là qu’il trouvera la vie, si dès ici-bas il a séparé sa cause. « Je m’approcherai de l’autel de Dieu » ; de sa montagne sacrée, de son tabernacle, de sa sainte Église, je passerai à cet autel de Dieu qui est dans le ciel. Quel est le sacrifice que l’on y offre ? Celui même qui en approche est offert en holocauste. « Je m’approcherai de l’autel du Seigneur ». Qu’est-ce à dire, de l’autel du Seigneur ? « Du Dieu qui réjouit ma jeunesse ». Jeunesse veut dire ici nouveauté ; c’est comme s’il disait : Du Dieu qui me réjouit dans mon renouvellement. Il remplit de joie l’homme nouveau, après avoir affligé le vieil homme. Je marche contristé maintenant par ma vieillesse ; devenu l’homme nouveau, je serai ferme et plein de joie. Alors « ô Dieu, mon Dieu, je chanterai vos louanges sur la harpe ». Qu’est-ce que chanter les louanges de Dieu sur la harpe, et sur le psaltérion ? Car on ne prend pas toujours le psaltérion, ni toujours la harpe. Ces deux instruments de musique ont entre eux une différence bien marquée, digne d’être examinée et confiée à la mémoire. La main porte l’un et l’autre, touche l’un et l’autre ; et ils désignent certaines œuvres dont le corps est l’instrument. L’un et l’autre sont harmonieux, pourvu qu’on touche bien du psaltérion, qu’on touche bien de la harpe. Mais on nomme psaltérion cet instrument qui a la tortue ou la voûte à sa partie supérieure, c’est-à-dire ce tambour, ce bois creux sur lequel on appuie les cordes qui doivent résonner ; dans la harpe, au contraire, ce même bois est à la partie inférieure ; de là vient la nécessité de distinguer si nos œuvres sont faites sur la harpe ou sur le psaltérion, bien qu’elles soient également agréables à Dieu, harmonieuses pour ses oreilles. Aussi, quand nous agissons selon les préceptes du Seigneur, avec l’intention de lui obéir et d’accomplir ses préceptes, si nos œuvres ne sont le fruit d’aucune peine, c’est là chanter sur le psaltérion. C’est l’œuvre des anges, qui sont supérieurs aux souffrances. Mais quand nous devons lutter ici-bas contre la douleur, la tentation, le scandale, comme nous ne souffrons que dans la partie inférieure de l’âme, c’est-à-dire à cause de notre condition mortelle, et parce que notre origine première nous a soumis à la peine, et que ces nombreuses tribulations ne viennent point d’en haut, c’est là chanter sur la harpe. Car alors c’est d’en bas que s’exhale cette harmonie suave. Nous souffrons et nous chantons sur le psaltérion, ou plutôt, nous chantons et nous jouons de la harpe. Quand l’Apôtre disait que pour obéir à Dieu il annonçait l’Évangile et le prêchait par toute la terre, parce qu’il n’avait reçu, disait-il, cet Évangile ni d’un homme, ni par l’intermédiaire d’un homme, mais bien de Jésus-Christ, les cordes de sa harpe résonnaient d’en haut ; mais quand il disait : « Nous mettons notre gloire dans les afflictions, sachant que l’affliction engendre la patience, la patience la pureté, et la pureté l’espérance », sa harpe résonnait d’en bas, et néanmoins avec harmonie. Car toute patience est agréable à Dieu. Mais c’est briser la harpe que défaillir dans la tribulation. Comment donc dit-il maintenant : « Je vous chanterai sur la harpe ? » parce qu’il avait dit : « Pourquoi marcher dans la tristesse quand l’ennemi m’afflige ? » Il souffrait alors dans son âme inférieure, et néanmoins il voulait en cela plaire à Dieu, il brûlait du désir de lui rendre grâces en souffrant avec courage : et comme il ne pouvait vivre ici-bas sans souffrir, il était redevable à Dieu de sa patience. « Je vous chanterai sur la harpe, ô Dieu, mon Dieu ».
6. Et s’adressant à son âme, pour tirer des sous suaves de ce bois inférieur et harmonieux : « D’où te vient cette tristesse », lui dit-il, « ô mon âme, et pourquoi me troubler ? » Dans la peine où je suis, dans les langueurs, dans les chagrins, pourquoi me troubler, ô mon âme ? Quel est l’interlocuteur ? et à qui s’adresse-t-il ? Il parle à son âme, nous le voyons tous ; il est clair que le discours est pour elle. « D’où te vient cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler ? » On demande qui est l’interlocuteur. Est-ce la chair qui s’adresse à l’âme, cette chair qui sans l’âme ne parle point ? Il convient mieux en effet à l’âme de s’adresser à la chair, qu’à la chair de s’adresser à l’âme. Toutefois il n’est pas dit : D’où te vient cette tristesse, ô ma chair ; mais bien : D’où te vient cette tristesse, ô mon âme ? S’il s’adressait à la chair, il ne dirait peut-être pas : D’où te vient ta tristesse ; mais : D’où te vient ta douleur ; car la douleur de l’âme s’appelle tristesse, tandis que ce que l’on souffre dans la chair s’appelle douleur et ne peut se dire tristesse. Et pourtant, la douleur corporelle produit d’ordinaire la tristesse de l’âme. Mais il n’en est pas moins une différence entre la douleur et la tristesse ; car la douleur est pour la chair, la tristesse pour l’âme. Aussi est-il dit clairement : « Pourquoi, mon âme, es-tu triste ? » Car ce n’en point l’âme qui s’adresse à la chair, puisqu’il ne dit point : D’où te vient cette tristesse, ému chair ? ce n’est pas non plus la chair qui s’adresse à l’âme ; il serait absurde qu’un inférieur parlât ainsi au supérieur. Nous comprenons dès lors qu’il est en nous une image de Dieu, c’est-à-dire l’esprit et la raison. C’est l’esprit qui tout à l’heure en appelait à la lumière de Dieu, et à la vérité de Dieu. C’est lui qui nous apprend ce qui est juste et ce qui est injuste ; lui qui nous fait discerner le vrai du faux ; lui que l’on appelle intelligence, et qui n’est point dans les bêtes ; lui que nul ne peut négliger en lui préférant tout le reste et en se méprisant comme s’il n’en avait point, sans entendre ces reproches du Psalmiste : « Gardez-vous de ressembler au cheval et au mulet, qui n’ont point d’intelligence »[76]. C’est donc en nous l’esprit qui s’adresse à l’âme. Celle-ci est abattue par la tribulation, fatiguée par les angoisses, resserrée par les tentations, accablée sous les travaux. L’esprit qui reçoit d’en haut la vérité, relève cette âme en disant : « D’où te vient cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler ? »
7. Voyez si ce langage ne nous reporte point à ce conflit dont nous parle saint Paul, figure alors de beaucoup de chrétiens, de nous-mêmes peut-être, quand il disait : « Selon l’homme intérieur, je trouve du plaisir dans la loi de Dieu, mais je sens dans mes membres une autre loi »[77] ; c’est-à-dire, des mouvements de la chair : et dans cet antagonisme, comme saisi d’un certain désespoir, il invoque la grâce de Dieu : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ? »[78] Tels sont les lutteurs que Notre. Seigneur a daigné personnifier en lui quand il a dit : « Mon âme est triste jusqu’à la mort »[79]. Car il savait ce qu’il était venu faire au monde. Pouvait-il craindre les souffrances, celui qui avait dit : « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la reprendre ; nul ne peut me l’ôter, mais je la donne moi-même, afin que je la reprenne le nouveau[80] ? » Or, en disant : « Mon âme est triste jusqu’à la mort », il figurait quelques-uns de ses membres. Souvent, en effet, l’âme croit sincèrement, elle croit que l’homme, selon les enseignements de la foi, passera au sein d’Abraham ; elle le croit, et néanmoins, quand elle arrive à l’heure la mort, elle se trouble à cause de ses habitudes en cette vie ; elle se relève pourtant afin d’entendre la voix intérieure de Dieu, jusqu’à saisir intérieurement une spirituelle harmonie. Car, dans le silence, une mélodie céleste se fait entendre, non plus aux oreilles, mais à l’âme ; en sorte que tout bruit du corps devient un ennui pour celui qui choisit cette mélodie, et que toute la vie humaine n’est plus qu’un bruit fâcheux, qui l’empêche d’entendre ce concert plein de charmes, ravissant, ineffable. Qu’un trouble, en effet, vienne l’en distraire, l’homme souffre violence ; et, s’adressant à son âme : « Pourquoi », lui dit-il, « cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler ? » Serait-ce peut-être parce qu’il est difficile que la vie soit pure au jugement de celui qui sait juger avec tant d’exactitude et de lumière ? Bien qu’une vie soit irréprochable aux yeux des hommes, et qu’ils n’y puissent rien reprendre avec justice, les yeux de Dieu sont perspicaces, la règle de sa justice n’est point sujette à l’erreur, et il trouve à reprendre dans un homme ce que les hommes n’y voyaient point de blâmable, ce que ne découvrait pas intérieurement celui-là même qui est jugé. Telles sont, peut-être, les appréhensions qui troublent notre âme ; et l’esprit lui jetterait cette apostrophe : Pourquoi te troubler à cause de tes péchés que tu ne peux éviter entièrement ? « Espère dans le Seigneur, car je le confesserai de nouveau ». Ce dialogue guérit une partie de ses maux, une fidèle confession purifie le reste. Crains donc si tu dis que tu es juste, si tu n’es pénétré de cette autre parole du psaume : « N’entrez point en jugement avec votre serviteur ». Pourquoi : « N’entrez point en jugement avec votre serviteur ? » C’est que j’ai besoin de votre miséricorde. Et si votre miséricorde n’est pour rien dans votre jugement, où irai-je ? « Si vous examinez toutes les iniquités, Seigneur, qui pourra tenir devant vous, ô mon Dieu[81] ? » « N’entrez donc point en jugement avec votre serviteur, car nul homme vivant ne paraîtra juste devant vous »[82]. Donc, si nul homme vivant n’est juste en votre présence, malheur à quiconque vit ici-bas, quelle que soit la pureté de sa vie, si Dieu entre en jugement avec lui ! C’est pourquoi Dieu, par un autre prophète, prend ainsi à partie les hommes arrogants et superbes : « Pourquoi vouloir entrer en jugement avec moi ? vous m’avez tous abandonné, dit le Seigneur »[83]. Garde-toi donc d’entrer en jugement avec Dieu ; efforce-toi d’être juste, et, quelle que soit ta justice, fais l’aveu de tes fautes ; espère toujours la miséricorde ; et, dans cet humble aveu, dis sans crainte à cette âme qui te trouble et qui se soulève contre toi : « D’où te vient cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler ? » Tu voulais peut-être espérer en toi-même ? « Espère en Dieu », non pas en toi. Qu’es-tu par toi-même ? Qu’il soit pour toi la santé, celui qui a souffert tant de blessures pour toi. « Espère dans le Seigneur », dit le Prophète, « car je le confesserai de nouveau ». Que lui confesseras-tu ? « Qu’il est le salut à mes yeux, qu’il est mon Dieu ». Vous êtes le salut qu’attendent mes yeux, et vous une guérissez. Malade, je m’adresse à vous : je vous reconnais pour mon médecin, et je ne vante point ma santé. Qu’est-ce à dire : Je reconnais en vous mon médecin, et je ne vante point ma santé ? C’est ce qui est marqué dans un autre psaume : « J’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme, car j’ai péché contre vous »[84].
8. C’est là, mes frères, une parole sûre : mais veillez à faire de bonnes œuvres. Touchez du psaltérion, en obéissant aux préceptes ; touchez de la harpe, en souffrant les maux de ce monde. Vous venez d’entendre cette parole d’Isaïe : « Partage ton pain avec celui qui a faim »[85]. Ne va pas croire qu’il suffise de jeûner. Ton jeûne peut t’affliger, mais sans soulager le pauvre. Tes angoisses te seront fructueuses, quand elles soulageront la peine des autres. Voilà que tu refuses quelque chose à ton âme, à qui donneras-tu ce que tu t’es retranché ? Où mettras-tu ce que tu as ainsi épargné ? Combien le dîner dont aujourd’hui nous nous sommes privés aurait pu nourrir de pauvres ! Jeûne donc de manière à te réjouir de ton dîner qu’un autre aura mangé, afin que tu sois exaucé dans tes prières. Le Prophète nous dit au même endroit : « Lorsque tu auras de bon cœur partagé ton pain avec celui qui a faim, tu parleras encore que je dirai : Me voici »[86]. On fait souvent l’aumône avec chagrin et avec murmure, pour échapper aux importunités d’un mendiant, et non pour soulager la faim qui le presse. Or, Dieu aime celui qui donne avec joie[87]. Si tu ne donnes ton pain qu’avec tristesse, ton pain est perdu comme ton mérite. Agis donc de bon cœur, afin que celui qui voit à l’intérieur te dise : « Me voici », quand tu parleras encore. Comme Dieu accueille promptement les prières de ceux qui font le bien ! et les œuvres qui justifient un homme en cette vie, ce sont le jeûne, l’aumône et la prière. Veux-tu que ta prière vole jusqu’à Dieu ? donne-lui deux ailes : le jeûne et l’aumône. Puisse-t-il nous trouver tels ; afin que la lumière de Dieu nous trouve en sûreté, comme la vérité de Dieu, quand viendra nous délivrer de la mort celui qui est venu subir la mort pour nous. Ainsi soit-il !
DISCOURS SUR LE PSAUME 43
modifierSERMON AU PEUPLE.
modifierL’AFFLICTION ET LA GRÂCE.
modifierLes fils de Coré sont les martyrs qui en appellent à Dieu dans leurs tourments, qui comparent aux maux qu’ils endurent les merveilles de Dieu en faveur de son peuple délivré, puis établi dans la terre promise. Dieu demeure sourd à nos demandes, pour que nous apprenions à lui demander les biens éternels : qu’il n’accorde pas en cette vie. Les merveilles du Seigneur étaient l’effet gratuit de sa bonté qui nous délivrera des maux d’ici-bas. Entre la gloire du passé et celle de l’avenir, il y a la peine du présent, épreuve nécessaire pour nous faire connaître si nous servons Dieu par amour, et dont Dieu nous délivrera par sa grâce.
1. Ce psaume, d’après l’indication du titre, est pour les fils de Coré. Or, Coré signifie chauve, ou calvaire, et l’Évangile nous raconte que Notre-Seigneur Jésus-Christ fut crucifié en un lieu appelé Calvaire[88]. Il est donc visible que ce Psaume est pour les fils de ses douleurs. Nous en avons d’ailleurs le témoignage évident et sûr de l’apôtre saint Paul qui, dans les persécutions que les Gentils faisaient subir à l’Église, emprunte un verset de notre psaume, dont il tire un encouragement à souffrir et une consolation. C’est ici en effet qu’est écrit ce qu’il intercale dans sa lettre : « Chaque jour on nous égorge pour votre amour, ô mon Dieu, on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie »[89]. Écoutons donc en notre psaume la voix des martyrs, et voyez la justice de cette cause que soutiennent les martyrs, puisqu’ils s’écrient : « C’est pour vous, Seigneur ». C’est pour cela que le Seigneur ajoute : « A cause de la justice », quand il dit : « Bienheureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice »[90] ; de peur qu’on ne vînt à revendiquer la gloire de souffrir, quand on endure la persécution sans défendre une cause juste. De là vient encore cette exhortation à ses disciples : « Vous serez heureux quand les hommes vous traiteront de telle manière et vous maudiront à cause de moi » Tel est le sens de cette parole : « On nous égorge tous les jours à cause de vous ».
2. Il est bien digne en effet de nos méditations, ce profond dessein du Seigneur qui, d’une part, délivre de l’Égypte, avec tant d’éclat, nos ancêtres, les patriarches, ainsi que tout le peuple d’Israël, submerge dans les eaux ennemies qui les poursuivent, les conduit à travers les nations qui se soulèvent, leur assujettit leurs ennemis et les établit dans la terre promise, leur fait remporter avec peu de soldats d’éclatantes victoires sur de grandes armées ; puis, d’autre part, il se plaît à se détourner de son peuple, laisse maltraiter et égorger ses saints, et nul ne résiste, nul ne les défend, nul ne les protège. On dirait que Dieu se dérobe à leurs gémissements, qu’il les a oubliés, qu’il n’est plus leur Dieu, ce Dieu à la main puissante, au bras si élevé, dont la force merveilleuse a, disons-nous, délivré de l’Égypte nos pères ou le peuple d’Israël, les a établis en royaume dans une terre dont il chassait les nations vaincues, à la face des peuples étonnés qu’un si petit nombre pût vaincre un si grand nombre. Tel est l’aveu plein de larmes qui ouvre le chant de notre psaume. Tout cela n’est pas arrivé sans motif, mais afin que nous en comprissions les raisons. Qu’elles soient arrivées, cela est évident ; approfondissons quelque peu les raisons pour lesquelles Dieu l’a permis. Aussi bien le psaume n’a-t-il pas seulement pour titre : « Aux fils de Coré » ; mais : « Intelligence aux fils de Coré »[91]. C’est ce que nous avons déjà vu dans cet autre dont le Sauveur récita sur la croix le premier verset : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? »[92] Car c’était nous que le Seigneur figurait dans ces paroles ; il parlait au nom de son corps (nous sommes en effet son corps, et il est notre chef), quand il proféra sur la croix cette parole qui est moins la sienne que la nôtre. Dieu, en effet, ne l’a jamais abandonné, et lui ne s’était point retiré de son Père ; mais c’était en notre nom qu’il disait : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » En effet, nous lisons ensuite : « Le rugissement de mes péchés éloigne de moi le salut »[93]. Voilà ce qui nous montre au nom de qui il parlait, puisqu’on ne pouvait trouver en lui aucun péché. « Je crierai vers vous pendant le jour », dit le même psaume, « et vous ne m’exaucerez point : et la nuit », il sous-entend assurément, et vous n’exaucerez point ma prière ; il ajoute : « Et ce ne sera point une folie pour moi ». C’est-à-dire, par cela même que vous ne m’écouterez point, il y aura là pour moi, non pas un défaut de sagesse, mais une leçon. Qu’est-ce à dire, que je comprendrai parce que vous ne m’exaucerez point ? c’est-à-dire que vous n’écouterez point mes vœux temporels, afin que je comprenne que je dois vous demander les biens éternels. Dieu en effet n’abandonne pas réellement, quand il semble abandonner ; il nous ôte ce que nous avons tort de désirer, et nous enseigne ce qu’il est bon de demander. Si Dieu nous exauçait toujours dans ce qui regarde les biens de cette vie, si nous avions tout en abondance, ne souffrant dans le cours de cette vie mortelle aucune affliction, aucune nécessité, aucune angoisse, nous croirions que Dieu n’a pas pour ses serviteurs d’autres grands biens que ceux de la terre, et nous n’en désirerions pas de plus excellents. Dieu donc mêle à nos joies de cette vie l’amertume de l’affliction, afin que nous soupirions après une autre vie, dont la douceur est sans danger ; tel est le titre : « Intelligence pour les enfants de Coré ». Écoutons le psaume, afin d’y mieux comprendre encore cette vérité.
3. « Seigneur, nous avons entendu de nos oreilles ; nos pères nous ont raconté l’œuvre que vous avez accomplie en leurs jours, et dans les siècles passés ». Étonnés de ce que le Seigneur paraisse abandonner ceux qu’il veut exercer par les souffrances, les interlocuteurs rappellent ces merveilles qu’ils ont apprises de leurs pères, et semblent dire : Ces maux que nous endurons sont loin de ce que nos pères nous ont raconté. « En vous ont espéré nos pères ; ils ont espéré, et vous les avez délivrés. Pour moi, je suis un ver et non pas un homme. Je suis l’opprobre des hommes, le rebut de la populace »[94]. Ils ont espéré et vous les avez délivrés ; moi j’ai espéré, vous m’avez délaissé ; est-ce donc en vain que j’ai mis en vous ma confiance, en vain que mon nom est écrit sur votre livre, que votre nom est écrit dans mon âme ? Voici donc ce que nous ont raconté nos pères : « Votre main a détruit les nations, et pour eux, vous les avez solidement assis ; vous avez affaibli les peuples, et puis chassés »[95]. C’est-à-dire, vous avez chassé les nations du pays qu’elles possédaient pour y introduire et y asseoir nos pères, et pour affermir leur royaume dans votre miséricorde. Voilà ce que nos pères nous ont raconté.
4. Mais peut-être ont-ils accompli ces merveilles parce qu’ils étaient un peuple courageux, guerrier, invincible, exercé, belliqueux ? Point du tout. Nos pères ne nous ont point dit cela, l’Écriture n’en dit rien ; mais, que dit-elle ? sinon ce qui suit : « Ce n’est point par le glaive qu’ils ont acquis en héritage la terre promise, et leur bras ne les a point sauvés ; mais c’est votre droite, votre bras et la lumière de votre visage »[96]. Votre droite ou votre puissance ; votre bras ou votre Fils. « Et la lumière de votre face ». Que signifie cette expression ? C’est que vous leur avez donné de tels signes de protection, que l’on reconnaissait votre présence. Quand le Seigneur, en effet, nous signale sa présence par quelque miracle, est-il pour cela visible à nos yeux ? Mais le miracle a pour effet de montrer qu’il est présent. Enfin, que disent tous ceux que de pareils faits remplissent d’étonnement ? J’ai vu Dieu, il était là. « C’est votre droite, votre bras, le reflet de votre face ; parce que vous avez mis en eux vos complaisances ». C’est-à-dire, vous avez agi comme si vous vous plaisiez en eux ; en sorte que tous ceux qui vous voyaient en agir ainsi avec eux, disaient : C’est Dieu qui est avec eux, c’est Dieu qui les conduit.
5. Quoi donc ? Dieu était-il alors autre qu’il n’est maintenant ? Loin de là. Que nous dit ensuite le Psalmiste ? « C’est vous-même qui êtes mon Roi et mon Dieu »[97]. C’est vous-même, vous n’êtes point changé. Les temps sont changés, je le vois ; mais le Créateur des temps ne change point. « C’est vous-même qui êtes mon Roi et mon Dieu ». C’est toujours vous qui me conduisez, toujours vous qui venez à mon secours. « C’est vous qui ordonnez le salut de Jacob ». Qu’est-ce à dire : « Vous ordonnez ? » C’est-à-dire, bien que cette nature qui vous constitue ce que vous êtes en votre substance, demeure cachée à nos regards, et que vous ne soyez pas intervenu en faveur de nos pères, dans votre essence, de manière qu’ils pussent vous voir face à face ; néanmoins, c’est vous qui ordonnez à telle créature qu’il vous plaît de sauver Jacob. Vous voir face à face n’est en effet réservé qu’à ceux qu’aura délivrés la résurrection. Nos pères eux-mêmes du Nouveau Testament, bien qu’ils aient vu vos mystères à découvert, bien qu’ils aient annoncé aux autres ces mystères révélés, ont proclamé qu’ils ne voyaient qu’en énigme et comme dans un miroir ; et que vous voir face à face[98], était une faveur réservée au moment dont l’Apôtre parle ainsi : « Vous êtes morts et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ ; or, à l’apparition du Christ qui est votre vie, vous apparaîtrez aussi avec lui dans la gloire »[99]. C’est pour ce moment que Dieu nous réserve de le voir face à face ; ce qui a fait dire à saint Jean : « Mes bien-aimés, nous sommes les fils de Dieu, mais ce que nous serons un jour ne paraît point encore. Nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est »[100]. Quoique nos pères ne vous aient, donc point vu face-à-face, et tel que vous êtes ; quoique cette vision nous soit différée jusqu’à la résurrection ; quoique ce soient des anges qui nous ont assistés, « c’est vous néanmoins qui ordonnez le salut de Jacob ». Non seulement par vous-même, vous nous assistez ; mais de quelque créature que vous vous serviez pour nous assister, vous ne l’ordonnez pas moins pour le salut de vos serviteurs que vous opérez par vous-même ; et ce qui s’opère pour le salut de vos serviteurs, c’est ce que l’on fait d’après vos ordres. Mais dès lors que vous êtes mon Dieu et mon Roi, et que vous ordonnez le salut de Jacob, pourquoi ces maux que nous endurons ?
6. Mais peut-être ces merveilles que l’on nous a racontées ne sont-elles que pour le passé, et n’avons-nous rien de semblable à espérer pour l’avenir ? Telle est au contraire l’espérance qu’il nous faut avoir. « C’est en vous que nous abattrons la puissance de nos ennemis »[101]. Donc nos pères nous ont raconté les merveilles que vous avez accomplies dans leur temps et dans les jours anciens ; ils nous ont dit que, pour les établir, vous aviez dissipé les nations, chassé les peuples, voilà pour le passé ; mais dans l’avenir, que doit-il arriver ? « En vous nous abattrons la puissance des peuples » : un temps viendra où de tous les ennemis des chrétiens seront vannés comme la paille, dissipés comme la poussière et emportés de dessus la terre. Mais avec un passé glorieux comme on nous le on raconte, avec un avenir tel qu’il nous est annoncé, pourquoi donc aujourd’hui ces maux que nous souffrons, sinon pour donner l’intelligence aux fils de Coré ? « Par vous nous abattrons la puissance de nos ennemis, et en votre nom nous foulerons aux pieds nos persécuteurs »[102]. Voilà pour l’avenir.
7. « Je ne mettrai point mon espérance dans mon arc[103] » ; de même que nos pères ne la mettaient point dans l’épée. « Et ce ne sera point mon glaive qui me sauvera ».
8. « Car c’est vous qui nous avez sauvés de ceux qui nous affligeaient »[104]. Cette forme du passé nous désigne l’avenir ; cet emploi de la forme du passé nous marque une certitude aussi grande que si les faits étaient accomplis. Remarquez que souvent les Prophètes parlent des faits qu’ils annoncent pour l’avenir, comme s’ils étaient accomplis déjà. Car, en parlant de la passion du Sauveur, qu’il annonçait pour l’avenir, le psalmiste a dit : « Ils ont percé mes pieds et mes mains, ils ont compté tous mises os » ; il n’a point dit : Ils perceront, ils compteront. « Ils m’ont considéré, ils m’ont regardé » ; et non : Ils me considéreront, ils me regarderont. « Ils se sont partagé mes vêtements »[105] ; et non : Ils se partageront. Tous ces faits sont à venir, et néanmoins prédits comme accomplis : parce que devant Dieu ce qui doit arriver est aussi certain que s’il était déjà passé. Pour nous, ce qui est arrivé est certain ; ce qui est à venir, incertain. Nous savons un fait quand il est accompli, et il est impossible qu’un fait accompli ne le soit point. Mais donne-moi un prophète, et l’avenir est pour lui aussi certain que pour toi le passé : et autant pour toi il est impossible qu’un fait accompli, présent à ta mémoire, ne soit point arrivé ; autant pour lui il est impossible qu’un fait qu’il connaît pour l’avenir, n’arrive point. C’est pour cela qu’il prédit ce qui doit arriver, avec la même certitude que s’il était arrivé. C’est là donc ce que nous espérons : « Vous nous avez sauvés de ceux qui nous affligeaient, et ceux qui nous haïssaient, vous les avez couverts de confusion ». « Durant tout le jour, nous nous glorifierons dans le Seigneur ». Voyez comme il entremêle des paroles au futur, afin de vous montrer que sous la forme du passé il annonce néanmoins l’avenir. « Durant tout le jour, nous nous glorifierons en Dieu ; et sous chanterons les louanges en votre nom pendant tous les siècles »[106]. Pourquoi nous glorifier ? pourquoi chanter des louanges ? Parce que vous nous avez arrachés à ceux qui nous persécutaient, parce que vous nous donnerez un royaume éternel, parce que vous accomplirez en nous cette parole : « Bienheureux, Seigneur, ceux qui habitent votre maison ; ils vous loueront dans les siècles des siècles »[107].
10. Si donc voilà un avenir très assuré pour nous, si nos pères nous ont raconté les merveilles du passé, qu’avons-nous maintenant ? « Maintenant vous nous avez repoussés, vous « nous avez couverts d’ignominie ». Cette ignominie n’est point dans notre conscience, mais à la face des hommes. Il y eut des temps, en effet, où l’on persécutait les chrétiens, où ils fuyaient partout, où l’on disait de toutes parts : Voilà un chrétien, comme si c’était là un sujet d’opprobre et d’insulte. Où est donc ce Dieu, qui est notre Dieu et notre Roi, qui ordonne le salut de Jacob ? Où est celui qui a opéré toutes ces merveilles que nous racontaient nos pères ? Où est celui qui doit accomplir tout ce qu’il nous a prédit par l’Esprit-Saint ? Serait-il donc changé ? Non ; mais tout cela est pour l’intelligence aux fils de Coré. Nous devons comprendre quelque peu pourquoi Dieu veut nous faire endurer ces choses au milieu des temps. Pourquoi toutes ces douleurs ? « Maintenant vous nous avez rejetés et couverts d’ignominie ; et vous ne marcherez plus, Seigneur, à la tête de nos armées »[108]. Nous marchons contre nos ennemis, et vous ne marchez point avec nous nous les voyons, ils sont victorieux et nous succombons. Où donc est votre force d’autrefois ? Où est votre droite et votre puissance ? Où est donc cette mer qui se dessèche ? Où sont donc ces Égyptiens qui poursuivent Israël dans les flots ? Où est cet Amalech dont le signe de la croix vainquit les résistances ?[109] « Et vous ne marcherez plus, Seigneur, à la tête de nos armées ».
11. « Vous nous avez fait reculer à la suite de nos ennemis » ; en sorte qu’ils paraissent ouvrir la marche et que nous sommes en arrière ; ils paraissent vainqueurs et nous vaincus. « Et ceux qui nous haïssaient enlevaient nos dépouilles »[110] : quelles dépouilles, Sinon nous-mêmes ?
12. « Vous nous avez livrés comme des brebis que l’on dévore, et dispersés parmi les nations ». Les nations nous dévorent ; on désigne ici ceux que la persécution a incorporés aux Gentils. L’Église les pleure comme des membres qui sont dévorés.
13. « Vous avez vendu votre peuple pour rien ». Nous avons vu ceux que vous avez livrés, sans voir ce que vous avez reçu. « Et la foule ne se pressait point dans leurs fêtes »[111]. Quand les chrétiens fuyaient les persécutions des idolâtres leurs ennemis, pouvaient-ils s’assembler pour chanter les louanges de Dieu ? Pouvaient-ils chanter ces hymnes dans les églises de Dieu, comme on les chante pendant la paix, quand les frères élèvent jusqu’aux oreilles de Dieu leurs mélodieux concerts ? « Et la foule ne se pressait point à leurs fêtes »[112].
14. « Vous avez fait de nous un sujet d’opprobre pour nos voisins, la fable et la dérision de tous ceux qui nous environnent. « Vous avez fait de nous un exemple pour les nations »[113]. Que signifie « un exemple ? » L’homme qui fait des imprécations apporte quelquefois un type des maux qu’il adjure. Puisses-tu mourir comme un tel, subir de pareils châtiments ! Combien n’a-t-on pas dit : Puisses-tu être ainsi crucifié ! Il ne manque pas aujourd’hui d’ennemis du Christ, comme les Juifs, pour nous dire, quand nous défendons contre eux le Christ : Puisses-tu mourir comme il est mort ! Car ils ne lui auraient point infligé ce genre de mort, s’ils ne l’avaient eu en horreur, ou s’ils en avaient pu comprendre le mystère. L’aveugle à qui l’on met un collyre, ne voit point ce collyre dans la main du médecin. Or, la croix elle-même dut profiter à ceux qui l’y clouaient. Ce remède les guérit ensuite, et ils crurent à celui qu’ils avaient crucifié. « Vous avez fait de nous un exemple pour les nations ; les peuples en nous voyant ont branlé la tête » ; ils branlaient la tête par mépris. « Leurs lèvres parlaient et ils branlaient la tête »[114]. Voilà ce qu’ils ont fait au Seigneur, ce qu’ils ont fait à tous les saints qu’ils ont pu persécuter, enchaîner, tourner en dérision, livrer aux magistrats, flageller et faire mourir.
15. « Tout le jour ma honte est présente à mes yeux, la confusion a couvert mon visage, à la voix de celui qui m’insulte et m’accable d’outrages »[115] ; c’est-à-dire, à la voix de ceux qui m’accablent d’outrages, me faisant un crime du culte que je vous rends, de l’honneur que je témoigne à votre nom ; ils me reprochent comme un crime ce nom qui doit effacer tous mes crimes. « A la voix de celui qui insulte, et qui outrage », c’est-à-dire, qui parle contre moi. « A la face de l’ennemi, du persécuteur ». Que devons-nous comprendre ici ? Ce qui a été dit du passé n’aura plus lieu dans nos temps ; ce que nous espérons pour l’avenir, n’apparaît point encore. Dans le passé : le peuple sortit de l’Égypte avec tout l’éclat des prodiges, il fut délivré de ceux qui le poursuivaient, il fut conduit à travers les peuples que Dieu chassa, et enfin établi en royaume. Quel est l’avenir ? C’est que le peuple sera tiré de l’Égypte de ce bas monde, sous la conduite du Christ et à la splendeur de sa gloire ; que les saints seront placés à sa droite, et ses ennemis à sa gauche, que les méchants subiront, avec le diable, un châtiment éternel, que le Christ avec ses saints régnera éternellement. Voilà l’avenir, le reste est du passé. Qu’y a-t-il entre les deux ? Les peines. Pourquoi ? Pour montrer l’âme qui honore Dieu, et comment elle l’honore ; si elle sert gratuitement celui qui l’a sauvée gratuitement. Que Dieu vous dise en effet : Que m’avez-vous donné pour vous créer ? si vous avez pu bien mériter de moi depuis votre création, assurément vous n’aviez rien mérité avant d’être créé ; que pouvons-nous répondre à celui qui tout d’abord nous a créés gratuitement, parce qu’il est bon, et non parce que nous avions des mérites ? Que dirons-nous aussi de notre réparation, qui est une seconde naissance ? Que nos mérites nous ont valu de la part du Seigneur ce salut éternel qu’il nous envoie ? Point du tout. Si Dieu avait pris en considération nos mérites, il nous aurait condamnés. Il n’est donc point venu pour examiner nos mérites, mais pour nous remettre nos péchés. Tu n’étais pas, et tu es aujourd’hui ; qu’as-tu donné à Dieu ? Tu étais dans le mal, Dieu t’en a délivré ; qu’as-tu donné à Dieu ? Que n’as-tu pas reçu de lui gratuitement ? C’est justement que l’on appele grâce ce qui est donné pour rien. Dieu donc te demande de le servir gratuitement, toi aussi, non parce qu’il te donne les biens temporels, mais parce qu’il t’en promet d’éternels.[116]
16. Mais à l’égard de ces biens éternels, garde-toi de toute fausse idée, de peur que tu ne serves pas Dieu gratuitement, en te faisant des biens célestes une idée charnelle. Eh quoi ! si tu sers le Seigneur parce qu’il te donne une belle terre, cesseras-tu de le servir s’il te la reprend ? Mais peut-être dis-tu en toi-même : Je servirai Dieu parce qu’il doit te donner une belle campagne, mais qui n’est point du temps. Tu as encore des motifs défectueux, car tu ne sers point le Seigneur par amour simplement, puisque tu en attends une récompense. Tu veux avoir dans le siècle à venir ce que tu dois quitter dans celui-ci ; tu veux changer et non retrancher tes délices charnelles. On ne fait pas un mérite de jeûner à celui qui ne le fait que pour se préparer à un dîner d’apparat. Souvent en effet on invite à un grand repas des hommes qui ont jeûné pour y venir avec plus d’appétit ; ce jeûne est-il bien celui de la continence, et ne serait-il pas celui de l’intempérance ? Garde-toi donc d’espérer que Dieu te donnera ce qu’il t’ordonne de mépriser en cette vie. C’est en effet ce qu’espéraient les Juifs, c’est la question qui les troublait. Eux aussi espèrent une résurrection, mais ils croient à une résurrection qui leur donnera ce qu’ils aiment sur la terre. Aussi, quand les Sadducéens, qui ne croient pas à la résurrection, leur proposèrent la question de cette femme qui avait eu successivement sept frères pour maris, et qu’on leur demanda de qui elle serait Épouse à la résurrection, ils furent en défaut et ne trouvèrent aucune réponse. Mais quand la question fut posée au Seigneur, comme il nous promet une résurrection telle que l’on n’aura plus aucun désir des voluptés charnelles, mais dont les joies sans fin seront puisées en Dieu, il répondit : « Vous êtes dans l’erreur, ne sachant ni les Écritures, ni la puissance de Dieu ; car au jour de la résurrection les hommes n’auront point de femmes, ni les femmes de maris, puisqu’ils ne seront plus assujettis à la mort »[117]. C’est-à-dire qu’il n’est pas besoin de successeur, quand nul ne cède sa place. Qu’arrivera-t-il donc ? « Tous », dit le Sauveur, « seront comme les anges de Dieu ». À moins peut-être que tu n’en sois à croire que les anges mettent leur joie dans les festins de chaque jour, dans le vin dont tu t’enivres, ou que tu ne croies que les anges ont des Épouses. Il n’y a rien de tout cela parmi les anges. D’où vient la joie des anges, sinon de ce qui a fait dire au Seigneur : « Vous ne savez donc pas que les anges voient la face de mon Père ?[118] » Si donc la vue de mon Père constitue la joie des anges, prépare ton âme à une joie semblable, à moins que tu ne trouves mieux que la face de Dieu. Malheur à ton amour, si tu as la moindre pensée qu’il y ait une beauté plus grande que la beauté de celui qui a donné à tout objet la beauté qu’il possède, et si cette beauté t’absorbe au point que tu ne mérites plus de penser à Dieu. Le Seigneur était incarné, c’était un homme qui apparaissait aux hommes. Comment apparaissait-il ? Je l’ai dit, c’était un homme aux yeux des hommes. Avec quelle grandeur apparaissait-il ? La chair y voyait la chair. Que montrait de grand celui dont il est dit : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni grâce ni beauté[119] ? » Quel est celui qui n’avait ni grâce, ni beauté ? C’est celui dont il est dit : « Il surpasse en beauté les enfants des hommes »[120]. Comme homme, il n’avait ni grâce ni beauté, mais il était beau dans la nature qui l’élève au-dessus des enfants des hommes. Aussi, en montrant aux hommes ce que l’on peut appeler la difformité de la chair, que dit-il ? « Celui qui m’aime, garde mes commandements, et celui qui m’aime sera « aimé de mon Père, et moi je l’aimerai, et je me montrerai à lui »[121]. Il promettait de se montrer à ceux qui le voyaient. Mais quel est le sens de ses paroles ? Il semble leur dire : Vous voyez en moi la forme de l’esclave, la forme divine vous est cachée : l’une est douce pour vous, l’autre vous est réservée ; par l’une je vous donne la nourriture des petits enfants, par l’autre je suis l’aliment des parfaits. Dieu en agit donc ainsi afin de préparer aux choses invisibles cette foi qui nous purifie, c’est-à-dire que tout cela doit donner l’intelligence aux fils de Coré, afin que les saints soient dépouillés de ce qu’ils ont de terrestre, et même de la vie temporelle ; afin qu’ils ne servent point le Seigneur par amour pour ces biens, mais qu’impur amour pour lui leur fasse endurer tout ce qu’ils ont à souffrir dans le temps.
17. Or, après avoir compris tout cela, que disent les fils de Coré ? « Tous ces maux sont venus fondre sur nous, et nous ne vous avons pas oublié ». Qu’est-ce à dire : « Et nous ne vous avons pas oublié ? Et nous n’avons point répudié votre alliance ; et notre cœur ne s’est point retiré de vous ; et nos pas ne se sont point égarés loin de vos sentiers »[122]. C’est là l’intelligence, que notre cœur ne s’éloigne pas de vous, que nous ne vous mettions pas en oubli, que nous ne commettions pas le mal dans votre alliance, nous qui sommes en butte aux tribulations et aux vexations des païens. « Pourtant vous avez détourné nos sentiers de votre voie ». Nos sentiers sont dans les voluptés du siècle ; nos sentiers sont dans la prospérité des biens temporels ; or, vous avez détourné nos sentiers de votre voie, et nous avez montré combien est peu large et combien est étroite la voie qui conduit à la vie. « Et vous avez détourné nos sentiers de votre voie ». Que signifie cette parole, que « nos sentiers sont loin de votre voie ? » C’est comme s’il nous disait : Vous êtes dans l’angoisse, vous avez beaucoup à souffrir, vous avez perdu ici-bas bien des choses que vous aimiez ; mais moi, je ne vous ai point abandonné dans cette voie dont je vous ai dit qu’elle est étroite. Vous cherchiez de larges sentiers ; et moi, qu’est-ce que je vous dis ? C’est par là qu’on arrive à la vie éternelle ; celle que vous voulez prendre conduit à la mort. « Combien est large et spacieuse la voie qui conduit à la mort, et combien en est-il qui la suivent ! Combien est petite et étroite la voie qui conduit à la vie, et combien peu y veulent marcher[123] ! » Quel est ce petit nombre ? Ceux qui souffrent les afflictions, qui endurent les épreuves, qui ne se laissent point abattre dans les maux de cette vie, qui ne se réjouissent pas pour une heure seulement de la parole de Dieu, pour sécher au temps de l’épreuve comme sous les feux du soleil[124], mais qui ont les racines de la charité, comme nous venons de l’entendre dans l’Évangile[125]. Ayez donc, vous dirai-je, la racine de la charité, afin que vous ne soyez point brûlés, mais alimentés par le soleil qui se lèvera. « Tous ces maux sont venus foudre sur nous, et nous ne vous avons point oublié, et nous n’avons pas répudié votre alliance, et notre cœur ne s’est point retiré de vous ». Mais parce que nous en agissons de la sorte au milieu des tribulations, déjà nous marchons dans la voie étroite ; « et vous, vous avez détourné vos sentiers de notre voie ».
18. « Et pourtant vous nous avez oubliés dans le lieu de notre faiblesse ». Vous nous relèverez donc dans le lieu de notre force. « Et l’ombre de la mort nous a couverts »[126], La mortalité est pour nous l’ombre de la mort. La véritable mort sera d’être condamné avec Satan.
19. « Si nous avons oublié le nom de notre Dieu ». C’est là l’intelligence pour les fils de Coré. « Si nous avons tendu les bras vers les dieux étrangers »[127].
20. « Dieu ne doit-il pas rechercher ces crimes, lui qui connaît le secret des cœurs »[128] Il le connaît, et pourtant il le recherche ; s’il connaît le secret des cœurs, que devient cette parole : « Le Seigneur ne doit-il pas rechercher tout cela ? » Il le connaît pour lui-même, il le cherche à cause de nous. Souvent, en effet, le Seigneur dit qu’il recherche et qu’il comprend ce qu’il nous fait comprendre. Il te dit alors ce qu’il fait en toi, et non ce qu’il connaît. Nous disons en effet d’un jour qu’il est joyeux, quand il est serein ; or, le jour ressent-il de la joie ? Mais nous vous disons qu’il est joyeux, parce qu’il nous procure de la joie. De même nous disons : Un ciel triste, non que les nuées soient capables de sens, mais parce que les hommes à cette vue sont tristes eux-mêmes ; on appelle triste ce qui peut les contrister. De même on dit que Dieu connaît, quand il nous fait connaître. Dieu dit à Abraham : « C’est maintenant que je connais la crainte pour le Seigneur »[129]. Ne la connaissait-il donc pas auparavant ? Mais Abraham ne se connaissait point, et ce fut à cette épreuve qu’il apprit à se connaître. Souvent, en effet, l’homme croit pouvoir ce qu’il ne peut réellement, ou il croit ne pouvoir point ce qu’il peut ; il arrive alors que la divine Providence le met à l’épreuve, et qu’à cette épreuve il se connaît ; or, on dit alors que Dieu connaît ce qu’il nous a fait connaître ainsi. Pierre se connaissait-il quand il dit au Médecin : « Je suis avec vous jusqu’à la mort ? »[130]. Mais le Médecin lui avait tâté le pouls, et connaissait chez ce malade l’intérieur que le malade ne connaissait point. La tentation survint : le Médecin prouva qu’il avait bien jugé, et le malade perdit sa confiance en lui-même. C’est ainsi que Dieu connaît et qu’il recherche. Pourquoi rechercher ce qu’il connaît ? C’est tour toi, afin que tu puisses te connaître toi-même et que tu en rendes grâces à ton Créateur. « Dieu ne doit-il pas rechercher tout cela ? »
21. « C’est lui qui connaît les secrets des azurs ». Que signifie : « Il connaît les secrets ? » Quels secrets ? « C’est que pendant tout le jour nous sommes livrés à la mort à cause de vous, que nous sommes regardés comme des brebis qu’on va égorger »[131]. Tu peux voir en effet qu’un homme se mortifie, non le motif pour lequel il se mortifie ; Dieu le connaît ; c’est là un secret. Mais quelqu’un s’en vient me dire : Voilà qu’on arrête cet homme pour le nom du Christ, il confesse le nom du Christ. Les hérétiques ne confessent-ils pas aussi le nom du Christ, et pourtant ils ne meurent point pour lui ? Et dans l’Église catholique, vous dirai-je, pensez-vous qu’il n’y en ait pas eu, qu’il ne s’en puisse trouver qui aient souffert pour une gloire purement humaine ? S’il n’y avait point de ces gens-là, saint Paul ne dirait point : « Quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai la charité, cela ne me sert de rien »[132]. Il savait qu’il pouvait s’en trouver quelques-uns qui n’endurassent ces douleurs que par ostentation, et non par amour. C’est donc là un secret impénétrable pour nous, et que Dieu seul peut sonder. Il peut seul en juger, lui qui connaît les secrets du cœur. « Pendant tout le jour, on nous livre à la mort, nous ressemblons aux brebis que l’on égorge ». Je vous ai dit déjà que saint Paul cite ce passage pour encourager les martyrs, afin qu’ils ne viennent pas à défaillir dans leurs douleurs pour le nom du Christ.
22. « Levez-vous, Seigneur, pourquoi dormez-vous ? » À qui va cette parole ? Quel est l’interlocuteur ? Ne semble-t-il pas plutôt dormir lui-même et rêver, celui qui parle de la sorte : « Levez-vous, Seigneur, pourquoi dormir ? » Alors il vous répond : Je sais ce que je dis ; je sais qu’il ne dort point, celui qui est le gardien d’Israël ; et toutefois les martyrs crient : « Levez-vous, Seigneur, pourquoi dormez-vous ? » Seigneur Jésus, vous avez été mis à mort, vous avez dormi dans votre passion et vous vous êtes levé en ressuscitant pour nous. Oui, c’est pour nous que vous êtes ressuscité, nous le savons ; pourquoi êtes-vous ressuscité ? Les Gentils qui nous persécutent croient que vous êtes mort, sans croire que vous êtes ressuscité. Levez-vous donc pour eux. Pourquoi dormir, et dormir pour eux, non pour nous ? S’ils croyaient en effet à votre résurrection, pourraient-ils bien persécuter ceux qui croient en vous ? Mais d’où viennent leurs persécutions ? Pourquoi ces cris : Effacez de la terre, tuez je ne sais quels hommes qui ont cru en vous, en je ne sais quel homme mort sur un gibet ? Vous dormez encore pour eux : levez-vous, afin qu’ils comprennent que vous êtes ressuscité, et qu’ils demeurent en paix. Enfin, il est arrivé que les martyrs, mourant au milieu de ces cris, se sont endormis, mais leur sommeil a éveillé le Christ vraiment mort ; et le Christ s’est comme éveillé parmi les Gentils, c’est-à-dire qu’ils ont cru à sa résurrection ; ainsi peu à peu leur foi au Christ, leur conversion a grossi leur nombre, a inspiré des craintes aux persécuteurs et a fait cesser les persécutions. Pourquoi ? parce que le Christ s’est levé chez les Gentils, lui qui dormait auparavant pour leur incrédulité. « Levez-vous, Seigneur, ne nous rejetez pas toujours ».
23. « Pourquoi détourner votre visage ? » comme si vous n’étiez point avec nous, comme si vous nous aviez oubliés. « Pourquoi oublier notre pauvreté et notre misère ? »[133].
24. « Notre âme est abaissée dans la poussière »[134]. Où a-t-elle été abaissée ? Dans la poussière, c’est-à-dire que la poussière nous persécute. Ils nous persécutent, ceux dont il est dit : « Il n’en est pas ainsi des impies, non, il n’en est pas ainsi ; mais ils seront comme la poussière que le vent chasse de la surface de la terre »[135]. « Notre âme est abaissée dans la poussière, nos entrailles rampent sur la terre ». Il paraît désigner par là un excès d’humiliation, que subit un homme lorsqu’il se prosterne et que son ventre touche à la terre. Quand on s’abaisse en effet jusqu’à mettre un genou en terre, on a de quoi s’abaisser encore. Mais quand par l’abaissement le ventre touche à la terre, on ne peut s’abaisser davantage. Tenter de le faire ne serait plus s’abaisser, mais s’écraser. C’est là peut-être ce que l’on veut dire ici : Nous sommes prosternés dans ha poussière à un tel point qu’il nous est impossible de l’être davantage ; l’humiliation est à son comble, soulagez-nous par votre pitié.
25. L’Église, mes frères, en parlant de la sorte, ne gémirait-elle point sur le sort de ceux que les persécuteurs ont entraînés à l’impiété, en sorte que ceux qui ont résisté diraient : « Notre âme a été humiliée dans la poussière ? » C’est-à-dire, entre les mains de cette poussière, livrés à ces persécuteurs impies, « notre âme a été humiliée dans la poussière », afin que nous invoquions votre puissance, et que vous nous accordiez votre secours dans la tribulation : « Nos entrailles s’attachaient à la terre », c’est-à-dire, nos entrailles se laissaient persuader par cette poussière impie : tel est le sens de cette expression s’attachaient ». En effet, si dans les flammes de la charité on dit très bien : « Mon âme s’attache à vous, ô mon Dieu »[136] ; et encore : « Il m’est bon de m’attacher à Dieu »[137], c’est bien s’attacher à Dieu que consentir à ce qu’il nous demande : et alors ce n’est pas sans raison que l’on dit du ventre qu’il s’est attaché à la terre, puisqu’il désigne ceux qui ont cédé à la persécution et consenti à l’impiété ; ils se sont donc attachés à la terre. Mais pourquoi les désigner par le ventre, sinon parce qu’ils sont charnels, et qu’ainsi le front de l’Église désignerait les saints, les hommes spirituels ; et le ventre, les hommes charnels ? Le front de l’Église est en évidence ; le ventre est caché, comme plus faible et moins résistant. C’est là ce que nous marque l’Écriture, à cet endroit où quelqu’un dit qu’il a reçu un livre, et que « ce livre était doux à sa bouche, mais amer dans ses entrailles »[138]. Qu’est-ce à dire, sinon que les principaux commandements, acceptés avec joie par l’homme spirituel, sont rejetés par l’homme charnel, et que cet homme charnel trouve la peine où l’homme spirituel trouve la joie ? Que dit encore ce livre, mes frères ? « Vends ce que tu possèdes, et donne-le aux pauvres ». Combien est suave une telle parole dans la bouche de l’Église ! Tout homme spirituel l’accomplit. Mais pour l’homme charnel, dites-lui : Fais cela ; et alors vous quitter avec tristesse, comme le riche de l’Évangile[139] quitta le Seigneur, est chose plus certaine que faire ce que vous lui avez dit. Pourquoi s’en aller triste, sinon parce que ce livre est doux à la bouche, amer dans les entrailles ? Tu as donné je ne sais combien d’or ou d’argent, et tu es dans cette alternative, ou de perdre cette somme, ou de commettre quelque péché, de faire outrage à l’Église, d’être contraint au blasphème ; alors, dans cette fâcheuse alternative, ou de perdre ton argent, ou de blesser la justice, on te dit : Perds ton argent plutôt que de perdre la justice. Mais toi, dont la bouche ne trouve rien de suave dans la justice, et qui es encore au nombre de ces membres infirmes qui composent les entrailles de l’Église, tu es dans une tristesse qui te fait préférer la perte de la justice à la perte de quelque pièce de monnaie, et tu encours un dommage bien plus grave, tu n’emplis ta bourse qu’en vidant ton cœur. C’est probablement de ceux-là qu’il est dit : « Nos entrailles s’attachaient à la terre ».
26. « Levez-vous, Seigneur, secourez-nous »[140]. Il s’est levé, mes frères bien-aimés ; oui, il s’est levé et nous a secourus. Car à son lever, c’est-à-dire à sa résurrection, quand il s’est fait connaître aux Gentils, la persécution a cessé, et alors ceux qui s’attachaient à la terre se sont arrachés à la terre, et la pénitence les a réintégrés au corps du Christ, malgré leur faiblesse, malgré leur imperfection, et cette parole s’est accomplie en eux : « Vos yeux ont vu ce qu’il y avait en moi d’imparfait, et tous seront écrits dans votre livre[141]. Levez-vous, Seigneur, secourez-nous, et rachetez-nous à cause de votre nom », c’est-à-dire gratuitement ; à cause de votre nom, et non point à cause de mes mérites ; parce que vous daignez le faire, et non parce que je suis digne que vous le fassiez. Si en effet nous ne vous avons pas oublié, si notre cœur ne s’est point éloigné de vous, si nous n’avons pas tendu les mains à des dieux étrangers, comment l’aurions-nous pu faire sans votre secours ? D’où nous serait venue cette force, si votre grâce ne nous eût parlé intérieurement, ne nous eût exhortés sans nous abandonner ? Que nous soyons donc, ou abattus par la tribulation, où consolés par la félicité, rachetez-nous, non point à cause de nos mérites, mais à cause de votre nom.
DISCOURS SUR LE PSAUME 44
modifierL’ÉPITHALAME DE L’ÉGLISE
modifierCe psaume est pour les fils de Coré ou du Chauve ; mais à ce propos, gardons-nous de ressembler aux enfants qui insultaient à Elisée, soyons enfants, mais par l’innocence. Ce psaume est pour ceux qui se convertiront et pour le bien-aimé. Ce bien-aimé est le Verbe fait chair, – sa beauté, sa bonté, – sa puissance créatrice, – sa promptitude, – la grâce de ses lèvres, – son glaive ou sa parole, qui divise le fils contre le père, – son humanité qui nous attire, – sa justice, sa vérité, sa douceur, son trône éternel, son sceptre qui nous redresse, l’onction qui le fait le Christ. – Vêtement de l’Épouse ou de l’Église, une dans sa foi ; avec la variété des langues, – elle est la bonne odeur du Christ pour la vie et pour la mort. – Ses palais ou les cœurs des saints. – Les filles des rois sont les filles des Apôtres converties ou engendrées au Christ. Beauté intérieure de la reine. – Les filles des rois viennent après elle avec des présents ou des œuvres de charité. – Les évêques successeurs des Apôtres. Beauté extérieure, ou bon exemple.
1. Je vous conjure, mes frères, d’apporter autant d’attention pour considérer ce psaume avec nous, que nous avons mis de joie à le chanter avec vous. On le chante en effet aux saintes épousailles de l’Époux et de l’Épouse, roi et du peuple, du Sauveur et de ceux qu’il doit sauver. Celui qui vient à ces noces avec la robe nuptiale, cherchant la gloire de l’Époux, et non la sienne propre, apporte non seulement cette attention que donnent les hommes qui aiment les spectacles sans en donner eux-mêmes, mais il grave ces paroles dans son cœur, afin qu’elles n’y demeurent point stériles, qu’elles y germent au contraire, qu’elles éclosent, qu’elles croissent, qu’elles mûrissent un fruit que Dieu puisse récolter. C’est pour nous que le psaume doit se chanter, pour nous qui devons être les fils de Coré, comme l’indique le titre. Ces fils de Coré étaient des hommes ; et toutefois, pour l’homme spirituel, toute inscription de l’Écriture une signification qu’il ne suffit pas d’écouter, mais qu’il faut comprendre. Nous cherchons dans l’hébreu la valeur de ce mot et les interprétations de toutes les expressions de l’Écriture nous enseignent que les fils de Coré signifient les enfants du Chauve. Gardons-nous de railler ce nom, de peur qu’on ne trouve en nous ces moqueries enfantines des jeunes gens qui insultaient le prophète Elisée, comme nous lisons au livre des Rois, et qui criaient derrière lui : « Monte, chauve, monte »[143]. Telle était la stupide insolence de ces enfants qui le maudissaient à leur propre perte ; des ours sortis de la forêt les dévorèrent. Voilà ce qui est écrit, nous vous avons cité l’endroit : « Ceux qui ont de la mémoire peuvent s’en souvenir ; ceux qui ne s’en souviennent point peuvent lire ; et ceux qui ont lu doivent croire. Quel était pour l’avenir le sens de cette figure, c’est là ce que nous devons éviter. Ces enfants étaient la figure de ces hommes insensés, dont l’ignorance est l’apanage ; ce que l’Apôtre veut éloigner de nous quand il dit : « Ne soyez point sans discernement comme les enfants »[144]. Et parce que le Seigneur nous avait invités à imiter les enfants quand il prit l’un d’eux devant lui et qu’il dit : « Si quelqu’un ne devient comme cet enfant, il n’entrera point dans le royaume des cieux »[145], l’Apôtre a soin de nous détourner de l’ignorance des enfants, et de recommander leur simplicité à notre imitation : « Gardez-vous », nous dit-il, « de l’ignorance des enfants, mais soyez comme eux sans malice, « afin que par la prudence vous deveniez des « hommes faits ». Que celui qui se plaît à imiter les enfants, mette son plaisir dans leur simplicité et non dans leur ignorance. Ceux-ci donc, dans leur ignorance, insultaient au saint de Dieu qui était chauve, et criaient derrière lui : « Chauve, chauve ! » Ils furent dévorés par les bêtes, et figuraient ces hommes qui devaient imiter leur folie enfantine en raillant un certain chauve crucifié au Calvaire[146]. Ceux-là aussi devinrent la proie des bêtes ou des démons, du diable et de ses anges, qui agissent parmi les hommes de l’incrédulité. Telle était la folie de ceux qui, devant le bois sacré de la croix, s’écriaient en branlant la tête : « S’il est Fils de Dieu, qu’il descende de la croix »[147]. Or, nous sommes les enfants de ce chauve, si nous sommes les fils de l’Époux ; c’est pour nous qu’est écrit ce psaume dont le titre porte : « Aux fils de « Coré, pour ceux qui doivent changer »[148].
2. Qu’ai-je besoin d’exposer le sens de ces paroles : « Pour ceux qui doivent changer ? » Que puis-je vous dire ? Quiconque a changé le comprend. À ces paroles : « Pour ceux qui doivent changer », qu’il voie ce qu’il était jadis et ce qu’il est maintenant. Qu’il voie d’abord le changement opéré dans le monde, qui naguère adorait les idoles, et qui maintenant adore le vrai Dieu ; qui naguère servait l’ouvrage de ses mains, et qui sert maintenant Celui dont il est l’ouvrage. « Pour ceux qui doivent changer ». Voyez en quel temps fut dite cette parole. Un reste de païens voit avec stupeur ces grands changements ; et ceux qui ne veulent point changer voient nos églises remplies et leurs temples déserts ; ici de grandes solennités, là une grande solitude. Ils admirent le changement, qu’ils lisent la prophétie, qu’ils prêtent l’oreille à celui qui fait les promesses et qu’ils croient à celui qui les accomplit. Mais chacun de nous aussi, mes frères, a passé du vieil homme à l’homme nouveau ; que d’infidèle il devienne fidèle ; d’avare, libéral ; d’adultère, homme chaste ; de méchant, bienfaisant. Qu’il soit donc notre psaume, cet hymne que l’on chante pour ceux qui seront changés, et qu’il commence par nous décrire celui par qui tout est changé.
3. Le titre est donc : « Pour ceux qui doivent changer, intelligence aux fils de Coré, cantique pour le bien-aimé »[149]. Ce bien-aimé a été vu par ses persécuteurs, mais non pour en être compris. « Car s’ils eussent connu le Seigneur, ce Roi de gloire, ils ne l’eussent point crucifié »[150]. C’était pour cette intelligence que lui-même cherchait d’autres yeux quand il disait : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père »[151]. Que le psaume relève ici ses louanges ; réjouissons-nous de ces noces et nous serons aussi de ceux qui entrent eux-mêmes dans ces saintes épousailles, qui y sont invités, et où les invités sont l’Épouse même. Car cette Épouse est l’Église, et l’Époux est le Christ. Les jeunes étudiants chantent parfois aux hommes et aux femmes qui se marient, des vers appelés épithalames ; tout ce qui est chanté l’est à la gloire de l’Époux et de l’Épouse ; or, dira-t-on que dans ces noces du Christ où nous sommes invités, il n’y a pas un thalamus ou lit nuptial ? D’où vient alors cette parole d’un autre psaume : « Il a placé sa tente dans le soleil, et lui-même est comme l’Époux qui sort de son lit nuptial ?[152] » L’union conjugale, c’est le Verbe uni à la chair ; et le lit où s’est opérée cette union est le sein de la Vierge. C’est là que la chair a été unie au Verbe, et de là vient cette parole : « Ils ne sont plus deux, mais une seule chair »[153]. L’Église a été tirée d’entre les hommes, afin que cette chair unie au Verbe devînt la tête de l’Église, et que les membres de cette tête fussent tous ceux qui croiront. Veux-tu voir en effet celui qui est venu à ces noces ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu »[154]. Que cette Épouse se réjouisse, elle qui est aimée de Dieu. Quand l’aime-t-il ? quand elle est encore souillée. « Tous ont péché, dit l’Apôtre, ce et ont besoin de la gloire de Dieu »[155]. Et encore : « Le Christ est mort pour les pécheurs »[156]. Dieu l’a aimée dans sa laideur, afin qu’elle quittât cette laideur. Ce n’est pas toutefois à cause de cette laideur qu’il l’a aimée, puisque Dieu n’aime point ce qui est laid ; et s’il l’aimait, il le conserverait ; or, le voilà qui la dépouille de cette laideur pour lui donner la beauté. Comment donc était cette Épouse qu’il est venu trouver, et qu’en a-t-il fait ? Qu’il vienne aussi en nous dans ces paroles prophétiques ; qu’il vienne à nous lui-même, cet Époux ; aimons-le, ou même ne l’aimons point, si nous trouvons en lui quelque difformité. Il a trouvé en nous bien des laideurs, et néanmoins il nous a aimés : ne l’aimons point, si nous trouvons en lui quelque chose de difforme. En cela même qu’il s’est revêtu de notre chair, et que le Prophète a dit de lui : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni apparence ni beauté »[157] ; il y a une grande beauté, si nous considérons la miséricorde qui l’a réduit à cet état. C’était ou nom des Juifs que le Prophète s’écriait : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni apparence ni beauté ». Pourquoi ? parce qu’ils ne le comprenaient point. Mais pour ceux qui le comprennent, il y a dans « le Verbe qui s’est fait chair »[158], une beauté suprême. « A Dieu ne plaise », disait un ami de cet Époux, « que je me glorifie, sinon en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ »[159] C’est peu n’en pas rougir, si tu ne vas jusqu’à t’en glorifier. Mais pourquoi n’avait-il ni apparence ni beauté ? Parce qu’un Christ à la croix était un scandale pour les Juifs, une folie pour les Gentils. Pourquoi n’avait-il aucune beauté sur la croix ? Parce que, en Dieu, ce qui est folie, est plus sage que les hommes ; ce qui est faible en Dieu, est plus fort que les hommes[160]. Pour nous qui croyons, que cet Époux apparaisse toujours dans sa beauté. Il est beau comme Dieu, puisque le Verbe est Dieu ; il est beau dans le sein de la Vierge il se revêt de la nature humaine sans se dépouiller de la nature divine : il est beau dans sa naissance, ce Verbe enfant ; car cet Enfant à la mamelle, et dans les bras de sa mère, donne la parole aux cieux, fait chanter sa gloire par les anges ; une étoile amène à sa crèche les Mages qui l’y adorent, lui qui est la nourriture des pacifiques[161]. Il est donc beau dans le ciel et beau sur la terre ; beau dans les entrailles virginales, beau dans les bras maternels ; beau dans ses miracles et beau dans la flagellation ; beau quand il nous invite à sa vie, beau quand il méprise la mort ; beau quand il donne son âme, et beau quand il la reprend ; beau sur la croix, beau dans le sépulcre, beau dans le ciel. Écoutez ce cantique pour le comprendre, et que l’infirmité de la chair ne détourne point vos yeux de la splendeur et de la beauté de cet Époux. La grande et la véritable beauté, c’est la justice : dès que tu découvres l’injustice, il n’y a plus de beauté à tes yeux ; si donc il est toujours juste, il est toujours beau. Qu’il se montre donc aux yeux de notre âme, cet Époux qu’un de ses prophètes a si bien chanté. Le voici qui commence.
4. « Une bonne parole s’échappe de mon cœur, c’est au roi que j’adresse mes œuvres »[162]. Quel est ici l’interlocuteur ? est-ce Dieu le Père, ou le Prophète ? Plusieurs ont compris que c’est le Père qui dit : « Une bonne parole est sortie de mon cœur », pour désigner une naissance ineffable, et nous empêcher de croire que Dieu eut besoin d’un secours étranger pour engendrer son Fils, comme un homme qui, pour engendrer des enfants, a recours au mariage, sans lequel nul homme n’a de postérité. Dieu donc, pour nous empêcher de croire que, pour engendrer son Fils, il a besoin de quelque mariage, s’écrie : « Une bonne parole ce s’est échappée de mon cœur ». Aujourd’hui, ô homme, ton cœur enfante un dessein généreux et n’a nul besoin d’une Épouse d’après ce conseil né de ton cœur, tu construis un édifice ; or, cette œuvre était déjà celle de ton esprit avant d’être celle de tes mains : elle est déjà faite dans ton esprit, par cela même que tu dois la faire : et tu t’extasies devant une construction qui n’existe pas encore, qui n’a nulle apparence d’un édifice, et qui n’existe que dans ton dessein ; nul autre ne peut louer ton dessein, si tu ne lui en as fait part ou s’il n’a vu ton œuvre. Donc, si tout est l’œuvre du Verbe, et si le Verbe vient de Dieu, regarde l’œuvre de cet édifice construit par le Verbe, et que l’édifice t’en fasse admirer le dessein. Quel doit être le Verbe, par qui sont faits le ciel et la terre, et toute la beauté des cieux, et la fécondité de la terre, et l’étendue des mers, et la capacité de l’air, et l’éclat des astres, et la clarté du soleil et de la lune ? Voilà ce qui est visible ; mais franchis au-delà, élève-toi par la pensée jusqu’aux Anges, aux Principautés, aux Trônes, aux Dominations, aux Puissances : « Tout a été fait par lui ». Pourquoi donc toutes ces choses ont-elles été faites si bien ? C’est parce que ce la bonne parole » qui devait les faire s’est échappée. Donc le Verbe est bon ; et c’est au Verbe que l’on a dit : « Bon Maître ». Et le Verbe lui-même a répondu : « Pourquoi m’appeler bon ? Il n’y a que ce Dieu seul qui soit bon »[163]. On lui dit donc : « Bon Maître » ; et il répond : « Pourquoi ce m’appeler bon ? » puis il ajoute : « Il n’y a de bon que Dieu seul ». Comment donc luimême est-il bon, sinon parce qu’il est Dieu ? Et non seulement Dieu, mais Dieu unique avec son Père. Quand il a dit en effet : « Il n’y a de bon que Dieu seul », il ne s’est point séparé de Dieu, mais il s’est uni à lui. « Une bonne parole s’est donc échappée de mon cœur ». Laissons à Dieu le Père ce langage au sujet de son Verbe qui est bon, qui est notre bien, et par lequel seul nous pouvons devenir bons.
5. Voyons la suite : « C’est au roi que je dis mes œuvres ». Est-ce encore le Père qui parle ainsi ? Si ce langage est encore du Père, voyons comment nous pouvons entendre, sans blesser la foi vraie et catholique, cette parole : « C’est au roi que je dis mes œuvres ». Quelles œuvres le Père peut-il raconter à son Fils notre roi ? quelles œuvres peut faire connaître le Père à son Fils, puisque toutes les œuvres du Père ont été accomplies par le Fils ? À moins peut-être que dans cette parole : « Je dis mes œuvres au roi », le mot « dire » n’exprime la génération du Fils. Je crains que des gens peu instruits ne puissent me comprendre ; je le dirai cependant, me suivra qui le pourra, de peur que si je m’en tais, celui qui pourrait me suivre, ne le fasse point, Nous lisons ces mots dans un autre psaume : « Dieu a parlé une seule fois ». Dieu a parlé si souvent par ses Prophètes, si souvent par ses Apôtres, il parle aujourd’hui si souvent par ses saints, et le Psalmiste dit : « Dieu a parlé une seule fois[164] » Comment n’a-t-il parlé qu’une fois, sinon parce qu’il n’a qu’une parole, un Verbe unique ? De même que dans ce verset : « Une bonne parole s’est échappée de mon cœur », nous reconnaissons la génération du Fils, la même pensée me semble répétée dans ce qui vient ensuite ; alors « je dis », serait la répétition de « une bonne parole s’est échappée « de mon cœur ». Que signifie : « Je dis ? » Je profère une parole. D’où vient en Dieu, la parole, sinon de son cœur, du fond de lui-même ? Pour toi, tu ne dis rien au-dehors qui ne s’exhale de ton cœur ; ta parole qui résonne et qui passe, ne vient pas d’ailleurs, et tu serais étonné que Dieu parlât de la sorte ? Mais, en Dieu, dire est quelque chose d’éternel, Toi, tu parles maintenant, parce que tout à l’heure tu te taisais, ou bien voilà que tu n’émets pas encore ta parole,’et tout à l’heure, quand tu commenceras, tu rompras en quelque sorte le silence, et tu enfanteras une parole qui n’était pas auparavant. Ce n’est pas ainsi que Dieu enfante son Verbe ; le dire de Dieu est sans commencement et sans fin ; et pourtant il ne dit qu’une parole. Qu’il en dise une autre, si la première est finie. Mais comme l’interlocuteur subsiste toujours, comme sa parole subsiste également, comme cette parole une fois dite n’a point de fin ; alors cette fois même est sans commencement, on ne la répète pas deux fois, parce que dite une fois elle subsiste toujours. Cette phrase donc : « Une bonne parole s’est échappée de mon cœur », a le même sens que celle-ci : « Je dis mes œuvres au roi ». Mais pourquoi dis-je mes œuvres ? Parce que toutes les œuvres de Dieu sont dans son Verbe. Tout ce que Dieu devait faire dans la création était dans son Verbe ; et ce qui n’eût pas été d’abord dans son Verbe, n’eût pu être réalisé : de même que rien n’entre dans une construction, s’il n’est d’abord dans l’idée. C’est ce qui est marqué par l’Évangile : « Ce qui a été fait en lui était vie »[165] Donc ce qui a été fait était auparavant, mais dans le Verbe ; et toutes les œuvres de Dieu étaient là avant d’être des œuvres ; mais le Verbe était, et ce Verbe était Dieu, et il était en Dieu et il était Fils de Dieu, et il était un seul Dieu avec son Père. « Pour moi, je dis mes œuvres au roi ». Entende celui qui parle, quiconque peut comprendre le Verbe ; et qu’il voie avec le Père cette parole éternelle, en qui sont toutes les choses à venir, et en qui ne cessent pas d’être celles qui ont passé. Toutes ces œuvres de Dieu sont dans son Verbe comme dans sa parole, comme dans son Fils unique, comme dans le Verbe de Dieu.
6. Quelle est la suite ? « Ma langue est comme la plume de l’écrivain rapide »[166]. Quel rapport, mes frères, quel rapport entre la langue de Dieu et la plume de l’écrivain ? Quelle ressemblance entre une pierre et le Christ ?[167] quelle ressemblance entre un agneau et le Sauveur ?[168] entre un lion et la force du Fils unique de Dieu ?[169] Tout cela néanmoins a été dit ; et sans ces comparaisons il nous serait difficile de nous élever des choses visibles à l’Invisible lui-même. C’est ainsi que nous n’élevons pas jusqu’à l’excellence divine celle chétive plume de l’écrivain, sans la mépriser pourtant. Car je me demande pourquoi Dieu a comparé sa langue à la plume habile écrivain ? Quelle que soit en effet la rapidité d’un écrivain, on ne peut lui comparer cette vitesse dont un autre psaume a dit : « Son Verbe se répand avec rapidité »[170]. Toutefois, autant que l’intelligence peut pénétrer ces matières, il me semble que l’on peut attribuer au Père cette parole : « Ma langue est la plume l’écrivain ». Ce que dit la langue, en effet, résonne et passe ; ce que l’on écrit, demeure. Comme donc Dieu dit son Verbe, et que ce Verbe ne résonne pas, ne passe point, mais se dit toujours et demeure toujours, Dieu a préféré comparer sa parole à une écriture plutôt qu’à un son. Qu’il ajoute : « Qui écrit rapidement », il stimule notre esprit qui cherche à comprendre : mais ne s’arrête point à considérer les écrivains et les copistes les plus habiles ; avec ces considérations il s’en tiendra là. Qu’il soit, habile à considérer l’expression « rapidement », et qu’il s’efforce de découvrir ce que signifie « rapidement ». Telle est en Dieu la rapidité, qu’il n’y a rien de plus rapide. Or, en écrivant, on ne peut écrire qu’une lettre après une lettre, une syllabe après une syllabe, un mot après un mot ; on ne passe à un second qu’après avoir formé le premier. Le plus expéditif est d’avoir peu de paroles sans que rien soit omis, de renfermer tout en un mot.
7. Cette parole ainsi proférée, parole éternelle et coéternelle à celui qui est éternel, cet Époux, le voici : « Il surpasse en beauté les enfants des hommes »[171]. « Les enfants des hommes », est-il dit, pourquoi pas les anges ? Qu’a-t-il voulu dire par « les enfants des hommes », sinon qu’il est un homme ? Mais de peur qu’on ne vît dans le Christ qu’un homme ordinaire, il dit : « Vous surpassez en beauté les enfants des hommes ». Tout homme qu’il soit, il est avant les fils des hommes ; bien qu’il soit parmi les enfants des hommes, il surpasse les enfants des hommes ; bien qu’il soit au nombre des enfants des hommes, il est plus que les enfants des hommes. « La grâce est répandue sur vos lèvres ». « La loi donnée par Moïse, la grâce et la vérité ment de Jésus-Christ »[172]. J’avais besoin de ce secours, « Car selon l’homme intérieur je me plais dans la loi de Dieu, mais je sens dans mes membres une loi qui résiste à la loi de l’esprit, et qui me captive sous la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La grâce de ce Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. »[173] Cette grâce est donc répandue sur vos lèvres ». Il est venu vers nous avec la parole de la grâce, avec le baiser de la grâce. Quoi de plus doux que cette grâce ? Quel est son effet en nous ? « Bienheureux sont ceux dont les iniquités sont remises, dont les péchés sont couverts »[174] S’il venait comme un juge sévère, sans que la grâce fût épanouie sur ses lèvres, qui oserait espérer son salut ? Mais en venant avec la grâce il n’a point exigé ce qu’on lui devait, il a même payé ce qu’il ne devait pas. N’étant point pécheur, devait-il mourir ? Et à toi pécheur, que te revenait-il, sinon la mort ? Il t’a déchargé de tes dettes pour payer ce qu’il ne devait point. C’est là une grâce magnifique. Pourquoi une grâce ? Parce qu’elle est donnée gratuitement. Aussi peux-tu rendre grâces à Dieu, mais non grâce pour grâce ; c’est là l’impossible. Aussi David se demandait ce qu’il devait rendre. « Que rendrai-je au Seigneur », disait-il, « pour tous les biens qu’il m’a rendus ? » Il semble avoir trouvé quelque chose : « Je prendrai le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur »[175]. Mais est-ce bien rendre à Dieu grâce pour grâce, que d’invoquer le Seigneur et de prendre le calice du salut ? Qui donc t’a donné ce calice du salut ? Aussi David se borne-t-il à remercier, car il trouvait impossible de rendre grâce pour grâce. Trouve ce que tu peux offrir à Dieu, sans l’avoir reçu de lui, et tu lui auras rendu grâces. Prends garde néanmoins qu’en cherchant à lui rendre en échange ce que tu n’as point reçu de lui, tu ne trouves ton péché. Assurément tu ne le tiens pas de lui, mais tu ne dois pas le lui offrir non plus. Ce fut là le don des Juifs qui lui rendirent le mal pour le bien ; trempés de la rosée, ils ne lui donnèrent aucun fruit, mais les épines de la douleur[176]. Quel que soit donc le bien que tu veuilles offrir à Dieu, sans l’avoir reçu de lui, tu ne le trouveras pas en toi. « C’est la grâce de Dieu qui est répandue sur ses lèvres ». C’est lui qui t’a fait, et fait gratuitement. Il n’aurait pu faire du bien à aucun homme sans le créer d’abord. Tu étais perdu, et il t’a recherché ; et en te retrouvant il t’a ramené dans le bon chemin. Sans te reprocher le passé, il t’a promis pour l’avenir. Il est donc vrai que ce la grâce est « répandue sur ses lèvres ».
8. « Aussi », dit le Psalmiste, « Dieu vous a-t-il béni éternellement ». Il est bien difficile de comprendre que Dieu le Père dise à son Fils : « Aussi le Seigneur vous a-t-il béni pour l’éternité ». Il serait plus aisé d’attribuer cette parole au Prophète ; on trouve en effet dans les saintes Écritures ces changements de personnes, si brusques et si inattendus ; pour le lecteur attentif, les pages sacrées en sont pleines : « Seigneur, délivrez mon âme des lèvres injustes, des langues menteuses » et aussitôt : « Que vous donner, comment vous défendre contre les langues trompeuses ? »[177] C’est une personne au premier verset, une autre personne au second ; l’une prie, l’autre vient au secours. « Elles sont aiguës les flèches de l’homme puissant, elles dévorent comme la flamme ». C’est une personne, autre encore que celle-ci : « Que vous donner, et comment vous défendre ? » puis en vient une autre encore pour nous dire : « Hélas ! combien mon exil est long à mon impatience ». Tant de changements dans si peu de versets stimulent notre attention : l’Écriture n’en marque point l’endroit, elle ne nous dit point : Cette parole est d’un homme, cette autre de Dieu ; mais elle nous force à chercher dans les paroles ce qui est de l’homme et ce qui est de Dieu. C’est un homme qui disait : « Une bonne parole s’est échappée de mon cœur, c’est au Roi que je dis mes œuvres ». Voilà ce que disait l’homme, ce que disait l’écrivain du psaume, mais il le disait dans la personne de Dieu : c’est en son propre nom qu’il commence à dire : « C’est pour cela que Dieu t’a béni pour l’éternité ». Car Dieu avait dit : « La grâce est épanouie sur vos lèvres », à celui qu’il avait fait plus beau que les enfants des hommes, à cet homme que l’Éternel avait engendré éternellement comme Dieu. Le Prophète est donc plein d’une joie ineffable ; et, considérant tout ce que Dieu le Père a révélé de son Fils à un homme qui a pu parler ainsi au nom de Dieu, il s’écrie : « Aussi Dieu vous a-t-il béni pour l’éternité ». Pourquoi ? À cause de la grâce. Et où tend cette grâce ? Au royaume des cieux. Le premier Testament avait promis la terre ; et autre fut la récompense ou la promesse de Dieu à ceux qui vivaient sous la loi, autre à ceux qui vivent sous la grâce ; aux Juifs placés sous la loi, la terre de Chanaan ; à ceux qui vivent sous la grâce, le royaume des cieux. C’est pourquoi ce royaume, qui appartenait à ceux qui vivaient sous la loi, a passé avec la terre ; mais le royaume du ciel, promis à ceux qui vivent sous la grâce, ne passe point. C’est pour cela, dit le Prophète, ce que Dieu vous a bénis, non pour un temps, mais ce pour l’éternité ».
9. D’autres ont préféré attribuer à la personne du Prophète toutes les paroles précédentes, ils lui ont même attribué ce début : « Une bonne parole s’est échappée de mon cœur », comme un hymne qu’il chanterait au Seigneur. (Quiconque en effet chante un hymne, laisse échapper de son cœur une bonne parole ; de même que le blasphème contre Dieu est une parole mauvaise échappée du cœur). En sorte que ces paroles qui viennent après : « Je dis mes œuvres au roi », signifieraient que l’œuvre suprême de l’homme est de louer Dieu. C’est à Dieu à te plaire par sa beauté, à toi de le louer par tes actions de grâces. Dès que tes œuvres ne tendent point à louer Dieu, tu commences à l’aimer toi-même ; et tu es du nombre de ceux dont l’Apôtre a dit : « Les hommes s’aimeront eux-mêmes »[178]. Commence par te déplaire à toi-même, afin de te complaire en celui qui t’a fait. Que ton œuvre soit la louange de Dieu, qu’une bonne parole s’échappe de ton cœur. « Dis donc tes œuvres au roi », puisque tu lui dois de pouvoir le faire, et qu’il t’a donné de quoi lui offrir. Rends-lui ses propres dons ; et cette part de ton héritage que tu as reçue, ne va pas, comme le prodigue, la dissiper en vivant dans la débauche, et paître ensuite les pourceaux. Souviens-toi de ce passage de l’Évangile, car c’est de nous aussi qu’il est dit : « Il était mort et il est ressuscité, il était ce perdu et il est retrouvé2 »[179]
10. « Ma langue est comme la plume d’un écrivain très habile ». Plusieurs ont cru que le Prophète avait récité d’abord ce qu’il devait écrire, et qu’alors il comparait sa langue à la plume de l’écrivain ; qu’il avait ajouté : « Écrivain très prompt », pour faire entendre qu’il écrivait ce qui allait bientôt s’accomplir, et alors écrire vite signifierait écrire des choses qui vont arriver, ou écrire ce qui ne saurait tarder. Car Dieu n’a pas tardé d’envoyer son Christ. Le temps ne paraît-il point court, dès qu’il est passé ? Remontez générations antérieures, et Adam ne vous paraîtra créé que d’hier. Ainsi ont passé les choses depuis le commencement ; elles ont passé rapidement. Rapidement encore viendra le jour du jugement : préviens cette vitesse ; et s’il se hâte de venir, hâte-toi plus encore de changer. Alors apparaîtra la face du juge ; mais vois ce que dit le Prophète : « Prévenons cette face par un humble aveu[180]. La grâce est épanouie sur vos lèvres, aussi votre Dieu vous a-t-il béni pour l’éternité ».
11. « Ceignez-vous de votre glaive sur votre cuisse, ô Tout-Puissant »[181]. Qu’est-ce que votre glaive, sinon votre parole ? C’est avec ce glaive qu’il a renversé ses ennemis, avec ce glaive qu’il a séparé le fils de son père, la fille sa mère, la bru de sa belle-mère. Voici en effet ce que nous lisons dans l’Évangile : « Je suis point venu apporter la paix, mais le glaive. Dans une famille de cinq personnes, il y aura division : deux seront contre trois, trois contre deux ; c’est-à-dire le fils contre son père, la fille contre sa mère, la contre sa belle-mère »[182]. Quel glaive a fait ces divisions, sinon le glaive apporté par le Christ ? Et en effet, mes frères, c’est là ce que nous voyons tous les jours. Un jeune homme veut servir Dieu, son père s’y oppose : les voilà divisés l’un contre l’autre. L’un promet un héritage sur la terre, l’autre veut celui-là du ciel : autre est la promesse de celui-là, autre le choix de celui-ci. Que le père néanmoins ne crie pas à l’injure, on ne lui préfère que Dieu seul ; et pourtant il dispute à son fils le droit de servir Dieu selon ses vœux. Mais le glaive de Dieu qui les sépare est plus que la nature charnelle qui les unit. Cela se vérifie encore dans la fille à l’égard de sa mère, et bien plus dans la bru à l’égard de sa belle-mère. Souvent dans la même maison on voit la bru et la belle-mère, l’une catholique, l’autre hérétique ; et lorsque ce glaive a puissamment frappé, nous n’avons pas à redouter un second baptême. La fille a pu être séparée de sa mère, et la bru ne pourrait l’être de sa belle-mère.
12. C’est là ce qui est arrivé d’une manière générale dans le genre humain : le fils a pris parti contre son père. Nous étions jadis fils du diable, et quand nous étions encore infidèles on nous a dit : « Vous avez le diable pour père »[183]. Et d’où venait en nous toute infidélité, sinon de ce diable notre père ? Il était notre père, non qu’il nous eût créés, mais parce que l’imitation nous avait faits ses enfants. Aujourd’hui nous voyons le fils prenant parti contre son père. Par l’effet de ce glaive sacré il renonce au démon et trouve un autre père comme une autre mère. Le démon, en se proposant pour modèle, n’engendrait que pour la mort ; les deux parents que nous trouvons nous engendrent à la vie éternelle. Le fils prend parti contre son père, la fille contre sa mère ; ceux d’entre les Juifs qui crurent au Christ prirent parti contre la Synagogue. La bru prend parti contre sa belle-mère ; on appelle bru cette multitude venue des Gentils, parce qu’elle a pour Époux le Christ, Fils de la Synagogue. D’où était le Fils de Dieu selon la chair ? De la Synagogue. C’est lui qui a quitté son père et sa mère pour s’attacher à son Épouse, afin qu’ils fussent deux dans une même chair[184] ; et ceci n’est point une conjecture, puisque l’Apôtre nous dit : « Ce sacrement est grand, je dis dans le Christ et ce dans l’Église »[185]. Pour s’unir à la nature humaine, il a donc quitté son Père en quelque sorte, car il ne l’a point quitté de manière à s’en séparer entièrement. Comment l’a-t-il quitté ? « C’est qu’ayant la nature de ce son Père, il n’a point cru faire une usurpation de s’égaler à Dieu ; et néanmoins il s’est anéanti en prenant la forme de l’esclave »[186]. Et sa mère, comment l’a-t-il quittée ? En quittant le peuple juif, cette synagogue attachée aux rites anciens. Il en donnait une figure quand il disait : « Quelle est ma mère et quels sont mises frères ? »[187] Il enseignait au dedans, tandis que sa mère et ses frères se tenaient au-dehors. Voyez s’il n’en est pas ainsi des Juifs aujourd’hui. Le Christ enseigne dans l’Église, eux s’obstinent dehors. Quelle est donc cette belle-mère ? C’est la synagogue, mère de l’Époux, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Sa bru, c’est l’Église qui est venue des Gentils, sans accepter la circoncision de la chair, prenant ainsi parti contre sa belle-mère. « Ceignez-vous de votre glaive ». En vous parlant de la sorte nous avons dit la puissance de ce glaive.
13. « Ceignez-vous de votre glaive », ou de votre parole, « sur vos reins, ô Tout-Puissant » ; que votre glaive soit sur vos reins. Qu’est-ce à dire : « Sur vos reins ? » Que devons-nous entendre par vos reins ? la chair. De là cette parole : « Il ne manquera pas de prince ce en Juda, ni de chef issu de ses reins »[188]. Aussi Abraham, à qui Dieu avait promis une postérité en laquelle toutes les nations devaient être bénies, envoyant son serviteur pour chercher une femme à son fils, d’où devait venir ce germe sacré en qui tous les peuples ont reçu la bénédiction ; Abraham dont la foi voyait dans cet humble germe la grandeur de son nom, ou le Fils de Dieu qui devait naître un jour, parmi les enfants, des hommes, sur la tige d’Abraham, demanda au serviteur qu’il envoyait : « Mets ta main sous ma cuisse, et jure ainsi »[189]. Comme s’il disait : Place ta main sur l’autel ou sur l’Évangile, ou sur un Prophète, ou sur quelque chose de sacré. Mets ta main sous ma cuisse, dit-il, parlant ainsi dans sa confiance, sans rougir de cette manière de jurer, parce qu’il en comprenait la mystérieuse vérité. De là vient ce langage : « Ceignez votre épée sur votre cuisse, ô Tout-Puissant », adressé à celui qui est tout-puissant jusque dans ses reins : « Parce qu’en Dieu ce qui est faible a ce plus de force que les hommes[190]. O Tout-Puissant ».
14. « Dans votre éclat, dans votre beauté s, ou dans cette justice qui vous fait toujours beau, toujours glorieux : « Avancez, marchez à la victoire, et régnez »[191]. N’est-ce point là ce que nous voyons ? C’est là ce qui est accompli. Jetez les yeux sur l’univers entier ; le Christ s’avance, il a des succès, il règne, les nations lui sont soumises. Qu’était-ce que voir cela en esprit ? Ce qu’est aujourd’hui d’en constater la vérité. Quand le Prophète parlait de la sorte, le Christ ne régnait point encore de la sorte, il n’avançait point, il ne marchait point de victoire en victoire : tout cela était promis, tout cela est accompli, nous le tenons de nos mains. Dieu a tenu déjà beaucoup de ses promesses, il est peu en redevance. « Avancez, marchez à la victoire et régnez ».
15. « A cause de la vérité, de la douceur, et de la justice ». Dieu a montré la vérité, quand la vérité est sortie de la terre, et que la justice a regardé du haut des cieux »[192]. Le Christ s’est présenté au genre humain qui l’attendait, et dans ce germe d’Abraham tous les peuples ont été bénis[193]. L’Évangile a été prêché, c’est la vérité. Qu’est-ce que la douceur ? Les martyrs ont souffert, ce qui a fait beaucoup avancer le royaume de Dieu, qui obtenu des succès chez tous les peuples. Les martyrs souffraient tout, sans se laisser abattre comme sans résister ; ils disaient tout, ils ne cachaient rien ; prêts à tout, ils ne refusaient rien. Voilà une grande douceur. Voilà ce qu’a fait le corps du Christ, à l’exemple de son chef. Le premier, il a été conduit à la mort, et « comme l’agneau en présence de celui qui le tond, il n’a pas ouvert sa bouche »[194]. Telle était sa douceur, que sur la croix il disait : « Mon Père, pardonnez-leur, ce car ils ne savent ce qu’ils font »[195]. Que signifie : « A cause de la justice ? » « C’est qu’en effet il viendra pour juger, et rendre à chacun selon ses œuvres »[196]. Il a dit la vérité, il a souffert l’injustice, il apportera l’équité. « Et votre droite vous conduira par des merveilles ». C’est sa droite qui nous conduit, sa droite qui le conduit. Il est un Dieu, nous sommes des hommes. Il a en lui la même puissance que le Père, la même immortalité que le Père ; la divinité du Père, l’éternité du Père, la vertu du Père. Sa droite le conduira merveilleusement, faisant des œuvres divines, tolérant des œuvres humaines, et dédaignant par bonté les œuvres des hommes. Il arrive où il n’était pas encore, et sa droite l’y conduit. Car il est conduit lui-même par cette puissance qu’il a donnée aux saints. « Votre droite vous conduira merveilleusement ».
16. « Vos flèches sont acérées et puissantes »[197]. Vos paroles percent le cœur, y excitent l’amour. De là ce mot des Cantiques : « L’amour m’a blessée »[198]. L’Épouse accuse ainsi une blessure d’amour, c’est-à-dire qu’elle avoue son amour, qu’elle dit la flamme de son cœur, ses soupirs pour son Époux qui lui a lancé la flèche de la parole. « Vos flèches sont acérées et puissantes ». Elles pénètrent, elles ont de l’effet. « Aiguës et puissantes. Les peuples tomberont sous vos coups ». Quels peuples sont tombés ? Ceux-là sont tombés qui ont été frappés. Nous voyons des peuples soumis au Christ, mais qui ne sont point tombés. Le Prophète nous explique ce genre de chute : « Dans le cœur », dit-il. C’est par là qu’ils élevaient contre le Christ, c’est par là qu’ils tombent devant le Christ. Saul blasphémait le Christ, il se dressait contre lui ; il implore le Christ, il tombe, il se prosterne ; il meurt comme ennemi du Christ, afin de vivre disciple du Christ. Une flèche part du ciel, Saul est frappé au cœur, lui qui n’est pas encore Paul, mais Saul, qui lève la tête, qui n’est pas encore renversé : il reçoit une flèche et son cœur fléchit. Car son cœur ne fléchit pas, quand son visage fut abattu, mais bien quand il dit : « Seigneur, que m’ordonnez-vous de faire ? »[199] Tu courais tout à l’heure pour garrotter les chrétiens, pour les conduire au supplice ; et maintenant tu dis au Christ : « Que voulez-vous que je fasse ? » O flèche acérée, flèche puissante, qui perça le cœur de Saul et en fit Paul ! Il en est des peuples comme il en fut de lui : voyez les nations, voyez-les s’incliner devant le Christ. Donc « tous les peuples tomberont de cœur devant vous, tous les ennemis du Roi » ; c’est-à-dire, tous vos ennemis. Il donne le nom de Roi au Christ qu’il reconnaît pour son Roi. « Les peuples tomberont de cœur devant vous, tous les ennemis du Roi ». Ils étaient ennemis : frappés de vos flèches, ils tombent devant vous. D’ennemis ils sont devenus amis ; m’étaient des ennemis morts, ce sont des amis vivants. Ainsi s’accomplit : « Pour ceux qui doivent changer ». Nous cherchons à comprendre chaque parole, chaque verset ; mais sous cherchons de manière que nul n’hésite à les appliquer au Christ : « Les peuples tomberont de cœur devant vous, tous les ennemis du Roi ».
17. « Votre trône, ô Dieu, est pour les siècles des siècles ». Car Dieu vous a béni pour l’éternité, à cause de la grâce qui s’épanouit sur vos lèvres. Dans le royaume des Juifs le trône était temporel ; il regardait ceux qui étaient sous l’empire de la loi et non ceux qui étaient sous l’empire de la grâce. Le Christ est venu pour délivrer ceux qui étaient sous la loi et les établir sous la grâce. « Son ce trône est pour les siècles des siècles ». Pourquoi ? Parce que le premier siège n’était que celui d’un royaume temporel. Pourquoi maintenant un trône dans les siècles des siècles ? Parce que c’est le trône de Dieu, ce Votre ce siège, ô Dieu, est pour les siècles des siècles ». O Dieu de l’éternité ! Dieu ne pourrait avoir un trône temporel. « Votre siège, ô Dieu, est-ce pour les siècles des siècles ; le sceptre de ce votre empire est un sceptre de droiture ». Il est sceptre de droiture, parce qu’il rend les hommes droits. Ils étaient courbés, tortueux ; ils voulaient régner pour eux-mêmes ; ils s’aimaient, ils aimaient leurs désordres ; ils ne soumettaient point à Dieu leur volonté, mais ils prétendaient ployer la volonté de Dieu au gré de leurs convoitises. Le pécheur, l’homme injuste, en effet, s’emporte souvent contre Dieu, parce qu’il ne pleut pas ; et il ne veut pas que Dieu s’irrite contre sa mollesse. Et presque chaque jour des hommes s’occupent à disputer contre Dieu : Il devait, disent-ils, agir ainsi ; il n’a pas bien fait là. Tu sauras donc ce que tu dois faire, et Dieu ne le saura pas ? Tu es tortueux, mais Dieu est droit. Comment unir ce qui est droit à ce qui est tortueux ? On ne peut les mettre en ligne. C’est comme si tu posais un bois tortueux sur un parquet bien uni ; il n’y a ni alignement, ni adhésion, ni ajustement. Le parquet est uni partout, et ce bloc tortueux ne peut s’ajuster à ce qui est uni. Or, la volonté de Dieu est unie, droite ; la tienne est courbée ; et celle de Dieu te paraît courbée à son tour, parce que tu ne saurais y conformer la tienne. Mais redresse-toi sur ce modèle, et ne force pas le modèle à se courber avec toi ; tu ne le pourrais, tes efforts seraient vains, ce modèle est toujours droit. Veux-tu t’y adapter ? Corrige-toi, et le sceptre de Dieu qui te dirigera sera le sceptre de la droiture. Car un roi tire son nom de régir ou rendre droit ; il rie régit pas, celui qui ne redresse pas. De là vient que notre Roi est le Roi des âmes droites. De même qu’il est notre Prêtre parce qu’il nous sanctifie, il est notre Roi parce qu’il nous redresse. Mais, qu’est-il dit ailleurs ? « Vous serez saint aux yeux de l’homme saint, ce pur aux yeux de l’homme pur, élu aux yeux de l’homme élu, méchant aux yeux du méchant »[200]. Or, Dieu n’est pas pervers, mais les pervers le voient ainsi. Que le bien te plaise, et Dieu est bon à tes yeux ; qu’il te déplaise, et Dieu est pervers. Dieu te paraît tortueux, parce que tu l’es toi-même ; car il est droit éternellement. Écoute ce qui est dit dans un autre psaume : « Combien est bon le Dieu d’Israël pour ceux qui ont le cœur droit ! »[201]
18. « Le sceptre de la droiture est le sceptre de votre empire. Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité »[202]. Vois quel est ce sceptre de la droiture. « Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité ». Approche de ce sceptre, et que le Christ soit ton roi ; laisse-toi redresser par ce sceptre, de peur qu’il ne te brise, car c’est un sceptre de fer, un sceptre inflexible. En effet, qu’est-il dit ? « Tu les gouverneras avec un sceptre de fer, et tu les briseras comme le vase d’argile »[203]. Il conduit les uns, il brise les autres ; il dirige l’homme spirituel et brise l’homme charnel. Approche-toi donc du sceptre, que crains-tu de lui ? Voici tout le sceptre : « Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité ». Que crains-tu ? Mais tu es peut-être injuste, et la haine que l’on attribue au Roi pour l’iniquité te fait trembler. Tu as un remède pourtant. Que hait-il ? L’injustice ; est-ce toi qu’il hait ? Mais l’iniquité est-elle en toi ? Si Dieu la hait, commence par la haïr, afin que vous soyez unis dans une même haine. En haïssant ce que Dieu hait tu seras l’ami de Dieu, et ainsi tu aimeras ce qu’il aime. Prends à dégoût l’iniquité qui est en toi, aime en toi la créature de Dieu. Tu es en effet homme injuste. En cela je dis deux choses ; oui, deux choses homme et injuste. Dans ces deux noms, le premier vient de la nature, le second du péché ; l’un est l’ouvrage de Dieu, l’autre est ton ouvrage ; aime donc l’œuvre de Dieu et déteste ton œuvre, puisque Dieu la déteste. Comprends alors qu’en haïssant ce qu’il hait tu commences à t’unir à lui. Il doit punir le péché, parce que son sceptre est un sceptre de droiture. Mais ne pourrait-il pas laisser le péché impuni ? Il faut que le péché soit puni, et s’il n’était point châtié, il ne serait plus péché. Préviens donc le Seigneur, et si tu ne veux pas qu’il le punisse, punis-le toi-même. C’est pour cela que Dieu t’épargne ici-bas, qu’il diffère, qu’il retient son bras, qu’il tend son arc, c’est-à-dire qu’il menace. Nous dirait-il si longtemps qu’il va frapper, s’il le voulait en effet ? Il tarde alors de mettre la main à ton péché ; mais toi, ne tarde point. Applique-toi donc à punir tes péchés, puisqu’un péché ne peut demeurer impuni. Donc il sera châtié ou par toi ou par Dieu ; ne te pardonne rien afin que Dieu te pardonne. Écoute un exemple du fameux psaume de la pénitence : « Détournez votre face de mes péchés »[204]. Dit-il : Détournez de moi ? Dans un autre endroit il dit clairement : « Ne détournez pas de moi votre face »[205]. Donc « détournez votre face ce de mes péchés », je ne veux pas que vous voyiez mes péchés ; car en Dieu, voir, c’est châtier. Aussi, qu’un juge punisse un crime, on dit qu’il connaît d’un crime, qu’il y a mis son attention, afin de le connaître et de le punir parce qu’il est juge. C’est ainsi que Dieu est juge lui-même. « Détournez votre ce face de mes péchés ». Mais toi, n’en détourne pas ton regard, si tu veux que Dieu en détourne le sien. Vois ensuite comme le Prophète fait valoir ce motif devant Dieu dans ce même psaume : « Pour moi », dit-il, « je reconnais mon crime, et ma faute est toujours devant mes yeux »[206]. Il ne veut pas que Dieu voie ce qu’il veut voir lui-même. « Le sceptre de votre règne est un sceptre de droiture ». Ne nous applaudissons pas à l’excès de la divine miséricorde, c’est un sceptre de droiture. Disons-nous pour cela que Dieu est sans miséricorde ? Quoi de plus miséricordieux que lui, qui pardonne tout aux pécheurs, que lui, qui oublie le passé de ceux qui se convertissent à lui ? Aimez toutefois sa miséricorde, mais de manière à respecter sa véracité ; la miséricorde en lui ne peut détruire la justice, non plus que la justice ne détruit la miséricorde. Mais pendant qu’il diffère de te châtier, ne diffère pas toi-même ; parce que le sceptre de son royaume est un sceptre de justice.
19. « Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité ; c’est pour cela que votre Dieu vous a marqué de l’onction »[207]. Il vous a oint, afin que vous aimiez la justice et que vous haïssiez l’injustice. Remarquez cette expression : « C’est pour cela, ô Dieu, que votre ce Dieu vous a oint ». O Dieu, c’est un Dieu qui vous a marqué de l’onction. Un Dieu est oint par un Dieu. Dans le latin, on pourrait croire que le-mot Dieu est répété au même cas ; mais dans le grec la différence est claire, puisque l’un de ces noms est au nominatif, tandis que l’autre est au vocatif. « Un Dieu vous a oint ». O vous, qui êtes « Dieu, votre Dieu vous a oint » ; comme s’il disait : C’est pour cela qu’un Dieu t’a marqué de l’onction, ô toi qui es Dieu. C’est ainsi que vous devez l’entendre et le comprendre, le grec l’a nettement déterminé. Quel est donc ce Dieu oint par un Dieu ? Que les Juifs nous disent ; car ces Écritures leur sont communes avec nous. Un Dieu a été oint par un Dieu ; quand on vous parle d’onction, comprenez le Christ, puisque Christ vient de chrisma, chrême, et que ce nom de Christ nous rappelle une onction. Les rois et les prêtres n’étaient marqués de l’onction en aucun endroit de la terre, sinon dans ce royaume où le Christ était prophétisé, où il était oint et d’où devait sortir le nom de Christ ; on ne trouve l’onction nulle part, chez aucun peuple, dans aucun royaume. Un Dieu a donc reçu l’onction d’un Dieu ; et de quelle huile, sinon d’une huile spirituelle ? L’huile visible n’est en effet qu’un signe, l’huile invisible est un sacrement, l’huile spirituelle est à l’intérieur. Un Dieu a été oint pour nous, envoyé pour nous, et ce Dieu, pour recevoir l’onction, était un homme ; mais homme de manière à demeurer Dieu, et Dieu ne dédaignant pas d’être homme ; vrai homme et vrai Dieu. Ne trompant en rien, non plus qu’il n’était trompé ; partout véritable, partout la vérité même. Ce Dieu donc était homme, et s’il a été oint, tout Dieu qu’il était, c’est qu’il était homme, et qu’ainsi il est devenu Christ.
20. Ceci était figuré, quand Jacob mit une pierre sous sa tête et s’endormit[208]. Le patriarche Jacob avait donc mis une pierre sous sa tête ; et pendant qu’il dormait sur cette pierre, il vit le ciel s’ouvrir, et une échelle qui allait du ciel en terre, et des anges qui montaient et qui descendaient ; après cette vision il s’éveilla, oignit la pierre et s’en alla. Dans cette pierre il vit le Christ, et pour cela il l’oignit. Voyez donc depuis combien le Christ était prédit. Que signifie cette onction donnée à une pierre, surtout chez les patriarches qui adoraient un seul Dieu ? Il fit cela en figure, car après l’avoir fait il n’y revint pas d’une manière continue pour y adorer et y offrir des sacrifices. C’était la figure d’un mystère, et non l’ouverture d’un sacrilège. Voyez quelle pierre : « La pierre que les architectes ont repoussée est devenue la pierre angulaire »[209]. Et parce que le Christ est la tête de l’homme, cette pierre fut mise à la tête de Jacob. Voyez donc ici un grand mystère. Le Christ est la pierre ; « une pierre vivante, rejetée par les hommes », nous dit saint Pierre, « mais choisie de Dieu »[210]. Et la pierre était à la tête, parce que le Christ est la tête de l’homme[211]. Cette pierre est ointe, parce que c’est de l’onction que vient le nom de Christ. Et la révélation du Christ nous montre des échelles qui vont de la terre au ciel, ou du ciel à la terre, et des anges qui montent et qui descendent[212]. Nous comprendrons mieux cette figure quand nous aurons cité une parole du Seigneur dans l’Évangile. Vous savez que Jacob est le même qu’Israël[213]. Or, quand il lutta et eut l’avantage sur l’ange, quand il reçut la bénédiction de celui qu’il avait vaincu, son nom fut changé, il s’appela Israël ; ainsi le peuple d’Israël prévalut contre le Christ qu’il fit crucifier, et pourtant dans la personne de ceux qui crurent au Christ, il reçut la bénédiction de celui qu’il avait vaincu. Mais il y en eut beaucoup pour ne pas croire, de là vient que Jacob fut boiteux. Il fut donc béni et boiteux ; béni dans ceux qui crurent, car nous savons qu’un grand nombre dans ce peuple embrassèrent la foi, boiteux dans ceux qui demeurèrent incrédules. Et comme le nombre des incrédules fut plus grand que celui des croyants, il est dit que l’ange, pour le rendre boiteux, le frappa sur l’étendue de la cuisse. Que désignait cette étendue de la cuisse, sinon sa postérité nombreuse ? Voyez donc ces échelles dans l’Évangile ; en voyant Nathanaël, « voilà », dit le Seigneur, « un vrai ce Israélite, sans déguisement »[214]. C’est là ce qui est dit de Jacob : « Et Jacob, qui était sans déguisement, demeurait au logis »[215]. Voilà ce que rappelait le Seigneur, en voyant Nathanaël sans déguisement, et qui appartenait à cette postérité, à cette nation. « Voilà », dit-il, « un véritable Israélite, sans déguisement ». il l’appela donc Israélite sans déguisement à cause de Jacob. Alors Nathanaël : « D’où me connaissez-vous ? » Et le Seigneur : « Je t’ai vu quand tu étais sous le figuier » ; c’est-à-dire, quand tu faisais partie de ce peuple établi sous la loi qui le couvrait comme d’une ombre charnelle, c’est là que je t’ai vu. Qu’est-ce à dire : C’est là que je t’ai vu ? Là que je t’ai pris en pitié. Celui-ci se souvenant qu’il avait été vraiment sous un figuier, et s’étonnant que Jésus-Christ le sût, parce qu’il croyait n’avoir été vu de personne, lui fit cette confession : « Vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi ce d’Israël ». Qui parla ainsi ? Celui qui venait de s’entendre dire qu’il était un vrai Israélite, et qu’il n’y avait en lui aucun déguisement. Et le Seigneur : « Parce que je t’ai dit : Je t’ai vu sous le figuier, tu as cru, mais tu verras de plus grandes choses ». Il parle à Israël, à Jacob, à celui qui avait mis une pierre sous sa tête. « Tu verras de plus grandes choses ». Quelles plus grandes choses ? Car cette pierre est déjà posée sous sa tête. « En vérité, je vous le déclare, vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu ce montant et descendant sur le Fils de ce l’homme »[216]. Ah ! que les anges de Dieu montent et qu’ils descendent par ces échelles, et que cela se fasse dans l’Église. Les anges de Dieu sont les messagers de la vérité ; qu’ils montent et qu’ils considèrent : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était ce en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Qu’ils descendent et qu’ils considèrent ce que le « Verbe s’est fait chair, et qu’il a habité parmi nous »[217]. Qu’ils montent pour élever les forts ; qu’ils descendent pour nourrir les faibles. Voyez Paul qui monte : « Que nous soyons hors de nous-mêmes, c’est pour Dieu ». Voyez-le qui descend : « Que nous soyons plus calmes, c’est pour vous »[218]. Voyez-le monter encore : « Nous prêchons la sagesse de Dieu aux parfaits ». Voyez-le redescendre : « Je vous ai donné du lait et non de la nourriture »[219]. Voilà ce qui se fait dans l’Église, les anges de Dieu montent et descendent sur le Fils de l’homme ; car le Fils de l’homme est en haut, c’est vers lui comme vers le chef, que s’élèvent les cœurs. Le Fils de l’homme ou son corps est aussi en bas ; ses membres sont donc ici-bas, sa tête est en haut ; on monte vers la tête, on descend vers les membres. Le Christ est au ciel, et le Christ est sur la terre. S’il n’était que dans le ciel et non sur la terre, d’où viendrait cette voix : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? »[220] Car, dans le ciel, qui pouvait le molester ? Personne assurément, ni les Juifs, ni Saul, ni le diable tentateur ; nul dans le ciel ne peut lui nuire ; mais telle est la liaison des membres dans le corps humain, que la langue réclame quand le pied est blessé.
21. « Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité : aussi votre Dieu, ô Dieu, vous a-t-il ce marqué de l’onction »[221]. Nous avons parlé du Dieu marqué de l’onction, ou du Christ. On ne pouvait désigner plus formellement son nom de Christ qu’en l’appelant le Dieu oint. De même qu’il est le plus beau parmi les enfants des hommes ; ainsi « il a été marqué d’une huile de joie par-dessus tous ceux qui doivent la partager avec lui »[222]. Quels sont ses cohéritiers ? Les enfants des hommes ; car le Fils de l’homme a voulu participer à leur nature mortelle, afin de les rendre participants de son immortalité.
22. « La myrrhe, l’ambre et le santal s’exhalent de vos vêtements »[223]. C’est-à-dire, que vos vêtements répandent la bonne odeur. Or, ses vêtements sont les saints, les élus du Christ, toute son Église, dont il se revêt comme d’une robe sans tache et sans ride[224] : il l’a lavée dans son sang pour en effacer les taches, il l’a étendue sur la croix pour en ôter les rides. De là cette bonne odeur-marquée ici par le nom de quelques parfums. Écoutez saint Paul, cet humble apôtre, le bas de la frange qui guérit du flux de sang la femme qui le touchait[225], écoutez-le nous dire : « Nous sommes la bonne odeur de Jésus-Christ en tout lieu, et pour ceux qui se sauvent, et ce pour ceux qui périssent ». Il ne dit pas : Nous sommes la bonne odeur pour ceux qui se sauvent, l’odeur pernicieuse pour ceux qui périssent ; mais bien : « Pour ce qui me regarde, nous sommes la bonne odeur, et pour ceux qui se sauvent, et pour ceux qui se perdent ». Qu’un homme trouve son salut dans la bonne odeur, cela n’est ni improbable, ni incroyable : mais comment un homme périrait-il à l’occasion d’une bonne odeur ? Il y a là un grand sens, une grande vérité ; et quelle que soit la difficulté de le comprendre, il en est ainsi. Or, pour vous montrer que cela est difficile à comprendre, saint Paul ajoute : « Et qui peut comprendre cela ? »[226] Qui peut comprendre qu’une bonne odeur fasse mourir un homme ? Toutefois, mes frères, j’en dirai un mot. Voilà que Paul prêchait l’Évangile ; beaucoup aimaient ce prédicateur, beaucoup lui portaient envie ; ceux qui lui portaient envie périssaient à cause de la bonne odeur. Il était donc pour ceux qui périssaient une bonne odeur, et non une odeur pernicieuse ; car ce qui augmentait leur envie, c’était la grâce qui éclatait si fort en lui ; et l’on ne porte pas envie aux misérables. Il était donc plein de gloire en prêchant la parole de Dieu, et en vivant selon la règle du sceptre de droiture ; et il était aimé tous ceux qui en lui aimaient le Christ, qui le suivaient à l’odeur de ses parfums, qui aimaient l’ami de leur Époux, étant eux-mêmes cette Épouse qui dit dans les Cantiques : « Nous courons après l’odeur de vos parfums »[227]. Mais plus ces envieux le voyaient dans l’éclat de la prédication évangélique et d’une vie sans tache, plus la jalousie les déchirait, et la bonne odeur les suffoquait.
23. « La myrrhe, l’ambre, le santal s’exhalent de vos vêtements et des palais d’ivoire, où les filles des rois font vos délices et votre gloire »[228]. Par ces maisons d’ivoire entendez de vastes palais, des maisons royales : c’est là que des filles de rois font les délices du Christ. Veux-tu prendre au figuré ces palais d’ivoire ? Ce sont les vastes demeures, ces immenses tabernacles de Dieu, les cœurs des saints, ces rois eux-mêmes qui dominent leur chair, qui s’assujettissent les bruyantes passions humaines, qui affligent leur corps et le réduisent en servitude ; parce que c’est là que les filles des rois font ses délices. Toutes ces âmes qui sont nées de la prédication évangélique des saints, sont filles de rois : elles sont filles de rois aussi ces Églises, filles des Apôtres. Car le Christ est le Roi des rois ; ils sont rois encore, ceux dont il est dit : « Vous serez assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël »[229]. Ils ont prêché la vérité, et ont engendré des Églises, non point à eux, mais au Christ. C’est là le mystère que de figurer cette prescription de la loi : « Si un frère vient à mourir, que son frère prenne son Épouse et qu’il suscite des enfants à son frère »[230]. Que le frère donc Épouse la veuve, et qu’il suscite une lignée, non pour lui, mais pour son frère. Or, le Christ a dit : « Allez dire ce à mes frères »[231]. Au livre des Psaumes il dit : « J’annoncerai votre nom à mes frères »[232]. Le Christ est mort, il est ressuscité, il est monté aux cieux, il est corporellement absent : ses frères alors ont pris son Épouse, afin de lui susciter une postérité par la prédication de l’Évangile, non par eux-mêmes, mais par l’Évangile, et au nom de leur frère. « C’est au nom de Jésus-Christ », dit l’un d’eux, « et par l’Évangile que je vous ai engendrés »[233]. Aussi, en suscitant une postérité à leur frère, ils ne l’ont pas appelée du nom de Pierre et de Paul, mais chrétienne, du nom du Christ. Voyez si tel n’est pas le sens marqué dans ces versets. Car dans « ces maisons d’ivoire », il nous parlait de ces palais dont les dimensions, la beauté, les délices sont vraiment royales, comme sont les cœurs des saints, et il ajoute : « C’est là que les filles des rois feront votre gloire et vos délices ». Elles sont bien ces filles « de rois », ces filles de vos Apôtres ; mais c’est « pour votre gloire as, parce qu’ils ont suscité une postérité à leur frère. Aussi Paul, voyant que ceux qu’il avait engendrés à son frère, prenaient son nom, s’écria : « Paul a-t-il donc été crucifié pour vous ? »[234] Que dit la loi ? Que l’enfant porte le nom du défunt[235]. Qu’il croisse pour le défunt, qu’il soit appelé du nom du défunt. Saint Paul observe donc cette prescription légale. C’est à cette prescription qu’il rappelle ceux qui voulaient prendre son nom : « Paul a-t-il donc été ce crucifié pour vous ? » Voyez le défunt. « Est-ce que Paul a été crucifié pour vous ? » Quoi donc ? En engendrant ces enfants, ne leur avez-vous pas donné votre nom ? Point du tout. Car il dit : « Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? Les filles de ce roi ont donc fait vos délices et votre gloire ». Remarquez bien et retenez cette expression : « Votre gloire ».C’est avoir la robe nuptiale, que chercher pour lui l’honneur et la gloire. Dans ces filles de rois, voyez les villes qui ont cru au Christ, et qui ont eu des rois pour fondateurs et dans ces palais d’ivoire, les riches, les superbes, les orgueilleux. « Les filles des rois ont fait vos délices et votre gloire », parce qu’elles ont été moins fières de la gloire de leurs fondateurs que jalouses de votre gloire. Que l’on me montre, à Rome, en l’honneur de Romulus, un temple qui rivalise avec l’église bâtie en l’honneur de saint Pierre. Mais en Pierre qui est-ce que l’on honore, sinon celui qui est mort pour nous ? Car nous portons le nom du Christ et non celui de Pierre. Et si nous sommes nés du frère du défunt, nous avons cependant le nom du défunt ; nous sommes nés par l’un, mais nés pour l’autre. Voilà Rome, voilà Carthage, voilà tant d’autres villes qui sont filles de rois ; elles ont fait les délices et la gloire de leur roi, et dans leur ensemble elles forment en quelque sorte une seule et même reine.
24. Mais quel épithalame, mes frères ? Voilà que, dans ces cantiques pleins d’allégresse, l’Épouse elle-même s’avance. L’Époux était venu d’abord, sa beauté nous a été décrite, et nos yeux l’ont contemplée : que l’Épouse vienne à son tour. « La reine s’est tenue debout à votre droite »[236]. Celle qui est à gauche n’est pas la reine. Il y en aura une en effet à la gauche et à qui l’on dira : « Allez au feu éternel ». Mais à celle de droite, on dira : « Venez, bénis de mon Père, et recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde »[237]. « La reine s’est tenue à votre droite : son vêtement était d’or, nuancé ce de diverses broderies ». Quel est le vêtement de cette reine ? Il est précieux, il est nuancé, ce qui figure la doctrine du Christ prêchée dans tous les divers idiomes. Autre est l’idiome africain, autre le syrien, autre le grec, autre l’hébreu, autre tel ou tel : et tous ces idiomes forment à la reine les nuances de son vêtement. De même que ces nuances dans leur variété ne forment qu’une seule et même robe, de même toutes les langues ne prêchent qu’une même foi. Que la robe ait ses nuances, mais aucune déchirure. Nous voyons donc dans les nuances la diversité des langues, et dans le vêtement l’unité ; mais dans ces nuances que désigne l’or ? la sagesse elle-même. Quelle que soit la diversité des langues, on ne prêche que l’or. La variété n’est point dans l’or, mais sur l’or. Car c’est la même sagesse, la même doctrine, la même règle de vie, qu’on prêche en toutes langues. La variété est donc dans le langage, mais l’or dans les pensées.
25. Le Prophète s’adresse donc à cette reine ; il chante avec joie son épithalame ; il chante chacun de nous, si toutefois nous savons où nous sommes, et si nous nous efforçons d’appartenir à ce corps, et de demeurer unis par la foi et l’espérance aux membres du Christ, C’est donc à nous qu’il s’adresse. « Écoutez, ô ma fille, et voyez ». Le Prophète lui parle comme un de ses aïeux, parce que toute âme chrétienne est fille de rois ; que ce soit un prophète qui parle ou un apôtre, c’est toujours comme à sa fille ; c’est ainsi que nous appelons les Prophètes nos pères, les Apôtres nos pères ; si nous voyons en eux des pères, assurément ils voient en nous des fils : et c’est une seule voix paternelle qui s’adresse à une fille unique : « Écoute et vois, ô ma fille ». D’abord écoute, et vois ensuite. On est venu jusqu’à nous avec l’Évangile, on nous a prêché ce que nous ne voyons pas encore, et en l’écoutant nous avons cru, et en croyant nous verrons, comme le dit le même Époux par la bouche du Prophète : « Le peuple que je ne connaissais pas m’a servi, il m’a obéi dès qu’il m’a entendu »[238]. Qu’est-ce à dire : « Dès qu’il m’a entendu ? » c’est-à-dire, sans m’avoir vu. Les Juifs l’ont vu et l’ont crucifié ; les Gentils ne l’ont point vu et ont cru en lui. Que la reine vienne donc du pays des Gentils, qu’elle vienne avec son vêtement d’or nuancé de broderies ; qu’elle vienne du pays des Gentils, avec son cortège de toutes les langues, dans l’unité de la sagesse, et qu’on lui dise : « Écoute ma fille, et vois ». Tu ne verras que si tu écoutes. Écoute afin de purifier ton cœur par la foi, comme le dit l’Apôtre dans les Actes : « C’est par la foi qu’il a purifié leurs cœurs »[239]. Nous écoutons donc ce que nous devons croire avant de le voir, afin de purifier ainsi notre cœur et de mériter la vision. Écoute alors, afin de croire, et purifie ton cœur par la foi. Et que verrai-je quand mon cœur sera pur ? « Bienheureux ceux dont le cœur est pur, parce qu’ils verront Dieu[240]. Ecoute, ô ma fille, et vois ; incline ton oreille ». C’est peu d’écouter, écoute humblement : « Incline ton oreille. Oublie ton peuple et la maison de ton père »[241]. Il y avait un certain peuple, une certaine maison de ton père, c’est là, c’est dans ce peuple que tu es née, à Babylone, dans cette ville qui a le diable pour roi. De quelque point de la terre que soient venues les nations, elles étaient sous la domination du diable ; mais elles ont renoncé leur père. « Oublie ton peuple et la maison de ton père ». Il t’a engendrée dans la souillure, et a fait de toi une pécheresse : Celui-là te rend à la beauté, qui justifie l’impie. « Oublie ton peuple et la maison de ton père ».
26. « Car le roi s’est épris de ta beauté »[242]. quelle beauté, sinon de celle qu’il a faite ? Il s’est épris de la beauté ». De qui est cette beauté ? Est-ce d’une pécheresse, d’une injuste, d’une impie, telle qu’était cette chez le démon son père, et au milieu de son peuple ? Non, mais de celle dont il est dit : « Quelle est celle-ci qui s’élève éclatante de blancheur ?[243] » Auparavant donc elle n’était point blanche, mais depuis sa blancheur est éblouissante : « Car vos péchés fussent-ils rouges comme le vermillon, je vous rendrai blancs comme la neige »[244]. « Le Roi s’est donc épris de votre beauté. Quel est ce Toi ? « Celui qui est le Seigneur votre Dieu ». Vois si tu ne dois pas abandonner celui qui t ton père, ce peuple qui était le tien, venir à ce roi qui est ton Dieu : il est Dieu et ton Roi ; et ton Roi sera lui-même Époux. C’est donc ton Roi, ton Dieu, qui de-t ton Époux, lui qui t’enrichit d’une dot, qui t’embellit, lui qui te rachète, lui qui guérit, lui qui te donne tout ce qui peut plaire en toi.
27. « Et les filles de Tyr viendront l’adorer et lui offrir des présents »[245]. C’est ton Roi, ton Dieu, que « viendront adorer les filles de Tyr chargées de présents ». Or, les filles de Tyr sont les filles de la gentilité : la partie est prise pour le tout. Tyr était voisine de cette contrée où se chantait cette prophétie ; elle désignait les nations qui devaient croire Christ. De là vint cette chananéenne qui fut tout d’abord appelée chienne, Car pour vous montrer qu’elle appartenait bien à ce pays, voici ce que dit l’Évangile : « Jésus se retira sur les terres de Tyr et de Sidon, et voici qu’une femme chananéenne sortant de ces contrées s’écriait », et le reste qui est marqué en cet endroit. Or, celle qui n’était qu’une chienne en demeurant parmi son peuple et chez son père, crie et vient à ce Roi ; puis, embellie par sa foi en lui, qu’a-t-elle mérité d’entendre ? « O femme, votre foi est grande[246]. « Le roi s’est épris de votre beauté ; et les filles de Tyr viendront l’adorer avec des présents ». Quels présents ? C’est ainsi que le Roi veut qu’on vienne à lui, afin de remplir ses trésors : c’est lui qui donne de quoi les remplir et qui veut que vous les remplissiez vous-mêmes. Qu’elles viennent, dit-il, et qu’elles l’adorent avec des présents. Qu’est-ce à dire avec des présents ? « Ne vous amassez point des trésors sur la terre, où les vers et la rouille peuvent les dévorer, et où les voleurs les fouillent et dérobent ; mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où il n’y a ni ce vers ni rouille pour dévorer, ni voleurs ce pour fouiller et dérober. Car là où est votre ce trésor, là est aussi votre cœur »[247]. Venez donc avec des présents : « Répandez les aumônes, ce et tout deviendra pur pour vous »[248]. Venez avec des présents à celui qui dit : « Je veux ce la miséricorde plutôt que le sacrifice »[249]. Dans ce temple qui était jadis la figure du temple à venir, on venait avec des taureaux, des béliers, des boucs, avec divers animaux propres au sacrifice, afin que ce sang répandu fût l’annonce d’un sacrifice bien supérieur à ceux qui avaient lieu. Maintenant ce sang précieux prédit par tous ces rites est enfin arrivé ; le Roi lui-même est venu, et il exige des présents. Quels présents ? Des aumônes. Car il viendra juger les hommes, et tenir compte à quelques-uns de leurs présents. « Venez », leur dira-t-il, « bénis de mon Père, et recevez le royaume qui vous a été préparé dès ce l’origine du monde ». Pourquoi ? « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’ai été nu, et vous m’avez revêtu ; étranger, et vous m’avez recueilli ; infirme et en prison, et vous m’avez visité ». Tels sont les présents avec lesquels les filles de Tyr viennent adorer le Roi ; et comme elles diront : « Quand vous avons-nous vu ? » lui qui est dans le ciel et sur la terre, par ceux qui montent, comme par ceux qui descendent, leur répondra ce Quand vous l’avez fait au moindre de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait »[250].
28. « Les filles de Tyr l’adoreront avec des présents ». Et pour nous préciser plus clairement quelles sont ces filles de Tyr, et avec quels présents elles viendront l’adorer, le Prophète ajoute : « Les grands de la terre invoqueront vos regards »[251]. Ces filles de Tyr qui viendront l’adorer avec des présents sont donc les riches d’entre le peuple, à qui l’ami de l’Époux s’adresse ainsi : « Ordonnez aux riches de la terre de n’être point orgueilleux, de ne point mettre leur confiance dans les richesses incertaines ; mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie ; de s’enrichir par de bonnes œuvres ; de donner facilement, de faire part de leurs richesses ». L’adorer avec des présents ; car ce n’est point là perdre, mais se faire un trésor que l’on peut toujours retrouver. « Qu’ils s’amassent un trésor qui soit un fondement solide pour l’avenir, afin d’embrasser la véritable vie »[252]. Adorer avec des présents, c’est donc implorer vos regards. Ils viennent en foule dans l’Église pour y faire leurs aumônes, de peur qu’ils ne soient dehors, c’est-à-dire de peur que, placés en dehors de l’Église, ils ne fassent leurs aumônes dans l’Église. Car le visage de cette Épouse, de cette reine, leur sera favorable dans leurs bonnes œuvres. C’est pourquoi ceux qui vendaient leurs terres, venaient avec des présents implorer les faveurs de cette reine, et déposaient aux pieds des Apôtres l’argent qu’ils portaient[253]. La charité était alors fervente dans l’Église, et l’Église était la face de cette reine ; la face de cette reine était la soumission des filles de Tyr, ou des riches qui adoraient avec des présents : « Les riches d’entre le peuple imploreront votre faveur ». Ceux qui implorent la faveur, et celle dont on implore la faveur, ne forment tous qu’une seule Épouse, tous une seule reine, la mère et les fils ne font qu’un même tout appartenant à Jésus-Christ, appartenant au chef.
29. Mais parce que ces aumônes et ces bonnes œuvres se font quelquefois en vue d’une gloire humaine, le Seigneur lui-même nous donne cet avertissement : « Gardez-vous de faire vos bonnes œuvres sous les yeux des hommes, afin d’en être vus »[254] ; mais il nous marque – en même temps la publicité qu’on doit donner à ces œuvres, à cause du visage de l’Épouse : « Que vos œuvres », dit-il, « brillent devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes actions et qu’ils en glorifient votre Père qui est dans les cieux »[255] ; non pas que dans ces bonnes œuvres faites en public vous dussiez chercher votre propre gloire, mais bien la gloire de Dieu. Eh ! qui sait, me dira-t-on, si c’est ma gloire ou la gloire de Dieu que je cherche ? Quand je donne au pauvre, on me voit, mais qui voit mon intention ? Qu’il te suffise du témoin qui te voit, car ce témoin est celui qui t’en donnera la récompense. Celui qui voit dans le secret aime aussi dans le secret : il aime dans le secret, qu’il soit aussi aimé au dedans, celui qui donne aussi la beauté intérieure. Ne cherche pas un vain plaisir dans les regards extérieurs, non plus qu’à être vu, à être loué, mais vois ce qui suit : « Toute la gloire de cette fille du roi vient de son cœur »[256]. Non seulement elle a au-dehors un vêtement d’or nuancé de broderies, mais celui qui s’est épris de sa beauté connaît sa beauté intérieure. Quelle est donc cette beauté intérieure ? Celle de la conscience. C’est là que voit Jésus-Christ, là que nous aime Jésus-Christ, là que nous parle Jésus-Christ, là que Jésus-Christ châtie, là que Jésus-Christ nous couronne. Que votre aumône soit donc secrète, parce que : « Toute la gloire de cette fille du roi vient de ce son cœur : elle est parée de franges d’or et couverte de broderies[257] ». Sa beauté est intérieure : « ces franges d’or » désignent la variété des langues, la beauté de la doctrine. Mais à quoi bon tout cela sans la beauté intérieure ?
30. « A sa suite les vierges seront présentées au roi »[258]. Voilà ce qui est véritablement accompli. L’Église a pris de l’accroissement, l’Église s’est répandue parmi les nations Quel vif désir maintenant, pour ces vierges, de plaire à ce roi ? Qui les presse en cela ? L’Église qui leur en a donné l’exemple. « A sa suite, les vierges seront présentées au roi : les compagnes de l’Épouse, ô roi, vous seront présentées »[259]. Celles qui seront présentées ne sont pas étrangères à l’Épouse, ce sont pour elle des proches, et qui lui appartiennent. Et comme le Prophète avait dit « au roi », il lui adresse maintenant la parole en disant : « A vous : ses proches vous seront présentées ».
31. « Elles seront présentées dans la joie et ce dans l’allégresse, elles seront amenées au temple du roi. ». Ce temple du roi, c’est l’Église même, et l’Église même entre dans le temple du roi. De quoi ce temple est-il construit ? des hommes qui entrent dans ce temple. Quelles en sont les pierres vivantes, sinon les fidèles de Dieu ? On les amènera dans le temple du roi. Il y a d’autres vierges qui sont hors du temple du roi, les vierges hérétiques : elles sont vierges à la vérité, mais de quoi leur servira cette virginité, si elles ne sont amenées dans le temple du roi ? Le temple du roi est dans l’unité : le temple du roi n’est ni ruineux, ni ouvert par des fentes, ni démembré. Ses pierres vivantes sont reliées par la charité. « Elles seront amenées dans le temple du roi ».
32. « A la place de vos pères il vous est né des enfants »[260]. Rien de plus clair. Voyez maintenant ce temple du roi, puisque c’est de lui que parle notre psaume, à cause de l’unité répandue par toute la terre, et que c’est là que doivent être présentées, sous peine de ne pas plaire au roi, celles qui ont voulu être vierges. « A la place de vos pères il vous est né des fils ». Ce sont les Apôtres qui vous ont engendrés ; ils ont été envoyés, ils ont prêché, ils sont des pères. Mais ont-ils pu demeurer toujours avec nous d’une manière corporelle ? Bien que l’un d’eux ait dit : « J’ai un vif désir d’être dégagé des liens du corps pour être avec Jésus-Christ, ce qui est sans comparaison le meilleur ; mais il est plus, avantageux pour vous que je reste en cette vie »[261] ; nonobstant cette parole, combien de temps a-t-il pu demeurer ici-bas ? Jusqu’aujourd’hui ? Jusqu’à la fin des siècles ? Leur absence a-t-elle donc mis l’Église dans le délaissement ? Point du tout : « A la place de vos pères il vous est né des fils ». Les Apôtres sont les pères, mais après les Apôtres il vous est né des fils que l’on a établis évêques. Car ces évêques, répandus aujourd’hui dans le monde entier, d’où sont-ils nés ? L’Église les appelle ses pères, et c’est elle-même qui les a engendrés, elle-même qui les a établis sur les sièges de ses pères. Ainsi donc, ô sainte Église, ne va pas te croire abandonnée parce que tu ne vois plus Pierre, que tu ne vois plus Paul, que tu ne vois plus ceux qui t’ont fait naître ; tu as trouvé d’autres pères dans ta propre lignée. « A la place de vos pères il vous est né des fils ; vous les établirez princes sur toute la terre ». Vois ce temple du Roi, comme il s’étend au loin, afin que les vierges qui n’ont pas été amenées à ce temple sachent bien qu’elles n’ont aucune part à espérer dans ces saintes épousailles. « A la place de vos pères il vous est né des fils ; vous les établirez princes sur toute la terre ». Telle est l’Église catholique : ses fils sont princes sur toute la terre, ses fils sont établis à la place de leurs pères. Que nos frères séparés le reconnaissent et qu’ils reviennent à l’unité, qu’ils se laissent amener dans, le temple du roi. Dieu a établi son temple en tous lieux, en tous lieux encore il a consolidé les bases des Apôtres et des Prophètes. L’Église a enfanté des fils qu’elle a établis princes sur toute la terre, à la place de leurs pères.
33. « Ils se souviendront de votre nom dans la suite des âges. C’est pour cela que les peuples vous confesseront »[262]. De quoi sert-il de confesser Dieu hors de son temple ? À quoi bon prier, si l’on ne prie sur la montagne ? « J’ai crié vers le Seigneur », dit le Prophète, « et il m’a exaucé du haut de sa montagne sainte »[263]. De quelle montagne ? De celle dont il est dit : « La ville placée sur la montagne ne saurait être cachée »[264]. De quelle montagne ? De celle que vit Daniel, comme une petite pierre qui grandissait démesurément, qui renversait les royaumes du monde et qui s’étendait sur toute la terre[265]. C’est là que doit adorer celui qui veut recevoir, que doit demander celui qui veut être exaucé, que doit confesser ses fautes celui qui en désiré le pardon. « C’est pour cela que les peuples vous confesseront dans le cours des siècles et à jamais ». Car dans la vie éternelle, si, comme il est vrai, il n’y a plus de gémissement à cause du péché, il y aura néanmoins confession éternelle du bonheur dont on jouira, et elle se fera par les chants de l’allégresse dans cette patrie meilleure et sans fin. C’est en effet de cette cité qu’il est écrit dans un autre psaume : « Cité de Dieu, on a dit de toi des merveilles »[266]. Cette Épouse du Christ, cette fille du roi, Épouse du roi, dont les princes doivent bénir le nom d’âge en âge, c’est-à-dire jusqu’à ce que finisse le monde qui se perpétue par tant de générations, eux qui ont pour elle une si vive charité, afin que, délivrée de ce mode, elle règne avec Dieu, les peuples doivent la confesser éternellement. Une charité parfaite mettra dans tous les cœurs l’éclat et la splendeur de la lumière, afin qu’elle se connaisse pleinement dans son universalité, elle qui est maintenant inconnue et cachée à elle-même dans beaucoup de ses membres. De là vient que l’Apôtre nous avertit de ne rien juger avant le temps, jusqu’à ce que Dieu vienne, qu’il éclaire la profondeur des ténèbres, qu’il manifeste les pensées des cœurs, et alors chacun recevra sa gloire de Dieu même[267]. Cette cité sainte se rendra en quelque sorte témoignage à elle-même, quand ces peuples qui la composent la béniront éternellement ; ainsi elle ne sera plus cachée à elle-même et en aucune de ses parties, puisque nul de ses membres n’aura rien de caché.
DISCOURS SUR LE PSAUME 45
modifierSERMON AU PEUPLE.
modifierLA PRÉDICATION DES APÔTRES
modifierCe Psaume est pour les fils de Coré ou du Calvaire, et dès lors pour nous, et le Christ est notre fin, puisque nous unir à lui c’est arriver au dernier terme de la gloire. Dieu est pour nous un refuge, parce qu’il habite notre conscience, à moins que le péché ne l’en bannisse ; le péché nous ferme alors cet asile, et où recourir ? C’est une créance que Dieu a sur nous, et que l’on ne solde que par la douleur. Les fils de Coré sont les Juifs convertis à la voix de Pierre, quand le Saint-Esprit descendit, ils trouvèrent le calme dans la foi. Les montagnes transportées dans la mer, ce sont les Apôtres an milieu des nations qui s’ébranlent, se convertissent, reçoivent la rosée de la grâce, tandis qu’Israël demeure stérile, se heurte contre la petite pierre qui devient montagne. Paix avec Dieu.
1. Il est, mes frères, plusieurs sujets fort connus de vous, ce me semble, et sur lesquels nous passons légèrement, car il n’est pas besoin d’appuyer longuement sur les choses que vous savez. Comprenons bien que nous sommes les fils de Coré. Je ne fais que vous rappeler ce que vous savez déjà, que Coré signifie Chauve, et que Notre-Seigneur, parce qu’il fut crucifié au Calvaire[268], s’attira beaucoup de fidèles, comme ce grain de froment qui serait demeuré seul, s’il ne fût mort dans la terre[269] ; et que ces hommes attirés au Crucifié, s’appellent mystérieusement fils de Coré. Du reste, je ne sais quels étaient ces fils de Coré, quand on chantait ce psaume[270] ; mais nous devons suivre l’esprit qui vivifie, et non la lettre qui tue[271]. C’est donc nous qu’il faut comprendre ici, et voir si c’est à nous que s’adresse la suite du psaume ou son contexte. Nous nous y retrouverons sans nul doute, si nous nous attachons aux membres de ce corps dont la tête est dans le ciel, où elle s’est élevée après la passion, afin d’élever avec elle ceux qui étaient dans la bassesse, de les rendre fertiles avec elle, en leur faisant porter des fruits dans la patience. Or, le psaume a pour titre : « Pour la fin, psaume aux enfants de Coré, pour les mystères »[272]. Il y a donc ici des choses cachées, mais vous savez que celui qui fut crucifié au Calvaire, déchira le voile du temple, afin d’en mettre les secrets en évidence[273], Comme la croix de Notre-Seigneur fut une clé qui ouvrit ce qu’il y avait de plus caché, croyons qu’il voudra bien nous venir en aide, et nous révéler ces figures. « Pour la fin », cette expression doit toujours s’appliquer à Jésus-Christ, « qui est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront »[274]. Or, on l’appelle fin, non parce qu’il détruit, mais parce qu’il perfectionne. En effet, nous disons d’un pain qu’il est fini quand il est mangé ; d’une robe que l’on tissait, qu’elle est finie. Dans le premier cas il y a destruction, dans le second achèvement. Mais comme en allant au Christ nous ne pouvons nous élever davantage, il est appelé la fin de notre course. N’allons pas croire qu’une fois arrivés à lui il nous reste encore à faire de nouveaux efforts pour aller au Père. Ainsi le pensait Philippe, qui lui disait : « Seigneur, montrez-nous le Père et cela nous suffit »[275]. En disant : « Cela nous suffit », il cherchait une fin qui complète, qui perfectionne. Mais Jésus lui répond : « Philippe, voilà si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas encore ? Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père ». En lui donc nous avons le Père, parce qu’il est dans le Père, et que le Père est en lui, et que le Père et lui sont un[276].
2. Quel est donc l’avertissement que nous donne le Prophète dans ce cantique où nous devons reconnaître notre voix, si toutefois nous entrons dans les sentiments qu’il exprime ? ce Dieu est notre refuge et notre force »[277]. Certains asiles sont quelquefois peu sûrs, et s’y abriter c’est s’exposer plutôt que se préserver. Ainsi, par exemple, tu as recours à un homme élevé dans le monde pour t’en faire un ami puissant ; tu vois un refuge près de lui. Et telle est néanmoins l’inconstance des choses de la terre, et chaque jour on voit tomber tant d’hommes puissants, qu’après avoir choisi un tel asile, c’est alors redoublent tes craintes. Auparavant tu ne craignais que pour toi, mais depuis que cet homme est ton appui, tu crains aussi pour lui. Plusieurs, en effet, qui avaient eu recours à de les protections, ont été recherchés à la chute de leurs protecteurs ; et nul ne les eût inquiétés, s’ils n’eussent recherché ces appuis. Pour nous, tel n’est point notre appui, mais notre appui est la force même. Nous y réfugier, c’est y trouver la sûreté.
3. « Il est notre secours dans les afflictions sans nombre qui nous visitent »[278]. Les afflictions sont nombreuses, et dans toute affliction néanmoins il nous faut recourir à Dieu : nous soyons affligés soit dans nos biens, dans notre santé, soit dans le danger que courent nos âmes, soit dans toute autre chose nécessaire à cette vie, le chrétien ne doit recourir qu’à Dieu seul ; et s’il y recourt, il deviendra fort. Ce n’est point par lui-même qu’il sera fort, il ne sera pas son propre appui ; mais il trouvera la force en celui qui lui aura donné asile. Cependant, mes chers frères, de toutes les afflictions de l’âme humaine, il n’en est pas de plus douloureuse que la conscience de nos péchés ; car s’il n’y a aucune blessure, et si cet intérieur de l’homme appelé conscience est complètement sain, d’où que lui vienne la peine, il se réfugie dans cet intérieur et y trouve Dieu. Mais si de nombreuses fautes ont banni le repos de cette conscience, et que Dieu n’y soit pas, que fera l’homme ? où trouvera-t-il un abri contre les peines ? Qu’il fuie de la campagne dans la cité, du forum à sa maison, de sa maison dans sa chambre la plus retirée, la peine le suit toujours. Après sa chambre il n’a plus d’autre lieu où fuir, que cette retraite intérieure. Mais s’il doit encore y trouver le trouble, la fumée du péché, le brasier du crime, il ne peut s’y réfugier ; il en est chassé ; et, chassé de là, il est hors de lui-même. Il trouve son ennemi où il cherchait la sûreté ; où pourra-t-il se fuir lui-même ? Partout où il puisse aller, il se traîne après lui ; et partout où il se traîne il est son propre bourreau. Ce sont là les grandes tribulations qui viennent assaillir l’homme ; il n’y en a point de plus cuisante, parce qu’il n’y en a point de plus intérieure. Voyez, bien-aimés, quand des bûcherons vont abattre des bois et les apprécier, il y a souvent à la surface quelque chose de gâté, de pourri, mais le charpentier en examine pour ainsi dire la moelle et le cœur, et s’il voit que cet intérieur est bon, il prononce hardiment qu’ils auront une longue durée dans l’édifice : et il se met peu en peine de la pourriture de la surface, quand il reconnaît que l’intérieur est bon. Mais chez l’homme il n’y a rien de plus intérieur que sa conscience ; de quoi lui sert alors que l’extérieur soit d’une santé parfaite, quand la moelle de la conscience est en pourriture ? Ce sont donc là des peines cuisantes, des peines tout à fait insupportables et, comme le dit le Psalmiste, des peines excessives ; et toutefois le Seigneur vient nous en soulager par le pardon de nos péchés, Car il n’y a que sa bonté qui puisse guérir la conscience des pécheurs. S’il endure de cruels tourments, cet homme qui se reconnaît débiteur du fisc ; et qui, en face de ses affaires dans le désordre, reconnaît qu’il ne peut vivre en payant ce qu’il doit ; s’il se plaint des tortures que lui font endurer les receveurs qui le pressent chaque année, et s’il n’a pour respirer que l’espoir de trouver quelque indulgence près des princes de la terre ; combien plus vive doit être la peine de celui que ses fautes nombreuses rendent passible des plus grands supplices, et comment s’acquitter sur le fond d’une conscience en désordre, puisque s’acquitter c’est périr ? Cette créance ne peut se solder que par la douleur. Il n’y a donc plus que le pardon qui puisse nous donner la sécurité, pourvu qu’après le pardon nous ne contractions plus de nouvelles dettes.
4. Ainsi ces fils de Coré peuvent s’entendre de ceux à qui Pierre adressa la parole dans les Actes des Apôtres, alors que leur attention était excitée par la descente merveilleuse de l’Esprit-Saint, lorsque tous ceux qui l’avaient reçu parlaient toutes les langues. Il leur prêcha en effet le Christ, qui faisait éclater son pouvoir en envoyant le Saint-Esprit. Ces hommes pesant, d’une part, combien leur avait paru méprisable celui qu’ils avaient tué de leurs propres mains ; et, d’autre part, combien il était grand et puissant devant Dieu, lui qui remplissait du Saint-Esprit des hommes simples, et leur faisait parler diverses langues, s’écrièrent dans la componction de leur cœur : « Que ferons-nous ? » C’étaient les peines intérieures qui les venaient trouver. Pour eux, en effet, ils ne trouvèrent point eux-mêmes leurs péchés ; mais la parole des Apôtres les leur fit trouver. D’où il suit que ce fut la tribulation qui les trouva, et qu’ils ne trouvèrent point eux – mêmes la tribulation. Qu’un homme, sans en être aucunement averti, considère ses œuvres et se mette à prier Dieu, que dit-il ? » J’ai trouvé « l’affliction et j’ai invoqué le nom de mon Dieu »[279]. Il y a donc une affliction que vous trouvez vous-même, et une affliction qui vient vous trouver. Mais pour écarter celle que nous trouvons, ou celle qui vient nous trouver, il nous faut recourir à Celui qui est notre refuge dans les afflictions. Aussi David ayant rencontré l’affliction, s’écriait : « Et j’ai invoqué le nom du Seigneur » ; et ceux que l’affliction est venue trouver disaient encore : « Dieu est notre refuge et notre force, il est notre soutien dans les tribulations qui ce sont venues nous accabler ». Mais, puisque Dieu est devenu protecteur, où a-t-il fait voir sa protection ? « Touchés de componction », est-il écrit, « ils dirent dans leur cœur : Que ferons-nous ? »[280] Ils sont pris comme d’un grand désespoir. S’il est si grand celui que nous avons mis à mort, que deviendrons-nous ? Et Pierre : « Faites pénitence, que chacun de vous soit baptisé au nom du Christ, et vos péchés vous seront remis »[281]. Car ils n’ont rien pu trouver de plus grave que ce péché. Quoi de plus horrible pour un malade que de tuer son médecin ? Oui, quel plus funeste emportement pour le malade que d’ôter la vie au médecin ? Quand on pardonne un tel crime, que ne peut-on point pardonner ? Ils reçurent donc une grande assurance de la part de celui qui est appelé « notre refuge et notre force. Que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus » ; c’est au nom de celui que vous avez mis à mort qu’il vous faut être baptisés, « et vos péchés vous seront pardonnés ». Vous n’avez connu votre Médecin qu’après, buvez sans crainte le sang que vous avez répandu.
5. Enfin, après une telle assurance, quel est leur langage ? « Aussi bien, serons-nous sans crainte dans les troubles de la terre ? »[282]. Naguère ils étaient dans l’inquiétude, les voilà tout à coup dans la sécurité ; d’un trouble excessif ils passent au plus grand calme. Pour eux le Christ dormait, et ils étaient dans le trouble ; le Christ s’éveille, et, comme nous l’avons entendu tout à l’heure dans l’Évangile, il commande aux tempêtes et les tempêtes s’apaisent[283]. Comme le Christ est dans le cœur de chacun de nous parla foi, cette figure nous montre que tout homme dont le cœur perd la foi est troublé par les ouragans du siècle ; il est troublé comme si le Christ dormait ; mais que le Christ s’éveille, et le calme se rétablit. Que dit donc enfin le Seigneur ? « Eh ! où est votre foi ? »[284] Le Christ s’éveille et réveille votre foi, afin que le calme du navire devienne aussi le raine de vos cœurs. « Vous êtes notre soutien dans les afflictions qui sont venues fondre sur nous ». Voilà ce qu’il fit pour établir la paix.
6. Voyez quel fut ce calme. « Aussi n’aurons-nous aucune crainte, quand la terre serait ébranlée et que les montagnes seraient transportées au milieu de la mer ». Alors même nous ne craindrons rien. Cherchons ces montagnes transportées, et si nous pouvons les trouver, il est clair que c’est en cela que sera notre sécurité. Car le Seigneur a dit à ses disciples : « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : « Ôte-toi et jette-toi dans la mer, et il en serait ainsi »[285]. Peut-être était-ce de lui-même qu’il parlait en disant : « Cette montagne », car il a été, appelé montagne : « Et dans les derniers jours se manifestera la montagne du Seigneur ». Mais cette montagne sera placée sur d’autres montagnes, car les Apôtres aussi sont des montagnes qui portent cette montagne principale. Aussi Isaïe a-t-il ajouté : « Dans les derniers temps se manifestera la montagne du Seigneur sur le sommet d’autres montagnes »[286]. Cette montagne s’élève donc au-dessus des autres montagnes et s’assied sur leurs cimes, car les autres montagnes prêchent cette montagne sainte. Quant à la mer, elle est le symbole de ce monde, et en comparaison de cette mer la Judée paraissait une terre ferme, car elle n’était point couverte des flots amers de l’idolâtrie, mais elle était comme une terre sèche, environnée de toutes parts de Gentils qui ressemblaient à une onde amère. Or, cette terre devait être troublée, c’est-à-dire la Judée elle-même ; et les montagnes devaient se transporter au milieu des eaux, c’est-à-dire premièrement cette grande montagne, assise sur les sommets des montagnes. Car il abandonna la nation juive pour passer aux autres nations ; il passa de la terre dans la mer. Par qui fut effectué ce passage ? Par les Apôtres, à qui il avait dit : « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Ote-toi et jette-toi dans la mer, et il en serait ainsi » ; c’est-à-dire, votre prédication pleine de foi fera que cette montagne, ou moi-même, je sois prêché parmi les Gentils, glorifié parmi les Gentils, connu chez les Gentils, que s’accomplisse cette parole : « Le peuple que je ne connaissais point m’a servi »[287]. Quand ces montagnes ont-elles été transportées ? Que l’Écriture nous le dise encore. Lorsque l’Apôtre prêchait aux Juifs, ils rejetèrent sa parole, et Paul leur dit alors : « Nous étions envoyés vers vous, mais puisque vous avez méprisé la parole de Dieu, nous allons vers les Gentils »[288]. Les voilà donc transportés au sein des mers. Or, les Gentils crurent à ces montagnes, et il arriva que ces montagnes furent dans le cœur de la mer ; et il n’en fut pas ainsi des Juifs, dont il est dit : « Ce peuple m’honore des lèvres, et leur cœur est loin de moi »[289]. Telle est la promesse que le Seigneur faisait par son Prophète pour le Nouveau Testament : « Je mettrai mes lois dans leurs cœurs »[290]. Ces lois, ces préceptes, présentés par les Apôtres à la foi et à la croyance des Gentils, voilà ce que notre psaume appelle des montagnes transportées au cœur des mers. Pour nous alors il n’y aura point de crainte. Pour qui n’y aura-t-il rien à craindre ? Pour nous qui avons été touchés de componction, afin de n’être point des rameaux retranchés, comme les Juifs réprouvés. Quelques-uns d’entre eux ont cru et se sont attachés aux Apôtres qui prêchaient. Qu’ils craignent, ceux que les montagnes ont abandonnés ; mais nous, nous ne quittons pas les montagnes ; et, quand elles sont transférées au sein des mers, nous les y suivons.
7. Qu’est-il arrivé après que les montagnes ont été transférées au sein des mers ? Écoutez et voyez la vérité. Quand ces choses étaient annoncées, elles étaient obscures, puisqu’elles n’étaient pas encore accomplies ; maintenant qu’elles sont accomplies, qui ne les reconnaîtra ? Que l’Écriture te serve de livre pour les comprendre ; que toute la terre te serve de livre pour en voir l’accomplissement. Ceux-là seuls peuvent lire dans les livres qui connaissent les lettres ; mais dans le livre du monde entier un idiot peut lire. Qu’est-il donc arrivé quand les montagnes ont été transférées du sein des mers ? « Leurs flots ont mugi, ils ce se sont troublés », quand on prêchait l’Évangile, ils ont dit : « Quelle est cette parole ? Il ce semble que cet homme noué annonce d’autres dieux »[291]. Ainsi disaient les Athéniens. Mais quel tumulte ne soulevèrent pas les Éphésiens, qui voulurent tuer les Apôtres, et poussèrent dans le théâtre ces grands cris : « Vive la grande Diane d’Éphèse »[292], Or, au milieu de ces flots et de ces tempêtes de la mer, ils ne craignaient pas, ceux qui avaient pris Dieu pour soutien. Enfin l’apôtre saint Paul voulait entrer dans le théâtre, et il en fut empêché par les disciples, car il fallait qu’il demeurât dans sa chair à cause d’eux[293]3. Et toutefois les eaux de la mer se soulevèrent ce avec fracas ; les montagnes furent ébranlées ce par sa force as. De qui cette force ? Est-ce de la mer, ou plutôt de Dieu dont il est dit : « Vous êtes notre refuge, notre force, notre ce soutien dans les tribulations sans nombre qui nous ont assaillis ? »[294] Les montagnes, ou les puissances du siècle, ont été troublées. Il y a en effet les montagnes de Dieu et les montagnes du siècle ; les montagnes du siècle, qui ont le diable pour chef, et les montagnes de Dieu dont le chef est le Christ. Mais de ces montagnes, les unes ont été ébranlées par les autres. C’est alors qu’elles ont élevé leurs voix et leurs cris contre les chrétiens quand montaient leurs flots en courroux. Oui, ces montagnes furent ébranlées, et il se fit un grand bruit sur la terre et sur les flots. Mais contre qui toutes ces clameurs ? Contre cette ville bâtie sur la pierre[295]. Les eaux mugissent, les montagnes se troublent à la prédication de l’Évangile. Que deviens-tu, cité de Dieu ? Écoutez ce qui suit.
8. « Les bonds du fleuve portent la joie ce dans la cité de Dieu »[296]. Lorsque les montagnes sont ébranlées, et que la mer s’élève en courroux, Dieu témoigne par l’impétuosité du fleuve qu’il n’abandonne point sa cité. Qu’appelle-t-on les bonds du fleuve ? Cette inondation du Saint-Esprit dont le Seigneur a dit : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne et ce qu’il boive ; qui croit en moi, des fleuves ce d’eau vive couleront de son sein »[297]. Ces fleuves coulaient donc du sein de Pierre, de Paul, de Jean, des autres apôtres, des autres évangélistes fidèles. Et comme ces fleuves coulaient d’un seul fleuve, « les élans multipliés du fleuve portent la joie dans la cité ce de Dieu ». Et pour vous faire mieux comprendre que cela est dit du Saint-Esprit, voici ce qu’ajoute l’évangéliste, au même endroit : « Il disait cela du Saint-Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui. Car ce l’Esprit-Saint n’était pas encore envoyé, ce puisque Jésus n’était pas encore glorifié »[298]. Or, après que Jésus eut manifesté sa gloire par sa résurrection, sa gloire encore par son Ascension, au jour de la Pentecôte, l’Esprit-Saint descendit, et remplit les fidèles qui parlèrent diverses langues[299], et se mirent à prêcher aux Gentils. De là cette joie dans la cité de Dieu, tandis que la mer se troublait au mugissement de ses eaux, que les montagnes s’ébranlaient et demandaient ce qu’il fallait faire, comment repousseraient-elles cette nouvelle doctrine, et pourraient-elles exterminer de la terre la famille chrétienne. Contre qui tous ces efforts ? Contre ces élans du fleuve qui portaient la joie dans la cité de Dieu. De là aussi nous comprenons facilement de quel fleuve il veut parler, et qu’il désigne l’Esprit-Saint quand il dit : « Les bonds du fleuve portent la joie dans la cité de Dieu ». Que dit-il en effet après cela ? « Le Très-Haut a sanctifié son tabernacle ». Dès lors qu’il parle immédiatement de sanctification, il est évident que ces bonds du fleuve doivent s’entendre de l’Esprit-Saint, qui sanctifie toute âme pieuse croyant au Christ, pour prendre place dans la cité de Dieu.
9. « Mais Dieu est au milieu de la cité, elle ne sera point ébranlée ». Que la mer se soulève, que les montagnes s’ébranlent ; ce Dieu est au milieu de la cité, elle ne sera ce point ébranlée »[300]. Qu’est-ce à dire, « au milieu d’elle ? » Faut-il croire que Dieu se tienne en quelque lieu, et qu’il soit environné de tous ceux qui croient en lui ? Dieu alors serait circonscrit dans un lieu, et ce qui l’environne est au large, tandis que lui, qui est environné, serait à l’étroit ? Point du tout. N’imaginons rien de semblable à l’égard de Dieu, qui ne peut être circonscrit dans aucun lieu, qui a son trône dans la conscience des justes ; et telle est la manière dont il habite le cœur des hommes, que si l’homme vient à tomber en se retirant de Dieu, Dieu néanmoins demeure en lui, sans être en danger de tomber, comme s’il ne trouvait plus d’appui. Il te relève pour que tu sois en lui, plutôt qu’il ne s’abaisse vers toi, de manière à tomber, si tu te dérobes à lui. Qu’il se dérobe à toi et tu tomberas ; dérobe-toi, s’il te plaît, et lui ne tombera pas. Que signifie donc : « Dieu est au milieu d’elle ? » Cela signifie que Dieu a la même justice pour tous et ne fait acception de personne. De même que le milieu d’un cercle est à égale distance des extrémités qui l’environnent ; de même il est dit que Dieu est au milieu, parce qu’il veille également sur chacun des hommes : « Dieu est ce au milieu de la cité, elle ne sera point ébranlée ». Pourquoi ne sera-t-elle point ébranlée ? parce que Dieu est au milieu d’elle. « Le Seigneur la protégera de sa face. C’est ce lui qui est notre appui dans les tribulations excessives qui sont venues fondre sur nous. Dieu la protégera de sa face ». Qu’est-ce à dire de sa face ? En se faisant voir. Et comment Dieu se montre-t-il de manière que nous voyions sa face ? Je vous le rappelle, vous connaissez la présence de Dieu, nous la connaissons par ses œuvres ; et quand nous recevons de lui quelque secours de manière à ne pas douter qu’il ne nous vienne de Dieu, il nous montre alors son visage. « Dieu la protégera de sa face ».
10. « Les nations se sont soulevées ». Comment soulevées ? Pourquoi ce soulèvement ? Pour renverser la cité de Dieu, au milieu de laquelle est Dieu lui-même ? Pour détruire le tabernacle qu’il a sanctifié, qu’il protège de sa face ? Non, mais ce soulèvement des nations est un soulèvement salutaire. Voyons en effet la suite. « Les royaumes se sont inclinés »[301]. Les royaumes, dit le Prophète, se sont inclinés, ils ne s’élèvent plus pour sévir, ils s’inclinent pour adorer. Quand les royaumes se sont-ils inclinés ? Quand s’est accomplie cette prophétie d’un autre psaume : « Les rois de la terre viendront l’adorer, toutes les nations le serviront »[302]. Quelle cause a fait incliner les royaumes ? Cette cause, écoutez-la : « Le Très-Haut a fait retentir sa voix, et la terre en a tremblé ». Les sacrificateurs des idoles élevaient la voix comme les grenouilles du fond de leurs marais, et avec un bruit d’autant plus fort que ce bruit venait d’une boue et d’une fange plus infecte. Mais quel rapprochement entre ce bruit des grenouilles et les tonnerres des nuées ? Car c’est de là que « le Très-Haut fit retentir cette voix dont la terre a été ébranlée » ; il a tonné du haut de ses nuées. Quelles nuées sont les siennes ? Les Apôtres, ses prédicateurs, qui étaient les porte-voix de ses préceptes, et les instruments de ses miracles. Ils sont des nuées comme ils sont des montagnes ; des montagnes à cause de leur hauteur et de leur solidité, des nuées à cause de la pluie et de la fécondité qu’elles répandent. Ces nuées ont arrosé la terre, et c’est d’elles qu’il est dit : « Le Très-Haut a fait retentir sa voix dont la terre a été ébranlée ». C’est encore de ces nuées que Dieu parle quand il menace une certaine vigne stérile, et c’est par suite de cette menace que les montagnes ont été transportées dans le sein de la mer. « Je commanderai aux nuées », dit le Seigneur, « de ne laisser tomber sur elle aucune pluie »[303]. C’est là ce qui s’accomplit, comme nous l’avons observé, quand les montagnes furent transférées au sein de la mer ; quand il fut dit aux Juifs : « Nous étions envoyés vers vous, mais puisque vous repoussez la parole de Dieu, allons chez les nations[304] » : alors s’accomplit cette menace : « Je commanderai aux nuées de ne laisser tomber sur elle aucune pluie ». Aussi la nation juive est-elle demeurée comme une toison sèche dans l’aire. Car vous savez que ce fait arriva autrefois par miracle. L’aire était desséchée, la toison seule était humide, mais la rosée n’était pas visible dans la toison[305]. Ainsi le sacrement de la nouvelle alliance était invisible dans le peuple juif. La toison était pour eux ce qu’est pour nous un voile : et le sacrement était voilé dans la toison. Mais dans l’aire, ou chez toutes les nations, l’Évangile du Christ est en évidence ; la pluie est visible, la grâce de Jésus-Christ est à découvert ; aucun voile ne la couvre. Mais pour en faire sortir la rosée, on a pressé la toison. C’est en la pressant de la sorte qu’ils ont fait sortir le Christ du milieu d’eux, et le Seigneur au moyen de ses nuées a répandu la pluie dans l’aire, et la toison est demeurée dans la sécheresse. C’est donc de là que « le Très-Haut a fait retentir sa voix », c’est de ces nuées qu’est sortie la voix qui a forcé les royaumes à s’incliner et à l’adorer.
11. « Le Dieu des vertus est avec nous, le Dieu de Jacob est notre appui »[306]. Ce n’est point un homme quelconque, ni une puissance quelconque, ni même un ange, ni aucune créature, soit terrestre, soit céleste, mais « le Seigneur des vertus qui est avec nous, c’est le Dieu de Jacob qui est notre appui ». Celui qui a envoyé les anges, est venu après les anges, il est venu pour être servi par les anges, il est venu afin d’élever les hommes à la hauteur des anges. Incomparable faveur ! « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Le Dieu des armées est ce avec nous ». Quel est ce Dieu des armées qui est avec nous ? ce Si Dieu est pour nous as, dit l’Apôtre, « qui sera contre nous ? lui qui n’a pas épargné son propre Fils, qui l’a livré à la mort pour nous, comment ne nous donnerait-il point toutes choses avec lui ? »[307] Soyons donc en assurance, et dans la paix du cœur nourrissons du pain de Dieu une conscience pure. « Le Seigneur des armées est avec nous, le Dieu de Jacob est notre appui ». Quelle que soit ta faiblesse, vois quel est ton appui. Un homme tombe malade, on appelle un médecin : le médecin dit qu’il prend le malade sous sa garantie. Qui donc est l’appui du malade ? le médecin. Grand espoir de salut, puisque c’est un célèbre médecin qui l’a entrepris. Quel est notre médecin ? Tout autre médecin n’est qu’un homme auprès de lui : tout médecin qui vient près d’uni malade, peut être malade à son tour, excepté Dieu. « C’est le Dieu de Jacob qui nous prend sous sa garde ». Deviens tout à fait comme l’enfant que les parents entreprennent d’élever. Ceux qu’on n’entreprend pas d’élever, on les expose ; ceux qu’on entreprend d’élever, on les nourrit. Or, penses-tu que Dieu se charge de toi-même, comme ta mère s’est chargée de ton enfance ? Point du tout ; il s’en charge pour l’éternité. Car c’est toi qui as chanté dans un autre psaume : « Voilà que mon père et ma ce mère m’ont abandonné, mais le Seigneur ce m’a pris sous sa garde[308]. C’est le Dieu de ce Jacob qui nous sauvera ».
12. « Venez et voyez les œuvres du Seigneur »[309]. Depuis que le Seigneur a voulu te sauver, qu’a-t-il fait ? Jette les yeux sur l’univers entier ; viens et regarde. Si tu ne viens, tu ne vois pas ; si tu ne vois, tu ne croiras pas ; si tu ne crois pas, tu es éloigné ; si tu crois, tu viens ; et si tu crois, tu vois. Comment vient-on à cette montagne sainte ? Est-ce à pied ? est-ce avec des vaisseaux ? ou avec des ailes ? ou avec des chevaux ? Que l’éloignement des lieux ne te cause ni souci ni trouble, la montagne elle-même vient vers toi. C’est elle qui était une petite pierre, qui a pris de l’accroissement, qui est devenue cette grande montagne remplissant toute la terre[310]. Par quelles terres veux-tu aller à celui qui a rempli toute la terre ? La voilà qui vient, éveille-toi, son accroissement éveille même ceux qui dorment : si tant est que leur sommeil ne soit pas, si profond qu’ils demeurent insensibles à cette montagne qui les frappe, et qu’ils puissent entendre : « Debout, ô toi qui dors, sors d’entre les morts et le Christ sera ta lumière »[311]. C’était beaucoup pour les Juifs de voir la pierre. Car cette pierre était petite encore : la voyant si petite, ils la méprisèrent ; en la méprisant, ils s’y heurtèrent, et en s’y heurtant, ils s’y meurtrirent ; ils n’ont plus qu’à s’y faire écraser. C’est de cette pierre en effet qu’il est dit : « Quiconque heurtera cette pierre s’y ce brisera ; et elle écrasera celui sur qui elle tombera »[312]. Être meurtri ou être écrasé, sont bien différents en effet. Être meurtri est beaucoup moins qu’être écrasé ; mais le Christ ne doit écraser, en venant dans sa gloire, que celui qu’aura meurtri son humilité. Avant de se montrer dans sa gloire, le Sauveur s’est montré aux Juifs dans son humilité ; et en se heurtant contre lui, ils se sont meurtris ; il viendra ensuite pour le jugement, dans sa gloire, dans sa majesté, dans sa grandeur, dans l’éclat de sa puissance ; non plus dans sa faiblesse pour être jugé, mais dans sa force, pour juger et pour écarter ceux qui se sont meurtris en le heurtant. Ainsi c’est lui qui est la pierre d’achoppement, et la pierre de scandale pour les incrédules[313]. Donc, mes frères bien-aimés, ne nous étonnons point si les Juifs n’ont point connu, s’ils ont méprisé cette pierre si petite qu’ils voyaient à leurs pieds : ne pas le reconnaître quand il est devenu une si grande montagne, voilà ce qui doit nous étonner. Les Juifs se sont heurtés contre une petite pierre qu’ils ne voyaient pas, et aujourd’hui les hérétiques se heurtent contre une montagne. Déjà cette pierre a pris de l’accroissement ; aujourd’hui nous leur disons : Voilà que s’accomplit la prophétie de Daniel ; cette pierre, d’abord petite, a grossi ; elle est devenue une haute montagne qui remplit la terre. Pourquoi vous y heurter et ne pas y monter ? Qui peut dire assez aveugle pour se heurter contre une montagne ? Comme si le Christ était venu vers toi pour te fournir une cause de scandale, et non une cause d’élévation. « Venez donc et gravissons la montagne du Seigneur »[314]. Ainsi dit Isaïe : « Venez et montons ». Qu’est-ce à dire : « Venez et montons ? » venez, c’est-à-dire croyez ; « montons » ou avançons. Mais eux ne veulent ni venir, ni monter, ni croire, ni avancer. Ils aboient contre la montagne. Tant de fois ils se sont heurtés contre elle et meurtris, et ils s’obstinent à ne point monter, aimant mieux se heurter encore. Disons-leur : « Venez et voyez les œuvres du Seigneur, les prodiges qu’il a faits sur la terre »[315]. On appelle prodiges ces miracles accomplis quand le monde a cru en Jésus-Christ, parce qu’ils avaient un sens prophétique. Qu’est-il donc arrivé, qu’annonçaient-ils ?
13. « Il a fait cesser les guerres jusqu’aux extrémités du monde »[316]. Nous ne voyons pas encore que cela soit accompli, car il y a des guerres encore, et entre les peuples pour l’empire, et entre les sectes ; entre les juifs, les païens, les chrétiens, les hérétiques, il y a des guerres, de fréquentes guerres, les uns combattant pour la vérité, les autres pour l’erreur. Cette parole : « Il a fait cesser les guerres jusqu’aux extrémités du monde », n’est donc point accomplie, mais peut-être s’accomplira-t-elle. Maintenant même, n’est-elle donc pas accomplie ? Elle l’est pour quelques-uns. Elle l’est pour le froment, pas encore pour l’ivraie. Que signifie donc : « Il a dû cesser les guerres jusqu’aux extrémités du monde ? » Il appelle guerres, les combats contre Dieu. Or, qui combat contre Dieu ? l’impiété. Que peut faire à Dieu l’impiété ? Rien. Que fait contre une pierre un vase de terre déjà fêlé, quel qu’en soit le choc ? Plus le choc est violent, et plus complète est sa ruine. Ces guerres étaient grandes jadis, elles étaient fréquentes. L’impiété livrait bataille à Dieu, et les vases de terre se brisaient, quand les hommes étaient assez présomptueux pour compter sur leurs propres forces. Ils s’armaient fors de ce bouclier dont parle Job à propos le l’impie : « Il s’est élancé contre Dieu, le cou abrité de son bouclier »[317]. Qu’est-ce à dire : « Le cou abrité de son bouclier ? » C’est-à-dire, en se confiant trop à la protection de cette armure. Ressemblaient-ils à ces orgueilleux, ceux qui disaient : « Le Seigneur est notre appui et notre force, il nous soutient dans les tribulations excessives qui sont venues fondre sur nous[318] » ; ou bien dans un autre psaume : « Je ne mettrai point mon espoir dans mon arc, et mon bras ne me sauvera point ? »[319] Quand un homme reconnaît qu’il n’est rien en lui-même, qu’il ne peut rien attendre de lui-même, ses armes sont brisées entre ses mains, la guerre est finie. Telles sont les guerres apaisées par la voix du Tout-Puissant, par cette voix sortie des nuées, qui fit trembler la terre et incliner les empires : ces guerres ont cessé jusqu’aux extrémités du monde. « Il a brisé l’arc, rompu les lances et jeté au feu les boucliers »[320]. Un arc, des lances, des boucliers, du feu. L’arc signifie les embûches ; les lances, l’attaque ouverte ; le bouclier, la vaine présomption dans ses forces ; et le feu qui doit consumer tout cela, est celui dont le Seigneur a dit : « Je suis venu apporter le feu sur la terre »[321], et dont le Psalmiste a dit : « Nul ne peut se dérober à ses flammes »[322]. Quand ce feu brûlera en nous, il ne nous restera plus aucune arme impie, il faut que toutes soient brisées, soient rompues, soient brûlées. Demeure donc sans armes et sans appui en toi-même ; et plus tu seras faible, sans aucune défense en toi, plus deviendra ton appui celui dont il est dit : « C’est le Dieu de Jacob qui veut nous sauver ». Tu avais de la puissance en toi-même, et voilà le trouble chez toi. Loin de toi ces armes sur lesquelles tu comptais ; écoute cette parole du Seigneur : « Ma grâce te suffit ». Dis à ton tour : « Quand je suis faible, c’est ce là que je suis fort ». Ce mot est de l’Apôtre. Il avait perdu toutes les armes de sa force, lui qui disait : « Pour moi, je n’ai point à me glorifier sinon dans ma faiblesse »[323] ; comme s’il disait : Je ne cours point contre Dieu avec le cou abrité par mon bouclier : « Moi qui ai d’abord été un blasphémateur, un persécuteur, un outrageux ennemi ; mais qui ai ce reçu miséricorde, afin que Jésus-Christ montrât en moi toute sa patience envers ce ceux qui croiront en lui, pour la vie éternelle[324]. « En apaisant les guerres jusqu’aux confins du monde ». Or, quand le Seigneur entreprend de nous sauver, nous laisse-t-il sans armes ? Il nous donne des armes sans doute, mais d’autres armes, celles de l’Évangile, de la vérité, de la continence, du salut, de l’espérance, de la foi, de la charité. Ces armes nous les aurons, mais pas de nous-mêmes. Les armes qui venaient de nous sont brûlées, si tant est que nous ayons été embrasés de ce feu du Saint-Esprit dont il est dit : « Il jettera les boucliers au feu ». Tu voulais être fort en toi-même, et Dieu t’a rendu faible, afin de te rendre fort en lui, toi dont la force n’était que faiblesse.
14. Quelle est donc la suite ? « Demeurez en ce repos ». Pourquoi ? « Et voyez que c’est moi ce qui suis Dieu »[325]. Voyez que ce n’est point vous, mais bien moi qui suis Dieu ; c’est moi qui ai créé et qui crée de nouveau ; moi qui ai formé et qui reforme ; moi qui ai fait et qui refais. Si tu n’as pu te faire toi-même, comment te referais-tu ? Voilà ce que ne voit pas l’esprit humain dans son trouble ; et c’est à la vue de ce trouble opiniâtre qu’on lui dit : « Demeurez en repos », c’est-à-dire, éloignez votre âme des querelles, ne raisonnez point, ne vous armez point contre Dieu, autrement vos armes seraient vivantes encore et non consumées par le feu. Mais si elles sont brûlées, « demeurez en paix », n’ayant plus de quoi combattre. Si vous êtes en repos en vous-mêmes, et que vous me demandiez tout ce que vous espériez d’abord de vous-mêmes : « Demeurez en repos, et vous verrez que je suis vraiment ce Dieu ».
15. « Je serai exalté au milieu des nations, exalté sur toute la terre ». J’ai dit tout à l’heure que la terre signifiait le peuple juif, et la mer les autres nations. « Les montagnes ont été transférées au sein des mers ; les nations se sont troublées et les royaumes se sont abaissés ; le Très-Haut a fait retentir sa voix et la terre a tremblé. Le Dieu des armées est avec nous, le Dieu de Jacob veut nous sauver »[326]. Toutes ces merveilles se sont opérées chez les nations, les nations se convertissent à la foi, et les armes de la présomption humaine sont brûlées : le repos, la paix du cœur nous montre en Dieu l’auteur de tous ces dons. Mais Dieu, après s’être ainsi glorifié, a-t-il donc abandonné le peuple juif, dont l’Apôtre a dit : « Je vous exhorte à n’être point sages en vous-mêmes, car une partie des Juifs est tombée dans l’aveuglement, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Église »[327], c’est-à-dire, jusqu’à ce que les montagnes fussent transférées chez ces peuples, que les nuées y répandissent la pluie, et que le Seigneur par la grande voix de son tonnerre inclinât les empires. Jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât. Qu’arrivera-t-il ensuite ? « Et qu’ainsi tout Israël fût sauvé »[328]. C’est dans ce même ordre que notre psaume a dit : « Ma gloire éclatera ce parmi les nations, elle éclatera sur la terre » ; c’est-à-dire, au milieu des mers et sur les continents, afin que tous puissent chanter ce qui suit : Le Dieu des armées est avec nous, le Dieu de Jacob veut nous sauvera.
DISCOURS SUR LE PSAUME 46
modifierSERMON AU PEUPLE.
modifierL’ASCENSION DU CHRIST.
modifierLes fils de Coré ou les chrétiens doivent imiter la simplicité des enfants, en éviter l’irréflexion. Ils doivent chanter ce roi des Juifs et de tous les peuples, qui s’élève au milieu des jubilations, au bruit des trompettes, mais le chanter avec intelligence, ou plutôt avec la foi qui est la lumière du cœur. Il s’élève au ciel, d’où nous devons croire qu’il viendra pour le jugement. Il est assis à la droite de Dieu et veut s’asseoir dans nos cœurs. Pour cela il n’est pas nécessaire d’être enfant d’Abraham, il faut avoir la foi du centenier et éviter l’orgueil des Juifs.
1. Le Seigneur notre Dieu emploie dans les livres sacrés des saintes Écritures des moyens nombreux et variés pour alimenter cette foi dans laquelle nous vivons et qui nous vivifie, il en multiplie les figures et les expressions, et néanmoins il ne prêche qu’une même foi. C’est un même et unique sujet qui revient sous des symboles différents, afin d’éviter ainsi l’ennui et d’affermir en nous l’unité de foi par l’accord de ces symboles. Aussi, à propos du psaume que nous venons d’entendre et que nous avons chanté nous-mêmes, vous dirons-nous ce que vous connaissez déjà ; et néanmoins j’espère, avec le secours de Dieu, vous causer quelque plaisir en vous faisant ruminer en quelque sorte ce que vous avez vu çà et là. Cette expression ruminer désigne les animaux purs, et Dieu a voulu nous montrer par là que tout homme qui écoute sa parole doit la mettre dans son cœur, de manière à ne pas négliger d’y revenir par la pensée : écouter alors, ce serait manger, repasser dans sa mémoire ce qu’il a entendu ; et savourer ce plaisir, ce serait ruminer. La variété du langage reporte donc plus agréablement notre pensée sur les vérités que nous savons, et nous les fait écouter plus volontiers ; le langage seul est varié, et cette variété renouvelle pour nous une antique vérité.
2. Voici le titre du psaume : « Pour la fin, psaume de David, pour les fils de Coré »[329]. D’autres psaumes encore sont intitulés : Pour les fils de Coré, et nous indiquent un consolant mystère, comme ils nous laissent deviner un grand symbole : c’est nous-mêmes en effet qu’il faut reconnaître dans ces psaumes ; ce titre désigne quiconque les lit et les entend, c’est un miroir qui nous montre ce que nous somes. Ces enfants de Coré, qui sont-ils ? Il y eut un homme du nom de Coré[330], je sais qu’un homme s’appelait ainsi : toutefois, quand nous lisons le psaume et que la parole divine s’adresse à certains hommes que l’on ne saurait regarder comme les fils de celui que l’on appelait Coré, la pensée a recours à un sens mystérieux et recherche la signification de Coré. Or, ce mot hébreu a été traduit et interprété en grec et en latin ; et nous avons le sens de beaucoup de noms hébreux. Nous cherchons donc et nous trouvons que Coré signifie Chauve. Voilà que votre attention redouble. Cette expression : Enfants de Coré, vous paraissait bien obscure ; mais : Enfants du Chauve, ne l’est-elle pas davantage ? Quels sont ces fils du Chauve ? Sont-ils fils de l’Époux ? Car l’Époux a été crucifié à l’endroit Chauve ou Calvaire. Relisez dans l’Évangile le lieu où le Seigneur fut mis à la croix, et vous trouverez qu’il fut crucifié au Calvaire[331]. Dès lors, ceux qui tournent sa croix en dérision doivent être dévorés par les démons comme par des bêtes farouches. Tel est en effet le sens prophétique d’un passage de l’Écriture. Un jour que le prophète Élisée, cet homme de Dieu, gravissait une montagne, des enfants le raillaient en criant derrière lui : « Monte, chauve, monte, chauve »[332] ; moins par cruauté que pour figurer l’avenir, il les fit dévorer par des ours qui sortirent de la forêt[333]. Si ces enfants n’eussent pas été dévorés de la sorte, vivraient-ils encore ? Eux qui sont nés mortels, n’eussent-ils pu succomber à quelque fièvre ? Toutefois ils sont devenus pour la postérité un terrible symbole. Que nul ne tourne la croix en dérision : les Juifs ont été livrés à la puissance et aux morsures des démons. Car, en crucifiant le Christ au Calvaire et en l’élevant en croix, ils disaient à leur tour comme ces enfants, et sans plus comprendre le sens de leurs paroles : Monte, chauve. Qu’est-ce à dire : « Monte ? » Crucifiez-le, crucifiez-le[334]. Toutefois, on nous propose dans l’enfance un modèle d’humilité à copier et un modèle d’irréflexion à éviter. Le Seigneur lui-même propose l’enfance à ses disciples comme un modèle d’humilité, quand il appelle à lui des enfants, et quand il répond à ceux qui les écartaient de lui : « Laissez ce venir à moi les petits enfants, car le royaume ce de Dieu appartient à ceux qui leur ressemblent »[335]. L’Apôtre à son tour nous montre dans l’enfance un modèle d’irréflexion qu’il faut éviter. « Ne soyez point sans prudence comme des enfants ». Puis il les propose à notre imitation : « Soyez comme eux sans malice, ayez la prudence des hommes forts »[336]. Ce psaume : « Pour les fils de Coré », est donc pour les chrétiens. Écoutons-le comme les fils de cet Époux que des enfants sans réflexion crucifièrent au Calvaire. Ils ont mérité d’être dévorés par les bêtes féroces, et nous d’être couronnés par les anges. Car nous reconnaissons, sans en rougir, l’humilité de Notre-Seigneur. Nous ne rougissons pas de celui qui a été mystérieusement appelé chauve, à cause du Calvaire. C’est au nom de cette même croix sur laquelle on l’insultait, qu’il n’a pas voulu que notre front demeurât chauve, puisqu’il l’a marqué de ce signe sacré. Enfin, pour mieux comprendre que toutes ces paroles s’adressent à nous, écoutez-les.
3. « Peuples, battez des mains »[337]. Le peuple juif était-il tous les peuples ? Mais une partie d’Israël est tombée dans un tel aveuglement, qu’ils criaient comme des enfants : « Chauve, ce chauve »[338], et que le Seigneur fut ainsi crucifié à l’endroit du Calvaire[339], afin que son sang répandu rachetât la nation, et que s’accomplît la parole de saint Paul : « Une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement jusqu’ à ce que la plénitude des nations fût entrée »[340]. Qu’ils l’insultent donc, ces fous, ces stupides, ces insensés, et qu’ils disent : « Chauve, chauve » ; pour vous, rachetés par son sang qui a été répandu au Calvaire, « Peuples, battez des mains », applaudissez à la grâce de Dieu qui est allée jusqu’à vous. « Applaudissez ». Qu’est-ce à dire : « Applaudissez ? » Réjouissez-vous. Mais pourquoi « des mains ? » c’est-à-dire par de bonnes œuvres. Que votre joie n’éclate pas dans vos paroles tandis que vos mains seraient oisives. Si vous vous réjouissez, « battez des mains ». Qu’il voie les mains des nations, celui qui a daigné leur départir cette joie. Que signifient les mains des nations ? Les œuvres de ceux qui font le bien. « Peuples, battez des mains, élevez jusqu’à Dieu les chants de votre allégresse ». Aux mains unissez la voix. Bénir Dieu de la voix seulement serait une bénédiction imparfaite, puisque les mains seraient désœuvrées ; l’applaudir des mains serait encore imparfait, la langue serait muette ; que les mains s’unissent à la voix ; que celle-ci parle, que celles-là travaillent, « Élevez jusqu’à Dieu vos chants d’allégresse ».
4. « Car le Seigneur est le Très-Haut, le Dieu terrible ». Il est le Très-Haut celui qui est descendu sur la terre pour être tourné en dérision, et qui est devenu terrible en montant au ciel. « C’est le grand roi qui domine la terre »[341]. Non seulement les Juifs, bien qu’il soit aussi leur roi ; c’est delà en effet que sont venus les Apôtres qui ont embrassé la foi, et ces milliers d’hommes qui ont vendu leurs biens pour en déposer le prix aux pieds des Apôtres[342]. Ainsi se vérifia le titre que Pilate avait mis sur la croix : Roi des Juifs[343]. Car il est leur Roi en effet. « Peuples, battez des mains, parce que le Seigneur est le Dieu de toute la terre ». Il ne lui suffit pas de dominer une seule nation, car il n’a donné un si grand prix que pour racheter le monde entier. « C’est le grand Roi qui domine la terre ».
5. « Il nous a soumis tous les peuples et a jeté les nations sous nos pieds »[344]. Quelles nations, et à qui les a-t-il soumises ? Quels sont les interlocuteurs ? des Juifs peut-être ? Cela est juste à l’égard des Apôtres, à l’égard des saints. C’est à eux que Dieu a soumis les peuples et les nations, de sorte qu’ils sont en honneur chez tous les peuples, ces hommes qui ont mérité que leurs concitoyens les fissent mourir, de même que leur Dieu a été livré à la mort par ses concitoyens, et qu’il est en honneur chez les gentils ; lui que les siens ont crucifié, est adoré par des étrangers, devenus les siens à cause du prix dont il les a rachetés. Car il nous a rachetés afin que nous ne fussions plus étrangers. Penses-tu dès lors que ces paroles appartiennent aux Apôtres : « Il nous a soumis les nations, il a mis les peuples à nos pieds ? » Je ne sais. Mais un langage si fastueux étonnerait dans les Apôtres, qui se réjouiraient alors de voir les nations à leurs pieds, c’est-à-dire les chrétiens sous les pieds des Apôtres. Leur joie au contraire est de nous voir avec eux aux pieds de celui qui est mort pour nous. C’est en effet sous les pieds de Paul que venaient se jeter ceux qui voulaient être à Paul, et à qui il disait : Paul a-t-il donc été crucifié pour vous ?[345] Que signifient donc ces paroles ? Comment faut-il entendre : « Il nous a soumis les nations, il a mis les peuples sous nos pieds ? » Tous ceux qui appartiennent à l’héritage du Christ sont parmi les nations, et tous ceux qui n’appartiennent pas à l’héritage du Christ sont aussi disséminés parmi les peuples, et vous voyez l’Église du Christ, tellement élevée au nom du Christ, que tous ceux qui ne croient pas en lui sont sous les pieds des chrétiens. Combien maintenant qui, sans être chrétiens, viennent vers l’Église implorer son assistance, nous demandent quelque secours temporel, bien qu’ils refusent encore de régner éternellement avec nous ? Si donc tous, et même ceux qui n’appartiennent pas à l’Église, viennent en implorer les faveurs, n’est-il pas vrai que Dieu nous a soumis tous les peuples et qu’il a mis les nations à nos pieds ? »
6. « Il nous a choisis pour son héritage ; c’est la beauté de Jacob qu’il a aimée »[346]. C’est parce que Dieu a trouvé en Jacob une certaine beauté, qu’il nous a choisis en Jacob pour son héritage. Esaü et Jacob étaient deux frères, et ils se battaient dans le sein de leur mère, et ses entrailles maternelles étaient ébranlées par ce conflit ; et de ces deux le plus jeune fut choisi et préféré à l’aîné ; et il fut répondu : « Il y a dans votre sein deux peuples, et l’aîné servira le plus jeune »[347]. Cet aîné se rencontre chez tous les peuples, comme le plus jeune se rencontre chez tous les peuples ; mais le plus jeune y est dans les chrétiens véritables, dans les élus, les hommes fidèles et pieux ; l’aîné y est dans les orgueilleux, les indignes, les pécheurs obstinés, qui soutiennent leurs péchés loin de les accuser ; tel fut ce peuple juif, ignorant la justice de Dieu et voulant faire valoir la sienne[348]. Mais comme il est dit que « l’aîné servira le second », il devient évident que les impies sont soumis aux hommes pieux, comme les humbles dominent les superbes. Esaü naquit le premier, et Jacob le second ; mais celui qui vint au monde le second fut préféré au premier qui vendit son droit d’aînesse par gourmandise. Voici ce qui est écrit : « Il convoita le plat de lentilles, et son frère lui dit : Si tu veux que je te le cède, vends-moi ton droit d’aînesse »[349]. Celui-ci préférant l’objet de sa convoitise au droit que lui avait donné sa naissance, donna son droit d’aînesse pour manger des lentilles. Or, nous voyons que la lentille est la nourriture des Égyptiens ; car elle abonde en Égypte. De là l’estime dont jouit la lentille d’Alexandrie, qui vient jusqu’en nos contrées ; comme s’il ne venait point de lentilles ici. Ce fut donc l’appétit d’un mets égyptien qui lui fit perdre son droit d’aînesse. Ainsi en est-il du peuple juif, dont il est dit : « Leurs cœurs se retournaient vers l’Égypte »[350], ils en convoitaient en quelque sorte les lentilles, et ils perdirent leur primauté. « Il nous a choisis pour son héritage ; c’est la beauté de Jacob qu’il a aimée ».
7. « Dieu s’élève au bruit des jubilations »[351]. Ce Dieu, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui s’élève au milieu de l’allégresse. « Le Seigneur monte au bruit de la trompette ». Il est monté ; mais où, si ce n’est où nous savons ? Ce fut là que les Juifs ne le suivirent point, pas même des yeux. Ils le raillèrent sur la croix[352], et ne le virent pas monter au ciel. « Le Seigneur s’élève au bruit des jubilations ». Qu’est-ce que la jubilation, sinon une joie qui admire et que les mots ne peuvent exprimer ? Mais les transports de joie et d’admiration des Apôtres, en voyant monter au ciel[353] celui dont ils avaient pleuré la mort, voilà ce que des paroles ne pouvaient exprimer ; ils n’avaient plus que des sons confus pour témoigner ce que des paroles ne pouvaient dire. Ce fut là que la trompette se fit entendre, cette voix des anges. Car il est dit : « Élevé la voix, comme la trompette »[354]. Les anges donc prêchèrent l’Ascension du Seigneur ; ils virent les disciples immobiles, frappés d’étonnement, de stupeur, muets, mais tressaillant dans leurs cœurs, quand le Seigneur montait au ciel ; puis retentit la trompette ou la voix des anges : « Hommes de Gaulée, pourquoi demeurer là ? Celui-là est Jésus »[355]. Comme s’ils n’eussent point connu Jésus. Ne l’avaient-ils pas vu à l’instant même devant eux ? Ne l’avaient-ils pas entendu converser avec eux ? Non seulement ils avaient vu son visage quand il était présent avec eux, mais ils avaient touché ses membres[356]. Pouvaient-ils donc ignorer que ce fût là Jésus ? Mais les anges leur parlaient comme à des hommes que l’admiration et la joie de l’allégresse avaient mis hors d’eux-mêmes, et leur disaient : « Celui-là est Jésus ». Comme s’ils eussent dit : Si vous croyez en lui, c’est bien là celui dont la mort sur la croix a fait chanceler vos pieds, celui dont la mort et la sépulture vous ont fait croire que vous l’aviez perdu ; c’est bien là ce Jésus. Il monte en votre présence, ce et un jour il viendra du ciel de la « même manière que vous l’y avez vu monter »[357]. Son corps se dérobe à vos regards, mais Dieu ne se sépare point de vos cœurs. Voyez-le s’élever, croyez en lui bien qu’il soit absent, espérez qu’il viendra ; toutefois, que sa miséricorde vous fasse sentir sa présence secrète. Car celui qui s’élève au ciel et se dérobe à vos yeux vous a fait cette promesse : « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles »[358]. C’est donc avec raison que l’Apôtre nous disait : « Le Seigneur est proche, soyez sans inquiétude »[359]. Le Christ est assis au haut des cieux, et les cieux sont loin de nous, et pourtant celui qui est assis là-haut est près de nous. « Le Seigneur s’élève au bruit des trompettes ». Donc vous, fils de Coré, si vous comprenez qui vous êtes, et si vous vous reconnaissez dans ce psaume, vous tressaillez de joie en vous y voyant.
8. « Chantez des hymnes à notre Dieu, chantez »[360] celui qui fut raillé comme un simple mortel, par ceux qui ne connaissaient point Dieu. « Chantez notre Dieu ». Car ce n’est pas seulement un homme, il est aussi Dieu. Homme, il est fils de David[361], et Dieu, il est Seigneur de David, ayant tiré sa chair de la souche des Juifs, « qui ont pour pères les patriarches », dit l’Apôtre, « et chez qui le Christ est né selon la chair ». Donc le Christ est selon la chair de la souche des Juifs. Mais quel est ce Christ qui tient aux Juifs par la chair ? « Celui qui est Dieu béni dans tous les siècles »[362]. Il était donc Dieu avant la chair, Dieu dans la chair, Dieu avec la chair. Non seulement il était Dieu avant la chair, mais Dieu avant la terre d’où la chair a été formée ; et non seulement encore avant la terre d’où la chair a été formée, mais Dieu avant le ciel qui fut créé avant la terre ; Dieu avant le premier jour qui ait été fait ; Dieu avant tous les anges, et ce Dieu était Christ ; car ce Au commencement était le Verbe, et le « Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; tout a été fait par lui, et rien de ce qui a été fait ne l’a été sans lui »[363]. Or, il est avant tout, celui par qui tout a été fait. « Chantez ce donc à notre Dieu, chantez ».
9. « Car Dieu est le roi de toute la terre »[364]. En effet, Dieu n’est-il point avant toute la terre ? N’est-il pas le Dieu du ciel et de la terre, qui n’ont été faits que par lui ? Qui pourrait dire qu’il n’est point son Dieu ? Mais tous les hommes ne l’ont point reconnu pour leur Dieu ; et ce Dieu connu en Judée »[365], était Dieu seulement de ces contrées où il était connu ; on ne disait point encore aux fils du Chauve : « Vous tous, peuples de la terre, battez des mains ». Or, ce Dieu connu des Juifs est le Dieu de toute la terre. Il est connu de tous, parce que s’est accomplie cette parole d’Isaïe : « Ce Dieu qui est le tien et qui t’a délivré, est appelé le Dieu de toute la terre[366]. Car Dieu est le Dieu de la terre entière, chantez avec intelligence ». Selon l’avis qu’il nous en donne, le Prophète nous apprend à chanter avec intelligence, et à chercher non point le son de l’oreille, mais bien la lumière du cœur. « Chantez », dit-il, ce avec intelligence ». Les Gentils, d’où vous avez été tirés pour devenir chrétiens, adoraient des dieux faits à la main, ils leur chantaient des hymnes, mais sans intelligence ; s’ils eussent chanté avec intelligence, ils n’eussent pas adoré des pierres ; qu’un homme raisonnable chante une pierre sans raison, dira-t-on qu’il chante avec intelligence ? Maintenant, mes frères, nos yeux ne voient pas le Dieu que nous adorons, et néanmoins nous l’adorons sans erreur. Dieu nous paraît bien plus grand quand il se dérobe à nos regards ; si nous le voyions de nos yeux, nous pourrions bien le mépriser. Les Juifs ont méprisé le Christ qu’ils voyaient, les Gentils l’ont adoré sans le voir. C’est à eux qu’il a été dit : « Chantez avec intelligence. Gardez-vous de ce ressembler aux animaux sans raison, à qui ce l’intelligence fait défaut »[367].
10. « Le Seigneur dominera tous les peuples »[368]. « Lui qui ne régnait que sur un seul peuple, régnera », dit le Prophète, « sur toutes les nations ». Quand le Psalmiste parlait ainsi, Dieu ne régnait que sur un seul peuple ; c’était une prophétie dont l’accomplissement n’était pas encore visible. Grâce à Dieu, nous voyons s’accomplir ce qui n’était qu’un germe prophétique. Dieu nous avait fait longtemps d’avance un billet qu’il acquitte à l’échéance. « Dieu régnera sur toutes les nations », c’est là une promesse. « Dieu s’assied sur son trône auguste ». Ce qui était promis alors s’accomplit maintenant, nous sommes en possession de la promesse, « Dieu est assis sur son trône auguste ». Quel est ce trône auguste ? Peut-être les cieux, et ce sens est bon. Car le Christ, comme nous le savons, s’est élevé aux cieux avec cette chair clouée à la croix, et il est assis à la droite du Père[369], d’où nous attendons qu’il vienne juger les vivants et les morts[370]. « Il est donc assis sur son trône auguste ». Les cieux, voilà son trône saint. Veux-tu être toi-même son trône ? Loin de toi de croire que tu ne le puisses ; prépare-lui une place dans ton cœur : il viendra s’y asseoir avec délices. C’est lui certainement qui est la force de Dieu, la sagesse de Dieu[371]. Et que dit l’Écriture à propos de la sagesse ? L’âme des justes est pour la sagesse un trône[372]. Donc si ton âme est juste, la sagesse y est assise ; que ton âme soit juste, et alors elle sera pour la sagesse un trône royal. En vérité, mes frères, tout homme qui vit saintement, dont les œuvres sont pures, dont la conduite respire la charité la plus dévouée, n’est-il pas un trône où Dieu s’assied pour commander ? L’âme reçoit les ordres de Dieu qui siège en elle, et les transmet aux membres. Car c’est ton âme qui commande à tes membres, qui imprime le mouvement à ton pied, à ta main, à ton œil, à ton oreille, c’est elle qui commande à tes membres comme à des serviteurs ; mais elle-même obéit intérieurement au Seigneur qui demeure en elle. Elle n’a point le droit de commander à ses inférieurs, elle ne se soumet elle-même volontiers à celui qui est au-dessus d’elle. « Dieu siège sur non trône auguste ».
11. « Les princes des peuples se sont unis au Dieu d’Abraham »[373]. Dieu est le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob[374]. Tout cela est vrai, Dieu l’a dit, et les Juifs s’en sont enorgueillis, en disant : « Nous sommes les enfants d’Abraham »[375]. Ils se glorifiaient du nom de leur père, et du sang qu’ils tenaient de lui, sans en avoir la foi ; attachés à lui par le sang, ils dégénéraient par les mœurs. Que dit enfin le Seigneur aux hommes orgueilleux ? « Si vous êtes les enfants d’Abraham, faites les œuvres d’Abraham »[376]. Que dit aussi Jean à quelques-uns d’entre eux qui venaient à lui en tremblant, et qui voulaient se corriger par la pénitence ? « Race de vipères ». Ils étaient alors injustes, ils étaient corrompus, ils étaient pécheurs, ils étaient impies[377] ; ils venaient pour recevoir le baptême de Jean ; que leur dit-il ? « Race de vipères ». Ils se vantaient d’être les fils d’Abraham, et il les appelle fils de vipères. Abraham était-il donc une vipère ? Mais dans leur vie dépravée ils avaient imité les démons, et ils étaient devenus les fils de ceux qu’ils imitaient par leur dépravation. « Race de vipères », leur dit-il, « qui donc vous a enseigné à fuir la colère qui s’approche ? Faites de dignes fruits de pénitence, et ne dites pas en vous-mêmes nous avons Abraham pour père, comme pour vous enorgueillir du sang d’Abraham ; car Dieu peut susciter de ces pierres mêmes des enfants d’Abraham »[378]. Abraham ne serait point sans postérité, quand même Dieu vous damnerait ; car il a le pouvoir de damner ceux qu’il hait et de donner à Abraham les fils qu’il lui a promis. Et d’où lui donnera-t-il des fils, s’il vient à damner les Hébreux, qui sont nés de sa chair ? « De ces pierres mêmes », et il leur montrait les rochers du désert. Quels étaient ces rochers, sinon les Gentils qui adoraient des pierres ? Comment donc étaient-ils des pierres ? En adorant des pierres, ils méritaient d’être appelés des pierres, selon cette prophétie du Psalmiste : « Qu’ils deviennent semblables à ces idoles, ceux qui les font, et ceux qui se confient en elles »[379]. Toutefois Dieu a suscité de ces pierres des enfants d’Abraham ; car nous tous qui adorions des pierres, nous sommes convertis au Seigneur, nous sommes devenus enfants d’Abraham, non par la voie de la chair, mais par l’imitation de sa foi. « Donc les princes des peuples se sont unis au Dieu d’Abraham ». Et ces princes des peuples sont les princes des Gentils, non les princes d’un seul peuple ; et ces chefs de tous les peuples « se sont unis au Dieu d’Abraham ».
12. Parmi ces princes était le centurion dont vous venez d’entendre parler dans l’Évangile. Car ce centurion était élevé en honneur et en puissance parmi les hommes, il avait sa place parmi les princes du peuple. Il envoya ses amis au-devant du Christ qui venait chez lui, ou plutôt il envoya ses amis au Christ qui devait passer par là, et le pria de guérir son serviteur qui était malade. Comme le Seigneur voulait y venir en personne, il lui fit dire : « Je ne suis pas digne que vous entriez ce sous mon toit, mais dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri. Car je suis ce homme sous la puissance d’autrui, ayant sous ce moi des soldats ». Considérez l’ordre qu’il suit : il dit d’abord qu’il est sous les ordres d’un chef, et ensuite qu’il commande à. des soldats. Je suis sous la puissance d’un autre et j’en ai d’autres sous ma puissance ; je suis assujetti et d’autres me sont assujettis. « Et je dis à l’un : Va, et il va ; et à l’autre : Viens, et il vient ; et à mon serviteur : Fais ceci, et il le fait ». Comme s’il disait : Si moi, qui dois obéir à des supérieurs, je commande à mes subalternes ; vous, qui n’êtes sous la puissance d’aucun autre, ne pouvez-vous pas commander à votre créature, puisque tout a été fait par vous et rien sans vous ? « Dites donc une parole », ajoute le centurion, « et mon serviteur sera guéri. Car je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison ». Il n’osait introduire dans sa maison le Christ qu’il avait déjà dans son cœur : son âme était déjà le trône du Christ, et celui qui cherche les humbles y était assis. « Plein d’admiration le Christ se retourne et dit à ceux qui le suivaient : En vérité, je vous le déclare, je n’ai pas trouvé une foi aussi grande en Israël »[380]. Et d’après un autre Évangéliste qui nous raconte le même fait, le Seigneur ajoute : « C’est pourquoi je vous dis que beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident, et reposeront avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux »[381]. Ce centurion n’était pas du peuple d’Israël. Car dans ce peuple d’Israël des orgueilleux rejetaient Dieu de chez eux ; et parmi les princes des Gentils il se trouve un homme humble qui l’appelle chez lui. Jésus admirant sa foi condamne la perfidie des Juifs. Car ils se croyaient en santé quand ils étaient dangereusement malades, et ils tuaient le médecin sans le connaître. Que leur dit-il donc pour rabattre et condamner leur orgueil ? « Je vous le déclare, beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident », et qui n’appartiennent point à la race d’Israël : ils viendront, ceux auxquels le Psalmiste a dit : « Vous tous, ô peuples, battez des mains ; et ils reposeront avec Abraham dans le royaume des cieux ». Abraham n’est pas leur père selon la chair, et néanmoins ils reposeront avec lui dans le royaume des cieux, et ils seront ses enfants. Pourquoi ses enfants ? Non qu’ils soient issus de sa chair, mais parce qu’ils ont imité sa foi. « Quant aux fils de ce royaume », c’est-à-dire aux Juifs, « ils iront dans les ténèbres extérieures : c’est là qu’il y aura pleur et grincement de dents »[382]. Ceux qui sont nés d’Abraham selon la chair seront condamnés aux ténèbres extérieures, et ceux qui auront imité sa foi reposeront avec lui dans le royaume des cieux. C’est donc avec raison que le Prophète a dit : « Les princes des peuples se sont unis au Dieu d’Abraham ».
13. Que deviendront ceux qui appartiennent au Dieu d’Abraham ? « Voilà que les dieux forts de la terre se sont élevés jusqu’à l’excès ». Ceux qui étaient dieux, ce peuple de Dieu, cette vigne de Dieu, dont il est dit : « Jugez entre ma vigne et moi », seront jetés dans les ténèbres extérieures, ils ne reposeront point avec Abraham, Isaac et Jacob, ils ne s’unissent point au Dieu d’Abraham. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient de puissants dieux de la terre, et qu’ils n’espéraient que dans la terre. Dans quelle terre ? En eux-mêmes, puisque tout homme est terre. Il a été dit à l’homme en effet : « Tu es terre et tu retourneras en terre »[383]. Or, c’est de Dieu et non de soi-même que l’homme doit tout espérer et attendre son secours. Ce n’est point d’elle-même que viennent à la terre la pluie et la lumière. De même que la terre doit attendre du ciel la pluie et le soleil, ainsi l’homme doit attendre de Dieu la miséricorde et la vérité. Donc « ces dieux de la terre se sont élevés outre mesure », c’est-à-dire se sont enorgueillis, ils n’ont pas cru avoir besoin de médecin, et ils sont demeurés dans leur maladie, et la maladie les a conduits à la mort. Les branches naturelles ont été coupées, afin que l’on pût insérer l’humble olivier sauvage[384]. « Parce que les puissants dieux de la terre se sont élevés outre mesure ». Conservons donc en nous, mes frères, l’humilité, la charité, la piété ; appelés à la place de ces réprouvés, craignons de les suivre dans le chemin de l’orgueil.
DISCOURS SUR LE PSAUME 47
modifierSERMON AU PEUPLE.
modifierÉTABLISSEMENT DE L’ÉGLISE.
modifierCe psaume est pour le deuxième jour de la semaine, celui où fut formé le firmament par Jésus-Christ ressuscité. Ce firmament est l’image de l’Église, qui est la cité du grand roi, la montagne sainte sur laquelle Dieu exauce nos prières, et qui remplit le monde entier ; Elle est un seul édifice formé néanmoins de la circoncision et de la gentilité, deux murailles unies par le Christ, qui est la pierre de l’angle. La gentilité, figurée par l’aquilon, dépose son orgueil, vient avec ses rois recevoir la grâce. Mélange des bons et des méchants ; les bons sont le froment parfois recouvert de paille. La force de Sion, c’est la charité qui nous fait proclamer Jésus-Christ comme notre Dieu.
1. Ce psaume a pour titre : « Cantique à la louange des fils de Coré, pour le second jour de la semaine »[385]. Écoutez, comme les enfants du ciel, ce que le Seigneur voudra bien me suggérer à ce sujet. Ce fut le second jour de semaine, ou le lendemain du jour que nous appelons dimanche, et que l’on appelle encore tonde férie, que fut créé le firmament du ciel, ou plutôt le firmament qui est le ciel. Car Dieu donna au ciel le nom de firmament[386]. Le premier jour il avait fait la lumière qu’il avait séparée des ténèbres ; il avait appelé la lumière jour, et les ténèbres nuit. Or, comme l’indique le contexte du psaume, Dieu nous marque dans cet ouvrage quelque chose qui sait s’accomplir en nous ; et les siècles se sont écoulés sur le modèle de cette création n’est point en effet sans raison que le Seigneur a dit de Moïse : « C’est de moi qu’il a écrit »[387], puisque toutes les Écritures, même celles qui regardent la création, peuvent être envisagées comme une prophétie de l’avenir ; et qu’ainsi la création de la lumière annonçait la résurrection du Christ. Car alors la lumière fut vraiment séparée des ténèbres, quand l’immortalité se dégagea des liens, de mort. Quelle devait en être la conséquence, sinon qu’il se formât pour ce chef un corps qui est l’Église ? Enfin, il y a aussi un autre psaume, pour le premier jour du Sabbat, et qui annonce clairement la résurrection du Seigneur. Car on y lit : « Princes, ouvrez vos portes ; élevez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera »[388]. N’est-il pas visible que ce Roi de gloire est le Christ ? Lui dont saint Paul a dit : « S’ils eussent connu le Roi de gloire, ils ne l’eussent jamais crucifié »[389]. Donc par le second jour de la semaine il nous est impossible d’entendre autre chose que l’Église du Christ ; mais l’Église du Christ dans les saints, l’Église du Christ dans ceux dont les noms sont écrits au ciel, l’Église du Christ dans ceux qui ne cèdent point aux tentations de ce monde. Car ceux-là méritent de s’appeler firmament. C’est donc l’Église du Christ qui est appelée firmament, dans ceux qui sont forts et dont l’Apôtre a dit : « Nous devons, nous qui sommes plus forts, supporter les faiblesses des infirmes »[390]. C’est de ce firmament qu’il est parlé dans ce Psaume. Écoutons-le, comprenons-le, associons-nous à la gloire et au règne qu’il célèbre. Aussi voyons-nous que tette Église est appelée un firmament dans les lettres de l’Apôtre ; écoutons et voyons : « Elle est », dit-il, « l’Église de Dieu, la colonne et le firmament de la vérité »[391]. C’est de ce firmament que notre psaume entretient les fils de Coré, que vous savez déjà être les fils de l’Époux crucifié au Calvaire[392] ; car Coré signifie Chauve. Voici donc la suite du psaume intitulé : « Le second jour de la semaine ».
2. « Le Seigneur est grand et digne de nos louanges »[393]. Oui, « le Seigneur est grand, il est souverainement louable » ; mais est-il béni par les infidèles ? Est-il béni par ceux qui le connaissent et qui néanmoins vivent dans le désordre, qui sont pour le nom du Seigneur une cause de blasphème parmi les nations ?[394] Ceux-là bénissent-ils Dieu ? Quand même ils le béniraient, leurs bénédictions seraient-elles acceptées, puisqu’il est écrit : « La louange n’est pas bonne dans la bouche d’un pécheur[395] ? » Tu nous dis donc, ô saint Prophète : « Le Seigneur est grand et souverainement digne de nos louanges ». Mais dis-nous, en quel endroit le faut-il bénir ? « Dans la cité de notre Dieu, sur la montagne sainte ». Il est dit ailleurs à propos de cette montagne : « Qui s’élèvera sur la montagne du Seigneur ? L’homme au cœur pur, aux mains innocentes[396] ». C’est pour eux que « le Seigneur est grand et souverainement louable » ; et encore : « Dans la cité de notre Dieu, sur la montagne sainte ». Telle est la cité placée sur la montagne et qui ne peut être cachée[397]. Tel est le flambeau que l’on ne cache point sous le boisseau, que chacun connaît, qui brille partout. Mais tous ne sont pas citoyens de cette ville ; il n’y a que ceux pour qui « le Seigneur est grand et souverainement louable ». Voyons quelle est cette cité ; et comme il est dit : « Dans la cité de notre Dieu, sur la montagne sainte », peut-être devons-nous rechercher aussi cette montagne où Dieu exauce nos prières. Car ce n’est probablement pas sans raison qu’il est dit dans un autre psaume : « Ma voix s’est élevée jusqu’à Dieu, et il m’a exaucé du haut de la montagne sainte[398] ». Cette montagne a contribué à te faire exaucer. Car si tu n’y étais monté, tu aurais pu crier d’en bas, mais non être exaucé. Quelle est donc cette montagne, mes frères ? Il faut la rechercher avec soin, avec la plus vive attention ; il faut des efforts pour s’en emparer et y monter. Mais que faire si elle n’occupe qu’un lieu dans le monde ? Faudra-t-il quitter la patrie pour arriver à cette montagne ? Au contraire, ne pas l’habiter, c’est être hors de notre patrie. Car c’est bien elle qui est notre cité, si nous sommes les membres de ce roi qui est le chef de la cité. Où donc est cette montagne ? Si elle occupait une seule partie du monde, il nous faudrait tout entreprendre pour y arriver. Mais à quoi bon te tourmenter ? Plaise à Dieu que tu ne mettes pas plus de lenteur pour aller à cette montagne qu’elle n’en a mis à venir t’éveiller. Il y eut en effet une pierre angulaire méprisée par les Juifs[399], qui s’y heurtèrent, détachée d’une certaine montagne sans la main d’un homme[400], c’est-à-dire détachée du royaume des Juifs, et qui vint sans la main d’un homme, parce que nul homme n’eut part à cet enfantement de Marie qui mit au monde Jésus-Christ[401]. Mais si cette pierre était demeurée à l’endroit où les Juifs la heurtèrent[402], tu n’aurais rien où tu puisses monter. Qu’est-il donc arrivé ? Que dit la prophétie de Daniel ? sinon que cette pierre a grandi et qu’elle est devenue une grande montagne ? Combien grande ? jusqu’à remplir toute la terre[403]. Donc, cette montagne en grandissant, jusqu’à embrasser toute la terre, est venue jusqu’à nous. À quoi bon dès lors chercher cette montagne comme si elle était loin de nous, et ne pas y monter puisqu’elle est sous nos yeux, afin que pour nous aussi, « le Seigneur soit grand et souverainement louable ? »
3. Et même afin que tu ne puisses méconnaître la montagne dont parle notre psaume, et que tu ne croies devoir la chercher en quelque lieu de la terre, écoute la suite. Après avoir dit : « Dans la cité de notre Dieu, sur la montagne sainte », qu’ajoute le Psalmiste ? « Vous étendez les montagnes de Sion qui sont la joie de la terre entière[404] ». Il n’y a qu’une seule montagne de Sion : pourquoi est-il dit : « Les montagnes ? » Serait-ce parce que ceux-là aussi appartiennent à Sion, qui sont venus d’un côté différent, de manière à se rencontrer dans la pierre de l’angle, et à former deux murs, comme deux montagnes dont l’une viendrait des circoncis, l’autre des incirconcis, l’un des Juifs, l’autre des Gentils, et qui dès lors ne sont plus séparés ? S’il y a une divergence parce qu’ils viennent de directions différentes, ils ne sont plus différents dans l’angle qui les unit. « C’est lui », dit l’Apôtre, « qui est notre paix, c’est lui qui de deux peuples n’en fait qu’un ; c’est là cette pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs, et qui est devenue la pierre angulaire »[405]. Cette montagne a réuni en elle deux montagnes. C’est un seul édifice, et il y a pourtant deux édifices : deux à cause des deux peuples qui viennent de deux directions différentes, un seul à cause de la pierre angulaire qui les unit. Écoute ceci encore : « Les montagnes de Sion, les flancs de l’Aquilon, sont la cité du grand roi »[406]. Au nom de Sion, tu te figurais cet unique endroit de la terre où est bâtie Jérusalem, et tu n’y rencontrais qu’un peuple circoncis, et dont Jésus-Christ n’a recueilli que les restes, la plus grande partie ayant été chassée par le vent comme la paille. Il est écrit en effet : « Les restes seront sauvés[407] ». Mais jette les yeux sur les Gentils, et vois l’olivier sauvage greffé sur l’olivier franc[408], dont il boit la sève. Les Gentils sont donc « ces flancs de l’Aquilon » ajoutés au palais du grand Roi. L’Aquilon est ordinairement opposé à Sion, car Sion est au midi, et l’Aquilon est l’opposé du midi. Quel est cet Aquilon, sinon celui qui a dit : « J’établirai mon trône du côté de l’Aquilon, et je serai semblable au Très-Haut[409] ? » C’était jadis l’empire de Satan, qui régnait sur les Gentils adonnés à l’idolâtrie et au culte des démons. Or, tout ce qu’il y avait d’hommes dans l’univers entier, s’étant attaché à lui, était devenu Aquilon. Mais comme celui qui peut enchaîner le fort, lui enlève aussi ses dépouilles[410], et se les approprie, les hommes délivrés de l’infidélité et du culte superstitieux des démons, ont cru au Christ et sont entrés dans la structure de cette ville, et ils se sont rencontrés, à l’angle, avec cette muraille qui venait de la circoncision, et ces flancs de l’aquilon sont devenus la cité du grand Roi. Aussi est-il dit dans un autre endroit de l’Écriture : « Les nuées aux reflets d’or viennent de l’Aquilon, c’est en elles que le Tout-Puissant fait consister son honneur et sa gloire[411] ». La convalescence d’un malade désespéré fait la gloire du médecin. Les nuées de l’Aquilon ne sont point noires, ni ténébreuses, ni obscures, mais elles ont des reflets d’or. D’où vient cela, sinon de la grâce qui les éclaire par le Christ ? Voilà « les flancs de l’Aquilon devenus la cité du grand Roi ». Ils sont bien des flancs, puisqu’ils avaient adhéré au démon. On dit en effet de ceux qui s’attachent à quelqu’un qu’ils sont toujours à ses côtés. Souvent encore, à propos de quelques hommes, nous disons : Il est honnête homme et pourtant mal flanqué ; c’est-à-dire, il a de la probité, mais ceux qui l’accompagnent sont mauvais. Donc les flancs de l’Aquilon désignent ceux qui adhéraient au diable ; c’est de là que revenait celui dont nous entendions tout à l’heure l’histoire, qui était mort et qui ressuscita, qui était perdu et qui fut retrouvé[412]. Il s’en était allé dans une région lointaine, était arrivé jusqu’à l’Aquilon, et là, comme vous l’avez entendu, s’était attaché à un prince de ces contrées. Il devint donc un flanc de l’Aquilon en s’attachant à ce prince de ces contrées ; mais comme la cité du grand Roi se peuple des flancs de l’Aquilon, il rentra en lui-même et dit : « Je me lèverai et j’irai à mon Père[413] ». Alors, accourant au-devant de lui, il s’écria : « Il était mort, il est ressuscité ; il était perdu et je l’ai retrouvé ». Le veau gras devint la pierre angulaire[414]. Enfin, le fils aîné, qui ne voulait prendre aucune part au festin, entra sur les instances de son père : et ainsi ces deux murailles, comme ces deux fils, arrivèrent au veau gras et formèrent la cité du grand Roi.
4. Continuons donc le psaume et disons : « Dieu sera connu dans ses demeures[415] ». Dans ses demeures, est-il dit, à cause des montagnes, à cause des deux murailles, à cause des deux fils. « Le Seigneur sera connu dans ses palais ». Mais le Prophète ajoute à l’instant, pour nous prêcher la grâce : « Quand il en prendra la garde ». Que deviendrait en effet la cité, si Dieu ne la gardait ? Ne s’écroulerait-elle pas à l’instant, si elle n’avait tin tel fondement ? Car nul ne peut en poser d’autre que celui qui a été posé et qui est Jésus-Christ[416], « Que nul donc ne se prévale de ses mérites, mais que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur »[417] ; puisque cette ville n’est grande, et que le Seigneur n’est en elle qu’à la condition qu’il en prendra la garde : comme un médecin prend un malade pour le guérir, et non pour l’aimer tel qu’il est. Le médecin, en effet, n’aime pas la fièvre. Il n’aime pas le malade non plus, et néanmoins il l’aime. S’il aimait le malade, il le souhaiterait toujours en cet état, et s’il n’aimait le malade, il ne viendrait pas le visiter ; il aime donc le malade afin de le guérir. Le Seigneur a donc pris cette cité sous sa garde, et il s’y est fait connaître, c’est-à-dire que sa grâce y a été connue ; car tous les privilèges de cette ville qui se glorifie en Dieu, elle ne les tient pas d’elle-même. De là vient cette parole qui lui est adressée : « Qu’avez vous que vous n’ayez reçu ? Mais si vous avez reçu, pourquoi vous glorifier comme si vous « n’aviez pas reçu[418] ? » « Le Seigneur sera donc connu dans les demeures de cette ville, quand il l’aura prise sous sa garde ».
5. « Car voilà que les rois de la terre se sont rassemblés[419] ». Voyez comme viennent ces flancs de l’Aquilon, voyez comme ils disent : « Venez, allons à la montagne du Seigneur ; car il nous a fait connaître ses voies, afin que nous y marchions[420]. Voilà que les rois de la terre se sont rassemblés, ils se sont réunis dans l’unité ». Où donc se sont-ils réunis dans l’unité, sinon en celui qui est la pierre angulaire[421] ? « Eux-mêmes à cette vue ont été dans l’admiration ». Après qu’ils ont admiré les miracles et la gloire du Christ, qu’est-il arrivé ? « Ils ont été dans la stupéfaction, dans le trouble, saisis de crainte[422] ». D’où leur venait cette crainte, sinon du remords de leurs péchés ? Que les rois courent donc après ce roi, que les potentats le reconnaissent pour maître. Aussi est-il dit ailleurs : « Pour moi, j’ai été établi roi dans Sion, sur la montagne sainte, pour prêcher la loi du Seigneur ; le Seigneur m’a dit : Tu es mon fils, je t’ai engendré aujourd’hui. Demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage, et ton domaine s’étendra jusqu’aux confins de la terre ; tu les gouverneras avec un sceptre de fer, tu les briseras comme un vase d’argile[423] ». Le roi établi dans Sion a été entendu, et il a reçu en héritage les confins de la terre. Les rois ont-ils donc à redouter de perdre leur domination, de se la voir enlever, comme le craignit ce misérable Hérode, qui, pour tuer un petit enfant, en fit mourir tant d’autres[424] ? Il craignait de perdre la royauté, et il ne mérita point de connaître le roi. Hélas ! que n’adorait-il ce roi avec les Mages ! la malheureuse passion de régner ne lui eût pas fait égorger tant d’innocents pour mourir si coupable. Sa part, en effet, fut d’égorger des innocents, et le Christ, nonobstant son jeune âge, couronna ces enfants qui mouraient pour lui. Il y avait donc de quoi trembler pour les rois, quand le Christ disait : « Pour moi, j’ai été établi roi par lui », et celui qui m’a sacré roi me donnera pour héritage les confins de la terre. Pourquoi, ô rois, porter envie à ce roi ? Voyez-le, mais sans envie. Car il est bien différent des autres, celui qui a dit : « Mon royaume n’est pas de ce monde[425] ». Ne craignez donc point qu’il vous ôte un royaume temporel, il vous donnera au contraire un royaume, mais dans les cieux, dont il est le Roi. Quelle est donc la suite du psaume ? « Et maintenant, ô rois, comprenez ». Déjà s’aiguisait votre envie : « Comprenez » qu’il s’agit d’un roi tout différent, dont le royaume n’est point d’ici-bas. C’est donc à bon droit que les rois de la terre se sont rassemblés, se sont troublés, ont été saisis de crainte ». De là vient qu’on leur dit : « Maintenant, ô rois, comprenez, instruisez-vous, juges de la terre[426] », Et qu’ont-ils fait ? « Ils ont ressenti des douleurs comme celles de l’enfantement ». Quelles sont « ces douleurs comme celles de l’enfantement », sinon les douleurs de la pénitence ? Voyez encore ces douleurs, ce travail de l’enfantement : « Votre crainte, ô Dieu », s’écrie Isaïe, « nous a fait concevoir et enfanter l’esprit de salut[427] », Ainsi conçurent les rois, dans la crainte que leur inspira le Christ, et ils enfantèrent le salut en s’attachant par la foi à celui qu’ils redoutaient. « Là donc sont des douleurs comme celles de l’enfantement ». Quand on parle d’enfantement, espérez un fruit. Le vieil homme a enfanté, et il en est résulté l’homme nouveau. « Là sont des douleurs comme celles de l’enfantement ».
6. « D’un souffle tempétueux vous briserez les vaisseaux de Tharsis[428] ». C’est-à-dire, en un mot, vous renverserez l’orgueil des Gentils. Mais quel est dans cette histoire le fait qui marquerait en figure la chute de l’orgueil des nations ? À cause « des vaisseaux de Tharsis ». Les savants ont cherché quelle était cette ville de Tharsis, c’est-à-dire quelle ville pouvait être ainsi désignée. Les uns ont cru que la Cilicie était désignée sous le nom de Tharsis, à cause de Tharse, qui en est la métropole. C’était la patrie de l’apôtre saint Paul, né à Tharse en Cilicie[429]. D’autres y ont vu Carthage, qui aurait peut-être jadis porté ce nom, ou que désignerait quelque expression semblable. Dans le prophète Isaïe on trouve en effet : « Hurlez, vaisseaux de Carthage[430][431] ». Un même endroit d’Ézéchiel est traduit, Carthage par les uns et Tharsis par les autres[432][433] : cette variante chez les interprètes pourrait bien nous faire croire que cette ville appelée Carthage est appelée ici Tharsis. On sait en effet que Carthage, à son origine, était florissante en vaisseaux, et tellement florissante qu’elle était célèbre chez tous les peuples par son commerce et sa navigation. Car Didon, fuyant son frère et abordant ces côtes d’Afrique, où elle bâtit Carthage, avait enlevé, du consentement des principaux du pays, tous les vaisseaux qui mouillaient près de Tyr pour le commerce. Depuis son origine, Carthage n’a jamais manqué de vaisseaux pour le négoce. De là l’orgueil de cette cité ; en sorte que, sous la figure de ses vaisseaux, on peut voir l’orgueil des nations, qui fondent leur espoir sur des choses inconstantes comme le souffle des vents. Ne mettons donc point notre confiance dans nos voiles nombreuses, ni dans la prospérité du siècle, houleux comme la mer ; que notre point d’appui soit dans Sion, où nous pourrons être solidement établis, et non plus exposés à tout vent de doctrine[434]. Que tous ceux alors que les biens de cette vie enflaient d’orgueil soient renversés, et que tout orgueil des Gentils soit soumis au Christ, « qui doit briser d’un souffle impétueux les vaisseaux de Tharsis », non pas d’une ville quelconque, mais de Tharsis. Pourquoi « d’un souffle impétueux ? » C’est-à-dire, par une grande crainte. Tout orgueil, en effet, a redouté le jugement du Christ, au point de croire en lui avec humilité, pour ne plus craindre sa gloire.
7. « Ce qui nous était annoncé, nous le voyons dans la cité de Dieu[435] ». O bienheureuse Église, un jour tu as entendu, un autre jour tu as vu. Elle a entendu les promesses, elle en voit l’accomplissement ; elle a entendu les Prophètes, elle voit l’Évangile. Tout ce qui s’accomplit aujourd’hui a été prophétisé. Élevé donc les yeux, tourne tes regards dans le monde entier et vois ses possessions s’étendre jusqu’aux confins de la terre ; vois s’accomplir cette prophétie : « Tous les rois de la terre se prosterneront devant lui, tous les peuples le serviront[436] ». Vois comme s’est accomplie cette parole : « Élevez-vous, ô Dieu, par-dessus les cieux, et que votre gloire s’étende par toute la terre[437] ». Contemple donc celui dont les mains et les pieds furent percés par des clous, dont on a pu compter les os lorsqu’il pendait à la croix, dont la robe fut tirée au sort[438] : vois dans sa royauté celui qu’ils ont vu pendu à la croix ; vois siéger dans les cieux celui qu’ils ont méprisé quand il marchait sur la terre. Vois dès lors s’accomplir cette parole : « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui, toutes les nations du monde se prosterneront devant lui[439] ». À cette vue tu n’as plus qu’à t’écrier : « Ce qui était annoncé, nous le voyons ». C’est avec raison que l’Église est ainsi appelée du milieu des Gentils : « Ecoute, ô ma fille, et vois ; oublie ton peuple et la maison de ton père[440] ». Ton père était jadis l’Aquilon, viens à Sion, à la montagne sainte. Écoute et vois non pas vois et écoute, mais écoute et vois d’abord écoute, et vois ensuite. Vous écoutez d’abord ce que vous ne voyez pas, et ensuite vous verrez ce que vous aurez entendu. « Un peuple qui m’était inconnu m’a servi », dit le Prophète, « il m’a écouté lorsqu’il m’a entendu parler ». S’il s’est rendu parce qu’il a entendu, il n’avait donc point vu. Que deviendrait cette parole : « Ceux à qui il n’avait pas été annoncé verront sa lumière, et ceux qui n’ont rien ouï de lui le comprendront ? » Ceux à qui les Prophètes n’ont pas été envoyés, ont été les premiers à écouter et à comprendre les Prophètes ; ceux qui d’abord ne les avaient pas entendus, les ont écoutés ensuite avec admiration. Mais ceux à qui les Prophètes étaient envoyés sont demeurés en arrière, portant nos livres, n’en comprenant pas la vérité. Ils avaient les tables du Testament et n’en ont point l’héritage. Pour nous, « ce qui nous a été annoncé, nous le voyons, dans la cité du Dieu des armées, dans la cité de notre Dieu ». C’est là que nous avons entendu, là aussi que nous avons vu. Quiconque est au-dehors ne peut entendre ni voir ; quiconque est dans cette ville n’est ni sourd ni aveugle : « Comme nous avons entendu, ainsi nous avons vu ». Où donc as-tu entendu ? Où as-tu vu ? « Dans la cité du Dieu des vertus, dans la cité de nôtre Dieu. Le Seigneur l’a fondée pour l’éternité ». Qu’ils ne viennent point nous insulter, ces hérétiques divisés par provinces ; qu’ils ne s’élèvent point, en disant : « Le Christ est ici ou il est là[441] ! » Nous dire que le Christ est ici ou qu’il est là, c’est nous porter à la division. Dieu nous a promis l’unité : les rois ont été rassemblés dans l’unité et non divisés par le schisme. Cette cité qui embrasse le monde entier sera peut-être détruite un jour ? Point du tout. « Dieu l’a fondée pour l’éternité ». Si donc c’est pour l’éternité que Dieu l’a fondée, pourquoi redouter que le fondement soit renversé ?
8. « Grand Dieu ! nous avons senti votre miséricorde au milieu de votre peuple[442] ». Qui donc a ressenti cette miséricorde, et où l’a-t-il ressentie ? N’est-ce point votre peuple, ô Dieu, qui a ressenti votre miséricorde, et comment « l’avons-nous ressentie au milieu de votre peuple ? » comme si autres étaient ceux qui l’ont ressentie, et autres ceux au milieu desquels ils l’ont ressentie. C’est là, mes frères, un grand symbole, que vous connaissez pourtant ; et quand nous aurons dégagé d’ici, ou de ces versets, ce que vous connaissez, il n’en sera pas plus obscur, mais plus doux. En cette vie on range dans le peuple de Dieu tous ceux qui participent à ses sacrements, quoique tous n’aient point la même part à sa miséricorde. Tous ceux qui reçoivent le sacrement de baptême, sont appelés chrétiens, mais tous ne vivent pas d’une manière digne de ce sacrement. Car il est plusieurs dont l’Apôtre a dit « qu’ils ont l’apparence de la piété, sans en avoir la réalité[443] ». Néanmoins celte apparence de piété leur donne un rang dans le peuple de Dieu, de même que, quand on bat le grain dans l’aire, la paille y tient une place comme le froment. Mais aura-t-elle aussi sa place dans le grenier ? C’est au milieu de ce peuple mauvais qu’habite le peuple de Dieu qui a ressenti les effets de sa miséricorde. Il vit d’une manière digne de cette miséricorde, car il écoute, il retient, il pratique ce conseil de saint Paul : « Nous vous enjoignons et vous conjurons de ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu[444] ». Celui-là donc reçoit tout à la fois le sacrement et la miséricorde de Dieu, qui ne reçoit pas en vain la grâce de Dieu. Est-ce alors un obstacle pour lui d’habiter au milieu d’un peuple insubordonné, jusqu’à ce que le van passe dans l’aire, et que les bons soient séparés des méchants ? Est-ce un obstacle d’habiter chez ces peuples ? Qu’il s’efforce d’être de ceux qui sont appelés firmament en recevant la divine miséricorde, qu’il soit un lis au milieu des épines. Car veux-tu comprendre que les épines elles-mêmes appartiennent au royaume de Dieu ? Voici une comparaison : « Comme le lis », dit l’Écriture, « est au milieu des épines, ainsi est ma bien-aimée au milieu des filles[445] ». Est-il dit au milieu des étrangères ? Non, mais au milieu des filles. Il y a donc des filles qui sont mauvaises et il y en a d’autres qui sont parmi elles comme des lis au milieu des épines. Donc ceux qui ont part aux sacrements, sans mener une vie pure, sont appelés enfants de Dieu sans être enfants de Dieu : on dit qu’ils sont à lui et ils lui sont étrangers ; à lui à cause du sacrement ; étrangers à cause de leurs vices. Il en est de même des filles étrangères : elles sont filles à cause de leur piété apparente, étrangères parce qu’elles ont perdu la vertu. Que le lis y habite aussi, qu’il y reçoive la divine miséricorde, qu’il conserve la racine d’une belle fleur, et ne se montre pas ingrat envers la douce rosée qui tombera du ciel. Que les épines soient ingrates et croissent par ces pluies ; elles croissent pour le feu, et non pour le grenier. « Grand Dieu ! nous avons reçu votre miséricorde au milieu de votre peuple ». Oui, au milieu de ce peuple insensible à votre miséricorde, nous avons reçu votre miséricorde. « Le Christ est venu en effet chez les siens, et les siens ne l’ont point reçu ». Mais « à tous ceux qui l’ont reçu » au milieu du peuple, « il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu[446] ».
9. Mais ici tout homme qui réfléchit se demande : Quoi donc ? Ce peuple qui, au milieu du peuple de Dieu, reçoit la divine miséricorde, est-il bien nombreux ? Hélas, qu’il est en petit nombre ! c’est à peine si l’on en trouve quelques-uns : et Dieu se contentera-t-il de si peu, et perdra-t-il le grand nombre ? Ainsi parlent ceux qui se promettent ce qu’ils n’ont pas entendu promettre par le Seigneur. Est-il vrai que si nous vivons dans le désordre, si nous jouissons des plaisirs du monde, si nous donnons satisfaction à nos convoitises, Dieu nous perdra ? Combien en trouvera-t-on pour garder les commandements de Dieu ? À peine en trouverez-vous un ou deux, bien peu du moins. Dieu ne doit-il sauver que ceux-là, et damner les autres ? Point du tout, nous dit-on, mais quand il viendra, et qu’il verra une si grande foule à sa gauche, il en aura pitié et pardonnera tout. C’est bien là ce que promit le serpent au premier homme : Dieu l’avait menacé de la mort, s’il touchait au fruit défendu[447] ; « Point du tout », dit le serpent, « vous ne mourrez point[448] ». Nos premiers parents crurent le serpent, et virent que la menace de Dieu était vraie, que la promesse du diable était fausse. Ainsi en est-il aujourd’hui, mes frères ; figurez-vous l’Église comme un paradis terrestre où le serpent ne cesse de suggérer ce qu’il suggérait alors. Toutefois la chute première homme doit être pour nous une préservation de chute et non un modèle de péché. Adam est tombé pour que nous nous relevions. À ses suggestions faisons constamment la réponse de Job. Car le démon le tenta par la femme, comme par une nouvelle Eve ; et l’homme vaincu dans le paradis, fut vainqueur sur le fumier[449]. Loin de nous d’écouter ses dires et de croire qu’il y ait si peu de justes ; il y en a beaucoup, mais ils sont cachés dans un plus grand nombre. Nous ne pouvons le nier, les méchants, sont en plus grand nombre, et tellement en plus grand nombre, que les bons n’apparaissent au milieu d’eux, que comme le bon grain dans l’aire. Quiconque en effet jette un regard dans l’aire, pourrait croire qu’il n’y a que de la paille. Que l’on y fasse entrer un homme peu connaisseur, il croira que c’est inutilement qu’on y introduit les bœufs, et que des hommes supportent la chaleur du jour, pour briser la paille ; et néanmoins il y a là une masse de bons grains, que le van doit séparer de la paille. Alors on verra cet amas de blé se dégager de la paille qui l’enveloppait. Et dès maintenant, voulez-vous connaître de bons chrétiens ? soyez bons et vous en trouverez.
10. Vois ce que notre psaume oppose à ce désespoir. Après avoir dit : « Nous avons ressenti, ô Dieu, votre miséricorde, au milieu de votre peuple », il nous montre que c’est au milieu de ce peuple insensible à la divine miséricorde, que plusieurs ressentent les effets de cette miséricorde : et pour empêcher qu’on ne regardât ce nombre comme tellement petit qu’il deviendrait nul, en quels termes le Prophète va-t-il nous consoler ? « Comme votre nom, Seigneur, ainsi votre louange se répandra jusqu’aux confins de la terre[450] ». Qu’est-ce à dire ? « Le Seigneur est grand, et infiniment digne de louanges, dans la cité de notre Dieu, sur sa montagne sainte » ; or, il ne peut être loué que par ses saints. Car ceux qui vivent dans le désordre ne le louent point ; mais ils ne le prêchent de bouche, que pour le blasphémer par leur vie. Si donc il m’y a que les saints pour louer Dieu, que les hérétiques ne se disent point à eux-mêmes : C’est chez nous que subsiste encore la louange, parce que nous sommes peu nombreux, que nous vivons loin de la foule, et dans la justice, que nous bénissons Dieu, non seulement par nos paroles, mais aussi par notre vie. On leur répond par le même psaume : Pourquoi dire que vous bénissez dans une partie du monde ce Dieu auquel il est dit : « Comme votre nom, Seigneur, ainsi votre louange se répandra jusqu’aux confins de la terre ? » c’est-à-dire, de même que vous êtes connu dans toute la terre, ainsi vous y êtes béni ; et c’est vous louer que vivre dans la piété. « Comme votre nom, Seigneur, ainsi votre louange est répandue », non point dans une partie de la terre, mais « dans toute la terre ». « Votre droite est pleine de justice », c’est-à-dire, ils sont nombreux, ceux qui se tiendront à votre droite. Et non seulement ils seront nombreux ceux qui sont à votre gauche, mais la masse du bon grain qui sera à votre droite formera aussi une plénitude[451] : « Votre droite est pleine de justice ».
11. « Que la montagne de Sion soit dans la joie, et les filles de Juda dans l’allégresse, à la vue de vos jugements, ô mon Dieu ». O montagne de Sion, ô filles de Juda, vous souffrez aujourd’hui au milieu de l’ivraie, au milieu de la paille, au milieu des épines ; mais tressaillez à cause des jugements de Dieu. Votre Dieu ne peut errer dans ses jugements. Que votre vie vous sépare des méchants, si votre naissance vous a jetées au milieu d’eux ; ce n’est pas en vain que vous avez chanté de la voix et du cœur : « Ne perdez pas mon âme avec les impies, ni ma vie avec les hommes de sang »[452]. Le souverain Créateur viendra faire le discernement, il viendra le van à la main afin de ne laisser ni tomber un grain de blé dans la paille destinée au feu, ni passer la moindre paille avec le froment destiné au grenier céleste[453]. Tressaillez donc, filles de Sion, à la vue des infaillibles jugements du Seigneur, et gardez-vous de juger témérairement. À vous de recueillir, à Dieu de séparer. « Que la montagne de Sion soit dans la joie, et les filles de Juda dans l’allégresse, à cause de vos jugements, ô mon Dieu ». Par ces filles de Juda, gardez-vous d’entendre les Juifs, Juda signifie confession. Tous les fils de la confession sont les fils de Juda : et le salut qui vient des Juifs n’est autre que le Christ issu des Juifs[454]. Voilà ce que dit l’Apôtre : « Car le juif n’est pas celui qui l’est au-dehors, et la circoncision n’est pas celle qui se fait sur la chair, qui est extérieure ; mais le juif est celui qui l’est intérieurement ; et la circoncision du cœur se fait par l’esprit, et non par la lettre ; et ce juif tire sa gloire non des hommes, mais de Dieu[455] ». Sois juif de cette manière : glorifie-toi de la circoncision du cœur, quoique tu n’aies pas celle de la chair. « Que les filles de Sion tressaillent à cause de vos jugements, ô mon Dieu »
12. « Environnez Sion, embrassez son enceinte[456] ». Que l’on dise à ceux dont la vie est un désordre, et au milieu desquels se trouve le peuple qui a reçu la divine miséricorde : Il y a au milieu de vous un peuple dont la vie est sainte. « Environnez Sion ». Mais comment ? « Embrassez son enceinte » ; embrassez-la, non par le scandale, mais par la charité, afin d’imiter ceux qui mènent au milieu de vous une vie sainte, et par cette imitation d’être incorporés au Christ dont ils sont les membres. « Environnez Sion, embrassez son enceinte, parlez sur ses tours ». Chantez ses louanges du haut de ses forteresses.
13. « Reposez votre amour dans sa vertu[457] », afin de n’avoir pas l’extérieur de la piété, et d’en repousser l’esprit[458] ; « mais affermissez vos cœurs dans sa vertu ». Quelle est la vertu de cette cité ? Pour comprendre la vertu de cette cité, il faut comprendre la force de la charité. C’est là une vertu que nul ne peut vaincre ; c’est un feu que n’éteignent point ni les flots de cette vie, ni les fleuves des tentations. C’est d’elle qu’il est écrit : « L’amour est fort comme la mort[459] ». De même en effet qu’on ne peut résister à la mort, qui s’avance, et que nul artifice, nul remède ne peut dérober à ses coups l’homme qui est né mortel ; de même le monde, est impuissant contre la charité. Toutefois la comparaison avec la mort est en sens contraire ; et comme la mort est invincible à nous enlever, la charité au contraire est invincible à nous sauver. Beaucoup en effet ne sont morts victimes de la charité qu’afin de vivre pour Dieu. C’est la charité qui embrasait les martyrs, non les martyrs hypocrites, non ceux qu’enflait la vaine gloire, non ceux dont il est dit : « Quand même je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, cela ne me sert de rien[460] ». Mais ces martyrs du Christ et de la vérité, qu’une véritable charité conduisait à la mort, quelle prise ont eue sur eux les violences des bourreaux ? Les larmes de leurs proches avaient plus d’empire sur eux que, les cruautés des persécuteurs. Combien de fils ont retenu leurs pères en présence de la mort ? Combien d’Épouses embrassaient les genoux de leurs maris, afin de n’être point laissées dans le veuvage ? Combien de fils s’opposaient au trépas de leurs pères, comme nous le voyons dans le martyre de sainte Perpétue ? Tout cela est arrivé. Mais quelle que fût l’abondance ou l’impétuosité de ces larmes, quel feu de la charité ont-elles pu éteindre ? Telle est la force de Sion, à laquelle on dit ailleurs : « Que la paix s’affermisse dans votre vertu, et l’abondance dans vos forteresses[461]. Parlez du haut de ses tours, reposez vos cœurs dans sa force, et distribuez ses demeures ».
14. Quel est le sens de ces paroles : « Reposez vos cœurs dans sa force, et distribuez ses demeures[462] ? » c’est-à-dire, faites le discernement d’une demeure et d’une autre demeure, ne les confondez point. Il est en effet des maisons qui ont l’apparence de la piété, sans en avoir l’esprit ; et il est des maisons qui ont tout à la fois l’apparence et l’esprit de la piété. Distinguez et ne confondez point. Pour vous, ce sera distinguer sans confondre, que de reposer vos cœurs dans sa force, c’est-à-dire de devenir spirituels par la charité. Alors vous ne jugerez pas témérairement ; alors vous verrez que les méchants ne font aux bons aucun obstacle réel, tant que nous sommes dans l’aire : « Comptez ses demeures ». On peut encore donner un autre sens à ces paroles, et y voir une recommandation faite aux Apôtres de distribuer ces deux palais, dont l’un vient de la circoncision et l’autre de la gentilité. Quand Paul, appelé d’abord Saul, devint Apôtre, et qu’il entra dans l’unité avec les autres Apôtres, il parut bon à ces derniers de prêcher aux Juifs, et à Paul d’aller chez les Gentils[463]. Cette distinction de leur apostolat distribuait entre eux les palais de la cité du grand Roi ; et, se rencontrant à la pierre angulaire, ils divisèrent en quelque sorte la prédication de l’Évangile, mais se réunirent par la charité. Car les paroles qui suivent nous montrent qu’il s’agit ici de prédicateurs : « Distribuez ses demeures, afin de parler aux races futures » ; c’est-à-dire, afin que la prédication de l’Évangile arrive jusqu’à nous, qui devons suivre. Car ils n’ont pas borné leur travail à ceux qui vivaient de leur temps ; comme ce ne fut pas seulement pour les Apôtres, mais aussi pour nous, que le Seigneur daigna se montrer après sa résurrection. Car, en leur parlant, il avait aussi les yeux sur nous, quand il disait : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles[464] ». Devaient-ils vivre ici-bas en effet jusqu’à la fin du monde ? De même il dit encore : « Je ne prie pas seulement pour eux, mais pour tous ceux qui croiront en moi sur leur prédication[465] ». C’est donc nous qu’il avait en vue, puisqu’il est mort pour nous. C’est alors avec raison que le Prophète leur dit : « Afin que vous racontiez aux races futures ».
15. Que direz-vous ? « Que c’est là Dieu, et notre Dieu[466] ». On voyait en, lui la terre, et non le Créateur de la terre ; on touchait sa chair, on ne connaissait pas Dieu sous cette chair. La chair était entre les mains de ceux dont il l’avait prise, puisque la vierge Marie était de la race d’Abraham ; ils se sont arrêtés à la chair, sans comprendre la divinité. O Apôtres, ô grande cité, annonce du haut de tes tours : « Celui-là est Dieu, notre Dieu ». De même, oui, de même qu’il a été méprisé, qu’il n’a été qu’une pierre devant les pieds de ceux qui la heurtaient, afin d’humilier les cœurs de ceux qui le confesseraient ; de même « il est notre Dieu ». On l’a vu dans le monde, comme dit le Prophète : « On l’a vu ensuite sur la terre, et il a conversé avec les hommes[467] ». « Celui-là est notre Dieu ». Il est homme aussi, et qui pourra le connaître ? « Car c’est là notre Dieu ». Mais peut-être n’est-ce que pour un temps, comme les faux dieux. Car si l’on peut les appeler des dieux, bien qu’ils ne le soient pas, on ne les appelle ainsi que pour un temps. Que nous dit en effet le Prophète, ou que leur apprend-il à leur dire ? Voici ce que vous leur direz, Quoi donc ? « Qu’ils soient bannis de la terre, et de tout ce qui est sous le ciel, ces dieux qui n’ont pas fait le ciel et la terre »[468]. Tel n’est point notre Dieu, qui s’est élevé au-dessus de tous les dieux. Au-dessus de quels dieux ? de « tous les dieux des païens qui sont des démons ; mais le Seigneur a fait le ciel »[469]. C’est donc lui qui est notre Dieu ; oui, « c’est là notre Dieu ». Jusques à quand ? « Pour jamais, et dans les siècles des siècles, il régnera sur nous éternellement ». S’il est notre Dieu, û est aussi notre Roi ; il nous protège contre la mort, car il est notre Dieu ; il nous conduit, de peur que nous ne tombions, car il est notre Roi. Mais en nous conduisant il ne nous brise point ; car il ne brise que ceux qu’il ne conduit point. « Vous les conduirez avec un sceptre de fer », dit le Prophète, « et vous les briserez comme des vases d’argile »[470]. Il en est qu’il ne conduit point ; mais il les brisera sans ménagement comme des vases d’argile. Puisse-t-il toujours nous régir, nous délivrer ; car « c’est lui qui est notre Dieu pour jamais, dans les siècles des siècles ; lui qui régnera éternellement sur nous ».
PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME 48
modifierPREMIER SERMON. – L’EMPLOI DES RICHESSES.
modifierL’impie jouissant du bonheur temporel, et le juste qui en est privé, voilà pour beaucoup la pierre de scandale. – Les nations désignent les impies ; les habitants de la terre, les justes. Les riches peuvent être pauvres, s’ils ne comptent pas sur leurs richesses, et les pauvres sont riches quand ils les désirent. Écoutons de manière à comprendre et nous verrons Dieu pour jouir de lui, non pour le fuir, comme ceux qui ont compté sur leur force, sur leur bien, sur leurs amis, qui se sont fait de magnifiques tombeaux pour y demeurer, mais dont l’âme va au feu éternel, et qui laissent leurs biens à des étrangers ou à ceux qui ne peuvent les secourir.
1. Toutes les paroles de l’Écriture sont utiles à ceux qui les comprennent bien, mais dangereuses pour ceux qui les veulent accommoder à la perversité de leur cœur, plutôt que de redresser leur cœur d’après ces règles saintes. C’est en effet chez les hommes un désordre bien grand, mais ordinaire, de vouloir que Dieu suive leur propre volonté, quand c’est à eux de suivre la volonté de Dieu ; de vouloir que Dieu se déprave, parce qu’ils ne veulent point se corriger, et de ne voir le bien que dans leur propre volonté, et non dans celle de Dieu. Nous entendons souvent les hommes se plaindre contre Dieu, de la prospérité des méchants et des tribulations de l’homme de bien ; comme si Dieu était injuste ou ne savait ce qu’il doit faire, ou détournait complètement ses regards des choses humaines, ou ne voulait point troubler son repos pour y donner ses soins, comme si voir et corriger les désordres fût une fatigue pour lui. Ils murmurent donc, ces hommes qui ne veulent adorer Dieu que pour en être plus heureux ici-bas, quand ils voient dans l’abondance et la félicité de la terre ceux qui n’adorent que Dieu ; tandis que pour eux, qui adorent le Seigneur, ils sont dans l’angoisse, dans la disette, dans les chagrins et dans toutes les autres misères de cette vie. C’est contre cette voix impie, contre ces blasphèmes et ces murmures, que la parole divine nous devient un charme qui guérit de la morsure du serpent. Tout cela est en effet comme le pus du cœur empoisonné, qui vomit contre Dieu le blasphème ordurier ; et, ce qu’il y a de pire, écartant la main du médecin sans écarter la morsure du serpent. C’est-à-dire, que le cœur de l’homme écarte la sévérité de la parole de Dieu, pour admettre les flatteries pernicieuses du serpent. C’est contre ces hommes que la parole divine a des chants, et qu’elle va nous prévenir dans ce psaume. Je vous exhorterais à y donner toute votre attention, s’il ne l’attirait pas lui-même, et non seulement la nôtre, mais celle du monde entier. Écoutez en effet sa manière de commencer.
2. « Nations de la terre, écoutez ceci ». Ce n’est donc pas vous seuls qui êtes ici. Qu’est-ce en effet que ma voix, pour crier de manière à retentir chez toutes les nations ? C’est par les Apôtres que Notre-Seigneur Jésus-Christ s’est fait entendre, il a crié par autant de langues qu’il en a envoyées ; et ce psaume autrefois récité chez un seul peuple, dans la synagogue des Juifs, nous le voyons chaula dans l’univers entier, dans toutes les Églises, et ainsi s’accomplit cette parole : « Nations de la terre, écoutez ceci ». Mon but unique est de fixer votre attention, de peur que la fatigue du corps ne vous empêche d’appliquer votre esprit effrayé de la longueur du psaume. S’il est possible, nous le verrons entièrement aujourd’hui, sinon, il nous en restera une partie pour demain ; toutefois, donnez-nous une attention soutenue. Vous n’entendrez, s’il plaît à Dieu, que des choses capables de vous encourager plutôt que de vous fatiguer. « Nations de la terre, écoutez ceci » ; et vous-mêmes faites partie de ces peuples. « Prêtez l’oreille, ô vous qui habitez l’univers ». Le Prophète semble se répéter, comme s’il ne lui eût pas suffi de dire « Écoutez ». Vous dire : Écoutez mes paroles, prêtez l’oreille, c’est vous dire de n’écouter pas à la légère. Qu’est-ce à dire : « Prêtez l’oreille ? » C’est dans le même sens que Notre-Seigneur disait : « Que celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre[471] » ; et toutefois tous ceux qui étaient autour de lui avaient des oreilles. De quelles oreilles parlait-il, sinon des oreilles du cœur, quand il disait : « Que celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre ? » C’est à ces mêmes oreilles que s’adresse le Psalmiste : « Prêtez l’oreille, vous tous qui habitez l’univers ». On pourrait trouver encore ici une différence. Nous ne devons pas sans doute en rétrécir l’étendue, mais il n’est pas inutile d’exposer cette signification. Il y a peut-être une différence entre cette expression : « Tous les peuples », et cette autre : « Vous tous qui habitez l’univers ». Le Prophète a voulu peut-être nous montrer une signification plus accentuée dans cette expression : « Qui habitez » ; en sorte que les peuples désigneraient les impies, et que les habitants de la terre seraient tous les hommes justes. Celui qui habite, en effet, n’est point assujetti ; mais celui qui est assujetti, est plus habité qu’il n’habite. Un homme possède véritablement ce qu’il a, quand il en est le maître ; mais celui-là est maître, qui n’est point garrotté par les convoitises : au lieu que celui qui porte ces liens, est plutôt possédé que possesseur. Nous avons un mot qui désigne l’habitation dans cette parole de l’Écriture : « J’ai mieux aimé être petit dans la maison du Seigneur que d’habiter sous les tentes des pécheurs[472] ». Quoi donc ? Être petit dans la maison du Seigneur, n’est-ce pas l’habiter ? Il n’emploie ce mot d’habiter, que pour ceux qui règnent, qui possèdent, qui dominent, qui gouvernent ; quant à ceux que l’on méprise, ils n’habitent pour ainsi dire pas, mais ils sont assujettis. L’interlocuteur aurait dit alors : J’aime mieux servir dans la maison du Seigneur, que régner sous les tentes des pécheurs. Si donc il y a une distinction entre « toutes les nations » et « tous les habitants de la terre », comme il y en a une entre « écoutez » et « prêtez l’oreille », ce qui paraît une répétition, sans en être une réellement, le Prophète a voulu nous dire que tous entendront cette parole de Dieu, non seulement les pécheurs et les impies, mais aussi les justes. Ils sont mélangés aujourd’hui pour entendre cette parole ; mais quand viendra le moment d’en rendre compte, ceux qui l’auront entendue sans profit seront séparés de ceux qui l’auront entendue des oreilles. Que les pécheurs écoutent : « Vous tous, ô peuples, écoutez ceci ». Que les justes écoutent, eux qui n’ont pas entendu en vain, et qui gouvernent la terre plus qu’ils n’en sont gouvernés « Prêtez l’oreille, vous tous qui habitez la terre ».
3. Le Prophète ajoute encore : « Et vous, hommes de la terre, et enfants des hommes[473] ». Cette expression : « Hommes de la terre », s’appliquerait aux pécheurs ; et cette autre : « Enfants des hommes », aux fidèles et aux justes. Vous voyez donc revenir cette distinction. Quels sont les hommes de la terre ? les fils de la terre. Quels fils de la terre ? Ceux qui recherchent les possessions terrestres. Quels sont les fils des hommes ? Ceux qui appartiennent au Fils de l’homme. Déjà nous avons établi devant vous cette distinction, et nous avons vu qu’Adam était homme sans être fils de l’homme ; que le Christ était fils de l’homme, et qu’il était Dieu[474]. Ainsi, tous ceux qui appartiennent à Adam sont hommes de la terre, tous ceux qui sont du Christ sont « fils de l’homme ». Que tous écoutent néanmoins, je ne refuse ma parole à personne. Celui-ci est terrestre, qu’il écoute ma parole, dans la crainte du jugement ; celui-là est fils de l’homme, qu’il écoute, afin de régner. « Que le riche et le pauvre s’unissent ». Nouvelle répétition. Cette expression : « Le riche », s’applique aux hommes terrestres ; cette autre : « Le pauvre », aux enfants des hommes. Par les riches on doit entendre les orgueilleux ; et par les pauvres, les humbles. Qu’un homme possède beaucoup de biens, il est pauvre s’il ne s’en prévaut pas. Qu’il ne possède rien, Dieu le rangera néanmoins parmi les riches, les réprouvés, s’il a le désir ou l’orgueil de la richesse. C’est par le cœur, et non par le palais ou le coffre-fort, que Dieu juge des pauvres ou des riches. Ne sont-ils pas réellement des pauvres, ceux qui accueillent ce précepte de l’Apôtre, disant à Timothée : « Commande aux riches du siècle de n’être point orgueilleux[475] ? » Comment, de ceux qui étaient riches, a-t-il fait des pauvres ? Il leur enlève ce qui nous fait rechercher les richesses. Car nul ne désire les richesses que pour s’élever au-dessus de ceux qui l’environnent, et leur paraître supérieur. Leur interdire l’orgueil, c’est donc les rendre semblables à ceux qui n’ont rien ; et peut-être un mendiant est plus orgueilleux de ses quelques pièces de monnaie, que le riche docile à cette recommandation de saint Paul : « Défendez aux riches du siècle de s’enorgueillir ». Comment s’abstenir de l’orgueil ? En accomplissant ce qui suit : « De ne pas mettre leur confiance dans les richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui nous est nécessaire pour la vie[476] ». L’Apôtre ne dit pas : Qui leur donne ; mais bien : « Qui nous donne ». Paul n’avait-il donc aucune richesse ? Il en avait assurément. Quelles richesses ? Celles dont l’Écriture a dit à un autre endroit : « Le monde entier est la richesse de l’homme fidèle[477][478] ». Écoute encore ce qu’il avoue de lui-même : « Nous paraissons ne rien posséder, quoique nous possédions tout[479] ». Quiconque désire la richesse, ne doit donc pas s’attacher à une partie, et il possédera le tout ; mais qu’il s’attache à Celui qui a tout créé. « Que le riche et le pauvre s’unissent ». Il est dit dans un autre psaume : « Que les pauvres mangent, et ils seront rassasiés ». Quel avantage fait-il aux pauvres ? « Qu’ils mangent et ils seront rassasiés ». Que mangeront-ils ? c’est le secret des fidèles. Comment seront-ils rassasiés ? En imitant la passion du Seigneur, et en ne laissant pas improductif le prix de leur rançon. « Les pauvres donc mangeront et seront rassasiés, et ils béniront le Seigneur, ceux qui le recherchent[480] ». Et les riches ? Ils mangent aussi. Mais comment ? « Tous les riches de la terre ont mangé et ont adoré[481] ». Le Prophète ne dit point : ils ont mangé et sont rassasiés ; mais bien : « Ils ont mangé et ils ont adoré ». Ils adorent Dieu à la vérité, mais ne veulent pas voir des frères dans les autres hommes. Ceux-ci mangent donc et ils adorent ; ceux-là mangent et sont rassasiés ; et tous mangent néanmoins. À celui qui mange on demandera compte de sa nourriture ; que le dispensateur de cette nourriture n’en éloigne personne, mais qu’il avertisse de redouter le compte à rendre. Que tous donc prêtent l’oreille à ces paroles, pécheurs et justes, peuples et habitants de la terre. « Et les habitants de la terre, et les enfants des hommes, et le riche et le pauvre ensemble », unis et non séparés. C’est le temps de la moisson qui doit séparer, c’est la main du vanneur qui le pourra faire[482]. Maintenant, que le riche et le pauvre s’unissent pour écouter, que les boucs et les agneaux paissent ensemble, jusqu’à l’avènement de Celui qui doit séparer les uns à sa droite, les autres à sa gauche[483]. Qu’ils s’unissent pour écouter le maître qui les instruit, de peur qu’ils ne soient séparés pour entendre le Juge qui les condamnera.
4. Mais que doivent-ils entendre maintenant ? « Ma bouche parlera la sagesse, et les méditations de mon cœur donneront l’intelligence[484] ». Ici encore il y a une répétition, de peur qu’après avoir dit : « Ma bouche », on ne crût entendre parler un homme qui aurait la sagesse sur les lèvres. Plusieurs ont en effet la sagesse sur les lèvres et non dans le cœur ; et c’est d’eux qu’il est dit : « Ce peuple m’honore des lèvres, et leur cœur est loin de moi[485] ». Que va donc te dire l’interlocuteur ? Après avoir dit : « Ma bouche parle la sagesse », afin que tu comprennes bien que la parole de la bouche émane véritablement du cœur, il ajoute : « Et la méditation de mon cœur donne l’intelligence ».
5. « Je prêterai l’oreille à la parabole, je développerai sur la harpe le sujet de mes chants[486] ». Quel est celui-ci dont le cœur, dans ses méditations, donne l’intelligence, en sorte qu’elle n’est pas seulement sur la superficie des lèvres, mais qu’elle pénètre l’intérieur de l’homme ? Quel est celui qui écoute et qui parle ensuite ? Beaucoup parlent sans avoir écouté. Quels sont donc ceux qui parlent sans avoir écouté ? Ceux qui ne font pas ce qu’ils disent ; tels ces Pharisiens, assis, dit le Seigneur, dans la chaire de Moïse. Dieu a voulu vous parler de cette chaire de Moïse par ces hommes qui disent et ne font pas. Le Seigneur a voulu par là vous donner la sécurité. Ne craignez point, dit-il, « faites ce qu’ils disent, mais ne faites pas ce qu’ils font, car ils disent et n’agissent pas[487] ». Ils n’écoutent pas ce qu’ils disent. Mais ceux qui disent et qui pratiquent, entendent ce qu’ils disent ; de là vient qu’ils parlent avec fruit, parce qu’ils écoutent. Celui-là donc qui parle sans écouter peut être utile aux autres et inutile à lui-même. Quant à celui qui parle ici, qui veut écouter d’abord, parler ensuite ; avant de dire : « Je développerai sur ma harpe le sujet de mes chants », ce qui est le langage des organes, car l’âme se sert du corps comme le joueur de sa harpe, il nous dit tout d’abord : « J’inclinerai mon oreille à la parabole » ; c’est-à-dire, avant de vous parler par mes organes, avant de jouer du psaltérion, je prêterai tout d’abord l’oreille à la parabole ; c’est-à-dire, j’écouterai ce que je dois vous dire. Et pourquoi « à la parabole ? » Parce que maintenant nous voyons dans un miroir et en parabole[488], selon cette parole de l’Apôtre : « Tant que nous habitons dans ce corps, nous marchons hors du Seigneur[489] », Car nous ne voyons pas encore face à face sans le voile des paraboles, sans l’ombre des énigmes. Tout ce que nous comprenons maintenant, nous le voyons en énigme. L’énigme est une parabole obscure, difficile à comprendre. Quelque soin que prenne l’homme de cultiver son cœur, de rentrer en lui-même pour comprendre les choses intérieures, tant que nous voyons à travers le voile d’une chair corruptible, nous ne voyons qu’en partie. Mais quand la résurrection nous aura rendus incorruptibles, et qu’apparaîtra le Fils de l’homme pour juger les vivants et les morts, alors on verra ce Fils de l’homme, qui a d’abord été jugé et qui à son tour jugera le monde, fera le discernement des bons et des méchants, placera les méchants à sa gauche et les bons à sa droite. Les bons et les méchants le verront, mais il dira aux méchants : « Allez au feu éternel » ; et aux bons : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume. Et les méchants s’en iront aux flammes éternelles, et les justes dans la vie éternelle[490] » ; et là ils verront à découvert cette face que les méchants ne sont pas dignes de voir. Écoutez mes paroles. Quand le Fils de l’homme était sur la terre pour être jugé, les méchants l’ont vu comme les bons, car les Apôtres qui le suivaient l’ont vu, et les Juifs qui le crucifièrent l’ont vu aussi ; de même quand il viendra juger le monde, les bons et les méchants le verront aussi ; les bons, pour en recevoir la récompense, parce qu’ils l’auront suivi ; les méchants, pour en être châtiés, parce qu’ils l’auront crucifié. Il n’y aura donc pour être damnés que ceux qui l’auront crucifié ? J’ose le dire, il n’y aura que ceux-là. Donc, diront les pécheurs d’ici-bas, nous sommes en sûreté. Oui, vous êtes en sûreté, si Dieu ne sonde pas l’intention. Mais que dis-je ? Que votre charité veuille bien comprendre, afin qu’au jugement de Dieu ils ne se plaignent point de n’avoir point compris. Les Juifs ont vu le Christ et l’ont crucifié ; et toi qui ne vois pas le Christ, tu es rebelle à sa parole. Mais résister à sa parole, n’est-ce pas crucifier sa chair, si tu le voyais ? Le juif l’a méprisé quand il pendait à la croix, et tu le méprises quand il est assis dans le ciel. Deux sortes d’hommes l’ont donc vu quand il était sur la terre ; deux sortes d’hommes le verront quand il viendra. Car le Fils de l’homme viendra pour nous juger. Comme le Père ne s’est pas incarné et n’a pas souffert, il ne juge que par son Fils, qui a dit dans l’Évangile : « Le Père ne juge personne, il a donné tout jugement au Fils » ; et peu après il ajoute : « Il lui a donné le pouvoir de juger, parce qu’il est le Fils de l’homme[491] ». Comme Fils de Dieu, le Verbe est toujours avec son Père ; et comme il est toujours avec son Père, il juge toujours avec son Père ; mais comme Fils de l’homme, il a été jugé et il doit juger. De même qu’il a été vu par ceux qui ont cru en lui et par ceux qui l’ont cloué à la croix quand il a été jugé ; ainsi, quand il viendra juger, il sera vu par ceux qu’il condamnera et par ceux qu’il couronnera. Mais quant à cette vision de Dieu qu’il a promise à ceux qui l’aiment, quand il a dit : « Celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; celui qui m’aime garde mes commandements, et moi je l’aimerai et me manifesterai à lui[492] » ; cette vision n’est pas pour les méchants. Cette claire vue sera comme une intimité, il la réserve aux siens et n’en fait aucune part aux impies. Quelle est cette vision ? qu’est-ce que le Christ ? Il est égal au Père. Mais encore, qu’est-ce que le Christ ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu[493] ». C’est après cette vision que nous aspirons en gémissant, pendant que nous sommes en cette vie ; telle est la vision qui nous est réservée pour la fin des temps, vision que nous n’avons ici-bas que sous des voiles[494]. Si donc nous voyons en énigme, inclinons notre oreille pour entendre, et développons ensuite sur la harpe l’objet de nos chants ; écoutons ce que nous disons, faisons ce que nous recommandons.
6. Que dit le Prophète ? « Pourquoi craindrai-je au mauvais jour ? D’être enveloppé dans l’iniquité de mes voies ». Ce début est un peu obscur : « Pourquoi », dit-il, « craindrai-je au mauvais jour ? D’être enveloppé dans l’iniquité de mes voies ». Cette iniquité qui doit l’envelopper est donc un plus grand sujet de crainte. Car un homme ne doit pas craindre ce qu’il ne peut éviter. Que fera, par exemple, pour ne pas mourir, celui qui craint la mort ? Qu’un fils d’Adam m’indique le moyen d’échapper à la peine d’Adam. Mais plutôt qu’il se sou-vienne que, né d’Adam, il a suivi Jésus-Christ, et qu’il doit ainsi payer le tribut d’Adam et recueillir les promesses de Jésus-Christ. Celui qui redoute la mort n’a donc nul moyen de l’éviter ; mais pour celui qui redoute l’arrêt qui frappe les impies « Allez au feu éternel », il y a moyen d’y échapper. Qu’il ne craigne donc point. À quoi bon cette crainte ? L’iniquité de ses voies doit l’envelopper. Si donc il évite les voies impies, et marche par les voies de Dieu, il n’arrivera point aux jours mauvais : le jour mauvais, le dernier de tous, n’aura rien de fâcheux pour lui. Car ce dernier jour sera funeste aux uns, favorable aux autres. Sera-t-il funeste à ceux qui s’entendront dire : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume[495] ? » Mais il sera funeste pour ceux qui entendront « Allez au feu éternel ». Si donc c’est l’iniquité de nos voies qui doit nous envelopper, pourquoi craindre au jour mauvais ? Que les hommes plutôt travaillent ici-bas à leur salut, qu’ils détournent l’iniquité de leurs voies ; qu’ils marchent, oui, qu’ils marchent dans cette voie dont le Christ a dit : « C’est moi qui suis la voie, la vérité, et la vie[496] » ; et qu’ils ne craignent pas au jour mauvais, puisque celui qui s’est fait la voie leur donne la sécurité. « Pourquoi craindrai-je au jour mauvais ? D’être enveloppé dans l’iniquité de mes voies ». Qu’ils évitent l’iniquité de leurs démarches, car c’est par la démarche que chacun tombe. Écoutez bien, mes frères ; que dit le Seigneur au serpent ? « La femme observera ta tête, et toi tu observeras son talon[497] ». Le diable observe donc ton talon, afin de te faire tomber dans tes démarches. S’il observe ton talon, observe sa tête. Qu’est-ce à dire sa tête ? Il commence d’une suggestion mauvaise. Dès qu’il commence à te suggérer le mal, résiste-lui, avant qu’un plaisir criminel surgisse, et que le consentement le suive ; ainsi tu éviteras sa tête, et il ne surprendra pas ton talon. Pourquoi le Seigneur tenait-il ce langage à Eve ? Parce que l’homme tombe par la chair, et que pour nous l’Eve intérieure est notre chair. « Celui qui aime son Épouse », a-t-il été dit, « s’aime lui-même[498] ». Qu’est-ce à dire, « lui-même ? » L’Apôtre l’explique ensuite et dit : « Nul n’a jamais haï sa propre chair[499] ». Comme donc le démon veut nous faire tomber par la chair, de même qu’il fit tomber Adam par Eve[500], il est recommandé à Eve d’observer la tête du serpent, parce que celui-ci observe son talon. Si donc c’est l’iniquité de votre ta-ion ou de vos démarches qui doit vous envelopper, pourquoi craindre au jour mauvais, puisque votre conversion au Christ vous donne le pouvoir de ne point commettre l’iniquité, et qu’alors il n’y aura plus rien pour vous envelopper, et que vous verrez avec joie et sans pleurs votre dernier jour ?
7. Quels sont alors ceux qu’enveloppera l’iniquité de leurs démarches ? « Ceux qui se confient en leur vertu, et se glorifient dans l’abondance de leurs richesses[501] », Voilà donc ce que j’éviterai, pour n’être point enveloppé dans l’iniquité de mes démarches. Comment l’éviter ? Ne mettons point notre espérance dans nos vertus, non plus que notre gloire dans nos grandes richesses ; mais glorifions-nous dans celui qui a promis la grandeur à notre humilité, et qui menace de damner les orgueilleux ; et alors l’iniquité de nos démarches ne nous enveloppera point ; mais ceux « qui mettent leur espoir dans leur vertu, et leur gloire dans leurs grandes richesses ».
8. Il en est qui comptent sur leurs amis, d’autres sur leur force, d’autres sur leurs richesses. C’est en cela et non en Dieu qu’espèrent les hommes. Après avoir parlé de la force, parié des richesses, le Prophète parle des amis : « Un frère ne rachète point, un homme rachètera-t-il[502] ? » Espères-tu qu’un homme te rachètera de la colère à venir ? Si un frère ne t’en rachète pas, un homme t’en rachètera-t-il ? De quel frère est-il dit que s’il ne rachète point, nul homme ne pourra nous racheter ? de celui qui a dit après la résurrection : « Allez, dites ceci à mes frères[503] ». Il a voulu devenir notre frère, et nous le témoignons tous les jours en disant à Dieu : « Notre Père ». Appeler Dieu « notre Père », c’est appeler le Christ notre frère. Donc, avec Dieu pour Père et le Christ pour frère, il n’y a rien craindre au jour mauvais. Celui-là ne peut être enveloppé dans l’iniquité de ses voies ; car il ne compte ni sur sa vertu, ni sur l’abondance de ses richesses, et ne se vante point d’avoir de puissants amis. Que l’homme compte alors sur celui qui est mort pour le délivrer de la mort éternelle ; qui s’est humilié pour l’élever ; qui l’a cherché jusque dans l’impiété, afin que l’homme devenu fidèle le cherchât à son tour. Si donc ce frère ne nous rachète pas, l’homme nous rachètera-t-il ? Adam nous rachètera-t-il, si le Christ ne nous rachète pas ? « Le frère ne rachète point, l’homme rachètera-t-il[504] ? »
9. « L’homme ne donne point à Dieu le prix de sa rançon ni ne rachète son âme[505] », Tel fonde son espoir sur sa force, ou sur ses grandes richesses, qui ne saurait donner à Dieu le prix de sa rançon », c’est-à-dire de quoi fléchir le Seigneur, et l’apaiser pour ses péchés : « Il ne saurait racheter son âme », lui qui présume de sa vertu, de ses amis, de ses richesses. Quels sont ceux-ci qui rachètent leur âme ? Ceux à qui le Seigneur a dit : « Faites-vous des amis avec la monnaie de l’iniquité, afin qu’ils vous reçoivent dans des tabernacles éternels[506] ». Ceux-là donnent le prix de leur âme, qui ne cessent de faire l’aumône. Aussi ne veut-il point que ceux qu’il instruit par Timothée, soient orgueilleux et se glorifient de leurs richesses ; enfin il ne veut pas que leurs richesses vieillissent chez eux, mais qu’ils en usent de façon à racheter leur âme. Car il dit : « Ordonnez aux riches du siècle de ne point s’enorgueillir, ni de compter sur des richesses qui sont incertaines ; mais sur Dieu qui nous donne tout ce qui nous est nécessaire[507] ». Et comme s’ils disaient : Que ferons-nous de nos richesses ? il ajoute : « Que les riches le soient en bonnes œuvres, qu’ils donnent généreusement, qu’ils fassent part de leurs biens[508] ». En cela ils ne perdront rien ; d’où le savons-nous ? Écoutez ce qui suit : « Qu’ils s’acquièrent un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin qu’ils embrassent la vie éternelle[509] ». C’est ainsi qu’ils donneront la rançon de leur âme. Voici encore un avertissement du Seigneur : « Faites-vous des bourses qui ne s’usent point, et dans le ciel un trésor qui ne s’épuise jamais, dont le voleur n’approche point, que les vers n’altèrent point[510] ». Le Seigneur n’exige donc pas que tu perdes tes richesses, il te conseille seulement d’en changer la place. Comprenez bien ceci, mes frères si un ami entrait dans votre maison, et qu’il vît votre froment placé dans un endroit humide, sachant combien le blé est assujetti à la pourriture, ce que peut-être vous ne sauriez pas, il vous donnerait un avis, et vous dirait : Frère, vous perdez ce que vous n’avez amassé qu’avec beaucoup de travail ; vous avez mis dans un endroit humide ces blés qui seront bientôt pourris. Que faut-il faire, lui direz-vous ? Les mettre dans un endroit plus élevé. Alors vous écouteriez cet avis amical, vous transporteriez vos blés dans un lieu plus élevé ; et vous n’écoutez pas le Christ qui vous avertit de mettre votre trésor dans le ciel, où vous ne retrouverez pas seulement ce que vous aurez conservé, mais où vous échangerez la terre pour le ciel, des biens du temps pour des biens de l’éternité, où vous prêtez à usure à Jésus-Christ, et où pour peu de choses sur la terre, il vous rendra de grands biens ? Quant à ceux qui seront enveloppés par l’iniquité de leurs voies, parce qu’ils se confient en leur vertu, qu’ils se glorifient de leurs richesses et qu’ils mettent leur espoir dans la puissance de leurs amis : « Ils ne donnent rien à Dieu pour leur rançon, ils ne rachèteront point leur âme ».
10. Que dit le Prophète à propos de cet homme ? « Son labeur sera éternel, sa vie aura une fin[511] ». Son labeur sera donc sans fin, mais sa vie est bornée. Pourquoi dit-il que sa vie aura une fin ? C’est que ces hommes ne font consister la vie que dans les délices de chaque jour. Aussi beaucoup de pauvres et d’indigents parmi nous, trop peu affermis dans la vertu et n’envisageant point ce que Dieu leur a promis pour ces grands travaux, quand ils voient des riches chaque jour dans les festins, radieux de tout l’éclat de l’or et de l’argent, que disent-ils ? Voilà les seuls qui vivent, c’est là vraiment vivre. Voilà ce que l’on dit ; ne le disons plus, mes frères, je vous en avertis. Et si nous devons encore entendre ce langage, que du moins nous l’entendions plus rarement que si nous n’avions point été avertis. Nous n’avons pas en nous-mêmes cette confiance, que cet avertissement fasse disparaître totalement ce langage ; mais que du moins il devienne plus rare, car on le tiendra jusqu’à la fin des siècles. C’est peu qu’on dise d’un riche qu’il vit, on ajoute qu’il parle, qu’il tonne. Tu crois qu’il est seul pour vivre ; eh bien ! qu’il vive, mais sa vie finira, car il ne donne rien pour la rançon de son âme ; sa vie finira, son labeur ne finira point. « Il travaillera éternellement, et sa vie finira ». Comment sa vie finira-t-elle ? Comme la vie de celui qui était vêtu de pourpre et de fin lin, qui faisait chaque jour bonne chère, qui n’avait que la hauteur et l’orgueilleux mépris pour ce malheureux couvert d’ulcères, couché à sa porte, dont les chiens léchaient les plaies, tandis qu’il désirait les miettes qui tombaient de la table du riche. De quoi servirent à cet homme ses grands biens ? l’un et l’autre changèrent d’état : de la porte du riche l’un fut porté au sein d’Abraham, et de sa table splendide l’autre fut précipité dans le feu : le premier se reposait, le second brûlait ; l’un était rassasié, l’autre avait soif ; chez l’un, au labeur temporel succédait une vie sans fin ; chez l’autre, à une vie passagère succédait une douleur éternelle. De quoi servaient les richesses à cet homme qui, dans les flammes de l’enfer, demandait qu’une goutte d’eau tombât du doigt de Lazare pour rafraîchir sa langue ; « car », disait-il, « je brûle de cette flamme », et cela ne lui fut point accordé[512]. Il désirait une goutte d’eau tombant du doigt de Lazare, comme celui-ci avait désiré les miettes tombant de sa table ; mais la douleur avait fini pour l’un, comme la vie avait fini pour l’autre : la douleur de ce dernier devait être éternelle, la vie de celui-là également éternelle. Notre vie d’ici-bas n’est proprement pas une vie pour nous qui souffrons ; mais il n’en sera pas ainsi dans la suite, notre vie sera éternellement dans le Christ : quant à ceux qui veulent vivre ici-bas, ils souffriront à jamais et ne vivront qu’un temps.
11. « Car celui-là ne verra point la mort après avoir vu mourir les sages »[513]. Celui dont le travail sera éternel, et dont la vie doit finir, « ne verra point la mort après avoir vu mourir les sages ». Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire que, après avoir vu mourir les sages, il ne saura point ce qu’est la mort. Car il se dit : Cet homme n’est-il pas mort en dépit de sa sagesse, de sa vie si régulière et de sa piété envers Dieu ? Je n’ai donc plus qu’à me livrer aux plaisirs pendant cette vie, car la sagesse ne peut nous donner de ne point mourir. Il voit ainsi un sage mourir, sans comprendre ce qu’est la mort. « Il ne connaîtra point la mort après avoir vu mourir les sages ». Il ressemble aux Juifs qui ont vu le Christ cloué à la croix, et qui l’ont méprisé en disant : « S’il était Fils de Dieu, il descendrait de la croix[514] » : ils n’ont point vu ce que c’est que mourir. Ah ! si du moins ils eussent vu ce que c’est que mourir, s’ils l’eussent compris ! Le Christ mourait selon le temps, pour vivre selon l’éternité, et eux vivent selon le temps pour subir une mort éternelle. Mais parce qu’ils le voyaient mourir, ils ne voyaient point la mort, c’est-à-dire qu’ils ne comprenaient pas ce que c’est que la véritable mort. Que disent-ils en effet, même dans leur sagesse ? « Condamnons-le à une mort honteuse, et l’on verra ce que valent ses paroles ; s’il est vraiment le Fils de Dieu, Dieu le délivrera des mains de ses ennemis[515] », et ne permettra pas qu’il meure, s’il est vraiment son Fils. Mais en le voyant sur la croix, exposé à leurs insultants défis, sans en descendre, ils se dirent : C’est vraiment un homme. On leur répond : Il pouvait bien descendre de la croix, celui qui a pu ressusciter du sépulcre ; mais il nous apprenait à supporter les insultes, à n’opposer que la patience aux langues des méchants, à boire le calice de l’amertume, et à recevoir ainsi le salut éternel. Bois donc, ô malade, bois ce calice amer, afin d’obtenir la guérison, toi dont les entrailles ne sont point guéries : ne crains point, c’est pour t’empêcher de craindre que le médecin a bu le premier ce breuvage, ou que le Seigneur a épuisé le premier le calice amer de la passion. Il l’a bu, celui qui n’avait en lui aucun péché, qui n’avait rien à guérir. Bois à ton tour, jusqu’à ce que l’amertume de cette vie soit passée, jusqu’à ce que vienne cette vie, qui n’aura ni scandales, ni colère, ni envie, ni amertume, ni fièvre, ni tromperie, ni dissensions, ni vieillesse, ni mort, ni combat. Souffre ici-bas, puisque fa douleur doit finir. Souffre, de peur qu’en refusant de souffrir, tu n’arrives à la fin de ta vie sans arriver à la fin de tes douleurs. « Il ne comprendra point la mort en voyant mourir les sages ».
12. « L’imprudent et l’insensé périront ensemble[516] ». Qui est imprudent ? Celui qui l’envisage pas l’avenir. Qui est insensé ? Celui qui ne comprend pas son malheur. Mais toi, comprends ton malheureux sort en cette vie, et pense à devenir heureux dans l’avenir. Comprendre ton sort ici-bas, c’est n’être plus insensé ; et pourvoir à ton avenir, c’est n’être plus imprudent. Quel est celui qui pourvoit à son avenir ? C’est le serviteur à qui son maître avait donné l’administration de son bien, pour lui dire ensuite : « Vous ne pouvez plus gouverner mes biens, rendez compte de votre administration. Que ferai-je », dit en lui-même ce serviteur ? « je ne puis bêcher la terre, et je rougis de mendier[517] ». Mais, avec le bien de son maître, il se fit des amis qui pussent le recevoir quand il fut privé de son emploi. Il fit donc tort à son maître, afin de se faire des amis chez qui il pût se retirer ; mais toi, tu n’as pas à craindre de faire du tort, puisque le Seigneur t’y engage, en te disant lui-même : « Faites-vous des amis avec la monnaie de l’iniquité ». Peut-être tes biens ne sont-ils que le fruit de l’injustice ; ou peut-être y a-t-il injustice en ce que tu possèdes, et qu’un autre n’a rien ; que tu es dans l’abondance, un autre dans la pauvreté. Avec cette monnaie de l’iniquité, avec ces biens que les méchants seuls appellent des richesses, fais-toi des amis, et tu seras prudent. C’est amasser pour toi, sans tromper personne. Tu paraîtras dissipateur, mais est-ce dissiper son argent que de le mettre en trésor ? Voyez, mes frères, les enfants qui veulent acheter je ne sais quoi ; ont-ils trouvé quelques pièces de monnaie, ils les mettent dans quelque lieu secret, qu’ils n’ouvrent que longtemps après. Ont-ils perdu leur trésor, parce qu’ils ne le voient point ? Soyez donc sans crainte vous-mêmes. Des enfants ont caché leur argent dans leur coffre, et sont pleins de sécurité, et tu craindrais en le plaçant dans les mains du Christ ? Sois donc prudent, et fais-toi des ressources pour l’avenir dans le ciel. Sois prudent et imite la fourmi, comme le dit l’Écriture[518] ; amasse pendant l’été, afin de ne pas souffrir de la disette en hiver : l’hiver, c’est le dernier jour, le jour de la tribulation ; l’hiver, c’est le jour des scandales et de l’amertume : amasse aujourd’hui ce qui peut te soutenir alors : si tu ne le fais, tu mourras tout à la fois imprudent et insensé.
13. Mais ce riche est mort et on lui a fait des funérailles dignes de lui. Voilà où les hommes en reviennent : ils ne considèrent point la vie d’un homme, mais la pompe de ses funérailles. O heureux celui qui fait verser tant de larmes ! Hélas ! il a vécu de manière à être regretté d’un petit nombre, et tous devraient pleurer celui qui mène une vie si désordonnée. Mais sa pompe funèbre était magnifique ; il repose dans un riche tombeau, de précieux tissus l’enveloppent, il est tout embaumé de parfums et d’aromates. Et puis quel tombeau on lui élève ! Quel marbre superbe ! Hélas ! vit-il dans ce tombeau ? Il y est mort. Voilà ce que les hommes ont pris pour des biens, et ils se sont éloignés de Dieu, et n’ont pas cherché les vrais biens, emportés qu’ils étaient par l’éclat des biens trompeurs : aussi voyez la suite. Celui qui n’a pas donné le prix de son âme, qui n’a pas compris la mort, parce qu’il a vu mourir les sages, a pris place parmi les imprudents et les insensés pour mourir avec eux. Et comment périront « ceux qui laisseront leurs richesses aux étrangers ? L’imprudent et l’insensé doivent mourir ensemble ».
14. Écoutez bien, mes frères ! « Et ils laisseront leurs richesses à l’étranger ». Il semble que le Prophète regarde comme une malédiction que des étrangers possèdent leurs biens après leur mort. Bienheureux alors ceux qui laisseront leurs biens à leurs enfants, qui ont les leurs pour héritiers ? Avoir des enfants, c’est n’être point mort. Que font les enfants ? Ils conservent à leur tour ce que leur ont laissé les parents ; et même c’est peu de le conserver, ils l’augmentent. Et pour qui conservent-ils ces richesses ? Pour leurs enfants, et ceux-ci à leur tour pour leurs enfants, et ces troisièmes pour leurs enfants encore. Qu’y aura-t-il donc pour le Christ ? Qu’y aura-t-il pour leur âme ? Tout sera-t-il pour les enfants ? Entre tous ces enfants qu’ils ont sur la terre, qu’ils daignent compter un frère qu’ils ont au ciel, à qui ils auraient dû tout donner, ou du moins partager avec lui. Toutefois, me dira quelqu’un : Voilà ceux que maudit l’Écriture : ceux qui meurent sans laisser à leurs enfants leur héritage ; elle appelle heureux celui qui leur laisse ses possessions. Pour moi, qui prête mon oreille à la vérité, je veux examiner ce sens, et je trouve que l’Écriture n’a rien dit en vain. Je vois mourir en effet beaucoup de méchants qui ont leurs fils pour héritiers ; et l’Ecriture n’a pu parler de manière à les séparer de ces misérables dont elle condamne la conduite ; et quel peut être mon sens, croyez-vous, mes frères, sinon que tous les hommes de cette sorte laisseront leurs biens à des étrangers ? Comment leurs fils seront-ils des étrangers ? Les fils des méchants sont des étrangers ; nous voyons en effet qu’un étranger devient le prochain d’un autre, dès qu’il lui rend service. Qu’un des vôtres ne vous rende aucun service, il vous devient étranger. Où trouvons-nous donc un étranger dont ses services ont fait un proche ? Dans l’Évangile. Un homme blessé par des voleurs gisait sur le grand chemin, et le Seigneur avait dit à quelqu’un : « Tu aimeras le prochain comme toi-même ; et cet homme avait répondu : Qui donc est mon prochain ? et le Seigneur lui dit qu’un homme allant de Jérusalem à Jéricho tomba entre les mains des voleurs qui le laissèrent à demi-mort » ; que ses proches passèrent ; car c’était un juif qui allait aussi de Jérusalem à Jéricho ; « et que le prêtre qui vint sur ces entrefaites passa outre ; qu’un lévite vint aussi et passa de même ; qu’un Samaritain vint à passer », et que ce Samaritain, que je ne connais point, mais qui était étranger au blessé, « s’approcha de lui, considéra sa misère, soigna ses plaies par pitié, le mit sur son cheval, le conduisit dans une hôtellerie et le recommanda au maître de l’hôtellerie ». Tout cela est une parabole qu’il me serait trop long d’expliquer ; mais, pour en revenir à ce que j’ai avancé, mes frères, le Seigneur demanda : « Lequel des trois qui passèrent fut le prochain du blessé ? et le docteur de la loi répondit : Je crois que c’est celui qui eut pitié de lui. Allez », dit le Sauveur, « et faites de même[519] ». Celui-là donc est votre prochain à qui vous faites miséricorde. Si donc un Samaritain est devenu le prochain de ce blessé par la pitié qu’il en eut, par les secours qu’il lui porta ; quiconque ne peut te venir en aide au moment des afflictions, devient pour toi un étranger. Revenons donc à ces riches qui ont vécu dans le crime, qui ont agi avec orgueil, qui sont morts en laissant leurs richesses, je ne dis pas à des étrangers, mais à des fils, et à des fils qui vivront comme leurs pères, qui seront superbes comme eux, voleurs comme eux, avares comme eux : ces fils leur sont étrangers. Et afin que vous compreniez bien qu’ils leur sont étrangers, les héritiers de ce riche de l’Évangile que dévoraient les flammes, le secoururent-ils ? Mais, direz-vous, peut-être n’eut-il point d’héritiers naturels, et ses biens passèrent-ils à des étrangers ? L’Évangile nous dit qu’il avait des héritiers ; car il s’écrie : « J’ai cinq frères ». Ses frères ne purent alors le secourir au milieu des flammes dévorantes. Que dirait ce riche aujourd’hui ? « J’ai cinq frères[520] », et j’ai négligé de me faire un ami de celui qui gisait autrefois à ma porte : ces frères qui possèdent mes biens ne peuvent me secourir, et sont des étrangers pour moi. Vous le voyez donc, tous ceux qui vivent mal laissent leurs biens à des étrangers.
15. Mais sans doute ces étrangers, qu’on nomme leurs proches, leur viennent en aide ? Voyez ce qu’ils peuvent leur donner, écoutez à ce propos les railleries de l’Écriture : « L’imprudent et l’insensé périront ensemble, et ils laisseront leurs biens à des étrangers ». Pourquoi dit-il : « A des étrangers ? » Parce qu’ils ne pourront leur être d’aucun secours. Et toutefois voyez en quoi ils s’imaginent leur être utiles : « Et leurs tombeaux seront leurs maisons pour l’éternité[521] ». On leur construit des sépulcres, et ces sépulcres sont des maisons. Souvent tu entendras un riche te dire : J’ai un palais de marbre, que je dois laisser, et je ne pense pas à me construire une maison éternelle pour y habiter sans fin. Quand il pense à se bâtir un sépulcre enrichi de marbre et de sculpture, il semble penser à une maison éternelle ; comme si telle était la demeure du riche de l’Évangile. Ah ! s’il y demeurait, il ne demeurerait point dans les enfers. Ce qui doit nous préoccuper, ce n’est pas le lieu où demeurera le corps, mais bien le lieu que doit habiter l’âme du pécheur ; mais « leurs sépulcres sont leurs demeures pour l’éternité. Leurs tentes subsisteront d’âge en âge. « Leurs tentes » sont les demeures qu’ils n’habitent que d’une manière passagère, « leurs maisons », les sépulcres qu’ils doivent habiter à jamais. Ils laissent les tentes à leurs proches, ces tentes qu’ils habitaient pendant leur vie, et ils vont dans leurs sépulcres comme dans des palais éternels. De quoi leur sert que leurs tentes passent de race en race ? Et par là nous entendons qu’elles passeront à leurs enfants, leurs petits-enfants, à leurs arrière-petits-enfants ; de quoi leur serviront leurs tentes, quel bien leur feront-elles ? Oui, quel bien ? Écoutez-le. « Ils invoqueront leurs noms dans leurs terres ». Qu’est-ce à dire ? Ils porteront du pain et du vin à leurs tombeaux, et là ils invoqueront le nom des morts. Combien pensez-vous que l’on ait invoqué le nom de ce riche, quand on s’enivrait à son tombeau, et qu’une goutte d’eau ne tombait point sur sa langue brûlante[522] ? Les hommes alors satisfont leur intempérance, mais ne soulagent point les âmes de leurs proches. Ces âmes n’ont de richesse que les bonnes œuvres de leur vie ; si pendant la vie elles n’ont point travaillé pour elles-mêmes, elles ne trouvent rien à la mort. Mais que leur feront les hommes ? « Ils invoqueront seulement leurs noms dans leurs terres ».
16. « L’homme au milieu de sa grandeur ne l’a point comprise ; il s’est comparé aux animaux sans raison et leur est devenu semblable[523] ». Quelle insulte pour des hommes qui n’ont su que faire de leurs richesses pendant leur vie, qui ont cru se rendre heureux en se faisant un tombeau de marbre, comme une demeure éternelle, et en faisant invoquer leur nom sur la terre par leurs proches qui auront hérité de leurs biens ! Ils auraient dû au contraire se préparer une demeure éternelle par de bonnes œuvres, se préparer une vie sans fin, envoyer leurs richesses devant eux, accomplir de bonnes œuvres, jeter un regard de pitié sur l’homme dans la disette, donner à ceux qui marchaient avec eux dans la même voie, et ne point mépriser ce Christ couvert d’ulcères couché à leur porte, et qui a dit : « Ce que vous ferez au moindre de mes frères, c’est à moi que vous l’aurez fait[524] ». L’homme donc dans sa grandeur ne l’a point comprise. Qu’est-ce à dire : « L’homme dans sa grandeur ? » L’homme fait à l’image et à la ressemblance de Dieu, l’homme supérieur aux animaux[525]. Car Dieu n’a pas fait l’homme de la même manière que l’animal ; mais il a fait l’homme pour dominer les animaux, et les dominer par la force, ou bien par la raison. Mais l’homme « n’a pas compris » ; et lui, qui était créé à l’image de Dieu, « s’est comparé à l’animal sans raison, et lui est devenu semblable ». De là vient qu’il est dit ailleurs : « Ne soyez pas semblables au cheval et au mulet, qui sont sans intelligence[526] ».
17. « C’est là pour eux la voie du scandale[527] ». Qu’elle soit la voie du scandale pour eux et non pour toi. Quand le serait-elle pour toi ? Lorsque tu croiras ces hommes bienheureux. Mais si tu comprends que ce n’est point là le bonheur, il n’y aura de scandale que pour eux, et non pour le Christ, ni pour son corps, ni pour ses membres. « Et ensuite ils béniront Dieu des lèvres ». Qu’est-ce à dire, qu’ils béniront Dieu des lèvres ? Quand ils en sont venus à ne chercher d’autres biens que les biens temporels, ils deviennent hypocrites ; et s’ils bénissent Dieu, c’est des lèvres, et non du cœur. De tels hommes devenus chrétiens ne peuvent entendre parler de la vie éternelle, et dire qu’il leur faut au nom du Christ mépriser les richesses, grimacer intérieurement ; et s’ils n’osent le faire en face, par un reste de pudeur ou par la crainte d’être réprimandés par les hommes, ils le font de cœur et ils méprisent en eux-mêmes. La bénédiction est donc sur leurs lèvres, la malédiction dans leurs cœurs. « Et ensuite ils béniront des lèvres ». Il serait trop long d’achever le psaume ; qu’il suffise à votre charité de ce que vous avez entendu aujourd’hui, nous achèverons demain avec le secours de Dieu.
DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 48
modifierDEUXIÈME SERMON. – L’EMPLOI DES RICHESSES (SUITE).
modifierLes pécheurs auront pour pasteur la mort, ou le diable qui a introduit la mort dans le monde ; de même que la vie ou Jésus-Christ est le pasteur des fidèles. Déjà ces fidèles habitent le ciel par la foi et surtout par la charité ; c’est là qu’est leur cœur. C’est de là que leur vient la vie, car la vie du temps n’est pas la vie proprement dite. La vie des justes paraît une folie, et un jour ils domineront les méchants qui les prennent aujourd’hui pour des insensés. Cette vie des justes consiste dans l’union au Créateur, qui ne promet que pour l’avenir. Travaillons au salut de notre âme, acceptons la douleur comme un redressement, une perfection.
1. S’il vous en souvient, mes frères, nous devons achever aujourd’hui le psaume que nous avons commencé hier. Nous en étions arrivés à ce verset où l’Esprit de Dieu flétrit ces hommes qui n’ont de souci que pour les biens passagers d’ici-bas, sans s’occuper nullement de ce qui doit succéder à cette vie, sans mettre leur bonheur autre part que dans les richesses et les honneurs du siècle, dans une vertu d’un instant ; qui n’aspirent, au moment de la mort, qu’à s’entourer d’une certaine pompe funèbre, qu’à être ensevelis dans des tombeaux artistement ciselés, qu’à faire retentir leurs noms dans leurs terres et dans leurs palais ; mais qui ne s’inquiètent point du sort de leur âme après cette vie ; imprudents que n’effraie pas cette parole du Christ : « Insensé, cette nuit même on te redemandera ton âme, et pour qui sera ce que tu as amassé[528] ? » Ils ne considèrent point que le mauvais riche, après avoir fait chaque jour bonne chère et s’être vêtu de pourpre et de fin lin[529], fut condamné aux tourments de l’enfer ; et qu’après les douleurs, les ulcères et la faim, le pauvre reposa au sein d’Abraham. Voilà ce qui les inquiète peu. Mais ils s’occupent du présent, peu soucieux pour l’avenir, sinon de rendre célèbre sur la terre un nom réprouvé dans le ciel. C’est en faisant le portrait de ces hommes que l’Esprit-Saint a dit : « Leur voie est pour eux la voie du scandale, puis ils béniront Dieu des lèvres[530] ». C’est ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ a dit de quelques-uns qui arrivent d’abord à la foi, purifiés par la parole de Dieu et les exorcismes faits au nom du Christ, afin de recevoir la grâce et le baptême, et qui retournent plus tard à des désordres plus grands que leurs désordres passés. « Leur dernier état devient pire que le premier[531] ». Ainsi dit l’apôtre saint Pierre ; et le Seigneur : « Le dernier état de cet homme est pire que le premier[532] ». Pourquoi ? Parce qu’auparavant c’était un païen déclaré, et qu’aujourd’hui il est chrétien de nom, couvrant sa malice d’un voile religieux. Leur état sera pire, est-il écrit, parce qu’il est caché, comme il est dit : « Ils béniront Dieu des lèvres » ; c’est-à-dire que le nom du Christ est sur leurs lèvres, mais non dans leurs cœurs. C’est d’eux qu’il est dit : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais leur cœur est loin de moi[533] ». Telle est la partie du psaume que nous avons expliquée.
2. Voici de quelle manière commencent les versets à expliquer : « Ils sont comme des troupeaux dans l’enfer ; la mort est leur pasteur[534] ». De qui ? De ceux qui ont trouvé le scandale dans leur voie. De qui ? De ceux qui ne sont occupés que du présent, sans penser à l’avenir ; de ceux qui ne croient pas à une vie autre que cette vie, laquelle mérite plutôt le nom de mort. Ce n’est donc pas sans sujet qu’ils ressemblent à des troupeaux dans l’enfer, ayant la mort pour pasteur. Qu’est-ce à-dire que la mort est leur pasteur ? La mort serait-elle donc une réalité ayant quelque puissance ? La mort est en effet la séparation de l’âme et du corps, et cette séparation de l’âme et du corps, voilà ce que redoutent les hommes ; mais il est une mort plus réelle, et que les hommes ne redoutent point, c’est la séparation de l’âme et de Dieu. C’est là proprement la mort. Comment cette mort doit-elle « être pour eux un berger ? » Si le Christ est la vie, le diable est la mort. Or, nous savons par de nombreux passages de l’Écriture que le Christ est la vie. Mais le diable est la mort, non que lui-même soit la mort, mais parce que la mort vient de lui. Qu’il soit question de la mort à laquelle Adam fut condamné, elle n’est entrée que par lui dans le genre humain ; qu’il soit question de la mort qui sépare notre âme de Dieu, elle vient encore de celui qui tomba par orgueil, et qui, jaloux de voir l’homme se tenir debout, le renversa par une mort invisible, de manière qu’il dût subir aussi une mort visible[535]. Ceux donc qui lui appartiennent ont la mort pour pasteur mais nous, qui pensons à un avenir immortel, n’est pas sans raison que nos fronts sont marqués du signe de la croix, parce que nous n’avons d’autre pasteur que la vie. Le pasteur des infidèles est donc la mort ; le pasteur des fidèles est la vie. Quoi donc ? Sommes-nous déjà dans le ciel ? Nous y sommes selon la foi. Si nous ne sommes pas dans le ciel, que devient cette parole : Élevez vos cœurs ? Si nous ne sommes pas dans le ciel, que devient ce mot de saint Paul : « Notre conversation est dans le ciel[536] ? » Notre corps est donc sur la terre, et notre cœur dans le ciel. C’est là que nous habitons, si nous y envoyons de quoi y retenir notre cœur. Car nul n’est de cœur qu’au lieu occupé par ses pensées ; et sa pensée est au même lieu que son trésor. S’il a son trésor sur la terre, son cœur ne s’élève pas au-dessus de la terre ; et s’il a son trésor dans le ciel, son cœur ne descend pas du ciel ; le Seigneur nous dit clairement : « Là où est votre trésor, là aussi est votre cœur[537] ».
3. Ils paraissent donc florissants ici-bas, ceux dont la mort est le pasteur, tandis que les justes sont dans l’affliction ; mais pourquoi ? parce que nous sommes encore dans la nuit. Comment dans la nuit ? C’est-à-dire que les mérites des justes n’apparaissent point, tandis que le bonheur des impies est en évidence. Tant que dure l’hiver, l’herbe paraît plus riante que l’arbre ; car l’herbe paraît vive pendant l’hiver, tandis que l’arbre paraît desséché : mais quand le soleil nous donnera ses feux de l’été, l’arbre, qui paraissait desséché pendant l’hiver, se couvrira de feuilles, portera des fruits, tandis que l’herbe se desséchera : alors vous voyez l’arbre dans sa gloire, tandis que l’herbe sèche et meurt. Ainsi en est-il des afflictions des justes ici-bas, avant que l’été vienne pour eux. Leur vie est dans la racine, et n’apparaît pas encore dans les branches. Or, notre racine est la charité. Et que dit l’Apôtre ? Que notre racine soit en Dieu, que la vie soit notre pasteur, que notre demeure ne doit point s’écarter du ciel, que sur cette terre nous devons vivre comme si nous étions morts, afin que, vivant des choses d’en-haut, nous soyons morts pour celles d’ici-bas, et non morts pour celles d’en haut, vivant pour celles d’en bas. Comme donc notre vie, non plus que notre cœur, ne doit point s’éloigner du ciel, que nous dit saint Paul ? « Vous êtes morts ». Mais ne crains pas : « Votre vie », a-t-il ajouté, « est cachée en Dieu avec le Christ ». C’est là qu’est notre racine. Mais un jour notre gloire apparaîtra, et nous serons revêtus de nos feuilles et de nos fruits. Voilà ce que nous promet l’Apôtre en disant : « Lors de l’apparition du Christ, qui est notre vie, vous apparaîtrez aussi avec lui dans la gloire[538] ». Ce sera notre matin, car le matin n’est pas venu pour nous. Que les orgueilleux s’enflent de vanité ainsi que les riches du siècle, que les impies aient l’insulte pour les bons, les infidèles pour les fidèles, et qu’ils disent : De quoi vous sert votre foi ? Qu’avez-vous de plus en possédant le Christ ? Que les fidèles répondent, s’ils sont vraiment fidèles : Il est nuit, on ne voit pas encore ce que nous possédons. Que leurs mains ne se lassent point dans les bonnes œuvres. Aussi est-il dit ailleurs : « Au jour de la tribulation, j’ai cherché mon Dieu ; mes mains étaient avec lui pendant la nuit, et je n’ai pas été déçu[539] ». Au matin apparaîtra notre travail, et la récompense nous viendra le matin : ceux qui souffrent aujourd’hui domineront ensuite ; et ceux qui font étalage de jactance et d’orgueil, seront dans la servitude. Quelle est en effet la suite du psaume ? « Ils sont comme des troupeaux dans l’enfer, la mort sera leur pasteur, et au matin les justes domineront sur eux[540] »
4. Ce verset me paraît éclairci, parce que nous avons donné auparavant le sens de celui-ci : « Les justes domineront au matin ». Endurez donc la nuit, soupirez après le matin. Ne t’imagine pas que l’on vive la nuit, et que l’on ne vive plus au matin. Le sommeil serait-il donc la vie, et le réveil ne serait-il pas une vie ? L’homme qui dort, au contraire, n’est-il pas plus semblable à la mort ? Et qui sont ceux qui dorment ? Ceux qu’éveille saint Paul, si tant est qu’ils veuillent s’éveiller. De qui dit-il, en effet : « Levez-vous, vous qui dormez, sortez d’entre les morts, et Jésus-Christ vous éclairera.[541] » Donc ceux que le Christ a éclairés, veillent déjà, mais le fruit de leurs veilles n’apparaît pas encore ; au matin il apparaîtra, c’est-à-dire quand prendra fin l’incertitude de cette vie. Ce monde est donc une nuit ; n’en vois-tu pas en effet les ténèbres ? Un homme fait le mal, il vit, il est en horreur, il fait trembler, on le respecte ; un autre fait le bien, il est réprimandé, couvert d’imprécations, d’accusations, il souffre, il tremble : c’est là une espèce de nuit. Mais c’est dans la racine qu’est la vigueur, le fruit, l’abondance : la vie n’est pas encore dans les bran-cimes, mais la racine n’est point morte : on la dirait desséchée, mais voici venir le temps où elle se couvrira de sa gloire et s’enrichira de ses fruits. Et de ceux dont on nous défend d’être jaloux, que nous dit le psaume ? « Qu’ils se dessécheront comme le foin, et tomberont comme l’herbe des prés[542] ». Ceux-là tomberont ; quand ils verront à leur droite ces mêmes saints, qu’ils raillaient dans les peines de cette vie, et ils se parleront eux-mêmes avec repentir, mais avec un repentir tardif et inutile. Ayant refusé de faire ici-bas une pénitence fructueuse, ils en feront une alors, mais une pénitence inutile. Que diront-ils donc dans un vain repentir ? « Les voilà ceux que nous avons tournés jadis en u dérision, et comme le rebut du monde ! » J’emprunte au livre de la Sagesse ces paroles connues de ceux qui les entendent souvent. C’est le langage futur des méchants, quand ils verront apparaître le Juge, avec les fidèles à sa droite, et tous ses saints qui jugeront avec lui. Voilà ce qu’ils diront, et l’Écriture a consigné leurs paroles : « Ce sont donc là ces hommes que nous avons tournés en dérision, que nous regardions comme le rebut de la terre ! insensés que nous étions, nous regardions leur vie comme une folie[543] ». Quand un homme commence à vivre pour Dieu, à mépriser le monde, quand il renonce à venger une injure, dédaigne les biens d’ici-bas, ne cherche point en cette vie une félicité passagère, s’élève au-dessus de tout, pour s’occuper uniquement de Dieu, demeurer toujours dans la voie du Christ, non seulement les païens disent de lui : C’est un insensé ; mais ce qui est plus déplorable, comme il y a dans l’Église beaucoup d’âmes endormies qui ne veulent point s’éveiller, on entend des proches, on entend des chrétiens dire : Quelle folie vous est venue ? Mes frères, qu’est-ce donc que demander s’il est fou, à un homme qui vit selon le Christ ? Avons-nous réfléchi à cette parole ? Nous avons horreur des Juifs qui disent à Jésus-Christ : « Vous êtes un possédé du démon[544] ». Et quand nous entendons ce passage de l’Évangile nous frappons nos poitrines. Il y a de la scélératesse de la part des Juifs à dire à Jésus-Christ : « Vous êtes possédé du démon » ; et toi, ô chrétien, quand tu vois que le démon est sorti d’un cœur qu’habite maintenant Jésus-Christ, et que tu dis : D’où vient cette folie ? cet homme ne te paraît-il point possédé du démon ? On a dit du Seigneur lui-même : C’est un insensé, quand il tenait aux Juifs un langage qu’ils ne pouvaient comprendre ; on l’a traité de fou, de possédé du démon[545] ; et pourtant quelques-uns sortaient du sommeil et disaient : « Ces paroles ne sont pas d’un possédé du démon[546] ». Ainsi en est-il aujourd’hui, quand ces paroles arrivent aux nations, à ceux qui habitent l’univers, aux enfants de la terre, aux fils des hommes, au riche, au pauvre, c’est-à-dire à tous ceux qui appartiennent à Adam comme à ceux qui appartiennent au Christ ; les uns disent : Tu es possédé du démon ; les autres : « Ces paroles ne sont pas celles d’un possédé ». Les uns, en effet, marchent dans la voie du monde et n’écoutent ces paroles que d’une manière passagère : les autres ne les accomplissent pas en vain, mais comme il est dit : « Prêtez l’oreille, vous qui habitez la terre[547] ». Et quand ils vivent ainsi, le fruit est encore incertain. Quant à ceux qui font le mal et qui choisissent la vie du monde, « la mort sera leur pasteur » ; au lieu que ceux qui choisissent la vie de Dieu, auront pour pasteur la vie elle-même. Car c’est la vie qui viendra juger et qui frappera de damnation, avec leur pasteur, ceux auxquels elle dira : « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges[548] ». Mais ceux qui ont reçu des insultes, et à qui leur foi a valu dérision, entendront de la vie elle-même qu’ils auront pour pasteur : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde[549]. Les justes domineront donc les méchants » ; non point aujourd’hui, mais au matin. Que nul ne dise : Que me sert d’être chrétien ? Je ne commande à personne, que du moins je domine les méchants. Ne vous pressez point ; vous dominerez, mais au matin. « Et leur appui se consumera dans l’enfer, après la gloire dont ils auront joui ». Aujourd’hui ils sont dans la gloire, dans l’enfer elle sera consumée, Qu’est-ce que leur appui ? l’appui de leurs richesses, l’appui de leurs amis, l’appui de leur propre puissance. Mais à la mort de l’homme, en ce jour même périront toutes ses pensées[550]. Autant il avait paru élevé en gloire, pendant qu’il vivait parmi hommes, autant la mort doit l’humilier, l’anéantir dans les supplices de l’enfer.
5. « Mais Dieu rachètera mon âme[551] ». Écoutez le cri de l’espérance pour l’avenir : « Toutefois Dieu rachètera mon âme ». C’est peut-être le cri de l’âme qui aspire après la délivrance de cette vie. Un homme est en prison : Dieu, dit-il, délivrera mon âme ; un autre gémit dans les chaînes : Dieu délivrera mon âme ; un troisième se trouve exposé à la mer, il est battu par les flots en courroux et tempétueux, que dit-il ? Dieu délivrera mon âme. Ils veulent être délivrés des maux de cette vie. Telle n’est point la délivrance que l’on souhaite ici. Écoutez la suite : « Dieu délivrera mon âme de la puissance de l’enfer, quand il m’aura pris sous sa garde ». Dès lors il est question de cette délivrance dont le Christ nous a donné le modèle en lui-même. Il est descendu aux enfers et ensuite remonté au ciel. Ce que nous avons vu dans le chef, nous le trouvons dans les membres. Notre foi dans le chef est basée sur la prédication de ceux qui ont vu ce qu’ils nous ont annoncé, et nous avons vu par leurs yeux, puisque nous sommes un même corps[552]. Mais ceux-là peut-être sont plus privilégiés, parce qu’ils ont vu, et peut-être le sommes-nous moins, parce que cela nous a été seulement prêché ? Tel n’est point le langage de celui qui est la vie et notre pasteur. Car il reproche à un disciple son doute, et sa volonté de toucher ses plaies ; et quand ce disciple eut touché ses plaies, et se fut écrié : « Mon Seigneur et mon Dieu », comparant l’hésitation de ce disciple avec la foi de l’univers entier : « Vous avez cru », lui dit-il, « parce que vous avez vu : bienheureux ceux qui ne voient pas et qui croient[553] ». « Dieu toutefois rachètera mon âme de l’enfer, quand il m’aura pris sous sa garde ». Mais ici-bas que faut-il attendre ? le labeur, l’angoisse, la tribulation, l’épreuve : n’espérez rien autre chose. Où donc sera la joie ? Dans l’espérance de l’avenir. Car l’Apôtre a dit : « Soyons toujours dans la joie ». Au milieu de vos tribulations, « soyez toujours dans la joie, toujours dans la tristesse ». Toujours dans la joie, car il a dit : « Nous paraissons dans la tristesse, et pourtant nous sommes dans la joie[554] ». Il y a chez nous tristesse en apparence ; mais il n’en est pas de même de notre joie. Pourquoi la tristesse n’est-elle qu’apparente ? parce qu’elle passera comme un songe, « et que les justes domineront au matin ». Car vous le savez, quiconque raconte un songe, ajoute comme ; c’était comme si je voyais, comme si je dînais, comme si j’étais à cheval, comme si je discutais. Toujours comme si, parce qu’en s’éveillant il n’a pas trouvé ce qu’il voyait. J’avais comme trouvé un grand trésor, dit un mendiant ; sans ce comme, il ne serait pas mendiant ; à cause du comme il est mendiant. Pour ceux dès lors qui ouvrent les yeux sur les plaisirs du monde, et savent y fermer leur cœur, ce comme passe rapidement et fait place à la réalité. Leur comme est la félicité de cette vie ; la réalité, c’est la peine. Pour nous il y a comme une tristesse, et non comme une joie. Car l’Apôtre ne dit point : Soyez comme dans la joie, mais toujours tristes ; ou : Comme dans la joie et comme dans la tristesse ; mais bien : « Comme dans la tristesse, mais toujours dans la joie ». « Nous sommes semblables à des pauvres » ; il dit ici semblables au lieu de comme, « et nous enrichissons bien des hommes ». Et quand l’Apôtre parlait ainsi, il ne possédait rien. Il avait tout abandonné, n’avait plus aucune richesse. Et que dit-il ensuite ? « Comme ne possédant rien » ; ce dénuement est aussi un comme pour l’apôtre saint Paul. « Et possédant tout » ; ici il ne dit point comme. Il était pauvre en apparence ; mais c’était bien en réalité, et non en apparence, qu’il enrichissait beaucoup d’hommes. Il était comme dénué, et toutefois il possédait, non plus en apparence, mais réellement toutes les richesses. Comment possédait-il en réalité toutes les richesses ? Parce qu’il était uni au Créateur de toutes choses. « Toutefois », dit le Prophète, « le Seigneur rachètera mon âme de l’enfer, quand il me prendra sous sa garde ».
6. Que deviendront ceux qui désirent les biens du monde ? Tu verras un méchant dans les délices de cette vie, et ton pied chancellera peut-être, et tu diras en ton âme : Dieu, j’ai connu les actes de cet homme, les crimes qu’il a commis, et le voilà dans le bonheur, il fait trembler les autres, il domine, il s’élève ; il n’a pas la moindre migraine, il n’essuie pas la moindre perte : et te voilà pris de doute contre ta foi, et ton cœur s’écrie : Malheur à moi ! c’est en vain que j’ai la foi, Dieu n’a aucun soin des choses d’ici-bas. Dieu donc vient nous éveiller, et que nous dit-il ? « Ne crains point, lorsqu’un homme sera devenu riche[555] ». Pourquoi les richesses de cet homme t’inspiraient-elles de la crainte ? Tu craignais d’avoir vainement cru en Dieu, d’avoir perdu le fruit de ta foi, l’espérance fondée sur ta conversion : un gain frauduleux s’est présenté, tu pouvais t’enrichir, échapper à la misère ; mais les menaces de Dieu t’ont détourné de la fraude et fait mépriser un tel gain ; tu en vois un autre qu’un gain frauduleux vient d’enrichir, qui est exempt de peines, et tu crains ton attachement pour la justice. « Ne crains pas », te dit l’Esprit-Saint, « quand un homme sera devenu riche ». Tu ne veux avoir des yeux que pour les biens présents. Ce sont des biens futurs que t’a promis celui qui est ressuscité, mais il n’a promis pour ici-bas ni le repos ni la paix. Tout homme cherche le repos : c’est un vrai bien, mais il ne cherche pas ce bien dans la région où il se trouve. La paix n’est point de cette vie ; c’est dans le ciel que l’on nous promet ce que nous cherchons ici-bas : c’est dans le siècle à venir que l’on nous promet ce que nous cherchons dans le présent.
7. « Ne crains point quand un homme est devenu riche, et qu’il étend la gloire de sa maison ». Pourquoi ne pas craindre ? « Car à sa mort, il n’emportera pas toutes ses richesses[556] ». Tu le vois vivant, pense à son trépas. Tu vois ce qu’il possède, vois ce qu’il doit emporter avec lui. Que doit-il emporter ? Il a des monceaux d’or, des monceaux d’argent, de grands domaines, de nombreux esclaves : il meurt, et tout cela va rester il ne sait à qui. Quand même il le laisserait à ceux qu’il veut enrichir, il ne saurait le conserver à ceux à qui il désire le conserver. Plusieurs en effet ont acquis ce qu’on ne leur avait point laissé, et plusieurs ont perdu ce qu’ils avaient reçu en héritage. Tout cela va donc rester, et qu’emportera-t-il avec lui ? Mais, dira-t-on, il emporte au moins le linceul dont on l’enveloppe, et ce que l’on dépense pour lui ériger un tombeau de marbre, qui perpétuera sa mémoire. Et moi je vous dis : Non, pas même cela. On fait tout cela pour un homme privé de tout sentiment. Qu’on orne ainsi un homme dans son lit, profondément endormi, il aurait du moins ces ornements avec lui ; et peut-être que, quand il serait couvert de ces riches vêtements, il se croirait en songe couvert de haillons. L’objet qu’il se représente lui fait une plus vive impression qu’un objet qu’il ne voit pas. Bien qu’il n’en doive pas juger ainsi à son réveil, néanmoins l’impression de ce qu’il voyait en songe était plus forte que celle de tout ce qu’il ne voyait pas. Donc, mes frères, que les hommes se disent : Que l’on fasse à ma mort de somptueuses dépenses, qu’ai-je à faire de si riches héritiers ? Ils auront dans mes biens une assez forte part ; il est bien juste que j’en détache une partie pour mon corps. Que peut posséder une chair déjà morte ? que peut posséder une chair déjà en pourriture, une chair privée de sentiment ? Si cet homme, dont la langue était desséchée[557], possédait quelque chose, que l’homme, j’y consens, emporte de son bien. Est-ce bien là, mes frères, ce que nous lisons dans l’Évangile ? Ce riche avait-il dans les flammes ses vêtements de soie et de lin ? Était-il dans les enfers comme dans ses festins somptueux ? Non, il n’avait point toutes ses richesses quand la soif le dévorait et qu’il demandait une goutte d’eau. L’homme n’emporte donc rien avec lui, et ce n’est point lui qui reçoit ce que l’on donne à sa sépulture. Il n’y a d’homme, que quand il y a sentiment. Où il n’y a plus de sentiment, il n’y a plus d’homme. On voit seulement par terre le vase qui renfermait l’homme, la maison qui le renfermait. Nous appelons le corps une maison, et l’âme est le maître qui y demeure. Cette âme est donc tourmentée dans les enfers : de quoi lui sert que le corps soit enveloppé de précieux tissus, dans les parfums et dans les aromates ? Comme si tu ornais les murailles d’un palais dont le maître est en exil. Voilà cet homme qui souffre de la faim et de la soif dans l’exil, à peine a-t-il une hutte où il puisse prendre son sommeil, et tu dis : Qu’il est heureux d’avoir un si beau palais ! Qui ne prendra ta parole pour une folie ou pour une raillerie ? Tu ornes le corps, et l’âme est dans les tourments. Fais quelque chose pour l’âme, et tu auras fait quelque chose pour le mort. Mais que lui donneras-tu, quand il a désiré une goutte d’eau sans l’obtenir ? Il n’a pas voulu jeter avant lui quelque peu de son bien. Pourquoi n’a-t-il pas voulu ? Parce que « cette voie est pour eux la voie du scandale ». Il n’a envisagé que la vie présente, il n’a eu d’autre souci que d’être enseveli dans des habits précieux. Son âme lui est enlevée, selon cette parole du Sauveur : « Insensé, on va cette nuit te redemander ton âme, et à qui appartiendra ce que tu as amassé[558] ? » Ainsi s’accomplit en lui cette parole de notre psaume : « Ne craignez point, quand un homme sera enrichi, et quand sa gloire s’étendra sur sa famille ; car en mourant il n’emportera pas toutes ses richesses, et sa gloire ne le suivra point dans le tombeau ».
8. « Son âme a reçu des bénédictions en cette vie[559] ». Redoublez d’attention, mes frères : « Son âme a reçu des bénédictions en cette vie ». Tant que ce riche a vécu, il s’est fait du bien. Tel est le langage de tous, langage bien faux. Le bien n’était que dans l’esprit de celui qui le bénissait, et non dans réalité. Que dis-tu, en effet ? qu’il a mangé, qu’il a bu, qu’il a fait à sa volonté, qu’il a vécu dans les festins splendides, et qu’ainsi il s’est fait du bien ? Et moi, je dis qu’il s’est fait du mal. Car ce n’est point moi, mais Jésus-Christ qui dit que cet homme s’est fait son malheur. Quiconque voyait ce riche chaque jour en festin, croyait qu’il se traitait bien, et quand il a dû brûler dans les enfers, ce que l’on croyait bien, est devenu un mal, car il digérait dans les enfers ses festins d’ici-bas. Je parle de l’iniquité qui faisait sa nourriture. Sa bouche charnelle prenait des mets délicats, et la bouche de son cœur se repaissait d’iniquité. Cette nourriture de l’injustice que prenait ici-bas la bouche de son cœur, voilà ce qu’il digérait dans les supplices de l’enfer. Le plaisir de manger ne dura qu’un temps, la digestion sera éternelle. On mange donc l’iniquité, me dira quelqu’un ? que signifie manger l’iniquité ? Ce n’est point moi qui parle ainsi, mais bien l’Écriture ; écoutez : « Comme le raisin vert est pour les dents, la fumée pour les yeux, telle est l’iniquité pour celui qui la commet[560] ». Se nourrir en effet de l’iniquité, ou la commettre volontiers, c’est ne plus se nourrir de la justice. Or, la justice est un pain. Quel pain ? « Je suis le pain de vie descendu du ciel[561] ». Tel est le pain de notre cœur. Celui qui mange des raisins verts en a les dents agacées et ne peut plus manger de pain, il ne peut plus que dire qu’il est bon sans pouvoir y toucher ; ainsi en est-il de celui qui s’est nourri d’iniquité, qui a donné le péché en pâture à son cœur ; incapable de manger le véritable pain, il en est réduit à louer la parole de Dieu sans l’accomplir. Pourquoi ne l’accomplit-il point ? À peine se met-il en devoir, qu’il est pris de douleur, de même que nos dents nous font souffrir, quand nous voulons manger du pain après avoir mangé des raisins verts. Mais que font ceux qui ont les dents agacées ? Ils s’abstiennent pendant quelque temps de manger des raisins verts, et leurs dents reprennent cette solidité, qui leur permet de manger du pain. Ainsi en est-il de nous qui faisons l’éloge de la justice. Si nous voulons en faire notre aliment, abstenons-nous de toute iniquité, et alors naîtra dans notre cœur non seulement le bonheur de louer la justice, mais le bonheur de nous en nourrir. Qu’un chrétien dise : Dieu sait que j’aime le bien, mais que je ne puis le faire : il a les dents agacées, longtemps il s’est nourri d’iniquité. On se nourrit donc de justice ? Si elle n’était pas un aliment, Dieu ne dirait point : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice[562] ». Donc, puisque « l’âme de cet homme sera bénie pendant sa vie », les bénédictions seront ici-bas pour lui, et les tourments après la mort.
9. « Il vous louera si vous lui faites du bien ». Considérez cette vérité, qu’elle vous nourrisse, qu’elle soit enracinée dans vos cœurs et soit votre aliment. Voyez ces hommes, gardez-vous de leur ressembler prenez garde surtout à ces paroles : « Il vous louera, si vous lui faites du bien ». Combien de chrétiens, mes frères, qui remercient Dieu seulement quand il leur arrive quelque bien ? C’est accomplir cette parole : « Il vous bénira quand vous lui ferez quelque bien ». Il vous bénira et dira : Véritablement vous êtes mon Dieu : il m’a délivré de ma prison et je le bénirai. Il lui survient quelque bonheur, et il bénit Dieu ; quelque malheur, et il blasphème. Quel fils es-tu donc, pour qu’un père te déplaise alors qu’il te châtie ? Le ferait-il si tu ne lui déplaisais ? Et si tu lui déplaisais au point d’encourir sa haine, voudrait-il te redresser ? Rends donc grâces à celui qui te redresse, afin que tu puisses recueillir l’héritage du Dieu qui te châtie. Te redresser, c’est te perfectionner ; et s’il te redresse fortement, c’est qu’il te réserve un héritage précieux. Si tu compares en effet ces châtiments avec les biens qu’il te réserve, tu trouveras que ces châtiments ne sont rien. Saint Paul nous dit à ce propos : « Les afflictions si courtes et si légères de la vie présente, nous préparent un poids incroyable de gloire ». Mais pour quel moment ? « Ne considérons point les choses visibles, mais bien les choses invisibles ; non plus celles du temps, mais celles de l’éternité. Ce que l’on voit est passager, ce que l’on ne voit pas est éternel[563] ». Et ensuite : « Les douleurs de la vie présente ne sont-point comparables à la gloire future qui doit éclater en nous[564] ». Qu’est-ce donc que ta douleur ? Mais, diras-tu, elle dure toujours, soit, Depuis ta naissance, dans tous les âges jusqu’à l’extrême vieillesse, jusqu’à la mort, tu dois souffrir comme Job ; qu’un homme endure depuis l’enfance ce que Job a enduré quelque temps, néanmoins les douleurs passeront et auront une fin ; la récompense de ces douleurs sera éternelle. Ne compare plus les maux avec les biens, mais le temps avec l’éternité, si tu le peux.
10. « Il vous bénira si vous lui faites du bien e ». Qu’il n’en soit pas ainsi de vous, mes frères ; considérez que, si je vous tiens ce langage, si nous chantons ce psaume, si je me fatigue à vous l’expliquer, c’est pour vous détourner d’en agir de la sorte. Vos occupations deviennent pour vous une épreuve : souvent dans votre négoce vous entendez la vérité, et alors vous blasphémez, vos blasphèmes retombent sur l’Église. Pourquoi ? parce que vous êtes chrétiens. S’il en est ainsi, je vais chez Donat, direz-vous, je veux me faire païen. Pourquoi ? Parce que vous avez touché le pain du bout des dents, et que vos dents étaient agacées. À la vue de ce pain, vous le vantiez : vous y avez mis la dent et vous l’avez sentie endolorie ; c’est-à-dire que vous applaudissez en écoutant la parole de Dieu, mais que vous blasphémez, quand on vous dit : Faites ceci. N’agissez plus de la sorte ; dites plutôt : Ce pain est excellent, mais je ne puis en manger ; au lieu que maintenant tu le bénis en le voyant des yeux, et tu te récries : Qu’il est mauvais ! qui donc l’a fait ? dès que tu en goûtes. Par cette conduite tu bénis Dieu quand il te fait du bien ; et pour toi, dire : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours en ma bouche[565] », c’est là un véritable mensonge. Ce que chantent vos lèvres doit aussi sortir de votre cœur. Tu as chanté dans l’Église : « Je bénirai le Seigneur en tout temps ». Comment en tout temps ? s’il t’arrive en tout temps quelque gain, tu le bénis en tout temps ; mais qu’un jour arrive la perte, et alors aussi arrive le blasphème, et non la louange : est-ce bien là le bénir en tout temps ? est-ce bien là sa louange qui est toujours dans ta bouche ? Tu ressemblerais à celui dont le Prophète a dit : « Il vous bénira, Seigneur, quand vous lui aurez fait quelque bien ».
11. « Il ira jusqu’où sont allés ses pères[566] » ; c’est-à-dire qu’il imitera ses ancêtres. Les méchants d’aujourd’hui ont des frères, ont une lignée. Les méchants d’autrefois sont les pères de ceux d’aujourd’hui ; et les méchants d’aujourd’hui sont les pères des méchants à venir ; de même que les anciens justes sont les pères de ceux d’aujourd’hui, comme ceux d’aujourd’hui les pères des justes qui viendront après eux. L’Esprit-Saint a voulu nous montrer que la justice n’est point à condamner, bien que les méchants blasphèment contre elle, mais que ces hommes ont leur père dans la suite des âges. Adam eut deux fils ; chez l’un fut l’iniquité, chez l’autre la justice : Caïn était méchant, mais Abel était juste. Or, l’iniquité sembla dominer la justice, puisque l’injuste Caïn tua le juste Abel[567], pendant la nuit. Était-ce le matin ? Mais au matin les justes prévaudront sur les méchants. Ce matin viendra donc et l’on verra où est Abel, où est Caïn. Ainsi en est-il de tous ceux qui auront suivi Caïn, comme de ceux qui auront suivi Abel. « Il ira jusqu’où sont allés ses pères : il a perdu la lumière pour toujours ». Quand il était en cette vie, il était dans les ténèbres, s’applaudissait des faux biens, n’aimait point les véritables : voilà pourquoi il sera précipité dans l’enfer, et passera des ténèbres de l’illusion aux ténèbres des tourments. Donc « ils seront éternellement privés de lumière ». Mais pourquoi ? Voici à la fin du psaume la réponse donnée au milieu : « L’homme était en honneur, il ne l’a pas compris, il s’est comparé aux animaux sans raison et leur est devenu semblable[568] ».
Quant à vous, mes frères, considérez que vous êtes les hommes créés à l’image de Dieu, et à sa ressemblance[569]. Cette image est intérieure en vous, elle n’est pas dans votre corps ; ni ces oreilles que vous voyez, ni ces yeux, ni ces narines, ni ce palais, ni ces mains, ni ces pieds ne sont à la ressemblance de Dieu, qui est néanmoins en vous : où est l’intelligence, où est l’esprit, où est la raison qui recherche la vérité, où est la foi, où est votre espérance, où est votre charité, là est aussi l’image de Dieu. C’est au moins là que vous comprenez et que vous voyez que tout passe ici-bas, comme il est dit dans un autre psaume : « Quoique l’homme passe avec l’image de Dieu, il est néanmoins inutilement troublé : il amasse, et ne sait pour qui[570]. Ne vous troublez donc point : quels que soient ces biens, si vous êtes élevés en honneur et intelligents, vous verrez qu’ils passent bien vite. Car si vous n’êtes point élevés en honneur, et si vous n’avez point l’intelligence, vous êtes comparés aux animaux sans raison, et vous leur devenez semblables.
DISCOURS SUR LE PSAUME 49
modifierSERMON AU PEUPLE.
modifierLE JUGEMENT DE DIEU.
modifierLe Dieu qui appelle à la foi la terre entière et non l’Afrique seulement, est le Dieu des dieux, c’est-à-dire des anges et des saints, qui sont les cohéritiers de Jésus-Christ, qui doivent entrer en participation de sa gloire, aussi bien que le Dieu des démons, qui à leur tour sont les dieux des nations. Il a parlé et fait éclater sa gloire à Jérusalem d’abord, puis dans les nations par le moyen des Apôtres. Mais pendant sa vie et à la croix, il était caché et parlait miséricorde ; à sa résurrection il parut un Dieu même à Thomas ; tel il viendra au grand jour parler justice. Le feu qui le précède n’est qu’un châtiment vulgaire, le plus terrible c’est la privation de Dieu. Alors se fera la séparation ; les uns, figurés par les cinq vierges sages, les cinq frères du mauvais riche, les cent cinquante-trois poissons, monteront en haut pour juger avec Dieu. Ils ont fait miséricorde et ont offert le sacrifice de louanges, non avec des animaux, mais avec la sainteté du cœur et des œuvres. Ce sacrifice, le pécheur ne peut l’offrir. Crime du scandale, de la détraction. Glorifions-nous, mais en Dieu.
1. C’est à chacun de nous, mes frères, de voir en lui-même l’efficacité de la parole de Dieu pour amender notre vie, nous faire espérer ses récompenses et craindre ses châtiments ; c’est à nous, dans ce péril extrême, de mettre sous nos yeux notre conscience, sans déguisement comme sans flatterie ; car, vous le voyez, le Seigneur notre Dieu ne flatte personne. S’il nous console en nous promettant des biens, en soutenant nos espérances, il n’épargne aucunement ceux qui mènent une vie coupable et n’accueillent sa parole qu’avec mépris. Que chacun s’interroge donc, alors qu’il en est temps, qu’il voie où il en est, et’ qu’il persévère dans le bien ou se détourne du mal. Car ce n’est point un homme, ni même un ange, mais bien « le Dieu des dieux, le Seigneur qui nous parle », comme il est dit dans notre psaume. Mais en parlant qu’a-t-il fait ? « Il a appelé la terre depuis l’Orient jusqu’à l’Occident[571] ». Celui qui a appelé la terre depuis l’Orient jusqu’au couchant, c’est Jésus-Christ Notre-Seigneur et Sauveur, le Verbe qui s’est fait chair pour habiter parmi nous[572]. Notre-Seigneur Jésus-Christ est donc le Dieu des dieux, parce que tout a été fait par lui, et que rien ne l’a été sans lui. Le Verbe de Dieu, s’il est Dieu, est assurément le Dieu des dieux ; or, l’Évangile nous répond qu’il est Dieu : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu[573] ». Et si tout a été fait par lui, comme le dit ensuite l’évangéliste, il faut que les dieux qui ont été faits l’aient été par lui. Car il n’y a qu’un Dieu qui n’a pas été fait, et celui-là est vraiment le seul Dieu. Or, ce seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, est un Dieu unique.
2. Quels sont donc, et où sont ces dieux, qui ont pour Dieu le Dieu véritable ? Un autre psaume a dit : « Dieu s’est assis dans la synagogue des dieux, il est au milieu des dieux pour les juger[574] ». Nous ne savons encore s’il n’y aurait pas dans le ciel quelques autres dieux, dans l’assemblée ou dans la synagogue desquels Dieu siégerait pour les juger. Voyez dans le même psaume à qui Dieu adresse ces paroles : « J’ai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous les enfants du Très-Haut, et néanmoins vous mourrez comme des hommes, vous tomberez comme un des princes[575] ». Il est évident par là que ceux qu’il appelle dieux sont des hommes déifiés par sa grâce, et non point nés de sa substance. Celui-là seul peut justifier qui a la justice par lui-même et non par un autre. De même que celui-là peut déifier, qui est Dieu par lui-même et non par un autre ; or, celui qui justifie est aussi celui qui déifie, parce qu’en nous justifiant, il fait de nous des enfants de Dieu. « Il leur a donné le pouvoir de« devenir fils de Dieu[576] ». Devenir fils de Dieu, c’est devenir des dieux ; et toutefois nous ne sommes tels que par la grâce de l’adoption, et non par la nature ou la naissance. Il n’est qu’un seul Fils de Dieu, Dieu unique avec son Père, c’est Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, le Verbe qui était au commencement, Verbe en Dieu et Verbe Dieu. Ceux qui deviennent des dieux, le deviennent par la grâce de Dieu ; ils ne naissent point de sa substance, de manière à être ce qu’il est lui-même ; il leur fait la faveur d’arriver jusqu’à lui, et d’être ainsi les cohéritiers de Jésus-Christ. Tel est en effet la charité de cet héritier, qu’il a voulu des cohéritiers. Quel homme dans son avarice voudrait que d’autres entrassent en partage avec lui ? S’il s’en trouvait pour en vouloir et partager avec eux l’héritage, sa part serait bien moindre que s’il l’eût possédé tout entier ; mais l’héritage que nous partageons avec le Christ, ne diminue point par le nombre des possesseurs ; quel que soit le nombre des cohéritiers, la part n’en est point rétrécie ; mais elle est aussi large pour un grand nombre que pour un petit nombre ; celle de chacun vaut toutes les autres. « Voyez », nous dit un Apôtre, « quel amour le Père a eu pour nous, appelés enfants de Dieu et qui le sommes en effet[577] ». Et ailleurs : « Mes bien-aimés, nous sommes enfants de Dieu ; « et ce que nous serons un jour ne paraît pas encore ». Nous le sommes donc en espérance, et pas encore en réalité. « Car nous savons », dit le même Apôtre, « que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est.[578] » Un seul est semblable à lui par la naissance, nous le serons par la vue. Car nous ne serons pas semblables à lui de la même manière que le Fils, qui est tout ce qu’est celui qui l’a engendré ; nous serons semblables sans être égaux, tandis que le Fils est d’abord égal, et par là même semblable. Nous avons vu ceux qui sont devenus des dieux par la justification, et qui sont appelés fils de Dieu ; mais ces autres dieux qui ne sont point des dieux, pour qui le Dieu des dieux est terrible, quels sont-ils ? Il est dit dans un psaume que « Dieu est terrible par-dessus tous les dieux ». Et comme si l’on demandait : Quels sont ces autres dieux ? il ajoute : « Les dieux des nations sont tous des démons[579] ». Dieu donc est terrible pour les dieux des nations, pour les démons ; aimable pour les dieux qu’il a faits, pour ses enfants. De là vient que nous voyons la majesté de Dieu proclamée par les uns et par les autres, et les démons ont confessé le Christ, et les fidèles ont aussi confessé le Christ. « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant[580] », s’écria saint Pierre. « Nous savons qui vous êtes, le Fils de Dieu[581] », lui dirent les démons. Je trouve donc la même confession, sans trouver la même charité ; ou plutôt la charité est d’une part, de l’autre, la crainte. Ils sont donc enfants de Dieu ceux qui le trouvent aimable ; ceux qui le trouvent terrible, ne sont point ses enfants ; il a fait dieux ceux qui le trouvent aimable, et il a convaincu de n’être pas dieux ceux qui le trouvent terrible. Les uns deviennent des dieux, les autres en ont l’apparence ; la vérité donne aux uns la divinité, l’erreur l’attribue aux autres.
3. Donc « le Dieu des dieux a parlé » ; et parlé en différentes manières. C’est lui qui a parlé au moyen des anges, qui a parlé dans les Prophètes[582], qui a parlé de sa propre bouche, qui a parlé dans ses Apôtres, qui parle dans ses fidèles, qui se sert de notre bassesse pour vous dire ce que nous disons de vrai. Voyez donc ce qu’a fait au moyen de ce langage si répété, si diversifié, qui nous vient par tant d’organes, par tant d’instruments, ce Dieu qui les touche, qui les accorde, qui les inspire. « Car il a parlé et il a appelé la terre ». Quelle terre ? l’Afrique peut-être ? Car on entend dire que l’Église du Christ, c’est le parti de Donat. Dieu n’a pas seulement appelé l’Afrique, mais il n’a pas séparé l’Afrique du reste du monde. Car celui qui « a appelé la terre de l’Orient au couchant », qui n’a laissé aucune partie du monde sans l’appeler, a trouvé l’Afrique dans les peuples qu’il daignait appeler à lui. Que l’Afrique se réjouisse d’être appelée, sans se glorifier d’être séparée. Nous le disons avec raison, le Dieu des dieux a fait entendre sa voix en Afrique, mais sans l’y borner ; car « il a appelé la terre de l’Orient à l’Occident ». Il ne reste aux hérétiques ni ténèbres pour cacher leurs embûches, ni ombres pour voiler leur dogme erroné ; car, « nul ne peut se dérober au feu de ce soleil[583] ». Celui qui a appelé la terre, a appelé toute la terre ; celui qui a appelé la terre, l’a appelée telle qu’il l’a créée. Pourquoi m’apporter de faux christs et de faux prophètes ? Que me veulent ces hommes qui cherchent à m’enlacer dans leurs discours captieux, en disant : « Le Christ « est ici, ou il est là[584] ? » Je ne comprends rien quand on me montre des parties ; le Dieu des dieux me montre l’univers entier ; lui qui « a appelé la terre de l’Orient jusqu’à l’Occident », l’a rachetée sans exception ; il a condamné ceux qui divisent par la calomnie.
4. Mais après avoir vu que c’est la terre qui est appelée depuis l’Orient jusqu’à l’Occident ; depuis quel temps celui qui l’a appelée a-t-il commencé à l’appeler ? Écoutez cette parole : « C’est de Sion que lui vient l’éclat de sa beauté[585] » Ce passage du psaume est d’accord avec l’Évangile, qui dit : « Allez dans toutes les nations, en commençant par Jérusalem ». Remarquez : « Dans toutes les nations ; il a appelé la terre depuis l’Orient jusqu’à l’Occident ». Écoutez encore : « En commençant par Jérusalem ; c’est de Sion que lui vient l’éclat de sa beauté ». Donc, « il a appelé la terre depuis l’Orient jusqu’à l’Occident », est analogue à ces paroles du Seigneur : « Il fallait que le Christ souffrît, qu’il ressuscitât d’entre les morts le troisième jour, et qu’en son nom la pénitence et la rémission des péchés fussent prêchées parmi les peuples[586] ». Car tous les peuples sont disséminés de l’Orient à l’Occident. Quant à cette parole : « C’est de Sion que lui vient l’éclat de la beauté », ou que l’Évangile a commencé à jeter son éclat, puisque c’est là que l’on a d’abord annoncé celui qui est le plus beau parmi les enfants des hommes[587], elle est analogue à ces mots du Seigneur : « En commençant par Jérusalem ». Les nouvelles Écritures s’accordent avec les Écritures anciennes, comme les anciennes avec les nouvelles ; les deux séraphins se disent mutuellement : « Saint, Saint, Saint est le Seigneur, le Dieu des armées[588] ». Les deux Testaments sont d’accord, et tous deux n’ont qu’une même voix ; écoutons la voix de ces deux Testaments, si unis entre eux, et rejetons les calomnies des déshérités. Voilà donc ce qu’a fait le Dieu des dieux : « Il a appelé la terre de l’Orient à l’Occident », et sa beauté lui est venue de Sion. C’est là qu’étaient les disciples qui reçurent l’Esprit-Saint, quand il descendit du ciel, au cinquantième jour après la résurrection du Christ[589]. De là nous vient l’Évangile, de là cette prédication, qui remplit l’univers entier, et cela par la grâce de la foi.
5. Car le Seigneur étant venu sur la terre, est venu caché, parce qu’il venait pour souffrir : ayant la force en lui-même, il a paru néanmoins dans l’infirmité de la chair. Il devait être vu, mais sans être compris, et méprisé afin d’être mis à mort. L’éclat de sa gloire était dans sa divinité ; mais elle se dérobait sous le voile de la chair. Car si les Juifs l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire[590]. Il a donc vécu caché au milieu des Juifs, au milieu de ses ennemis, opérant des miracles, souffrant des injures, jusqu’à ce qu’il fût suspendu à la croix, et que les Juifs l’y voyant suspendu lui prodiguassent outrage sur outrage, branlant la tête devant la croix et s’écriant : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix »[591]. Donc, le Dieu des dieux était caché, et lorsqu’il parlait, il nous faisait entendre la voix de la miséricorde plutôt que celle de la majesté. Comment pouvait-il dire autrement qu’en notre nom : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné[592] ? » Quand le Père aurait-il quitté le Fils, ou le Fils quitté le Père ? Le Père et le Fils ne sont-ils pas un seul Dieu ? Cette parole : « Mon Père et moi sommes un », n’est-elle donc pas d’une vérité absolue ? D’où vient alors : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » si ce n’est le cri du pécheur dans l’infirmité de la chair ? Lui qui a pris la ressemblance de la chair de péché[593], pourquoi ne prendrait-il pas une voix qui ressemblât à la voix du pécheur ? Le Dieu des dieux était donc caché, lorsqu’il vivait parmi les hommes, lorsqu’il avait faim et soif, lorsque la fatigue le faisait asseoir, lorsqu’il dormait pour soulager sa lassitude, lorsqu’il était saisi, flagellé, amené devant le juge, et qu’il réprimait son orgueil en lui disant : « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne te venait d’en haut[594] » ; et lorsqu’il a été conduit à la mort, sans ouvrir sa bouche, non plus que l’agneau devant celui qui le tond[595], et lorsqu’il a été cloué à la croix, puis enseveli, le Dieu des dieux a toujours été caché. Mais qu’arriva-t-il après sa résurrection ? Les disciples furent d’abord dans la stupeur, et refusèrent d’y croire jusqu’à ce qu’ils l’eussent touché de leurs propres mains[596]. C’était la chair qui était ressuscitée, parce que la chair seule avait pu mourir ; mais la divinité, qui ne peut mourir, était voilée par cette même chair ressuscitée. On pouvait voir la forme du corps, toucher les membres, palper les blessures ; mais le Verbe par qui tout a été fait, qui pourra le voir ? le toucher ? le palper ? Et pourtant, « ce Verbe s’est fait chair et a demeuré parmi nous[597] ». Et Thomas, qui touchait la chair, comprenait Dieu autant que possible. Car, après avoir touché les plaies, il s’écria : « Mon Seigneur et mon Dieu[598] ». Or, le Seigneur leur montrait cette forme, cette chair qu’ils avaient vue clouée à la croix et déposée dans le sépulcre. Il en agit ainsi avec eux pendant quarante jours. Il ne se montra point aux Juifs impies ; il se montra seulement à ceux qui avaient cru en lui avant qu’il fût crucifié, afin de fortifier par sa résurrection ceux que sa croix avait ébranlés. Le quarantième jour, il décrivit son Église ou la terre qu’il appelle depuis l’Orient jusqu’à l’Occident, afin de ne laisser point d’excuse à ceux qui veulent périr dans le schisme, et il monta au ciel en disant : « Vous serez mes témoins à Jérusalem », d’où a jailli l’éclat de sa gloire, et dans toute la Judée, et dans la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ». À ces mots, une nuée le reçut, et les disciples regardaient celui qu’ils avaient connu, mais qu’ils n’avaient connu que dans l’humilité et non dans la gloire. Comme il se séparait d’eux pour aller au ciel, des anges leur dirent : « Hommes de Galilée, pourquoi demeurer là ? Ce Jésus que vous voyez monter au ciel, en descendra de la même manière que vous l’avez vu s’y élever[599] ». Il monta donc, et les disciples retournèrent à Jérusalem pour y demeurer, selon l’ordre qu’il leur en avait donné, jusqu’à ce qu’ils fussent remplis de l’Esprit-Saint. Mais qu’avait-il dit à Thomas qui le touchait ? « Tu as cru, parce que tu as vu ; bienheureux ceux qui ne voient point et qui croient[600] ». C’est de nous que parlait le Sauveur. Cette terre appelée de l’Orient à l’Occident ne voit pas, et pourtant elle croit. Donc le Dieu des dieux était caché, et pour ceux parmi lesquels il vivait, et pour ceux qui l’ont crucifié, e-t pour ceux dont les yeux le virent ressusciter, et pour nous qui croyons qu’il est assis dans les cieux, et qui ne l’avons point vu conversant sur la terre. Mais quand nous le verrions, verrions-nous autre chose que les Juifs qui l’ont crucifié ? Il est mieux pour nous de ne pas voir le Christ et de le croire Dieu, que pour eux de l’avoir vu et de l’avoir cru simplement un homme. Ils crurent à l’erreur et le firent mourir ; nous croyons à la vérité, et de là nous vient la vie.
6. Quoi ! mes frères, ce Dieu des dieux, alors caché, main-tenant caché, sera-t-il donc toujours caché ? Assurément non : écoutez ce qui suit : « Dieu viendra ostensiblement[601] ». Il est venu caché, il viendra au grand jour. Il est venu caché pour être jugé, il viendra au grand jour pour juger ; il est venu caché pour se présenter devant un juge, il viendra au grand jour pour juger les juges eux-mêmes : « Il viendra donc au grand jour et ne se taira point ». Comment donc ? Est-ce qu’il se tait maintenant ? D’où vient alors ce que nous vous prêchons ? D’où viennent ces préceptes ? D’où ces conseils ? D’où vient cette trompette effrayante ? IL ne se tait pas et pourtant il se tait, Il ne se tait pas à l’égard des avertissements, il se tait quant à la vengeance ; il ne se tait pas à l’égard des préceptes, il se tait à l’égard des peines. Il tolère chaque jour les crimes des pécheurs, qui n’ont souci de Dieu ni dans leur conscience, ni dans le ciel, ni sur la terre : rien de tout cela ne lui échappe, et il avertit généralement tous les hommes, et quand il en châtie quelques-uns sur la terre, c’est un avertissement et pas encore une condamnation. Il s’abstient donc de juger, il demeure caché dans le ciel, il intercède encore pour nous ; il est patient envers les pécheurs, il ne s’abandonne point à son indignation, mais il attend leur repentir. Il dit ailleurs : « Je me suis tu, me tairai-je donc toujours[602] ? » Quand il ne se taira plus, c’est donc alors « que Dieu viendra au grand jour ». Quel Dieu ? « Notre Dieu ». C’est vraiment notre Dieu qui est lieu. Les dieux des nations sont des démons, le Dieu des chrétiens est le Dieu véritable. Il viendra, mais au grand jour, non plus pour lire exposé aux outrages, ni souffleté, ni flagellé ; il viendra, mais au grand jour, non pour qu’on le frappe d’un roseau sur la tête, non pour qu’on l’attache à la croix, qu’on le fasse mourir, qu’on l’ensevelisse : c’est là tout ce qu’a voulu souffrir le Dieu caché. Il viendra au grand jour et ne se taira point.
7. La suite du psaume nous montre qu’il viendra pour juger. « Un feu marchera devant lui[603] ». Devons-nous craindre ? Changeons-nous, et nous ne craindrons plus. La paille peut craindre le feu, mais que peut le feu sur l’or ? Il ne tient qu’à toi de ne pas éprouver ce que tu éprouveras malgré toi, si tu ne te corriges. Quand même nous pourrions empêcher l’arrivée de ce jour du jugement, il me semble néanmoins qu’il ne faudrait pas vivre dans le désordre. Quand même le feu ne serait pas à craindre au jour du jugement, et que les pécheurs n’auraient à redouter que d’être séparés de Dieu, quelles que fussent d’ailleurs leurs délices ; dès qu’ils ne verront point celui qui les a créés, qu’ils seront privés des ineffables douceurs de sa face, ils auront encore à pleurer, quelle que soit leur éternité et l’impunité de leurs crimes. Mais que dirai-je, et à qui le dirai-je ? Les cœurs qui aiment Dieu comprennent seuls ce châtiment, et non ceux qui le méprisent. Ceux qui sentent quelque peu la douceur de – la sagesse et de la vérité, comprennent mes paroles et savent ce qu’il y a de pénible dans la séparation de Dieu ; mais ceux qui n’ont point goûté cette douceur n’ont qu’à redouter le feu. S’il n’aspire point à voir Dieu, qu’il redoute les tourments, celui que n’attirent point les récompenses. Si tu n’as que mépris pour les promesses de Dieu, crains du moins ses menaces, On te promet de voir Dieu, et cette promesse ne te fait ni changer, ni tressaillir, ni soupirer, ni désirer : tu te plonges dans le péché, dans les délices de la chair, tu amasses de la paille, et le feu viendra. « Un feu brûlera en sa présence ». Ce feu sera loin de ressembler à celui de ton foyer ; et pourtant, s’il te fallait y mettre la main, tu ploierais à la volonté de celui qui t’en menacerait. S’il te disait : Signe contre ton père, signe contre tes enfants, autrement je vais mettre ta main au feu ; tu ferais tout pour épargner cette douleur à ta main, pour épargner à l’un de tes membres la douleur d’un moment, car cette douleur ne serait pas éternelle. Tu fais donc le mal pour éviter une douleur si légère dont te menace un ennemi, et tu ne fais pas le bien quand le Seigneur te menace d’un malheur éternel ! Nulle menace ne devrait te porter à faire le mal, comme nulle menace ne devrait te détourner de faire le bien. Mais les menaces du Seigneur, les menaces du feu éternel t’interdisent le mal et te stimulent pour le bien, D’où vient cette torpeur, sinon de ton peu de foi ? Que chacun alors sonde son cœur et voie ce qu’y produit la foi, Si nous croyons au jugement à venir, mes frères, vivons dans la vertu. C’est maintenant le temps de la miséricorde, celui du jugement viendra ensuite. Nul ne dira : Faites--moi retourner à mes années premières. Ce sera le temps des regrets, mais des regrets superflus : qu’il se repente, maintenant que la pénitence est utile ; qu’on mette de l’engrais sur les racines de l’arbre, c’est-à-dire le deuil du cœur et les larmes, de peur que Dieu ne vienne et ne l’arrache[604]. Lorsqu’il sera arraché, il n’attendra plus que le feu. Maintenant on peut encore insérer de nouveau les rameaux retranchés[605] : « Alors, tout arbre qui ne porte pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu[606] ». « Un feu brûlera en sa présence ».
8. « Et autour de lui une tempête effroyable[607] ». Elle sera grande, la tempête qui vannera l’aire si spacieuse du Seigneur ; c’est ce tourbillon dont le souffle doit séparer les saints de tout ce qui est impur, et les fidèles des hypocrites, et les âmes pieuses qui craignent le Seigneur, de tous les orgueilleux qui le méprisent. Aujourd’hui, tout est mélangé de l’Orient à l’Occident. Voyons ce que fera celui qui doit venir, ce qu’il fera dans cet ouragan, qui sera « autour de lui une tempête horrible ». Sans nul doute, un tel ouragan fera une séparation, et telle est la séparation que n’ont pas attendue ceux qui ont rompu les filets avant d’arriver au rivage[608]. Or, cette séparation établit une différence entre les bons et les méchants, Aujourd’hui, en effet, il en est qui suivent le Christ, qui ont déchargé leurs épaules des soins embarrassants de cette vie, qui n’ont pas entendu en vain ces paroles : « Si vous voulez être parfait, vendez ce que vous possédez et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, puis venez et suivez-moi[609] ». C’est à eux qu’il est dit : « Vous vous assiérez sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël[610] ». Les uns donc jugeront avec le Seigneur, tandis que les autres seront jugés et passeront à la gauche. Que les uns doivent juger en effet avec le Sauveur, nous en avons un témoignage évident que je viens de vous citer : « Vous vous assiérez sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël ».
9. Mais, dira quelqu’un, les douze Apôtres, et pas plus, doivent siéger avec le Christ, Où donc sera l’apôtre saint Paul ? Doit-il en être séparé ? Loin de nous de tenir ce langage ! loin de nous de le penser même intérieurement ! Mais peut-être, dira-t-on, devra-t-il occuper la place de Judas ? Cependant l’Écriture fait connaître celui qui fut ordonné pour le remplacer : car Matthias est désigné si expressément, que le doute n’est pas possible[611]. La chute de Judas n’empêche pas que le nombre de douze ne soit complet. Mais si les douze trônes sont occupés par les douze Apôtres, Paul ne jugera donc point ? Ou peut-être jugera-t-il debout ? Nullement. Dieu dans sa justice ne le souffrira point il ne jugera point debout, celui a travaillé plus que tous les autres[612]. Ce seul apôtre saint Paul nous force donc d’examiner, de rechercher avec plus de soin pourquoi l’Évangile a précisé douze trônes Il y a dans l’Écriture, en effet, d’autres nombres pour exprimer une multitude. Cinq vierges sont admises, et cinq autres exclues[613]. Entendez ces vierges comme il vous plaira, soit de la chasteté et de l’intégrité du cœur, comme doit être vierge cette Église à qui il est dit : « Je vous ai fiancée à cet unique Époux, pour vous présenter à Jésus-Christ comme une vierge sans tache[614] » ; soit de cette pureté de la chair que de saintes femmes ont vouée à Dieu : est-ce que dans tant de milliers, cinq seulement seront élues ? Le nombre de cinq nous marque seulement la continence dans les sens de la chair au nombre de cinq. Les uns, en effet, se perdent par les yeux, d’autres par l’ouïe, d’autres par des odeurs illicites, plusieurs par un goût dépravé, plusieurs enfin par des embrassements adultères : voilà donc en nous cinq portes de corruption, et quiconque les ferme par la continence, et une continence qui s’appuie sur le témoignage de la conscience, ne doit pas s’en référer aux louanges des hommes : voilà les cinq vierges sages qui portent leur huile avec elles[615]. Qu’est-ce à dire qu’elles ont leur huile avec elles ? C’est là notre gloire, le témoignage de notre conscience[616]. Le riche dévoré dans les flammes de l’enfer, nous dit encore : « J’ai cinq frères[617] ». C’est là l’image du peuple juif qui était sous la loi : car Moïse leur législateur, a écrit cinq livres. De même encore le Seigneur, après sa résurrection, ordonna de jeter le filet du côté droit, et les pécheurs prirent cent cinquante-trois poissons ; « et nonobstant ce grand nombre », dit l’Évangile, « le filet ne se rompit point[618] ». Avant sa passion, il avait fait jeter le filet, sans indiquer la droite ou la gauche : s’il eût dit, en effet, la droite, il eût désigné les bons seulement, et seulement les méchants s’il eût indiqué la gauche ; mais quand il n’y a ni droite ni gauche, c’est qu’on pêche les méchants mêlés aux bons. On en prit tant alors que le filet se rompait, au témoignage de l’Évangile[619]. Cette pêche désignait le temps présent : les filets qui se rompent, ce sont les déchirures, les divisions des hérétiques et des schismatiques. Mais ce que fit le Sauveur après sa résurrection, nous montre ce qui doit arriver quand nous serons ressuscités, dans ce grand nombre marqué pour le ciel, où nul méchant ne doit se trouver. Les filets jetés à droite, désignent les bons, séparés des hommes de la gauche. Mais ceux de la droite ne seront-ils composés que de cent cinquante-trois justes ? L’Écriture parle de mille millions[620]. Lisez l’Apocalypse, et vous verrez que le seul peuple juif fournit douze fois douze mille élus[621]. Voyez le grand nombre des martyrs : non loin d’ici la seule Masse blanche[622], comme on l’appelle, a plus de cent cinquante-trois martyrs. Enfin, ces sept mille hommes dont il est dit à Elie : « Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont point courbé le genou devant Baal.[623] », surpassent de beaucoup le nombre de ces poissons. Donc ces cent cinquante-trois poissons.[624], ne fixent pas le nombre des saints, mais l’Écriture a ses raisons pour désigner par ce nombre déterminé l’universalité des saints et des justes ; en sorte que ces cent cinquante-trois nous marquent tous ceux qui appartiennent à la résurrection pour la vie éternelle. Car la loi renferme dix préceptes et l’Esprit de grâce par lequel on les accomplit a sept dons[625]. Cherchons donc la signification de ces deux nombres dix et sept : dix préceptes, sept dons de l’Esprit de grâce qui nous aide à accomplir les préceptes. Ce nombre de dix-sept renferme donc ceux qui appartiennent à la résurrection, qui sont à droite, qui auront part au royaume des cieux, à la vie éternelle, c’est-à-dire qui accomplissent la loi par la grâce de l’Esprit-Saint, et non par leurs propres œuvres ou par leurs propres mérites. Prenez maintenant ce nombre de dix-sept, et additionnez ensemble tous les autres nombres depuis un jusqu’à dix-sept, en ajoutant deux à un, puis trois, puis quatre, de manière à faire dix, puis cinq qui donneront quinze, puis six, vingt et un, puis sept, vingt-huit, puis huit, trente-six, puis neuf, quarante-cinq, puis dix, cinquante-cinq, puis onze, soixante-six, puis douze, septante-huit, puis treize, nonante-un, puis quatorze, cent cinq, puis quinze, cent vingt, puis seize, cent trente-six, puis dix-sept, cent cinquante-trois ; et vous trouverez que le nombre de saints est admirablement exprimé par ce petit nombre de poissons. De même donc que ces cinq vierges expriment des vierges sans nombre, de même que les cinq frères de celui qui était torturé dans les enfers désignent des milliers dans le peuple juif, de même que les cent cinquante-trois poissons désignent des milliers de millions d’élus, de même sur les douze trônes, il ne s’assiéra pas douze juges seulement, mais le grand nombre des parfaits.
10. Mais je vois ce que vous me demandez encore : de même que je vous ai montré comment cinq vierges en désignent beaucoup d’autres, comment les cinq frères expriment un grand nombre de Juifs, et comment enfin le nombre de cent cinquante-trois désigne tant d’élus, montrez-nous, me direz-vous, pourquoi et comment ces douze trônes, au lieu de marquer douze hommes seulement, en désignent un si grand nombre ? Pourquoi ces douze trônes, qui désignent ceux de tous les endroits du monde qui auront pu rivaliser de perfection avec les parfaits auxquels il fut dit : « Vous serez assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël[626] ? » Pourquoi ces hommes venus de toutes parts sontils désignés par le nombre douze ? Parce que cette expression de toutes parts se dit de l’univers entier ; or, l’univers entier a quatre parties, l’orient et l’occident, le midi et l’aquilon : comme donc ceux qui sont parfaits dans la foi, et par l’obéissance à la Trinité, sont appelés, au nom de la Trinité, de ces quatre parties du monde, et que quatre, trois fois répété, donne douze, vous devez comprendre pourquoi doivent être au nombre de douze ceux qui jugeront Israël, car Israël était divisé en douze tribus, et ces douze tribus désignent tout Israël. De même que les juges seront rassemblés des quatre coins du monde, de même aussi viendront des quatre coins du monde ceux qui devront être jugés. L’apôtre saint Paul, reprenant les laïques d’entre les fidèles, qui ne portaient point leurs procès au tribunal de l’Église, mais qui traînaient devant le tribunal public leurs adversaires dans des affaires litigieuses, leur dit « Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges[627] ? » Voyez comment il s’établit juge, et non seulement lui, mais tous ceux qui jugent équitablement dans l’Église ?
11. Il est donc évident que plusieurs doivent juger avec le Sauveur, et que d’autres seront jugés, non pas également, mais selon leurs mérites ; le Christ doit venir avec ses anges, les peuples de la terre seront rassemblés devant lui[628], et parmi les anges on doit compter ceux qui ont été assez parfaits pour s’asseoir sur les douze trônes, et juger les douze tribus d’Israël. Car des hommes sont aussi appelés des anges ; l’Apôtre a dit de lui-même : « Vous m’avez accueilli comme l’ange du Seigneur[629] ». Il est dit de Jean-Baptiste : « Voilà que j’envoie devant votre face mon ange, qui préparera la voie devant vous ». Donc, en venant avec ses anges, il viendra avec ses saints. C’est ce qu’Isaïe nous dit clairement : « il viendra juger avec les anciens de son peuple[630] ». Or, ces anciens du peuple, ceux qui sont appelés des anges, ces millions d’élus qui viendront de tous les points du monde, c’est là ce qu’on appelle le ciel. D’autres sont appelés la terre ; mais une terre fertile. Quelle est cette terre fertile ? Celle qui doit être à la droite, et à qui l’on dira : « J’ai eu faim, et vomis m’avez donné à manger[631] » ; c’est une terre vraiment fertile qui comblait de joie saint Paul, en lui envoyant de quoi subvenir à ses besoins : « Ce n’est pas que je désire vos dons », leur dit-il, « mais je cherche le fruit qui vous en reviendra ». Il les remercie en disant : « Vos premiers sentiments pour moi ont refleuri[632] ». Il dit : « Ont refleuri », comme s’il parlait d’un arbre frappé d’une certaine stérilité. Mais pour continuer notre psaume, que fera le Seigneur quand il viendra pour nous juger ? « Il appellera les cieux en haut ». Il appellera donc en haut le ciel ou tous les saints, tous les parfaits qui doivent juger, ceux qui doivent s’asseoir pour juger les douze tribus d’Israël[633]. Comment les appellera-t-il en haut, puisque le ciel est toujours en haut ? Mais ailleurs il nomme les cieux ceux qu’il appelle ici le ciel. Quels cieux ? Ceux qui racontent la gloire de Dieu. « Les cieux publient la gloire de Dieu », et dont il est dit : « Leur voix se répand sur tous les confins de la terre, et leurs paroles jusqu’aux extrémités du monde[634] ». Voyez comme le Seigneur discernera dans son jugement : « Il appellera les cieux en haut, ainsi que la terre, pour séparer son peuple ». De qui, sinon des méchants ? de ceux dont il n’est plus fait mention, comme étant déjà condamnés au supplice. Vois donc et reconnais les bons. « Il appellera les cieux en haut ainsi que la terre, pour séparer son peuple ». Il appelle la terre, non pour la confondre, mais pour la séparer. D’abord il a fait appel aux hommes sans discernement, quand le Dieu des dieux a parlé, pour appeler la terre depuis l’Orient jusqu’à l’Occident ; il n’avait fait aucun discernement : ses serviteurs étaient allés convier aux noces, et avaient rassemblé les bons et les méchants[635] ». Mais quand le Dieu des dieux viendra d’une manière ostensible, et qu’il ne se taira point, « il appellera le ciel « en haut », pour juger avec lui. Tel en effet est le ciel, tels sont les cieux, comme la terre et les terres, l’Église et les Églises. « Il appellera donc le ciel en haut, ainsi que la terre, pour séparer son peuple ». C’est donc avec le ciel qu’il a fait le discernement de la terre, ou le ciel s’est joint à lui pour faire ce discernement. Mais comment faire la séparation sur la terre ? En mettant les uns à droite, les autres à gauche. Que dit-il à la terre ainsi séparée ? « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde. Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger », et le reste. Mais eux, « quand vous avons-nous vu avoir faim », lui diront-ils ? Et lui : « Quand vous l’avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait[636] ». Le ciel montre à la terre que ses plus petits ont été appelés en haut, et tirés de leur bassesse : « Quand vous l’avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait ». « Il appellera le ciel en haut, ainsi que la terre, pour séparer son peuple ».
12. « Rassemblez autour de lui ses justes[637] ». Telle est la voix de Dieu et du Prophète qui voyait l’avenir comme s’il eût été présent, et qui commande aux anges de rassembler les hommes. « Il enverra ses anges, et ils rassembleront devant lui toutes les nations[638]. « Rassemblez les justes autour de lui ». Quels sont ces justes, sinon ceux qui vivent de la foi, qui font des œuvres de miséricorde ? Car ces œuvres sont des œuvres de justice. Tu lis dans l’Évangile : « Prenez garde de faire votre justice en présence des hommes pour en être vus[639] ». Et comme si l’on demandait : Quelle justice ? l’Évangéliste ajoute : « Ainsi en faisant l’aumône[640] ». Donc l’aumône désigne ici les œuvres de justice. Rassemblez donc ses justes, rassemblez ceux qui ont pris en pitié le pauvre, qui ont eu l’intelligence du pauvre et de l’indigent : assemblez-les, afin que le Seigneur les conserve et les vivifie[641] : « Rassemblez-lui ses justes ; tous ceux qui contractent avec lui une alliance par le sacrifice », c’est-à-dire, qui pensent à ses prouesses dans les bonnes œuvres qu’ils font. Car ces œuvres sont des sacrifices, puisque le Seigneur a dit : « Je préfère la miséricorde au sacrifice[642] ». Ils contractent donc une alliance avec lui par le sacrifice.
13. « Les cieux annonceront sa justice[643] ». Oui, en effet, les cieux nous ont annoncé la justice de Dieu. Les évangélistes l’ont prêchée. Par eux nous avons appris que ceux-là seraient à sa droite, à qui le Père de famille dirait : « Venez, bénis de mon Père, et recevez ». Que recevrez-vous ? « le royaume ». Pourquoi ? « Parce que j’ai eu faim, et que vous m’avez donné à manger[644] », Quoi de plus vulgaire, de plus terrestre, que de donner un morceau de pain à celui qui a faim ? Voilà ce que coûte le royaume des cieux. « Partage ton pain avec celui qui a faim, et reçois sous ton toit celui qui n’a pas d’asile ; si tu vois un homme nu, couvre-le[645] » – Mais si tu n’as ni pain à partager avec lui, ni logis à lui offrir, ni habit pour le vêtir, donne-lui un verre d’eau froide[646] ; mets seulement deux deniers dans le trésor[647]. Ces deux deniers valurent à la veuve ce que valut à Pierre d’abandonner ses filets, et à Zachée de donner la moitié de son bien[648]. Ce royaume coûte ce que vous avez. « Les cieux donc annonceront sa justice, car le Seigneur est juges. Oui, vraiment juge, ne confondant rien, discernant tout. « Car le Seigneur connaît ceux qui sont à lui[649] ». Bien que les grains soient cachés dans la paille, le laboureur les connaît. Que nul ne craigne d’être le bon grain, fût-il mêlé à la paille, car les yeux de notre vanneur ne peuvent se tromper. Ne crains donc pas que la tempête qui se fera autour de lui te confonde avec la paille. La tempête sera violente à la vérité, et pourtant elle n’ôtera pas un seul grain de blé pour le jeter avec la paille ; car le juge ne sera point quelque homme agreste avec son trident, mais bien le Dieu Trinité. « Les cieux annonceront sa justice, car le Seigneur est un juge. Que les cieux aillent et qu’ils prêchent, que leur voix gagne les confins de la terre, et que leurs paroles se répandent jusqu’aux extrémités du monde[650] » ; et que ce grand corps dise à Dieu : « Des confins de la terre j’ai crié vers vous, quand mon cœur était dans l’angoisse[651] » Aujourd’hui qu’il est dans la confusion, il gémit ; après le discernement, il sera dans la joie. Qu’il élève donc la voix et qu’il dise : « Ne perdez point mon âme avec les impies, et ma vie avec les hommes de sang[652] ». Le Seigneur ne nous perdra pas avec eux, parce qu’il est un juge. Qu’il crie donc vers lui, et lui dise : « Jugez-moi, Seigneur, et séparez ma cause de celle d’un peuple impie » Qu’il parle ainsi et Dieu l’écoutera ; et tous ses justes se presseront autour de lui. « Il a appelé la terre pour séparer son peuple ».
14. « Ecoute, mon peuple, et je te parlerai[653] ». Voyez qu’il ne se tait pas maintenant, si vous prêtez l’oreille, celui qui doit venir et qui ne se taira point. « Ecoute, ô mon peuple, et je te parlerai ». Car si tu n’écoutes, je ne parlerai point. « Ecoute, et je te parlerai ». Si tu n’écoutes, je parlerai, mais non pour toi. Quand donc te parlerai-je ? quand tu écouteras. Quand écouteras-tu ? Quand tu seras mon peuple. « Ecoute, ô toi qui es mon peuple ». Tu n’écoutes pas, si tu es un peuple étranger. « Ecoute, ô mon peuple, et je te parlerai. Israël, je te rendrai témoignage ». Ecoute, Israël, écoute ô mon peuple. Israël est un nom choisi : « On ne t’appellera plus Jacob, est-il dit, Israël sera ton nom[654] » – Écoute donc comme Israël, comme celui qui voit Dieu ; pas encore face à face, mais par la foi. Car Israël signifie celui qui voit Dieu. « Qu’il entende, celui qui a des oreilles pour entendre[655], et qu’il voie, celui qui a des yeux pour voir. Ecoute, Israël, et je te rendrai témoignage ». Celui qui disait plus haut : « Mon peuple », dit ensuite : « Israël » ; et après avoir dit : « Je te parlerai », il dit : « Je te rendrai témoignage ». Que dira donc à son peuple celui qui est le Seigneur notre Dieu ? Quel témoignage rendra-t-il à son Israël ? Écoutons : « Moi Dieu, je suis ton « Dieu ». Je suis Dieu et suis ton Dieu. Qu’est-ce à dire : « Je suis ton Dieu ? » C’est-ce qui fut dit à Moïse : « Je suis celui qui suis[656] ». Qu’est-ce à dire encore : « Je suis ton Dieu ? » Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. Je suis Dieu et je suis ton Dieu. Et quand même je ne serais pas ton Dieu, je suis Dieu. Je suis Dieu pour mon bonheur, et ce serait ton malheur si je n’étais pas ton Dieu. Car à vrai dire, cette parole : « Je suis ton Dieu », ne s’adresse qu’à celui que Dieu traite plus familièrement, qu’il regarde comme son serviteur fidèle, comme son bien. « Moi Dieu, je suis ton Dieu ». Que veux-tu de plus ? Voudrais-tu demander à Dieu qu’il te récompense, qu’il te donne quelque bien qui t’appartiendrait en propre ? Ce Dieu qui te le donnerait se donne lui-même à toi. Y a-t-il rien de plus riche ? Tu voulais un don, tu as le donateur. « Moi Dieu, je suis ton Dieu ».
15. Voyons ce que Dieu exige de l’homme ; quel tribut veut lever sur nous notre Dieu, notre chef et notre roi ; car il a voulu être pour nous un roi, il veut que nous soyons sa province. Écoutons ses édits. Que le pauvre ne craigne point les édits du Seigneur, puisqu’il nous donne le premier ce qu’il exige de nous ; donnez-le seulement de bon cœur. Dieu n’exige de nous rien qu’il ne nous ait donné, et il a donné à tous ce qu’il demande à tous. Qu’exige-t-il en effet ? Écoutons : « Je ne t’accuserai point au sujet de tes sacrifices[657] ». Je ne te dirai point : Pourquoi ne m’as-tu pas immolé un taureau puissant ? Pourquoi n’as-tu pas choisi dans ton troupeau le plus fort des chevreaux ? Pourquoi se promène-t-il dans le bercail, au lieu d’être sur mon autel ? Je ne dirai point : Cherche dans tes champs, dans ton parc, dans ta maison, de quoi m’offrir. Non, « je ne t’accuserai point au sujet de tes sacrifices ». Quoi donc ? Vous n’acceptez point mes sacrifices pour agréables ? « Vos holocaustes sont toujours en ma présence ». Il parle de certains holocaustes dont il est dit dans un autre psaume : « Si vous aviez voulu des sacrifices, je vous en aurais offert, mais les holocaustes ne vous sont point agréables » ; puis le psalmiste ajoute : « Le sacrifice qui plaît à Dieu est une âme brisée, et Dieu ne dédaigne pas un cœur contrit et humiliée »[658]. Quels sont donc les holocaustes que Dieu ne méprise pas ? Quels holocaustes sont toujours en sa présence ? « O Dieu », continue le Prophète, « dans votre amour, répandez vos bénédictions sur Sion, élevez les murs de Jérusalem ; c’est alors que vous recevrez le sacrifice de justice, et les offrandes et les holocaustes[659] ». Il assure que Dieu recevra certains holocaustes. Quand y a-t-il holocauste ? quand toute la victime est consumée par le feu ; des mots grecs kausis action de brûler, et olon entièrement : holocauste signifie donc brûlé totalement. Or, il est un feu qui vient d’une charité très fervente ; que notre âme soit donc embrasée de cette flamme de l’amour, que cette charité s’empare de nos membres et les fasse servir à son usage ; qu’elle ne les laisse point au service de l’iniquité, afin qu’il soit totalement embrasé du feu de l’amour divin, celui qui veut offrir à Dieu un holocauste. Voilà « ces holocaustes qui sont toujours en ma présence ».
16. Mais peut-être que cet Israël ne comprend point encore les sacrifices que Dieu toujours en sa présence, et qu’il pense à ses bœufs, à ses chevreaux, à ses béliers. Arrière cette pensée : « Je n’accepterai point les veaux de tes étables[660] ». J’ai parlé d’holocauste, et déjà ta pensée courait à des troupeaux terrestres, tu m’y choisissais quelque pièce bien grasse : « Je n’accepterai point les veaux de tes étables ». Le Prophète annonce ici le Nouveau Testament, qui a mis fin aux anciens sacrifices. Car ils figuraient ce sacrifice à venir, dont le sang devait nous purifier. « Je n’accepterai point les veaux de vos étables, ni les boucs de vos troupeaux ».
17. « Les bêtes des forêts m’appartiennent[661] ». Pourquoi tenir de toi ce que j’ai créé ? Sont-ils plus à vous à qui j’en ai donné la possession, qu’à moi qui les ai créés ? « C’est donc à moi qu’appartiennent les bêtes des forêts ». Mais, dira peut-être cet Israël, les animaux sont à Dieu ; oui, pour ces bêtes que j’enferme pas dans mes enclos, que je n’attrape pas dans mon étable ; mais ce bœuf, cette brebis, ce chevreau, sont bien à moi. « C’est à moi qu’appartiennent les animaux qui paissent sur les montagnes, ainsi que les brebis ». À moi ce que tu ne possèdes pas, à moi ce que tu possèdes. Si tu es en effet mon serviteur, tes biens m’appartiennent totalement ; et tandis que tout le bien que s’amasse un esclave est à son maître, on ne aurait soustraire à la possession du maître ce qu’il a créé pour cet esclave. Elles m’appartiennent donc ces bêtes des forêts, que tu n’as pas soumises ; ils m’appartiennent aussi les troupeaux qui paissent sur les montagnes, et ces bœufs qui sont dans tes étables : tout m’appartient, puisque j’ai tout créé.
18. « Je connais tous les oiseaux du ciel[662] ». Comment Dieu les connaît-il ? Il les a suspendus dans les cieux, les a comptés ; qui d’entre nous connaît tous les oiseaux du ciel ? Quand le Seigneur nous donnerait la connaissance de tout ce qui vole dans les airs, lui ne les connaît point de la manière qu’il permet à l’homme de les connaître. Autre est la connaissance chez Dieu, autre est la connaissance chez l’homme ; de même autre est pour Dieu posséder, et autre pour l’homme ; c’est-à-dire que Dieu possède bien autrement que les hommes. Pour toi, en effet, ce que tu possèdes n’est pas complètement en ton pouvoir, puisque tu ne saurais à ton gré faire vivre un bœuf ou l’empêcher de mourir ou de paître l’herbe. Celui qui a le souverain pouvoir, a aussi la connaissance la plus étendue comme la plus secrète. Reconnaissons-le à la gloire de Dieu. Loin de vous de dire Comment Dieu peut-il connaître ? N’attendez pas de moi, mes frères, que je vous explique la manière dont connaît le Seigneur ; ce que je puis vous dire, c’est qu’il ne connaît point comme les hommes, ni même comme les anges ; mais je n’oserais dire comment il connaît, je ne puis même le savoir. Toutefois je sais une chose, c’est que Dieu savait ce qu’il devait créer, même avant qu’il y eût aucun oiseau. Mais quelle connaissance en avait-il ? O homme, depuis ta naissance, depuis que tu as reçu le sens de la vue, tu as considéré des oiseaux. Ces oiseaux sont sortis de l’eau à la parole de Dieu, qui a dit : « Que les eaux produisent des oiseaux[663] ». Où Dieu connaissait-il ce qu’il commandait à l’eau de produire ? Car il connaissait ce qu’il avait créé, et il le connaissait avant de l’avoir créé. Telle est donc pour Dieu la connaissance, que toutes les créatures étaient en lui d’une manière ineffable, avant leur création ; mais exigera-t-il de toi ce qu’il avait avant même de rien créer ? « Je connais tous les oiseaux du ciel », et tu ne saurais me les donner. Je connais tout ce que tu peux immoler à ma gloire ; et je le connais, non pour l’avoir fait, mais parce que je devais le faire. « Et la beauté des champs est avec moi ». Ce qu’il y a de beau dans les campagnes, la fertilité de tout ce qui produit sur la terre, tout cela « est avec moi », dit le Seigneur. Comment avec lui ? Est-ce même avant d’exister ? Avec lui était tout ce qui devait exister, et avec lui est encore ce qui est passé ; il voit l’avenir sans que pour cela rien du passé lui échappe. Tout est avec lui par une certaine connaissance de l’ineffable sagesse divine qui est en son Verbe, et ce Verbe comprend tout. La beauté des champs ne serait-elle pas avec lui, en ce sens que Dieu est partout et qu’il a dit : « Je remplis le ciel et la terre[664] ? » Qu’est-ce qui ne serait pas avec celui dont il est dit : « Si je monte vers les cieux, vous y êtes ; si je descends dans les enfers, je vous rencontre[665] ? » Tout est avec lui : non qu’il souffre du contact des êtres qu’il a créés ou qu’il en ait besoin. Peut-être y a-t-il près de toi une colonne, près de laquelle tu te tiens debout ; et si tu ressens la fatigue, tu t’appuies sur elle. Tu as donc besoin de ce qui est avec toi, mais Dieu n’a nul besoin de ce qui est avec lui. Les campagnes et leur beauté sont avec lui, la beauté des cieux avec lui, tous les oiseaux avec lui, parce que lui-même est partout. Et pourquoi tout est-il avec lui ? Parce que tout lui était connu avant d’exister, ou d’être créé.
19. Qui peut nous expliquer et nous faire comprendre ce qui est dit dans un autre psaume : « Car vous n’avez nul besoin de mes biens[666] ? » Le Prophète nous dit qu’il n’a pas besoin de recevoir de nous, rien qui lui soit nécessaire. « Si j’ai faim, je ne vous le dirai point[667] ». Or, celui qui garde Israël, ne souffrira ni de la faim, ni de la soif, ni du sommeil[668]. Mais voilà que j’accommode mon langage à votre nature charnelle : parce que tu n’as pas mangé, et que dès lors tu souffres de la faim, tu t’imagines que Dieu a faim de manière à manger. S’il a faim, il ne te le dit pas : tout est devant lui, il peut prendre partout ce qui lui est nécessaire. Dieu parle donc ainsi pour confondre notre faible intelligence, et non pour faire quelque aveu de sa faim. Et toutefois à cause de nous ce Dieu des dieux a daigné avoir faim. Il est venu pour avoir faim et nous rassasier, avoir soif et nous donner à boire, se revêtir de notre nature mortelle pour nous revêtir de l’immortalité, se faire pauvre pour nous enrichir, Car eu se revêtant de notre pauvreté il n’a point perdu ses richesses, puisqu’en lui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science[669]. Si « j’ai faim, je ne te le dirai point. C’est à moi qu’appartient la terre avec tout ce qu’elle renferme ». Ne te mets donc pas en peine de ce que tu me donneras, j’ai sans peine ce que je veux.
20. Pourquoi penser à tes troupeaux ? « Mangerai-je la chair de tes bœufs, et boirai-je le sang des boucs ? » Vous voyez ce que n’exige point de nous celui qui va nous faire je ne sais quelle prescription. Si votre pensée se portait sur de tels sacrifices, détournez-en votre esprit, et gardez-vous de penser à offrir à Dieu rien de semblable. Avez-vous un taureau gras, tuez-le pour les pauvres ; que les pauvres mangent la chair tics taureaux, bien qu’ils ne boivent pas le sang des boucs. Et quand vous l’aurez fait, il vous en tiendra compte, celui qui a dit : « Si j’ai faim, je ne te le dirai pas » ; mais il vous dira un jour : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger[670] », « Mangerai-je la chair des bœufs, et boirai-je le sang des boucs ? »
21. Dis donc alors : Seigneur, notre Dieu, que demandez-vous de votre peuple, de votre Israël ? « Immole au Seigneur un sacrifice de louanges[671] ». Disons-lui donc nous aussi : « Seigneur, les vœux que je vous offrirai sont dans mon âme, et les actions de grâces que je vous rendrai[672] ». Je craignais que vous n’en vinssiez à me demander quelque chose qui fût hors de moi, que je pouvais compter dans mon étable, et que le voleur m’avait peut-être dérobé. Que m’ordonnez-vous ? « Immole à Dieu un sacrifice de louanges ». Nous voilà en sûreté ; nous n’allons pas en Arabie chercher de l’encens, ni fouiller dans les magasins d’un avare négociant ; Dieu nous demande un sacrifice de louanges. Or, ce sacrifice de louanges, Zachée l’avait dans ses biens, la veuve l’avait dans sa bourse chétive, un autre pauvre l’avait dans un verre d’eau froide ; et cet autre ne l’a ni dans ses biens, ni dans sa bourse, ni dans un verre d’eau, mais il l’a complètement dans son cœur. La maison de Zachée reçut le salut[673] ; et la veuve donna plus que les riches qui étaient là[674] ; celui qui n’a donné qu’un verre d’eau froide ne perdra point sa récompense[675], mais la paix doit être sur la terre pour les hommes de bonne volonté[676] : « Immole à Dieu un sacrifice de louanges ». O sacrifice gratuit donné par la grâce ! Je n’ai point acheté ce que je devais vous offrir, c’est vous qui m’en avez fait don, car je ne l’aurais même point. « Immole à Dieu un sacrifice de louanges ». C’est immoler ce sacrifice de louanges que rendre grâces à celui dont te vient tout le bien que tu possèdes, et qui dans sa bonté te pardonne tout le mal qui vient de toi, et qui est en toi. « Immole à Dieu un sacrifice de louanges, et rends au Très-Haut tes hommages ». Tel est le sacrifice dont l’odeur lui est agréable. « Rends tes hommages au Très-Haut ».
22. « Invoque-moi au jour de la tribulation, et je te délivrerai, et tu m’en glorifieras[677] » Car tu ne saurais compter sur tes forces, tes efforts ne sont que vanité. « Invoquemoi au jour de la tribulation, et je te délivrerai, et tu m’en glorifieras ». C’est pour cela que j’ai permis que ce jour de tribulation t’arrivât ; si tu n’étais dans l’affliction, peut-être ne m’invoquerais-tu pas ; mais dans la tribulation, tu m’invoques ; et quand tu m’invoqueras, je te délivrerai ; et quand je te délivrerai, tu m’en rendras grâces, afin de plus te séparer de moi. Un homme s’était assoupi, sa prière s’était attiédie, et il s’écria : « J’ai trouvé la douleur et la tribulation, et j’ai invoqué le nom du Seigneur[678] ». Il a trouvé dans la tribulation quelque chose d’utile, la corruption de ses péchés devenait une gangrène pour lui, il était privé de sentiments, et la tribulation est pour lui un feu qui brûle, un fer qui tranche. « J’ai trouvé », dit le Prophète, « la tribulation et la douleur, j’ai invoqué le nom de mon Dieu ». Il y a, mes frères, des peines que tout le monde connaît ; en voici de fort communes dans le genre humain : cet homme pleure parce qu’il a éprouvé une perte ; cet autre pleure parce qu’il est orphelin ; celui-ci s’afflige parce qu’il a est banni de sa patrie et qu’il désire y rentrer, l’éloignement lui paraît insupportable ; la grêle a ravagé la vigne de celui-là, il est sensible à l’inutilité de son travail et de tous ses soins. Quand est-ce que l’homme est exempt de peine ? C’est un ami qui devient son ennemi. Y a-t-il rien de plus sensible dans vie humaine ? Voilà des misères, des plaintes communes à tous ; dans ces afflictions ils invoquent le Seigneur, et ils font bien. Qu’ils prient Dieu, qui peut ou leur apprendre à supporter ces maux, ou les guérir quand on les supporte. Il sait limiter la tentation, afin qu’elle n’excède pas nos forces[679]. Invoquons le Seigneur au milieu de ces afflictions ; et toutefois ce ne sont là que des tribulations qui viennent d’elles-mêmes, ainsi qu’il est écrit dans un autre psaume : « Vous êtes notre secours dans les maux sans nombre qui fondent sur nous[680] ». Il en est que nous devons trouver nous-mêmes. Que celles-ci viennent d’elles-mêmes, il en est une que nous devons chercher et trouver. En quoi consiste-t-elle ? Dans la félicité même en ce bas monde, dans l’affluence des biens temporels ; non que ce soit là une peine, c’est au contraire un soulagement dans nos peines. Dans quelles peines ? dans les peines de notre exil. Car n’être pas encore avec Dieu, vivre au milieu des tentations et des embarras, ne pouvoir jamais être sans crainte, c’est là une tribulation, puisque ce n’est point la sécurité qui nous est promise. Quiconque ne ressent point cette peine de l’exil, n’a nul souci de retourner dans sa patrie. C’est là, mes frères, une véritable affliction. À la vérité nous faisons de bonnes œuvres en cette vie, quand nous donnons du pain à celui qui a faim, un asile à l’étranger, elle reste : c’est encore là une tribulation. Nous voyons des malheureux, que nous essayons de soulager, parce que leur misère nous a touchés de compassion. Combien serais-tu mieux dans ce séjour où tu ne verrais ni affamé à qui donner du pain, ni étranger à recevoir, ni indigent à revêtir, ni malade à visiter, ni plaideurs à mettre d’accord, où tout sera la perfection, la vérité, la sainteté, l’éternité ! Là, notre pain sera la justice, notre breuvage la sagesse, notre vêtement l’immortalité ; le ciel sera notre éternelle demeure, notre durée sera sans fin. La maladie viendra-t-elle nous y surprendre ? La fatigue nous entraînera-t-elle au sommeil ? Il n’y aura là ni la mort ni les procès ; mais la paix, mais le repos, mais la joie, mais la justice. Nul ennemi n’entrera dans ce lieu, nul ami n’en sortira. Quel sera là notre repos ? Si nous réfléchissons à l’état où nous sommes, et si nous le comparons à celui que nous a promis celui qui ne sait point mentir, cette promesse elle-même nous montre dans quelle tribulation nous sommes plongés. Or, cette-tribulation, nul ne la trouve que celui qui la cherche par la pensée. Vous êtes en santé, voyez si vous souffrez ; car pour un malade, il sent facilement qu’il souffre ; mais quand vous êtes en santé, voyez si vous souffrez de n’être point avec Dieu. « J’ai rencontré la tribulation et la douleur, et j’ai invoqué le nom de mon Dieu[681] ». « Immole à Dieu un sacrifice de louanges ». Bénis-le dans ses promesses, bénis-le quand il t’appelle, bénis-le quand il t’encourage, bénis-le quand il te soutient ; et comprends enfin quel est ton état d’affliction. Invoque le Seigneur, et il te délivrera, et tu le glorifieras, et tu demeureras en lui.
23. Mes frères, écoutez la suite du psaume. Quelqu’un, peut-être, parce que Dieu lui a dit : « Offre au Seigneur un sacrifice de louanges », comme un tribut qui lui est dû, médite en son cœur, et se dit : Chaque jour je me lèverai, j’irai à l’église et je chanterai au Seigneur un hymne le matin, un hymne le soir, un troisième et un quatrième dans ana demeure, chaque jour je fais à Dieu le sacrifice de la louange, l’offrande à mon Dieu. En cela vous ferez bien ; mais ne vous laissez point aller à la sécurité, parce que vous en agissez ainsi, et que votre langue bénit Dieu, tandis que votre vie est pour lui une malédiction. O mon peuple, te dit le Dieu des dieux, le Seigneur qui appelle la terre de l’Orient à l’Occident, bien que tu sois confondu avec l’ivraie[682]. « Offre au Seigneur un sacrifice de louanges, et présente-lui tes prières ». Mais garde-toi de chanter bien, et de vivre mal. Pourquoi ? « Dieu a dit au pécheur : Est-ce à toi de publier mes décrets, et à ta bouche d’annoncer mon alliance[683] ? ». Vous voyez, mes frères, avec quelle crainte nous parlons ainsi. Notre bouche publie l’alliance du Seigneur, nous vous prêchons ses enseignements et ses décrets. Et que dit Dieu au pécheur ? « Est-ce à toi ? » Il défend donc aux pécheurs de prêcher ? Que devient cette parole : « Faites ce qu’ils vous disent, et ne faites point ce qu’ils font[684] ? » Et cette autre « Peu m’importe que le Christ soit annoncé par occasion, ou par un zèle véritable[685] ! » Ces paroles de l’Apôtre doivent rassurer les fidèles au sujet du prédicateur quel qu’il soit, mais non ceux qui disent le bien et font le mal. Pour vous donc, mes frères, vous n’avez rien à craindre maintenant ; si vous entendez le bien, vous entendez Dieu, quel que soit celui qui vous prêche. Toutefois le Seigneur n’a pas voulu laisser les prédicateurs sans quelque menace ; de peur que ce seul titre ne les endorme dans la voie pernicieuse, et qu’ils ne se disent : Le Seigneur ne nous perdra point, lui qui s’est servi de notre bouche pour verser de si grands biens sur son peuple. O toi qui prêches, écoute ce que tu dis, écoute le premier tes paroles, toi qui veux qu’on les écoute ; et dis en toi-même ces paroles d’un autre psaume : « J’écouterai ce que me dira le Seigneur, car il annoncera la paix à son peuple[686] ». Qui suis-je, pour forcer les autres à écouter ce que le Seigneur dit par ma bouche, moi qui n’entends point ce qu’il dit en moi ? J’écouterai d’abord, oui j’écouterai ; mon premier soin sera d’écouter ce que le Seigneur dira en moi, parce qu’il dira des paroles de paix à son peuple. Que j’écoute, que je châtie mon corps, que je le réduise en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je sois moi-même réprouvé[687]. « Est-ce bien à toi de publier mes décrets ? » Est-ce à toi de publier ce qui n’a pas d’utilité pour toi ? Dieu donc avertit l’homme de s’écouter, non de renoncer à la prédication, mais bien de pratiquer l’obéissance. « Mais est-ce bien à toi d’ouvrir la bouche pour publier mon alliance ? »
24. « Mais toi, tu as pris en haine le châtiment[688] ». Tu hais les corrections. Le pardon te fait chanter mes louanges ; le châtiment soulève tes murmures ; comme si je n’étais pas ton Dieu et quand je châtie, et ton Dieu encore quand je pardonne. « Car je réprime et corrige ceux que j’aime[689] ». Mais toi, tu hais le châtiment, tu as rejeté loin de toi mes discours. Tu rejettes loin de toi ce que je dis par ta bouche. « Tu as donc rejeté mes discours derrière toi », de manière que sans les voir, tu en sentiras le poids. « Tu as rejeté mes discours derrière toi ».
25. « En voyant un voleur, tu courais avec « lui, et tu partageais l’héritage des adultères[690] ». Ne va point dire : Je n’ai commis aucun vol, aucun adultère. De quoi cela te sert-il, si tu as des complaisances pour celui qui commet ces crimes ; n’est-ce point là courir avec eux ? Louer celui qui agit de la sorte, n’est-ce pas entrer en partage avec lui ? C’est là, mes frères, courir avec le voleur et entrer en partage avec les adultères ; si tu ne le fais pas en effet, tu vantes celui qui le commet, tu deviens solidaire avec lui, c’est là louer le pécheur dans les désirs de son âme, et le bénir dans ses crimes[691]. Tu t’abstiens du crime, tu applaudis les criminels. N’est-ce là qu’un léger mal ? « Tu as pris part avec les adultères ».
26. « Ta bouche a été féconde en malice, ta langue a embrassé la fraude[692] ». Le Prophète dénonce ici la méchanceté, la fourberie de ces hommes flatteurs qui, connaissant le mal qu’on leur dit, non seulement n’osent reprendre ceux qui le disent, de peur de les blesser, mais les applaudissent par un silence coupable. C’est peu de ne point dire : C’est mal ; ils vont jusqu’à dire : C’est bien ; et néanmoins ils savent que cela est criminel, mais leur bouche est pleine de malice, leur langue a préparé la fourberie. La fourberie est la fraude en parole, c’est le langage en désaccord avec la pensée. Le Prophète ne dit pas : Ta langue a ourdi ou commis la fourberie ; mais, pour nous montrer qu’il y avait dans le crime un plaisir coupable, il dit : « Elle a embrassé ». C’est peu d’agir mal, tu y mets ton bonheur ; tu as des louanges au-dehors et la dérision dans l’âme. Tu causes la ruine d’un homme qui étale ses vices avec imprudence, qui ne voit pas même s’ils sont des vices ; et toi qui le sais, tu ne lui dis pas : Où vas-tu ? Si tu le voyais marcher dans les ténèbres, et près de l’endroit où tu connais un puits, quel homme serais-tu donc en gardant le silence ? Ne te regarderait-on pas comme l’ennemi de sa vie ? Et cependant, ce ne serait que la vie du corps et non celle de l’âme qu’il perdrait dans un puits. Il s’élance donc dans l’abîme du vice, il étale devant toi sa vie criminelle, tu en vois l’horreur, et tu lui applaudis au-dehors, tandis que tu le méprises dans ton âme. Oh ! s’il se retournait un jour vers le Seigneur, cet homme que tu tournes en dérision, que tu ne veux pas reprendre, et qu’il s’écrie : « Confusion sur ceux qui me disent : Courage, courage[693] ! ». « Ta langue a embrassé la fourberie »,
27. « Tranquillement assis, tu parlais contre ton frère ». Cette expression « assis » a le même sens que celui que nous avons donné à « embrasser ». Agir debout, ou en passant, c’est ne point y rechercher le plaisir ; mais s’asseoir pour le faire, n’est-ce point prendre tout son loisir ? Donc « tu t’es assis pour parler contre ton frère » ; tu as mis tes soins à commettre la détraction, tu t’es assis pour le faire : tu en voulais faire ton occupation, tu embrassais le mal, tu donnais à la fraude un baiser criminel. « Tu t’asseyais donc pour parler contre ton frère, et tu plaçais le scandale devant le fils de ta propre mère[694] ». Quel est ce fils de ta mère ? n’est-ce pas ton frère ? Le Prophète a donc voulu répéter ici ce qui a été dit plus haut : « Tu parlais contre ton frère ». N’a-t-il pas voulu mettre une certaine distinction ? Oui, mes frères, je crois qu’il est bon de distinguer. Ainsi un frère médit de son frère, quand un homme affermi dans la foi, jouissant d’une certaine considération, instruit et instruisant les autres, médit de son frère également instruit, et qui marche dans la voie droite ; mais voici un homme qui est faible, et votre détraction est un scandale pour lui. Qu’un homme de quelque considération et de quelque science médise des gens de bien, voilà un scandale pour les infirmes incapables de juger sagement. Or, cet infirme est appelé « le fils de notre mère », et non de notre père, parce qu’il a besoin de lait, et qu’il s’attache encore aux mamelles. Il est porté sur le sein de l’Église, il ne peut prendre la solide nourriture de son père, mais il se nourrit aux mamelles de sa mère, incapable de juger, parce qu’il est encore animal et charnel. « L’homme spirituel, en effet, juge de tout ; mais l’homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu ; c’est une folie pour lui »[695]. C’est pour ces hommes que l’Apôtre a dit : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels encore, comme à des enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait, non une nourriture solide : vous ne pouviez la supporter, vous ne le pouvez même encore[696] ». J’étais pour vous une mère, dit l’Apôtre, comme il dit ailleurs : « Je me suis fait petit au milieu de vous, comme la nourrice pleine de tendresse pour ses enfants[697] ». Non comme la nourrice donne à ses enfants la nourriture, mais comme la nourrice leur prodigue ses caresses. Il y a des mères qui, devenues mères, donnent leurs enfants à des nourrices ; elles sont mères, mais au lieu d’allaiter leurs enfants, elles les donnent à nourrir ; et les nourrices, loin d’allaiter leurs enfants, allaitent des étrangers ; mais l’Apôtre avait lui-même enfanté des fidèles, il les nourrissait, et ne confiait ce soin à personne, lui qui disait : « Vous que j’enfante une seconde fois, jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous[698] ». Donc il prodiguait ses caresses et allaitait. Or, des hommes doctes et spirituels blâmaient Paul. « Ses lettres », disaient-ils, « sont dures et accablantes ; en face il est faible de corps, méprisable dans ses discours[699] ». Voilà les propos qu’il attribue lui-même dans ses lettres à ses détracteurs, ils s’asseyaient donc, et parlaient mal de leur frère, et plaçaient le scandale devant le fils de leur mère que l’Apôtre devait nourrir. Ils obligeaient ainsi cette mère à enfanter de nouveau. « Devant le fils de ta mère tu plaçais le scandale ».
28. « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu[700] ». C’est pourquoi le Seigneur Dieu viendra et ne se taira point. Aujourd’hui il nous dit : « Voilà ton ouvrage et je me suis tu ». Qu’est-ce à dire : « Je me suis tu ? » Pour toi, j’ai différé ma vengeance, j’ai suspendu toute sévérité, j’ai prolongé ma patience, et longtemps j’ai attendu ton repentir. « Voilà tes œuvres et je me suis tu ». Or, quand j’attends patiemment ton repentir, toi, comme l’a dit l’Apôtre : « Par la dureté et l’impénitence de ton cœur, tu t’amasses un trésor de colère pour le jour de la colère, et de la manifestation du juste jugement de Dieu[701]. Dans ton iniquité, tu m’as cru semblable à toi ». C’est peu que le mal ait pour toi de l’attrait, tu crois encore qu’il en a pour moi. Parce que Dieu ne fait pas éclater sa vengeance, tu en fais un complice, et comme à un juge corrompu, tu lui donnes part à tes rapines. « Dans ton iniquité, tu m’as cru semblable à toi », parce que tu refusais d’être semblable à moi. « Soyez parfaits », dit le Sauveur, « comme votre Père céleste, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants[702] ». Loin de prendre pour modèle celui qui fait du bien même aux méchants, tu veux t’asseoir pour calomnier les bons. « Dans ta malice tu m’as cru semblable à toi, je t’accuserai ». Quand viendra le Seigneur notre Dieu, et qu’il ne gardera point le silence, alors « je t’accuserai ». Que ferai-je pour te reprendre ? Que te ferai-je ? Tu ne te vois pas maintenant, je te forcerai à te voir. Si tu te voyais, tu te déplairais à toi-même et tu me plairais dès lors ; mais parce que sans te voir tu as mis en toi tes complaisances, tu te déplairas un jour ainsi qu’à moi, à moi quand tu seras jugé, à toi quand tu brûleras dans les flammes. Que te ferai-je, dit le Seigneur ? « Je te mettrai en présence de toi-même ». Pourquoi vouloir te dérober à tes yeux ? Tu te rejettes en arrière pour ne point te voir, je te forcerai à te regarder ; ce que tu as rejeté derrière loi, je l’exposerai à tes regards, tu verras ta laideur, non pour l’effacer, mais pour en rougir. Et quand le Seigneur tient ce langage, mes frères, faut-il désespérer de celui qu’il menace de la sorte ? Cette ville dont on publia jadis : « Dans trois jours Ninive sera détruite[703] », n’employa-t-elle point ces trois jours à se convertir, à prier, à pleurer, à mériter son pardon au lieu d’un châtiment imminent ? Qu’ils écoutent, ceux qui sont dans le même état, pendant qu’ils peuvent écouter le Seigneur, même dans son silence. Il viendra et ne se taira point, et il t’accusera, quand il n’y aura pas moyen de t’amender. « Je le mettrai », dit le Seigneur, « en face de lui-même ». Qui que tu sois, fais donc aujourd’hui ce que le Seigneur menace de te faire. Ne rejette plus derrière toi ces fautes que tu dissimules, que tu ne veux point voir, mets-les sous tes regards. Assieds-toi sur le tribunal de ta conscience, deviens ton propre juge, cède à la crainte, que l’aveu s’échappe de ton cœur, et dis à ton Dieu : « Je reconnais mon iniquité, et mon péché est toujours devant mes yeux[704] ». Mets devant toi ce que tu rejetais encore ; de peur que ton Dieu dans sa justice ne te mette sous tes propres regards, et que tu ne puisses te dérober à toi-même.
29. « Comprenez enfin tout cela, vous qui oubliez le Seigneur ». Vous le voyez, Dieu crie, il ne se tait point, il n’épargne personne. Tu avais oublié le Seigneur, tu ne pensais pas à ta vie désordonnée ; comprends donc que tu as oublié le Seigneur, « de peur qu’enfin il ne te saisisse comme un lion, et que nul ne puisse te délivrer ». Qu’est-ce à dire : « Comme un lion ? » Avec une force, avec une puissance, à laquelle on ne peut résister. Tel est le sens qu’il donna au mot « lion ». Car cette expression se prend tantôt comme un blâme, tantôt comme un éloge. Le diable est appelé un lion dans l’Écriture : « Votre adversaire est comme un lion rugissant », dit-elle, « qui rôde autour de vous, cherchant à vous dévorer[705] ». Or, parce que le diable a été appelé lion à cause de son impitoyable fureur, le Christ ne peut-il être appelé lion à cause de sa force souveraine ? D’où vient donc ce mot de l’Écriture : « Il a vaincu le lion, de la tribu de Juda[706] ? » De grâce, mes frères, écoutez ce qui reste ; je vous en conjure, oubliez votre fatigue, il vous soutiendra, celui qui vous a donné des forces jusqu’ici. Tout à l’heure, comme pour nous désigner le tribut de louanges qu’il exige de nous, le Seigneur, comme vous l’avez entendu, nous disait : « Offre à Dieu un sacrifice de louanges, et rends au Très-Haut tes hommages ». Mais ensuite le Seigneur dit au pécheur : « Est-ce à toi de publier mes jugements, et ta bouche s’ouvrira-t-elle pour annoncer mon alliance ? »[707] Comme s’il lui disait : Tes louanges ne te servent de rien : je n’ai demandé le sacrifice de louanges qu’à ceux dont la vie est sainte ; c’est à eux que la louange est profitable : mais pour toi, il ne te sert de rien de me louer. Est-ce à toi de le faire ? « La louange ne sied pas dans la bouche du pécheur[708] ». Il résume ensuite ces deux pensées dans une même conclusion, qui est un reproche pour les méchants trop oublieux de Dieu. « Comprenez donc enfin, vous qui oubliez le Seigneur, de peur qu’il ne vous enlève comme un lion, et que nul ne puisse vous délivrer ».
30. « Le sacrifice de louanges est le culte qui m’honore[709] ». Comment le sacrifice de louanges doit-il m’honorer ? Il est certain que cette louange ne sert de rien aux pécheurs, dont la bouche s’ouvre pour publier votre alliance, ô mon Dieu, et dont les actions condamnables sont en horreur à vos yeux. Et néanmoins, répond le Seigneur, je ne laisse pas de leur dire : « C’est le sacrifice de louanges qui doit m’honorer ». Tu croyais que la louange était inutile pour toi ; eh bien ! loue-moi, elle te deviendra utile. Vivre mal et bien dire, ce n’est pas encore me louer ; de même que commencer à vivre saintement et s’en attribuer le mérite, ce n’est point me louer encore. Je ne veux point que tu ressembles à ce scélérat qui insultait au crucifié[710], mais je ne veux pas non plus faire de toi cet hypocrite qui vantait ses mérites dans le temple, et cachait ses plaies[711]. Si tu es pécheur et obstiné dans tes vices, je ne puis te dire seulement : Ta louange est inutile, mais bien : Ta louange n’existe même point, et je ne la regarde point comme une louange : si tu crois être juste, et nul n’est juste s’il n’est humble et pieux, si tu t’enorgueillis de ta justice, au point de te comparer aux autres et de les mépriser, si tu l’élèves et te glorifies de tes mérites, ce n’est point là me louer. Quiconque est pécheur ne me loue point, non plus que le juste qui s’attribue sa justice. Mais le pharisien s’attribuait-il sa justice, quand il disait : « Seigneur, je vous rends grâces de ce que je ne suis point comme les autres hommes ? » Il remerciait Dieu du bien qui était en lui. Quelle que soit donc ta vertu, quoique tu comprennes que tu as reçu de Dieu tout le bien qui est en toi, si néanmoins tu t’élèves au-dessus de celui qui en a moins, tu n’es qu’un envieux, tu ne sais me louer. Commence donc à corriger tes désordres et à vivre saintement comprends surtout que c’est par la grâce de Dieu que tu te corriges : « C’est en effet le Seigneur qui redresse les démarches de l’homme[712] ». Après avoir compris tout cela, aide les autres à devenir ce que tu es ; car tu étais toi-même ce qu’ils sont. Aide-les de tout ton pouvoir, et sans te désespérer, car Dieu n’a pas borné à toi seul les trésors de ses grâces. Donc on ne peut louer Dieu, et l’offenser par une vie désordonnée ; on ne le loue point quand on commence une vie régulière dont on s’attribue le mérite et non à la grâce de Dieu ; on ne le loue point, quand on reconnaît qu’on le doit à la grâce de Dieu, et qu’on ne veut cette grâce que pour soi-même. Dès lors celui qui disait : « Seigneur, je vous rends grâces de ce que je ne suis point comme les autres hommes, qui sont injustes, voleurs, adultères, ni même comme ce publicain[713] », ne pouvait-il pas ajouter : Faites à ce publicain les mêmes grâces qu’à moi, achevez de me donner ce qui me manque encore ? Mais il parlait, comme plein de lui-même ; il ne disait point : « Pour moi je suis pauvre et indigent[714] », comme le faisait le publicain en disant : « Seigneur, soyez-moi propice, car je suis un pécheur[715] ». Aussi le publicain s’en retourna-t-il justifié, beaucoup plus que le pharisien. Écoutez donc ceci, vous qui vivez saintement ; écoutez encore, vous qui vivez dans le désordre :« C’est le sacrifice de louange qui doit m’honorer ». Nul n’est méchant quand il m’offre ce sacrifice. Je ne dis point : Que nul méchant ne m’offre ce sacrifice, mais bien : Nul n’est méchant dès qu’il me l’offre. Celui qui me loue est bon, car s’il me loue, ce n’est pas seulement en paroles, mais en mettant ses paroles en harmonie avec ses œuvres.
31. « C’est le sacrifice de louanges qui doit m’honorer : c’est la voie par laquelle je manifesterai le salut de Dieu[716] », C’est donc dans le sacrifice de louanges qu’est « cette voie par laquelle je manifesterai le salut de Dieu ». Qu’est-ce que le salut de Dieu ? C’est Jésus-Christ ; et comment le Christ nous est-il montré dans le sacrifice de louanges ? C’est que le Christ vient en nous avec la grâce. Voici ce que dit l’Apôtre : « Je vis, non plus moi, mais le Christ vit en moi : et si je vis maintenant dans un corps charnel, je vis dans la foi du Fils de Dieu, qui m’a aimé, et qui s’est livré pour moi[717] ». Que les pécheurs reconnaissent donc qu’ils n’auraient pas besoin du médecin, s’ils jouissaient de la santé[718]. Car le Christ est mort pour les impies[719]. Pour eux donc, reconnaître leurs impiétés, puis imiter le publicain qui disait : « Seigneur, soyez-moi propice, car je suis un pécheur[720] », c’est découvrir leurs blessures au médecin, et implorer son assistance. Comme ils ne se louent pas eux-mêmes, comme ils s’accusent au contraire, de sorte que si quelqu’un d’eux se glorifie, il ne se glorifie pas en lui-même, mais dans le Seigneur[721], ils proclament la cause de l’avènement du Christ qui est venu pour sauver les pécheurs. « Jésus-Christ est venu dans ce monde », nous dit saint Paul, pour sauver les pécheurs, entre lesquels je suis le premier[722] ». Aussi, quand les Juifs se glorifient de leurs œuvres, le même Apôtre réprime leur orgueil, jusqu’à dire qu’ils n’appartiennent pas à la grâce, eux qui comptent sur leurs mérites et sur leurs œuvres pour obtenir une récompense[723]. Quiconque sait en effet qu’il appartient à la grâce, qui est le Christ et qui vient du Christ, comprend qu’il a besoin de la grâce. Ce qui est appelé grâce, est donné gratuitement ; et dès lors nul mérite en toi n’a pu précéder et provoquer ce qui est un don gratuit. Si tes mérites avaient précédé, la récompense ne serait plus regardée comme une grâce, mais comme l’acquit d’une dette[724]. Si donc tu prétends que tes mérites ont précédé, c’est toi et non le Seigneur que tu veux louer ; et dès lors tu ne reconnais plus le Christ qui est venu avec la grâce. Ainsi, abaisse un regard sur tes œuvres, comprends quelle en était la malice, en sorte qu’elles appelaient sur toi le châtiment et non la récompense. Et quand tu auras compris ce qui était dû à tes mérites, tu comprendras aussi ce que tu reçois par la grâce, et tu glorifieras Dieu par le sacrifice de louanges. Telle est la voie qui te montrera dans le Christ le salut de Dieu.
DISCOURS SUR LE PSAUME 50
modifierSERMON AU PEUPLE DE CARTHAGE.
modifierLA PÉNITENCE.
modifierCulpabilité des chrétiens au théâtre, et prière à Dieu de les ramener comme David. La faute d’un si grand homme n’est un encouragement que pour les méchants. Profit qu’en doivent tirer les âmes de bonne foi. Danger de la prospérité, David persécuté demeure juste. Précaution contre le désespoir. David n’a point péché par ignorance, mais il implore la miséricorde et se fait justice à lui-même. Parabole de Nathan. La brebis du pauvre. La femme adultère obtient son pardon ; comme pour David, son péché est toujours sous ses yeux. Dieu seul est sans péché. Souillure universelle. Dieu pardonne à quiconque se châtie. Les Ninivites. L’hysope ou l’humilité aide à nous purifier. L’homme humble écoute comme Jean-Baptiste. Dieu châtie en cette vie pour épargner en l’autre. David en face d’Absalom et de Séméi. Union à l’Esprit-Saint, au Verbe de Dieu. Sacrifice de la loi nouvelle ; prière pour l’Église. Réprimons le péché dans nous et dans les autres.
1. La vue d’une foule si nombreuse m’impose le devoir de ne point tromper son attente, et de ne pas surcharger sa faiblesse. Je vous demanderai seulement du silence et du repos, afin qu’après les fatigues d’hier, j’aie encore assez de voix et de force. Il faut croire que dans votre charité, vous ne venez en si gram nombre aujourd’hui, qu’afin de prier pour ceux qu’éloigne d’ici une folle et malheureuse passion. Nous ne parlons en effet ni des païens, ni des juifs, mais bien des chrétiens ; non de ceux qui sont encore catéchumènes, mais de plusieurs qui sont baptisés, dont vous n’êtes nullement éloignés par le baptême, mais à qui vous êtes loin de ressembler par le cœur. Combien de frères ne devons-nous pas pleurer aujourd’hui, à la pensée qu’ils courent après la vanité et les folies du mensonge[725], et négligent d’aller où ils sont appelés ! Qu’un accident quelconque les effraie au milieu du cirque, ils feront le signe de la croix ; ils se tiendront là, marquant leur front d’un signe qui devrait les en éloigner, s’il était dans leur cœur. Demandons à Dieu que, dans sa miséricorde, il leur donne la lumière qui condamne ces folies, l’amour qui les fuit, le pardon qui les oublie. Il est donc heureux pour nous que nous ayons chanté aujourd’hui un psaume de la pénitence. Parlons même aux absents, votre mémoire sera pour eux notre voix. Ne négligez ni ceux qui souffrent, ni ceux qui languissent ; mais, afin de les guérir plus facilement, conservez vous-mêmes votre santé. Que vos réprimandes les corrigent, que vos discours les consolent, que la sainteté de votre vie leur serve de modèle, et celui qui vous a pris en pitié aura aussi pitié d’eux. Car en vous retirant de si grands dangers, la bonté du Seigneur n’a pas été épuisée. Ils viendront par le chemin que vous avez pris, ils passeront où vous avez passé. Leur état est fâcheux, j’en conviens ; il est périlleux, ils courent à leur perte, à une mort certaine, puisqu’ils connaissent le mal qu’ils font. Il y a une différence, en effet, entre courir à ces folies quand on méprise la parole du Christ, et y courir quand on sait ce qu’il faut éviter. Mais notre psaume nous apprend à ne pas désespérer même de ceux qui en sont là.
2. En voici le titre : « Psaume à David, lorsque le prophète Nathan vint le trouver, après son adultère avec Bethsabée »[726] ; car Bethsabée était femme et Épouse d’un autre homme. Nous ne le disons qu’avec douleur et en tremblant ; et pourtant ce n’est point pour qu’on en garde le silence, que le Seigneur l’a fait consigner dans l’histoire. J’en parlerai donc, non de plein gré, mais parce que j’y suis contraint, et j’en parlerai non comme d’un modèle à imiter, mais comme d’un motif de crainte. David, roi et prophète, qui devait être selon la chair l’aïeul du Seigneur[727], s’éprit de la beauté de cette femme étrangère, et commit un adultère avec elle. Les psaumes n’en disent rien, mais le titre nous l’indique, et nous le lisons plus à découvert dans le livre des Rois. Ces deux ouvrages sont canoniques, et tout chrétien doit y croire sans hésiter. Le crime fut commis et ensuite consigné dans l’Écriture. David fit même tuer à la guerre le mari de cette femme ; à l’adultère il joignit le meurtre : et après ce crime le prophète Nathan lui fut envoyé, et envoyé par le Seigneur, pour lui reprocher un si grand forfait[728].
3. Voilà ce que les hommes doivent éviter ; écoutons ce qu’ils doivent imiter, s’il leur arrive de tomber. Plusieurs, en effet, veulent bien tomber comme David, mais non se relever avec lui. Ce n’est donc point lorsqu’il tombe, mais bien quand il se relève qu’il devient ton modèle, si tu es tombé. Veille donc à ne point tomber. Que la chute des grands ne soit point un sujet de joie pour les petits, mais que les petits craignent en voyant tomber les grands. Tel est le but de cette histoire, c’est pour cela qu’elle est écrite, pour cela que l’Église fait souvent lire et souvent chanter ce psaume. Que les hommes qui ne sont point tombés l’écoutent, afin de ne point tomber, et ceux qui sont tombés, afin de se relever. Le crime d’un si grand saint n’est pas couvert du silence ; on le publie dans l’Église. Les cœurs dépravés l’écoutent, et y cherchent un encouragement au péché, ils s’efforcent d’y voir une excuse pour le crime qu’ils ont résolu de commettre, et non un moyen d’éviter celui qu’ils n’ont pas encore commis. Ils disent en eux-mêmes : David l’a fait, et moi, pourquoi non ? Et voilà qu’en se livrant au crime, parce que David l’a commis, cette âme devient plus criminelle que David lui-même. Je vais m’expliquer plus clairement, s’il est possible. David ne s’était point, comme toi, proposé de modèle : il tombait sous le poids de la concupiscence, et non sous le patronage de la sainteté ; tandis que toi, tu t’enhardis au péché par l’exemple d’un saint ; et, loin d’imiter sa sainteté, tu n’imites que sa chute. Tu aimes en David ce que David hait en lui : tu te prépares au crime, tu pèches avec réflexion ; tu cherches dans le livre de Dieu une autorisation à la licence, et tu n’écoutes la parole de Dieu que pour faire ce qui déplaît à Dieu. Voilà ce que n’a point fait David, Un prophète le reprit, un prophète ne le fit point tomber. Mais à d’autres cette histoire est très utile, et ils mesurent leur faiblesse sur la chute d’un homme si fort ; afin d’éviter ce que Dieu condamne, ils interdisent à leurs yeux jusqu’au regard peu dangereux ; ils ne les arrêtent point sur la beauté d’une chair étrangère, et ne se rassurent point avec une simplicité perverse ; ils ne disent point : J’ai regardé sans malice, avec bonté, c’est par charité que j’ai regardé longtemps. Ils ont devant les yeux la chute de David, et ils comprennent que ce grand homme est tombé afin d’apprendre aux petits à ne point regarder ce qui pourrait causer leur chute. Ils répriment la liberté de leurs regards : ils ne se familiarisent pas facilement, ne s’entretiennent pas avec des femmes étrangères, ne lèvent point les yeux vers les appartements des autres, ni sur les terrasses voisines. Car David ne vit que de loin cette femme qui causa sa chute. La femme était loin, la luxure était proche. Ce qu’il voyait était loin de lui, ce qui le perdait était en lui. Il faut donc veiller à cette faiblesse de la chair, et se souvenir de ces paroles de l’Apôtre : « Que le péché ne règne pas dans votre chair mortelle[729] ». L’Apôtre n’a pas dit : Qu’il n’y soit point ; mais : « Qu’il n’y règne pas ». Le péché est en toi, quand tu en ressens l’attrait ; il y règne, si tu y consens. Il faut réprimer l’attrait charnel, surtout lorsqu’il nous porte à ce qui est défendu, à ce qui est funeste, et non lui lâcher les rênes. Il faut le dominer, et non pas en être dominé. Regarde sans crainte, si tu n’as rien qui te porte au mal. Mais, diras-tu, je résiste avec force. Es-tu donc plus fort que David ?
4. Un tel exemple nous dit aussi que nul ne doit s’élever dans la prospérité. Il en est beaucoup en effet qui craignent l’adversité et non la prospérité de cette vie. Or, la prospérité est plus dangereuse pour l’âme que le malheur ne l’est pour le corps. L’une commence à corrompre l’esprit, afin que l’autre le puisse abattre. Il nous faut donc, mes frères, redoubler de précautions contre la félicité. Aussi voyez comment la parole de Dieu cherche à nous prémunir contre toute sécurité, quand la félicité nous sourit. « Servez le Seigneur », nous est-il dit, « avec crainte et tremblement, et servez-le avec allégresse »[730]. Avec allégresse, pour le remercier ; avec crainte, pour éviter la chute. David ne pécha point quand il était en butte aux persécutions de Saül. Quand ce saint prophète avait pour ennemi Saül qui le fatiguait de ses poursuites, quand il fuyait çà et là pour ne pas tomber entre ses mains[731], il ne convoita point la femme d’un autre, il ne fit point mourir l’Époux après avoir débauché l’Épouse. Dans cette instabilité du malheur, son âme était d’autant plus fixée en Dieu, qu’il paraissait plus malheureux. Le malheur a donc son utilité, et le fer du médecin est plus utile que les amorces du démon. La disparition de ses ennemis lui donna la tranquillité ; délivré de toute poursuite, son cœur s’enfla. Cet exemple doit donc nous faire craindre la félicité. « J’ai rencontré », dit-il, « la tribulation et la douleur, et j’ai invoqué le nom de mon Dieu[732] ».
5. Mais le crime fut commis ; que mes paroles soient donc un avertissement pour ceux qui ne sont point tombés, afin qu’ils veillent à conserver leur innocence, et que les petits craignent, en voyant tomber un si grand saint. S’il est dans cet auditoire quelque pécheur à qui la conscience reproche quelque crime, qu’il écoute les paroles de ce psaume ; qu’il sonde la profondeur de cette plaie, mais qu’il ne désespère point de la puissance du médecin. Le péché joint au désespoir, c’est la mort certaine. Loin de vous de dire : Puisque j’ai commis telle faute je serai certainement réprouvé, Dieu ne me pardonnera point de si grands crimes, pourquoi n’entasserai-je pas faute sur faute ? Jouissons ici-bas de tous les plaisirs dans la volupté, comme dans la débauche : tout espoir de salut est perdu, jouissons au moins de ce qui est sous nos yeux, si nous ne pouvons posséder ce que promet la foi. Ce psaume est donc de nature à mettre sur leurs gardes ceux qui ne sont pas tombés encore, et à prémunir contre le désespoir ceux qui sont tombés. O pécheur, qui que tu sois, et qui hésites à faire pénitence de tes fautes, parce que tu désespères de ton salut, écoute les gémissements de David. Ce n’est pas le prophète Nathan que Dieu t’envoie, mais David lui-même, Écoute ses cris, et crie avec lui ; écoute ses gémissements, et gémis avec lui ; écoute ses pleurs, et joins-y tes pleurs ; écoute-le qui se corrige, et prends part à sa joie. Si tu n’as pu fermer ton cœur au péché, du moins ne le ferme pas à l’espérance du pardon. Dieu envoie le prophète Nathan vers ce pécheur[733], vois l’humilité du roi. Il ne rejette point la leçon qui lui est faite, il ne dit pas : Oses-tu me parler ainsi à moi qui suis roi ? Ce prince dans sa majesté écouta le Prophète ; que le peuple dans son humilité écoute le Christ.
6. Écoute aussi, toi pécheur, et dis avec David : « Ayez pitié de moi, ô mon Dieu, selon la grandeur de votre miséricorde[734] ». Implorer une grande miséricorde, c’est avouer une grande misère. Qu’ils n’implorent qu’une miséricorde légère ceux qui n’ont péché que par ignorance : « Ayez pitié de moi », dit David, « selon votre grande miséricorde ». Guérissez ma large blessure, par la puissance de vos remèdes. Mon mal est grand, mais j’ai recours à la puissance infinie. Une blessure aussi mortelle me jetterait dans le désespoir, si je ne trouvais un médecin aussi puissant. « Ayez pitié de moi, dans toute l’étendue de votre miséricorde ; et dans la multitude de vos bontés, effacez mon péché ». Dire : « Effacez mon péché », revient à dire : « Ayez pitié de moi, mon Dieu ». De même : « La multitude de vos bontés », a le même sens que : « L’étendue de votre miséricorde ». Parce que votre miséricorde est grande, vos miséricordes sont nombreuses, et de votre grande miséricorde viennent vos bontés infinies. Vous avez l’œil sur les contempteurs pour les corriger, l’œil sur les ignorants pour les instruire, l’œil sur ceux qui avouent leurs fautes pour leur pardonner. Un homme a-t-il péché par ignorance ? Quelqu’un déjà qui vous avait beaucoup offensé, qui avait fait des maux nombreux, « a trouvé miséricorde », nous dit-il, parce qu’il avait agi dans l’ignorance et dans l’incrédulité[735] ». Mais David ne pouvait dire : « J’ai agi dans l’ignorance », car il n’ignorait pas, que toucher à l’Épouse d’un autre, est un crime, ni qu’il y a homicide à faire mourir le mari qui ignorait tout, qui n’en témoignait pas la moindre colère. Il obtient donc miséricorde celui qui pèche par ignorance ; mais celui qui pèche sciemment, obtient non pas une miséricorde quelconque, mais une grande miséricorde.
7. « Lavez-moi de plus en plus de mon « injustice ». Qu’est-ce à dire : « Lavez-moi de plus en plus ? » C’est que je suis beaucoup souillé. Lavez de plus en plus les péchés que j’ai commis en pleine connaissance, vous qui avez effacé les fautes que j’ignorais. Il ne faut pas désespérer de votre miséricorde. « Purifiez-moi de mon péché[736] ». Quel en sera le salaire ? C’est un médecin, offre une récompense ; c’est un Dieu, offre un sacrifice. Que donneras-tu pour être purifié ? Vois celui que tu invoques ; il est juste, et parce qu’il est juste il hait le péché ; parce qu’il est juste, il châtie le péché : tu ne saurais enlever à Dieu sa propre justice. Implore sa miséricorde, mais considère sa justice : sa miséricorde pardonne au pécheur, mais sa justice châtie le péché. Quoi donc ? Tu cherches la miséricorde, et le péché doit-il demeurer impuni ? Que David nous réponde, que les pécheurs nous répondent, qu’ils nous répondent comme David, et qu’ils disent : Non, Seigneur, mon péché ne sera point impuni ; je connais la justice de celui dont j’implore la miséricorde ; mon péché ne sera point sans châtiment ; mais, je vous en supplie, ne le châtiez point, car je veux le châtier moi-même : épargnez-moi, puisque je ne veux point m’épargner.
8. « Car je reconnais mon iniquité, et mon crime est toujours devant moi[737] ». Je n’ai point rejeté en arrière ce que j’ai fait, je ne m’oublie point moi-même pour regarder les autres, je ne cherche point à ôter la paille de l’œil de mon frère, quand il y a une poutre dans mon œil[738] ; mon péché est toujours sous mes yeux, et non derrière moi. Il était derrière moi, quand est venu le Prophète qui m’a exposé la parabole de la brebis du pauvre. Voici en effet ce que dit Nathan à David : « Un homme riche avait beaucoup de brebis ; un pauvre son voisin n’en avait qu’une seule qu’il élevait dans son sein et avec son pain ; un étranger vint chez le riche qui, sans toucher à son troupeau, jeta un œil d’envie sur la brebis du pauvre son voisin, et la tua pour son hôte ; qu’a mérité cet homme[739] ? » Dans son indignation David prononça une sentence, et ne sachant point que le Prophète le prendrait dans ses paroles, il dit que ce riche était digne de mort, et rendrait quatre brebis ; sentence sévère, mais juste ! Alors son péché n’était pas encore sous ses yeux, son action criminelle était derrière lui ; il ne connaissait point encore sa propre faute, et il était sans pitié pour celle d’un autre. Mais le Prophète, envoyé à dessein, remit sous les yeux du roi cette faute laissée en arrière, afin de lui faire comprendre qu’il s’était lui-même condamné par sa propre sentence. Il s’était servi de sa langue comme d’un fer salutaire, pour ouvrir la plaie et la guérir. Ainsi en usa le Sauveur avec les Juifs, qui lui amenaient une femme adultère, pour lui tendre un piège, et qui y tombèrent eux-mêmes. « Cette femme », lui disaient-ils, « vient d’être surprise en adultère : « or, Moïse nous a commandé de lapider ces « coupables ; pour vous, qu’en pensez-vous[740] ? » il y avait là un double piège tendu à la sagesse du Seigneur : s’il la condamnait à mort, il perdait sa réputation de douceur ; s’il la faisait renvoyer libre, il encourait leur calomnie et passait pour un violateur de la loi. Que répond le Sauveur ? Il ne leur dit point : Qu’on la fasse mourir ; il ne dit point : Qu’on la mette en liberté ; mais : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ». La loi était juste en décrétant la mort contre l’adultère ; mais donnez à cette loi juste des exécuteurs innocents. Vous considérez celle que vous amenez, voyez aussi ce que vous êtes. « A ces mots, ils s’en allèrent l’un après l’autre ». Il ne resta que la femme adultère avec le Seigneur ; que la malade avec le médecin ; que la profonde misère avec la profonde miséricorde. Ceux qui l’amenaient rougirent sans demander leur pardon ; celle que l’on amenait fut dans la confusion et fut guérie. « Le Seigneur lui dit : O femme, aucun ne vous a-t-il condamnée ? et celle-ci : Aucun, Seigneur. Et le Seigneur : Et moi non plus, je ne vous condamnerai point, allez et ne péchez plus à l’avenir ». Le Christ a-t-il donc agi contre sa loi ? Car son Père n’avait pas donné cette loi sans lui. Si le ciel, la terre et tout ce qui est en eux, ont été faits par lui, la loi aurait-elle été écrite sans le Verbe de Dieu ? Donc le Seigneur n’agit point alors contre sa loi, non plus qu’un potentat n’agit contre les lois, quand il fait grâce à des coupables qui avouent leurs crimes. Moïse était le ministre de la loi, le Christ en était le promulgateur ; Moïse fait lapider comme juge, le Christ fait grâce en roi. Le Seigneur eut pitié de cette femme selon l’étendue de sa miséricorde, comme le demande le Prophète, comme il en supplie le Seigneur par ses cris et ses gémissements. Voilà ce que n’ont point fait ceux qui lui présentaient la femme adultère ; et quand le médecin étalait leurs plaies sous leurs yeux, ils n’ont point demandé au médecin la guérison. Ainsi en est-il beaucoup qui ne rougissent point du péché, et qui rougissent de la pénitence. Incroyable folie : tu ne rougis point de la plaie, et tu rougis des bandes qui la couvrent ? N’est-elle pas plus hideuse et plus fétide, quand elle est à nu ? Va donc trouver le médecin, fais pénitence et dis-lui : « Je connais mon iniquité, et mon péché est toujours sous mes yeux ».
9. « J’ai péché contre vous, contre vous seul, j’ai commis le mal en votre présence[741] », Que veut dire cette parole ? Est-ce que l’adultère de cette femme et le meurtre du mari ne furent connus d’aucun homme[742] ? Tous ne savaient-ils point le crime de David ? Que signifie : « J’ai péché contre vous seul, j’ai commis le mal en votre présence ? » C’est que Dieu seul est sans péché. Celui-là seul punit avec justice, qui n’a rien en soi que l’on doive punir : il peut reprendre justement, celui en qui l’on ne peut rien reprendre. « J’ai péché contre vous seul, j’ai commis le mal en votre présence ; en sorte que vos paroles seront justifiées et que vous vaincrez quand vous serez jugé ». À qui s’adressent ces dernières paroles, mes frères ? il est difficile de le voir. Assurément le Prophète s’adresse à Dieu, et il est évident que Dieu le Père n’a pas été jugé. Qu’est-ce à dire : « J’ai péché contre vous seul, j’ai commis le mal en votre présence, en sorte que vous serez justifié dans vos discours, et que vous vaincrez quand vous serez jugé ? » Le Prophète voit dans l’avenir le juge suprême qui sera jugé, le juste que jugeront les pécheurs, et qui sera vainqueur, parce qu’il n’y aura en lui rien de condamnable. Seul de tous les hommes, l’Homme-Dieu a pu dire avec vérité : « Si vous trouvez en moi un péché, dites-le ». Mais il y avait peut-être en lui quelque faute qui échappait aux hommes, et alors ils ne pouvaient trouver en lui ce qui existait réellement, bien que d’une manière cachée ? Il dit ailleurs : « Voici le Prince de ce monde », celui dont l’œil perçant voit les péchés de tous : « Voici le prince de ce monde », ce préposé de la mort qui en frappe tous les pécheurs : « Car la mort n’est entrée dans l’univers entier que par la jalousie du démon[743] » ; « voici donc le m prince de ce monde » (disait Jésus-Christ la veille de sa passion), « et il ne trouvera rien en moi », rien de coupable, rien qui soit digne de mort, rien qui mérite condamnation. Et comme si on lui demandait : Pourquoi donc mourez-vous ? il continue en disant : « Mais afin que le monde connaisse que je fais la volonté de mon Père, levez-vous, sortons d’ici[744] ». Je souffre, dit-il, sans le mériter, pour ceux qui le méritent, afin de faire vivre en moi ceux pour qui j’endure si injustement la mort. C’est donc à ce juste sans péché que s’adresse David, quand il dit : « J’ai péché à l’encontre de vous seul, j’ai fait le mal en votre présence, en sorte que vous serez justifié dans vos paroles, et vainqueur quand on vous jugera ». Vous êtes bien supérieur à tous les hommes, à tous les juges, et quiconque se croit juste, n’est qu’injuste auprès de vous ; vous seul jugez dans la justice, et l’on vous a jugé injustement, vous qui aviez le pouvoir de donner votre vie, comme le pouvoir de la reprendre[745]. Vous triomphez donc alors qu’on vous-met en jugement. Vous surpassez tous les hommes, parce que vous êtes plus que tous les hommes, et que c’est par vous que les hommes ont été faits.
10. « J’ai péché contre vous seul, j’ai fait le mal en votre présence, en sorte que vous serez justifié dans vos paroles, et triompherez quand vous serez mis en jugement. Voilà en effet que j’ai été conçu dans l’iniquité[746] ». Comme si l’on disait : Ceux-là sont vaincus qui ont agi comme vous, ô David ; car ce n’est pas un crime léger, une peccadille, qu’un adultère et un homicide : en est-il de même de ceux qui n’ont commis aucune faute depuis qu’ils sont sortis des entrailles de leur mère ? Imputeriez-vous à ceux-là quelques péchés, en sorte qu’il n’y ait pour triompher au jugement que celui dont vous venez de parler ? David parle ici au nom du genre humain, il a vu les chaînes de tous, il a considéré en nous la mort qui se propage il a vu l’iniquité à notre origine, et il s’écrie : « Voilà que je suis conçu dans l’iniquité ». David était-il donc né de l’adultère, lui fils de Jessé, homme juste, et de son Épouse[747] ? Pourquoi dit-il qu’il est conçu dans l’iniquité, sinon parce que l’iniquité nous vient d’Adam ? Et l’assujettissement à la mort s’est formé de l’iniquité même. Nul ne vient au monde qu’il n’entraîne avec lui sa peine, et le mérite de sa peine. Le Prophète a dit ailleurs : « Nul n’est pur en votre présence, pas même l’enfant qui est sur la terre depuis un jour[748][749] ». Car nous savons que le baptême du Christ a la force d’effacer les péchés, et qu’il est institué pour la rémission des fautes. Si les enfants naissent avec une parfaite innocence, pourquoi les mères, les voyant malades, viennent-elles en hâte les apporter à l’Église ? Qu’efface donc ce baptême, cette rémission ? Je vois cet innocent qui pleure au lieu de s’irriter. Qu’efface en lui le baptême ? Que délie la grâce ? Elle le délivre du péché transmis. Si cet enfant pouvait parler, il dirait ; et s’il avait l’intelligence comme David, il répondrait : Pourquoi ne voir en moi que l’enfant ? Tu ne vois pas mes fautes à la vérité ; « mais je suis conçu dans l’iniquité, et dans ses entrailles ma mère m’a nourri du péché ». Car ce lien de la concupiscence ne se trouvait pas dans le Christ né de la Vierge, qui l’avait conçu de l’Esprit-Saint. On ne peut dire de celui-là qu’il est conçu dans l’iniquité, il ne peut répéter : « Dans ses entrailles, elle m’a nourri du péché, cette mère », à qui l’ange avait dit : « L’Esprit-Saint viendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre[750] ». Si donc les hommes sont conçus dans l’iniquité, s’ils sont nourris du péché dans les entrailles maternelles, ce n’est point que l’union des Époux soit un péché ; mais parce qu’alors, ce qui a lieu, vient d’une chair condamnée, et la condamnation de la chair c’est la mort, et toute chair a son principe mortel. Aussi l’Apôtre ne dit-il point que notre corps doit mourir, mais qu’il est mort : « A la vérité le corps est mort à cause du péché, mais l’esprit vit à cause de la justice[751] ». Comment pourrait naître sans les liens du péché ce qui est conçu, ce qui germe dans un corps que le péché a frappé de mort ? Cette action, dès qu’elle, est chaste, n’est point criminelle ; mais l’origine du péché entraîne le châtiment qui lui est dû. Un Époux, pour être Époux, n’en est pas moins mortel, et il n’est mortel qu’à cause du péché. Le Seigneur aussi était assujetti à la mort, mais non cause du péché ; il a pris sur lui notre peine, et a dès lors expié notre faute. Il est donc juste que tous meurent en Adam, et que tous vivent en Jésus-Christ[752]. « Le péché », dit saint Paul, « est entré dans ce monde, et par le péché la mort ; ainsi la mort a passé en tous les hommes par celui-là seul en qui tous ont péché[753] ». C’est un arrêt, dit l’Apôtre : tous ont péché en Adam. Un seul enfant a pu naître dans l’innocence, parce qu’il n’était point l’œuvre d’Adam.
11. « Voilà que vous avez aimé la vérité, vous m’avez découvert ce qu’il y avait pour moi d’incertain et de caché dans votre sagesse[754] ». « Vous avez aimé la vérité » ; c’est-à-dire, vous ne laissez point sans châtiment les péchés que vous couvrez du pardon. « Vous avez aimé la vérité » ; et vous dispensez la miséricorde, de manière néanmoins à sauvegarder la vérité. Vous pardonnez à celui qui avoue sa faute, et vous lui pardonnez parce qu’il se châtie lui-même ; ainsi sont d’accord la miséricorde et la vérité : la miséricorde, parce que l’homme est délivré ; la vérité, parce que le péché reçoit son châtiment. « Voilà que vous avez aimé la vérité ; vous m’avez découvert ce qu’il y avait pour moi d’incertain et de caché dans votre sagesse ». Qu’y avait-il d’incertain, qu’y avait-il de caché ? C’est que Dieu pardonne même à de tels coupables. Rien d’aussi caché, rien d’aussi incertain. C’est dans cette incertitude que les Ninivites firent pénitence. Ils se dirent en effet, nonobstant les menaces du Prophète, nonobstant cette lugubre parole : « Dans trois jours Ninive sera détruite » ; ils se dirent qu’il fallait implorer la divine miséricorde ; ils se dirent dans leur perplexité : « Qui sait si Dieu n’adoucira point sa sentence et n’aura point pitié de nous ? » Dire : « Qui sait », c’est être dans l’incertitude. Donc dans leur incertitude ils firent pénitence, et obtinrent une miséricorde incertaine ; ils se prosternèrent et s’humilièrent dans les larmes, dans le jeûne, dans le cilice et dans la cendre ; ils gémirent, ils pleurèrent, et Dieu leur pardonna[755]. Ninive demeura-t-elle sur pied ou, fut-elle renversée ? Autres sont les pensées des hommes, et autres celles de Dieu. Pour moi, je crois que la prédiction du Prophète fut accomplie. Voyez ce qu’était Ninive, et comprenez qu’elle fut renversée : elle fut détruite du côté du mal, et reconstruite dans le bien ; de même que Saul persécuteur dut être renversé, pour que s’élevât Saul le prédicateur[756]. Qui ne croirait que cette ville où nous sommes a été renversée pour son bonheur, si tous ces insensés quittaient leurs folies, pour revenir dans l’Église avec componction, et demandaient à Dieu pardon de leurs fautes passées ? Ne dirions-nous pas alors : Où est cette Carthage d’autrefois ? Elle n’est plus ce qu’elle était, elle est renversée ; mais, pour être ce qu’elle n’était pas, elle est donc reconstruite ? C’est en ce sens qu’il fut dit à Jérémie : « Voilà que je t’ai établi pour arracher, pour détruire, pour renverser, pour dissiper, et ensuite pour édifier et planter[757] ». De là encore ce mot du Seigneur : « Je frapperai et je guérirai[758] ». Il frappe ce qu’il y a de gangrené dans le vice, il guérit la douleur de la blessure. Ainsi en usent les médecins : ils tranchent, ils frappent, ils guérissent ; ils s’arment pour frapper, ils prennent le fer et ne viennent que pour guérir. Mais comme les Ninivites étaient de grands coupables, ils dirent : « Qui sait ? » Cette incertitude, le Seigneur en avait délivré David son serviteur. Quand, en face du Prophète qui lui reprochait son crime, il s’écria : « J’ai péché » ; aussitôt il entendit le Prophète, c’est-à-dire l’Esprit-Saint par la bouche du Prophète, qui, lui dit : « Votre péché vous est remis[759] ». Le Seigneur donc lui avait découvert ce qu’il y a d’incertain dans sa sagesse.
12. « Vous me laverez avec l’hysope », dit-il, « et je deviendrai pur[760] ». Nous savons que l’hysope est une herbe peu élevée, mais curative : on dit que sa racine s’attache à la pierre. De là vient qu’elle est choisie comme un symbole de la pureté du cœur. Toi aussi, embrasse la pierre, par la racine de l’amour : sois humble devant ton Dieu qui est humble, afin de t’élever un jour avec ton Dieu glorifié, Tu seras lavé avec l’hysope, l’humilité, du Christ te purifiera. Au lieu de mépriser la bassesse de cette herbe, considère sa vertu médicale. J’ajouterai ceci, que disent d’ordinaire les médecins, et dont les malades font l’expérience : c’est que l’hysope a la vertu de guérir les poumons. Or, le poumon est le symbole ordinaire de l’orgueil ; il s’enfle et se dilate par la respiration. Il est dit de Saul persécuteur ou de Saul l’orgueilleux, qu’il courait pour lier les chrétiens, ne respirant que le meurtre[761] ; son poumon n’était point pur, et il respirait le meurtre, il respirait le sang. Mais écoute combien est pur celui qu’a lavé l’hysope : « Vous me laverez avec l’hysope et je serai pur ; vous me laverez, et je serai plus blanc que la neige ». « Quand même », est-il dit ailleurs, « vos péchés seraient comme la pourpre, ils se blanchiraient comme la neige[762] ». C’est de ceux-là que le Christ se forme un manteau sans tache et sans ride[763]. De là vient que sur la montagne son vêtement parut blanc comme la neige[764], et fut le symbole de l’Église pure de tout péché.
13. Mais où est l’humilité qui vient de l’hysope ? Écoutez la suite : « Vous ferez entendre à mon oreille la joie et l’allégresse, et les ossements brisés tressailliront[765]. Vous mettrez dans mon oreille la joie et l’allégresse ». Je me réjouirai de vous entendre et non de parler contre vous. Tu es pécheur, ô homme, pourquoi t’en défendre ? Tu veux parler : souffre que Dieu te parle, écoute, cède à la parole divine, ne te trouble point afin de ne point augmenter tes blessures : une faute est commise, ne la défends point, confesse-la sans l’excuser. Tu succomberas si tu te constitues l’avocat de ta faute : tu n’es pas un avocat irréprochable, ta défense ne peut être que malheureuse. Qui es-tu en effet, pour te défendre ? Tu n’es propre qu’à t’accuser. Loin de toi donc ces excuses : ou, je n’ai rien fait ; ou, quelle grande faute ai-je commise ? ou, d’autres l’ont faite ainsi que moi. Si, coupable d’un crime, tu dis que tu n’as rien fait, tu ne seras rien devant Dieu, tu ne recevras rien de lui : Dieu est tout prêt à t’accorder le pardon, tu en fermes l’issue jusqu’à toi : il est prêt à te faire grâce, ne lui oppose point ta défense comme une digue, ouvre-lui ton cœur par l’aveu. « Vous me ferez entendre la joie et l’allégresse ». Que Dieu, mes frères, me donne d’exprimer ma pensée. Les auditeurs sont plus heureux que les prédicateurs : quiconque s’instruit est humble, mais celui qui instruit les autres doit se mettre en garde contre l’orgueil, contre toute volonté de plaire aux hommes, ce qui serait alors déplaire à Dieu. Ceux qui instruisent, mes frères, tremblent devant ces paroles, et je ne vous parle qu’en tremblant. Croyez-en à mon cœur que vous ne pouvez voir : mais puisse s’adoucir en notre faveur, et nous être propice, celui qui connaît avec quel tremblement je vous instruis ! Mais lorsque nous l’écoutons qui nous parle intérieurement, qui nous enseigne, alors nous sommes en sûreté, notre joie est sans crainte : nous avons un maître, nous cherchons sa gloire, nous le louons dans ses enseignements : sa vérité nous transporte à l’intérieur où nul ne fait et n’entend le bruit. C’est là que David trouvait sa joie et son allégresse. « Vous mettrez », dit-il, « dans mon oreille la joie et l’allégresse ». Mais il écoute parce qu’il est humble. Celui qui écoute, qui écoute vraiment, sincèrement, celui-là écoute avec humilité, car toute sa gloire est dans celui dont il écoute la parole. Après avoir dit : « Vous mettrez dans mon oreille la joie et l’allégresse, il nous montre ce qu’il en revient d’avoir écouté. Les ossements brisés tressailliront ». Les ossements brisés, les ossements de celui qui écoute, n’ont point ce faste et cet orgueil que surmonte difficilement en lui-même celui qui parle. De là encore l’humilité de ce grand homme dont le Christ a dit que nul ne fut plus grand parmi les enfants des hommes[766], et qui s’humilia au point de se dire indigne de délier les cordons des souliers du Seigneur[767], de ce Jean-Baptiste, qui rendit toute la gloire à son maître et devint ainsi son ami. Et quand on le prenait pour le Christ, et qu’il pouvait se prévaloir et s’enorgueillir de cette erreur ; non que lui-même se soit dit le Christ, mais quand il pouvait accepter cet honneur de la part des hommes qui voulaient spontanément le lui déférer[768], il repoussa ce faux honneur afin de trouver la vraie gloire ; et voyez comme son humilité venait de ce qu’il écoutait : « Celui qui a l’Épouse », dit-il, « est l’Époux ; mais celui qui se tient debout et qui écoute, est l’ami de l’Époux ». Il dit qu’il est debout et qu’il écoute, non pas, qu’il tombe et qu’il parle. « Il est debout », dit-il, « et il écoute l’Époux ». Vous l’entendez, il est debout, où donc est la joie et l’allégresse ? Il continue aussitôt : « Il est debout, et il l’écoute, et il tressaille de joie à la voix de l’Époux[769]. Quand j’écouterai, vous me donnerez la joie et l’allégresse, et les ossements jetés à terre tressailliront ».
14. « Détournez votre face de mes fautes, effacez toutes mes iniquités[770] » Déjà tressaillent mes ossements jetés à terre, déjà l’hysope m’a purifié, et je suis devenu humble. « Détournez votre face, non de moi, mais de mes péchés ». Car il dit ailleurs en suppliant : « Ne détournez point de moi votre face[771] ». Il ne veut donc point que Dieu détourne de lui sa face, mais il veut qu’il la détourne de ses péchés. Car Dieu voit tout péché dont il ne détourne pas sa face ; s’il le voit il le châtie. « Détournez donc votre face de mes fautes, effacez toutes mes iniquités ». Il se rassure au sujet de son grand péché ; il porte plus loin sa confiance, il veut que toutes ses fautes soient effacées : il met son espoir dans la main du médecin, dans cette grande miséricorde, qu’il a implorée au commencement du psaume : « Effacez toutes mes iniquités ». Dieu détourne ses regards, et c’est ainsi qu’il les efface : en détourner son regard, c’est les effacer ; les voir, c’est les écrire. Tu as entendu que Dieu efface nos péchés quand il s’en détourne, écoute ce qu’il fait quand il les voit : « La face du Seigneur est sur tous ceux qui font le mal, afin d’effacer de la terre jusqu’à leur souvenir[772] » ; parce qu’il n’efface pas leurs péchés. Mais ici, que demande le Prophète ? « Détournez vos regards de mes péchés ». Cette prière est sage, car lui-même ne détourne point les yeux de ses fautes, puisqu’il dit : « Pour moi, je connais mon péché ». Tu as donc le droit, tu fais bien de demander à Dieu qu’il détourne son regard de tes péchés, si tu n’en détournes pas le tien ; mais si tu rejettes ton péché en arrière, Dieu le tient présent sous ses yeux. Que ton péché soit donc toujours sous tes yeux, si tu veux que Dieu en détourne ses regards tu peux alors le demander en toute sûreté, et il t’exaucera.
15. « Créez en moi Seigneur, un cœur nouveau ». « Créez » ; le Prophète n’a point voulu dire par là : Faites en moi quelque chose de nouveau ; mais comme il priait avec repentir, comme il était coupable d’un crime, et qu’avant ce crime il était plus innocent, il nous montre ainsi la valeur de cette expression : « Créez. Et renouvelez au fond de mon âme l’esprit de droiture ». Mon crime, dit-il, avait détruit et courbé la droiture de mon esprit. Il dit dans un autre psaume : « Ils ont, courbé mon âme[773] ». Et quand l’homme se penche vers les convoitises du temps, il se courbe en quelque sorte ; quand il s’élève aux biens d’en haut, de manière à trouver la douceur en Dieu, son cœur devient droit. « Combien est bon le Dieu d’Israël, pour ceux « qui ont le cœur droit[774] ! » Donc, mes frères, écoutez. Souvent Dieu châtie de ses péchés en cette vie l’homme auquel il pardonne pour l’autre vie. David lui-même, à qui Dieu avait dit par son Prophète : « Votre péché vous est remis[775] », dut subir les châtiments dont Dieu l’avait menacé à cause de sa faute. Son fils Absalon lui fit une guerre sanglante et le réduisit à d’humiliantes extrémités[776]. Il marchait dans la douleur, dans l’affliction et le mépris, tellement soumis à Dieu qu’il reconnaissait sa justice dans ces traitements, et confessait qu’il ne souffrait rien qu’il n’eût mérité. Déjà son cœur était redressé, et Dieu ne lui déplaisait point. Il entendit patiemment un homme qui l’injuriait et lui jetait à la face des imprécations[777], un homme qui se déclarait son ennemi, et marchait avec les soldats de son fils rebelle. À ces malédictions jetées au roi, un des compagnons de David voulut courir sur cet insolent et le tuer ; mais David le retint. En quels termes ? « C’est Dieu », dit-il, « qui l’a envoyé pour me maudire ». Il reconnaît donc sa faute, il en approuve le châtiment, il ne cherche point sa propre gloire ; il bénit le Seigneur du bien qu’il trouve en lui-même, il bénit le Seigneur des maux qu’il endure, il bénit le Seigneur en tout temps ; la louange du Seigneur est toujours en sa bouche[778]. Tels sont les hommes au cœur droit : bien différents de ces hommes dépravés qui se croient justes et Dieu pervers ; qui jubilent quand ils font le mal ; qui blasphèment quand ils souffrent ; qui sous le fouet de la tribulation s’écrient dans leur âme dépravée : Dieu, que t’ai-je fait ? En vérité, ils n’ont rien fait pour Dieu, ils ont tout fait pour eux-mêmes : « Renouvelez dans mes entrailles d’esprit de droiture ».
16. « Ne me repoussez point de votre présence ». Détournez vos regards de mes péchés, mais ne m’éloignez pas de votre présence. Il redoute le regard de Dieu, et néanmoins il invoque ce regard. « Ne m’éloignez pas de votre présence, et ne retirez pas de moi votre Esprit-Saint[779] ». Car le Saint-Esprit est dans celui qui avoue ses fautes. Que votre péché vous déplaise, c’est là un don de l’Esprit-Saint. Le mal plaît à l’esprit impur, il déplaît à l’esprit de sainteté : et quoique, d’une part, tu demandes encore pardon à Dieu, néanmoins comme d’autre part tu as en aversion le mal que tu as fait, lu es uni à Dieu, puisque tu hais ce qu’il hait. Ainsi, vous voilà deux contre la fièvre, le médecin et toi. Mais comme il n’est pas au pouvoir de l’homme d’avouer et de punir par lui-même son péché, quiconque s’irrite contre soi-même et se prend à dégoût, ne le fait que par un don de l’Esprit-Saint. Aussi le Prophète ne dit point : Donnez-moi votre Esprit-Saint, mais : « Ne le retirez pas de moi. Ne retirez pas de moi votre Esprit-Saint ».
17. « Rendez-moi la joie de votre salut[780] ». « Rendez-la-moi », car je l’avais avant de la perdre par le péché : « Rendez-moi cette joie de votre salut » ; c’est-à-dire de votre Christ. Sans lui, qui peut être guéri ? Avant même qu’il fût né d’une vierge, « le Verbe était au commencement, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu[781] ». Ainsi les anciens croyaient à l’Incarnation dans l’avenir, comme nous y croyons au passé. Les temps ont changé, mais non la foi. « Rendez-moi la joie de votre salut, et fortifiez-moi de votre souverain Esprit ». Plusieurs ont vu ici la Trinité, si l’on envisage Dieu en lui-même et sans le mystère de l’Incarnation. Il est écrit en effet : « Dieu est esprit[782] ». Ce qui n’est point corporel et qui existe néanmoins ne peut être qu’esprit. Quelques-uns donc ont vu ici la Trinité, « l’Esprit de droiture » serait le Fils[783], « l’Esprit-Saint », le Saint-Esprit, et « l’Esprit souverain », le Père. Que l’on entende ainsi ces paroles, ou que dans cette expression : « Renouvelez dans mes entrailles l’esprit de droiture », le Prophète ait parlé de l’esprit de l’homme, que le péché a courbé, rendu tortueux, en sorte que l’Esprit-Saint soit cet esprit principal, qu’il demande à Dieu de ne point lui ôter, et dans lequel il veut être affermi, aucun de ces deux sens n’est contre la foi.
18. Mais voyez ce qu’il ajoute : « Fortifiez-moi », dit-il, « parle souverain Esprit ». En quoi veut-il être affermi ? Parce que vous m’avez accordé mon pardon, parce que j’ai la certitude que vous ne m’imputerez point ce que vous m’avez remis, cette faveur me donne la sécurité, cette grâce me fortifie, et je ne serai pas ingrat. Que ferai-je alors ? « J’enseignerai vos voies aux méchants ». Moi, jadis impie, j’instruirai les impies, c’est-à-dire qu’après avoir été méchant, je ne le suis plus, et que si vous ne retirez de moi votre esprit, si même vous m’affermissez dans l’esprit souverain, « j’enseignerai vos voies aux méchants ». Quelles voies leur enseignerais-tu ? « Les impies se retourneront vers vous[784] ». Si le péché de David est regardé comme une impiété, que les impies ne se livrent point au désespoir, puisque Dieu pardonne à l’impie : mais à la condition qu’ils se convertiront à lui, qu’ils étudieront ses voies. Si l’on ne voit point dans les péchés de David une impiété, et si l’impiété est proprement l’apostasie contre Dieu, si elle consiste à n’adorer pas un seul Dieu, à ne l’avoir jamais servi, ou à le quitter après l’avoir servi, il y a comme exagération dans cette parole : « Les impies se tourneront vers vous ». Telle est l’abondance de votre miséricorde, que ceux qui se convertissent à vous, non seulement d’entre les pécheurs vulgaires, mais aussi d’entre les impies, ne doivent point désespérer. « Les impies, se retourneront vers vous ». Pourquoi ? Afin que leur foi leur soit imputée à justice, quand ils croiront en celui qui justifie l’impie[785].
19. « Délivrez-moi des sangs, Seigneur, Dieu de mon salut ». En mettant au pluriel le mot sang, le traducteur latin s’est servi d’une expression peu latine pour rendre la force du grec. Nous savons tous que le mot sang n’a pas de pluriel ; et néanmoins comme le grec l’a mis au pluriel, non sans raison, et parce qu’il en était ainsi dans l’hébreu, le pieux interprète a mieux aimé employer une expression moins latine qu’une autre moins exacte. Pourquoi donc a-t-il dit au pluriel : « Délivrez-moi des sangs ? » Il a voulu montrer dans la pluralité du sang, comme dans l’origine de cette chair du péché, la pluralité de fautes. C’est dans le même sens que sain Paul, envisageant ces fautes sans nombre qui nous viennent de la corruption du sang et de la chair, s’écriait : « La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu[786] ». Et néanmoins, d’après l’enseignement du même Apôtre, il est de foi que notre chair ressuscitera, et qu’elle méritera d’être incorruptible selon cette parole : « Il faut que ce corps corruptible soit revêtu d’incorruptibilité, et que cette chair mortelle soit revêtue d’immortalité[787] ». Comme donc c’est du péché que vient cette corruption, elle donne son nom aux péchés ; de même qu’on donne le nom de langue à cette parcelle de chair, à ce membre qui se meut dans la bouche quand nous articulons des mots distincts, et langue encore ce que profère cette langue ; ainsi nous disons la langue latine ou la langue grecque ; non que la chair soit différente, mais simplement le son. De même alors qu’on appelle une langue ce que produit une langue ; de même on appelle sang l’iniquité qui vient du sang. Jetons donc les yeux sur le grand nombre d’iniquités, ainsi qu’il l’a dit plus haut : « Effacez toutes mes fautes ; et les attribuant à la corruption de la chair et du sang, « Délivrez-moi », dit-il, « des sangs » ; c’est-à-dire, délivrez-moi de mes iniquités, purifiez-moi de toute corruption. Dire alors : Délivrez-moi des sangs, c’est témoigner le désir d’être incorruptible : car la chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu, non plus que la corruption ne possédera l’héritage incorruptible. « Délivrez-moi des sangs, Seigneur, Dieu de mon salut ». Il nous montre ainsi que quand notre corps sera parfaitement sain, il n’y aura en lui rien de cette corruption, que l’on désigne sous le nom de chair et de sang : et que la santé du corps sera complète. Maintenant, en effet, comment dire qu’il est sain, ce corps qui tombe, qui est dans le besoin, qui est sans cesse tourmenté par la maladie de la faim ou de la soif ? Voilà ce qui disparaîtra car les aliments sont pour l’estomac, et l’estomac pour les aliments[788], mais Un jour Dieu détruira l’un et les autres. Dieu donnera au corps une beauté parfaite, la mort sera absorbée dans sa victoire[789], il n’y aura plus aucune corruption, nulle défaillance ne nous surprendra, les années ne nous changeront point, nul travail ne nous fatiguera, nous n’aurons besoin ni de viande pour réparer nos forces, ni de nourriture pour les soutenir. Toutefois nous ne serons privés ni d’aliments ni de breuvage ; mais nous aurons pour nourriture et pour breuvage Dieu lui-même : c’est le seul aliment qui nourrisse toujours et qui ne s’épuise jamais. « Délivrez-moi des sangs, Seigneur, Dieu de mon salut ». Ce salut, nous en jouissons dès maintenant. Écoutez l’Apôtre : « Nous sommes sauvés par l’espérance ». Et voyez qu’il parlait du salut du corps : « En nous-mêmes nous gémissons dans l’attente de l’adoption des enfants de Dieu, qui sera la délivrance de notre corps ; nous sommes en effet sauvés par l’espérance ; or, l’espérance que l’on verrait ne serait plus de l’espérance ; comment espérer ce que l’on voit ? Si donc nous ne voyons pas encore ce que nous espérons, nous l’attendons par la patience[790] ». Celui qui persévérera jusqu’à la lin, et telle est la patience, celui-là sera sauvé[791] ; et voilà le salut que nous n’avons pas encore, mais que nous devons avoir. La réalité n’existe pas encore, l’espérance est certaine. « Et ma langue alors publiera votre justice ».
20. « Seigneur, vous ouvrirez mes lèvres, et ma bouche publiera vos louanges[792]. Vos louanges, parce que vous m’avez créé ; vos louanges », parce que vous ne m’avez pas abandonné, malgré mon péché ; « vos louanges », parce que vous m’avez averti de confesser ma faute ; « vos louanges », parce que vous m’avez purifié afin que je fusse en sûreté : « Vous ouvrirez mes lèvres, et ma bouche publiera vos louanges ».
21. « Si vous aviez voulu des sacrifices, je vous en aurais offert[793] ». Au temps de David on offrait à Dieu des animaux en sacrifice, mais il voyait les temps à venir. N’est-ce point nous que nous reconnaissons dans ces paroles ? Ces sacrifices étaient des symboles qui annonçaient l’unique sacrifice du salut. Dieu ne nous a donc pas abandonnés sans nous laisser un sacrifice que nous puissions lui offrir. Écoute le Prophète soucieux de son péché, et cherchant à obtenir le pardon du crime qu’il a commis : « Si vous eussiez voulu des sacrifices », dit-il, « je vous en aurais offert. Mais les holocaustes ne vous sont point agréables[794] ». N’aurons-nous donc rien à offrir ? Nous présenterons-nous ainsi devant Dieu ? Comment alors l’apaiser ? Eh bien ! offre à Dieu, tu as en toi de quoi lui offrir. Ne va pas au loin chercher de l’encens ; mais dis : « En moi, Seigneur, sont les vœux que je vous présenterai, les louanges que je vous offrirai[795] ». Ne cherche point un animal pour l’égorger, tu as en toi de quoi immoler à Dieu. « Le sacrifice que veut le Seigneur est une âme brisée, et Dieu ne dédaigne pas un cœur contrit et humilié[796] ». Le taureau, le bouc, le bélier, il les dédaigne ; ce n’est plus le moment de les offrir. On les offrait quand ils étaient des symboles, des promesses ; mais la promesse a dû disparaître devant l’objet lui-même. « Dieu donc ne rejette pas un cœur contrit et humilié ». Dieu est élevé, tu le sais : si tu t’élèves, il s’éloignera de toi ; si tu t’abaisses, il s’en approchera.
22. Voyez celui qui parle ici : il semblait que cette prière n’était que de David, et néanmoins voyez ici notre image, et la figure de l’Église. « Dans votre bonté, Seigneur, répandez vos faveurs en Sion[797] ». Soyez favorable à cette Sion. À quelle Sion ? À la cité sainte. Quelle est la cité sainte ? Celle qui ne peut être cachée, qui est établie sur la montagne[798]. En Sion est la contemplation, parce qu’elle contemple ce qu’elle espère. Sion signifie donc la contemplation, et Jérusalem vision de la paix. Vous vous reconnaissez donc en Sion et en Jérusalem, si vous attendez avec certitude l’espérance à venir, et si vous êtes en paix avec Dieu. « Elevez les murs de Jérusalem. Seigneur, dans votre bonté, répandez vos faveurs en Sion ; élevez les murs de Jérusalem ». Que Sion ne s’attribue aucun mérite ; mais vous, Seigneur, comblez-la de vos grâces : « Elevez les murs de Jérusalem », mettez les boulevards de notre immortalité, dans la foi, dans l’espérance, dans la charité.
23. « Alors vous recevrez le sacrifice de justice[799]. Maintenant pour nos fautes vous recevez le sacrifice d’une âme brisée, d’un cœur contrit et humilié, alors on ne vous offrira plus qu’un sacrifice de justice, uniquement des louanges. « Bienheureux ceux qui habitent vos demeures, ils vous béniront éternellement[800] ». Voilà le sacrifice de justice. « Quant aux offrandes et aux holocaustes ». Qu’appelle-t-on holocaustes ? L’offrande entièrement consumée par le feu. Quand le corps de la victime était brûlé entièrement par le feu de l’autel, ce sacrifice prenait le nom d’holocauste. Que le feu divin nous consume entièrement, qu’une sainte ferveur nous absorbe. Quelle ferveur ? « Nul ne peut se dérober à ses feux[801] ». Quelle ferveur encore ? L’Apôtre l’a dit : « Ayons la ferveur de l’esprit[802] ». Non seulement que notre âme, que notre corps aussi soit embrasé de ce feu de la divine sagesse, afin de mériter là-haut l’immortalité ; que notre holocauste s’élève jusqu’à absorber la mort dans sa victoire[803]. « On fera en votre honneur des offrandes et des holocaustes, et l’on placera la chair des veaux sur vos autels ». Pourquoi des veaux ? Qu’y choisira le Seigneur ? Est-ce l’innocence du jeune âge, ou l’affranchissement du joug de la loi ?
24. Nous voici, mes frères, par la grâce du Christ, à la fin du Psaume, non peut-être comme nous l’aurions voulu ; mais, du moins, comme nous l’avons pu. Il nous reste à vous adresser quelques mots sur les malheurs dans lesquels nous vivons. Car nous vivons en ce monde et il nous est impossible de nous séparer des désordres du monde. Il nous faut donc de la patience pour vivre au milieu des méchants, car les bons qui vivaient avec nous quand nous étions impies, nous ont supportés avec patience. N’oublions pas ce que nous étions, ne désespérons pas de ceux qui sont aujourd’hui ce que nous avons été. Toutefois, mes frères, dans une telle diversité de mœurs, et dans une si effroyable corruption, gouvernez vos maisons, gouvernez vos enfants, gouvernez vos familles. Autant nous sommes obligés de vous parler au nom de l’Église, autant le devoir vous oblige à veiller sur vos familles, afin que vous puissiez rendre un bon témoignage de ceux qui vous sont confiés. Dieu aime l’ordre. C’est une innocence bien fausse et bien perverse, que de lâcher les rênes aux péchés. C’est une indulgence bien inutile et même bien funeste que celle d’un père pour un fils qui ressentira la sévérité de Dieu ; et non seulement le fils, mais avec
lui ce père dissolu. Quoi donc en effet ? S’il ne pèche point, n’est-il pas cause des péchés de son fils, n’est-ce pas à lui d’en arrêter les désordres ? Veut-il faire croire à ce fils qu’il commettrait les mêmes fautes, s’il n’était trop vieux ? Une faute que tu ne détestes pas dans ton fils est une faute qui te plaît ; c’est l’âge qui te fait défaut et non la concupiscence. Surtout, mes frères, veillez sur ceux de vos enfants pour qui votre foi vous a fait demander le baptême. Mais peut-être un fils indigne méprisera les avertissements, les réprimandes, les châtiments de son père ; eh bien ! accomplissez votre devoir, Dieu lui demandera compte du sien.
Ces cinquante premiers Psaumes ont été traduits par M. l’abbé MORISOT
- ↑ Ps. 51,2
- ↑ Col. 1,24
- ↑ Ps. 51,1
- ↑ Id. 43-48
- ↑ Nb. 26,11
- ↑ Mt. 9,15
- ↑ Mt. 27,33
- ↑ Rom. 1,20
- ↑ Ps. 35,10
- ↑ Eph. 4,17-18
- ↑ Gal. 6,2
- ↑ Ps. 41,4
- ↑ Id. 2,3
- ↑ Ps. 26,4
- ↑ Id. 41,4
- ↑ 2 Cor. 5,6
- ↑ Tob. 4,2
- ↑ Ps. 41,5
- ↑ Rom. 1,20
- ↑ Id. 6,12-13
- ↑ Ps. 72,16-17
- ↑ 2 Cor. 5,6
- ↑ Sag. 9,15
- ↑ Ps. 33,1-6
- ↑ Rom. 8,24-25
- ↑ Ps. 41,7
- ↑ Rom. 8,23
- ↑ Ps. 83,5
- ↑ Ps. 26,14
- ↑ Mt. 10,22 ; 24,13
- ↑ Ps. 51,7
- ↑ 1 Cor. 10,12
- ↑ Ps. 24,1
- ↑ Ps. 40,7
- ↑ Lc. 14,11 ; 18,14
- ↑ 1 Cor. 1,3
- ↑ Ps. 41,8
- ↑ Id. 35,7
- ↑ Ps. 63,7-8
- ↑ Esop. fab. VI
- ↑ 1 Cor. 4,3
- ↑ Jn. 13,37
- ↑ Ps. 24,7
- ↑ Gen. 2,17 ; 2,19
- ↑ Ps. 138,7
- ↑ Ps. 41,8
- ↑ Id. 6
- ↑ Id. 9
- ↑ Sir. 35,26
- ↑ Prov. 6,6
- ↑ Ps. 51,10
- ↑ Sag. 9,15
- ↑ Ps. 50,19
- ↑ Ps. 21,2 ; Mt. 27,46
- ↑ Ps. 30,23
- ↑ Id. 41,11
- ↑ Mt. 24,12
- ↑ Ps. 41,11
- ↑ Id. 12
- ↑ Mt. 13,18
- ↑ Id. 5,45
- ↑ Ps. 42,1
- ↑ Mt. 13,10
- ↑ Id. 24,40
- ↑ Id. 10,22
- ↑ Isa. 57,16-17
- ↑ Ps. 118,71
- ↑ Id. 42,3
- ↑ Jn. 8,12 ; 14,6
- ↑ Mt. 13,41-43
- ↑ Dan. 2,35
- ↑ Ps. 3,5
- ↑ Mt. 8,32
- ↑ Id. 5,8
- ↑ Ps. 83,5
- ↑ Ps. 31,9
- ↑ Rom. 7,22
- ↑ Id. 25
- ↑ Mt. 26,38
- ↑ Jn. 10,17-18
- ↑ Ps. 129,3
- ↑ Id. 142,2
- ↑ Jer. 2,29
- ↑ Ps. 40,5
- ↑ Isa. 58,7
- ↑ Isa. 58,9-10
- ↑ 2 Cor. 9,7
- ↑ Mt. 27,31
- ↑ Ps. 43,22 ; Rom. 8,36
- ↑ Mt. 5,10
- ↑ Ps. 43,1
- ↑ Id. 21,2
- ↑ Id. 3
- ↑ Ps. 21,27
- ↑ Id. 43,3
- ↑ Ps. 43,4
- ↑ Id. 5
- ↑ 1 Cor. 13,12
- ↑ Col. 3,3-4
- ↑ Jn. 3,2
- ↑ Ps. 43,6
- ↑ Ps. 43,6
- ↑ Id. 7
- ↑ Id. 8
- ↑ Ps. 21,17-19
- ↑ Ps. 43,9
- ↑ Id. 10
- ↑ Id.
- ↑ Exod. 14,21-27 ; 17,11
- ↑ Ps. 43,11
- ↑ Ps. 43,12
- ↑ Id. 13
- ↑ Id. 14,15
- ↑ Id. 21,8
- ↑ Ps. 43,16-17
- ↑ Mt. 25,33
- ↑ Mt. 22,29-30 ; Lc. 20,35-36
- ↑ Mt. 18,10
- ↑ Isa. 53,2
- ↑ Ps. 44,3
- ↑ Jn. 14,21
- ↑ Ps. 43,18-19
- ↑ Mt. 7,13-14
- ↑ Id. 13,20-23
- ↑ Mc. 4,16-20
- ↑ Ps. 43,20
- ↑ Id. 21
- ↑ Id. 12
- ↑ Gen. 13,12
- ↑ Mat. 26,35
- ↑ Ps. 43,22
- ↑ 1 Cor. 13,3
- ↑ Ps. 43,24
- ↑ Id. 25
- ↑ Id. 1,4
- ↑ Ps. 62,9
- ↑ Id. 63,28
- ↑ Apoc. 10,10
- ↑ Mt. 19,22
- ↑ Ps. 43,26
- ↑ Id. 138,16
- ↑ Dans le manuscrit de Corbie on lit ce titre : 5 des nones de septembre, le mercredi, ce discours fut prononcé dans la basilique Restituée, sur le psaume XLIV. Or, au greffe de cette basilique on trouve que plusieurs conciles de Carthage y furent célébrés, entre autres le grand concile, qui eut lieu l’an 401, le 13 septembre. Les vieux manuscrits de Reims portent le même titre que celui de Corbie.
- ↑ 2 R. 2,23
- ↑ 1 Cor. 14,20
- ↑ Mt. 18,2-3
- ↑ Mt. 27,33
- ↑ Id. 39
- ↑ Ps. 44,1
- ↑ Id.
- ↑ 1 Cor. 2,8
- ↑ Jn. 14,9
- ↑ Ps. 18,6
- ↑ Mt. 19,6
- ↑ Jn. 1,1
- ↑ Rom. 3,23
- ↑ Id. 5,6
- ↑ Isa. 53,2
- ↑ Jn. 1,14
- ↑ Gal. 6,14
- ↑ 1 Cor. 1,23-25
- ↑ Lc. 2,8-14
- ↑ Mt. 2,1
- ↑ Mc. 10,18
- ↑ Ps. 61,12
- ↑ Jn. 1,3
- ↑ Ps. 44,2
- ↑ 1 Cor. 10,4
- ↑ Jn. 1,29
- ↑ Apoc. 5,5
- ↑ Ps. 147,15
- ↑ Id. 44,3
- ↑ Jn. 1,17
- ↑ Rom. 7,22-25
- ↑ Ps. 31,1
- ↑ Id. 115,12-13
- ↑ Mt. 27,29
- ↑ Ps. 119,2-5
- ↑ 2 Tim. 3,2
- ↑ Lc. 15,32
- ↑ Ps. 104,2
- ↑ Id. 44,4
- ↑ Mt. 10,34-35 ; Lc. 12,51-53
- ↑ Jn. 8,44
- ↑ Gen. 2,24
- ↑ Eph. 5,32
- ↑ Phil. 2,6
- ↑ Mt. 12,48
- ↑ Gen. 49,10
- ↑ Id. 29,2
- ↑ 1 Cor. 1,25
- ↑ Ps. 44,5
- ↑ Ps. 44,5
- ↑ Id. 84,12
- ↑ Isa. 53,7
- ↑ Lc. 23,34
- ↑ Rom. 2,6
- ↑ Ps. 44,6
- ↑ Cant. 2,5 ; 5,8
- ↑ Act. 9,6
- ↑ Ps. 17,26-27
- ↑ Ps. 72,1
- ↑ Id. 44,8
- ↑ Id. 2,9
- ↑ Ps. 50,11
- ↑ Id. 26,9
- ↑ Id. 50,5
- ↑ Id. 44,8
- ↑ Gen. 28,11
- ↑ Ps. 117,22
- ↑ 1 Cor. 11,3
- ↑ 1 Pi. 2,4
- ↑ Gen. 28,12 ; Jn. 1,51
- ↑ Gen. 32,28
- ↑ Jn. 1,47
- ↑ Gen. 25,27
- ↑ Jn. 1,48-51
- ↑ Id. 1,14
- ↑ 2 Cor. 5,13
- ↑ 1 Cor. 2,6 ; 3,2
- ↑ Act. 10,4
- ↑ Ps. 44,8
- ↑ Id. 9
- ↑ Eph. 5,27
- ↑ Mt. 9,20
- ↑ 2 Cor. 2,15
- ↑ 2 Cor. 2,16
- ↑ Cant. 1,3
- ↑ Ps. 44,10
- ↑ Mt. 19,28
- ↑ Deut. 25,5
- ↑ Mt. 26,10
- ↑ Ps. 21,23
- ↑ 1 Cor. 4,15
- ↑ Id. 1,13
- ↑ Il y a ici une erreur. Vide Retract. 2, c. 12, et lib. Quaest. in Deut.
- ↑ Ps. 44,10
- ↑ Mt. 25,34-41
- ↑ Ps. 17,45
- ↑ Act. 15,9
- ↑ Mt. 5,8
- ↑ Ps. 44,11
- ↑ Ps. 44,12
- ↑ Cant. 8,5
- ↑ Isa. 1,18
- ↑ Ps. 44,13
- ↑ Mt. 15,21-28
- ↑ Mt. 6,19-21
- ↑ Lc. 11,41
- ↑ Os. 6,6 ; Mt. 9,13
- ↑ Mt. 25,34-40
- ↑ Ps. 44,13
- ↑ 1 Tim. 6,17-19
- ↑ Act. 4,34
- ↑ Mt. 6,1
- ↑ Id. 5,16
- ↑ Ps. 44,15
- ↑ Id.
- ↑ Id.
- ↑ Id. 16
- ↑ Ps. 44,17
- ↑ Phil. 1,23-24
- ↑ Ps. 44,18
- ↑ Id. 3,5
- ↑ Mt. 5,14
- ↑ Dan. 2,35
- ↑ Ps. 86,3
- ↑ 1 Cor. 4,5
- ↑ Mt. 27,35
- ↑ Jn. 12,24
- ↑ 1 Chr. 26,1
- ↑ 2 Cor. 3,6
- ↑ Ps. 45,1
- ↑ Mt. 27,51
- ↑ Rom. 10,4
- ↑ Jn. 14,8-9
- ↑ Id. 10,30
- ↑ Ps. 45,2
- ↑ Id. 3
- ↑ Ps. 114,3
- ↑ Act. 2,37
- ↑ Id. 38
- ↑ Ps. 45,3
- ↑ Mt. 8,24-26
- ↑ Lc. 8,25
- ↑ Mt. 17,19 ; Mc. 11,23
- ↑ Isa. 2,2
- ↑ Ps. 17,45
- ↑ Act. 13,46
- ↑ Isa. 29,13 ; Mt. 15,8
- ↑ Jer. 31,33 ; Héb. 8,10
- ↑ Act. 17,18
- ↑ Id. 19,28
- ↑ Phil. 1,24
- ↑ Ps. 45,2
- ↑ Mt. 7,24
- ↑ Ps. 45,5
- ↑ Jn. 7,37-38
- ↑ Id. 37-39
- ↑ Act. 2,4
- ↑ Ps. 45,6
- ↑ Ps. 45,7
- ↑ Id. 71,11
- ↑ Isa. 5,6
- ↑ Act. 13,46
- ↑ Jug. 6,37-38
- ↑ Ps. 45,8
- ↑ Rom. 8,31-32
- ↑ Ps. 26,10
- ↑ Id. 45,9
- ↑ Dan. 2,35
- ↑ Eph. 5,14
- ↑ Lc. 20,18
- ↑ 1 Pi. 2,8
- ↑ Isa. 2,3
- ↑ Ps. 45,9
- ↑ Id. 10
- ↑ Job. 15,20
- ↑ Ps. 45,2
- ↑ Id. 43,7
- ↑ Id. 45,10
- ↑ Lc. 12,49
- ↑ Ps. 18,7
- ↑ 2 Cor. 12,9-10
- ↑ 1 Tim. 1,13-16
- ↑ Ps. 45,11
- ↑ Ps. 45,12
- ↑ Rom. 11,25
- ↑ Id. 26
- ↑ Ps. 46,1
- ↑ Nb. 16,1
- ↑ Mt. 27,33
- ↑ 2 R. 2,23
- ↑ Id. 24
- ↑ Lc. 23,21
- ↑ Mt. 19,14
- ↑ 1 Cor. 14,20
- ↑ Ps. 46,2
- ↑ 2 R. 2,23
- ↑ Mt. 27,33
- ↑ Rom. 11,25
- ↑ Ps. 46,3
- ↑ Act. 4,34
- ↑ Mt. 27,37
- ↑ Ps. 46,4
- ↑ 1 Cor. 1,13
- ↑ Ps. 46,5
- ↑ Gen. 25,23
- ↑ Rom. 10,3
- ↑ Gen. 25,30-34
- ↑ Act. 7,39
- ↑ Ps. 46,6
- ↑ Mt. 27,39
- ↑ Act. 1,9
- ↑ Isa. 58,1
- ↑ Act. 1,11
- ↑ Lc. 24,39
- ↑ Act. 1,11
- ↑ Mt. 28,20
- ↑ Phil. 4,5
- ↑ Ps. 46,7
- ↑ Rom. 1,3
- ↑ Id. 9,5
- ↑ Jn. 1,1-3
- ↑ Ps. 46,8
- ↑ Id. 75,2
- ↑ Isa. 54,5
- ↑ Ps. 31,9
- ↑ Id. 46,9
- ↑ Act. 1,2
- ↑ 2 Tim. 4,1
- ↑ 1 Cor. 1,24
- ↑ Sag. 7
- ↑ Ps. 46,10
- ↑ Exod. 3,6
- ↑ Jn. 8,33
- ↑ Id. 39
- ↑ Mt. 3,7
- ↑ Id. 9
- ↑ Ps. 113,8
- ↑ Lc. 7,6-9
- ↑ Mt. 8,11
- ↑ Id. 12
- ↑ Gen. 3,19
- ↑ Rom. 11,17
- ↑ Ps. 47,1
- ↑ Gen. 1,3-8
- ↑ Jn. 5,46
- ↑ Ps. 24,7-9
- ↑ 1 Cor. 2,5
- ↑ Rom. 15,1
- ↑ 1 Tim. 3,15
- ↑ Mt. 27,33
- ↑ Ps. 47,2
- ↑ Isa. 52,5 ; Rom. 2,24
- ↑ Sir. 15,9
- ↑ Ps. 23,3
- ↑ Mt. 5,15
- ↑ Ps. 3,5
- ↑ Rom. 9,32
- ↑ Dan. 2,34
- ↑ Mt. 1,16 ; Lc. 1,34 ; 2,7
- ↑ Rom. 9,32
- ↑ Dan. 2,35
- ↑ Ps. 47,3
- ↑ Eph. 2,14
- ↑ Ps. 117,22
- ↑ Rom. 9,27
- ↑ Id. 11,17
- ↑ Isa. 14,13-14
- ↑ Mt. 12,29
- ↑ Job. 37,22
- ↑ Lc. 15,32
- ↑ Id. 18
- ↑ Eph. 2,20
- ↑ Ps. 47,4
- ↑ 1 Cor. 3,11
- ↑ Id. 1,31
- ↑ 1Co. 4,7
- ↑ Psa. 47,5
- ↑ Isa. 2,3
- ↑ Eph. 2,20
- ↑ Psa. 47,6-7
- ↑ Id. 2,6-9
- ↑ Mat. 2,3
- ↑ Jn. 18,36
- ↑ Psa. 2,10-11
- ↑ Isa. 26,18
- ↑ Psa. 47,8
- ↑ Act. 21,39
- ↑ Isa. 23,1
- ↑ selon les LXX
- ↑ Eze. 38,13
- ↑ selon les LXX
- ↑ Eph. 4,14
- ↑ Ps. 47,9
- ↑ Id. 71,11
- ↑ Id. 107,6
- ↑ Mt. 27,35
- ↑ Ps. 21,28
- ↑ Id. 44,11
- ↑ Mt. 24,23
- ↑ Ps. 47,10
- ↑ 2 Tim. 3,5
- ↑ 2 Cor. 6,1
- ↑ Cant. 2,2
- ↑ Jn. 1,12
- ↑ Gen. 2,17
- ↑ Id. 3,4
- ↑ Job. 2,8-10
- ↑ Ps. 47,11
- ↑ Mt. 25,33
- ↑ Ps. 25,9
- ↑ Mt. 3,12
- ↑ Jn. 4,22
- ↑ Rom. 2,28-29
- ↑ Ps. 47,13
- ↑ Id. 14
- ↑ 2 Tim. 3,5
- ↑ Cant. 8,6
- ↑ 1 Cor. 13,3
- ↑ Ps. 121,7
- ↑ Id. 47,14
- ↑ Gal. 2,9
- ↑ Mt. 28,20
- ↑ Jn. 17,20
- ↑ Ps. 47,15
- ↑ Bar. 3,38
- ↑ Jer. 10,2
- ↑ Ps. 115,5
- ↑ Id. 2,9
- ↑ Mt. 11,25
- ↑ Ps. 83,11
- ↑ Ps. 49,3
- ↑ Discours sur le Ps. 8, n. 10
- ↑ 1 Tim. 6,17
- ↑ 1 Tim. 6,17
- ↑ Prov. 17,6
- ↑ selon les LXX
- ↑ 2 Cor. 6,10
- ↑ Ps. 21,27
- ↑ Id. 30
- ↑ Mt. 3,12
- ↑ Id. 25,30-33
- ↑ Ps. 48,4
- ↑ Isa. 29,13
- ↑ Ps. 48,5
- ↑ Mt. 23,2-3
- ↑ 1 Cor. 13,12
- ↑ 2 Cor. 5,6
- ↑ Mt. 25,31-36
- ↑ Jn. 5,22-27
- ↑ Id. 14,21
- ↑ Id. 51
- ↑ 1 Cor. 13,12
- ↑ Mt. 25,32-41
- ↑ Jn. 14,6
- ↑ Gen. 3,15
- ↑ Eph. 5,28
- ↑ Id. 29
- ↑ Gen. 3,6
- ↑ Ps. 48,7
- ↑ Id. 8
- ↑ Mt. 28,10
- ↑ Ps. 48,9
- ↑ Ps. 48,9
- ↑ Lc. 16,9
- ↑ 1 Tim. 6,17
- ↑ Id.
- ↑ 1 Tim. 6,19
- ↑ Lc. 12,33
- ↑ Ps. 48,10
- ↑ Lc. 16,19-26
- ↑ Ps. 48,11
- ↑ Mt. 27,12
- ↑ Sag. 2,20
- ↑ Ps. 48,11
- ↑ Lc. 16,1-2
- ↑ Prov. 6,6 ; 30,25
- ↑ Lc. 10,27-37
- ↑ Lc. 16,28
- ↑ Ps. 48,12
- ↑ Lc. 16,24
- ↑ Ps. 48,13
- ↑ Mt. 25,40
- ↑ Gen. 1,26
- ↑ Ps. 31,9
- ↑ Id. 48,14
- ↑ Lc. 12,20
- ↑ Id. 16,19
- ↑ Ps. 48,14
- ↑ 2 Pi. 2,20
- ↑ Lc. 11,26
- ↑ Ps. 29,13
- ↑ Ps. 48,15
- ↑ Gen. 3,1
- ↑ Phil. 3,20
- ↑ Mt. 6,21
- ↑ Col. 3,3-4
- ↑ Ps. 86,3
- ↑ Id. 48,15
- ↑ Eph. 5,14
- ↑ Ps. 36,1-2
- ↑ Sag. 5,3-4
- ↑ Jn. 8,48
- ↑ Id. 10,20
- ↑ Id. 21
- ↑ Ps. 48,2
- ↑ Mt. 25,41
- ↑ Id. 34
- ↑ Ps. 145,4
- ↑ Id. 48,16
- ↑ 1 Cor. 12,12 ; Rom. 12,5
- ↑ Jn. 20,28-29
- ↑ 2 Cor. 6,10
- ↑ Ps. 48,17
- ↑ Ps. 48,18
- ↑ Lc. 16,24
- ↑ Lc. 12,20
- ↑ Ps. 48,19
- ↑ Prov. 10,26
- ↑ Jn. 6,41
- ↑ Mt. 5,6
- ↑ 2 Cor. 4,17-18
- ↑ Rom. 8,18
- ↑ Ps. 33,2
- ↑ Id. 48,20
- ↑ Gen. 4,8
- ↑ Ps. 48,21
- ↑ Gen. 1,26
- ↑ Ps. 38,7
- ↑ Ps. 49,1
- ↑ Jn. 1,14
- ↑ Id. 1
- ↑ Ps. 81,1
- ↑ Id. 6
- ↑ Jn. 1,12
- ↑ Jn. 3,1
- ↑ Id. 2
- ↑ Ps. 95,4-5
- ↑ Mt. 16,16
- ↑ Mc. 1,24
- ↑ Héb. 1,1
- ↑ Ps. 18,7
- ↑ Mt. 24,23
- ↑ Ps. 49,2
- ↑ Lc. 24,46-47
- ↑ Ps. 44,3
- ↑ Isa. 6,3
- ↑ Act. 2,4
- ↑ 1 Cor. 2,8
- ↑ Mt. 27,39
- ↑ Ps. 21,2 ; Mt. 27,46
- ↑ Jn. 10,30 ; Rom. 8,8
- ↑ Jn. 19,11
- ↑ Isa. 53,7
- ↑ Lc. 24,37
- ↑ Jn. 1,14
- ↑ Id. 20,28
- ↑ Act. 1,3-12
- ↑ Jn. 20,29
- ↑ Ps. 49,3
- ↑ Isa. 42,14
- ↑ Ps. 96,3
- ↑ Lc. 13,8
- ↑ Rom. 11,19
- ↑ Mt. 3,10
- ↑ Ps. 49,3
- ↑ Lc. 5,6
- ↑ Mt. 19,21
- ↑ Mt. 20,28
- ↑ Act. 10,26
- ↑ 1 Cor. 15,10
- ↑ Mt. 25,10-12
- ↑ 2 Cor. 11,2
- ↑ Mt. 25,14
- ↑ 2 Cor. 1,12
- ↑ Lc. 16,28
- ↑ Jn. 21,6-11
- ↑ Lc. 5,6
- ↑ Dan. 7,10
- ↑ Apoc. 7,4
- ↑ V. Serm. CCCVI, n. 2
- ↑ 1 R. 19,18
- ↑ Jn. 21,11
- ↑ Isa. 11,2-3
- ↑ Mt. 19,23
- ↑ 1 Cor. 6,3
- ↑ Mt. 25,31-32
- ↑ Gal. 4,14
- ↑ Mal. 3,1 ; Mt. 11,10 ; Isa. 3,14
- ↑ Mt. 25,35
- ↑ Phil. 4,10-17
- ↑ Mt. 19,28
- ↑ Ps. 18,2-5
- ↑ Mt. 22,10
- ↑ Mt. 25,34-40
- ↑ Ps. 49,1
- ↑ Mt. 25,32
- ↑ Id. 6,1
- ↑ Id. 2
- ↑ Ps. 40,2-3
- ↑ Os. 6,6 ; Mt. 9,13
- ↑ Ps. 49,6
- ↑ Mt. 25,34
- ↑ Isa. 58,7
- ↑ Mt. 10,42
- ↑ Mc. 12,42
- ↑ Lc. 19,8
- ↑ 2 Tim. 2,19 ; Ps. 18,5
- ↑ Id. 60,3
- ↑ Id. 25,9
- ↑ Id. 42,1
- ↑ Id. 49,7
- ↑ Gen. 32,28
- ↑ Mt. 11,15
- ↑ Exod. 3,14
- ↑ Ps. 49,8
- ↑ Id. 50,18-20
- ↑ Id. 20,21
- ↑ Ps. 49,9
- ↑ Id. 10
- ↑ Id. 11
- ↑ Gen. 1,20
- ↑ Jer. 23,24
- ↑ Ps. 138,8
- ↑ Ps. 15,2
- ↑ Id. 49,51
- ↑ Id. 120,4
- ↑ Col. 2,3
- ↑ Mt. 25,35
- ↑ Ps. 49,14
- ↑ Id. 55,12
- ↑ Lc. 11,8
- ↑ Mc. 12,42
- ↑ Mt. 10,42
- ↑ Lc. 2,14
- ↑ Ps. 49,15
- ↑ Ps. 114,3
- ↑ 1 Cor. 10,13
- ↑ Ps. 45,2
- ↑ Ps. 114,3
- ↑ Mt. 13,25
- ↑ Ps. 49,6
- ↑ Mt. 23,3
- ↑ Phil. 1,18
- ↑ Ps. 84,9
- ↑ 1 Cor. 9,27
- ↑ Ps. 49,17
- ↑ Apoc. 3,19
- ↑ Ps. 49,18
- ↑ Id. 9,3
- ↑ Id. 42,19
- ↑ Ps. 39,16
- ↑ Id. 49,20
- ↑ 1 Cor. 2,14
- ↑ Id. 3,2
- ↑ 1 Thes. 2,7
- ↑ Gal. 4,19
- ↑ 2 Cor. 10,10
- ↑ Ps. 49,21
- ↑ Rom. 2,5
- ↑ Mt. 5,45-48
- ↑ Jon. 3,4-10
- ↑ Ps. 50,5
- ↑ 1 Pi. 5,8
- ↑ Apoc. 5,5
- ↑ Ps. 49,14-16
- ↑ Sir. 15,9
- ↑ Ps. 49,23
- ↑ Lc. 23,39
- ↑ Id. 18,11
- ↑ Ps. 63,23
- ↑ Lc. 17,11
- ↑ Ps. 69,6
- ↑ Lc. 18,13
- ↑ Ps. 49,23
- ↑ Gal. 2,20
- ↑ Mt. 9,22
- ↑ Rom. 5,6
- ↑ Lc. 17,13
- ↑ 1 Cor. 1,31
- ↑ 1 Tim. 1,15
- ↑ Gal. 5,4
- ↑ Rom. 4,4
- ↑ Ps. 31,5
- ↑ Id. 50,1-2
- ↑ Rom. 1,3
- ↑ 2 Sa. 11 ; 12,1-14
- ↑ Rom. 6,12
- ↑ Ps. 2,11
- ↑ 1 Sa. 24,5 ; 26,9
- ↑ Ps. 94,3-4
- ↑ 2 Sa. 12,1
- ↑ Ps. 50,3
- ↑ 1 Tim. 1,13
- ↑ Ps. 50,4
- ↑ Id. 5
- ↑ Mt. 7,3
- ↑ 2 Sa. 12,2-6
- ↑ Jn. 8,4-11
- ↑ Ps. 50,6
- ↑ 2 Sa. 11,4-15
- ↑ Sag. 2,21
- ↑ Jn. 14,30-31
- ↑ Id. 10,18
- ↑ Ps. 50,7
- ↑ 1 Sa. 16,18
- ↑ Job. 14,5
- ↑ selon les LXX
- ↑ Lc. 1,35
- ↑ Rom. 8,10
- ↑ 1 Cor. 15,22
- ↑ Rom. 5,12
- ↑ Ps. 50,8
- ↑ Jn. 3,4-10
- ↑ Act. 9,4
- ↑ Jer. 1,10
- ↑ Deut. 32,39
- ↑ 2 Sa. 12,13
- ↑ Ps. 50,9
- ↑ Act. 9,1
- ↑ Isa. 1,18
- ↑ Eph. 5,27
- ↑ Mt. 17,2-5
- ↑ Ps. 50,10
- ↑ Mt. 11,11
- ↑ Mc. 1,7
- ↑ Lc. 3,15
- ↑ Jn. 3,29
- ↑ Ps. 50,11
- ↑ Id. 26,3
- ↑ Id. 33,17
- ↑ Ps. 55,7
- ↑ Id. 72,1
- ↑ 2 Sa. 12,13
- ↑ Id. 15,10
- ↑ Id. 16,6
- ↑ Ps. 22,2
- ↑ Ps. 50,13
- ↑ Id. 14
- ↑ Jn. 1,1
- ↑ Id. 4,24
- ↑ Cap. 4, n. 6, Hieronimus in Epist. ad Galat
- ↑ Ps. 50,15
- ↑ Rom. 4,5
- ↑ 1 Cor. 15,5
- ↑ Id. 53
- ↑ 1 Cor. 6,13
- ↑ 1 Cor. 15,54
- ↑ Rom. 8,23-25
- ↑ Mt. 10,21 ; 24,13
- ↑ Ps. 50,17
- ↑ Id. 18
- ↑ Ps. 50,19
- ↑ Id. 55,12
- ↑ Id. 50,19
- ↑ Id. 20
- ↑ Mt. 5,14
- ↑ Ps. 50,21
- ↑ Ps. 82,5
- ↑ Id. 17,7
- ↑ Rom. 12,11
- ↑ 1 Cor. 15,51