Discours sur les psaumes (Augustin)/Psaumes LXI à LXX

Discours sur les psaumes : Psaumes LXI à LXX
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)

QUATRIÈME SÉRIE. modifier

DISCOURS SUR LE PSAUME 61 modifier

SERMON AU PEUPLE. modifier

SOUMISSION A DIEU. modifier

Séparé des méchants par la dignité de sa vocation, le chrétien, comme l’Église entière, se voit persécuté par eux, tantôt d’une manière sanglante, tantôt par des procédés violents et toujours honteux pour ceux qui les emploient. La lutte entre Babylone et la cité de Dieu, entre les justes et les pécheurs, durera jusqu’à la fin des siècles. Néanmoins, il reste soumis à Dieu : loin de se venger, il souhaite et demande la conversion de ses adversaires ; il attend de Dieu son secours en ce monde et sa gloire en l’autre. Voilà les seuls biens réels qu’on puisse désirer ; aussi, dans sa charité, s’efforce-t-il de détourner ses ennemis de l’amour des faux biens du monde et de les rapprocher de Dieu : là, ils apprendront à. connaître la vérité qui éclaire l’homme, et à pratiquer la vertu qui le sauve.


1. La grâce de Dieu, qui répand sur nous ses délices afin de féconder notre terre[1], nous fait trouver dans l’étude et l’intelligence de la parole sainte un plaisir si suave, que nous nous sentons pressés, nous, de vous l’expliquer, et vous, de l’entendre. Je le remarque avec bonheur et je m’en réjouis ; vous n’éprouvez aucun ennui à nous écouter : vous apportez même à nos discours un goût intérieur très prononcé, et, sous son influence, loin de repousser cette salutaire nourriture de vos âmes, vous la recevez avidement, et vous en faites votre profit. Aussi vous entretiendrons-nous encore aujourd’hui, pour vous expliquer, autant que le Seigneur nous le permettra, le psaume que nous venons de chanter. Voici son titre : « Pour la fin, pour Idithun, psaume à David ». Je me souviens de vous avoir déjà indiqué le sens du mot Idithun. Si j’entre bien dans la pensée de l’auteur, et si je rends bien toute la force de l’expression hébraïque, je le traduirai dans notre langue par ces autres mots : Homme qui les dépasse. Celui dont les paroles vont nous occuper, en dépasse donc d’autres ; puis, du lieu élevé où il est parvenu, il jette sur eux un regard de dédain. Voyons donc jusqu’où il s’est avancé : cherchons à connaître ceux qu’il a dépassés, et l’endroit où il s’est arrêté encore, quoiqu’il en ait dépassé plusieurs : cherchons à connaître cette demeure invisible, où il trouve sa sécurité, cet abri tranquille du haut duquel il contemple le spectacle qui s’étend à ses pieds, cette maison spirituelle en dehors de laquelle il se penche, non pour s’exposer à une chute dangereuse, mais pour appeler à lui les hommes indolents qu’il a devancés, et leur dépeindre les délices de sa retraite. Il a marché plus vite qu’eux ; il s’est élevé au-dessus d’eux : quelqu’un néanmoins est encore plus élevé que lui ; aussi veut-il d’abord nous faire entendre sous l’égide de qui il se trouve, et nous persuader que s’il en a dépassé d’autres, c’est la preuve de la rapidité de sa marche, mais non un sujet d’orgueil pour lui.
2. Voyez, d’abord, en quel endroit il a trouvé la sécurité ; car il dit : « Est-ce que mon âme ne sera pas soumise à Dieu ? » Il avait appris que « celui qui s’élève sera humilié, et que « celui qui s’humilie sera élevé[2] ». Il craint de ressentir les atteintes de l’orgueil, et cette crainte le fait trembler ; non seulement il ne se prévaut pas de son élévation et ne méprise pas ce qu’il voit au-dessous de lui, mais il s’humilie en présence du Dieu qui le domine ; aussi répond-il aux envieux, qui gémissent d’avoir été distancés par lui, et qui semblent lui faire des menaces : « Mon âme « ne sera-t-elle pas soumise à Dieu ? » Parce que je vous ai devancés, est-ce pour vous un motif de me tendre des pièges ? Vous voulez m’abattre par vos injures ou me tromper par vos artifices ; croyez-vous que la pensée de mon élévation au-dessus de vous me fait oublier celui qui se trouve au-dessus de moi ? « Mon âme ne sera-t-elle pas soumise à Dieu ? » Tant que je marche, si haut que je monte, si grande que soit la distance qui nous sépare les uns des autres, je me trouverai toujours inférieur à Dieu ; jamais je ne m’élèverai contre lui. C’est donc en toute sécurité que je m’élève au-dessus de tout le reste, puisque celui-là me tient dans sa dépendance, qui est supérieur à toutes choses. « Mon âme ne sera-t-elle pas soumise à Dieu ? C’est de lui que vient mon salut ; c’est lui qui est mon Dieu et mon Sauveur : il est mon protecteur, je ne serai plus ébranlé ». Je sais quel est celui qui se trouve au-dessus de moi, qui tend une main secourable et miséricordieuse à ceux qui le connaissent, dont les ailes protectrices m’offrent un abri sûr « Je ne serai plus ébranlé ». Pour vous, dit-il à quelques-uns, en les devançant, vous faites tous vos efforts pour m’ébranler ; « mais que le pied de l’orgueil ne me fasse point tomber ». Car de là vient que s’accomplit aussi cet autre passage du même psaume : « Et que la main des « méchants ne m’ébranle point[3] » ; passage conforme à celui-ci : « Je ne serai plus ébranlé ». Ces paroles : « Que la main des méchants ne m’ébranle pas », correspondent en effet à celles-ci : « Je ne serai plus ébranlé » ; comme le verset : « Que le pied de l’orgueil ne me fasse point tomber », correspond à cet autre : « Mon âme ne sera-t-elle point soumise au Seigneur ? »
3. Placé en un lieu élevé, fortifié et sûr, trouvant dans le Seigneur son refuge, et en Dieu sa sécurité comme dans une forteresse inexpugnable, cet homme porte ses regards sur ceux qu’il a devancés, il semble les défier, de même que s’il était à l’abri d’une haute tour, suivant cette parole des livres saints qui a trait à sa personne : « Vous êtes comme une tour imprenable en face de vos ennemis[4] ». Il jette donc les yeux sur eux, et leur dit : « Jusques à quand accablerez-vous un homme ? » Vous l’accablez d’un insupportable fardeau, par vos insultes, vos outrages, les pièges que vous lui tendez et vos mauvais traitements : le fardeau que vous lui imposez, ses forces sont à peine suffisantes à le porter ; pour n’en être pas surchargé, il se tient dans la soumission à l’égard de son Créateur. « Jusques à quand accablerez-vous un homme ? » Si vous ne voyez en moi qu’un homme, travaillez tous à me donner la mort ». Ecrasez-moi, faites-moi souffrir, « donnez-moi le coup de la mort ». Jetez-vous sur moi comme sur une muraille qui penche, comme sur une maison qui tombe de vétusté ». Employez toutes vos forces à m’ébranler et à me renverser. Mais n’a-t-il pas dit : « Je ne serai plus ébranlé ? » Où est l’effet de ses paroles ? « Je ne serai plus ébranlé » ; pourquoi ? « Parce que Dieu me sauve et me protège ». Vous êtes des hommes, et, comme tels, vous pouvez accabler un homme en le surchargeant mais avez-vous un pouvoir quelconque sur le Dieu qui est devenu son protecteur ?
4. « Donnez-lui tous la mort ». Quel est l’homme dont le corps ait assez d’étendue pour recevoir les coups de tous ? Ne l’oublions pas : en nous se personnifie l’Église, le corps de Jésus-Christ ; tête et corps, tout ensemble, Jésus-Christ ne forme qu’un seul homme. Le Sauveur du corps et ses membres sont deux en une même chair[5] ; ils sont deux, et, pourtant, mêmes plaintes, mêmes souffrances, et, après le règne du péché, même repos éternel. Le Christ, considéré dans sa personne particulière, n’est pas seul à souffrir : si nous le considérons dans son ensemble, il n’y a que lui pour souffrir. Si, en effet, le Sauveur t’apparaît comme tête et corps tout ensemble, lui seul est soumis à l’épreuve ; mais si tu ne vois en lui que la tête, cette épreuve a lieu en d’autres que lui. Si, en ce cas, l’épreuve n’atteignait que Jésus-Christ en qualité de chef, comment l’apôtre saint Paul, l’un de ses membres, dirait-il avec vérité qu’« il supplée, dans sa chair, à ce qui manque aux souffrances du Sauveur[6] ? » Qui que tu sois, dès lors que tu entends mes paroles, lors même que tu ne les entendrais pas encore (mais tu dois les entendre si tu appartiens au corps du Christ), qui que tu sois, sache-le bien : par cela même que tu fais partie des membres du Sauveur, les souffrances que te font endurer ceux qui ne sont pas de ce nombre, suppléent à l’insuffisance de celles du Sauveur. Il y manquait quelque chose, tu l’y ajoutes : tu en combles la mesure, sans qu’il y ait surabondance en elles : tu souffres dans la proportion de ce qu’attendait de toi le Sauveur, qui a souffert en sa propre personne, c’est-à-dire comme notre chef, et qui souffre dans ses membres, c’est-à-dire encore, en nous-mêmes. Nous composons tous ensemble une sorte de république, an bonheur de laquelle nous contribuons selon nos moyens et notre devoir ; et, dans la mesure de nos forces, nous formons comme un faisceau commun de souffrances. La somme de toutes ces souffrances n’arrivera à sa perfection qu’à la fin des temps. « Jusques à quand accablerez-vous un homme ? » Tout ce que les Prophètes ont souffert, depuis le jour où le juste Abel a perdu la vie jusqu’au jour où a été répandu le sang de Zacharie[7], a pesé sur cet homme, parce qu’avant l’Incarnation du Fils de Dieu il a existé des membres du Christ : il en avait été ainsi de ce patriarche qui, au moment de sa naissance, montra sa main avant de montrer sa tête[8], quoique sa main fût parfaitement unie à sa tête et ne fît qu’un avec elle. Mes frères, n’allez pas vous imaginer que tous ces justes qui ont souffert persécution de la part des méchants n’aient pas été du nombre des membres de Jésus-Christ ; et ce que je dis des justes du Nouveau Testament, je le dis aussi de ceux qui ont été envoyés par Dieu avant l’avènement du Sauveur pour l’annoncer. Pourrait-il, en effet, ne pas appartenir au corps du Christ, celui qui appartient à cette cité dont le Christ est le roi ? Cette cité sainte, cette Jérusalem céleste est une, et elle n’a qu’un roi, et son roi c’est le Christ ; car il lui parle ainsi : « Un homme appellera Sion sa mère » ; il l’appellera « sa mère, parce qu’il est homme. Car un homme appellera Sion sa mère, et cet homme a été formé en elle, et cet homme est le Très-Haut qui l’a fondée[9] ». Le roi de Sion, qui l’a fondée, le Très-Haut s’est fait homme en elle, et le plus humble de tous les hommes. Dans les temps qui ont précédé sa venue, il a envoyé quelques-uns de ses membres pour annoncer qu’il viendrait ; puis il les a suivis, uni à eux par les liens les plus étroits. Rappelle-toi les circonstances de la naissance de ce patriarche, dont je parlais tout à l’heure, et qui a préfiguré le corps mystique du Sauveur. Sa main était sortie du sein maternel avant sa tête, et pourtant elle était toujours unie à la tête, et sous sa dépendance. En exaltant l’excellence du premier peuple de Dieu, et en gémissant du malheur qu’avaient eu les branches naturelles d’être retranchées de l’arbre, l’Apôtre a dit du Sauveur[10] : « L’adoption des enfants de Dieu leur appartient : sa gloire, son alliance, son culte, sa loi et ses promesses ; leurs pères sont les patriarches, et c’est de leurs pères qu’est sorti, selon la chair, Jésus-Christ même, qui est le Dieu supérieur à tout, et béni dans tous les siècles. Jésus-Christ est donc né d’eux », comme de Sion, « selon la chair », parce qu’« il s’est fait homme en elle » ; parce que « le Christ, Dieu élevé au-dessus de tout, est béni dans tous les siècles » ; parce qu’« il est le Très-Haut, et qu’il l’a fondée ». Parce qu’« il est né d’eux, le Sauveur est fils de David » : il en est le Seigneur, parce qu’« il est le Dieu supérieur à tout, et que tous les siècles le bénissent[11] ». Les paroles du Psalmiste, que nous venons de citer, appartiennent donc à tous ceux qui ont fait partie des habitants de cette ville depuis le jour du meurtre du juste Abel jusqu’à celui de l’assassinat de Zacharie : par le sang innocent du Précurseur des Apôtres, des martyrs, des chrétiens fidèles, de toutes les parties de cette ville, de tous les membres de cet homme qui est le Christ, un cri se fait entendre, cri unique : « Jusques à quand accablerez-vous un seul homme ? Faites-le tous mourir ». Nous verrons si vous pouvez le détruire et l’anéantir ; nous verrons si vous êtes capables d’effacer son nom de la mémoire des hommes ! O peuples, nous verrons si vous ne nourrissez pas de vains projets[12], lorsque vous dites : « Quand mourra-t-il ? quand son nom sera-t-il effacé de dessus la terre[13] ? » Jetez-vous « sur cet homme, comme sur une muraille qui penche, comme sur une vieille maison qui va tomber en ruines » ; poussez-le avec violence. Écoutez ce qu’il a dit tout à l’heure : « Dieu me protège, aussi ne serai-je plus ébranlé » ; comme la vague pousse devant elle un monceau de sable, ainsi m’ont poussé les méchants ; mais le Seigneur m’a reçu dans ses bras[14].
5. « Ils ont conspiré en eux-mêmes pour m’ôter ma gloire[15] ». Obligés de céder aux violences des méchants, les chrétiens tombent sous les coups de leurs persécuteurs, et néanmoins ils restent victorieux : le sang des martyrs est une semence féconde qui multiplie les fidèles ; les ennemis de notre religion se voient forcés de respecter ses disciples le temps de les faire mourir est passé. « Cependant ils ont conspiré en eux-mêmes pour m’ôter ma gloire ». Aujourd’hui il est impossible de répandre le sang chrétien, on s’acharne à les déshonorer. La gloire qui s’attache à leur nom est pour les impies la source d’intolérables tourments intérieurs : autrefois vendu par ses frères, transporté loin de son pays au milieu de nations figurées par l’Égypte, jeté honteusement en prison, accusé par le faux témoignage d’une femme, ce nouveau Joseph, ce Joseph spirituel, l’Église, a vu se réaliser en lui cette parole prophétique : « Le glaive a transpercé son âme[16] » mais aujourd’hui il est parvenu au faîte de la gloire ; loin d’être soumis à ses frères, et vendu par eux, il soulage leur disette par l’abondance du froment qu’il leur distribue[17]. Son humilité, sa chasteté, son incorruptibilité, ses afflictions, ses souffrances, lui ont fait remporter la victoire sur ses ennemis : ils sont témoins de l’honneur qui l’entoure, et cet honneur, ils voudraient l’en dépouiller. Ce passage de la sainte Écriture : « Le pécheur verra », est présent à leur pensée. Ils ne peuvent pas ne pas voir, puisqu’une ville, placée sur la montagne, se trouve forcément exposée à tous les regards[18]. « Le pécheur verra » donc « et frémira de colère ; il grincera des dents, et séchera de désespoir[19] ». Ils cachent dans le secret de leur cœur, mais leur visage ne trahit point au-dehors la méchanceté qui les porte au mal et à la colère : voilà pourquoi le corps du Christ dépeint ainsi leurs pensées : « Ils ont conspiré en eux-mêmes pour m’ôter ma gloire ». Car ils n’osent pas dire ce qu’ils pensent. Quoiqu’ils nous souhaitent du mal, souhaitons-leur du bien : « Seigneur, jugez-les : faites-les tomber du haut de leurs pensées[20] ». Y aurait-il, pour eux, rien de plus utile et de meilleur, que de tomber de l’endroit où ils se trouvent, où ils se sont élevés pour faire le mal ? Cette chute leur inspirant des pensées tontes différentes, ils pourraient dire avec le Psalmiste : « Vous avez affermi mes pieds sur la pierre[21] ».
6. « Cependant ils ont conspiré en eux-mêmes pour me ravir ma gloire ». Tous se sont-ils déclarés contre un seul ? Un seul s’est-il déclaré contre tous ? Tous se sont-ils levés contre tous ? Un seul l’a-t-il fait contre un seul ? Quand le Prophète dit : « Vous accablez un homme », il ne parle que d’un seul ; et quand il ajoute : « Faites-le tous mourir », il indique une conspiration de tous contre un seul ; mais c’est, à vrai dire, une conspiration de tous contre tous, puisqu’elle est dirigée contre tous les chrétiens unis en un seul corps.
Maintenant, des diverses erreurs opposées au Christ, de ses différents ennemis, peut-on dire qu’ils ne font qu’un, ou doit-on les désigner sous le nom de tous ? Oui, j’ose dire qu’ils ne font qu’un, car il y a une seule ville et une seule ville, un seul peuple et un seul peuple, un seul roi et un seul roi. Et quand je dis : Il y aune seule ville et une seule ville, j’entends une seule Babylone et une seule Jérusalem. Qu’on leur donne d’autres noms mystérieux, peu importe ; car, eu réalité, il n’y a que deux villes, l’une qui a pour roi le démon, l’autre que gouverne le Christ. Il y a, dans l’Évangile, un passage qui me frappe singulièrement et dont le sens ne vous échappe point ; le voici : Plusieurs personnes avaient été invitées aux noces, sans distinction aucune entre les bons et les méchants, et la salle du festin se trouvait remplie de convives, car des serviteurs avaient été envoyés de tous côtés avec ordre d’amener au repas tous ceux qu’ils trouveraient, sans faire attention à ceux qui le méritaient et à ceux qui en étaient indignes : le roi entra alors pour voir ceux qui étaient à table ; et, apercevant un homme qui n’avait point la robe nuptiale, il lui adressa ces paroles que vous connaissez : « Mon ami, pourquoi es-tu venu ici, puisque tu n’as pas la robe nuptiale ? Celui-ci garda le silence ». Le roi commanda qu’on lui liât les pieds et les mains, et qu’on le jetât dans les ténèbres extérieures. Ce malheureux fut donc enlevé de vive force de la salle du festin et précipité dans les tourments. Quel était cet homme ? Quelle place tenait-il, quel nombre représentait-il au milieu de cette foule de convives ? Le Seigneur a voulu nous faire comprendre que cet homme représentait à lui seul un corps composé d’un grand nombre de membres ; après nous avoir dit que le roi donna ordre de jeter cet homme hors de la salle, et de le précipiter dans les tourments qu’il avait mérités, il a, en effet, immédiatement ajouté : « Car il y en a beaucoup d’appelés, et peu d’élus[22] ». Comment ? Vous avez invité au festin une foule d’hommes : un grand nombre s’y sont rendus : vous avez commandé, vous avez fait annoncer partout le repas des noces, le nombre des conviés s’est démesurément accru[23], la chambre nuptiale s’est trouvée remplie de convives, un seul d’entre eux a été exclu de l’assemblée, et vous dites : « Il y en a beaucoup d’appelés, et peu d’élus ? » Ne serait-il pas plus exact de dire : Tous sont appelés, il y en a beaucoup d’élus : un seul a été renvoyé. Si le Seigneur disait : Beaucoup ont été appelés ; la plupart d’entre eux ont été choisis ; quelques-uns d’entre eux ont été réprouvés, il serait assez naturel de penser que ce petit nombre d’hommes réprouvés se trouvent représentés par l’homme qui fut seul exclu ; mas ce n’est pas ainsi qu’il s’exprime ; il dit d’abord qu’un seul des invités a été renvoyé, puis il ajoute : « Il y en a beaucoup d’appelés et peu d’élus ». Si ceux qui sont restés dans la salle du festin ne sont pas les élus, où les trouver ? L’homme réprouvé en a été chassé, les élus y sont restés : il y a peu d’élus, parce que ce malheureux réprouvé en représente, dans sa personne, une multitude d’autres. Tous ceux dont les désirs ne s’élèvent pas au-dessus de ce bas monde, qui préfèrent à Dieu les joies de la terre, qui cherchent leur avantage, et non la gloire de Jésus-Christ[24], tous ceux-là sont les citoyens d’une seule et même ville, de la Babylone mystique quia pour roi le démon ; de même, cette autre ville, que le Christ gouverne, se compose de toutes les personnes animées de sentiments célestes, dont les pensées sont toutes spirituelles, qui vivent ici-bas avec tremblement, dans la crainte d’offenser Dieu ; qui s’efforcent de ne point com mettre le péché, et ne rougissent point d’avouer leurs fautes lorsqu’elles ont eu le malheur d’en commettre : en un mot, elle compte pour habitants les hommes humbles et doux, les chrétiens qui sont devenus saints, justes, pieux et bons. Babylone a paru la première en ce monde ; mais si elle l’emporte par son ancienneté, elle est loin de l’emporter sous le rapport de l’excellence et de la gloire : elle est donc l’aînée Jérusalem est plus nouvelle ; son existence date d’une époque moins éloignée de nous. La première remonte à Caïn, la seconde à Abel. À chacune de ces deux villes appartient une société d’hommes d’un caractère particulier, que gouverne un roi différent de l’autre ; toujours opposées l’une à l’autre, ces deux sociétés lutteront ensemble jusqu’à la fin du monde ; aujourd’hui leurs membres se trouvent confondus ensemble, mais alors aura lieu leur séparation : les uns seront placés à droite, et les autres à gauche ; aux uns l’on dira : « Venez, bénis de mon a Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde » ; et aux autres : « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le démon et ses anges[25] ». Élevé, le jour de son triomphe, au-dessus de tout, le Roi de la Ville sainte, le Christ dira à ses sujets : « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde ». À ceux qui seront à sa gauche, aux habitants de la ville des pécheurs, il tiendra un autre langage « Allez au feu éternel ». Fera-t-il une distinction entre le roi de cette ville et ses sujets ? Non, car il ajoutera : « Qui a été préparé pour le démon et ses anges ».
7. Attention, mes frères ; attention, je vous en prie : ce serait pour moi un véritable plaisir de vous parler encore quelques instants de cette cité sainte, dont la pensée fait le charme de mon âme. En effet, ô cité de Dieu, on m’a dit de toi de bien belles choses[26]. Si jamais, ô Jérusalem, ton souvenir s’efface de ma mémoire, que ma main droite tombe elle-même en oubli[27] ! Cette ville, dont le souvenir m’est si doux, est vraiment notre patrie : je ne dis pas assez, elle est notre seule patrie ; tout ce qui se trouve en dehors d’elle n’est pour nous qu’un triste lieu d’exil. Je ne vous entretiendrai donc pas de choses qui vous soient inconnues : vous approuverez ce que je vais vous dire, car je ne ferai que raviver vos souvenirs ; vous connaissez d’avance l’objet de mes enseignements. L’Apôtre a dit : « Ce qui est spirituel n’a pas été formé le premier ; ce qui est animal l’a été d’abord : ensuite est venu ce qui est spirituel[28] ». Puisque Caïn est né le premier, et qu’Abel est venu au monde après lui, Babylone est donc la plus ancienne[29]. Mais, comme les deux fils d’Adam que nous venons de nommer, « l’aîné sera l’esclave du plus jeune » ; de même si Babylone l’emporte sur. Jérusalem par l’ancienneté, Jérusalem est bien supérieure à Babylone par la dignité[30]. Mais pourquoi celle-ci a-t-elle existé avant celle-là ? L’Apôtre nous le dit : « Ce qui est spirituel n’a pas été formé le premier : ce qui est animal l’a été d’abord ; ensuite est venu ce qui est spirituel ». Et pourquoi Jérusalem l’emporte-t-elle en dignité sur Babylone ? Parce que l’aîné sera l’esclave du plus jeune ». La sainte Écriture nous apprend que Caïn bâtit une ville[31]. On en était alors au commencement de toutes choses : les hommes n’avaient encore accompli aucun travail : nulle autre ville n’existait. Il est pour toi facile de le comprendre : Caïn et Abel comptaient déjà un grand nombre de descendants : leurs familles s’étaient suffisamment étendues pour pouvoir composer une société et former la population d’une ville. L’aîné des deux frères bâtit donc une ville, à une époque où il n’y en avait pas d’autre. Jérusalem, la ville sainte, cité et royaume de Dieu, ombre et figure de l’avenir, Jérusalem fut bâtie ensuite. Grand et ineffable mystère, indiqué dans ces paroles de saint Paul : « Ce qui est spirituel n’a pas été formé le premier ; ce qui est animal l’a été d’abord ; ensuite est venu ce qui est spirituel ». Caïn fut donc le premier à édifier une cité, et il l’édifia quand il n’en existait pas encore d’autre. Mais, au moment où Jérusalem fut construite, on en voyait déjà une ; elle porta d’abord le nom de Jébus, d’où est venu à ses habitants celui de Jébuséens. Cette ville tomba au pouvoir des ennemis : ils la soumirent à leur puissance et la détruisirent, et sur ses ruines, avec ses débris, on en éleva une nouvelle : c’était Jérusalem, la vision de paix, la cité de Dieu[32]. Parce qu’on est enfant d’Adam, on n’est point pour cela citoyen de Jérusalem ses descendants traînent à leur suite les chaînes du péché, et comme conséquence de leur état de péché, ils en subissent la peine, ils sont condamnés à mourir. La vieille ville de Jébus les compte donc, en un sens, au nombre de ses habitants ; mais s’ils veulent appartenir au peuple de Dieu, il faut qu’en eux le vieil homme soit détruit et fasse place au nouveau ; com prenez-vous maintenant pourquoi Caïn a bâti une ville à une époque où il n’y en avait pas encore ? Chacun de nous est d’abord sujet aux passions mauvaises et à la mort, pour devenir bon ensuite : « car, de même que plusieurs sont devenus pécheurs par la désobéissance d’un seul, ainsi par l’obéissance d’un seul plusieurs deviendront justes[33] ». « Nous mourons tous en Adam[34] », et chacun de nous tire de lui son origine. Passons donc à Jérusalem ; le vieil homme sera détruit en nous, et le nouveau y sera édifié. Comme il aurait pu parler aux Jébuséens au moment de la ruine de leur ville et de la construction de Jérusalem, l’Apôtre nous parle à nous-mêmes, et nous dit : « Dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous de l’homme nouveau[35] ». Et à tous ceux d’entre nous qui font maintenant partie de Jérusalem, et qui brillent de l’éclat de la grâce, saint Paul dit encore : « Autrefois vous avez été ténèbres ; mais aujourd’hui, vous êtes lumière dans le Seigneur[36] ». La cité des méchants est donc aussi ancienne que le monde : elle durera jusqu’à la consommation des siècles ; les habitants de la cité de Dieu ne sont que des pécheurs convertis.
8. Les habitants de ces deux villes sont maintenant confondus ensemble ; à la fin des temps ils seront séparés : une lutte acharnée règne entre eux tous, car les uns combattent pour l’iniquité et les autres pour la justice ; ceux-ci pour la vérité, ceux-là pour la vanité. Par suite de ce mélange temporaire des bons et des méchants, il arrive que des citoyens de Babylone dirigent les affaires de Jérusalem, comme parfois les habitants de Jérusalem ont entre les mains la direction des affaires de Babylone. La preuve de ce que j’avance vous paraît difficile à apporter ; la voici néanmoins : Prenez patience ; des exemples vous en convaincront. Suivant le langage de l’Apôtre, « tout » ce qui arrivait au peuple juif « était figure : et tout a été écrit pour nous servir d’instruction, à nous qui nous sommes rencontrés à la fin des temps[37] ». Portez donc votre attention et vos regards sur ce premier peuple qui a été l’image du peuple suivant, du peuple chrétien, et vous toucherez du doigt la preuve de mes paroles. Il y eut à Jérusalem de mauvais rois, tout le monde le sait : on en connaît le nom et le nombre. Ils étaient donc tous, sans exception, des citoyens de Babylone, et pourtant ils gouvernaient Jérusalem, en dépit de leur méchanceté : ils devaient, plus tard, en être éloignés pour partager le sort des démons. Par contre, nous voyons à la tête de l’administration de Babylone des habitants de la cité de Dieu. Vaincu par le prodige de la fournaise ardente, Nabuchodonosor n’a-t-il point confié le gouvernement de son royaume aux trois jeunes hébreux ? Les satrapes eux-mêmes ne leur étaient-ils pas soumis ? En réalité, l’autorité supérieure a donc été exercée à Babylone par des habitants de Jérusalem[38]. Remarquez-le, mes frères : le même fait se reproduit encore, et de nos jours, dans l’Église. En effet, le Sauveur a dit : « Faites ce qu’ils enseignent, mais ne les imitez pas ». Tous ceux auxquels s’appliquent ces paroles, sont des citoyens de Babylone, qui dirigent les affaires de Jérusalem, De fait, s’ils n’étaient en rien chargés de l’administration de cette ville, dirait-on d’eux : « Faites ce qu’ils disent ? Ils sont assis sur la chaire de Moïse ». Et, d’autre part, s’ils étaient du nombre des citoyens de Jérusalem, et destinés à régner éternellement dans les cieux avec Jésus-Christ, ajouterait-on : « Ne les imitez pas[39] ? » Non ; puisque cette sentence sera prononcée contre eux : « Retirez-vous de moi, vous tous qui êtes des ouvriers d’iniquité[40] ». Vous le voyez donc, les habitants de la cité des méchants se trouvent parfois à même de gérer les affaires de la cité des justes. Assurons-nous maintenant que le rôle rempli par les uns l’est aussi quelquefois par les autres. Tout gouvernement de ce monde doit périr un jour ; sa puissance disparaîtra le jour où se manifestera cette puissance royale à laquelle nous faisons allusion, quand nous disons dans notre prière : « Que votre règne arrive[41] », et dont il a été prédit : « Et son règne n’aura pas de fin[42] ». Ce gouvernement terrestre a donc à sa tête des citoyens sortis de nos rangs. Que de fidèles, en effet, que de justes, dans les villes qu’ils habitent, remplissent les fonctions de magistrats, de juges, de ducs et de comtes, et sont revêtus de l’autorité royale ! Ils sont tous vertueux et bons ; ils ne pensent qu’aux choses admirables que l’on dit de vous, ô bienheureuse cité[43] ! Pour eux, tout ce qu’ils font dans cette passagère Babylone est un embarras et une entrave : le docteur de la Cité de Dieu leur commande de garder la fidélité à leurs supérieurs, soit « au roi, comme ayant une autorité souveraine, soit aux gouverneurs, comme envoyés de sa part pour punir ceux qui font mal, et traiter favorablement ceux qui font bien ». S’ils servent des maîtres, ils doivent leur obéir[44] : chrétiens, ils doivent se montrer soumis aux païens ; parmi eux l’homme vertueux est obligé de se montrer fidèle même aux méchants, quoique sa sujétion à leur égard soit purement temporaire, et que sa destinée soit de régner éternellement. Ainsi en sera-t-il jusqu’au moment où l’iniquité arrivera à son terme[45]. Les serviteurs ont donc l’ordre de supporter l’autorité de leurs maîtres, même lorsqu’elle se montre injuste et méchante : il faut que les citoyens de Jérusalem supportent les habitants de Babylone, et leur montrent, si j’ose parler ainsi, plus de déférence que s’ils appartenaient eux-mêmes à la société des pécheurs, car en eux doit s’accomplir cette parole du Sauveur : Si l’on te commande « de marcher l’espace de mille pas, fais-en deux mille[46] ». C’est à cette Babylone, répandue eu tous lieux, dispersée jusqu’aux extrémités de la terre, confondue, pour le moment, avec Jérusalem, c’est à elle que s’adressent les paroles du Psalmiste : « Jusques à quand accablerez-vous un seul homme ? Faites-le tous mourir ». Vous tous qui êtes en dehors comme des épines dans les buissons, comme des arbres stériles dans les forêts, vous qui tenez au dedans la place de l’ivraie ou de la paille ; qui que vous soyez, séparés déjà des bons ou mêlés encore avec eux, ou destinés à exercer encore la patience des justes, et à vous en voir un jour forcément éloignés, « faites-les tous mourir ; jetez-vous sur moi comme sur un mur qui penche, comme sur une maison qui tombe en ruine. Ils ont conspiré en eux-mêmes pour me ravir mon honneur ». Ils ne l’ont pas dit ; ils se sont contentés de le penser. « Ils ont conspiré en eux-mêmes pour me ravir mon honneur ».
9. « Dans l’excès de ma soif, j’ai couru ». Ils me rendaient le mal pour le bien[47]. Ils me faisaient mourir, ils me repoussaient ; pour moi, j’avais soif de leur salut ; ils voulaient me ravir ma gloire, et moi je brûlais du désir d’en faire les membres de mon corps. Effectivement, lorsque nous buvons, que faisons-nous si ce n’est d’introduire dans notre corps, et de faire passer jusqu’à l’extrémité de nos membres, une humidité et une fraîcheur qui se trouvent hors de nous ? Ainsi agit Moïse avec la tête du veau d’or. Cette tête avait une signification prophétique et cachait un grand mystère, car elle représentait la société des méchants, qui par leur amour excessif des avantages temporels ne ressemblent que trop aux jeunes bœufs dont la plus grande jouissance consiste à manger l’herbe des champs[48]. Car « toute chair n’est que de l’herbe[49] ». Parmi les Israélites, il y avait, comme je l’ai dit, une société d’impies. Vivement irrité de leur idolâtrie, Moïse jeta dans le feu la tête du veau d’or, la fit réduire en poussière, et jeta cette poussière dans de l’eau qu’il fit ensuite boire au peuple[50]. La colère du législateur des Israélites fut elle-même une prophétie. Cette société des impies est jetée par Dieu dans le creuset des tribulations, et par sa parole il la réduit en poussière : car, peu à peu se dissipe leur union, elle s’use insensiblement, pareille à un vêtement qui vieillit ; tous ceux qui deviennent chrétiens s’en séparent : ce sont, en quelque sorte, des grains de poussière qui se détachent de l’ensemble : unis les uns aux autres, ils sont les ennemis de la foi ; dès qu’ils s’éloignent les uns des autres, ils l’embrassent avec empressement. Pouvait-il y avoir un signe plus clair des effets du baptême ? À l’aide de l’eau baptismale les hommes ne devaient-ils pas entrer dans le corps de cette Jérusalem spirituelle, dont le peuple juif était l’image ? La société des pécheurs a été jetée dans l’eau, et ce mélange n’est-il pas devenu comme un breuvage destiné aux enfants d’Adam ? Tel est le breuvage après lequel, dans l’ardeur de sa soif, soupirera jusqu’à la fin celui qui parle en ce psaume : il a soif, il s’élance, il boit une multitude d’âmes, et, pourtant, sa soif ne sera jamais étanchée : voilà pourquoi il disait à la Samaritaine : « Femme, j’ai soif, donne-moi à boire[51] ». Elle reconnut auprès du puits que le Christ avait soif, et ce fut lui qui la désaltéra ; elle reconnut la première de quelle nature était la soif du Fils de Dieu, et, par sa foi, elle l’étancha. Attaché à la croix, il dit : « J’ai soif[52] », et néanmoins les Juifs ne lui donnèrent point le breuvage qui pouvait le désaltérer. Il avait soif de leur salut, et ils ne lui offrirent que du vinaigre. Au lieu de lui donner de ce vin nouveau qui doit remplir des outres nouvelles, ils lui apportèrent du vin si vieux qu’il en était gâté et corrompu[53]. Au vin corrompu on donne indifféremment le nom de vin vieux et celui de vinaigre ; par là on désigne ceux qui demeurent dans le vieil homme, et dont il a été dit : « Pour eux, il n’y a pas de changement[54] ». Jamais ils ne seront détruits comme les Jébuséens, jamais on ne se servira d’eux pour bâtir Jérusalem[55].
10. À l’exemple de son divin chef, l’Église court altérée, depuis le commencement du monde, et jusqu’à la fin des temps la soif la poussera à courir toujours. N’aurait-on pas le droit de lui dire : O corps sacré de Jésus-Christ, ô sainte Église du Sauveur, d’où vous vient cette soif brûlante ? que vous manque-t-il ? Hé quoi ! vous jouissez ici-bas d’une gloire sans égale ; vous êtes environnée de l’éclat le plus brûlant ; vous êtes parvenue au faîte de la grandeur ; manquerait-il encore quelque chose aux prérogatives dont le Seigneur vous a enrichie jusqu’à présent ? Vous voyez s’accomplir en vous cette prophétie : « Tous les rois de la terre l’adoreront, et toutes les nations seront « soumises à son empire[56] ». Pouvez-vous désirer davantage ? Que souhaitez-vous encore ? La multitude des peuples qui vous obéissent ne vous suffit-elle pas ? Hélas, répondrait-elle, de quels peuples me parlez-vous ? « Ils me bénissaient du bout des lèvres, et, dans le fond du cœur, ils me maudissaient. Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus[57] ». Une femme affligée d’un flux de sang toucha la frange du vêtement de Jésus, et se trouva guérie : le Sauveur s’était aperçu qu’elle le touchait, car il avait senti qu’une vertu était sortie de lui pour la guérir ; il s’étonna de l’action que cette femme s’était permise, et dit à ses disciples : « Qui est-ce qui m’a touché ? » Tout surpris d’une question pareille, ils lui répondirent : « Une foule énorme se presse autour de vous, et vous demandez qui est-ce qui a pu vous toucher ? » Et il ajouta : « Quelqu’un m’a touché[58] », comme s’il avait voulu dire : La foule me presse, mais une seule personne m’a touché. Ceux qui, dans les solennités de, Jérusalem, remplissent nos églises, profitent des fêtes de Babylone pour remplir les théâtres : cette foule immense sert, respecte et honore la foi de Jésus-Christ ; mais de quelles personnes se compose-t-elle ? De chrétiens qui participent aux sacrements du Sauveur, et qui, néanmoins, détestent ses commandements ; de gens qui ne reçoivent pas ces sacrements de la loi nouvelle, parce qu’ils sont encore juifs ou païens : ils honorent, ils louent, ils prêchent la foi de Jésus-Christ ; mais, en réalité, « ils ne la bénissent que du bout des lèvres ». Je ne m’arrête pas à leurs paroles, dit l’Église : Celui qui m’a éclairé de sa divine lumière sait qu’« ils me maudissent dans le secret de leur cœur ». Ils me maudissent, dès lors qu’ils cherchent à me ravir ma gloire.

11. O Idithun, ô corps de Jésus-Christ, qui distancez ces impies, quelle sera votre ligne de conduite au milieu de tant de scandales ? Que ferez-vous ? Vous laisserez-vous aller au découragement ? Ne persévérerez-vous pas jusqu’à la fin ? Quoiqu’il ait été dit que, « quand l’iniquité abondera, on verra se refroidir la charité », n’écouterez-vous pas ces autres paroles : « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé[59] ? » Les auriez-vous inutilement devancés ? Et vos pensées ne s’élèveraient-elles plus vers le ciel[60] ? Les pécheurs sont affectionnés aux choses de la terre ; citoyens et habitants de ce monde, ils n’ont de goût que pour lui ; ils ne sont que de la terre ; les serpents trouvent en eux leur nourriture. Que ferez-vous donc au milieu d’eux ? Leurs pensées et leurs œuvres sont opposées aux miennes ; ils se jettent sur moi et cherchent à me renverser, comme on cherche à renverser un mur qui a perdu son aplomb : en dépit de leurs efforts, je leur apparais toujours droit et ferme ; alors ils s’ingénient à me ravir ma gloire : de leur bouche sortent mes louanges, et ils me maudissent dans le secret de leurs âmes : partout où ils le peuvent, ils creusent des pièges sous mes pas, et ils ne manquent aucune occasion de me calomnier : « Quoi qu’il en soit, mon âme restera soumise au Seigneur[61] ». Qui est-ce qui pourra supporter tant de luttes ouvertes et cachées ? Comment ne point défaillir au milieu d’un si grand nombre d’ennemis connus et de faux frères ? Comment résister à de si difficiles épreuves ? Un homme en est-il capable ? Et s’il en a la force, est-ce en lui-même qu’il la trouve ? Oh ! si j’ai devancé mes ennemis, je ne m’en prévaux pas, car je ne veux pas que Dieu me frappe et m’humilie. « Mon âme sera soumise au Seigneur, car c’est de lui que me vient ma patience ». Au milieu de tant de scandales, qui est-ce qui peut me soutenir, sinon l’attente de ce que nous espérons sans le voir encore[62] ? La douleur m’accable aujourd’hui, bientôt sonnera pour moi l’heure du repos. La tribulation est maintenant mon partage : plus tard, je recouvrerai mon innocence. L’or brille-t-il de tout son éclat dans le creuset du joaillier ? On le verra dans toute sa beauté, quand on l’emploiera à former un collier ou d’autres ornements ; mais, auparavant, il lui faut passer par le creuset, pour se débarrasser de tout alliage et paraître au grand jour dans toute sa splendeur. Au creuset il y a de la paille, de l’or et du feu : le souffle de l’orfèvre s’y fait sentir, le feu prend à la paille et purifie l’or ; la paille est réduite en cendres : l’alliage se sépare de l’or. Le creuset, c’est le monde ; la paille n’est autre que les pécheurs : les justes tiennent la place de l’or, la tribulation fait l’office du feu ; le joaillier, c’est Dieu : ce que veut le joaillier, je le fais ; partout où il me place, je m’y tiens : mon devoir est de souffrir : à Dieu, de me purifier ; la paille prendra feu, elle semblera destinée à me brûler et à me consumer ; mais, en définitive, elle se réduira en cendres ; pour moi, je sortirai des flammes débarrassé de toutes souillures. Comment cela ? « Parce que mon âme sera soumise à Dieu, et que ma patience vient de lui ».
12. Quel est celui qui vous donne la patience ? « Il est mon Dieu et mon Sauveur ; il est mon protecteur, et je ne serai point ébranlé[63] ». « Il est mon Dieu », voilà pourquoi il m’appelle ; « il est mon Sauveur », aussi me justifie-t-il : « Il est mon protecteur », il me glorifiera donc : sur la terre ont lieu ma vocation et ma justification ; ma glorification se fera dans le ciel « jamais je n’en sortirai » ; ici-bas je me trouve dans un lieu d’exil, où je n’aurai point de séjour permanent : plus tard, je m’en éloignerai pour entrer dans une demeure éternelle. Je ne suis maintenant auprès de vous qu’un étranger sur la terre, à l’exemple de tous mes ancêtres[64]. Je sortirai donc du lieu de mon pèlerinage ; mais mon habitation céleste, je ne la quitterai pas.
13. « J’attends de Dieu mon salut et ma gloire[65] ». En Dieu je trouverai mon salut et ma gloire, j’y puiserai l’un et l’autre : le salut, parce que sa grâce me sépare des impies et me rend juste[66] ; la gloire, parce qu’après m’avoir justifié, il me conduira à l’honneur des élus. En effet, « Dieu a appelé ceux qu’il a prédestinés » ; et pourquoi les a-t-il appelés ? Il a justifié ceux qu’il « a appelés, et ceux qu’il a justifiés, il les a comblés de gloire[67] ». La justification aboutit au salut, et la glorification à l’honneur éternel. Qu’il en soit ainsi de la glorification, il est inutile de le prouver, cela est évident. Pour ce qui concerne la justification, nous allons essayer de le démontrer. Cette démonstration est d’autant plus facile que nous la trouvons dans l’Évangile. Certaines personnes qui se croyaient justes, blâmaient le Sauveur de ce qu’il s’asseyait à la table des pécheurs, et prenait ses repas avec des publicains et des hommes de mœurs relâchées. Que répondit le Sauveur à ces personnes orgueilleuses, à ces forts de la terre qui s’élevaient avec tant d’insolence, à ces gens qui se glorifiaient de la santé plus factice que réelle de leur âme ? « Ceux qui se portent bien n’ont pas besoin de médecin : il n’est nécessaire que pour les malades u. À ses yeux, quels hommes se portent bien ? quels hommes sont malades ? Le voici, car il ajoute : « Si je suis venu, c’est pour appeler, non pas les justes, mais les pécheurs[68] ». Suivant lui, ceux qui jouissent d’une bonne santé, ce sont les justes ; or, au lieu d’être effectivement justes, les Pharisiens se contentaient de croire qu’ils l’étaient : aussi, en concevaient-ils de l’orgueil, et partaient-ils de là pour reprocher aux malades la présence et les soins du médecin : toutefois, ils devinrent eux-mêmes si malades, qu’ils firent mourir ce médecin. Quoi qu’il en soit, le Sauveur donna aux justes le nom de sains, et celui de malades aux pécheurs. Celui qui a devancé les impies, s’exprime donc ainsi : Dieu lui-même est l’auteur de ma justification, et si plus tard je suis glorifié, il en sera encore la cause : « J’attends de Dieu mon salut et ma gloire » ; « mon salut », pour être sauvé ; « ma gloire », pour être glorifié. Mais puisque je ne saurais parvenir, dès maintenant, à la gloire, que me reste-t-il pour le moment ? « En Dieu, je trouverai du secours, car il sera la source de mon espérance », jusqu’au jour où je parviendrai à la justification et au salut ; car nous « ne sommes sauvés que par l’espérance, et l’on n’espère pas ce que l’on voit[69] », jusqu’au jour où j’entrerai dans cette gloire ineffable, dans le royaume du Père éternel, où les justes brilleront de l’éclat du soleil[70]. En attendant ce jour fortuné, Idithun se trouve environné de tentations, d’iniquités, de scandales, d’hommes qui le combattent ouvertement, qui s’efforcent de le tromper par leurs paroles menteuses, qui le bénissent de bouche et le maudissent de cœur, qui veulent lui ravir sa gloire ; il s’écrie : « En Dieu je trouverai mon Sauveur », parce qu’il soutient ceux qui combattent. Contre qui avons-nous à combattre ? « Nous avons à combattre, non contre des « hommes de chair et de sang, mais contre les « principautés et les puissances[71]. En Dieu « donc je trouverai mon secours : il est la source de mon espérance ». J’espère, car les biens qu’il m’a promis ne sont pas devenus mon partage : je crois, parce que je ne vois pas encore l’objet de ma foi. Lorsque enfin je le posséderai, je serai sauvé et glorifié ; avant que luise pour nous ce jour fortuné, Dieu ne nous abandonnera pas quoiqu’il diffère de nous accorder ses dons éternels, il n’en est pas moins « mon soutien et la source de mon espérance ».
14. « O peuples, espérez tous en lui[72] ». Imitez Idithun ; devancez vos ennemis : laissez bien loin derrière vous ceux qui vous résistent, qui s’opposent à votre marche vers le ciel, qui vous haïssent. « O peuples, espérez tous en lui, répandez vos cœurs en sa présence ». Ne vous laissez point aller au découragement, quand on vous dira : Où est donc votre Dieu ? « Mes larmes », a dit le Prophète, « sont devenues mon pain durant le jour et pendant la nuit, parce qu’on me dit tous les jours : Où est ton Dieu ? » Et il a ajouté : « J’ai fait de cela le sujet de mes réflexions, et j’ai répandu mon âme pour l’élever au-dessus de moi[73] », J’ai gardé le souvenir de ce que j’ai entendu : « Où est ton Dieu ? » je me le suis rappelé, et j’ai répandu mon âme pour l’élever au-dessus de moi ». Je cherchais Dieu, et, pour parvenir jusqu’à lui, je suis sorti de moi-même, j’ai répandu mon âme et l’ai élevée au-dessus de moi. « O peuples, espérez donc tous en lui ; répandez vos cœurs en sa présence », et, pour cela, priez, confessez vos fautes, livrez-vous à l’espérance. Ne retenez pas vos cœurs, ne les emprisonnez pas en eux-mêmes, « répandez-les en sa présence » ; pour les répandre ainsi, vous ne les perdrez pas, Car il est mon protecteur ». S’il te protège, que craindrais-tu à répandre le tien ? Décharge-toi de toutes tes peines sur le Seigneur[74], et mets en lui ton espérance. « Répandez vos cœurs en sa présence ; il est notre soutien ». Pourquoi craindre les calomniateurs et les médisants qui vous environnent ? Dieu les déteste[75]. S’ils le peuvent, ils vous attaquent ouvertement : quand ils en sont incapables, ils vous tendent des pièges : ils feignent de vous louer : en réalité, ils vous maudissent, parce qu’ils sont vos ennemis ; mais, encore une fois, pourquoi les craindre ? « Dieu est notre soutien ». Sont-ils de force à lutter avec lui ? Sont-ils plus puissants que lui ? « Dieu est notre soutien ». Soyez donc tranquilles. Si Dieu est pour nous, qui est-ce qui sera contre nous[76] ? « Répandez vos cœurs en sa présence », en vous approchant de lui, en élevant vos âmes jusqu’à lui. « Dieu est notre soutien ».
15. Puisque vous êtes parvenus en lieu sûr, puisque vous êtes protégés contre vos ennemis par une tour inexpugnable, prenez pitié de ceux qui vous inspiraient de la crainte vous, aussi, vous devez éprouver les ardeurs de la soif, et courir : placés dans la forteresse, regardez les adversaires d’un œil de commisération, et dites : « Toutefois, les hommes « sont vains, les enfants des hommes sont menteurs[77] ». Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le cœur pesant ? Vous êtes vains, enfants des hommes, vous êtes menteurs : pourquoi donc aimez-vous la vanité ? Pourquoi allez-vous à la recherche du mensonge[78] ? Tenez-leur ce langage imprégné de compassion et de sagesse. Si vous avez devancé vos ennemis, si vous les aimez, si vous ne prétendez détruire en eux le vieil homme qu’alla d’y faire naître l’homme nouveau, si vous aimez celui qui juge les nations et relève les ruines[79], tenez-leur ce langage ; mais, en leur parlant de la sorte, ne vous laissez point conduire par les sentiments de haine, ne cherchez point à rendre le mal pour le mal[80]. « Les enfants des hommes sont trompeurs dans leurs balances ; ils s’accordent ensemble dans la vanité ». Ils sont en grand nombre, mais en définitive ils ne font qu’un, et l’homme qui les représente tous dans sa personne, est celui-là même qui a été chassé du festin des noces[81]. Ils sont tous d’accord pour rechercher les avantages de ce monde ; ils sont tous charnels et ne veulent que les plaisirs de la chair ; et s’ils espèrent quelque chose pour l’avenir, leurs espérances sont aussi toutes charnelles. Divisés, pour tout le reste, en une multitude de partis différents, ils ne font plus qu’un dès qu’il s’agit de la vanité. Leurs erreurs sont innombrables, et se manifestent avec une surprenante variété de formes : un royaume ainsi divisé ne saurait subsister longtemps[82] ; mais, en eux tous on remarque un penchant égal et pareil de tous points pour la vanité et le mensonge, un dévouement absolu pour le même roi, pour ce maître avec lequel ils seront éternellement condamnés au feu[83]. « Ils s’accordent ensemble dans la vanité ».
16. Mais voyez quelle soif Idithun ressent à leur endroit : voyez avec quelle ardeur il court vers eux dans l’excès de sa soif. Altéré du désir de leur salut, il se tourne vers eux et leur dit : « Ne mettez point votre espérance dans l’iniquité ». Pour moi, je mets la mienne en Dieu. « Ne mettez point votre espérance dans l’iniquité[84] ». Vous tous qui ne voulez ni vous approcher, ni marcher plus vite que les méchants, prenez garde ; « ne mettez point votre espérance dans l’iniquité »[85]. Je vous ai devancés : j’ai placé mon espérance dans le Seigneur : « l’iniquité se trouve-t-elle en lui[86] ? » « Ne mettez point votre espérance dans l’iniquité ». Faisons ceci ; agissons encore de telle autre manière ; pensons aussi à cela : tendons telle embûche : voilà bien le langage de ceux qui s’accordent dans la vanité. Pour toi, tu es altéré ; par ceux qui ont déjà servi à étancher ta soif, tu as appris à connaître ceux qui nourrissent contre toi de pareilles pensées. « Ne mettez point votre espérance dans l’iniquité ». Elle est vaine, ce n’est rien ; la puissance n’appartient qu’à la justice. On peut, pour quelque temps, obscurcir la vérité : jamais on ne sera à même d’en triompher complètement. L’iniquité peut momentanément fleurir, mais son éclat est de courte durée. « Ne mettez point votre espérance dans « l’iniquité, ne désirez point commettre la rapine ». Tu n’es pas riche, et tu veux t’emparer du bien d’autrui ? Que gagnes-tu ? Que perds-tu ? O ruineux bénéfice ! Tu gagnes de l’argent, et tu perds la justice. « Ne désirez point commettre la rapine ». – Je suis pauvre, je n’ai rien. Voilà pourquoi tu veux te rendre voleur ? Tu vois ce que tu dérobes, et tu ne vois pas de qui tu deviens la proie ? Ignores-tu donc que l’ennemi rôde autour de toi comme un lion rugissant, et qu’il cherche à te dévorer[87] ? Le bien d’autrui que tu veux t’approprier, est dans une souricière ; tu le prends et tu es pris. O pauvre, ne désire donc point commettre la rapine ; que tes désirs se portent vers Dieu, car de lui nous viennent les choses nécessaires à la vie4. Il t’a créé, il te nourrira. Le voleur reçoit de lui sa nourriture, et il laisserait mourir de faim un innocent ? Il pourvoira à la subsistance, car il fait lever le soleil sur les bons et sur les méchants, et tomber la pluie sur les justes et les pécheurs[88]. Si sa main bienfaisante s’ouvre pour ceux qui doivent être réprouvés, se fermera-t-elle pour les futurs élus ? Ne désirez donc point commettre la rapine. Ceci soit dit au pauvre, qui peut-être ne devient voleur que sous l’influence de la nécessité. Voici maintenant pour le riche. Je n’éprouve, dit-il, aucun besoin de manquer à la probité : rien ne me manque ; je me trouve dans l’abondance. O riche, prête aussi l’oreille à la voix du Prophète : « Si vous possédez d’abondantes richesses, n’y attachez pas votre cœur ». L’un est riche, l’autre n’a rien ; que celui-ci ne cherche pas à s’approprier les biens qui ne sont pas à lui ; que celui-là ne s’affectionne pas à ce qu’il possède. « Si vous avez d’abondantes richesses, n’y attachez pas votre cœur ». C’est-à-dire, si elles surabondent chez toi, si elles semblent y couler comme de source, puissent-elles ne point t’inspirer une folle confiance en toi-même ! Puisses-tu ne pas y accoler ton cœur ! « Si tu as d’abondantes « richesses », prends-y garde : tu n’as pas moins à craindre que le pauvre. Ne vois-tu pas, en effet, que si tu leur donnes tes affections, tu passeras comme elles ? Tu es riche, tu ne désires plus rien, parce que ta fortune est grande. Écoute l’Apôtre parlant à Timothée : « Recommande aux riches de ce monde de ne point être orgueilleux » ; et, pour expliquer ces paroles du Psalmiste : « N’y attachez pas votre cœur », il ajoute : « Et de ne pas mettre leur confiance en des biens incertains[89]. Si vous avez d’abondantes richesses, n’y attachez » donc « pas votre cœur » : n’y mettez pas votre confiance, n’en concevez nul orgueil ; qu’elles ne soient point le mobile de vos espérances, car on dirait de vous : « Voilà un homme qui n’a pas attendu de Dieu son secours, mais qui a placé sa confiance dans ses grandes richesses, et mis sa force dans la vanité[90] ». O vous, enfants des hommes, qui êtes vains et menteurs, ne commettez point de rapines, et, sites richesses abondent chez vous, n’y attachez pas votre cœur ; n’aimez donc plus la va imité, ne cherchez plus le mensonge ! Heureux l’homme qui a mis son espérance dans le Seigneur Dieu, et qui ne porte son attention ni sur la vanité, ni sur les trompeuses folies du monde[91] ! Vous aspirez à devenir trompeurs, vous voulez commettre une fraude ? De quoi vous servez-vous ? De fausses balances. Car, dit le Psalmiste, « les enfants des hommes trompent avec leurs balances ». Ils cherchent à induire les autres en erreur en se servant de fausses balances. Vous trompez, par de mensongères apparences, ceux qui vous regardent ; mais il y en a un autre pour peser : il y en a un autre pour juger du poids ; l’ignorez-vous ? Celui pour lequel vous employez une balance fausse ne s’aperçoit pas de votre supercherie ; mais elle est connue de celui qui vous pèse tous les deux suivant les règles de son incorruptible justice. Ne désirez donc ni fraude ni rapine ; ne mettez donc pas davantage votre espérance dans ce que vous possédez ; je vous en avertis, je vous en préviens. Tel est le langage que vous tient Idithun.
17. Mais continuons : « Dieu a parlé une fois, et j’ai entendu ces deux choses : la puissance est à Dieu, et la miséricorde vous appartient, Seigneur ; vous rendrez à chacun selon ses œuvres[92] ». Voilà ce que dit Idithun. Du lieu élevé où il était parvenu, il a entendu une voix et il nous a répété ce qu’elle lui a dit. Mes frères, ses paroles me surprennent et me troublent ; aussi, je vous en conjure, veuillez me prêter toute votre attention, car je vais vous faire part de la crainte et de l’espérance qu’elles m’inspirent. Par la grâce de Dieu nous sommes parvenus à vous expliquer ce psaume dans tout son entier ; nous n’avons plus à développer que le dernier verset, et quand nous l’aurons fait, il ne nous en restera plus rien à dire. Veuillez donc vous joindre à moi ; efforçons-nous de comprendre ce passage, autant, du moins, que nous le pourrons. S’il m’est impossible d’en pénétrer parfaitement le sens, et qu’un autre parmi vous en soit capable, j’en ressentirai plus de joie que d’envie. Il est difficile de comprendre comment, après avoir dit d’abord « que Dieu a parlé une fois », le Prophète ajoute que, néanmoins, « il a entendu deux choses ». Si, en effet, il avait dit : Le Seigneur a parlé une fois, et j’ai entendu une chose, la difficulté serait à moitié résolue ; nous n’aurions plus qu’à pénétrer le sens de ces paroles : « Dieu a parlé une seule fois ». Nous avons donc deux questions à traiter : l’une relative à ces mots : « Dieu a parlé une fois » ; l’autre concernant ces paroles : « J’ai entendu deux choses », et la contradiction qui semble exister entre ces deux passages.
18. « Dieu a parlé une fois ». Que dis-tu, ô Idithun ? Toi qui as devancé les impies, est-ce bien ton langage ? « Dieu a parlé une seule fois ? » Je consulte l’Écriture, et elle me dit en un autre endroit : « Dieu a parlé souvent, et en plusieurs manières à nos pères, par les Prophètes[93] » Pourquoi donc dire : « Dieu a parlé une seule fois ? » N’est-ce pas ce même Dieu qui a parlé à Adam dès le commencement du monde ? N’est-ce pas le même Dieu qui a parlé à Caïn, à Noé, à Abraham, à Isaac, à Jacob, à Moïse et à tous les Prophètes ? À lui seul, Moïse n’a-t-il pas souvent entendu la parole du Seigneur ? Dieu a donc conversé avec plusieurs hommes, et bien des fois. Il a aussi parlé à son Fils, pendant qu’il vivait sur la terre ; il lui a dit : « Tu es mon fils biens aimé[94] ». Il a encore parlé aux Apôtres et à tous les saints ; et si sa voix ne retentissait pas du haut du ciel, elle se faisait, du moins, entendre au fond du cœur ; car c’est là que le Seigneur s’adresse particulièrement aux hommes pour les instruire. Aussi David disait-il : « J’écouterai ce que le Seigneur Dieu me dira dans le secret de mon âme, parce qu’il adressera des paroles de paix à son peuple[95] ». Qu’est-ce donc à dire : « Dieu a parlé une seule fois ? » Idithun s’était élevé bien haut, puisqu’il était parvenu à l’endroit où Dieu n’a parlé qu’une fois. Je vais, en deux mots, expliquer à votre charité ma pensée tout entière. Sur la terre, sans doute, au milieu des hommes, Dieu a parié maintes fois, en différentes manières, en plusieurs endroits, par l’organe d’une foule de créatures diverses ; mais, en lui-même, il n’a parlé qu’une fois, parce qu’il n’a engendré qu’un Verbe. Idithun, en devançant ses ennemis, s’était donc élevé, par la force pénétrante, par la vivacité, pleine de hardiesse et de confiance, de son esprit, au-dessus de ce monde et de tout ce qu’il renferme ; il s’était élevé au-dessus des airs et des nuages, du sein desquels le Seigneur avait parlé souvent et à une multitude d’hommes : il s’était élevé par l’essor puissant de sa foi, même au-dessus des anges : car, pareil à l’aigle, il avançait toujours, et, méprisant les régions terrestres, il s’élançait par-delà les nuées qui enveloppent l’univers, et dont la Sagesse a dit : « J’ai couvert toute la terre d’une nuée[96] ». Après avoir laissé bien loin derrière lui toutes les créatures, brûlant du désir de trouver Dieu, répandant son âme au-dessus de lui, il était enfin parvenu à un ciel pur ; il était arrivé jusqu’au Principe, jusqu’au Verbe, Dieu en Dieu : alors il trouva l’unique Verbe d’un Père unique ; alors il comprit que Dieu n’a parlé qu’une fois, alors il vit le Verbe, par qui tout a été fait[97], et en qui toutes choses subsistent ensemble, dans leur entier, sans inégalité aucune. Car Dieu savait parfaitement ce qu’il faisait par son Verbe, et puisqu’il le savait, ce qu’il faisait était donc en lui avant d’exister. Si les choses, qu’il a créées, ne se trouvaient pas en lui, avant de sortir du néant, comment aurait-il pu connaître ce qu’il faisait ? Mais est-il possible de dire que Dieu faisait des choses sans les connaître d’avance ? Les créatures étaient donc en lui comme dans leur archétype. Si, maintenant, on ne peut avoir la connaissance d’un objet qu’après sa création, par quel moyen a-t-il eu cette connaissance ? Remarquez-le, mes frères, ce sont les créatures seules, c’est vous, ce sont les hommes sortis du néant et placés en ce bas monde, qui ne connaissent pas les œuvres de Dieu, tant qu’elles n’ont pas apparu à leurs regards ; pour le Créateur, elles n’avaient rien de caché, même quand elles étaient encore au nombre des êtres possibles : lorsqu’il les a faites, il les connaissait donc. Avant leur création, toutes choses étaient, par conséquent, dans le Verbe, qui les a faites. Et depuis le jour où elles sont sorties du néant, elles sont encore dans le même Verbe, mats elles ne sont de la même manière ni dans le Verbe, ni dans le monde : elles sont, en effet, dans l’état où elles se trouvent, tout autres que dans l’idée de l’Eternel artiste qui les a créées. Qui est-ce qui pourra expliquer de tels mystères ? Nous essayons de le faire ; mais suivez Idithun, et voyez vous-mêmes.
19. Dieu n’a parlé qu’une fois : nous l’avons démontré de notre mieux ; voyons maintenant comment Idithun a entendu deux choses : « J’ai entendu deux choses ». De ces paroles il ne suit pas nécessairement qu’il n’ait entendu que deux choses : « J’ai », dit-il, « entendu deux choses ». Tirons-en donc cette seule conséquence : Il a entendu deux choses qu’il nous est utile de savoir. Peut-être en a-t-il entendu beaucoup d’autres qu’il est inutile de nous dire. Le Seigneur ne s’est-il pas exprimé en ce sens ? « J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez maintenant les comprendre[98] ». Que veut donc dire le Prophète par ces paroles : « J’ai entendu deux choses ? » Je vous les ferai connaître ; mais, faites-y bien attention, si je vous parle, ce ne sera pas en mon nom, mais de la part de celui que j’ai entendu. « Dieu a parlé une seule fois » ; il n’a engendré qu’un seul Verbe, son Fils unique, Dieu comme lui. Toutes choses sont en ce Verbe, parce que tout a été fait par lui : il n’a engendré qu’un seul Verbe, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science[99]. Il n’a engendré qu’un seul Verbe, « il n’a parlé qu’une seule fois ». En lui, « j’ai entendu les deux choses » que je vais vous dire : elles ne viennent pas de moi, je ne vous les rapporterai donc pas comme de moi : voilà pourquoi je vous dis que « je les « ai entendues. L’ami de l’Époux se tient à côté « de lui et l’écoute[100] », afin de dire la vérité. Il l’écoute, afin de ne point parler de lui-même, et de ne pas dire de faussetés[101]. Tu n’auras donc point le droit de me dire : Qui es-tu, pour me parler ainsi ? Pourquoi me tiens-tu ce langage, car j’ai entendu ces deux choses : je t’en parle, parce que je les ai entendues, comme j’ai appris que Dieu a parlé une seule fois. J’ai entendu ces deux choses, qu’il t’est nécessaire de savoir : à force de m’élever au-dessus de toutes les créatures, je suis parvenu jusqu’au Verbe unique de Dieu, et j’ai appris en lui que le Seigneur a parlé une seule fois : tu ne dois donc pas mépriser mes paroles.
20. Qu’il nous rapporte donc enfin ces deux choses, car il nous importe singulièrement de les connaître. « La puissance est à Dieu : Seigneur, la miséricorde vous appartient ». La puissance et la miséricorde, sont-ce bien là les deux choses dont il a entendu parler ? Oui, sans doute : comprenez donc bien ce que c’est que la puissance et la miséricorde de Dieu ; Toutes les Écritures se rapportent, à vrai dire, à ces deux points. Telles sont les causes de la mission des Prophètes, de la vocation des patriarches, de la promulgation de la loi, de l’Incarnation même de Notre-Seigneur Jésus-Christ, du ministère des Apôtres, de la prédication et de la glorification de la parole de Dieu dans l’Église : oui, en voilà les deux causes : la puissance et la miséricorde divines. Craignez sa puissance, aimez sa miséricorde. N’ayez pas en sa miséricorde une confiance telle que vous méprisiez sa puissance : ne redoutez pas, non plus, sa puissance, au point de perdre toute confiance en sa miséricorde. L’une et l’autre se trouvent en lui à un égal degré. Il humilie celui-ci, il élève celui-là ; par sa puissance il abaisse l’un, il élève l’autre par sa miséricorde[102]. « Dieu voulant manifester sa juste colère et faire voir sa puissance, souffre, avec une patience infinie, les vases de colère destinés à la perdition ». Voilà pour sa puissance ; voici pour sa miséricorde : « Afin de faire connaître les richesses de sa bonté envers les vases de miséricorde qu’il a préparés pour la gloire ». C’est donc le propre de sa puissance de condamner les pécheurs. Et personne n’osera lui dire : Qu’avez-vous fait ? « Car, ô homme, qui es-tu pour te permettre d’accuser Dieu[103] ? » Que sa puissance t’inspire donc la crainte, et te fasse trembler ; mais que sa miséricorde anime ta confiance. Le démon, lui aussi, est une puissance ; mais le plus souvent, quand il veut faire du mal, il est réduit à l’impuissance, parce qu’il dépend d’un pouvoir supérieur. De fait, si le démon pouvait faire autant de mal qu’il le désire, tous les justes disparaîtraient ; il ne laisserait pas un fidèle en ce monde. Par l’intermédiaire des vases de perdition, il se précipite sur eux comme sur un mur qui penche ; toutefois il ne l’ébranle qu’autant que Dieu le lui permet : le Seigneur lui-même soutiendra ce mur, afin qu’il ne croule pas ; car, en donnant au démon le pouvoir de tenter l’homme, il accorde à celui-ci son bienveillant secours. Le pouvoir d’éprouver les justes n’appartient donc à Satan que dans une certaine mesure. « Vous nous ferez boire avec mesure les larmes qui couleront de nos yeux », dit le Prophète[104]. Parce que Satan a reçu l’autorisation de te maltraiter, n’en conçois aucune appréhension, car tu as un Sauveur rempli de bonté pour toi. Si donc il te tente, c’est pour ton bien c’est pour t’exercer, t’éprouver et t’aider à te connaître toi-même. D’où peut, en effet, nous venir la tranquillité, sinon de la puissance et de la miséricorde divines ? Où pouvons-nous trouver la sécurité, sinon à cette source féconde ? Car l’Apôtre a dit : « Dieu est fidèle, et il ne permet pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces[105] ».
21. « A Dieu donc appartient la puissance. Car toute puissance vient de Dieu[106] » ; ne dis donc pas : Pourquoi le Seigneur donne-t-il au démon une pareille puissance ? Ne devait-il pas lui refuser tout pouvoir ? – Celui qui accorde la puissance est-il dépourvu de justice ? Tu peux murmurer injustement contre lui ; pour lui, jamais il ne perdra l’équité. « Y a-t-il de l’injustice en Dieu ? Non[107] ». Il faut bien t’en persuader : puisse ton ennemi ne jamais réussir à t’en faire perdre la mémoire ! Les motifs qui portent Dieu à agir de telle ou telle manière, tu peux ne pas les connaître ; mais il est sûr que la justice même ne peut se rendre coupable d’injustice. Tu accuses le Seigneur d’injustice : mais discutons ensemble un instant, et prête-moi ton attention. Tu l’accuses d’injustice : connais-tu les règles de la justice ? Pour porter une telle accusation sans blesser le droit, il est indispensable de savoir toutes les lois de la justice : il faut comparer ensemble l’équité et l’injustice. Comment, en effet, saurais-tu qu’une chose est injuste, si tu ne sais pas ce qui est juste ? Qui est-ce qui sait si ce que tu appelles un procédé inique n’est pas de tous points conforme aux règles du droit ? – Non, dis-tu, je maintiens mon opinion. Et tu le soutiens avec autant de fermeté que si tu le voyais de tes propres yeux ; tu te prononces avec autant d’assurance dans le sens de l’injustice, que si tu tenais en tes mains l’infaillible règle de la justice et que l’appliquant à la conduite de Dieu, tu aperçusses une différence entre les deux. À t’entendre, ne croirait-on pas avoir devant soi un expert chargé de discerner entre la ligne droite et celle qui ne l’est pas ? Je t’adresse donc cette question : Comment sais-tu que telle chose est juste ? Où est cette règle de justice dont la présence t’apprend que telle autre est injuste ? D’où vient je ne sais quoi, dont ton âme se trouve de toutes parts imprégnée, même au sein des ténèbres,je ne sais quoi qui éclaire ton esprit ? D’où sort notre règle de justice ? N’aurait-elle ni source ni principe ? Diras-tu qu’elle a son principe en toi-même ? Es-tu capable de te la donner ? Personne ne peut te donner ce qu’il n’a pas. Si donc tu es injuste, tu ne peux devenir juste qu’en te conformant à une règle immuable de justice ; tu deviens injuste dès que tu t’en éloignes : si tu t’en approches, tu deviens équitable. Que tu t’en éloignes, que tu t’en approches, elle est toujours la même. Où réside-t-elle donc ? Sur la terre ? Non. Si tu cherchais à y trouver de l’or ou des pierres précieuses, à la bonne heure ; mais, ne l’oublie pas, nous parlons de la justice. La chercheras-tu dans la vaste profondeur des mers, au sein des nuages, dans les étoiles, parmi les Anges ? Sans doute, elle habite au milieu des Anges, mais ils la puisent eux-mêmes à sa source ; elle se trouve en chacun d’eux, et elle ne procède toutefois que d’un seul principe. Élevé donc tes regards, monte au ciel, dirige-toi vers l’endroit où Dieu n’a parlé qu’une fois, et tu trouveras la source de la justice là ou se trouve la source de la vie. « Parce qu’en vous, Seigneur, est la source de la vie[108] ». De ce qu’avec tes faibles lumières tu crois pouvoir prononcer entre le juste et l’injustice, il ne suit nullement que l’injustice se rencontre en Dieu : trop souvent tu te trompes dans tes appréciations ; mais quand elles sont justes, à quoi le dois-tu, sinon à un rayon de la justice divine qui est descendu sur toi ? En lui donc se trouve la source de la justice. Ne cherche pas l’iniquité où l’on rencontre la pure lumière. Il est très possible que tu ignores la raison des choses. S’il en est ainsi, accuse ton ignorance ; souviens-toi de ce que tu es : pense à ces deux choses : « La puissance est à Dieu ; Seigneur, la miséricorde vous appartient. Ne cherche point à connaître ce qui est au-dessus de toi : ne sonde point la profondeur des conseils divins qui dépassent les bornes de ton intelligence ; qu’il te suffise de connaître les commandements du Seigneur, et que jamais tu n’en perdes le souvenir[109] ». À ces commandements se rapportent les deux choses entendues par Idithun : « La puissance est à Dieu ; et, Seigneur, la miséricorde vous appartient ». Ne crains pas ton ennemi ; il ne te fera jamais que ce qu’il a reçu le pouvoir de te faire : crains plutôt celui à qui appartient la puissance suprême : redoute celui qui peut faire tout ce qu’il veut, dont les œuvres, loin d’être entachées d’injustice, sont, au contraire, marquées au coin de la plus intègre justice. Nous supposions injuste telle ou telle chose : mais dès lors que Dieu l’a faite, sa justice est démontrée.
22. Quand un homme fait mourir un innocent, fait-il bien ou mal ? Certes, il fait mal. Pourquoi Dieu lui permet-il d’agir ainsi ? Avant de faire cette question, ne devrais-tu pas te souvenir que tu dois à Dieu ce commandement : « Partage ton pain avec le pauvre abrite ceux qui n’ont point d’asile, donne des vêtements à celui qui en manque[110] ? » La justice, de ta part, consiste à observer cette prescription divine : « Lavez-vous de vos taches, purifiez-vous : dépouillez-vous de votre malignité, éloignez-la de mes yeux, apprenez à faire le bien, à rendre justice à l’orphelin et à la veuve ; puis vous viendrez, et nous discuterons ensemble, dit le Seigneur[111] ». Tu prétends discuter avec Dieu commence par te rendre digue d’engager cette discussion, en accomplissant tes devoirs, et alors tu demanderas au Tout-Puissant raison de ses actes. O homme, il ne m’appartient pas de te faire connaître les desseins de l’Eternel : je n’en ai pas le pouvoir ; je me borne à te dire que le meurtre d’un innocent est un crime, et que ce crime n’aurait pas lieu, si Dieu ne le permettait pas ; et de ce qu’un homme se soit rendu coupable d’une telle faute, il ne suit pas du tout que le Seigneur ait participé à cette iniquité en la permettant. Sans examiner la cause de cet homme, au sort duquel tu t’intéresses si vivement, et dont la mort te fait verser des larmes : je pourrais te dire dès maintenant qu’il n’aurait pas été assassiné, s’il n’avait pas été coupable, et, par là, je me trouverais en opposition avec toi, puisque tu soutiens son innocence : encore une fois, je pourrais te faire cette réponse ; car, pour appuyer ton assertion sur une base sûre, pour dire avec apparence de raison, que cet homme a été injustement mis à mort, il faudrait avoir préalablement scruté son cœur jusque dans les plus secrets replis, examiné à fond tous ses actes, et disséqué chacune de ses pensées : or, tu ne l’as pas fait : je serais donc à même de clore ici la discussion. Mais tu me parles d’un juste ; qu’on a pu, sans contredit et sans aucun doute, appeler de ce nom : d’un juste qui n’avait commis aucune faute, et que, néanmoins, les pécheurs ont fait mourir, qu’un traître a livré aux mains de ses ennemis : tu me donnes pour exemple le Christ lui-même : certes, nous ne pouvons dire qu’il y ait eu en lui aucun péché, puisqu’il payait des dettes qu’il n’avait pas contractées[112]. Que répondre à cette objection ? – Je te tiens, me diras-tu. – Moi aussi je te tiens. Tu me proposes une difficulté relativement au Christ : il me servira lui-même à la résoudre. Nous savons quels ont été les desseins de Dieu à l’égard de son Fils : il a lui-même pris soin de dissiper à cet égard notre ignorance. Puis donc que tu connais les motifs pour lesquels le Seigneur a permis à des scélérats de faire mourir son Fils, et que ses desseins sont de nature à obtenir ton assentiment, et, si tu es juste, à ne point te révolter, tu dois croire aussi qu’à l’égard des autres Dieu a ses vues, quoique tu ne les connaisses pas. Mes frères, il a fallu le sang d’un juste pour effacer la cédule de nos péchés : nous avions besoin d’un exemple de patience et d’humilité : le signe de la croix était nécessaire pour triompher du démon et de ses anges[113]. Il était indispensable pour nous que Notre Seigneur souffrit, car il a racheté le monde par sa passion. De quels bienfaits ses souffrances ont été pour nous la source ! Toutefois, le Sauveur, le juste par excellence, ne les aurait jamais endurées, si les pécheurs ne l’avaient attaché à la croix. Mais est-ce bien à ses bourreaux qu’il faut imputer les heureux résultats de sa mort ? Non : ils l’ont voulue, Dieu l’a permise : la volonté seule de faire périr Jésus-Christ aurait suffi à les rendre criminels mais Dieu n’aurait point permis une pareille mort, s’il y eût eu injustice à le faire. Les Juifs ont voulu tuer le Sauveur : supposons qu’un obstacle se soit opposé à la perpétration de leur crime, seraient-ils pour cela innocents ? Personne n’oserait ni le penser ni le dire. « Car le Seigneur examine le juste et le pécheur[114] », et « il pénètre jusque dans les pensées de l’impie[115] ». Il recherche, non pas ce qu’on a pu taire, mais ce qu’on a voulu faire. Si donc les Juifs avaient voulu faire mourir le Christ, sans pouvoir toutefois parvenir à leurs fins, ils n’en seraient pas moins coupables ; mais tu n’aurais pas reçu les bienfaits dont sa passion a été la source. Les impies ont donc agi de manière à le faire condamner : Dieu a permis cette condamnation, afin d’opérer ton salut. Ce que l’impie a voulu faire, lui est imputé à crime ; ce que Dieu a permis est venu de sa puissance : la volonté des Juifs a été contraire aux lois de la justice : la permission que Dieu leur a donnée y a été conforme. Aussi, mes frères, le scélérat qui a trahi le Sauveur, Juda et les bourreaux du Christ, étaient, les uns et les autres, des méchants, des impies et des pécheurs ; tous étaient dignes de condamnation : et, pourtant, le Père « n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous[116] ». Distingue, discerne, si tu le peux : offre à Dieu les vœux que tu as faits avec tin sage discernement[117]. Vois ce qu’a fait le Juif prévaricateur : vois ce qu’a fait le Dieu juste : l’un a voulu faire mourir le Christ, l’autre l’a permis : la conduite de celui-ci est digne de louanges, la conduite de celui-là mérite le blâme le plus sévère. Condamnons les intentions perverses des pécheurs : glorifions les desseins équitables du Très-Haut. Le Christ est mort : quel mal a-t-il éprouvé ? Ceux qui ont travaillé à sa perte, se sont perdus eux-mêmes. Mais, pour lui, ils n’ont pu lui causer aucun dommage, même en le livrant au dernier supplice. En mourant dans sa chair, il a porté à la mort le coup de grâce, il nous a enseigné la patience, et nous a donné, dans sa résurrection, le modèle de la nôtre. Quelle précieuse occasion de faire le bien les méchants ont-ils fournie au juste, en le faisant mourir ? T’aider par sa grâce à faire le bien, tirer le bien du mal même que tu fais, n’est-ce pas une des preuves les plus sensibles de la grandeur de Dieu ? Ne t’en étonne pas. Quand il permet de faire le mal, ce n’est point sans motifs : il ne le fait, du reste, qu’avec poids, nombre et mesure : sa conduite est à l’abri de tout reproche. Pour toi, fais seulement tous tes efforts pour lui appartenir ; mets eu lui ta confiance ; qu’il soit ton soutien et ton salut ; qu’en lui tu trouves un asile inviolable, une imprenable forteresse ; qu’il soit ton refuge, et il ne permettra pas que tu sois tenté au-dessus de tes forces, et il t’en fera sortir avec avantage, en sorte que tu seras à même de supporter l’épreuve[118]. Lorsque tu es éprouvé par la tentation, tu dois voir en cela l’action de sa puissance ; mais sa miséricorde se manifeste, quand il ne permet pas que tu sois tenté au-delà de tes forces. « La puissance est à Dieu, et à vous, Seigneur, appartient la miséricorde : aussi vous rendrez à chacun selon ses œuvres ».
Après l’explication de ce psaume, comme on montrait au milieu du peuple un homme qui s’était livré à l’astrologie judiciaire, Augustin ajouta : Dans l’ardeur de sa soif, l’Église veut faire entrer aussi dans son corps, l’homme que vous avez sous les yeux. Dès lors il vous est facile de comprendre combien il en est parmi les chrétiens pour la bénir du bout des lèvres, et la maudire du fond du cœur. Autrefois chrétien fidèle, il revient aujourd’hui à elle dans les sentiments de pénitence et de crainte salutaire que lui inspire la puissance divine, et vient se jeter dans les bras de la miséricorde du Tout-Puissant. D’abord fidèle à sa foi et à ses devoirs, il a été séduit par l’ennemi, et il est devenu astrologue. Après avoir été lui-même séduit, il a séduit les autres ; après avoir été trompé, il s’est fait trompeur ; il en a attiré à son erreur ; il les a jetés dans l’illusion, il a proféré quantité de mensonges contre le Dieu qui a donné aux hommes le pouvoir de faire le bien, et non celui de faire le mal. Il disait que l’adultère et l’homicide ne sont pas l’effet de notre volonté ; que Vénus est l’auteur du premier, et Mars du second ; il ajoutait que la source de la justice se trouve, non pas en Dieu, mais en. Jupiter : enfin, mille autres blasphèmes abominables sont sortis de sa bouche. À combien de chrétiens il a extorqué de l’argent ? Vous vous en feriez difficilement une idée. Que de fidèles ont acheté ses mensonges ! Pourtant, nous leur disions : Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le cœur lourd ? Pourquoi aimez-vous la vanité et cherchez-vous le mensonge[119] ? Maintenant, s’il faut l’en croire, il déteste le mensonge et reconnaît qu’avant d’en tromper tant d’autres il avait été lui-même la dupe du démon. Nous pensons, mues Frères, qu’une grande frayeur a été la cause de sa conversion. Qu’ajouterons-nous ? Si cet astrologue abandonnait aujourd’hui le paganisme pour entrer dans l’Église, nous en ressentirions, sans doute, une grande joie ; mais ne devrions-nous pas craindre que le mobile de sa conversion fût un secret désir d’entrer dans la cléricature ? Celui-ci est pénitent ; il ne demande qu’indulgence et pardon. Ouvrez donc les yeux sur lui ; dilatez vos cœurs en faveur de cet homme repentant, nous vous en conjurons : celui que vous voyez, aimez-le du fond de vos entrailles ; portez incessamment sur lui vos regards. Considérez-le bien ; apprenez à le connaître, et partout où il ira, montrez-le à ceux de vos frères qui ne sont point ici : ces soins et cette vigilance seront, de votre part, une œuvre de miséricorde, qui empêchera ce séducteur de se détourner du bien et de redevenir l’ennemi de la vérité. Soyez ses gardiens ; que ses discours et sa conduite n’aient rien de caché pour vous : votre témoignage servira à nous assurer qu’il est vraiment revenu à Dieu. Ainsi placé sous votre surveillance, ainsi recommandé à votre compassion, il n’aura plus rien de caché pour vous. Vous savez, par les Actes des Apôtres, qu’un grand nombre d’hommes perdus, c’est-à-dire exerçant la même profession, et soutenant des doctrines perverses, apportèrent aux pieds des disciples du Sauveur tous leurs livres : on en brûla alors un si grand nombre, que l’Écrivain sacré a cru devoir les estimer, et en consigner la valeur dans son récit[120]. Il l’a fait, sans doute, pour la plus grande gloire de Dieu et pour empêcher de tels hommes de désespérer de la bonté de celui qui sait, quand il le veut, chercher ce qui était perdu[121]. Celui-ci était perdu ; mais Dieu l’a cherché, il l’a retrouvé, il l’a ramené ; cet homme rapporte avec lui, pour les faire brûler, des livres qui devaient le condamner au feu éternel ; du foyer ardent où ils seront bientôt consumés, il tirera pour son âme un véritable rafraîchissement. Sachez-le pourtant, mes frères, il y a longtemps qu’il frappe à la porte de l’Église, il avait commencé à le faire avant Pâques : dès avant Pâques, il demandait à l’Église chrétienne un remède à ses maux. Mais comme l’art dont il a fait profession, le rendait un peu suspect de mensonge et de dissimulation, nous avons cru devoir différer de le recevoir, dans la crainte d’être trompé ; mais, enfin, nous l’avons reçu, pour ne pas l’exposer à une nouvelle et plus dangereuse tentation. Offrez donc à Dieu, pour lui, vos prières par la médiation du Sauveur. Que chacun de vous conjure aujourd’hui le Seigneur de lui faire miséricorde ; car nous savons, et nous en sommes sûrs, que vos prières effacent toutes ses impiétés. Que Dieu soit avec vous !


DISCOURS SUR LE PSAUME 62 modifier

SERMON AU PEUPLE. modifier

DÉVOUEMENT A DIEU. modifier

Ce psaume est une prophétie, qui concerne le Messie personnifié dans ses membres. Figuré par David, le chrétien se trouve, en cette vie, comme dans un désert aride, où rien ne saurait satisfaire ses désirs ; aussi a-t-il soin de s’unir à Dieu par ses pensées, ses affections et ses espérances. Pour sa récompense, il reçoit les consolations divines en ce monde, et jouira, dans l’autre, de l’éternelle béatitude. Au souvenir de ses immortelles destinées, il redouble ses prières et ses bonnes œuvres pour obtenir les bénédictions célestes, la sagesse, la vigueur de l’âme, la possession de Dieu, et dans le sentiment de tranquillité que lui inspire sa confiance en Dieu, il oublie ses épreuves et délie ses ennemis.


1. Il en est peut-être parmi vous, qui ne connaissent pas encore suffisamment le Christ ; car celui qui a répandu son sang pour tous les hommes, choisit ses serviteurs dans tous les rangs de la société ; c’est pourquoi je veux aujourd’hui vous parler de manière à être agréable à ceux qui ont déjà la science de la religion, et à instruire ceux-là mêmes qui n’ont pas encore du Sauveur une connaissance parfaite. Les psaumes que nous chantons ont été composés et écrits sous l’inspiration de l’Esprit-Saint bien avant l’époque où Notre-Seigneur Jésus-Christ est né de la Vierge Marie. David, auteur de ces psaumes, régna sur la nation juive ; c’était, de tous les peuples de l’univers, le seul qui reconnût l’unité de Dieu, et l’adorât, dans cette conviction, comme le Créateur du ciel, de la terre, de la mer, et de tous les êtres visibles ou invisibles qu’ils renferment. Pour les autres nations, elles se prosternaient, non pas aux pieds du divin Auteur de l’univers, mais devant des créatures ou devant des idoles fabriquées de mains d’hommes ; ainsi, elles rendaient le culte suprême au soleil, à la lune, aux étoiles, à la mer, aux montagnes ou aux arbres. Ce sont autant de merveilles sorties des mains du Très-Haut, et dans la pensée de l’Eternel elles doivent nous porter à l’adorer lui-même ; mais nous ne serons jamais en droit d’en faire l’objet de notre culte et de les adorer à sa place. David régna donc sur le peuple juif ; et il fut la souche de cette famille au sein de laquelle Notre-Seigneur Jésus-Christ prit naissance par la Vierge Marie[122] ; car celle qui est devenue la Mère du Sauveur, descendait de la race royale de David[123]. Ce saint roi composa nos psaumes, et, dans ses admirables cantiques, il annonça le Christ, qui ne devait venir que bien plus tard en ce monde ; les Prophètes ont aussi prédit ce qui le concernait, longtemps avant que la Vierge Marie lui donnât le jour selon la chair ; ils ont prédit ce qui devait arriver de notre temps, et tes événements dont nous lisons aujourd’hui le récit ; nous en sommes les témoins oculaires ; et l’accomplissement de leurs prédictions doit nous remplir de joie. Ces saints personnages ont annoncé d’avance ce qui fait le sujet de nos espérances les plus vives ; ils ne pouvaient en contempler l’accomplissement que dans un esprit prophétique, puisqu’ils en étaient si éloignés ; pour nous, nous en lisons l’histoire, nous en entendons le narré ; nous nous en entretenons, et, dans l’univers entier, nous trouvons la preuve évidente que toutes les paroles contenues dans l’Écriture se sont littéralement vérifiées. Y en aurait-il parmi nous un seul pour ne pas se réjouir ? Tant de prédictions importantes se sont réalisées jusqu’à nos jours ! Ne doivent-elles pas nous donner l’espoir bien fondé que toutes les autres s’accompliront infailliblement ? C’est un fait dont vous ne pouvez douter, mes frères, puisqu’il se passe sous vos yeux ; le monde entier, l’univers, toutes les nations, les peuples de tous les pays s’empressent de connaître Jésus-Christ, et embrassent la foi chrétienne ; vous voyez comme partout s’évanouissent les superstitions païennes ; il suffit d’ouvrir les yeux pour s’en convaincre n’êtes-vous pas, en effet, témoins de la vérité de ce que nous vous lisons ? Les événements, que vous êtes à même de constater, parce qu’ils ont lieu devant vous, ont été prédits de temps immémorial ; nous lisons les écrits où ils ont été consignés d’avance, et nous assistons, en même temps, à la réalisation de ces écrits. D’autres événements ne se sont pas encore produits, que les Prophètes ont néanmoins aussi annoncés ; ainsi, il est prédit qu’après être venu ici-bas pour subir le jugement des hommes, Notre-Seigneur Jésus-Christ y reviendra pour les juger à son tour ; qu’après avoir paru sur la terre au sein des humiliations, il apparaîtra plus tard environné de gloire ; qu’après avoir donné aux hommes l’exemple de la patience, il reviendra un jour pour les juger selon leurs mérites, et rendre aux justes et aux pécheurs suivant leurs œuvres. Ces événements, ce retour du Sauveur, du souverain Juge des vivants et des morts, qui font le sujet de notre espérance, nous devons les croire. Quand, en effet, nous voyons, de manière à ne pouvoir en douter, l’accomplissement d’un si grand nombre de prophéties, est-il pour nous bien difficile de croire à celles qui ne sont pas encore réalisées ? Ne serait-ce pas, en vérité, le comble de la démence, de refuser sa foi à quelques prédictions non encore vérifiées par l’événement, lorsque tant d’autres prononcées si longtemps d’avance, se trouvent déjà justifiées par les faits ?
2. Le psaume qui nous occupe en ce moment a donc trait à la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, considéré comme chef et corps de l’Église tout ensemble. Comme chef, il est le fils de Marie, qui a souffert, qui a été enseveli, qui est ressuscité et monté au ciel, qui est assis à la droite du Père, et intercède pour nous auprès de lui. Il est notre chef, nous sommes ses membres ; car il est le chef de l’Église, qui est répandue par toute la terre ; elle est son corps : à ce corps appartiennent non seulement les fidèles aujourd’hui vivants, mais encore ceux qui ont existé avant nous, et ceux qui viendront après nous jusqu’à la consommation des siècles ; la tête de ce corps, c’est le Christ qui est monté aux cieux[124]. Nous ne pouvons donc ignorer quel est le chef de l’Église, quel en est le corps : Jésus-Christ est le chef ; le corps, c’est nous. Aussi, quand nous entendons parler le Sauveur, nous devons reconnaître dans ses paroles, celles du chef et celles de ses membres ; car tout ce qu’il a souffert, nous le souffrons en lui et avec lui, et tout ce que nous souffrons, il le souffre cri nous et avec nous. Dans le corps humain, la tête souffre-t-elle sans que la main partage ses douleurs ? La main, à son tour, peut-elle endurer quelque douleur, sans que la tête en ressente aussi les atteintes ? Le mal qui torture le pied, ne torture-t-il pas en même temps la tête ? Aussi, qu’un de nos membres vienne à souffrir, tous nos autres membres se hâtent pour ainsi dire, de compatir à ses douleurs, et par là même de contribuer à les alléger d’où je conclus avec raison, que si nous avons souffert en sa personne quand il souffrait, il souffre aussi en nous lorsque nous souffrons ; quoique monté au ciel, et assis à la droite de son Père, il partage les tribulations, les épreuves, les extrémités et les tourments où son Église se trouve exposée, où elle doit se purifier, comme l’or se purifie dans le creuset. Que nous ayons souffert en sa personne, j’en trouve la preuve dans les épîtres de saint Paul : « Si vous êtes morts avec Jésus-Christ à ce bas monde, pourquoi le laissez-vous vous imposer des lois, comme si vous étiez encore vivants[125]? ». « Notre vieil homme », dit-il ailleurs, « a été crucifié avec lui, afin que la chair du péché fût détruite en nous.[126] » Si donc nous sommes morts avec le Christ, nous sommes aussi ressuscités avec lui. « C’est pourquoi », ajoute le même Apôtre, « si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez ce qui est au ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu ; n’ayez d’affection que pour les choses du ciel, et non pour celles de la terre[127] ». Nous sommes donc morts et ressuscités avec le Christ ; j’ajoute qu’il meurt lui-même et ressuscite avec nous ; car ne l’oublions pas, il est tout à la fois le chef et le corps de son Église ; par conséquent, ses paroles sont les nôtres comme nos paroles sont les siennes. Écoutons donc les différents versets de ce psaume, et reconnaissons-y les paroles du Christ lui-même.
3. Voici quel en est le titre : « Pour David, quand il était dans le désert d’Idumée[128] ». Par le mot d’Idumée, on entend ce monde ; car les habitants de ces contrées étaient un peuple nomade, et adoraient les idoles : on n’entend donc pas ce mot dans un bon sens ; et, puisqu’il en est ainsi, il signifie la vie présente, où nous sommes éprouvés par tant de peines et de si vives douleurs. Le monde est à vrai dire un désert, où l’on éprouve une soif ardente ; aussi allez-vous entendre les cris plaintifs d’un homme torturé par la soif au sein d’un désert. Si, à son exemple, nous endurons le même tourment, comme lui aussi nous aurons, plus tard, le bonheur de voir notre soif étanchée. Quiconque, en effet, ressentira les ardeurs de la soif, sera désaltéré dans le séjour éternel ; car, dit le Seigneur, « bienheureux ceux qui ont faim et soif de la « justice, parce qu’ils seront rassasiés[129] ». En ce monde nous ne devons point chercher à nous rassasier : il nous faut avoir soif : nous ne serons rassasiés qu’au ciel ; aujourd’hui, pour que nous ne tombions pas en défaillance dans le désert de cette vie, le Seigneur répand en nos cœurs la divine rosée de sa parole, et nous empêche d’être entièrement consumés par l’ardeur de notre soif ; par là, nous conservons le goût et le désir de ce qui peut l’étancher : nous sommes altérés et nous pouvons nous rafraîchir au moyen de la grâce que Dieu nous accorde. Néanmoins, nous éprouvons le tourment de la soif : dans cette situation pénible, notre âme s’adresse à Dieu ; que lui dit-elle ? 
4. « O Dieu, ô mon Dieu, mon cœur veille « et s’élève vers vous dès le point du jour[130] ». Qu’est-ce que veiller ? C’est ne pas dormir. Qu’est-ce que dormir ? Il y a un sommeil de l’âme, et il y a un sommeil du corps. C’est pour nous tous une indispensable nécessité de dormir corporellement : privé de ce repos bienfaisant, l’homme se fatigue, le corps perd ses forces, car il est trop faible pour supporter longtemps l’action d’un esprit vif et appliqué à des choses sérieuses laissez à votre âme toute sa liberté ; qu’elle s’occupe continuellement : vous verrez bientôt que votre corps est incapable de soutenir une pareille épreuve, parce qu’il participe à la faiblesse de la matière ; il succombera infailliblement sous le poids du travail ; il périra. Aussi, Dieu a-t-il accordé à notre enveloppe mortelle le sommeil qui doit réparer ses forces, et lui permettre de supporter la fatigante activité de notre âme. Mais prenons garde de laisser notre âme s’endormir aussi, car le sommeil de l’âme est chose mauvaise. Celui du corps est bon, puisqu’il contribue à en réparer les forces, à entretenir sa vigueur : quant au sommeil de l’âme, il consiste à oublier Dieu, et toute âme qui perd le souvenir du Créateur, s’y trouve plongée. C’était à des personnes de ce caractère que l’Apôtre parlait en quelque endroit de ses épîtres : elles avaient oublié leur Dieu, et, dans leur sommeil, elles songeaient à adorer les idoles. Les adorateurs des faux dieux ne ressemblent-ils pas, en effet, à des gens qui rêvent de choses vaines ? Que leur âme se réveille, aussitôt elle reconnaît son Créateur, elle n’adore plus les divinités qu’elle a elle-même fabriquées. L’Apôtre, parlant à ces sortes de personnes, s’exprime donc ainsi : « Lève-toi, toi qui dors ; sors d’entre les morts, et Jésus-Christ t’éclairera[131] ». Par ces paroles, saint Paul voulait-il éveiller un homme endormi du sommeil du corps ? Non ; son intention était de faire sortir du sommeil de l’âme des chrétiens qu’il désirait voir éclairés de la lumière du Christ. Le Prophète n’était point plongé dans cet assoupissement spirituel, quand il disait « O Dieu, ô mon Dieu, je veille et m’élève vers vous dès le point du jour ». Ton cœur ne serait pas éveillé si le point du jour n’était venu dissiper le sommeil de ton âme. Le Christ éclaire les âmes, et les empêche ainsi de rester endormies elles s’assoupissent, dès que les rayons de sa lumière ne parviennent plus jusqu’à elles. C’est pourquoi le Psalmiste lui dit ailleurs : « Éclairez mes yeux, Seigneur, afin que je ne m’endorme point d’un sommeil de mort[132] ». Car si les âmes se détournent elles-mêmes de la lumière divine, celle-ci les environne de son éclat, mais elles ne l’aperçoivent point parce qu’elles dorment. Il en est de ces âmes comme d’une personne qui s’endort au milieu du jour ; le soleil est levé, il brille de tous ses feux, et, pourtant, la personne dont nous parlons se trouve comme plongée dans les ténèbres, parce qu’étant assoupie, elle ne remarque en aucune manière la splendeur du jour qui l’environne. Ainsi, le Sauveur est à côté de certains chrétiens : la vérité leur est annoncée, mais leur âme est encore ensevelie dans le sommeil. Si vous êtes vous-mêmes éveillés, vous leur direz donc sans cesse : « Toi, qui dors, lève-toi et sors d’entre les morts, et le Christ t’éclairera ». Par toute votre vie, par votre conduite, vous devez prouver aux autres que vous veillez dans le Christ ; les païens, qui dorment, s’en apercevront : ils se réveilleront au bruit de vos veilles, ils sortiront de leur assoupissement, et commenceront à dire avec vous en Jésus-Christ « O Dieu, ô mon Dieu, je veille et m’élève a vers vous dès le point du jour ».
5. « Mon âme a soif de vous ». Voilà ce que produit le séjour du désert d’Idumée. Voyez de quelle soif le Prophète est tourmenté voyez ce qu’il y a de bien dans cette soif. « Mon âme a soif de vous ». Il en est qui ont soif, mais ce n’est pas de Dieu qu’ils sont altérés. Quiconque souhaite vivement posséder un objet, est brûlé par l’ardeur de ses désirs, qui sont, à vrai dire, la soif de son âme. Et remarquez, je vous prie, combien de désirs se partagent le cœur humain. L’un voudrait de l’or, l’autre de l’argent, celui-ci des propriétés, celui-là des héritages ou des richesses considérables, ou de nombreux troupeaux, ou bien encore, une maison spacieuse, des honneurs, une Épouse, des enfants : vous le voyez, les désirs qui remplissent le cœur de l’homme, sont innombrables : il en est desséché et consumé ; aussi, qu’il est petit le nombre de ceux qui savent dire à Dieu « Seigneur, mon âme a soif de vous ! » à peine en trouverait-on pour tenir ce langage, car les hommes ont soif de ce monde, ils ne comprennent point qu’ils se trouvent au désert d’Idumée et que leur âme devrait y avoir soif de Dieu. « Mon âme a soit de vous » : tel doit être notre langage ; oui, nous devons tous répéter ces paroles, parce qu’en Jésus-Christ nous ne devons faire qu’un cœur et qu’une âme : puisse notre âme être altérée de Dieu dans le désert d’Idumée !
6. « Seigneur », dit le Prophète, « mon âme a soif de vous : mon corps lui-même sèche du désir de vous voir ». C’est trop peu que mon âme soit altérée : il faut que mon corps éprouve aussi le même tourment. Mais comment, en quel sens peut-il partager les tortures de mon cœur, puisque à un corps altéré il faut de l’eau pour se rafraîchir, et que le cœur ne peut étancher sa soif qu’à la source de la sagesse ? C’est à cette fontaine sacrée que nos âmes seront désaltérées, selon cette autre parole du Psalmiste : « Ils seront enivrés des biens de votre maison, et vous les rassasierez du torrent de vos délices[133] ». Nous devons donc avoir soif de la sagesse et de la justice, et nous n’en serons pleinement rassasiés qu’à la fin de notre vie, au moment où Dieu nous mettra en possession des biens qu’il nous a promis. Le Seigneur nous a promis de nous élever au même rang que les anges[134] : ils ne souffrent pas, comme nous, de la faim et de la soif, car ils se nourrissent d’un aliment immortel : la vérité, la lumière, la justice fait leur nourriture. C’est pourquoi, rien ne manque à leur bonheur : du sein de cette inénarrable félicité, du haut de cette Jérusalem céleste qu’ils habitent, et dont nous sommes encore exilés, ils portent sur nous leurs regards, ils nous plaignent de ce que nous sommes ainsi éloignés du séjour du bonheur : par l’ordre de Dieu, ils viennent ànotre aide pour nous faire parvenir plus sûrement un jour à cette éternelle patrie qui doit nous réunir les uns aux autres, et où nous puiserons dans le Seigneur, comme en une source féconde, la vérité et l’éternité qui doivent mettre le comble à nos désirs. « Mon corps lui-même », dit le Prophète, « sèche du désir de vous voir », parce que, Dieu l’a dit, notre chair ressuscitera d’entre les morts. À notre âme donc est promise la béatitude céleste ; à notre corps, la résurrection. Oui, nous ressusciterons dans notre chair : le Seigneur nous en fait la promesse formelle. Écoutez-le donc bien ; apprenez-le, et ne l’oubliez pas : voilà le sujet de notre espérance : voilà pourquoi nous sommes chrétiens. Car nous n’avons pas embrassé la foi pour acquérir un bonheur terrestre, qui devient souvent l’apanage des voleurs et des scélérats : nous sommes chrétiens, et, comme tels, nous avons le droit et le devoir de prétendre à un bonheur bien différent : nous entrerons en possession de ce bonheur quand se seront entièrement écoulés les temps réservés à l’existence de ce monde. La résurrection de la chair, voilà ce que nous attendons, voilà ce que Dieu nous promet ; et elle se fera de manière qu’à la fin des siècles, le corps aujourd’hui habité par notre âme, reviendra à la vie. La grandeur de ce mystère ne doit point effrayer votre foi, car le Dieu qui nous a créé lorsque nous n’existions pas encore, trouvera-t-il une difficulté insurmontable à nous rétablir dans l’état où nous nous trouvons aujourd’hui ? Vous n’avez donc aucun motif de douter de la réalité des promesses divines, par cela même que vous voyez les morts se corrompre, et tomber en cendres et en poussière. De ce qu’on brûle le corps d’un défunt, ou de ce que des chiens le dévorent, il ne suit nullement qu’il ne doive pas ressusciter : vous auriez tort de le croire, parce que ces cadavres ont beau être déchirés ou réduits en cendres, ils sont toujours relativement à Dieu dans leur entier : ils ne font, en effet, que retourner et retomber dans ces éléments du monde, du sein desquels le Seigneur les avait primitivement tirés pour en former notre corps nous ne pouvons plus les apercevoir ; mais le Seigneur sait où il les reprendra pour nous les rendre, comme, avant de nous créer, il a su où les prendre pour nous les donner. Tel sera donc le caractère de cette résurrection, que notre corps d’aujourd’hui, qui est destiné à sortir plus tard vivant d’entre les morts, ne sera plus, comme maintenant, sujet à la corruption. Aujourd’hui, par une conséquence nécessaire de la fragilité de notre chair mortelle, il faut que nous mangions sous peine d’éprouver le tourment de la faim et de perdre nos forces : il faut que nous buvions, ou que nous ressentions les ardeurs de la soif, et la défaillance : il est indispensable pour nous de nous reposer, parce qu’autrement nous tomberions en langueur, et que le sommeil nous accablerait bientôt. D’autre part, si nous consacrons au sommeil trop de temps, nous nous affaiblissons : c’est pour nous une impérieuse nécessité de sortir de notre assoupissement. Quoique nous buvions et mangions uniquement pour réparer nos forces, si nos repas sont prolongés, au lieu de nous fortifier, ils nuisent à notre santé. Restons droits trop longtemps, nous nous fatiguons, il faut nous asseoir : que nous demeurions, au contraire, trop longtemps assis, la fatigue vient à la rescousse, et nous oblige à nous lever. Remarquez-le encore : notre corps ne demeure jamais dans le même état. De l’enfance nous passons avec une rapidité extrême à la jeunesse : tu crois encore rencontrer un enfant, que déjà tu ne le reconnais plus, il est déjà devenu grand : à cette première jeunesse succède aussi vite l’adolescence : la jeunesse a disparu, et tu n’en saurais plus trouver les traces : l’homme fait se forme à la suite de l’adolescence, que tu chercherais inutilement à retrouver. Enfin, l’âge mûr fait place à la vieillesse, sans laisser aucun vestige de son passage, et le vieillard meurt, et tu n’en vois plus rien. Nos différents âges n’ont donc pas de stabilité : nous ne nous arrêtons nulle part, et, partout, nous rencontrons fatigue, lassitude et corruption. L’objet de nos espérances, la glorieuse résurrection que le Seigneur nous promet, voilà ce qui nous soutient au milieu de nos innombrables défaillances ; aussi éprouvons-nous une soif ardente pour ce bienheureux séjour, où nous serons revêtus d’incorruptibilité ; aussi, notre corps soupire-t-il lui-même vivement après le jour où il verra Dieu. Plus il souffre au sein de cette Idumée, dans la solitude de ce désert, plus ses désirs s’enflamment ; plus il se fatigue, plus il souhaite d’entrer dans la demeure de son éternel repos.
7. Mes frères, on peut encore dire, en un autre sens, que le corps même du véritable chrétien, du fidèle sincère, a soif de Dieu, dès ce monde. Si, en effet, il a besoin de pain, d’eau, de vin, d’argent, du secours d’une bête de somme, il les demande à Dieu, et il ne les demande, ni aux démons, ni, aux idoles, ni à je ne sais quelles puissances de ce monde. H en est qui, pendant le cours de leur vie, au moment où ils souffrent de la faim, abandonnent le vrai Dieu pour s’adresser à Mercure ou à Jupiter, ou à cette – fausse divinité à laquelle ils donnent le nom de Céleste ou à quelqu’autre démon semblable : dès lors que, dans leur détresse, ils ont recours à de pareils soutiens, il est évident que leur corps n’a point soif du Tout-Puissant. Pour ceux d’entre nous, qui soupirent après lui, ils doivent le faire, tout à la fois, par leur âme et par leur corps : par leur âme, car Dieu lui donne une nourriture qui lui est propre, c’est-à-dire, sa parole sainte : par leur corps, puisque le Seigneur lui procure les aliments nécessaires : par l’une et par l’autre, parce qu’il les a créés tous les deux. Pour tes besoins matériels, tu sollicites le secours des démons : est-ce qu’après avoir tiré ton âme du néant, le Très-Haut leur a laissé le soin de créer ton corps ? Ne l’oublie pas, ton âme et ton corps ont un auteur commun ; c’est le maître de l’univers : ils sont tous deux sortis de ses mains ; tous deux également en reçoivent leur nourriture : aussi faut-il qu’ils ressentent pour Dieu une soif égale, et que dans la multitude innombrable de leurs souffrances, ils soient pareillement et tout ensemble rassasiés.
8. Notre âme et notre corps soupirent donc ardemment, non après une créature quelconque, mais après vous, Seigneur, qui êtes notre Dieu ; or en quel lieu se trouvent-ils pour éprouver cette soif qui les dévore ? Le voici : « C’est dans un pays désert, où l’on ne trouve ni chemin ni fontaine ». Nous l’avons déjà dit : l’Idumée, ce désert dont il est parlé au titre de notre psaume, n’est autre que ce bas monde. C’est « un pays désert », où n’habite aucun homme ; mais il y a plus : « on n’y trouve ni chemin ni fontaine ». Si seulement on rencontrait un chemin dans ce désert : si seulement l’homme qui s’y trouve engagé était à même d’y apercevoir une issue. Mais non : on n’y rencontre personne, la présence d’un de ses semblables n’y vient point réjouir et réconforter le malheureux voyageur : il ne sait pas même par où il pourra en sortir ; il est donc condamné à y rester malgré lui. Si, du moins, en ce triste lieu d’exil où il se voit forcé de demeurer il pouvait trouver une source d’eau vive pour s’y rafraîchir. O l’affreux désert ! O l’horrible, l’effrayant, séjour ! Pourtant, le Seigneur a pris pitié de notre infortune ; il a tracé pour nous une voie dans le désert de notre vie, il nous a donné Notre-Seigneur Jésus-Christ[135]. Pour nous consoler dans ce désolant pèlerinage, des prédicateurs de sa parole ont été envoyés par lui vers nous ; il nous a donné de l’eau pour nous désaltérer dans cette aride solitude, car il a rempli ses Apôtres de l’Esprit-Saint qui est devenu en eux une source d’eau vive, jaillissant jusqu’à la vie éternelle[136]. Nous avons donc ici-bas tout ce que nous pouvons désirer : toutefois, ces secours précieux accordés à notre faiblesse, ce n’est point le désert qui nous les fournit. Aussi, le Psalmiste nous a-t-il d’abord parlé des privations pénibles auxquelles nous condamne le désert. Si, après avoir reçu son charitable avertissement, tu viens à trouver pour ta consolation, ou des compagnons bienveillants, ou une route sûre, ou encore des sources abondantes, tu devras conclure que le désert est incapable de te procurer de pareils adoucissements à tes peines, et qu’il faut en rendre grâces à celui qui a bien voulu ne pas te délaisser dans la solitude.
9. « Ainsi, j’ai paru en votre présence dans « votre sanctuaire, afin de voir votre gloire et votre puissance ». D’abord, mon âme a ressenti les ardeurs de la soif dans la solitude du désert ; mon corps a partagé ses tourments dans cette terre où l’on ne rencontre ni hommes, ni chemins, ni fontaines : « Aussi, j’ai paru en votre présence, dans votre sanctuaire, pour voir votre gloire et votre puissance ». Nul ne peut entrer en possession du véritable bien qui est Dieu, s’il n’a d’abord éprouvé les tortures de la soif au milieu du désert de la vie, au sein des peines de ce monde où il se trouve plongé. « J’ai paru », dit le Prophète, « en votre présence, dans votre sanctuaire ». On trouve dans votre sanctuaire les plus douces consolations. « J’ai paru en votre présence » ; qu’est-ce à dire ? Afin que vous me voyiez, et vous m’avez vu, afin que je pusse vous contempler à mon tour. « J’ai paru devant vous pour voir ». David ne dit pas : J’ai paru devant vous, afin que vous voyiez ; mais il dit : « J’ai paru en « votre présence pour voir moi-même votre « puissance et votre gloire ». C’est pourquoi l’Apôtre s’exprime ainsi : « Maintenant nous « connaissons Dieu, ou plutôt, il nous connaît[137] ». Vous avez d’abord apparu devant Dieu, afin que Dieu pût ensuite apparaître devant vous. « Pour contempler votre puissance et votre gloire ». Que dans ce désert, dans cette solitude, l’homme prétende en tirer et en recevoir son secours, jamais il ne sera admis à contempler la puissance et la gloire du Très-Haut. Il y demeurera condamné à mourir de soif, car il n’y rencontrera ni chemins, ni consolations, ni sources d’eaux vives qui le désaltèrent et l’empêchent de périr. Si, au contraire, il élève vers Dieu ses regards, et que, du fond de son cœur, il lui dise : « Mon âme a soif de vous, Seigneur, et mon corps partage ses désirs » ; si, au milieu de ses privations, il n’attend de personne autre que Dieu l’adoucissement de ses peines et les choses nécessaires à la vie ; si, enfin, il souhaite vivement le jour où, suivant la promesse divine, son corps sortira vivant du tombeau, il trouvera les plus abondantes consolations dans le souvenir qu’il aura gardé du Tout-Puissant.
10. Mes frères, avant le jour de sa bienheureuse résurrection, pendant le cours de sa vie mortelle et de sa fragile existence, notre corps trouve des adoucissements à ses maux dans le pain, l’eau, les fruits, le vin, l’huile, qui entretiennent en lui la vie, et nous sont à tel point nécessaires, que s’ils nous font défaut, nous ne tardons pas à succomber : il y trouve une sorte de bonheur, quoiqu’il ne soit point encore parvenu à jouir de cette santé parfaite au sein de laquelle il ne ressentira ni privations, ni douleurs. Ainsi en est-il de notre âme, même quand elle est encore unie à notre corps, même au milieu des épreuves et des dangers de ce monde, et des infirmités inhérentes à sa nature : elle aussi trouve son soulagement dans la parole sainte, dans la prière et les entretiens spirituels. Pour elle, comme pour notre corps, il y a donc ici-bas quelque diversion à ses peines Mais lorsqu’aura eu lieu notre résurrection, quand notre corps ne réclamera plus de jouissances matérielles, il habitera le séjour de l’immortalité, et s’y trouvera établi pour jamais : alors aussi un aliment divin deviendra la nourriture de notre âme : elle sera sustentée par le Verbe éternel, qui a fait toutes choses[138]. C’est donc pour nous un devoir de rendre grâces au Tout-Puissant de ce qu’il ne nous abandonne pas à notre malheureux sort ; il nous donne, en effet, les choses nécessaires à la vie du corps et à celle de l’âme ; et hors même qu’il nous éprouve en ne pourvoyant pas à tous nos besoins, il veut seulement nous instruire et nous porter à l’aimer davantage ; ainsi, au lieu de nous laisser corrompre par les plaisirs sensuels, nous conservons de lui un souvenir salutaire. Parfois, il nous retire ce qui nous est nécessaire, il nous frappe, mais pour nous apprendre qu’il est toujours notre maître et qu’il ne cesse d’être notre Père, soit qu’il nous bénisse, soit qu’il nous châtie. Sa providence nous réserve un magnifique et inamissible héritage. Eh quoi ! si tu veux léguer à ton fils une coupe, un cellier ou un autre objet quelconque, tu lui conseilles d’en faire un bon usage, et pour lui inspirer la sagesse, pour l’empêcher d’abuser de tes biens, et l’exciter à ménager des objets qu’il lui faudra pourtant, comme toi, abandonner plus tard à d’autres, tu lui infliges de sévères corrections, et tu prétendrais n’en pas recevoir de notre Père céleste ! Et tu ne voudrais pas être préparé par les privations et les épreuves, à la possession de l’inamissible héritage qu’il nous réserve ! Cet héritage n’est autre que Dieu lui-même ; nous le posséderons et il nous possédera éternellement.
11. Apparaissons donc devant Dieu, dans son sanctuaire, afin qu’il nous apparaisse à son tour ; que la sainteté et la vivacité de nos désirs nous transporte jusqu’aux pieds de son trône, et alors nous serons les témoins de la puissance et de la gloire de son Fils. Il ne s’est encore manifesté qu’à un petit nombre d’hommes ; que les autres pénètrent dans son sanctuaire, et ils l’y contempleront. Beaucoup s’imaginent qu’il n’a été qu’un homme, puisque, suivant le témoignage des Apôtres du christianisme, il est né d’une femme, qu’il a été crucifié et qu’il est mort, qu’il a conversé, bu et mangé avec les hommes, et qu’il a agi à la manière des autres : ils ne voient en lui qu’un homme comme un autre ; et, pourtant, vous en avez la preuve dans le passage de l’Évangile qu’on vous lisait tout à l’heure, il a établi sa grandeur divine quand il a dit : « Mon Père et moi, nous ne sommes qu’un[139] ». Voilà celui qui s’est abaissé jusqu’à se faire homme pour nous relever du sein de notre faiblesse ! C’est le souverain Maître de l’univers ! C’est l’égal du Père éternel ! Voilà comment le Seigneur nous a aimés, avant même que nous l’aimions ! Si, avant d’aimer notre Dieu, nous avons reçu de lui un témoignage d’ineffable affection dans la Personne de son égal, de son Fils, qui s’est fait homme comme nous, que ne devons-nous pas attendre de lui pour le moment où nous l’aimerons éternellement ? Parce que le Fils de Dieu est devenu semblable à nous, beaucoup de personnes en conçoivent je ne sais quelle basse idée ; la raison en est facile à saisir, c’est qu’elles n’ont point pénétré dans son sanctuaire, c’est qu’il ne leur a encore manifesté ni sa puissance ni sa gloire ; en d’autres termes, elles n’ont point encore purifié leur cœur ; par conséquent, elles ne comprennent point la grandeur de sa puissance ; elles ne lui rendent point grâces de ce que, malgré sa majesté infinie, il est descendu jusqu’à nous, pour y naître et y souffrir dans l’humiliation ; elles sont, en un mot, incapables de contempler sa puissance et sa gloire.
12. « Car votre miséricorde vaut mieux que toutes les vies[140] ». Il y a, en ce monde, pour l’homme, des manières de vivre de plus d’un genre ; mais, dans le ciel, Dieu ne nous en réserve que d’une sorte ; et quand il nous l’accordera, ce sera, non en raison de nos mérites, mais par un effet de sa miséricorde. Car pour mériter une pareille faveur, qu’avons-nous fait ? En vertu de quelles bonnes œuvres avons-nous prévenu les dons et les grâces du Seigneur ? A-t-il trouvé en nous des actes de vertu à récompenser ? Ou plutôt, n’y a-t-il pas trouvé des fautes à punir ? Ah, sans doute il aurait pu, sans injustice, nous punir, car il nous a pardonné bien des chutes ; et n’est-ce pas justice que de châtier un pécheur ? Et puisqu’il aurait pu, sans blesser nos droits, nous frapper à cause de nos péchés ; ç’a donc été de sa part une grande preuve de miséricorde de ne pas nous punir, de nous justifier, de changer notre malice en bonté, et notre impiété en un véritable esprit de religion. « La miséricorde du Seigneur vaut donc mieux que toutes les vies ». De quelles vies parte le Prophète ? De celles qu’embrassent les hommes. Celui-ci choisit la vie du commerçant, celui-là la vie du cultivateur : l’un préfère l’existence du banquier ; l’autre, celle du soldat : chacun se décide suivant son goût, d’une manière ou d’une autre. Voilà donc divers genres de vie, mais « votre miséricorde est préférable à toutes les vies ». Ce que vous accordez aux convertis, vaut mieux que ce que choisissent les méchants. Vous nous mettez en possession d’une vie bien autrement précieuse que toutes celles que nous aurions pu choisir dans le monde. « Parce que votre miséricorde est préférable à toutes les vies, ma bouche chantera vos louanges ». Vos louanges ne sortiraient point de mes lèvres, si votre miséricorde ne me prévenait : elles ne sont donc qu’un effet de votre généreuse bonté à mon égard : non, je ne serais nullement capable de vous bénir, si vous ne m’en donniez vous-même le pouvoir. « Parce que votre miséricorde est préférable à toutes les vies, ma bouche chantera vos louanges ».
13. « De la sorte je vous bénirai en cette vie, et je lèverai mes mains vers vous en invoquant votre saint nom[141] ». « Je vous bénirai de la sorte dans ma vie » : c’est-à-dire, dans la vie dont vous m’avez gratifié ; non pas dans la vie que j’ai choisie parmi toutes celles que se partagent mes semblables, et pour des motifs mondains, mais dans celle que vous m’avez miséricordieusement accordée, afin que je vous bénisse. « Je vous bénirai de la sorte dans ma vie ». Quel sens donner à ces mots, « de la sorte ? » J’attribuerai, non à mes mérites, mais à votre bonté pour moi, cette vie au sein de laquelle je chanterai vos louanges. « Et je lèverai mes mains en invoquant votre saint, nom ». Prie donc, et durant ce pieux exercice élève tes mains. Attaché à la croix, Notre-Seigneur a élevé ses mains en notre faveur : Il a étendu les bras pour nous. S’il a agi ainsi en sa douloureuse passion, c’était afin de nous faire étendre les nôtres vers les bonnes œuvres : sa croix a donc été pour nous une source de grâces. Jésus a élevé ses mains vers le ciel : il s’est offert lui-même pour nous en sacrifice à Dieu son Père, et, par là, il a effacé toutes nos fautes. Levons donc nous-mêmes les nôtres vers le trône du Tout-Puissant dans l’exercice de la prière, afin qu’occupées à opérer toutes sortes de bonnes œuvres, elles ne se fatiguent point inutilement à s’étendre vers le ciel. Que fait, en effet, celui qui élève ses mains vers Dieu ? C’est pour nous un devoir de le faire et de prier le souverain Maître, car, « je veux », dit l’Apôtre, « que les hommes prient en tout lieu, et lèvent vers le ciel leurs mains pures, avec un esprit éloigné de toute colère et de toute contention[142] ». Pourquoi ce devoir ? Pourquoi ce commandement ? Afin qu’au moment où nous élèverons nos bras vers Dieu, le souvenir de nos actions se présente à nous. Tu agis ainsi pour demander ce que tu désires par là, tu penses à les employer au bien, pour ne pas avoir à rougir de cette action « Et j’élèverai mes mains, en invoquant votre saint nom ». C’est ainsi qu’en priant nous nous soutenons dans cette Idumée, dans ce désert, dans ce pays où l’on ne trouve ni chemins ni fontaines, dans cette solitude affreuse où le Christ s’est fait notre voie[143] ; voie, néanmoins, qui ne nous est pas venue de cette terre maudite. « J’élèverai mes mains en invoquant votre saint nom ».
14. Mais quand j’élèverai mes mains pour invoquer votre saint nom, que vous dirai-je ? Que pourrai-je vous demander ? Mes frères, toutes les fois que vous élevez vos mains vers le trône de l’Eternel, réfléchissez à ce que vous allez lui demander ; car, ne l’oubliez pas, vous vous adressez au Tout-Puissant. Ne sollicitez de sa part rien de ce que lui demandent ceux qui n’ont pas encore la foi : il faut que l’objet de votre prière soit digne de lui et de vous. Voyez quels biens le Seigneur accorde même aux impies ; et tu demanderais à ton Dieu des richesses ? Mais n’en comble-t-il pas les scélérats eux-mêmes, ceux qui ne croient pas en lui ? Ce qu’il donne aux méchants mérite-t-il vraiment ta considération ? Ne sois donc pas étonné, si les bienfaits accordés par la Providence aux pécheurs sont peu de chose, puisqu’ils sont dignes de pareilles gens ; n’attribue donc aucun prix aux faveurs que Dieu leur départit. Sans doute, tous les biens temporels viennent du Créateur ; pourtant, veuillez y faire attention, les dons qu’il répand sur les impies comme sur les justes, doivent être considérés comme étant de mince valeur : il nous en réserve de bien autres. Toutefois, que les uns nous apprennent à juger sainement des autres. Voyez quels bienfaits il répand sur ceux qui l’offensent. Il fait luire sur eux les rayons du soleil ; mais, remarquez-le, les bons et les méchants se trouvent, en cela, également favorisés. Il fait descendre sur leurs propriétés les ondées du ciel, comme sur le reste de la terre. Qui est-ce qui pourrait dire la fécondité que ces pluies apportent avec elles ! Néanmoins, elles sont encore le partage des justes et des pécheurs, car nous lisons dans l’Évangile : « Il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et fait tomber la pluie sur les justes et sur les pécheurs[144] ». La chaleur et la lumière du soleil, l’abondance des pluies, et tous les biens, dont elles sont la source, nous devons les demander à Dieu, parce qu’ils nous sont nécessaires ; mais à ces bienfaits de la Providence ne doivent pas se borner nos désirs, parce qu’ils sont communs à ceux qui servent le Seigneur et à ceux qui l’offensent. Quel doit donc être l’objet de nos prières, au moment où nous élevons nos mains vers le ciel ? Le Psalmiste nous l’indique autant, du moins, que la chose lui est possible. Pourquoi avoir dit : Autant que la chose lui est possible ? Autant qu’une bouche d’homme est capable de le dire à une oreille humaine : car l’Esprit-Saint se sert ici de l’intermédiaire d’un homme et de certaines comparaisons pour se mettre à la portée des plus ignorants, et même des enfants. Que dit donc le Prophète ? Que demande-t-il ? « J’élèverai mes mains vers vous en invoquant votre saint nom ». Qu’obtiendra-t-il ? « Mon âme sera remplie et comme engraissée de vos bénédictions ». Pensez-vous, mes frères, qu’il sollicite pour son âme une sorte d’embonpoint matériel ? oh ! non, il ne borne pas ses désirs à si peu de chose : il ne souhaite ni béliers ni porcs engraissés ; il ne ressemble point à ces hommes, qui entrent dans une taverne, pour y demander des mets aussi substantiels et s’y rassasier ; et si nous le croyions capable de pareille chose, en vérité serions-nous dignes d’écouter la parole sainte ? Nous devons donc entendre ce verset dans un sens spirituel. Il y a une sorte de graisse propre à notre âme : cet aliment, qui satisfait surabondamment à ses besoins, n’est autre que la sagesse. Les âmes auxquelles elle fait défaut, maigrissent en quelque sorte, et dépérissent à tel point que bientôt elles se trouvent trop faibles pour opérer n’importe quelle bonne œuvre. Mais pourquoi cette faiblesse extrême dans la pratique des vertus chrétiennes ? Parce que l’embonpoint qui résulte pour elles d’une alimentation riche, leur fait défaut, L’apôtre saint Paul nous parle de cet état de luxuriante santé spirituelle, et recommande à chacun de nous de faire le bien écoute ses paroles, les voici : « Dieu aime celui qui donne de bon cœur et avec joie[145] ». Cette vigueur, où notre âme la puise-t-elle, sinon en Dieu, comme à une source abondante ? Mais qu’est-ce que cette énergie en comparaison de celle que le Seigneur nous accordera dans le ciel, lorsqu’il sera lui-même notre nourriture ? Pendant le cours de cette vie passagère, sur cette terre d’exil, nous ne pouvons pas dire ce que nous serons pendant l’éternité ; aujourd’hui, pendant que nous élevons nos mains vers Dieu, nous lui demandons peut-être cette surabondance, au sein de laquelle nous serons un jour rassasiés, où disparaîtra tout à fait notre indigence ; où, enfin, nous ne désirerons plus rien, parce que nous posséderons tout ce qui peut ici-bas enflammer nos désirs, tout ce que nous aimons comme étant digne de nos affections. Déjà nos ancêtres sont morts, mais Dieu est toujours vivant : nous ne pouvons, par conséquent, jouir toujours de la présence de nos pères ; mais dans le ciel, dans la véritable patrie, nous serons toujours en la présence du Dieu vivant, de notre Père céleste. Dès lors que notre patrie d’ici-bas est terrestre, tant de plaisirs qu’elle nous offre, nous en sortirons un jour : d’autres hommes y naîtront nécessairement, et ils apparaîtront sur la scène de ce monde, pour en éloigner leurs parents, qui l’habitent aujourd’hui. Un enfant ne reçoit l’existence que pour dire à l’auteur de ses jours : Que fais-tu ici ? Venir après d’autres, naître, et chasser devant nous ceux qui nous ont précédés dans le chemin de la vie, voilà notre destinée sur la terre : au ciel, nous vivons tous simultanément, sans nous rein placer les uns les autres, parce que personne ne cédera sa place et personne ne sera là pour la prendre. O bienheureuse patrie ! qui est-ce qui pourrait en dépeindre les charmes ? Sur la terre tu aimes les richesses ? Au ciel, tu posséderas Dieu lui-même. Tu éprouves un indicible plaisir à te désaltérer à une source d’eau vive ? Y a-t-il rien de plus limpide ou de plus pur que la source de la sagesse éternelle ? Le Seigneur, qui a créé l’univers, te tiendra lieu de tout ce que tu peux aimer. « Mon âme sera remplie et comme engraissée de vos bénédictions, et mes lèvres s’ouvriront avec bonheur pour vous louer. Au milieu de ce désert, j’élèverai mes mains vers vous en invoquant votre saint nom : et mon âme sera remplie et comme engraissée de vos bénédictions, et mes lèvres s’ouvriront avec bonheur pour vous louer ». Pendant que la soif nous tourmente, c’est pour nous un devoir de prier ; quand nous n’en souffrirons plus, au lieu de prier Dieu, nous le louerons : « Et mes lèvres s’ouvriront avec bonheur pour vous louer ».
15. « Je me souviendrai de vous sur ma couche, et, dès le matin, je méditerai vos merveilles, parce que vous êtes mon protecteur[146] ». Ce lit du Prophète, c’est son repos. Puisse celui qui jouit du repos, ne pas oublier le Seigneur ! Plaise à Dieu que celui qui est tranquille, ne se laisse pas corrompre, et ne perde point le souvenir du Tout-Puissant ! Et dès lors qu’il en sera ainsi, il gardera le souvenir du Seigneur dans tout ce qu’il fera. Par le point du jour il entend les actions de l’homme, parce que, dès le matin, chacun se met au travail. Que dit-il donc ? ou plutôt, que veut-il dire par ces paroles : « Je me souviendrai de vous sur ma couche, et dès le matin je méditerai vos merveilles ? » Il veut dire : Si je ne me souviens pas de vous sur ma couche, je ne serai pas davantage disposé, dès le matin, à méditer vos merveilles ; car celui qui oublie Dieu au sein du repos, pensera-t-il à lui au moment d’agir ? Mais l’homme qui eu garde le souvenir pendant le repos, ne l’oublie pas non plus clans l’action ; car il craint alors de tomber en défaillance. « Et dès le matin je méditerai vos merveilles, parce que vous êtes mon protecteur ». De fait, si Dieu ne venait à notre secours, jamais nous ne serions capables d’opérer le bien et d’accomplir nos devoirs. Nos actions doivent être marquées au coin de l’honnêteté : et puisque Jésus-Christ nous instruit de ce que nous avons à faire, notre conduite doit être lumineuse et pure. L’Apôtre nous en avertit : « Celui qui fait mal », dit-il, « agit dans les ténèbres, et non pas aux premiers rayons du soleil. Ceux qui s’enivrent, s’enivrent pendant la nuit ; et ceux qui dorment, dorment pendant la nuit : pour nous, qui sommes des enfants de lumière, soyons sobres ». Il nous recommande de vivre honnêtement, et de marcher à la lumière du jour. « Marchons avec honnêteté, comme au grand jour[147]. « Parce que », ajoute-t-il, « vous êtes les enfants du jour et de la lumière, et non les enfants de la nuit et des ténèbres[148] ». Quels sont ces enfants de la nuit et des ténèbres ? Ce sont ceux qui font toujours le mal. Et ils sont à tel point des enfants de la nuit, qu’ils craignent de laisser voir leurs œuvres : ils ne font le mal en public, que quand beaucoup d’autres agissent de la sorte : et lorsqu’ils sont presque seuls à le faire, ils se cachent. Pour commettre publiquement le péché, on se trouve, à la vérité, exposé à la lumière du soleil, mais on est plongé dans les ténèbres du cœur. Il n’y a donc, pour agir dès le matin, que ceux qui se conduisent chrétiennement. Celui qui se souvient du Christ pendant le repos, s’en souvient aussi pendant le cours de toutes ses actions, et le Sauveur lui vient en aide pour l’accomplissement de ses devoirs, afin que sa faiblesse ne l’entraîne point à des chutes déplorables. « Je me souviendrai de vous sur ma couche, et, dès le matin, je méditerai vos merveilles, parce que vous êtes mon protecteur ».
16. « Et je tressaillerai de joie à l’ombre de vos ailes ». Mes bonnes œuvres me jettent en des transports de joie, parce que vos ailes sont étendues sur moi. Je ne suis qu’un petit oiseau : si vous ne me protégez, le vautour m’enlèvera. S’adressant à Jérusalem, à cette ville qui l’a fait mourir sur la croix, Notre-Seigneur dit quelque part : « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme la poule rassemble ses petits sous ses ailes[149] ! » Nous sommes petits : que Dieu donc nous garde à l’ombre de ses ailes ! Et quand nous serons devenus grands, il nous sera encore utile d’être protégés par le Seigneur, et de nous tenir toujours, comme si nous étions petits, sous ses ailes, parce qu’il sera toujours plus grand que nous : jamais nous ne parviendrons à l’égaler, n’importe à quelle hauteur nous puissions parvenir. Que personne donc ne dise : Daigne le Seigneur étendre sur moi sa protection, parce que je suis petit ! car, à aucune époque, on ne pourra arriver à un tel point de grandeur, qu’on soit à même de se suffire sans lui. Sans le secours de Dieu, tu n’es rien. Aussi devons-nous désirer son incessant secours, et si nous savons nous montrer petits à son égard, nous trouverons en lui la source d’une véritable grandeur. « Et je tressaillerai de joie à l’ombre de vos ailes ».
17. « Mon âme s’est étroitement uni à vous pour vous suivre[150] ». Voyez le Prophète comme il s’attache fortement à Dieu, sous l’influence de ses désirs et de la soif qui le tourmente ! Puissions-nous éprouver nous-mêmes ses sentiments affectueux pour le Seigneur ! Puissent ces sentiments germer dans vos cœurs, y recevoir la rosée de la grâce, y grandir, y arriver à un tel degré de vigueur que vous puissiez dire du fond de votre être : « Mon âme s’est unie étroitement au Seigneur pour le suivre ». Quel est donc ce lien étroit, et si j’osais parler ainsi, cette glu qui nous unit à Dieu ? C’est la charité. Si seulement cette charité, cette glu établissait l’union entre le Tout-Puissant et ton âme, et la faisait venir après Dieu ! Je dis après Dieu, et non avec lui, parce qu’il doit te précéder, et tu dois le suivre ; car quiconque veut marcher devant lui, prétend vivre au gré de ses propres caprices et dans l’indépendance à l’égard de l’Éternel. Aussi Pierre fut-il repoussé, pour avoir osé donner des conseils à Jésus-Christ la veille de sa passion. Alors, cet Apôtre était encore faible et ignorant : il ne savait pas encore de quelle utilité devait être, pour le genre humain, le douloureux sacrifice du Sauveur. Notre-Seigneur, qui était venu en ce monde pour nous racheter du prix de son sang, prédit à ses disciples les circonstances diverses de son agonie et de sa mort. Pierre fut saisi d’épouvante en apprenant de la bouche même de Jésus que son Maître allait bientôt mourir ; il s’imaginait que le Christ vivrait toujours tel qu’il le voyait, car il ne voyait rien que d’un œil charnel, et son affection pour le Sauveur était tout humaine. Aussi s’écria-t-il : « Mais, non, Seigneur, il n’en sera pas ainsi : vous prendrez pitié de vous-même », « Arrière, Satan, arrière », répondit Jésus : « loin de goûter les choses de Dieu, tu n’as de goût que pour celles du monde[151] ». Quel est le sens de ces mots : « Tu n’as de goût que pour les choses de ce monde ? » Le voici : Tu veux marcher devant moi ; c’est pourquoi retourne en arrière, et, au lieu de m précéder, tu me suivras. À la suite du Sauveur, il pourrait dire : « Mon âme s’est unie étroitement à vous pour vous suivre ». Le Psalmiste ajoute avec raison : « Et votre main droite m’a soutenu. Mon âme s’est unie étroitement à vous pour vous suivre, et votre main droite m’a soutenu ». Jésus-Christ a tenu ce langage en nous, c’est-à-dire, dans l’homme dont il s’était revêtu pour nous racheter ; l’Église le dit elle-même dans la personne de Jésus-Christ son chef, car elle a déjà souffert ici-bas de cruelles persécutions, et en souffre aujourd’hui encore dans chacun de ses enfants. Où est le parfait chrétien, qui n’éprouve toutes sortes de tentations ? Tous les jours, le démon et ses anges le tourmentent pour le pervertir ; dans ce but, ils emploient tour à tour les désirs mauvais, les passions coupables, la promesse du gain, la crainte des pertes temporelles, l’espérance de la vie, la peur de la mort, l’inimitié d’un grand de la terre, l’amitié d’un prince. Le démon ne néglige rien pour nous faire perdre l’amitié de Dieu : aussi vivons-nous en de continuelles persécutions : aussi rencontrons-nous, dans Satan et ses anges, d’infatigables ennemis ; mais pourquoi trembler ? Si l’esprit infernal est pareil à un vautour, ne sommes-nous point cachés sous les ailes d’une poule divine, et peut-il nous atteindre ? Cette poule, qui nous rassemble sous ses ailes, jouit d’une force invincible. Sans doute, elle est devenue faible pour nous ; mais Notre-Seigneur Jésus-Christ, la sagesse de Dieu incarnée, trouve en lui-même une force irrésistible. On peut donc attribuer à l’Église, comme au Christ, ces paroles : « Mon âme s’est unie étroitement à vous pour vous suivre, et votre main droite m’a soutenu ».
18. « Mes ennemis ont inutilement cherché à perdre mon âme[152] ». Quel mal m’ont causé ceux qui cherchaient à me perdre ? Si seulement ils cherchaient mon âme pour s’unir à elle par les liens d’une même foi ! Mais non ils l’ont cherchée pour me l’ôter. Et toutefois, à quoi pouvaient aboutir leurs efforts ? étaient-ils capables de détruire le lien, la glu, qui la tenaient unie à Dieu ? « En effet, qui nous séparera de l’amour de Jésus-Christ ? Sera-ce l’affliction, ou l’épreuve avec ses ennuis, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le glaive[153] ? Votre main droite m’a soutenu. La force du lien qui m’attache à vous, Seigneur, et votre main toute-puissante ont paralysé leurs efforts, et c’est inutilement qu’ils ont cherché à perdre mon âme ». Ces ennemis dont parle le Psalmiste, désignent, si l’on veut, ceux qui ont persécuté ou voudraient persécuter l’Église ; mais ils représentent particulièrement les Juifs, qui ont cherché à perdre l’âme du Christ, soit comme chef, puisqu’ils l’ont crucifié, soit comme corps, en persécutant après la mort du Sauveur ses premiers disciples. « Ils ont cherché à perdre mon âme : ils seront précipités dans les profondeurs de la terre ». Dans la crainte de perdre la terre, ils ont attaché à la croix le Fils de Dieu ; c’est pourquoi ils ont été précipités dans les profondeurs de la terre. Par « ces profondeurs de la terre », que peut-on entendre ? Les passions, les désirs terrestres, Il vaut bien mieux vivre sur la terre, que de s’enfoncer dans ses abîmes sous l’influence des passions mondaines. Quiconque, en effet, s’abandonne aux désirs terrestres, contrairement à ses intérêts éternels, se place sous la terre, car il la préfère réellement à son âme ; il la met au-dessus de lui, il se constitue en dessous d’elle. Notre-Seigneur opérait d’innombrables prodiges, attiré par un spectacle si nouveau, le peuple se précipitait sur ses pas ; dans la crainte de perdre la terre, on entendit les Juifs s’écrier « Si nous le laissons vivre, les Romains viendront, et ils nous enlèveront notre ville et notre pays[154] ». Ils ont craint de perdre la terre, et du même coup ils se sont jetés dans ses abîmes, et ce qu’ils craignaient leur est arrivé. La mort du Sauveur leur parut le moyen le plus sûr de n’être pas dépossédés de leur terre, et ce fut précisément elle qui causa leur ruine. Le Christ leur avait dit « On vous ôtera votre royaume, pour le donner à un peuple qui accomplira les devoirs de la justice[155] ». En conséquence de cette menace, ils le mirent à mort ; des malheurs sans fin, des persécutions atroces suivirent de près leur déicide. Vaincus par les empereurs romains et les rois des nations étrangères, chassés du pays même qui fut témoin du supplice sanglant du Christ, ils ont laissé leur patrie au pouvoir des chrétiens : le crucifié y règne aujourd’hui, partout retentissent ses louanges ; on n’y rencontre plus un seul Juif : tous ses ennemis ont disparu. La Judée n’a plus d’autres habitants que les disciples du Sauveur. Les Juifs ont eu peur de se voir enlever leur pays par les Romains : tour éviter cette catastrophe, ils ont cloué Jésus-Christ à la croix, et, en punition de leur crime, les Romains sont venus les dépouiller de leur royaume. Donc, « mes ennemis seront précipités dans les profondeurs de la terre ».
19. « Ils tomberont sous le tranchant du glaive[156] ». L’accomplissement de cette prophétie a eu lieu d’une manière frappante à l’égard des Juifs : leurs ennemis sont venus et les ont exterminés. « Ils seront la proie des renards ». Sous ce nom se trouvent désignés les rois qui gouvernaient le monde au moment où la nation juive fut détruite. Écoutez bien, mes frères ; apprenez et coin prenez que le Prophète donne à ces rois le nom de renards. Le Sauveur lui-même a ainsi appelé le roi Hérode : « Allez, dites à ce renard[157] ». Voyez, et remarquez-le attentivement : les Juifs n’ont pas voulu du Christ pour leur roi, et ils sont devenus la proie des renards, Au moment où Pilate, gouverneur de la Judée pour les Romains, céda aux vociférations des Juifs et condamna Jésus à mort, il leur dit « Voulez-vous donc que je crucifie votre roi ? » Car on l’appelait le Roi des Juifs, et il l’était effectivement. Ceux-ci lui refusèrent ce titre, et répondirent : « Nous n’avons pas d’autre roi que César[158] ». Ils repoussèrent la domination d’un Agneau, pour se soumettre à celle d’un renard : ce fut donc avec justice qu’ils devinrent la proie des renards.
20. « Mais le roi[159] » ; le Prophète veut parler ici du roi que les Juifs ont éloigné d’eux pour se soumettre à un renard : « Mais le roi », c’est donc à dire, le véritable roi, dont la puissance a été consacrée par l’inscription placée sur l’instrument de son supplice : inscription écrite en hébreu, en grec et en latin, et conçue en ces termes : Voici « le Roi des Juifs ». Par elle, tous les témoins de la mort du Sauveur ont pu connaître la gloire du roi des Juifs, comme aussi se convaincre du crime honteux de ces déicides qui ont repoussé leur vrai Maître pour se plier sous le joug d’un renard, du César romain. « Mais le Roi mettra sa joie en Dieu » ; pour eux, ils deviendront la proie des renards, « mais le roi se réjouira dans le Seigneur ». Ils avaient cru remporter une éclatante victoire sur leur roi en le condamnant à la mort de la croix, et voilà que par son supplice sanglant, il a racheté l’univers. « Mais le Roi se réjouira dans le Seigneur, et tous ceux qui jurent par son nom, seront honorés ». Pourquoi « ceux qui jurent par son nom, seront-ils honorés ? » Parce qu’ils auront choisi le Christ pour leur roi, au lieu de choisir un renard : parce qu’au moment où les Juifs l’outrageaient, Jésus-Christ a payé le prix de notre rançon. Nous lui appartenons donc puisqu’il nous a rachetés, et qu’à cause de nous il a vaincu le monde, non par la force des armes, mais avec le bois dérisoire de sa croix. « Mais le roi se réjouira dans le Seigneur, et tous ceux qui jurent par son nom, seront honorés ». Qui est-ce qui jure par son nom ? Tous ceux qui lui consacrent leur vie ; tous ceux qui lui font des promesses et les accomplissent ; tous ceux qui se font chrétiens. Voilà ce que le Prophète veut dire par ces paroles : « Ceux qui jurent par son nom, seront honorés. La bouche des méchants sera fermée pour toujours ». Quelles iniques paroles les Juifs ont prononcées ! Quels méchants discours ont tenus les Juifs et ceux qui ont défendu le culte des idoles en persécutant les chrétiens ! Par les mauvais traitements qu’ils faisaient subir aux disciples du Sauveur, ils s’imaginaient pouvoir en finir bientôt avec eux, et pendant ce temps-là le nombre des chrétiens augmenta sensiblement, tandis qu’ils disparurent eux-mêmes, et qu’il n’en resta pas de traces. « La bouche des méchants sera fermée pour toujours ». Aujourd’hui, il n’y a personne pour oser parler en public contre Jésus-Christ : tous redoutent sa puissance, « parce que la bouche des méchants sera fermée pour toujours ». Quand le Sauveur était revêtu de la faiblesse de l’Agneau, les renards étaient remplis de hardiesse pour l’attaquer et l’insulter ; mais ils gardent le silence depuis qu’il est devenu le lion de la tribu de Juda, et qu’il a vaincu[160]. « Car la bouche des méchants sera fermée pour toujours ».

DISCOURS SUR LE PSAUME 63 modifier

SERMON AU PEUPLE. modifier

VANITÉ DE LA CRAINTE DES MÉCHANTS. modifier

Les paroles de ce Psaume conviennent parfaitement à Jésus-Christ souffrant dans son corps et dans sa personne. Il demande à Dieu d’être délivré de la crainte de leurs ennemis, car ils ne sont pas redoutables. Les Juifs ont tendu des pièges au Sauveur ils ont mis en jeu toute leur malice, ils l’ont fait mourir mais en définitive, à quoi ont-ils réussi ? à travailler à leur propre confusion, car Jésus-Christ est ressuscité, l’Évangile a été prêché dans le monde. Mais si la crainte de nos ennemis est vaine, celle de Dieu est nécessaire pour établir, dans notre cœur, la droiture qui nous préservera de la condamnation finale et nous sauvera.


1. Nous solennisons le jour anniversaire de la mort de saints martyrs : une telle fête doit nous combler de joie, en même temps qu’elle doit nous rappeler leurs souffrances, et les immortelles espérances qui les ont soutenus au milieu de leurs supplices. Jamais ils n’auraient eu assez de force et de courage pour supporter, avec un corps fragile, les tortures auxquelles ils ont été condamnés, s’ils n’avaient eu en vue les inénarrables délices du repos céleste. Pour entrer dans l’esprit de cette solennité, nous allons nous entretenir ensemble de ce psaume. Hier, j’ai entretenu bien longuement votre charité ; et, pourtant, il m’est impossible de célébrer ce grand jour, sans remplir encore à votre égard les devoirs de ma charge. Le psaume qui nous occupe en ce moment, a particulièrement trait à la passion du Seigneur : il convient donc d’en donner aujourd’hui l’explication, car les martyrs n’auraient pu se montrer si fermes, s’ils n’avaient porté leurs regards sur celui qui a souffert le premier ; ils n’auraient pu souffrir comme lui, s’ils n’avaient eu dans le cœur l’espérance de la résurrection glorieuse, dont il leur a donné la preuve anticipée dans sa personne. Du reste, votre sainteté ne l’ignore pas : Notre-Seigneur Jésus-Christ est notre chef, et tous ceux qui lui sont unis par la charité, sont ses membres ; et quand vous entendez sa voix, vous le savez très bien, c’est tout à la fois la voix du chef et celle des membres, et cette voix concerne et regarde non seulement le Seigneur Jésus, qui est déjà monté au ciel, mais encore les membres de ce chef sacré, qui doivent l’y suivre un jour. Reconnaissons donc, dans ce psaume, la parole du Sauveur et la nôtre : et que personne d’entre nous ne dise que nous sommes aujourd’hui exempts de souffrances et de tribulations : car, je vous l’ai dit souvent, si l’Église était autrefois battue par la tempête dans la généralité de ses membres, elle est maintenant tourmentée en particulier dans chacun d’eux. Le Seigneur tient enchaînée la puissance du démon, et il n’est pas à même de faire tout le mal qu’il pourrait et voudrait faire ; mais le pouvoir de tenter les fidèles, autant qu’il est utile à leur avancement dans le chemin de la vertu, lui a été laissé. Il ne nous serait nullement avantageux d’être exempts d’épreuves ; ne prions donc pas Dieu de nous en préserver, mais demandons-lui la grâce de ne point succomber à la tentation.
2. Disons-lui donc comme le Prophète « O Dieu, écoutez la prière que je vous adresse dans mon affliction délivrez-moi de la crainte de mon ennemi »[161]. Les ennemis du nom chrétien ont persécuté les martyrs quelle était alors la prière adressée à Dieu par le corps du Christ ? li demandait que ses membres fussent délivrés des persécutions de leurs ennemis et n’eussent point, de la part de ceux-ci, à subir le dernier supplice. Leur prière a-t-elle été inutile, parce qu’ils sont morts au milieu des tourments ? au sein de la douleur et de l’humiliation, ils ont espéré en Dieu et néanmoins, le Seigneur ne les a-t-il pas abandonnés, comme s’il méprisait leur fidélité et les témoignages de leur suprême confiance ? Oh ! non, mes frères. « Y a-t-il un seul homme qui ait invoqué Dieu, et se soit vu rejeté de lui ? Où est celui qui « a mis son espérance dans le Seigneur, et e qui s’en est trouvé abandonné[162] ? » Leur prière était exaucée, ils succombaient, et néanmoins ils étaient délivrés de la puissance de leurs ennemis. Ceux d’entre les chrétiens qui cédaient à la crainte et aux menaces, on les laissait vivre, et par là même ils devenaient les victimes de leurs adversaires. En mourant, les uns triomphaient ; les autres succombaient, même en continuant de vivre : aussi, dans les transports de leur joie et de leur reconnaissance, les martyrs disaient-ils « Si le Seigneur n’avait été avec nous, ils nous auraient dévorés tout vivants[163] ». Plusieurs sont devenus, de leur vivant, les victimes de leurs adversaires ; plusieurs autres étaient alors déjà morts. Ceux qui ont regardé comme indigne d’un homme sérieux la foi chrétienne, étaient déjà morts, quand ils ont été anéantis par leurs ennemis ; mais ceux-là ont succombé de leur vivant, au pouvoir des persécuteurs, qui ont reconnu dans l’Évangile l’expression de la vérité, qui voyaient dans le Christ le Fils de Dieu, qui ont lait profession extérieure de cette vérité qu’ils croyaient de toute la force de leur âme, et qui néanmoins ont faibli au milieu des tortures, et sacrifié aux idoles. Les uns étaient déjà morts, quand ils ont été dévorés par leurs adversaires les autres sont morts, parce qu’ils ont été dévorés. Quoique dévorés vivants, ils n’ont pu survivre à leur défaite. C’est pourquoi telle est la prière des martyrs « Seigneur, délivrez mon âme de la crainte de mes ennemis ». Je ne vous demande pas qu’ils ne me fassent point mourir, mais je vous demande de ne point craindre mon ennemi, lors même qu’il me donnerait le coup de la mort. Le serviteur demande donc, dans cette prière, le courage que le divin Maître exigeait de ses disciples : « Ne craignez pas », leur disait-il, « ceux qui tuent le corps et ne e peuvent tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui a le pouvoir de tuer le corps et l’âme, et de les précipiter dans la géhenne du feu[164]. Oui », ajoutait-il en un autre endroit, « oui, je vous le dis, craignez un tel homme[165] » Qui sont ceux qui donnent la mort au corps ? Ce sont les ennemis. Quelle recommandation fait le Seigneur ? De ne pas les craindre. Prions-le donc de nous accorder ce qu’il exige de nous. « Seigneur, préservez mon âme de la crainte de mon ennemi ». Que je sois à l’abri de la crainte de mon ennemi, mais que la crainte de votre saint nom me domine tout entier. Puissé-je redouter, non point celui qui tue le corps, mais celui qui peut tuer le corps et l’âme, et les précipiter dans la géhenne du feu ! Me voir complètement à l’abri de la crainte, ce n’est point là l’objet de mes désirs : ce que je veux, c’est de ne pas craindre mon ennemi, c’est de vous servir, Seigneur, dans la crainte de vos jugements.
3. « Vous m’avez protégé contre l’assemblée des méchants, contre la multitude de ceux qui commettent l’iniquité[166] ». Ici, portons nos regards sur notre chef. Beaucoup de martyrs ont pu, à juste titre, se plaindre des procédés des méchants et des pécheurs, mais nul – d’entre eux n’a eu à souffrir, de leur part, autant que le Sauveur : en considérant ce qu’il a enduré, nous comprendrons bien mieux ce qu’ils ont supporté. Il a été protégé contre l’assemblée des méchants : Dieu lui accordait son secours ; il n’a pas lui-même abandonné son corps à la volonté perverse des pécheurs : Fils de Dieu incarné, Fils de Dieu et Fils de l’homme tout ensemble, Fils de Dieu à cause de la substance divine qu’il possédait, Fils de l’homme, à cause de la forme d’esclave dont il s’était revêtu[167], il le protégeait : car il avait le pouvoir de donner sa vie et de la reprendre[168]. Quel mal ses ennemis ont-ils pu lui faire ? Ils ont fait mourir son corps, mais ils n’ont pu faire mourir son âme. Veuillez remarquer ceci. C’eût été peu pour lui d’exciter de bouche ses disciples au martyre : il fallait qu’il leur prêchât d’exemple : ses leçons n’en devaient être que plus puissantes sur leurs cœurs. Vous savez quelles étaient ces assemblées de méchants : c’étaient celles des Juifs ; vous connaissez l’iniquité de cette multitude de pécheurs : elle a consisté dans le dessein formé par eux de faire mourir Notre-Seigneur Jésus-Christ. « J’ai opéré sous vos yeux un si grand nombre de bonnes œuvres : pour laquelle voulez-vous me mettre à mort[169] ? » Il avait supporté patiemment les indiscrets empressements de tous leurs malades, guéri tous leurs infirmes, prêché au milieu d’eux la parole de Dieu ; il avait mis le doigt sur leurs vices pour leur en inspirer la haine, et non pour leur faire détester le médecin, qui voulait leur rendre la santé de l’âme : au lieu de lui témoigner de la reconnaissance pour tant de guérisons, ils se montrèrent ingrats : à les voir s’emporter contre lui, on eût dit qu’une fièvre violente leur avait ôté le sens, et qu’une sorte de rage les animait à l’égard du bienveillant médecin, qui était venu apporter un remède à leurs maux : ils formèrent donc le projet de le perdre, comme s’ils voulaient s’assurer de ce qu’il était : un homme, comme les autres, sujet à la mort, ou un homme supérieur aux autres, et à l’abri des coups du trépas. Le livre de la Sagesse de Salomon a prédit les paroles qu’ils prononcèrent alors : « Condamnons-le à mourir d’une mort infâme : éprouvons si ce qu’il a dit est véritable. S’il est le Fils de Dieu, que Dieu le délivre[170] ! » Voyons ce qu’il en est advenu
4. « Ils ont aiguisé leurs langues comme une épée. Les dents des enfants des hommes sont comme des armes et des flèches : leur langue est comme une épée perçante[171] ». Ce que le Psalmiste dit ailleurs, nous le retrouvons ici : « Ils ont aiguisé leur langue comme une épée ». Que les Juifs ne disent pas : Nous n’avons pas fait mourir le Christ. Car s’ils l’ont traduit au tribunal de Pilate, c’était afin de rejeter sur le gouverneur romain l’odieux de la condamnation du Sauveur, et de n’être point eux-mêmes accusés. En effet, lorsque Pilate leur dit : « Faites-le vous-mêmes mourir », ils lui firent cette réponse : « Il ne nous est permis de faire mourir personne[172] ». Leur dessein était donc de faire peser sur un seul, sur le juge, toute la responsabilité de leur crime ; mais pouvaient-ils tromper le souverain Juge ? Ce qu’a fait Pilate pèse donc sur lui dans la proportion de la part qu’il a prise à la perpétration du déicide. Mais, si l’on compare sa conduite à celle des Juifs, il est de beaucoup moins coupable qu’eux. Autant que possible, il insista en sa faveur pour le tirer de leurs mains : dans cette intention, il le fit flageller et le présenta tout ensanglanté à leurs regards. En le soumettant au supplice de la flagellation, ce faible juge n’avait certainement pas la volonté de se déclarer contre Jésus et de lui faire du mal : ce qu’il avait en vue, c’était de donner à leur fureur une sorte de satisfaction ; il s’imaginait qu’en le voyant meurtri de la sorte, ils s’adouciraient un peu et se désisteraient de leur projet homicide[173]. Il suivit donc ce plan de conduite, mais s’apercevant qu’ils persévéraient dans leurs idées sanguinaires, il lava ses mains, vous le savez, et il déclara qu’il n’était pour rien dans la condamnation de cet homme, et qu’il était innocent de sa mort[174]. Néanmoins, il le condamna. Il agit contre son gré, et tout le monde lui impute l’injustice de celte condamnation ; et ceux qui l’ont forcé à rendre l’inique sentence seraient innocents ! Oh ! non, Pilate a prononcé le verdict ; il a donné l’ordre de crucifier Jésus ; il l’a, en quelque sorte, tué de sa main : mais, en réalité, ô Juifs, c’est vous qui lui avez donné le coup de la mort. Et comment lui avez-vous ôté la vie ? De quel instrument vous êtes-vous servi ? Du glaive de votre langue, car vous l’avez aiguisée comme une épée. Et à quel moment avez-vous frappé votre victime ? C’est lorsque vous vous êtes écriés : « Crucifie-le, crucifie-le[175] ! »
5. Mais je ne veux point passer sous silence une pensée qui me vient à l’esprit : je vais vous en faire part, afin que vous ne vous laissiez point troubler par la lecture de nos saints livres. Un Évangéliste nous rapporte que Notre-Seigneur Jésus-Christ a été crucifié à la sixième heure[176] ; selon le récit d’un autre écrivain sacré, il l’a été à la troisième[177]. Si nous ne comprenions point cette apparente contradiction, c’en serait assez pour nous jeter dans le trouble. Il est dit que dès le commencement de la sixième heure, Pilate moula à son tribunal, et, de fait, quand le Sauveur fut élevé en croix, il était six heures. Mais l’autre évangéliste, considérant les dispositions intérieures des Juifs, et leur désir ardent de détourner d’eux l’odieuse responsabilité de leur déicide, les condamne, par son récit, comme réellement coupables de la mort du Sauveur, puisqu’il nous dit que Jésus a été crucifié à la troisième heure. Si, en effet, nous pesons toutes les circonstances rapportées par l’écrivain sacré, nous voyons qu’au moment où ils firent comparaître le Christ au tribunal de Pilate, ils firent tous leurs efforts pour le faire crucifier ; de là on peut conclure que quand ils ont crié : « Crucifie-le, crucifie-le », on en était à peu près à l’heure de tierce. Par leurs cris ils devinrent donc les véritables auteurs de sa mort : les agents du pouvoir l’attachèrent à la croix à midi, et les violateurs de la loi demandèrent son supplice à la troisième heure : ce que les uns ont accompli au milieu du jour, les autres l’avaient commandé à neuf heures du matin : le Christ a été mis à mort par la langue de ceux-ci, et par la main de ceux-là. Les plus coupables n’étaient certainement pas ceux qui agissaient par obéissance, c’étaient ceux qui par leurs clameurs arrachaient à Pilate une sentence capitale. Voilà donc le but où tendaient les malicieux efforts des Juifs ; voilà le résultat auquel ils voulaient parvenir : en finir avec Jésus-Christ, mais ne pas le condamner eux-mêmes ; le faire mourir, et ne pas en assumer la responsabilité devant l’opinion publique. « Ils ont aiguisé leur langue comme une épée ».
6. « Ils ont bandé leur arc et empoisonné leurs flèches » Sous le nom d’arc le prophète veut désigner des embûches, des pièges. Celui qui se sert de l’épée pour se battre de près, attaque son ennemi en face ; mais employer des flèches, c’est vouloir le frapper en traître ; car une flèche vient vous blesser avant même que vous ayez le temps d’y penser. Mais qui est-ce qui pouvait être dupe de ces artifices du cœur humain ? Était-ce Notre-Seigneur Jésus-Christ ? « Mais il n’avait pas besoin qu’on lui apprît ce qui se trouvait dans le cœur de l’homme, car il savait parfaitement ce qui s’y trouvait ». C’est le témoignage que lui rend l’évangéliste[178]. Écoutons néanmoins leurs discours, voyons les projets qu’ils ont formés, dans l’idée que le Christ ignorait leurs desseins. « Ils ont bandé leur arc, et empoisonné leurs flèches pour en percer l’innocent dans les ténèbres ». Vous savez de quelles ruses ils se sont servis : ils ont acheté à prix d’argent un homme de sa société, l’un de ses disciples, pour qu’il les aidât à mettre la main sur lui[179] ; des faux témoins ont été fournis par eux : tels sont les pièges et les artifices dont ils ont fait usage « pour percer l’innocent dans les ténèbres ». Abominable conduite ! se mettre dans l’ombre, en un lieu caché, pour lancer des flèches sur un homme innocent, pour frapper et faire mourir celui qui n’avait pas en lui-même une tache aussi large que la pointe d’une de ces flèches. Leur victime n’était autre que cet innocent Agneau, qui jamais ne fut souillé, qui toujours fut parfaitement pur et exempt de toute tache, et qui à aucune époque n’eut besoin d’être purifié, parce qu’en aucun temps il ne contracta de souillure. Il a rendu à beaucoup la robe blanchie de leur innocence en leur pardonnant leurs fautes ; mais, pour lui, il n’a jamais cessé de porter ce vêtement d’éclatante blancheur, parce qu’il n’a jamais commis le péché. « Pour percer l’innocent dans les ténèbres ».
7. « Ils les ont lancées à l’improviste et sans rien craindre[180] ». Quelle dureté de cœur ! Vouloir faire mourir Celui qui ressuscitait les morts ! « A l’improviste », c’est-à-dire, en traîtres, comme subitement, dans l’intention de surprendre leur victime. Notre-Seigneur se trouvait au milieu d’eux ; il semblait ignorer leurs projets ; pour eux, ils ne savaient jusqu’où allaient son ignorance et sa pénétration à leur égard : ils connaissaient même si peu ses pensées, qu’à vrai dire ils ne savaient pas qu’il n’ignorait rien de ce qui les concernait, qu’il était au courant de tout ce qui se passait, et qu’il était venu pour les laisser faire de sa personne ce qu’ils croyaient pouvoir attribuer à leurs propres forces et à leur volonté personnelle. « Ils les ont lancées à l’improviste et sans rien craindre ».
8. « Ils se sont affermis dans leurs desseins pervers ». « Ils se sont affermis ». Une foule de miracles s’est opérée sous leurs yeux : loin d’en être ébranlés, ils ont persévéré dans leurs projets et leurs discours pervers. Le Christ a été traduit devant le tribunal de Pilate : alors le juge a tremblé ; mais ceux qui lui ont livré l’innocent n’ont ressenti aucune crainte. L’un a été effrayé, quoiqu’il fût investi du pouvoir ; parvenus au comble de la fureur, les autres n’ont ressenti ni trouble ni tourment : Pilate a voulu laver ses mains, les Juifs ont souillé leur langue. Pourquoi ? « Parce qu’ils se sont affermis dans leurs desseins pervers ». Pourtant, que n’a pas fait Pilate ? Que n’a-t-il pas dit ? Quels moyens n’a-t-il pas employés pour les arrêter dans la funeste voie où la fureur les engageait ? « Ils ne se sont pas moins affermis dans leurs desseins pervers ». Ils se sont écriés : « Crucifie-le, crucifie-le ». Répéter ce qu’on a déjà dit, c’est donner à ses paroles une force nouvelle ; c’est en augmenter la malice. Mais voyons comment ils se sont affermis dans leurs projets mauvais. « Faut-il donc. », s’écria le juge, « que je crucifie votre Roi ? » Et ils répondirent : « Nous n’avons point d’autre roi que César[181] ». « Ils se sont affermis dans leurs desseins mauvais ». Pilate leur offrait pour roi le Fils de Dieu ; pour eux, ils lui préférèrent un homme, et par ce choix ils devinrent dignes d’avoir César pour maître, et de n’avoir point le Christ pour roi. Voici encore comment « ils se sont affermis dans leurs desseins pervers ». Pilate ajouta : « Je ne trouve en cet homme rien qui le rende digne de mort »[182]. Et ces hommes « qui s’étaient affermis dans leurs mauvais projets », s’écrièrent : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants[183] ! » « Ils se sont endurcis dans leur injuste résolution. Ils se sont opiniâtrés dans leurs méchants projets », non au détriment du Sauveur, mais « pour leur propre perte ». Comment, en effet, ne seraient-ils pas devenus les victimes de leurs entêtements, puisqu’ils ont dit : « que son sang retombe « sur nous et sur nos enfants ? » Leur endurcissement a donc tourné contre eux, car il est dit en un autre endroit de l’Écriture : « Ils ont creusé devant moi une fosse dans laquelle ils sont eux-mêmes tombés ». Loin de tomber vaincu sous les coups de la mort, Jésus-Christ en est devenu le vainqueur ; quant à eux, ils sont devenus les victimes de leur iniquité, parce qu’ils ont voulu y persévérer.
9. On ne saurait en douter, mes frères, car c’est une chose certaine ; il faut que tu fasses mourir le péché en toi, ou que le péché te fasse périr à son tour ; mais ne t’imagine pas que le péché, dont je parle ; soit un ennemi extérieur : reporte tes regards sur ton propre cœur, et tu verras que cet ennemi est intimement uni à ce cœur pour te combattre. Ah ! ne te laisse pas vaincre par ces passions intérieures, qui sont tes adversaires les plus dangereux, si tu n’en triomphes pas entièrement les luttes que tu dois le plus redouter, te viennent de toi-même ; ton âme te déclare la guerre : c’est là, et nulle part ailleurs, que se trouve pour toi le danger. Tu tiens à Dieu par une partie de ton être ; par l’autre partie, tu tiens au monde et tu y cherches ton bonheur : et toutes les deux se livrent un continuel combat ; puissions-nous tenir à Dieu, y tenir chaque jour davantage, ne point nous en séparer, ne rien perdre de notre attachement pour lui ; car il sera pour nous la source d’une force irrésistible ; et si nous persévérons à coin battre avec courage, nous triompherons inévitablement de notre adversaire intérieur. Votre chair est comme la demeure du péché : puisse-t-elle ne pas en devenir le trône. « Que le péché », dit l’Apôtre, « ne règne point dans ton corps, pour lui faire accomplir ses mauvais désirs[184] ». Si tu ne cèdes point à ses convoitises, si persuasives, si en traînantes qu’elles puissent être, tu réussiras, en leur résistant, à les empêcher de régner en toi, et à les détruire par là, tu n’éprouveras plus de ces luttes intestines où se trouve compromise ton innocence. Mais quand se consommera ce triomphe ? Quand la mort sera ensevelie dans sa défaite, et que notre chair mortelle sera devenue incorruptible[185]. Alors, tu n’éprouveras plus aucune résistance de la part de la matière, et Dieu seul fera désormais ton bon heur. Les Juifs portaient donc envie au Sauveur, ils n’avaient d’autre désir que celui de dominer, et d’exercer le pouvoir souverain : aux yeux de plusieurs d’entre eux, Jésus leur enlevait ce pouvoir ; aussi la soif ardente qu’ils ressentaient pour la domination les poussait-elle à se révolter contre lui. S’ils avaient résisté à leur désir coupable, ils auraient triomphé de leur envie : elle ne les aurait point vaincus, et le Seigneur, qui était venu pour les guérir, les aurait sauvés de la mort. Mais, parce qu’ils ont nourri la fièvre qui les consumait, ils ont repoussé leur médecin ; ils ont agi selon les mouvements et les ardeurs de leur fièvre, et toutes les ordonnances de leur médecin, ils n’en ont tenu aucun compte ; voilà pourquoi ils sont devenus les victimes de leur malice : le Sauveur, au contraire, y a échappé ; car la mort a été détruite en lui, tandis que l’iniquité a trouvé la vie en eux ; et parce qu’ils l’ont laissée subsister, ils sont morts eux-mêmes.
10. « Ils se sont concertés pour dresser leurs pièges en secret, et ils ont dit : Qui est-ce qui les verra ? » Ils s’imaginaient que leurs projets homicides étaient ignorés de leur victime, de Dieu lui-même. Mais supposons que le Sauveur ne fût qu’un homme, et que pareil aux autres hommes, il ne connût pas les pensées qu’ils nourrissaient contre lui ; Dieu lui-même pouvait-il les ignorer ? O cœur humain, pourquoi donc as-tu dit : Qui est-ce qui me verra ? Oublies-tu que le Seigneur t’a créé, et qu’il ne te perd pas de vue ? « Ils ont dit : Qui est-ce qui les verra ? » Dieu les voyait ; et le Christ aussi, parce qu’il est Dieu. Mais pourquoi s’imaginaient-ils qu’il ne les voyait pas ? Écoute ce qui suit.
11. « Ils se sont étudiés à former des projets criminels, mais ils n’ont pu réussir dans leur malice[186] », c’est-à-dire dans leurs desseins cruels et malins. Ne le livrons pas nous-mêmes, ont-ils dit ; servons-nous pour cela de l’un de ses disciples : ne le faisons pas mourir, mais forçons le juge à le condamner à mort. Faisons tout ce qu’il faut pour nous débarrasser de lui ; mais ayons soin de ne point laisser même soupçonner que nous nous en occupons. Eh quoi ! ne vous a-t-on pas entendus crier : « Crucifie-le, crucifie-le ? » Si vous êtes aveugles, n’en est-ce pas assez ? Faut-il encore que vous soyez sourds ? L’innocence simulée n’est pas plus de l’innocence, que la justice feinte n’est de la justice. C’est une double injustice d’abord, parce qu’en soi il y a injustice, et qu’à ce péché vient se joindre la dissimulation. Voilà pourquoi ils n’ont pu réussir dans leurs mauvais desseins. Plus ils croyaient mettre de finesse dans l’élaboration de leurs plans, moins ils réussissaient, parce qu’en s’éloignant de la lumière de la vérité et de la justice, ils se précipitaient dans les abîmes des conseils méchants. La justice a un éclat qui lui est propre : elle répand ses rayons sur l’âme qui s’attache à elle, et elle lui communique son éclat : par une raison contraire, plus l’âme humaine s’éloigne de la lumière de la justice, et s’efforce de l’affaiblir par ses attaques, plus aussi s’éteint en elle ce flambeau divin, plus profonde est sa chute dans l’abîme des ténèbres. Ces hommes, qui scrutaient l’art de faire du mal au juste, s’éloignaient donc de la justice, et plus ils s’en écartaient, plus aussi ils défaillaient dans leur pénible travail. O l’adroit moyen de faire croire à leur innocence ! Lorsque Judas, repentant d’avoir trahi le Christ, vint jeter à leurs pieds l’argent qu’ils lui avaient donné comme prix de sa trahison, ils ne voulurent point remettre cet argent dans le trésor, « car », dirent-ils, « C’est le prix du sang : nous ne devons pas le faire entrer dans le trésor[187] ». « Ce trésor » n’était autre qu’un coffre, consacré à Dieu, où l’on renfermait l’argent destiné au soulagement des serviteurs du Très-Haut qui manquaient du nécessaire. O homme ! que ton cœur soit plutôt ce coffre divin où se con servent les richesses du Seigneur ! Puisse-t-on y voir une monnaie divine ! Puisse ton âme être cette précieuse monnaie, et porter sur elle l’image de ton souverain empereur ! D’après cela, quel nom donner à ces sentiments de feinte innocence qui portèrent les Juifs à n’oser mettre dans le trésor du temple le prix du sang de Jésus-Christ, et à ne pas craindre de répandre ce sang lui-même, et d’en souiller leur conscience ?
12. Mais que leur est-il advenu ? « Ils n’ont pu réussir dans leurs malicieux desseins » – Pourquoi cet échec ? Parce qu’ils ont dit « Qui est-ce qui s’en apercevra ? » Ils s’imaginaient et tâchaient de se persuader que personne ne découvrirait le fil de leur trame. Remarque bien ce qui arrive à une âme méchante : elle s’éloigne de la lumière de la vérité, et par cela même qu’elle ne voit plus Dieu, elle se figure que Dieu ne la voit plus. Ainsi en est-il advenu des Juifs : ils se sont écartés de la vérité ; ils se sont jetés dans les ténèbres, ils n’ont plus vu le Seigneur et ils ont dit : Qui est-ce qui nous aperçoit ? Celui-là même qu’ils attachaient à la croix, suivait la trace de leurs dissimulations méchantes ; pour eux, ils ne pouvaient ni faire réussir leurs projets, ni voir désormais le Fils de Dieu et le Père éternel. Mais puisque le Sauveur n’ignorait rien de ce qui concernait ses ennemis, pourquoi s’est-il soumis à tomber en leurs mains, et à se voir par eux mis à mort ? Pourquoi a-t-il laissé réussir les plans qu’ils avaient formés contre lui ? Pourquoi ? Parce qu’il s’était fait homme pour sauver les hommes, il avait caché sa divinité sous les traits de l’humanité pour donner à ceux qui ne le connaissaient pas un exemple de force d’âme et de courage : il connaissait lui-même la malice de ceux qui le persécutaient, mais il souffrait leurs mauvais traitements pour en venir à ses fins.
13. Voyons ce qui suit : « L’homme et le cœur profond s’approcheront, et Dieu sera exalté[188] » Les Juifs avaient dit : Qui est-ce qui nous verra ? « Ils n’ont pu faire réussir leurs malicieux projets ». L’homme a pénétré tous leurs desseins, et – il leur a permis de s’emparer de son humanité sainte : s’il n’avait pas été revêtu de notre humanité, jamais ses ennemis n’auraient pu, ni mettre la main sur lui, ni le voir, ni le frapper, ni le crucifier, ni le faire mourir : par la même raison, il n’aurait pas été délivré de leurs embûches. « Cet homme, ce cœur profond », c’est-à-dire ce cœur secret, s’approcha donc aux regards d’un homme, il n’offrait que l’apparence des hommes ; mais sous cette enveloppe mortelle, se dérobait – à leurs yeux la divinité : on n’apercevait donc point en lui cette nature divine qu’il partageait avec le Père et qui le rendait égal au Père ; on n’y voyait que la forme d’esclave, par laquelle il lui était devenu inférieur. Il nous instruit lui-même de ces différents états où il se trouve, suivant qu’on le considère ou comme Dieu ou comme homme. Comme Dieu, il nous dit : « Mon Père et moi, nous ne sommes qu’un[189] ». Comme homme, il ajoute : « Mon Père est plus grand que moi[190] ». Mais pourquoi, comme Dieu, peut-il dire : « Mon Père et moi nous ne sommes qu’un ? » Parce qu’étant de la nature de Dieu, il n’a pas cru « commettre un larcin en disant qu’il était égal à Dieu » Pourquoi encore a-t-il pu dire comme homme : « Mon Père est plus grand que moi ? » Parce qu’ « il s’est anéanti lui-même en prenant la nature d’esclave[191] ». L’homme et le cœur profond se sont approchés, et Dieu a été exalté. L’homme a été mis à mort, et le Dieu a été glorifié. Qu’il ait été crucifié, ç’a été la suite de la faiblesse humaine : s’il est ressuscité et monté au ciel, ç’a été l’effet de sa puissance divine[192]. « L’homme s’approchera, et aussi le cœur profond », c’est-à-dire le cœur secret, le cœur caché, qui ne faisait paraître ni ce qu’il savait, ni ce qu’il était. Aussi les Juifs supposaient-ils qu’il n’était autre que ce qu’il semblait être : ils le mirent donc à mort cet homme qui s’était retiré dans la profondeur de son humilité, mais Dieu fut exalté dans la grandeur de sa gloire par sa puissance infinie, et dans la suprême majesté de sa gloire, il s’est retiré dans ce séjour céleste, qu’il n’avait point quitté, même au temps de ses humiliations.
14. « L’homme s’approchera, et aussi le cœur profond, et Dieu sera glorifié ». Aussi, mes frères, considérez la profondeur du cœur de l’homme. De quel homme ? De celui dont le Prophète a parlé ainsi : « Un homme dira à Sion : Tu es ma mère. Et cet homme a été formé en elle : il est le Très-Haut qui l’a fondée1 ». Le Très-Haut, qui a jeté les fondements de Sion, a été formé et s’est fait homme dans cette ville dont il est devenu le fondateur. « L’homme s’est donc approché, et aussi le cœur profond ». Considère la profondeur du cœur de cet homme, et, si tu le peux, et autant que tu le pourras, vois Dieu dans l’abîme de ce cœur. L’homme s’est approché ; et parce qu’il était Dieu, parce qu’il devait souffrir volontairement, parce qu’il devait encourager les faibles par son exemple, parce qu’enfin les efforts de ses ennemis et de ses persécuteurs devaient rester inutiles, vu que, malgré l’humanité et la chair mortelle dont il était revêtu, il était Dieu ; voici ce qu’ajoute le Psalmiste : « Leurs flèches sont devenues comme des traits lancés par des enfants »[193]. Qu’est devenue la fureur des Juifs ? À quoi ont abouti les rugissements du lion, les cris effrénés de ce peuple ivre de colère : « Crucifie-le ! Crucifie-le ? » Les pièges, creusés par ceux qui ont tendu leur arc, ont-ils servi à prendre leur victime ? Mais non, car « leurs flèches sont devenues comme des traits lancés par des enfants ». Vous le savez : les enfants se servent de roseaux pour faire des flèches. Avec de telles armes, qui pourraient-ils blesser ? Comment pourraient-ils en blesser d’autres ? Quels bras pour lancer un trait ? Quels traits entre pareilles mains ? Quelles mains ? Quelles armes ? « Leurs flèches sont devenues comme des traits lancés par des enfants ».
15. « La malice de leur langue n’a pas réussi ; elle s’est retournée contre eux-mêmes[194] ». Qu’ils aiguisent leur langue comme on aiguise un glaive, qu’ils s’affermissent, s’ils le veulent, dans leurs injustes résolutions ; en vérité, ils ont eu raison de s’y affermir, puisque « la malice de leur langue n’a pas réussi, et qu’elle s’est retournée contre eux ». Leurs projets pouvaient-ils réussir contre Dieu ? « L’iniquité », a dit le Prophète, « s’est menti à elle-même[195]. La malice de leur langue n’a pas réussi ; elle s’est retournée contre eux ». Le Sauveur est sorti vivant du tombeau où l’avaient jeté ses ennemis. Ceux-ci avaient passé devant sa croix ou s’y étaient arrêtés, comme le Psalmiste l’avait prédit longtemps auparavant en ces termes : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, et compté tous mes os ; ils m’ont regardé et considéré attentivement[196] ». Alors, ils secouaient la tête en disant : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende donc de la croix ! » Ils avaient voulu, en quelque sorte, s’assurer s’il était le Fils de Dieu, et, à leur avis, ils avaient reconnu qu’il ne l’était pas, puisqu’en dépit de leurs insultes, il n’était pas descendu de la croix ; s’il l’avait fait, ils auraient avoué sa filiation divine[197]. Pour toi, mon frère, que penses-tu de ce qu’il est resté sur sa croix, et de ce que, néanmoins, il est ressuscité ? Quel profit ont-ils tiré de leur conduite à son égard ? Et quand même il ne serait point sorti vivant de son tombeau, en auraient-ils été plus avancés ? Non, car il leur serait advenu ce qui est advenu aux persécuteurs des martyrs. Les martyrs ne sont point encore revenus à la vie ; leurs persécuteurs n’y ont rien gagné, puisque nous célébrons aujourd’hui le triomphe éternel des victimes. À quoi a donc abouti la fureur des ennemis de notre Dieu ? « Leurs flèches sont devenues comme des traits lancés par des enfants ; la malice de leur langue n’a pas réussi, elle s’est retournée contre eux ». Jusqu’où ont-ils poussé cette malice, dont les calculs leur ont fait défaut ? Jusqu’à placer des gardes auprès du tombeau du Christ ; car bien qu’ils l’eussent fait mourir, qu’il fût enseveli, il leur inspirait encore des craintes. Ils dirent donc à Pilate « Ce séducteur ». Ainsi appelaient-ils Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ce devait être là un sujet de consolation pour tous les chrétiens que le monde calomnie. Ils s’adressèrent donc à Pilate et lui dirent : « Étant encore en vie, ce séducteur a dit qu’il ressusciterait trois jours après sa mort. Ordonnez donc qu’on garde son tombeau jusqu’au troisième jour, de peur que ses disciples ne viennent l’enlever, et qu’ils ne disent au peuple qu’il est ressuscité d’entre les morts ; cette dernière erreur serait pire que la première. Vous avez des gardes, leur répondit Pilate : allez, et gardez-le comme vous voudrez. Ils s’en allèrent donc, établirent une garde près du sépulcre, en y plaçant des soldats, et ils apposèrent leur sceau sur la pierre[198] ».
Les Juifs apposèrent auprès du tombeau de Jésus des soldats pour le garder : tout à coup la terre trembla, et le Sauveur sortit vivant du séjour de la mort, et il s’opéra, autour de son tombeau, de tels prodiges que les soldats, chargés de le garder, auraient pu en rendre témoignage s’ils avaient voulu rapporter les faits comme ils les avaient vus ; malheureusement, l’amour de l’argent, qui avait aveuglé un compagnon de Jésus, dans la personne de Judas, paralysa la langue des soldats auxquels fut confiée la garde du divin tombeau. « Nous vous donnerons de l’argent, leur dirent les Juifs : vous direz donc que, pendant votre sommeil, ses disciples sont venus et l’ont enlevé[199] ». En vérité, « les profonds calculs de leur malice ont été déjoués ». O malheureuse astuce ! ne faut-il pas que tu aies perdu de vue la lumière d’une réflexion éclairée, que tu te sois précipitée dans les ténèbres d’une noire méchanceté pour tenir ce langage : Dites que, pendant votre sommeil, ses disciples sont venus et qu’ils l’ont enlevé ? Comment 1 tu en appelles au témoignage de gens endormis ! Ne dormais-tu pas toi-même en imaginant une pareille combinaison, qui montre surabondamment ta faiblesse ? Car s’ils dormaient, qu’ont-ils pu voir ? Et s’ils n’ont rien vu, méritent-ils le nom de témoins ? « Mais ils n’ont pu réussir dans leurs vains projets ». Ils se sont écartés des rayons de la lumière divine ; ils ont vu échouer leurs entreprises, et puisqu’au moment d’agir, ils n’ont pu venir à bout de rien, ils ont manifesté leur impuissance. Pourquoi cela ? Parce que l’homme s’est approché, et aussi le cœur profond, et Dieu a été exalté. Oui, aussitôt que la résurrection de Jésus-Christ fut connue dans le monde, au moment où, par la descente du Saint-Esprit, des disciples, jusqu’alors découragés et dominés par la crainte, se montrèrent assez fermes pour annoncer la mort de leur Maître et tout ce qu’ils avaient vu, alors fut exaltée et glorifiée la grandeur du Dieu qui avait paru au pied d’un tribunal, et y avait subi une condamnation ignominieuse pour nous relever du milieu de notre bassesse jusqu’à lui : et quand les Apôtres, pareils a des trompettes divines, eurent annoncé à l’univers l’avènement futur de Celui qu’ils avaient vu jugé par des hommes, et qui viendra les juger à son tour, alors « tous ceux qui les virent, furent plongés dans le trouble ». Dieu fut donc glorifié : le Christ fut annoncé ; dès lors plusieurs d’entre les Juifs s’aperçurent que leurs coreligionnaires avaient échoué dans la réalisation de leurs projets : une foule de miracles s’opéraient, en effet, sous leurs yeux, au nom de Celui qu’ils avaient crucifié et fait mourir de leurs propres mains. Ils se séparèrent donc de cœur et d’affection de leurs frères endurcis, trouvant dans l’opiniâtre impiété de ces malheureux aveugles un sujet de dégoût et d’horreur : et, mieux inspirés par rapport à leur salut, ils s’adressèrent aux Apôtres, et leur dirent : « Que ferons-nous ? Tous ceux qui les virent, furent plongés dans le trouble[200] ». En d’autres termes, on vit tomber dans le trouble tous ceux qui s’aperçurent de l’inutilité de leurs projets, et comprirent que leurs malicieux complots tourneraient à leur propre confusion et à leur propre perte.
16. « Et tout homme fut saisi de crainte[201] ». Ceux qui n’éprouvèrent pas ce sentiment de crainte ne méritaient pas même le nom d’hommes. « Tout homme fut saisi de crainte » : c’est-à-dire, toute personne raisonnable et capable d’apprécier les événements : aussi, devrait-on donner le nom de bêtes, et même de bêtes brutes et sauvages, aux hommes qui demeurèrent alors insensibles à la crainte ; et le peuple juif est encore aujourd’hui un lion qui rugit et fait des victimes. Mais la crainte s’empara de tout homme, c’est-à-dire, de quiconque voulut se soumettre au joug de la foi, et conçut une sainte frayeur à la pensée du jugement à venir. « Et tout homme fut saisi de crainte, et ils publièrent hautement les œuvres de Dieu ». À celui qui disait : « Seigneur, délivrez-moi de la crainte de mes ennemis », s’appliquent donc ces paroles : « Tout homme a été saisi de crainte ». Il était délivré de la crainte de ses ennemis, mais il était sous l’impression de la crainte de Dieu. S’il redoutait quelqu’un, c’était, non pas celui qui peut tuer le corps, mais celui qui peut précipiter tout à la fois le corps et l’âme dans la géhenne du feu[202]. Les Apôtres ont prêché l’Évangile. D’abord, Pierre fut saisi de crainte, il avait peur de l’ennemi : son âme n’était pas encore à l’abri de toute appréhension à l’égard de ses adversaires. Questionné par une servante sur sa présence au milieu des disciples du Sauveur, il renia trois fois son divin Maître[203]. Après sa résurrection, Jésus affermit cette colonne de l’Église. Pierre annonce alors la bonne nouvelle sans trembler, et, néanmoins, sous l’influence de la crainte ; sans trembler en face de ceux qui peuvent tuer le corps ; sous l’influence de la crainte à l’égard de celui qui peut précipiter tout à la fois le corps et l’âme dans la géhenne du feu. « Tout homme a été saisi de crainte, et ils ont hautement publié les œuvres de Dieu ». Dès que les Apôtres eurent commencé à publier les œuvres du Très-Haut, les princes des prêtres les firent comparaître devant eux, et leur firent des menaces en leur intimant « la défense de prêcher au nom de Jésus-Christ. Mais ceux-ci leur répondirent : Dites-nous à qui, de Dieu ou des hommes, il vaut mieux obéir[204] ? » Que pouvaient-ils répondre à une pareille question ? Auraient-ils osé dire qu’il vaut mieux obéir aux hommes qu’à Dieu ? Non, et leur réponse n’était pas douteuse, et ils devaient déclarer que la soumission envers Dieu doit avoir le pas sur la soumission à l’égard des hommes ; aussi, parce qu’ils connaissaient la volonté du Tout-Puissant, les Apôtres dédaignèrent-ils les menaces des prêtres. « La crainte, dont l’homme fut saisi », devint donc la source de sa fermeté et de son courage, et « ils publièrent hautement les œuvres de Dieu ». Si l’homme éprouve des sentiments de crainte, ce n’est point son semblable, mais son créateur qui doit les lui inspirer. Redoute ce qui est supérieur à l’homme, et jamais l’homme ne te fera trembler. Appréhende la mort éternelle, et tu ne t’inquiéteras nullement de la vie présente. Soupire après les immortelles voluptés du paradis ; que l’immuable tranquillité du ciel soit l’objet de tes désirs, et tu te riras du monde entier et de tous ses faux biens. Aime et crains en même temps ; aime ce que Dieu te promet, crains l’effet de ses menaces, et les promesses de l’homme ne corrompront point ton cœur, et ses menaces ne t’ébranleront pas. « Tout homme a été saisi de crainte, et ils ont publié hautement les œuvres de Dieu, et ils les ont comprises ». Qu’est-ce à dire : « Ils ont compris ses prodiges ? » Était-ce là, ô Seigneur Jésus, ce que vous taisiez lorsque, pareil à une innocente brebis, vous alliez à la mort, sans ouvrir la bouche pour vous plaindre de vos bourreaux, lorsque nous vous considérions plongé dans les souffrances et la douleur, et ressentant toute notre faiblesse ? Était-ce pour cela, ô le plus beau des enfants des hommes, que vous nous dérobiez la vue de vos charmes infinis[205], et que vous sembliez n’avoir ni grâce ni beauté[206] ? Attaché à la croix, vous supportiez les insultes et les ricanements de vos ennemis : « S’il est le Fils de Dieu », disaient-ils, « qu’il descende donc de sa croix[207] ! » De tous vos serviteurs, de tous ceux qui connaissent votre suprême puissance, en est-il un seul qui ne se soit entièrement décrié : Oh ! si seulement il descendait du haut de sa croix pour la confusion de ceux qui le blasphèment de la sorte ! Mais il ne devait pas en être ainsi : il fallait que le Sauveur mourût pour le salut de ceux qui étaient condamnés à mourir, comme il devait ressusciter pour nous communiquer la vie éternelle. Voilà ce que ne comprenaient pas ceux qui le défiaient de descendre de sa croix ; mais quand, après sa résurrection, il monta glorieusement au ciel, ils comprirent les œuvres de Dieu : « Ils ont publié les œuvres de Dieu, et ils les ont comprises ».
17. « Le juste se réjouira dans le Seigneur[208] ». La tristesse ne doit plus être aujourd’hui le partage du juste. Au moment où le Sauveur mourut sur la croix, les Apôtres étaient plongés dans la tristesse, ils s’en retournèrent, le cœur accablé de chagrin et d’ennui, car ils croyaient avoir perdu toute lueur d’espérance. Le Sauveur sortit d’entre les morts, et, malgré le prodige de sa résurrection, leur tristesse était toujours la même, quand il vint les visiter. Par un effet de sa volonté, les deux disciples qui voyageaient sur le chemin d’Emmaüs ne le reconnurent point : ils gémissaient et pleuraient ; il différa de se faire connaître à eux jusqu’au moment où il leur eut exposé le sens des Écritures, et montré, par les passages de nos saints livres, que les événements devaient avoir lieu comme, ils avaient eu lieu effectivement. Il leur fit comprendre que, d’après les oracles sacrés, le Seigneur devait ressusciter le troisième jour. Mais serait-il ressuscité d’entre les morts le troisième jour, s’il était descendu de sa croix ? Aujourd’hui vous êtes tristes en voyageant mais combien vous seriez heureux et fiers si votre Sauveur, pour répondre aux insultantes provocations des Juifs, était descendu de sa croix ! Vous seriez au comble de la joie, s’il leur avait, par là, fermé la bouche. Mais attendez que le médecin vous fasse connaître ses projets et agisse : il ne descend pas de sa croix ; il veut mourir de la main de ses ennemis, pour vous préparer le remède qui doit vous guérir. Le voilà maintenant ressuscité ; il vous parle, vous ne le reconnaissez pas encore, mais vous n’en ressentirez que plus de joie lorsque vos yeux s’ouvriront. Plus tard, et par la fraction du pain, il se manifeste à eux, et ils le reconnaissent[209], et leur joie se traduit en exclamation : « Le juste se réjouira dans le Seigneur ». On annonce l’heureuse nouvelle à un disciple incrédule : le Seigneur a été vu, il est ressuscité ; la tristesse de cet Apôtre continue, car il ne croit pas à l’événement dont on lui parle : « Si je ne mets pas mes doigts à la place de ses clous, si je ne touche pas ses plaies, je ne croirai pas ». Le Sauveur lui donne son corps à toucher ; il y porte la main, il le palpe et s’écrie : « Mon Seigneur et mon Dieu ! Le juste se réjouira dans le Seigneur ». Ils se sont donc réjouis dans le Seigneur, les justes qui ont vu et touché, et qui ont cru. Mais les justes d’aujourd’hui, qui ne voient point et ne touchent point, peuvent-ils, eux aussi, se réjouir dans le Seigneur ? Oui, car le Seigneur a dit à Thomas lui-même : « Parce que tu m’as vu, tu m’as cru ; bienheureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru[210] ». Réjouissons-nous donc tous dans le Seigneur ; que, réunis dans le sentiment d’une même foi, nous formions tous ce juste dont parle le Psalmiste : ne formons tous qu’un seul corps uni au même chef, et réjouissons-nous, non en nous-mêmes, mais dans le Seigneur ; car notre souverain bien réside, non en nous, mais en celui qui nous a créés : lui seul est notre bien et la source de notre joie. Qu’aucun d’entre nous ne se réjouisse en lui-même ; que personne ne présume ou ne désespère de lui-même ; que personne ne place son espérance dans son semblable, car nous devons nous efforcer d’amener les autres à partager notre confiance, mais jamais nous ne devons les considérer comme le motif et le principe de notre espérance.
18. « Le juste se réjouira dans le Seigneur, et il espérera en lui, et tous ceux qui ont le cœur droit seront au comble de l’allégresse ». Le Seigneur Jésus est ressuscité, il est monté au ciel, il nous a prouvé par là l’existence d’une autre vie, il a manifesté au grand jour les desseins qu’il tenait cachés au plus profond de soit cœur, et fait voir qu’ils n’étaient pas vains ; il a répandu son sang comme prix de notre rédemption : la sagesse de ses plans divins a éclaté au grand jour : on a publié ses prodiges : le monde entier y a cru ; le juste, n’importe en quelle contrée du monde il se trouve, « se réjouira donc dans le Seigneur, et mettra son espérance en lui, et tous ceux qui ont le cœur droit, seront au comble de l’allégresse ». Qui sont ceux dont le cœur est droit ? Mes frères, nous vous le disons souvent, et il est bon pour vous de le bien comprendre. Qui sont ceux dont le cœur est droit ? ce sont les hommes qui attribuent les tribulations, au milieu desquelles ils vivent, non à un défaut de sagesse de la part de Dieu, mais à sa sagesse, et qui les regardent comme un moyen providentiel destiné à la guérison de leur âme : de pareilles gens ne sont point infatués de la pensée de leur propre justice, au point de supposer qu’ils souffrent sans l’avoir mérité, ou d’accuser Dieu de ce que les plus grands pécheurs ne sont pas les plus affligés. Encore une fois, remarquez-le, car nous vous l’avons souvent dit. Souffres-tu quelque maladie dans ton corps, ou une perte dans tes biens, ou une séparation pénible occasionnée par la mort, dans ta famille ? Parmi ceux qui t’entourent, tu en remarques de plus méchants que toi, et sans te croire vraiment juste, tu les reconnais moins bons encore ; je t’en conjure, ne sois point jaloux de ce qu’ils réussissent, et se trouvent à l’abri des châtiments célestes. Puissent les desseins du Très-Haut ne point ébranler ta foi ! Ne dis pas : Je suis pécheur, et Dieu me punit : pourquoi donc n’inflige-t-il aucune punition à cet homme, qui l’a évidemment offensé plus grièvement que moi ? J’ai mal fait, je le sais bien ; mais si coupable que je sois, le suis-je autant que lui ? Si tu parlais ainsi, tu donnerais la preuve sans réplique de la fausse direction imprimée à tes pensées. Que le Dieu d’Israël est bon, mais pour ceux qui ont le cœur droit ! Tes pieds glissent sous toi, parce que tu t’irrites contre les pécheurs, envoyant la paix dont ils jouissent[211]. Laisse agir le médecin ; celui qui connaît la blessure sait le remède qu’il doit y appliquer. Mais pourquoi cet autre n’est-il pas maltraité ? Pourquoi ? parce qu’il est impossible d’espérer le sauver. On te fait de douloureuses incisions, parce que tu pourras guérir. Souffre donc, avec droiture de cœur, toutes tes épreuves. Le Seigneur sait ce qu’il doit t’accorder, et ce qu’il doit te refuser. Ce qu’il te donne doit servir à te consoler, et non à te corrompre ; s’il te refuse ses dons, supportes-en la privation et ne blasphème pas. Si la conduite de Dieu te déplaît et te fait blasphémer, si tu te complais en toi-même, c’est la preuve que tu as le cœur tordu et perverti ; et le pis, en tout cela, c’est que tu veux faire du cœur de Dieu ce que tu fais du tien : tu veux lui imposer tes volontés au lieu d’agir selon son bon plaisir. Eh quoi ! Voudrais-tu détourner aussi du bien le cœur de Dieu ? Il est si droit ! Prétendrais-tu lui communiquer la fausseté du tien ? Ne vaudrait-il pas mieux, mille fois, ramener le tien à la droiture dc celui de Dieu ? N’est-ce point là ce que t’a enseigné ce Dieu, dont les souffrances faisaient tout à l’heure le sujet de nos entretiens ? Ne te montrait-il pas qu’il s’était revêtu de ta faiblesse, quand il disait : « Mon âme est triste jusqu’à la mort ? » Ne te figurait-il pas en sa personne, quand il disait : « Mon Père, si c’est possible, que ce calice s’éloigne de moi ? » Le cœur du Père et celui du Fils n’étaient pas différents l’un de l’autre : ce n’était, à vrai dire, qu’un seul cœur ; mais en se revêtant de la forme d’esclave, il a pris ton cœur pour l’instruire par ses exemples. Or, voilà qu’en face de la tribulation, ton cœur est tout différent du sien : il voudrait ne pas être éprouvé ; il se met en contradiction avec la volonté divine. Puisque le cœur de Dieu ne peut se prêter aux mauvaises dispositions du tien, conforme donc le tien à celui de Dieu ; écoute ce qu’il dit à son Père : « Toutefois, ne faites pas ce que je veux, mais faites ce que vous voulez[212] ».
19. Aussi, « tous ceux qui ont le cœur droit, seront loués ». Qu’en conclure ? C’est que, si « ceux qui ont le cœur droit, doivent être loués », ceux qui ont le cœur tordu et déréglé seront condamnés. Tu as à choisir de deux choses l’une : choisis donc tandis qu’il en est temps. Si ton cœur est droit, tu iras à la droite et tu seras loué. Comment cela ? « Venez, bénis de mon Père : recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde ». Si, au contraire, tu as le cœur tordu et déréglé, si tu te moques de Dieu, si tu te joues de sa Providence ; si tu dis en toi-même : Il est évident que Dieu ne s’occupe pas des choses de ce monde ; car, s’il en prenait soin, ce scélérat serait-il dans l’abondance et moi dans la disette ? il est sûr que ton cœur n’est pas droit. Viendra le jugement, et alors on connaîtra les motifs secrets de la conduite de Dieu : alors aussi, parce que tu n’auras pas voulu rétablir ton cœur dans la droiture et le rendre semblable à celui de Dieu, parce que tu auras négligé de te rendre digne d’aller à la droite du Seigneur, en cet endroit « où seront loués ceux qui ont le cœur droit », tu iras à la gauche, et tu y entendras ces paroles : « Allez au feu éternel, qui a été préparé au démon et à ses anges[213] ». Sera-t-il temps alors de redresser son cœur ? Redressez-le donc maintenant, mes frères ; redressez-le dès aujourd’hui. Quel obstacle pourrait s’y opposer ? On chante le psaume devant toi ; on te lit l’Évangile ; tu entends de bonnes lectures, de saintes instructions ; le Seigneur est patient : tu l’offenses et il t’épargne ; tu renouvelles tes infidélités, et il ne te punit pas, et tu ajoutes encore au nombre de tes fautes. Jusques à quand le Très-Haut usera-t-il d’indulgence à ton égard ? Prends-y garde ! Tu pourrais bien éprouver à la fin les rigueurs de sa justice. Nous vous effrayons, parce que nous sommes saisis de crainte rassurez-nous, et nous ne vous troublerons plus. Mais j’aime beaucoup mieux trembler à la pensée de Dieu, que de puiser ma confiance dans la pensée de n’importe quel homme, « car tout homme a été saisi de crainte, et ils ont publié les œuvres de Dieu ». Daigne le Seigneur nous compter au nombre de ceux qui ont tremblé et fait connaître ses ouvrages. Nous vous prêchons maintenant en son nom, mes frères, parce que nous craignons. Nous sommes témoins de votre empressement à écouter sa parole, du vif désir que vous avez de nous entendre, de votre bonne volonté. La terre de votre cœur est suffisamment imprégnée de la rosée du ciel. Puisse-t-elle produire du froment et non des épines, car si les celliers du père de famille doivent contenir le bon grain, les épines seront livrées aux flammes. Tu sais ce que tu dois faire de ton champ, et Dieu ne saurait ce qu’il doit faire de son serviteur ? Pour une terre fertile, la pluie qui l’arrose est un bienfait du ciel ; et, si elle tombe sur un champ couvert de ronces et d’épines, en est-elle moins précieuse ? Et ce champ peut-il rendre la pluie responsable de sa stérilité ? La pluie elle-même ne rendra-t-elle pas témoignage contre lui, et ne dira-t-elle pas J’ai répandu partout, d’une manière égale, la douceur de mes ondées ? Quelles sont tes œuvres ? Remarque-le attentivement, afin de juger de ce qui t’est réservé. Si tu produis du froment, sois-en sûr, tu iras dans le cellier du Père de famille ; si tu produis des épines, le feu sera ton partage ; mais le temps d’être mis dans les greniers célestes ou jeté dans le feu éternel n’est pas encore venu : préparons-nous donc à ce moment décisif, et nous n’éprouverons aucune crainte. Vous qui m’écoutez et moi qui vous parle au nom de Jésus-Christ, nous vivons encore ; et puisqu’il en est ainsi, n’avons-nous ni le moyen ni le temps de réformer nos pensées, et de devenir de parfaits chrétiens ? Et si vous le voulez, pourquoi cette conversion n’aurait-elle pas lieu dès aujourd’hui ? Pourquoi ce changement de nos mœurs ne se ferait-il pas dès maintenant ? Pour en venir là, faut-il faire de grandes acquisitions, des recherches pénibles, de lointains voyages aux Indes ? Faut-il noliser des vaisseaux choisis entre tous ? Non ; change ton cœur au moment même où je t’adresse la parole, et ainsi sera accompli ce que, depuis si longtemps, on te presse de faire ; et si tu ne le fais pas, ta mauvaise volonté sera pour toi la source d’une punition éternelle.

DISCOURS SUR LE PSAUME 64 modifier

SERMON AU PEUPLE. modifier

LA DÉLIVRANCE. modifier

Ézéchiel et Jérémie chantent le retour de Babylone à Jérusalem, d’où le crime du Calvaire a de nouveau banni les Juifs. Babylone ou confusion est la ville de Caïn, Jérusalem ou vision de la paie est la ville d’Abel. Ces deux cités mélangées ici-bas seront séparées par Dieu au jugement, Jérusalem à sa droite, Babylone à sa gauche. Nous sommes de Babylone par l’amour du monde, et de Jérusalem par l’amour de Dieu. – Ce Psaume est pour ceux qui commencent à sortir de Babylone, ou à aimer Dieu, à chanter Jérusalem, à l’habiter par le cœur. Ici-bas, quand nous soupirons après Jérusalem, la chair résiste, mais la mort sera détruite et la charité fera de nous un holocauste. Toute chair ou tons les hommes viendront au Seigneur ; on leur a prêché l’idolâtrie, mais Dieu leur remettra leurs fautes par l’expiation du Calvaire, dont l’effet est figuré par l’entrée du grand prêtre seul dans le Saint des Saints, figure demeurée incomprise pour les Juifs incrédules. Bienheureux au contraire les hommes unis à Dieu par l’incarnation. Dieu leur donnera dans sa maison le spectacle de la justice. C’est le Christ qui doit nous exaucer, lui l’espoir de la terre et non d’une partie, l’espoir de la mer ou du monde, où il nous prend dans ses filets. Soyons les bons poissons. Dieu prépare les montagnes ou les apôtres, trouble le fond des mers, ou les cœurs impies, les amène au bien. Le monde révolté est vaincu. Dieu visite la terre, l’arrose, laisse croître l’ivraie jusqu’à la moisson, féconde le désert, multiplie le bercail. L’hymne de joie.


1. Le titre du psaume nous fait connaître ici la voix d’une sainte prophétie. Voici cette inscription : « Pour la fin, psaume de David, cantique de Jérémie et d’Ézéchiel au nom du peuple de la captivité, au moment du retour[214] ». Tous ne savent point ce qui se passa chez nos pères au temps de la captivité de Babylone, mais ceux-là seulement qui ont écouté ou lu avec soin les saintes Écritures, Le peuple d’Israël fut donc captif, emmené de Jérusalem, et réduit en servitude à Babylone[215]. Mais le saint prophète Jérémie annonça que ce peuple reviendrait de cette captivité, après soixante et dix années, qu’il rebâtirait cette même cité de Jérusalem, dont il avait pleuré la dévastation par ses ennemis[216]. Or, en ce même temps il y avait, parmi ce peuple captif à Babylone, des Prophètes, et entre autres le prophète Ézéchiel. Ce peuple donc attendait que fussent accomplies les soixante-dix années, selon la prophétie de Jérémie. Il arriva, qu’après ces soixante-dix années, le temple se releva de ses ruines, et une grande partie de ce peuple revint de la captivité. Mais comme l’Apôtre a dit : « Toutes ces choses qui leur arrivaient étaient des figures ; elles ont été écrites pour nous instruire, nous qui vivons à la fin des temps[217] », nous devons connaître d’abord ce qui est pour nous la captivité, ensuite la délivrance ; nous devons connaître Babylone, dans laquelle nous sommes captifs, et Jérusalem, où nous aspirons à retourner. Ces deux cités sont réellement et littéralement deux cités. Cette Jérusalem, à la vérité, n’est plus habitée par les Juifs. Après la mort du Sauveur Sur la croix, ce crime fut vengé par de grands fléaux ; arrachés de ce lieu, où leur fureur insolente, leur délire impie avait éclaté contre leur médecin, ils furent dispersés parmi les nations, et leur terre échut aux chrétiens : alors s’accomplit ce que leur avait dit le Seigneur : « C’est pourquoi le royaume de Dieu vous sera enlevé, et donné à un peuple pratiquant la justice[218] ». En voyant des foules si nombreuses à la suite du Seigneur qui prêchait le royaume des cieux, et qui faisait des miracles, les princes de cette cité s’écrièrent : « Si nous le laissons ainsi, chacun le suivra, et les Romains viendront et nous extermineront nous et notre ville[219] ». Afin de ne point perdre la ville, ils mirent à mort le Seigneur, et ils la perdirent précisément à cause de cette mort. Donc cette cité de la terre était la figure d’une cité éternelle dans le ciel : mais dès que fut prêchée au grand jour la cité ainsi figurée, celle qui en était l’ombre fut rejetée : aussi n’y voit-on plus aujourd’hui ce temple qui avait été construit pour symboliser dans l’avenir le corps du Seigneur. Nous avons la lumière, la figure a passé : et toutefois nous sommes encore dans une certaine captivité : « Tant que nous sommes sous notre chair », dit l’Apôtre, « nous sommes éloignés du Seigneur[220] ».
2. Voyez aussi les noms de ces deux cités, Babylone et Jérusalem. Babylone signifie confusion, et Jérusalem, vision de la paix. Fixez votre attention sur la cité de confusion, pour comprendre la cité de la paix ; supportez l’une et soupirez après l’autre. À quoi pouvons-nous distinguer ces deux cités ? Pouvons-nous les séparer l’une de l’autre ? Elles sont mélangées, et mélangées dès l’origine même du genre humain ; elles doivent arriver ainsi jusqu’à la fin des siècles. Jérusalem a commencé par Abel, Babylone par Caïn ; car les murailles de ces villes ne se sont élevées que plus tard. Cette Jérusalem était dans la terre des Jébuséens ; car elle s’appelait d’abord Jébus[221], et la race des Jébuséens en fut chassée, quand le peuple de Dieu, délivré de l’Égypte, fut introduit sur la terre promise. Babylone fut bâtie au milieu des régions de la Perse, et leva longtemps sur les autres nations sa tête orgueilleuse. Ces deux villes ont donc été bâties à des époques fixes, afin d’être la figure de ces autres cités commencées jadis, et qui doivent durer jusqu’à la fin des siècles, mais se séparer à la fin. Comment alors pouvons-nous les montrer, aujourd’hui qu’elles sont mélangées ? Dieu saura les discerner quand il mettra les uns à sa droite, les autres à sa gauche. Jérusalem occupera la droite et Babylone la gauche. Jérusalem entendra ces paroles : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde ». Babylone s’entendra dire : « Allez au feu éternel préparé au diable et à ses anges[222] ». Toutefois, avec la lumière de Dieu, nous pouvons donner des marques pour distinguer les pieux fidèles, même dès aujourd’hui, et les citoyens de Jérusalem des citoyens de Babylone. Ces deux cités subsistent par deux amours : Jérusalem par l’amour de Dieu, Babylone par l’amour du monde. Que chacun interroge son cœur, et il saura de quelle ville il est citoyen ; et s’il reconnaît qu’il est de Babylone, qu’il extirpe de son cœur les convoitises pour y planter la charité ; s’il se reconnaît au contraire habitant de Jérusalem, qu’il endure la captivité et soupire après sa délivrance, Plusieurs, en effet, qui avaient pour mère la sainte Jérusalem, étaient retenus par leurs convoitises dans la corruption de Babylone, et leurs désirs corrompus en avaient fait des citoyens de cette ville : beaucoup en sont là aujourd’hui encore, et beaucoup après nous continueront à en être là sur cette terre ; mais le Seigneur, qui a fondé Jérusalem, connaît ceux qu’il a prédestinés pour en être les habitants, bien qu’il les voie encore sous le joug du démon, attendant qu’il les rachète par le sang du Christ : il les connaît avant qu’ils se connaissent eux-mêmes. Telle est donc l’allégorie sous laquelle ce psaume est chanté. Aussi a-t-il dans son titre le nom de deux prophètes qui existaient aux jours de la captivité, de Jérémie et d’Ézéchiel qui chantaient, « lorsqu’ils commençaient à sortir ». Commencer à sortir, c’est commencer à aimer. Il en est beaucoup en effet qui sortent secrètement, et les affections du cœur sont les pieds de ceux qui sortent ; et ils sortent de Babylone. Qu’est-ce à dire, de Babylone ? De la confusion. Comment sortir de Babylone ou de la confusion ? Ceux qui étaient d’abord mélangés par de semblables désirs commencent à se distinguer par la charité ; une fois séparés, ils ne sont plus dans la confusion. Et s’ils sont encore mélangés d’une manière corporelle, du moins ils sont séparés par leurs saintes aspirations. Écoutons donc maintenant, mes frères, écoutons ; et que nos désirs soient bien ceux de notre cité. Et quelle est donc la joie que nous chante le Prophète ? Comment raviver en nous cet amour de notre cité qu’un trop long éloignement nous a fait oublier ? Mais c’est de là que notre Père nous a envoyé ses lettres, que Dieu nous a fait parvenir ses saintes Écritures, lettres qui nous ont inspiré le désir du retour ; car, aimer notre éloignement, c’était passer à l’ennemi, et tourner le dos à la patrie. Quel est donc l’objet de ces chants ?
3. « C’est en Sion, ô Dieu, qu’il convient de chanter votre gloire[223] ». Sion est notre patrie ; car Sion n’est autre que Jérusalem ; et vous devez connaître le sens d’un tel nom. De même que Jérusalem signifie vision de la paix, de même Sion signifie regard, ou vision et contemplation. Je ne sais quel spectacle si grand nous est promis ; et ce spectacle, c’est Dieu lui-même fondateur de la cité. Belle et splendide cité, dont le fondateur est plus splendide encore : « Il convient de chanter votre gloire, ô Dieu », dit le Prophète. Mais où ? « En Sion », et non point à Babylone. Quiconque s’est mis en devoir d’en sortir, chante alors Jérusalem dans son cœur, d’après cette parole de l’Apôtre « Notre conversation est dans le ciel[224] ». « Quoique nous vivions dans la chair », dit-il encore, « nous ne combattons pas selon la chair[225] ». Déjà nous sommes en Jérusalem par le désir, déjà nous avons jeté dans cette terre notre espérance comme une ancre, afin de ne point faire naufrage sur cette mer. De même, alors que nous disons avec raison qu’un navire est à terre dès qu’il est à l’ancre, il flotte à la vérité, mais il est en quelque sorte amené à terre, pour résister aux vents et aux tempêtes ; ainsi contre les tentations de notre pèlerinage ici-bas, nous avons notre espérance fixée dans la cité de Jérusalem, et qui nous empêche d’être jetés contre les écueils. Celui-là donc chante en Sion, qui chante selon cette espérance ; qu’il dise alors : « C’est en Sion, ô Dieu, qu’il convient de chanter votre gloire » : oui, en Sion, non point à Babylone. Mais peut-être maintenant encore êtes-vous à Babylone. J’y suis, nous répond cet homme Plein d’amour, ce citoyen ; j’y suis, mais de corps seulement, et non de cœur. Ayant ainsi fait ces deux affirmations que j’y suis de corps et non de cœur : je ne chante point Babylone, car c’est mon cœur qui chante, et non point mon corps. Les citoyens de Babylone entendent, je le sais, ma voix corporelle ; mais le fondateur de Jérusalem entend les chants de mon cœur. De là vient que l’Apôtre exhortait les habitants à chanter des cantiques d’amour pleins de l’espérance de retourner à cette splendide cité, vision de la paix : « Chantez », leur disait-il, « chantez du fond de vos cœurs à la gloire de Dieu »[226]. Qu’est-ce à dire : « Chantez dans vos cœurs ? » Ne chantez point de cette Babylone où vous êtes ; mais chantez de cette patrie d’en haut que vous habitez par l’espérance. Donc, « c’est en Sion qu’il convient, ô Dieu, de chanter votre gloire ». C’est l’hymne de Sion, et non l’hymne de Babylone, qui vous est agréable. Ceux qui chantent à Babylone, sont citoyens de Babylone, et ne chantent point pieusement, même quand ils chantent l’hymne de Dieu. Écoute la parole de l’Écriture : « La louange n’est pas bonne dans la bouche du pécheur[227]. C’est en Sion, « ô Dieu, qu’il convient de vous bénir ».
4. « C’est à Jérusalem qu’on s’acquittera des vœux qu’on vous aura faits ». Ici-bas nous faisons des vœux, là-haut nous les acquitterons. Qui donc fait ici-bas des vœux qu’il n’acquitte point ? Celui qui ne persévère pas jusqu’à la fin dans les vœux qu’il a faits. Aussi le Psalmiste a-t-il dit ailleurs : « Faites des vœux au Seigneur votre Dieu, et accomplissez-les[228]. C’est en Jérusalem que l’on tiendra ses vœux ». C’est là que nous serons entièrement, c’est-à-dire corps et âme, à la résurrection des justes ; c’est là que nos vœux seront totalement accomplis ; non seulement notre âme y sera, mais aussi notre chair, qui ne sera plus corruptible, car nous ne serons plus à Babylone, mais notre corps sera devenu céleste. Quel changement nous est promis ? « Tous nous ressusciterons », dit l’Apôtre, « mais nous ne serons pas tous changés ». Il indique aussi ceux qui seront changés. « En un clin d’œil, au son de la dernière trompette, car la trompette sonnera, et les morts ressusciteront incorruptibles désormais, c’est-à-dire dans leur intégrité, et nous serons changés ». Plus loin il nous explique en quoi consistera ce changement : « Il faut », dit-il, « que ce corps corruptible soit revêtu d’incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité, et après que ce corps de corruption sera revêtu d’incorruptibilité, que ce corps de mort sera revêtu d’immortalité, cette parole de l’Écriture s’accomplira : La mort a été absorbée dans sa victoire. O mort, où est donc ton aiguillon[229] ? » Dès que commencent à se former en nous les prémices de l’esprit qui nous font soupirer après Jérusalem, nous ressentons en notre chair corruptible bien des résistances qui deviendront insensibles quand la mort sera absorbée dans sa victoire. La paix régnera, il n’y aura plus de guerre. Or, le règne de la paix sera aussi le règne de cette cité qui est la vision de la paix. La mort ne nous sera donc plus un obstacle. Maintenant, combien n’avons-nous pas à lutter contre la mort ! De là viennent ces sensualités de la chair, qui nous suggèrent tant de désirs coupables ; et quand même nous n’y consentirions pas, il nous faut néanmoins lutter pour n’y point consentir. La convoitise de la chair nous a donc tout d’abord conduits sans résistance, puis entraînés malgré nos efforts. Puis est venu le secours de la grâce, et alors, sans pouvoir désormais nous conduire ou nous entraîner, elle a lutté contre nous ; et après la lutte viendra la victoire. Si elle te livre aujourd’hui des assauts, du moins qu’elle ne te renverse pas ; et quand la mort sera absorbée dans la victoire, la lutte alors cessera. Qu’est-il dit ? « La mort sera notre dernier ennemi détruit »[230]. J’accomplirai mon vœu. Quel vœu ? Le même que l’holocauste. Or, on appelle holocauste ce qui est entièrement consommé par le feu ; l’holocauste est donc le sacrifice où tout est brûlé ; car olon signifie entièrement, et kausis, brûlure. Holocauste donc, brûlé entièrement. Que cette flamme nous gagne, flamme divine qui est en Jérusalem ; que la charité nous embrase jusqu’à la consomption de tout ce qu’il y a de mortel en nous, et que tout ce qui nous fait obstacle s’en aille en sacrifice au Seigneur. De là vient qu’il est dit ailleurs : « Dans votre amour, Seigneur, répandez vos bénédictions sur Sion, afin que s’élèvent les murailles de Jérusalem ; alors vous accepterez le sacrifice de justice, les oblations et les holocaustes[231]. C’est en Sion, ô mon Dieu, qu’il faut chanter votre gloire, et nos vœux pour vous s’accompliront en Jérusalem ». Ici nous cherchons si Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur ne nous serait point présenté commue le roi de cette cité : chantons donc jusqu’à ce que nous arrivions à quelque donnée plus claire. Déjà je pourrais vous dire à qui il est dit : « C’est vous, ô Dieu, qu’il convient de chanter dans Sion, et nos vœux pour vous s’accompliront en Jérusalem ». Mais, si je le disais, ce serait à moi plutôt qu’à l’Écriture que l’on croirait ; et peut-être ne me croirait-on pas. Écoutons la suite.
5. « Exaucez ma prière », dit le Prophète, « c’est à vous que s’adressera toute chair[232] ». Et le Seigneur nous dit qu’il a reçu la puissance sur toute chair[233]. Il commence donc à paraître en roi, quand il est dit : « C’est à vous que toute chair doit s’adresser. Toute chair donc », dit le Prophète, « doit s’adresser à vous ». Pourquoi toute chair doit-elle venir à lui ? Parce qu’il a pris une chair. Où toute chair viendra-t-elle ? Les prémices de la chair lui viennent d’un sein virginal : or, les prémices posées, le reste a dû suivre, et l’holocauste s’achever. Comment « toute chair ? » Tout homme. Et comment tout homme ? Veut-il nous prédire que tous croiront en Jésus-Christ ? Les impies, qui doivent être damnés, ne seront-ils pas en grand nombre ? Chaque jour bon nombre d’incrédules ne meurent-ils point dans leur infidélité ? Comment donc entendrons-nous : « Toute chair viendra vers vous ? » Toute chair, dit le Prophète, la chair de toute race : de toute race donc la chair viendra vers nous. Qu’est-ce à dire : la chair de toute race ? Est-il venu des pauvres, sans que vinssent aussi des riches ? ou des hommes d’humble condition, sans que vinssent aussi des grands ? ou des ignorants, sans que vinssent des savants ? ou des hommes, sans que vinssent des femmes ? ou des maîtres, sans que vinssent des esclaves ? ou des vieillards, sans que vinssent des jeunes gens ? ou des jeunes gens, sans que vinssent des adolescents ? ou des adolescents, sans que vinssent des enfants ? Ou des enfants, sans que l’on apportât des nouveau-nés ? ou des Juifs (car c’est de là que vinrent les Apôtres, et tant de milliers d’autres, qui furent croyants[234] après avoir été persécuteurs), sans que vinssent des Grecs ? ou des Grecs, sans que vinssent des Romains ? ou des Romains, sans que vinssent des barbares ? Et qui peut énumérer toutes les nations qui viennent à celui à qui s’adressent ces paroles : « C’est à vous que toute chair doit venir ? Exaucez ma prière, car toute chair doit venir à vous ».
6. « Les paroles des méchants ont prévalu sur nous, et vous nous pardonnerez nos iniquités[235] » Que signifie : « Les paroles des méchants ont prévalu sur nous, et vous nous pardonnerez nos iniquités ? ». Que nous sommes nés sur cette terre, et que nous avons rencontré des méchants dont nous avons écouté le langage. Que l’attention de votre charité m’aide à expliquer ma pensée. Tout homme apprend la langue du pays, de la contrée, de la ville où il est né ; il est imbu de ses mœurs, de sa vie. Comment un enfant né parmi les païens n’adorerait-il pas la pierre, quand ce culte lui est inoculé par ses parents ? Ce sont les paroles qu’il entend tout d’abord : il a sucé l’erreur avec le lait ; et comme ceux qui lui parlaient étaient ses ancêtres, et que l’enfant qui apprenait à parler était tout jeune, comment ce jeune enfant pouvait-il ne point suivre l’autorité de ses ancêtres, et ne point regarder comme bien ce qu’il leur entendait louer ? Donc les nations converties à la foi du Christ, et se souvenant dans la suite des impiétés de leurs ancêtres, pouvaient dire avec Jérémie : « Vraiment nos pères ont « adoré le mensonge et la vanité, qui ne leur ont servi de rien.[236] » : parler ainsi, c’est renoncer à leur culte et aux sacrilèges impiétés de leurs ancêtres. Mais pour leur insinuer ce culte sacrilège, il a fallu la persuasion de ceux qui leur paraissaient une autorité d’autant plus plausible, qu’elle était consacrée par un âge plus grand ; quiconque veut quitter Babylone pour venir à Jérusalem, doit faire cet aveu et dire : « Les discours des impies ont prévalu sur nous ». Nos guides nous ont enseigné le mal et nous ont faits citoyens de Babylone ; nous avons abandonné le Créateur pour adorer la créature ; nous avons laissé celui qui nous a faits pour adorer ce que nous avons fait. « Les discours des impies ont prévalu sur nous » ; mais pourtant ne nous ont pas étouffés. Pourquoi ? « Vous nous pardonnerez nos iniquités ». Que votre charité veuille bien écouter. « Vous pardonnerez nos iniquités » ; ne se dit qu’à un prêtre qui fait une offrande, pour l’expiation de l’impiété, et se rendre Dieu propice. On dit que l’impiété nous est remise, quand Dieu se rend propice à notre impiété. Qu’est-ce, pour Dieu, qu’être propice à notre impiété ? C’est nous la remettre, nous en accorder le pardon. Mais, pour obtenir de Dieu le pardon, il faut un sacrifice propitiatoire. Le Seigneur notre Dieu nous a donc envoyé un prêtre qui est le nôtre ; il a pris en nous de quoi offrir à Dieu, c’est-à-dire les saintes prémices de notre chair dans le sein de la Vierge. Tel est l’holocauste qu’il a offert à Dieu : il a étendu ses mains sur la croix, pour dire : « Que ma prière s’élève comme l’encens en votre présence, que mes mains élevées soient comme le sacrifice du soir[237] ». Car le Seigneur, vous le savez, fut mis en croix vers le soir[238] et alors nos impiétés ont été pardonnées, autrement elles nous eussent absorbés : les discours des méchants ont prévalu sur nous : nous avions pour guides les prédicateurs de Jupiter, de Saturne, de Mercure. « Les discours des impies ont prévalu sur nous ». Mais que ferez-vous ? « Vous serez indulgent pour nos impiétés ». C’est vous qui êtes prêtre et victime, qui offrez et qui êtes l’offrande. Il est le prêtre qui a pénétré jusqu’au sanctuaire du voile qui est à l’intérieur, et seul de tous ceux qui ont porté une chair comme la nôtre, il intercède pour nous[239]. Voilà ce que figurait chez le premier peuple, et dans le premier temple, cette entrée du grand prêtre seul dans le Saint des saints, alors que tout le peuple était debout au-dehors : et celui qui pénétrait seul dans l’intérieur du voile, offrait le sacrifice pour le peuple qui se tenait au-dehors[240]. Pour qui le comprenait bien, c’est l’esprit qui donne la vie ; pour qui ne comprenait pas, c’est la lettre qui tue. Tout à l’heure, à la lecture de l’Apôtre, vous avez entendu : « La lettre tue, mais l’esprit vivifie[241] ». Les Juifs, en effet, n’ont jamais compris ce qui avait lieu chez ce peuple, et ne le savent pas même aujourd’hui. Car c’est d’eux qu’il est dit : « Quand on lit Moïse, il y a un voile sur leur cœur[242] ». Or, ce voile est une figure : la figure passera et fera place en eux à la vérité. Mais quand ce voile disparaîtra-t-il ? Écoute l’Apôtre : « Quand ce peuple sera converti au Seigneur, le voile sera levé[243] ». Donc, tandis qu’ils ne sont point convertis au Seigneur, ils ont le cœur voilé en lisant Moïse. Voilà ce que figurait encore la face lumineuse de Moïse, « en sorte que les enfants d’Israël ne pouvaient fixer les yeux sur sa face vous l’avez entendu tout à l’heure dans la lecture ; et il y avait un voile entre la face de Moïse qui parlait, et le peuple qui écoutait sa parole. Ils écoutaient donc sa parole à travers le voile et sans voir sa face. Que dit alors l’Apôtre ? « En sorte que les enfants d’Israël ne pouvaient fixer les yeux sur la face de Moïse. Ils ne pouvaient la contempler », dit-il, « jusqu’à la fin[244] ». Qu’est-ce à dire : « jusqu’à la fin ? » Jusqu’à ce qu’ils comprissent le Christ. Car, l’Apôtre l’a dit : « Le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront[245] ». Il est vrai qu’il y a une splendeur sur la face de Moïse, face corporelle et mortelle : or, cette splendeur pourrait-elle être durable pour l’éternité ? Assurément elle doit disparaître à la mort. Mais la splendeur de la gloire et de la béatitude en Notre-Seigneur Jésus-Christ est éternelle. Tout cela n’était qu’une figure qui passait avec le temps, et ce que couvrait cette figure était la vérité. Aussi les Juifs lisent, mais sans comprendre le Christ ; la portée de leur vue ne va point jusqu’à la fin, parce que le voile qu’ils rencontrent leur dérobe la vue de la lumière intérieure. Vois ici le Christ sous un voile. Notre-Seigneur lui-même a dit : « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi car c’est de moi qu’il a écrit[246] ». Or, après que nos péchés nous sont remis, ainsi que nos impiétés, par la vertu de ce sacrifice du soir, nous passons au Seigneur, et le voile est levé : c’est pourquoi quand le Seigneur fut sur la croix, le voile du temple se déchira[247]. « Exaucez ma prière, toute chair doit venir à vous. Les discours des impies ont prévalu sur nous, et vous nous remettrez nos impiétés ».
7. « Bienheureux celui que vous avez élu et adopté[248] ». Qui donc est choisi par lui et adopté ? Qui est élu par notre Sauveur Jésus-Christ ? Ou bien lui-même en sa chair, en son humanité serait-il élu et adopté ? Alors ce langage s’adresserait à lui, comme Verbe de Dieu, qui était dès le commencement, ainsi que le dit l’Évangéliste : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu[249] » ; car il est aussi Fils de Dieu, Verbe de Dieu, dont il est dit encore : « Toutes choses ont été faites par lui, et rien n’a été fait sans lui » : en sorte que ce serait à lui, Fils de Dieu devenu prêtre pour nous, après avoir adopté une chair, que s’adresserait cette parole : « Bienheureux celui que vous avez élu et adopté », c’est-à-dire bienheureux l’homme dont vous vous êtes revêtu, qui a commencé dans le temps, qui est né d’une femme, le temple en quelque sorte de celui qui est toujours éternel, et qui a été éternellement. Ou plutôt le Christ aurait-il adopté quelque bienheureux, et alors on désignerait, non pas au pluriel, mais au singulier celui qu’il a adopté ? En effet, c’est un seul qu’il a adopté, car il n’adopte que l’unité. Il n’adopte ni les schismes, ni les hérésies, qui se divisent à l’infini ; il n’y a point la l’unité que l’on puisse adopter. Mais ceux qui demeurent dans l’union du Christ, et qui sont ses membres, ne font en quelque sorte qu’un seul homme, dont l’Apôtre a dit : « Jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité dans la connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’homme parfait, à la mesure de l’âge de la plénitude du Christ[250] ». Un seul homme est donc adopté, qui a pour chef le Christ : « Car le Christ est lui-même le chef de l’homme[251] ». C’est encore là « cet homme bienheureux qui n’est point allé dans les conseils des impies[252] », et le reste qu’on lit dans le Psaume : c’est lui qui est adopté. Mais il ne l’est pas à l’exclusion de nous ; car nous faisons partie de ses membres, nous sommes gouvernés par un même chef, nous vivons dans un même esprit, nous désirons tous la même patrie. Voyons donc si ce qui est dit du Christ, l’est aussi de nous, et nous concerne ; interrogeons nos consciences, et pénétrons cet amour ; si ce-t amour est faible et nouvellement éclos, car il a bien pu éclore dans quelque cœur, que celui-là arrache les épines qui croissent auprès, c’est-à-dire, les soucis du monde, de peur qu’ils ne viennent à s’accroître et à étouffer le germe sacré. « Bienheureux celui que vous avez élu et adopté ». Soyons en lui et nous serons adoptés à notre tour ; soyons en lui et nous serons élus.
8. Et que nous donnera-t-il ? « Cet élu », dit le Prophète, « habitera dans vos tabernacles ». Telle est la Jérusalem que chantent ceux qui commencent à sortir de Babylone : « Il habitera dans vos tabernacles ; nous serons comblés des biens de votre maison[253] ». Quels sont les biens de la maison de Dieu ? Mes frères, imaginons un palais bien riche, qui regorge de richesses, où tout soit en abondance, où brillent des vases d’or et d’argent, qui renferme de nombreux serviteurs, de grands troupeaux, beaucoup de chevaux ; un palais enfin qu’embellissent les peintures, les marbres, les lambris dorés, les colonnes, les galeries, les appartements divers ; voilà ce que l’on désire, mais lorsqu’on est encore dans la confusion de Babylone. Retranche tous ces désirs, habitant de Jérusalem, retranche tout cela ! Si tu désires le retour, que la captivité n’ait point de charmes pour toi. Es-tu sur le chemin du retour ? Ne regarde point en arrière, ne t’arrête pas en chemin. Il ne manque pas d’ennemis qui te vanteront la captivité, l’éloignement : que les discours des méchants ne prévalent plus sur toi. Soupire après la maison de Dieu, soupire après les biens de sa maison ; mais ne désire point ces biens que tu souhaites ordinairement dans ta demeure, ou dans celle de ton voisin, ou même dans celle de ton patron. Il est un autre bien qui est propre à la maison de Dieu. Qu’avons-nous besoin d’énumérer les biens de cette maison ? Qu’il nous les indique celui qui chante son retour de Babylone : « Nous serons comblés », dit-il, « des biens de votre maison ». Quels sont ces biens ? Nous avions élevé les désirs de notre cœur, jusqu’à l’or, l’argent, et ce qu’il y a de précieux : ne désirons rien de tout cela, c’est une charge plutôt qu’un soulagement. Méditons donc ici-bas ces biens de Jérusalem, ces biens de la maison du Seigneur, ces biens du temple du Seigneur ; car la maison du Seigneur est le temple même du Seigneur. « Nous serons comblés des biens de votre maison ; et votre saint temple est admirable à cause de la justice[254] ». Voilà les biens de la maison de Dieu. Le Prophète ne dit point : Votre saint temple est admirable dans ses colonnes, admirable dans ses marbres, admirable dans ses lambris dorés ; mais admirable à cause de la justice. Vos yeux extérieurs peuvent se fixer sur le marbre et l’or, mais c’est l’œil intérieur qui voit la beauté de la justice. Oui, dis-je, c’est à l’œil intérieur que l’éclat de la justice est visible. S’il n’y a rien de beau dans la justice, pourquoi aimer un vieillard juste ? Qu’y a-t-il dans son corps qui flatte le regard ? Des membres courbés, un front couvert de rides, une tète aux cheveux blancs, une faiblesse exhalant des plaintes continuelles. Mais ce vieillard décrépit n’ayant rien qui puisse plaire à tes yeux, charmera tes oreilles : par quelle mélodie ? par quel chant ? Si ses chants étaient beaux dans sa jeunesse, avec l’âge tout a disparu. Le son de sa parole aura peut-être des charmes pour toi, quand sa bouche dépouillée de ses dents ne laisse échapper que des sons incomplets ? Toutefois s’il est juste, s’il n’ambitionne pas le bien d’autrui, s’il trouve sur son bien une part pour le pauvre, s’il a de bons conseils, une réflexion sage, une foi pure, s’il est prêt à immoler ses membres débiles pour rendre témoignage à la vérité, beaucoup de martyrs étaient en effet des vieillards. D’où viendra notre amour pour lui, qu’y a-t-il en lui qui charme nos yeux ? Rien absolument. Il y a donc une beauté de justice, que voient les yeux de notre âme, qui nous porte à l’amour, à l’enthousiasme : voilà ce qui eut des charmes pour les hommes, dans ces martyrs dont les membres étaient déchirés par les bêtes. Mais alors que tout était souillé de sang, que les entrailles se répandaient sous les morsures des bêtes, n’était-ce point là une horreur pour les yeux ? Qu’y avait-il d’aimable, sinon que ces membres déchirés et hideux couvraient une beauté de justice parfaite. Tels sont les biens de la maison de Dieu, prépare-toi à t’en rassasier. Mais pour t’en rassasier en arrivant dans ce palais, il te faut en avoir faim et soif dans ton pèlerinage ici-bas : que ce soit donc là ta faim et ta soif, parce que tels sont les biens de Dieu. Écoute ce roi à qui l’on tient ce langage, qui est venu pour te ramener, qui s’est fait lui-même ta voie[255]. Que dit-il ? « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés[256] ». Le temple de Dieu est saint, admirable à cause de la justice. Et par le temple, mes frères, n’imaginez rien que vous-mêmes. Aimez la justice, et vous êtes le temple de Dieu.
9. « Exaucez-nous, ô Dieu notre Sauveur ». Il nous montre maintenant le Dieu qu’il invoque. Notre Sauveur est, à proprement parler, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous voyons plus clairement de qui le Prophète avait dit : « Toute chair doit aller à vous. Exaucez-nous, ô Dieu notre Sauveur ». Cet homme adopté peur le temple de Dieu, est multiple, et néanmoins unique. C’est dans la personne d’un seul qu’il a dit : « Ô Dieu, exaucez ma prière ». Et comme dans cet homme unique, il y en a plusieurs, il dit maintenant : « Exaucez-nous, ô Dieu notre Sauveur ». Écoute plus clairement que c’est de lui qu’il est question : « Exaucez-nous, ô Dieu, notre Sauveur, vous, l’espoir des confins de la terre et des îles lointaines ». Voilà pourquoi il est dit : « Toute chair doit venir à vous ». Elle vient de toutes parts. « Vous êtes l’espoir de tous les confins de la terre », non pas l’espérance d’un seul angle de terre, non pas l’espoir de la Judée seulement, non pas l’espoir de l’Afrique seule, non pas l’espoir de la Pannonie, non pas l’espoir de l’Orient ou de l’Occident mais « l’espoir de tous les confins de la terre et dans la mer bien loin » ; oui, des confins de la terre. « Et dans la mer au loin » : c’est au loin, parce que c’est dans la mer. La mer est ici la figure die ce monde, amer à cause de la salaison, troublé par les tempêtes, et où les hommes guidés par leurs convoitises coupables et dépravées, sont devenus des poissons se dévorant les uns les autres. Voyez cette mer dangereuse, cette onde amère, aux flots meurtriers ; voyez de quels hommes elle est remplie. Qui souhaite un héritage, autrement que par la mort d’un autre ? Qui convoite un gain, sinon au détriment d’un autre ? Combien veulent s’élever par la chute même des autres ? Combien encore désirent que les autres vendent leurs biens, afin de les acheter ? Quelle oppression mutuelle, comme on se dévore dès qu’on le peut ! Et quand un grand poisson en a dévoré un plus petit, il est à son tour dévoré par un plus grand encore. O poisson méchant, tu fais ta proie d’un plus petit, et tu deviens la proie d’un plus grand. Voilà ce qui arrive chaque jour et sous nos yeux : nous en sommes témoins, ayons-le en horreur. Gardons-nous d’en agir ainsi, mes frères, car c’est Dieu qui est l’espoir des confins de la terre. Et s’il n’était pas aussi – l’espérance, « au loin sur la mer », il ne dirait pas à ses disciples : « Je ferai de vous ; des pêcheurs d’hommes[257] ». Déjà pris au milieu de la mer dans les filets de la foi, réjouissons-nous d’y nager encore à travers ces filets ; car cette mer est houleuse encore, mais les filets dans lesquels nous sommes engagés seront tirés sur le rivage Ce rivage est le terme de la mer, et dès lors la fin du monde pour nous. Jusque-là, mes frères, vivons saintement dans ces filets ; ne les déchirons point pour sortir dehors. Beaucoup d’autres ont rompu ces filets, et ont fait des schismes et sont allés au-dehors. Ils ne pouvaient, disaient-ils, souffrir les poissons mauvais enfermés dans le filet ; et voilà qu’ils sont devenus pires encore que ceux qu’ils disaient n’avoir pu tolérer. Ces filets, en effet, ont pris de bons et de mauvais poissons ; car le Seigneur a dit : « Le royaume des cieux est semblable à un filet jeté dans la mer, et qui rassemble toutes sortes de poissons ; et lorsqu’il est plein on le retire, et, s’asseyant sur le rivage, on réunit les bons dans un vase, et on jette les mauvais il en sera ainsi », continue-t-il, « à la consommation des siècles ». Voilà qu’il nous montre le rivage, qu’il montre le terme de la mer. « Les anges viendront, et sépareront les mauvais du milieu des justes, et ils les jetteront dans la fournaise du feu : c’est là qu’il y aura pleur et grincement de dents[258] ». Courage donc, ô habitants de Jérusalem, qui êtes dans les filets, qui êtes les bons poissons ; tolérez les mauvais, mais ne brisez point les filets : « Ils vous retiennent dans la mer, mais ils ne vous retiendront plus au rivage. Celui qui est l’espérance des confins de la terre, est aussi l’espérance au loin sur la mer ». Or, comme c’est sur la mer, c’est au loin.
10. « Il prépare les montagnes dans sa puissance[259] » : non pas dans leur puissance. C’est lui en effet qui a préparé ces grands prédicateurs, qu’il appelle des montagnes ; humbles en eux-mêmes, ils sont élevés en lui. Il prépare donc les montagnes dans sa puissance. Et que dit une de ces montagnes ? « Nous avons reçu en nous-mêmes une réponse de mort, afin de ne point mettre notre confiance en nous-mêmes, mais en Dieu qui ressuscite les morts[260] ». Mettre sa confiance en soi-même, et ne point la mettre dans le Christ, c’est n’être point de ces montagnes qu’il prépare dans sa puissance. « C’est donc en sa puissance qu’il prépare les montagnes. Il se revêt de force ». Je comprends la force : Mais « se revêtir », qu’est-ce ? Ceux qui placent le Christ au milieu d’eux, l’environnent, c’est-à-dire qu’ils sont pour lui comme un vêtement. Nous l’avons tous communément, il est au milieu de nous : nous sommes pour lui un vêtement, nous tous qui croyons en lui ; et comme notre foi n’est point l’œuvre de nos forces, mais de sa puissance, il est donc « revêtu de sa force », mais non de notre vertu.
11. « C’est vous qui troublez le fond des mers[261] », Voilà ce qu’il a fait : son œuvre est visible. Il a préparé les montagnes dans sa puissance, et les a envoyées prêcher : il s’est environné de foi dans sa force, et la mer s’est troublée, le siècle s’est troublé, et s’est mis à persécuter les saints. « Environné de force, vous troublez le fond des mers ». Le prophète ne dit point : Vous troublez la mer, mais « le fond de la mer ». Ce fond de la mer c’est le cœur des impies. De même que c’est jar le fond que l’on bouleverse avec plus de violence, parce que le fond contient tout ainsi tout ce qui est l’œuvre de la langue, des mains, des puissances diverses, pour persécuter l’Église, vient du fond. Si la racine de l’iniquité n’était point dans le cœur, tout cela ne marcherait point contre le Christ. Il a troublé le fond, peut-être à dessein de l’épuiser : car en certains fléaux il a épuisé la mer jusqu’au fond, et en a fait un désert. C’est ce que dit un autre psaume : « Il a fait de la mer une terre sèche[262] ». Tous les impies et les païens qui ont embrassé la foi, étaient la mer, et sont devenus la terre : stériles d’abord à cause de l’eau salée, ils sont devenus fertiles en fruits de justice. « Vous troublez le fond des mers : et qui supportera le bruit de ses flots ? » Qu’est-ce à dire, « qui supportera ? » Quel homme supportera le bruit des flots, les injonctions des puissances du monde ? Mais d’où vient qu’on les supporte ? C’est qu’il a préparé les montagnes dans sa puissance. Pourquoi donc se demander qui les supportera ? Il veut dire : Par nous-mêmes nous ne pourrions supporter ces persécutions, si Dieu ne nous en donnait la force. « C’est vous qui troublez le fond de la mer : et qui supportera le bruit de ses flots ? »
12. « Les nations seront dans l’effroi[263] ». D’abord l’effroi pour les nations ; mais ces montagnes préparées dans la force du Christ, ont-elles été dans l’effroi ? La mer s’est troublée, elle s’est ruée contre ces montagnes ses lames ont été brisées, et les montagnes sont demeurées inébranlables. « Les nations seront dans le trouble, toutes en proie à la crainte ». Déjà la crainte s’est emparée de toutes ; ceux qui naguère étaient troublés, sont maintenant dans l’effroi. Les chrétiens, sans rien craindre, ont inspiré de la crainte. Ceux qui les persécutaient les redoutent. Car il a vaincu celui qui est environné de sa puissance ; et toute chair vient à lui, au point d’effrayer les obstinés sur leur petit nombre. « Et tous ceux qui habitent les confins de la terre, seront dans la crainte à cause de vos miracles »[264]. Car les Apôtres ont opéré des miracles qui ont jeté dans la crainte et amené à la foi les confins de la terre.
13. « Vous répandrez la joie sur nos démarches au matin et au soir[265] », c’est-à-dire : vous nous les rendrez agréables. Que nous est-il promis dès cette vie ? « Vous répandrez la joie sur les démarches du matin et du soir ». Nous marchons en effet le matin, comme nous marchons le soir. « Le matin » signifie la prospérité du siècle, et le soir » la tribulation du siècle, Que votre charité veuille bien le remarquer, l’une et l’autre servent d’épreuve à notre âme ; la corruption est l’écueil de la prospérité, comme l’abattement, de l’adversité. Aussi le matin est-il le symbole de la prospérité, parce que le matin a sa joie après les tristesses de la nuit. Mais les ténèbres sont tristes, alors que vient le soir : c’est pourquoi au soir du monde fut offert le sacrifice du soir. Gardons-nous donc de toute tristesse le soir, et de toute corruption le matin. Voilà je ne sais quel homme qui t’offre un bénéfice pour t’engager au mal, c’est là le matin ; une forte somme d’argent te sourit, c’est le matin pour toi. Garde-toi de toute corruption, et tu auras une heureuse issue. Or, si tu as une issue, tu ne seras point pris au piège. Cette promesse d’un gain est en effet un appât sur un piège : tu es embarrassé, tu ne trouves point d’issue ; tu es pris au piège. Or, le Seigneur ton Dieu t’a ouvert une issue pour échapper au piège du gain, alors qu’il dit dans son cœur : Je suis ton trésor. Ne t’arrête pas aux promesses du monde, tuais aux promesses du Créateur du monde : considère les promesses que fait le Seigneur, à tes œuvres de justice, méprise celles que te fait un homme pour te détourner de la justice et t’amener à l’injustice. Ne considère donc point les promesses du monde, mais celles du Créateur du monde ; et tu pourras au matin t’échapper par l’issue que t’ouvre cette parole du Seigneur : « Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il vient à perdre son âme[266] ? » Mais celui qui n’a pu te corrompre en te promettant de l’or, ni t’amener à l’iniquité, va recourir aux menaces, il va devenir ton ennemi, et te dire : Si tu n’agis selon mon gré, moi j’agirai, je t’en ferai repentir, tu auras en moi un ennemi. Quand il t’offrait un gain, c’était le matin pour toi ; maintenant que le soir est venu, tu es triste. Mais celui qui t’a donné une issue le matin t’en donnera une le soir encore. De même qu’au flambeau du Seigneur, lu as méprisé le matin du monde, que les souffrances du Seigneur te fassent aussi mépriser le soir, et dire à ton âme : Que peut me faire cet homme, que n’ait enduré pour moi mon Dieu ? Gardons la justice, et ne consentons pas à l’iniquité. Qu’il sévisse contre ma chair, le piège sera brisé, et je volerai vers mon Dieu, qui me dit : « Ne crains point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l’âme[267] ». Et même au sujet du corps il nous donne une garantie, en disant : « Il ne périra pas un cheveu de votre tête[268] ». Il donne ici cette magnifique image : « Vous mettrez la joie dans mes issues du matin et du soir ». Si ces démarches en effet n’ont pour vous aucun charme, il vous en coûtera peu de sortir de là. Tu donneras tête baissée dans le gain qui t’est promis, si tu goûtes peu les promesses du Sauveur. Et derechef, tu céderas à la tentation et à la crainte, si lu ne trouves tes délices dans les douleurs qu’il a le premier endurées, pour te ménager une issue. « Vous mettrez la joie dans nos démarches du matin et du soir ».
14. « Vous avez visité la terre et l’avez enivrée[269] ». Par où a-t-il enivré la terre ? « Quelle est la splendeur de votre calice qui enivre[270] ! Vous avez visité la terre et l’avez enivrée » : vous avez envoyé vos nuages qui ont épanché la rosée de la vérité, et la terre a été enivrée. « Vous avez multiplié ses richesses ». Par quel moyen avez-vous multiplié ses richesses ? « Le fleuve du Seigneur a été rempli d’eau ». Quel est ce fleuve de Dieu ? Le peuple de Dieu. Le premier peuple a été rempli de manière à arroser tout le reste de la terre. Écoute le Seigneur qui promet des eaux : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne et qu’il boive. Quiconque croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront de son sein[271] ». S’il y a des ruisseaux, il n’y a cependant qu’un fleuve ; parce que dans l’unité tous n’en forment qu’un seul. Il y a plusieurs Églises, et néanmoins une seule Église, plusieurs fidèles et une seule Épouse du Christ ; ainsi plusieurs écoulements ne forment qu’un seul fleuve. Beaucoup d’israélites embrassèrent la foi, et furent remplis de l’Esprit-Saint : puis ils se répandirent dans les nations et commencèrent à prêcher la vérité ; et ce fleuve de Dieu, qui a été rempli d’eau, arrosa toute la terre. « Vous avez ainsi préparé leur nourriture : parce que telle est votre préparation ». Ce n’est point parce qu’ils avaient bien mérité de vous, ceux à qui vous avez pardonné leurs péchés : leurs mérites étaient mauvais ; mais vous l’avez fait à cause de votre miséricorde : « Comme c’est ainsi que vous préparez, vous leur avez préparé leur nourriture ».
15. « Arrosez ses sillons ». Creusons d’abord des sillons qui seront ensuite arrosés que notre cœur trop dur s’ouvre au soc de la parole de Dieu. « Arrosez ses sillons, multipliez ses fruits ». Voilà ce que nous voyons ; les hommes croient, leur foi engendre d’autres croyants, et ces croyants d’autres croyants encore : il ne suffit point à l’homme d’être fidèle et de gagner l’unique nécessaire. Ainsi se multiplie la semence ; on jette quelques grains et des moissons surgissent. « Arrosez ses sillons, multipliez ses produits, et le germe tressaillera pénétré de ses rosées[272] » ; c’est-à-dire, avant peut-être qu’elle ne puisse recevoir toute l’eau du fleuve, « quand elle germera, elle tressaillera de sa rosée, ou de ce qui lui est convenable ». Aux enfants, en effet, ainsi qu’aux faibles, on ne donne qu’une faible rosée des mystères, parce qu’ils ne pourraient supporter la vérité dans sa plénitude. Écoutez quelle douce rosée est donnée aux enfants à leur naissance, ou quand, nouvellement nés, ils sont le moins coupables : « Je n’ai pu », dit l’Apôtre, « vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels, comme à des enfants en Jésus-Christ[273] ». Quand il dit : « Des enfants en Jésus-Christ », il parle d’enfants déjà nés, mais incapables de goûter cette abondante sagesse, dont il dit : « Nous prêchons la sagesse aux parfaits[274] ». Qu’il se réjouisse de ses gouttes de rosée, à sa naissance et pendant son accroissement ; devenu parfait, il prendra la nourriture de la sagesse : de même que l’on donne d’abord du lait à un enfant et qu’il devient capable de nourriture ; toutefois, c’est de cette nourriture, dont il était d’abord incapable, que s’est formé le lait. « Et quand elle germera, elle se réjouira de quelques gouttes de rosée ».
16. « Vous bénirez la couronne des années de votre bonté[275] ». C’est aujourd’hui le moment de semer, la semence croît, la moisson viendra ensuite. Et aujourd’hui, au milieu de ces semailles, l’ennemi est venu semer la zizanie ; et voilà que les méchants, les faux chrétiens, ont germé au milieu des bons ; ils leur ressemblaient par la tige, mais non par le fruit. On appelle zizanie ces plantes qui à leur naissance, ressemblent au froment, comme l’ivraie et la folle avoine et tant d’autres qui leur ressemblent dans leurs premières tiges. De là vient que le Seigneur parlait ainsi à propos de la zizanie répandue « Son ennemi vint et sema de la zizanie au milieu du froment ; or, après que l’herbe eut poussé et produit son fruit, la zizanie parut aussi. Donc c’est l’ennemi qui est venu semer la zizanie » : mais qu’a-t-il fait au froment ? Ce froment n’est pas étouffé par l’ivraie ; au contraire, on a laissé l’ivraie pour laisser croître le froment. Car le maître lui-même dit à quelques ouvriers qui voulaient arracher la zizanie : « Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, de peur qu’en voulant arracher la zizanie vous n’arrachiez aussi le froment ; mais au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs : Arrachez d’abord la zizanie, faites-en des gerbes pour les brûler ; mais amassez le froment dans mon grenier[276] ». Cette fin de l’année est la moisson du siècle. « Vous bénirez la couronne des années de votre bonté ». Lorsque tu entends couronne, cela signifie l’honneur de la victoire. Triomphe du démon, et tu seras couronné. « Vous bénirez la couronne des années de votre bonté ». Il nous remet encore la bonté de Dieu sous les yeux, afin que nul ne se glorifie de ses mérites.
17. « Et vos campagnes seront pleines de fécondité, les confins du désert s’engraisseront, et les collines auront une ceinture de joie[277] ». Les campagnes, les collines, les confins du désert, tout cela désigne les mêmes hommes. Dans les plaines tout est de niveau ; donc, à cause de ce niveau, les peuples justes sont comparés à des campagnes. Ce sont des collines à cause de leur élévation ; parce que Dieu élève jusqu’à sa sublimité ceux qui s’humilient. Les confins du désert désignent toutes les nations. Pourquoi confins du désert ? Elles étaient désertes, en effet, puisque nul prophète ne leur était envoyé ; elles étaient donc semblables au désert que nul homme ne traverse. Nulle parole de Dieu n’a été envoyée aux Gentils. Les prophètes n’ont prêché qu’au peuple d’Israël. Alors vint le Seigneur, le froment dont ce peuple d’Israël embrassa la foi. Car le Christ disait à ses disciples : « Vous dites que la moisson est encore éloignée ; levez les yeux, et voyez les campagnes qui blanchissent pour la moisson[278] ». Il y eut donc une première moisson, il y en aura une seconde à la fin des temps. La première moisson se composa de Juifs, parce que c’était à eux que les Prophètes étaient envoyés pour prêcher l’avènement du Sauveur. C’est pourquoi le Seigneur disait à ses disciples : « Voyez comme les campagnes blanchissent pour la moisson » : c’étaient les campagnes de la Judée. « D’autres », leur dit-il encore, « ont travaillé, et vous êtes entrés dans leurs travaux[279] ». Les prophètes ont travaillé pour semer, et vous, c’est avec la faux que vous entrez dans leurs labeurs. La première moisson est donc faite, et c’est de ce premier froment qui fut alors purifié, que l’on a ensemencé toute la terre, pour produire cette autre moisson que l’on doit recueillir à la fin des temps. Dans cette seconde moisson, il a été semé de l’ivraie, de là le travail actuel. De même que dans la première moisson les Prophètes travaillèrent jusqu’à l’arrivée du Sauveur : ainsi, dans cette seconde, ont travaillé les Apôtres, et travaillent tous les prédicateurs de la vérité, jusqu’à la fin des siècles, alors que le Seigneur enverra ses anges pour la récolte. C’était donc tout d’abord le désert, mais « les confins du désert se sont engraissés ». Voilà que dans les endroits où les Prophètes ne s’étaient pas fait entendre, on a reçu le Seigneur des Prophètes : « Les confins du désert s’engraisseront, et les collines auront une ceinture de joie ».
18. « Les béliers dans les troupeaux ont été environnés[280] » : il faut sous-entendre « de joie ». La joie qui faisait une ceinture aux collines, environnait aussi les béliers. Et ces béliers sont les mêmes que les collines. Collines à cause de la sublimité de la grâce ; béliers, comme chefs du bercail. Donc les béliers ou les Apôtres ont été environnés de joie, ils ont tressailli devant leurs moissons, ils n’ont pas travaillé en vain ni prêché inutilement. « Donc les chefs des troupeaux ont été environnés, et les vallées donneront des blés en abondance » ; et les peuples humbles parieront des fruits nombreux « Ils crieront », et à cause de ces cris ils produiront du froment en abondance. Que doivent-ils crier ? « Ils chanteront une hymne ». Autre chose est de crier contre Dieu, et autre de chanter une hymne ; autre de proférer des chants sacrilèges, autre de chanter les louanges de Dieu. Proférer le blasphème, c’est produire des épines ; chanter une hymne, c’est produire du froment.


DISCOURS SUR LE PSAUME 65 modifier

PRÊCHÉ À CARTHAGE. modifier

LA FOI EN LA RÉSURRECTION. modifier

Double erreur des Juifs qui ont attendu dans la résurrection les biens de la terre, et cru qu’ils ressusciteraient seuls. Jésus répond que nous serons alors comme des anges. C’est un bonheur que toute la terre doit chanter, chanter même extérieurement ou sur le psaltérion, afin que les hommes en soient édifiés. La grâce est pour tous, mais n’est point le salaire de nos mérites. De là cette crainte que doivent nous inspirer les œuvres de Dieu, qui donne la lumière aux humbles et aveugle les orgueilleux. Les Juifs ont été retranchés, et les Gentils insérés à leur place : de cette insertion Dieu retranche encore les hérétiques. Le mensonge de ses ennemis concourt à sa gloire. Mensonges d’accusation, mensonges contre la résurrection. Jésus triomphe en montant au ciel. Les Gentils qui étaient une mer sont devenus une terre sèche. Toute âme humble passe à pied sec le fleuve de la vie, pour s’épanouir en Jésus-Christ, qui est ici-bas notre espérance, qui sera notre force. Au rejeton d’Abraham, nous devons ce que nous sommes, il nous éclaire, nous maintient dans la vertu, nous soutient dans les épreuves, nous aide à supporter les hommes. C’est lui qui nous garantit du feu qui nous consumerait, de l’eau qui nous corromprait. Offrons-lui des holocaustes, c’est-à-dire que le feu ne laisse en nous rien de terrestre, des holocaustes intérieurs, par la charité, qui lui amèneront les bœufs et les boucs, les innocents et les coupables. Il fait à notre âme cette faveur, qu’il la tire du culte des idoles pour la tourner vers lui, qu’il nous détourne de l’iniquité, nous donne la prière, et par la prière la miséricorde.


1. Ce psaume a pour titre : « Pour la fin, chant du psaume de la résurrection[281] ». Lorsque dans l’énoncé d’un psaume vous entendez « pour la fin », comprenez : pour le Christ, d’après cette parole de l’Apôtre : « Le Christ est la fin de la loi, pour justifier ceux qui croiront[282] ». Vous allez donc entendre un chant de résurrection, et savoir qui ressuscite, autant qu’il voudra bien lui-même nous en donner l’intelligence. Nous autres, chrétiens, nous connaissons la résurrection qui s’est opérée dans notre chef, et qui aura lieu dans ses membres. « Le Christ est chef de l’Église, et l’Église forme les membres du Christ[283] ». Ce qui s’est tout d’abord accompli dans le chef, doit ensuite s’accomplir dans le corps. Telle est notre espérance voilà pourquoi nous croyons, voilà ce qui nous soutient, ce qui nous fait supporter la malice de ce monde, parce que l’espérance nous console, jusqu’à ce que l’espérance devienne réalité ; or, elle se réalisera quand nous ressusciterons, alors que devenus célestes nous serons semblables aux anges. Qui oserait l’espérer, si la vérité même ne l’avait promis ? Ces promesses, cette espérance, les Juifs les avaient aussi ; de là vient qu’ils se glorifiaient de leurs bonnes œuvres, comme des œuvres de justice, parce qu’ils avaient reçu la loi, et qu’en la prenant pour règle de vie, ils devaient posséder ici-bas des biens temporels, et à la résurrection des morts, acquérir ces mêmes biens qui faisaient leur joie ici-bas. Aussi les Juifs ne pouvaient-ils répondre aux Sadducéens, qui niaient la résurrection future, et qui leur proposaient la question qu’ils firent au Seigneur. Nous comprenons, en effet, par l’admiration que leur causa la solution du Seigneur, que cette question était pour eux insoluble. Les Sadducéens le questionnaient donc au sujet d’une femme qui avait eu sept maris, non pas simultanément, mais successivement. Pour favoriser l’accroissement du peuple, la loi ordonnait que si un homme venait à mourir sans enfants, son frère, s’il en avait, Épouserait sa veuve, afin de susciter des enfants à son frère[284]. Ils proposèrent donc une femme qui avait eu sept maris, tous morts sans enfants, et qui n’avaient Épouse cette veuve de leur frère, que pour accomplir ce devoir, et firent alors cette question : « A la résurrection, duquel des sept sera-t-elle la femme[285] ? » Assurément, cette question n’eût été pour les Juifs ni insoluble, ni même difficile, s’ils n’avaient pas espéré après la résurrection le même genre de biens qu’en cette vie. Mais le Seigneur en leur promettant d’être comme les anges, et non point dans la corruption d’une chair humaine, leur dit : « Vous êtes dans l’erreur, ne sachant ni les Écritures, ni la puissance de Dieu ; à la résurrection, les hommes n’auront point de femmes, ni les femmes de maris, ils ne seront plus assujettis à la mort, mais ils seront comme les anges de Dieu[286] ». Il leur montre qu’il y a besoin de succession, là seulement où il y a des décès à pleurer ; mais qu’il n’est plus besoin de successeurs quand il n’y a point de décès. C’est pour cela qu’il ajoute : ils ne seront plus assujettis à la mort. Toutefois, comme les Juifs croyaient à la résurrection future, quoique d’une manière charnelle, ils furent heureux de cette réponse faite aux Sadducéens, avec lesquels ils étaient en dispute au sujet de cette question captieuse et obscure. Donc les Juifs croyaient à la résurrection des morts ; et ils espéraient qu’eux seuls ressusciteraient pour la vie heureuse, à cause de l’œuvre de la loi, à cause de la justification des saintes Écritures, qu’ils possédaient seuls, à l’exclusion des Gentils. « Le Christ a été crucifié, l’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Église[287] » : ainsi dit l’Apôtre. Or, la résurrection fut promise aux Gentils, quand ils crurent à la résurrection de Jésus-Christ. De là vient que notre psaume combat cette orgueilleuse présomption des Juifs, et célèbre la foi des Gentils appelés à la même espérance de résurrection.
2. Voilà, mes Frères, eu quelque manière le sens du psaume. Arrêtez votre attention sur le peu que j’ai dit et que je viens d’exposer ; ne vous en laissez détourner par aucune autre pensée : le psaume contredit la présomption des Juifs, qui se basaient sur les justifications de la loi, et ont crucifié Jésus-Christ, lequel est ressuscité le premier, et les Juifs seront les seuls de ses membres qui ne ressusciteront point avec lui, mais tous ceux qui ont cru en lui, c’est-à-dire les Gentils. Voici comme il commence : « Sonnez de la trompette au Seigneur[288] » Qui sonnera ? « Toute la terre ». Donc la Judée ne sera point seule. Voyez, mes Frères, comme il est question de l’Église entière répandue dans l’univers ; et non seulement plaignez les Juifs, qui enviaient cette faveur aux Gentils, mais pleurez encore plus sur les hérétiques. Car s’il faut plaindre ceux qui ne sont point amenés au bercail, combien plus encore ceux qui n’y sont venus que pour en sortir ? « Que toute la terre donc sonne de la trompette au Seigneur ». Qu’est-ce à dire : « Sonnez de la trompette ? » Poussez des cris de joie, si les paroles vous manquent. Les paroles ne vont point dans la trompette, mais seulement les sons joyeux ; c’est le cœur qui déborde, qui jette sa joie au-dehors, avec de simples cris que nulle parole ne peut rendre. « Que toute la terre sonne de la trompette au Seigneur : que nul ne se fasse entendre sur une partie seulement. Non dis-je, que nul ne divise la terre ; que la terre entière soit dans la joie, que cette joie soit catholique. Dire catholique, c’est dire universelle : quiconque divise se sépare du tout ; il veut hurler, mais non sonner de la trompette. « Que la terre sonne de la trompette au Seigneur ».
3. « Chantez des psaumes en son nom[289] » Que veut dire le Prophète ? que les chants des psaumes soient une gloire pour son nom. Hier je vous ai dit ce que signifie chanter un psaume, et il me semble que votre charité s’en souvient. Chanter un psaume, c’est prendre une lyre appelée psaltérion, et mettre l’action de la main qui touche d’accord avec la voix. Si donc vous êtes dans la jubilation, que Dieu vous entende ; mais touchez votre harpe, afin que les hommes vous voient et vous entendent ; mais non pas en votre nom. « Gardez-vous, en effet, de faire vos œuvres de justice en présence des hommes, afin d’en être vu »[290]. Au nom de qui, me diras-tu, faut-il toucher de la harpe, afin que mes œuvres soient dérobées au regard des hommes ? Voyez dans un autre endroit : « Que vos œuvres aient de l’éclat aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes actions, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux[291]. Qu’ils voient vos bonnes actions et qu’ils glorifient », non pas vous, mais Dieu, Car si vous ne faites le bien que pour en tirer une certaine gloire, on vous fera la réponse que fit le Sauveur à propos de certains hommes de cette catégorie : « En vérité, je vous le déclare, ils ont reçu leur récompense » ; et encore : « Autrement vous n’aurez point de récompense de « votre Père qui est dans les cieux’ ». Donc, diras-tu, je dois cacher mes œuvres, et ne point les faire en présence des hommes ? Point du tout. Que dit en effet le Sauveur ? « Que vos œuvres aient de l’éclat en présence des hommes ». Je demeurerai donc dans l’incertitude. D’une part, vous me dites : « Gardez-vous de faire vos œuvres de justice devant les hommes » ; et d’autre part : « Que vos œuvres aient de l’éclat en présence des hommes »[292]. Quel précepte écouter ? que faire ? que laisser ? Il y a pour l’homme la même impossibilité de servir deux maîtres, qui donnent des ordres différents, que d’en servir un seul, dont les ordres sont différents aussi. Mais le Seigneur n’a point dit : Mes préceptes sont différents. Remarque bien la fin, et chante pour la même fin ; vois pour quelle fin tu dois agir. Si tu agis pour en tirer ta gloire, voilà ce que je défends ; mais si c’est pour la gloire de Dieu, voilà ce que j’ordonne. Chantez donc sur la harpe, non pas en votre nom, mais au nom du Seigneur votre Dieu. À vous le chant, à lui la louange ; à vous de vivre saintement, à lui d’en retirer la gloire. D’où vous vient le moyen de vivre saintement ? Si vous l’aviez de toute éternité, votre vie n’aurait jamais été coupable ; si vous l’aviez de vous-mêmes, votre vie n’aurait jamais manqué d’être sainte. « Chantez donc sur la lyre au nom du Seigneur ».
4. « Mettez votre gloire dans ses louanges[293] ». Le Prophète veut que toute notre volonté soit pour la gloire de Dieu, il ne nous laisse aucun sujet de nous louer nous-mêmes. Il n’en faut que plus nous glorifier et nous réjouir ; attachons-nous au Seigneur, et qu’en lui soit notre louange. Dans la lecture de l’Apôtre vous avez entendu : « Considérez votre vocation, mes Frères, vous trouverez parmi vous peu de sages selon la chair, peu de puissants et peu d’illustres ; mais Dieu a choisi ce qui est fou selon le monde, pour confondre les sages ; il a choisi ce qui est faible selon le monde, afin de confondre les forts ; il a choisi ce qu’il y a de plus vil, ce qui n’est rien comme ce qui est quelque chose, afin de détruire ce qui est[294] ». Qu’a-t-il voulu dire ? qu’a-t-il voulu montrer ? Notre-Seigneur Jésus-Christ qui est Dieu, est venu restaurer le genre humain, et donner sa grâce à tous ceux qui comprennent qu’elle est un don de lui, et non un mérite de leur part ; et pour que nul homme ne pût se glorifier selon la chair, il a choisi les infirmes. Car le mérite ne fit pas choisir Nathanaël lui-même. Que diras-tu, en effet ? Voilà Matthieu le Publicain, choisi sur son comptoir[295], et le Sauveur ne choisit point Nathanaël à qui néanmoins il rend témoignage en ces termes : « C’est là un vrai israélite, sans déguisements[296] ». On comprend alors que Nathanaël était savant dans la loi. Non pas que le Sauveur ne dût pas choisir des savants ; mais s’il les eût choisis tout d’abord, ils auraient attribué leur élection au mérite de leur doctrine ; la louange eût été pour leur science, et la louange de la grâce dans le Christ en eût souffert. Il lui rendit témoignage comme à un bon fidèle qui n’a pas de déguisement, et néanmoins il ne le mit pas au nombre de ses disciples, qu’il choisit d’abord parmi les illettrés. Et qu’est-ce qui nous fait comprendre qu’il était habile dans la loi ? Quand l’un de ceux qui avaient suivi le Seigneur lui dit : « Nous avons trouvé le « Messie, appelé le Christ » ; il demanda d’où il était, et comme on lui répondit : « De Nazareth » ; « il peut », dit-il à son tour, « venir quelque chose de bien de Nazareth ». Mais dès qu’il comprenait que de Nazareth pouvait venir quelque bien, il était habile dans la loi et avait examiné attentivement les Prophètes, Je sais que l’on donne à ces paroles une autre accentuation, mais qui n’est pas adoptée par les plus habiles, et d’après laquelle il aurait répondu avec un certain désespoir : « De Nazareth peut-il venir quelque bien ? » C’est-à-dire, est-ce bien possible ? et donnant à sa réponse l’accent du doute. Nous lisons ensuite : « Venez et voyez[297] ». Or, cette réponse : « Venez et voyez », peut convenir à chaque manière de parler. Si c’est le doute qui vous fasse dire : « De Nazareth peut-il venir quelque chose de bon ? » la réponse est : « Venez et voyez », puisque vous ne croyez point. Si vous dites affirmativement : « De Nazareth il peut venir quelque chose de bon » ; la réponse sera aussi : « Venez et voyez » combien est bon ce que je vous dis de Nazareth ; venez voir que vous avez raison de croire, faites-en l’expérience. On peut aussi conclure en faveur de son habileté dans la loi, de ce qu’il ne fut pas admis nu nombre des disciples par celui qui a choisi ce qu’il y a de faux selon le monde, alors que le Seigneur lui rendait ce témoignage : « Voilà un vrai israélite, sans déguisement ». Dieu choisit donc ensuite des orateurs ; mais ceux-ci eussent pu s’enorgueillir, s’il n’eût d’abord choisi des pêcheurs : il choisit des riches ; mais ils auraient cru que c’était en considération de leurs richesses, s’il n’avait d’abord choisi des pauvres ; il choisit ensuite des empereurs ; mais il était plus avantageux pour home de voir un empereur y faire son entrée en déposant son diadème, et en pleurant au souvenir d’un pêcheur, qu’un pêcheur pleurant au souvenir d’un empereur. « Dieu a choisi ce qu’il y a de faible selon le monde pour confondre ce qui est fort ; il a choisi ce qu’il y a de méprisable pour réduire au néant ce qui est, comme ce qui n’est point[298] ». Et quelle est la suite ? L’Apôtre conclut ainsi : « Afin que nulle chair ne se puisse glorifier devant Dieu[299] », Voyez comment il nous interdit la gloire pour nous donner la gloire ; il nous interdit la nôtre afin de nous donner la sienne ; il nous enlève de la gloire ce qui est futile, pour nous en donner la plénitude ; une gloire chancelante, pour nous donner la gloire solide. Combien donc notre gloire n’en est-elle pas plus forte et plus solide pour être en Dieu ? Ce n’est point alors en toi-même qu’il faut te glorifier, la vérité te le défend ; mais cette parole de l’Apôtre est le précepte de la vérité : « Que celui qui se glorifie, le fasse dans le Seigneur[300] ». N’imitez point les Juifs, qui voulaient attribuer leur justification en quelque sorte à leurs propres mérites, et portaient envie aux Gentils qui arrivaient à la grâce évangélique pour obtenir la rémission de tous leurs péchés ; comme si eux-mêmes n’avaient aucun pardon à obtenir ; comme s’ils ne devaient plus attendre que la récompense de leurs bonnes œuvres. Malades encore, ils se croyaient guéris, et leur maladie n’en était que plus dangereuse. Car si leur maladie eût été moindre, ils n’eussent pas dans leur délire tué le médecin. « Mettez votre gloire à le bénir ».
5. « Dites au Seigneur : Que vos œuvres sont redoutables[301] ! » Pourquoi redoutables, et non pas aimables ? Écoutez cette autre parole du psaume : « Servez le Seigneur avec crainte, et chantez ses louanges avec tremblement[302] ». Qu’est-ce que cela signifie ? Entendez la réponse de l’Apôtre : « Travaillez à votre salut », nous dit-il, « avec crainte et avec tremblement ». Pourquoi « avec crainte et tremblement ? » Il en donne la raison : « Car c’est Dieu qui, par sa volonté, opère en vous le vouloir et le faire[303] ». Si donc c’est Dieu qui agit en toi, tu ne fais le bien que par la grâce de Dieu, et non par tes propres forces. Donc, à ta joie unis la crainte ; de peur que Dieu n’enlève à ton orgueil ce qu’il a donné à ton humilité. Et afin que vous pussiez comprendre que tel fut pour les Juifs le sort de leur orgueil, eux qui se croyaient justifiés par les œuvres de la loi, et qui tombaient par là même, un autre psaume a dit : « Les uns comptent sur leurs chariots, les autres sur leur cavalerie », comme sur des degrés, sur des instruments d’élévation. « Mais nous », dit le Prophète, « nous nous glorifierons dans le nom du Seigneur notre Dieu. Ceux-là donc mettent leur confiance dans leurs chars et dans leurs coursiers ; mais nous, c’est dans le Seigneur notre Dieu que nous mettons notre gloire ». Vois comment les uns se glorifient d’eux-mêmes, et comment les autres ne s’exaltent qu’en Dieu. Aussi qu’est-il dit ensuite ? « Leurs pieds ont été garrottés, et ils sont tombés. Nous, au contraire, nous nous sommes relevés et redressés[304] ». Écoute le même langage de la part de Notre-Seigneur lui-même : « Je suis venu », dit-il, « afin d’éclairer ceux qui ne voient point, et d’ôter la vue à ceux qui voient[305] ». Considère d’une part la bonté, et d’autre part une certaine sévérité. Et pourtant, où trouver plus de bonté, plus de miséricorde, plus de justice ? Pourquoi dès lors « ceux qui ne voient point doivent-ils voir ? » À cause de cette bonté du Seigneur. Pourquoi aussi « ceux qui voient deviendront-ils aveugles ? » À cause de leur orgueil. Ils voyaient donc, en effet, et les voilà frappés de cécité ? Ils ne voyaient pas, en réalité, seulement ils croyaient voir. Voyez en effet, mes Frères, quand les Juifs disaient : « Sommes-nous donc des aveugles ? » le Seigneur répondit : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez point de péchés ; mais maintenant que vous dites : Nous voyons, votre péché demeure en vous[306] ». Tu viens au médecin et tu dis que tu vois ? Plus de collyres alors, tu demeureras aveugle ; avoue que tu es aveugle, et mérite ainsi devoir. Considère les Juifs et considère les Gentils. « Ceux qui ne voient point, verront, dit le Seigneur, et je suis venu pour que ceux qui voient soient frappés d’aveuglement ». Les Juifs voyaient Notre-Seigneur Jésus-Christ dans sa chair, les Gentils ne le voyaient point ; voilà que ceux qui l’ont vu l’ont crucifié, ceux qui ne l’ont point vu, ont cru en lui. Qu’avez-vous donc fait, ô Christ ? qu’avez-vous fait contre ces superbes ? Nous voyons par votre faveur, et nous sommes vos membres. Vous avez caché le Dieu, pour ne montrer que l’homme. Et pourquoi ? « Afin qu’une partie d’Israël tombât dans l’aveuglement et que la plénitude des nations entrât ». C’est pour cela que vous avez dérobé le Dieu à leurs regards, pour ne leur offrir que l’homme. Ils voyaient donc, et ne voyaient pas : ils voyaient ce que vous aviez emprunté, et non ce que vous étiez ; ils voyaient la forme de l’esclave, et non la forme de Dieu[307] : cette forme de l’esclave qui a fait dire : Mon Père est plus grand que moi[308], et non la forme de Dieu, au sujet de laquelle vous venez d’entendre : Mon « Père et moi sommes un[309] ». Ce qu’ils voyaient, ils l’ont saisi ; ce qu’ils voyaient ils l’ont crucifié. Ils ont insulté l’homme qu’ils voyaient sans connaître ce qu’il cachait. Écoute ces mots de l’Apôtre : « S’ils l’avaient connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire[310] ». Donc, ô Gentils qui êtes appelés, voyez les branches que Dieu a retranchées dans sa justice, et vous que sa bonté veut bien insérer, et devenus participants de l’olivier fécond, n’allez point vous élever ou vous enorgueillir. « Ce n’est point vous qui portez la racine, mais bien la racine qui vous porte ». Soyez plutôt dans l’effroi en voyant retrancher les branches naturelles. Car les Juifs sont les fils des Patriarches et enfants d’Abraham selon la chair. Que dit encore l’Apôtre ? « Mais, diras-tu, ces branches ont été retranchées afin que je fusse inséré à leur place. Il est vrai ; leur incrédulité les a fait retrancher ; mais toi, poursuit-il, qui es debout à cause de ta foi, ne cherche pas à t’élever, mais crains ; car, si Dieu n’a point épargné les branches naturelles, il ne t’épargnera pas non plus[311] ». Considère ces rameaux qui sont brisés, et toi inséré, loin de t’enorgueillir sur ces rameaux retranchés, dis plutôt à Dieu : « Combien vos œuvres sont redoutables, ô Dieu ! » Mes frères, si nous n’avons point à nous enorgueillir contre les Juifs retranchés du tronc des Patriarches, s’il nous faut plutôt craindre et dire à Dieu : « Combien vos œuvres sont redoutables ! » combien moins nous est-il permis de nous prévaloir contre les blessures de nouveaux retranchements ? Les Juifs ont été retranchés d’abord et les Gentils unis ; de cette insertion, les hérétiques ont été de nouveau retranchés ; mais gardons-nous de nous prévaloir contre eux, de peur qu’en insultant à ces malheureux retranchés, nous ne méritions de l’être à notre tour. Quel que soit l’évêque dont vous entendiez la voix, je vous en supplie, mes frères, vous tous qui êtes dans le sein de l’Église, gardez-vous de toute insulte contre ceux qui sont dehors ; mais plutôt priez pour eux, afin qu’ils rentrent à l’intérieur. « Car Dieu a la puissance de les enter de nouveau[312] ». C’est là ce que l’Apôtre a dit des Juifs, et qui s’est accompli en eux. Le Seigneur ressuscita, et beaucoup embrassèrent la foi : ils ne le connurent point en le crucifiant, et néanmoins plus tard ils crurent en lui, et un tel forfait leur fut pardonné. Le sang du Seigneur a été répandu et pardonné à des homicides, pour ne pas dire à des déicides : « Car s’ils eussent connu le Seigneur de la gloire, ils ne l’eussent jamais crucifié[313] ». Naguère donc, Dieu a pardonné aux homicides le sang innocent qu’ils avaient répandu ; ils ont bu par la grâce ce même sang versé par leur fureur. « Dites donc à Dieu : Combien vos œuvres sont redoutables ! » Pourquoi redoutables ? « Parce qu’une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât dans l’Église[314] ». O plénitude des nations, dites à Dieu : « Combien vos œuvres sont redoutables ! » Réjouissez-vous, mais avec tremblement, ne vous élevez point au-dessus des rameaux retranchés. « Dites à Dieu : Combien vos œuvres sont redoutables ! »
6. « Vos ennemis mentiront contre vous, à cause de votre puissance[315] ». Ils mentiront contre vous, de manière à grandir votre puissance. Qu’est-ce à dire ? Redoublez d’attention, mes frères. La puissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ s’est surtout manifestée dans la résurrection, d’où est venu le titre à notre psaume. Or, à sa résurrection il apparut à ses disciples[316]. Il n’apparut point à ses ennemis, mais à ses disciples. Tous le virent crucifié, les fidèles seuls le virent ressuscité afin que, dans la suite, celui-là crût qui en aurait la volonté, et que la résurrection fût promise à celui qui croirait. Beaucoup de saints ont fait des miracles, nul d’entre eux n’est ressuscité après sa mort : parce que ceux qu’ils ont ressuscités n’ont ressuscité que pour mourir encore. Que votre charité veuille bien le remarquer, Le Seigneur nous a dit en nous parlant de ses œuvres : « Croyez à mes œuvres, si vous ne voulez point croire en moi[317] ». Il faisait valoir aussi les anciennes merveilles des Prophètes, sinon les mêmes absolument, du moins les mêmes en grand nombre, émanant de la même puissance. Le Seigneur marcha sur la mer, et y fit marcher Pierre[318]. Le Seigneur n’était-il point là quand la mer ouvrit ses eaux, afin de livrer passage à Moïse et au peuple d’Israël[319] ? C’était le même Seigneur qui opérait ces merveilles. Il accomplissait les unes dans sa chair, les autres dans la chair de ses serviteurs. Toutefois, ce qu’il n’a point fait par l’entremise de ses serviteurs (car c’était lui qui opérait toutes ces merveilles), c’est que l’un d’eux mourût et revînt ensuite à la vie éternelle, Si donc les Juifs pouvaient dire, quand le Seigneur faisait des miracles : C’est ce que Moïse a fait aussi, ce qu’a fait Élie, ce qu’a fait Élisée : s’ils pouvaient s’attribuer de semblables miracles, car ces Prophètes ont ressuscité des morts, et tait de nombreuses merveilles : voilà que quand ils lui demandent un signe qui lui soit propre, il attire leur attention sur un miracle qui ne doit s’accomplir qu’en lui seul, et leur dit : « Cette génération mauvaise et adultère demande un signe, et il ne lui en sera point donné d’autre que celui du prophète Jonas. De même, en effet, que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, ainsi le Fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le sein de la terre[320] » Comment Jonas fut-il dans le ventre de la baleine ? N’est-ce point de manière à en sortir vivant ? Or, les enfers furent pour le Seigneur ce que la baleine fut pour Jonas. Voilà le miracle propre qu’il signale à l’attention, le principal miracle. Il y a plus de puissance à ressusciter après la mort qu’à ne point mourir. La merveille donc de la puissance du Seigneur, dans son humanité, resplendit dans le miracle de sa résurrection. Voilà ce que l’Apôtre nous signale en disant : « Non pas avec ma justice qui vient de la loi, mais avec celle qui vient de la foi en Jésus-Christ, qui est la justice que donne Dieu par la foi, afin de le connaître, ainsi que la puissance de sa résurrection[321] ». Voilà ce qu’il signale aussi en un autre endroit : « Quoique crucifié selon la faiblesse de la chair, il vit néanmoins par la puissance de Dieu[322] ». Si donc la puissance de Dieu se montre dans son éclat à la résurrection du Seigneur, qui forme le titre de notre psaume, quel est le sens de ces paroles : « Dans l’éclat de votre puissance, vos ennemis mentiront contre vous », sinon : vos ennemis mentiront jusqu’à vous crucifier, et vous serez crucifié pour ressusciter ? Donc leur mensonge fera éclater votre puissance dans toute son étendue. Pourquoi un ennemi ment-il ordinairement ? Afin de diminuer la puissance de celui qui est l’objet de son mensonge. Pour vous, dit le Prophète, c’est le contraire qui arrive. Votre puissance apparaîtrait moins, si ces hommes ne mentaient point contre vous.
7. Voyez même, dans l’Évangile, le mensonge des faux témoins, et considérez qu’il a pour sujet sa résurrection. Quand on demandait en effet au Sauveur : « Par quel signe nous montrez-vous que vous pouvez faire de telles choses[323] ? » en outre de ce qu’il avait dit au sujet de Jouas, il ajoute dans le même sens, mais sous une autre comparaison, afin de nous montrer que cette merveille tant signalée est particulière au Sauveur : « Détruisez », dit-il, « le temple de Dieu, et je le rétablirai en trois jours. Et ils répondirent : On a mis quarante-six ans à bâtir ce temple, et vous le relèverez en trois jours ? » Et l’Évangéliste, nous exposant le sens de ces paroles, ajoute « Or, il disait cela en parlant du temple de son corps[324] ». Donc, il promettait de montrer aux hommes sa puissance, dans cette chair qui lui suggérait la comparaison du temple, et qui était en effet le temple où se cachait sa divinité. Les Juifs ne voyaient alors que l’extérieur du temple, mais ne voyaient pas la divinité qui en habitait l’intérieur. Ces paroles fournirent aux faux témoins un mensonge qu’ils débitèrent contre lui, oui, ces mêmes paroles dans lesquelles il signalait sa résurrection future, en parlant du temple. Voici en effet ce que déposèrent contre lui les témoins, quand on leur demanda ce qu’ils avaient entendu dire : « Nous l’avons entendu qui disait : Je détruirai ce temple et le ressusciterai en trois jours[325] ». Ils avaient donc entendu : « Je le ressusciterai après trois jours ». Ils n’avaient pas entendu : « Je détruirai », mais bien : « Détruisez ». Ils changèrent un mot et quelques lettres, afin d’ourdir un faux témoignage. Mais, ô vanité de l’homme, ô infirmité de l’homme, à qui veux-tu changer une parole ? Tu changes une parole à la Parole incomparable ? Tu peux changer ta parole, mais peux-tu changer la parole de Dieu ? Aussi est-il dit ailleurs : « Et u l’iniquité s’est donnée à elle-même le démenti[326] ». Pourquoi donc, ô Seigneur, vos ennemis ont-ils menti contre vous, vous que chante la terre entière ? « Le mensonge de vos ennemis contre vous fera ressortir l’éclat de votre puissance ». Ils diront : Je détruirai, quand vous aurez dit : « Détruisez ? ». Pourquoi vous accusent-ils d’avoir dit : Je détruirai, et ne disent-ils point ce que vous avez dit : « Détruisez ? » Ils veulent, ce semble, se défendre en vain contre l’accusation d’avoir détruit le temple. Car si le Christ est mort quand il l’a voulu, c’est vous néanmoins qui l’avez tué. Nous vous l’accordons, ô imposteurs, c’est lui qui a détruit le temple. Car l’Apôtre a dit : « C’est lui qui m’a aimé et qui s’est livré à la mort pour moi[327] ». Il est dit du Père : « Qu’il n’a pas épargné son propre Fils, mais qu’il l’a livré pour nous tous[328] ». Si donc c’est le Père qui a livré son Fils, si c’est le Fils qui s’est livré lui-même, qu’a fait Judas ? Le Père, en livrant son Fils à la mort pour nous, a fait une bonne œuvre : le Christ, et se livrant lui-même pour nous, a fait une bonne œuvre : Judas, en livrant son Maître au profit de son avarice[329], a commis un crime. Car, le profit qui nous revient de la passion du Christ ne sera point attribué à la malice de Judas : Judas recevra le châtiment de sa trahison, et le Christ la louange de ses faveurs. Que lui-même ait détruit son temple, qu’il l’ait détruit, celui qui a dit : « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la reprendre : nul ne me l’ôte, mais je la donne de moi-même et de moi-même la reprends[330] ». Qu’il ait donc détruit son temple, c’est l’œuvre de sa grâce et de votre malice. « Selon l’étendue de votre puissance, vos ennemis mentiront contre vous ». Les voilà qui mentent, voilà que l’on croit en eux, vous voilà saisi, vous voilà crucifié, vous voilà insulté, voilà qu’ils branlent la tête : « S’il est Fils de Dieu, qu’il descende de la croix[331] ». Voilà que vous donnez votre vie à votre gré, que votre côté est ouvert par la lance[332], que les sacrements coulent de votre flanc sacré ; vous êtes déposé de la croix, enveloppé de linceuls, placé dans le sépulcre, des gardes aussi sont mis tout près, de peur que vos disciples ne vous enlèvent : l’heure de la résurrection arrive, la terre s’ébranle, les tombeaux s’ouvrent, votre résurrection est secrète, votre apparition manifeste. Où sont donc alors ces menteurs ? où est le faux témoignage de leur malice ? N’est-ce point pour faire éclater votre puissance qu’ils ont menti contre vous ?
8. Voyons aussi ces gardiens du sépulcre ; qu’ils racontent ce qu’ils ont vu ; qu’ils reçoivent de l’argent, et vendent leur mensonge : qu’ils parlent, ces pervers à qui d’autres pervers ont donné le mot d’ordre ; qu’ils parlent, les hommes corrompus par les Juifs, qui n’ont pas voulu être intègres avec le Christ ; qu’ils viennent parler et mentir à leur tour. Que diront-ils ? Parlez, et voyons ; mentez-vous aussi, pour faire éclater la grande puissance du Seigneur. Que direz-vous ? Quand nous étions endormis, les disciples sont venus et l’ont enlevé du sépulcre[333]. O folie ! ô véritable rêve ! Ou bien vous étiez éveillés, et vous avez dû défendre d’approcher ; ou bien vous dormiez, et vous ne savez ce qui est arrivé. Les voilà qui mentent comme des ennemis, le nombre des menteurs s’accroît, afin que s’accroisse encore le prix du mensonge. « Car c’est pour faire éclater votre puissance, que vos ennemis mentent contre vous ». Ils ont donc menti, ils ont menti, pour faire éclater votre puissance ; et vous avez apparu aux hommes véridiques à l’encontre des menteurs, et vous avez apparu a ces hommes véridiques, dont vous-même avez fait la véracité.
9. Aux Juifs de rester dans leurs mensonges ; à vous, parce qu’ils ont menti pour faire éclater votre puissance, à vous s’applique ce qui suit : « Que la terre entière vous adore et vous chante des psaumes ; qu’elle célèbre votre nom sur des guitares, ô Tout-Puissant[334] » ; naguère si humilié, maintenant « Tout-Puissant » ; humilié entre les mains de ses ennemis menteurs ; « Tout-Puissant », au-dessus des anges qui chantent sa gloire. « Que toute la terre vous adore et célèbre votre gloire, qu’elle chante votre nom sur des guitares, ô Tout-Puissant ».
10. « Venez et voyez les œuvres du Seigneur ». O nations, nations éloignées, laissez les Juifs dans leurs mensonges, venez avec des aveux. « Venez et voyez les œuvres du Seigneur : il est terrible dans ses desseins sur les enfants des hommes[335] ». Lui – même est appelé Fils de l’homme, et a été véritablement fait fils de l’homme ; vrai Fils de Dieu dans la forme de Dieu, vrai fils de l’homme dans la forme de l’esclave[336] ; mais ne jugez pas de cette forme de l’esclave, par la condition de ceux qui lui ressemblent : « Il est terrible dans ses desseins sur les enfants des hommes ». Voilà que, dans leurs trames, les enfants des hommes ont imaginé de crucifier le Christ, et ce crucifié a frappé d’aveuglement ceux qui le clouèrent sur la croix. Qu’avez-vous donc fait, ô enfants des hommes, en tramant de noirs complots contre votre Seigneur, en qui se dérobait la majesté pour ne laisser voir que l’infirmité ? Vous avez formé un dessein de perdition, lui d’aveuglement et de salut : d’aveuglement contre les superbes, de salut en faveur des humbles ; mais d’aveuglement contre les superbes, afin que cet aveuglement, les humiliât, que l’humilité leur fit confesser leurs fautes, que la confession les éclairât. « Vous êtes terrible dans vos desseins sur les enfants des hommes ». Vraiment terrible ! Voilà qu’une partie d’Israël tombe dans l’aveuglement voilà que les Juifs desquels est né le Christ sont dehors ; voilà que les Gentils, les adversaires des Juifs, sont à l’intérieur avec le Christ[337]. « Vous êtes terrible dans vos desseins sur les enfants des hommes ».
11. Aussi qu’a-t-il fait dans ce dessein redoutable ? Il a changé la mer en une terre sèche. C’est là ce que dit ensuite le Prophète : « Qui fait de la mer une terre sèche[338] ». Le monde était une mer qui avait l’amertume de la salaison, une mer troublée par la tempête, où bouillonnaient les flots de la persécution. Or, cette mer est tellement devenue une terre sèche, que le monde, naguère surchargé d’eau amère, a maintenant soif d’eau douce. Qui a fait ce changement ? « Celui qui change la mer en terre sèche ». Que dit maintenant l’âme de toutes les nations ? « Notre âme est pour vous comme une terre sans eau[339] ». C’est lui qui « change la mer en une terre sèche, et fait traverser le fleuve à pied sec ». Ceux-là mêmes qui étaient la mer sont devenus une terre sèche. « Ils passeront le fleuve à pied sec ». Qu’est-ce que le fleuve ? C’est tout ce qui meurt en cette vie, Voyez un fleuve ; un flot vient et passe, un autre lui succède pour passer encore. N’est-ce pas là dans un fleuve le jeu des eaux qui naissent de la terre pour s’écouler ? Quiconque est né sur la terre, devra céder sa place à celui qui naîtra : et cet ordre des choses qui passent constitue une espèce de fleuve. Mais que l’âme avide ne se jette point dans ce fleuve ; loin de s’y jeter, qu’elle se tienne sur les bords. Et comment traversera-t-elle ces charmes des choses passagères ? Qu’elle croie au Christ, et elle les traversera à pied sec : lui-même la guidera, elle passera à pied sec. Qu’est-ce à dire, passer à pied sec ? passer facilement Sans chercher un cheval pour passer, sans s’élever dans son orgueil pour traverser le fleuve : elle passera humblement et passera sûrement. « Ils passeront le fleuve à pied sec ».
12. « C’est là que nous nous réjouirons en lui ». Enfants d’Israël, vous vous glorifiez de vos œuvres : déposez cet orgueil qui vous porte à vous glorifier de vous-mêmes, et recevez la grâce de vous glorifier dans le Christ. C’est là que nous nous épanouirons, mais pas en nous-mêmes. « C’est là que nous nous réjouirons en lui ». Quand serons-nous dans cette allégresse ? Quand nous aurons passé le fleuve à pied sec. La vie éternelle nous, est promise, la résurrection nous est promise, et là notre chair ne passera plus ; elle passe maintenant qu’elle est sous l’empire de la mort. Voyez s’il est un âge qui se puisse tenir dans le même état. L’enfant veut croître, il ne sait pas que sa vie est un espace qui se rétrécit par la succession des années. Car l’accroissement ne multiplie point nos années, il nous les enlève au contraire ; de même que l’eau du fleuve ne marche qu’en s’écartant de la source. L’enfant veut croître pour échapper à la tutelle de ses parents : il croît et le temps passe vite, il arrive à l’adolescence ; que celui qui a dépassé les années enfantines s’en tienne à la jeunesse, s’il le peut ; elle-même fuit rapidement. Vient ensuite la vieillesse : faites qu’elle soit éternelle ; la mort y mettra fin. Donc toute chair qui naît forme un fleuve, Or, afin que la convoitise des choses d’ici-bas ne vienne point bouleverser ou précipiter encore ce courant, celui-là le passe facilement, qui le passe avec humilité, ou à pied, en prenant pour guide celui qui l’a passé le premier, qui jusqu’à la mort but en chemin l’eau du torrent, et pour cela leva la tête[340]. Si donc nous passons le fleuve à pied, c’est-à-dire si nous traversons sans regret cette vie mortelle qui s’écoule, nous nous réjouirons en lui. Mais en qui maintenant nous réjouissons-nous, si ce n’est en lui, ou dans l’espérance de le posséder ? Si donc nous avons quelque joie aujourd’hui, c’est la joie de l’espérance ; alors seulement nous nous réjouirons en lui. C’est en lui maintenant, mais par l’espérance : « Alors ce sera face à face[341] ».
13. « C’est là que nous nous réjouirons en lui ». En celui « qui règne éternellement, par sa vertu[342] ». Pour nous, quelle vertu avons-nous ? Est-elle éternelle ? Si notre vertu était éternelle, nous ne serions point déchus, ni tombés dans le péché, nous n’aurions point mérité d’être châtiés par la mort[343]. Il nous a donc adoptés celui dont notre faute nous avait séparés. « C’est lui qui règne éternellement par sa vertu ». Devenons ses cohéritiers, et nous serons forts en lui, mais lui l’est par sa propre vertu. Nous serons éclairés, et lui la lumière qui nous doit éclairer ; éloignés de lui nous ne sommes plus que ténèbres ; pour lui, il ne peut s’éloigner de lui-même. C’est sa flamme qui nous réchauffe ; loin de lui, il n’y avait que glace pour nous, près de lui sa flamme nous échauffe de nouveau. Disons-lui dès lors qu’il nous garde dans sa vertu, parce que nous trouverons notre joie dans celui « qui règne éternellement par sa propre vertu ».
14. Mais ces avantages, il ne les procure pas seulement aux Juifs qui arrivent à la foi. Comme les Juifs s’étaient beaucoup élevés en présumant de leur propre vertu, voilà que plus tard ils connurent quelle vertu leur avait donné une force salutaire, et plusieurs d’entre eux embrassèrent la foi ; or, cela ne suffit point au Christ ; le don qu’il nous a fait est grand, c’est un don précieux ; mais ce don qu’il nous a fait ne doit point s’arrêter aux Juifs seulement. « Ses regards s’arrêtent sur les nations. Donc il porte ses regards sur les nations[344] ». Que faisons-nous alors ? diront les Juifs eu murmurant : ils ont donc aussi ce que nous avons nous-mêmes ; à eux l’Évangile, comme à nous l’Évangile ; à eux la grâce de la résurrection, comme à nous la grâce de la résurrection ; à quoi nous sert que nous ayons reçu la loi, que nous ayons vécu dans les justifications de la loi, que nous ayons observé les préceptes de nos pères ? C’est donc inutilement ? Pour eux les mêmes faveurs que pour nous ! point de litige, point de contestation. « Que les rebelles ne s’exaltent point en eux-mêmes ». O chair misérable et corrompue, n’es-tu donc pas pécheresse ? Que profère donc ta langue ? Considère ta conscience. Tous ont péché, tous ont besoin de la grâce de Dieu[345]. Reconnais-toi donc, ô faiblesse humaine, tu n’as reçu la loi que pour transgresser la loi, car tu n’as ni gardé ni observé les préceptes que tu as reçus. Il ne t’est revenu de la loi que la prévarication, que tu as commise, et non la justification que la loi ordonne. Si donc le péché a abondé, pourquoi cette jalousie quand la grâce surabonde[346] ? Loin de toi les murmures : « Que les murmurateurs ne s’exaltent pas en eux-mêmes ». Cette parole : « Que les murmurateurs ne s’exaltent pas », semble d’abord une malédiction ; qu’ils s’élèvent au contraire, mais pas en eux-mêmes. Qu’ils s’humilient en eux-mêmes, qu’ils s’élèvent dans le Christ. « Car celui qui s’humilie sera élevé, et celui qui s’élève sera humilié[347] ». Que les rebelles ne s’élèvent pas en eux-mêmes ».
15. « Nations, bénissez notre Dieu[348] ». Voilà que Dieu a repoussé les murmurateurs et leur en a donné la raison : plusieurs se sont convertis, plusieurs sont demeurés dans leur orgueil. Ne les redoutez point, quand ils envient aux nations la grâce de l’Évangile voilà qu’est venu ce rejeton d’Abraham en qui sont bénies les nations[349]. Bénissez celui en qui vous êtes bénies. « Nations, bénissez le Seigneur notre Dieu écoutez chanter ses louanges ». Loin de vous louer vous-mêmes, c’est lui qu’il faut chanter. Pourquoi le louer ? parce que nous devons à sa grâce tout ce qu’il y a de bon en nous. « C’est lui qui a rendu la vie à mon âme[350] ». Telle est donc l’hymne de sa louange : « Il a rendu la vie à mon âme ». Elle était donc morte, et morte en toi. De là vient qu’il ne vous sied point de vous élever en vous-mêmes. Voilà que ton âme était morte en toi ; d’où lui viendra la vie, sinon de celui qui a dit : « Je suis la voie, la vérité et la vie[351] ? » Ainsi que l’a dit l’Apôtre à quelques fidèles : « Autrefois vous étiez ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur[352] ». Donc les ténèbres sont en vous et la lumière dans le Seigneur : en vous est la mort, dans le Seigneur la vie. « C’est lui qui a donné la vie à mon âme ». Le voilà qui domine la vie à notre âme, par la foi que nous avons en lui ; dans notre âme il met la vie : mais que nous faut-il faire, sinon persévérer jusqu’à la fin[353] ? Et qui nous le donnera, sinon celui dont il est dit ensuite : « Il n’a point laissé chanceler mes pieds ? » C’est donc lui qui rend la vie à mon âme, lui qui dirige mes pieds de peur qu’ils ne chancellent, qu’ils ne fléchissent et n’entraînent ma chute ; c’est lui qui nous fait vivre, qui nous fait persévérer jusqu’à la fin, pour que nous vivions éternellement. « Il n’a pas laissé mes pieds chanceler ».
16. Pourquoi dire, ô Prophète : « Il n’a point fait chanceler mes pieds ? » Qu’avez-vous donc enduré, ou qu’auriez-vous pu endurer, qui eût pu faire chanceler vos pieds ? Quoi ? Écoutez la suite. Pourquoi ai-je dit qu’ « il n’a point fait chanceler mes pieds ? » C’est que nous avons passé par des épreuves qui eussent fait chanceler nos pieds, si lui-même ne nous dirigeait et ne raffermissait nos pas. Qu’est-ce que cette épreuve ? « Vous nous avez éprouvés, ô Dieu ; vous nous avez fait passer par le feu comme on y fait passer l’argent[354] ». Ce n’est point comme la paille, mais comme l’argent, que vous nous avez fait passer par le feu : nous mettre au feu, ce n’était point nous mettre en cendres, mais laver nos souillures. « Vous nous avez donc mis au feu comme on y met l’argent ». Voyez comment Dieu sévit contre ceux dont il a fait vivre l’âme. « Vous nous avez poussés dans un piège » : non pour nous y prendre et nous donner la mort, mais pour nous en délivrer et nous donner l’expérience. « Vous avez mis les tribulations sur notre dos[355] ». Nous redresser mal, c’était nous enorgueillir ; nous redresser mal, c’était nous courber, afin que, courbés, nous pussions nous redresser parfaitement. « Vous avez mis les tribulations sur notre dos, vous avez élevé les hommes sur nos têtes[356] ». Voilà ce qu’a enduré l’Église dans les persécutions, dans ses persécutions nombreuses et de tous genres : voilà ce qu’elle a souffert en particulier, ce qu’elle endure encore maintenant. Car il n’est personne qui se puisse dire en cette vie exempte de tribulations, Des hommes donc s’élèvent sur nos têtes : nous sommes assujettis à ceux que nous ne voulons point, et souvent nous subissons des supérieurs que nous savons être plus coupables que nous. L’homme qui est sans faute est un homme bien supérieur ; plus ses fautes sont nombreuses au contraire, plus il est abaissé. Mais il nous est bon de nous considérer comme des pécheurs, et de supporter dès lors ceux qui sont placés sur nos têtes ; afin d’avouer par là au Seigneur, que nous souffrons justement. Pourquoi ne souffrir en effet qu’avec impatience ce que fait celui qui est juste ? « Vous avez mis sur notre dos les tribulations : vous avez imposé les hommes sur nos têtes »[357]. Dieu semble agir ainsi dam sa colère : demeure sans crainte, car il est un père, et ne sévit jamais afin de perdre. S’il t’épargne pendant que tu vis dans le désordre, il n’en est que plus irrité. Toutes ces tribulations ne sont que les fouets qui doivent te corriger, pour n’être pas l’arrêt de ton châtiment. « Vous avez mis les tribulations sur notre dos, vous avez élevé les hommes sur nos têtes ».
17. « Nous avons passé par le feu et par l’eau 1 ». Le feu et l’eau, voilà deux dangers pour cette vie. L’eau paraît éteindre le feu, et le feu paraît dessécher l’eau. Telles sont aussi les épreuves si fréquentes en cette vie. Le feu dessèche, l’eau corrompt : et nous avons à craindre le feu de la tribulation, comme l’eau de la corruption. Dans les angoisses, ce que le monde appelle malheur devient comme un feu ; dans la prospérité, l’abondance vient à couler, et c’est comme une eau, Garde-toi donc, et du feu qui te brûlerait, et de l’eau qui te corromprait. Tiens ferme contre le feu ; tu dois passer au feu, tu es jeté dans la fournaise comme un vase d’argile, afin d’être consolidé dans ta forme. Mais le vase, une fois consolidé par le feu, ne craint plus l’eau : et toutefois, s’il n’est solidifié par le feu, il se dissoudra dans l’eau comme une boue. Ne t’empresse donc point de te jeter dans l’eau ; passe par le feu pour aller à l’eau, afin de traverser l’eau. Aussi dans les sacrements, dans les catéchismes, dans les exorcismes, nous commençons par le feu. Et d’où viendrait en effet que les esprits immondes s’écrient : Je brûle, si ce n’est point là un feu ? Or, après les feux de l’exorcisme on arrive au baptême : de même que du feu à l’eau, et de l’eau au rafraîchissement. Ce qui a lieu dans les sacrements, a lieu aussi dans les épreuves de cette vie. Nous éprouvons tout d’abord la crainte, c’est là le feu après la crainte, il nous faut redouter la félicité du monde qui nous corromprait. Mais quand le feu ne t’a point fait rompre, et que dans l’eau, loin d’être submergé, tu as surnagé, la règle te fait arriver au repos, et ainsi tu passes par le leu et par l’eau pour arriver au rafraîchissement. Car ce que les sacrements renferment en signes, ce sont les choses qui doivent nous arriver dans la perfection de la vie éternelle. Or, quand nous serons arrivés à ce rafraîchissement, mes frères bien-aimés, nous n’aurons plus à craindre aucun ennemi, aucun tentateur, aucun jaloux, aucun feu, aucune eau ; ce sera un rafraîchissement continuel. Mais ce nom de rafraîchissement lui vient du repos. Dites que c’est une chaleur, c’est vrai ; dites que c’est un rafraîchissement, c’est vrai encore. En mauvaise part, le rafraîchissement arriverait à nous engourdir ici-bas. Mais là, il n’y a plus de torpeur, il n’y a que le repos ; ce que l’on appelle chaleur ne nous suffoquera point, ce sera une ferveur d’esprit. Considère cette chaleur dans un autre psaume : « Nul ne peut se dérober à sa flamme[358] ». Que dit encore l’Apôtre ? « Ayez la ferveur de l’esprit[359] ». Donc « nous avons passé par l’eau et par le feu ; et vous nous avez conduits au rafraîchissement. »
18. Considérez que si le Prophète ne se tait point au sujet du rafraîchissement, il ne se tait pas non plus au sujet du feu qu’il nous faut désirer : « J’entrerai dans votre maison avec des holocaustes[360] ». Qu’est-ce que l’holocauste ? Ce qui est brûlé totalement, mais par le feu divin. Car on appelle holocauste ce sacrifice dans lequel tout est brûlé. Autres sont en effet les sacrifices partiels et autre l’holocauste. Il y a holocauste quand tout est embrasé, tout est consumé par le feu divin ; s’il n’y en a qu’une partie, c’est le sacrifice. Tout holocauste est donc un sacrifice, mais tout sacrifice n’est pas un holocauste. Aussi cette promesse d’holocaustes vient-elle du corps du Christ, c’est le Christ qui parle dans son unité. « J’entrerai dans votre maison au u moyen des holocaustes[361] ». Que votre feu brûle tout ce qui est en moi, qu’il ne reste rien de moi, que tout soit à vous. C’est là ce qui doit arriver à la résurrection des justes, « quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, que ce corps mortel sera revêtu d’immortalité, alors arrivera ce qui est écrit : La mort est absorbée dans sa victoire[362] ». La victoire est comme un feu divin ; et comme elle doit absorber jusqu’à notre mort, c’est un holocauste. Rien de mortel ne demeurera dans notre chair, rien de coupable dans notre cœur ; tout ce qui est de la vie mortelle sera consumé, afin d’être consommé dans la vie éternelle ; tout alors sera donc holocauste.
19. Et qu’arrivera-t-il dans ces holocaustes ? « Je vous rendrai ces vœux dont mes lèvres ont fait la distinction[363] ». Quelle distinction entre des vœux ? Il y a cette distinction, que tu dois t’accuser, mais bénir Dieu ; comprendre que tu es créature, et lui créateur ; que tu es ténèbres, et lui la lumière ; que tu dois lui dire : « C’est à vous, Seigneur, d’allumer le flambeau qui m’éclaire ; à vous, ô mon Dieu, de dissiper mes ténèbres[364] ». Dire en effet, ô mon âme, que ta lumière vient de toi, c’est ne faire aucun discernement ; et sans discernement, il n’y aura dans tes vœux nulle distinction. Rends au Seigneur des vœux distincts, confesse que tu es mobile, et lui immuable ; confesse que tu n’es rien sans lui, et que lui au contraire sans toi est parfait ; que tu as besoin de lui, et qu’il n’a nul besoin de toi. Crie vers lui « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, et vous n’avez mini besoin de mes biens[365] ». T’agréer en holocauste, ce n’est pour lui ni croître, ni augmenter, ni s’enrichir, ni se perfectionner : ce qu’il fait pour toi, ce qu’il fait à ton sujet, est un profit pour toi, nullement pour lui. Par ce discernement, tu rends à Dieu les vœux dont tes lèvres ont tait la distinction. « Je vous rendrai les vœux qu’ont discernés mes lèvres ».
20. « Les vœux que ma bouche a proférés au jour de ma tribulation[366] ». Combien est douce parfois, combien est nécessaire la tribulation ! Qu’a proféré sa bouche dans sa détresse ? « Je vous offrirai des holocaustes de moelle[367] ». Qu’est-ce à dire : « De moelle ? » J’aurai pour vous un amour intérieur, non point superficiel ; mais cet amour pour vous sera dans la moelle de mes os, Rien en moi n’est plus intérieur que cette moelle ; les os sont plus à l’intérieur que la chair, et la moelle est plus intérieure encore que les os. Donc n’adorer Dieu qu’à l’extérieur, c’est chercher bien plus à plaire aux hommes ; c’est avoir d’autres sentiments intérieurs, et dès lors ne pas offrir des holocaustes de moelle : que Dieu voie la moelle, et il agrée l’homme tout entier. « Je vous offrirai des holocaustes de moelle, avec de l’encens et des béliers ». Ces béliers sont les chefs de l’Église ; et le corps du Christ parle ici tout entier : voilà ce qu’il offre à Dieu. Qu’est-ce que l’encens ? la prière. « Avec de l’encens et « des béliers. » Car les béliers prient sans cesse pour leurs troupeaux. « Je vous offrirai des bœufs et des boucs ». Nous voyons des bœufs fouler le grain, puis immolés à Dieu. À propos des prédicateurs de l’Évangile l’Apôtre nous a indiqué la manière de comprendre ce passage : « Vous ne lierez point la bouche au bœuf qui foule le grain. Est-ce « que Dieu se soucie des bœufs[368] ? » Ces béliers sont donc grands, ces bœufs sont grands. N’y a-t-il rien pour ces autres, qui sont peut-être coupables de quelques péchés, qui sont tombés peut-être en voyage, et dont la blessure est guérie par la pénitence ? Qu’ils se rassurent, le Prophète a dit aussi des boucs « Je vous offrirai des holocaustes de moelle, avec de l’encens et des béliers : je vous offrirai des bœufs et des boucs ». Cette addition sauve aussi les boucs ; par eux-mêmes ils ne pourraient être sauvés, mais unis aux bœufs, ils deviennent agréables. Ils se sont fait avec la monnaie de l’iniquité[369] des amis qui les ont reçus dans les tabernacles éternels. Ces boucs ne seront donc point à la gauche, puisqu’ils se sont fait des amis avec la monnaie de l’iniquité. Quels boucs seront à la gauche ? Ceux à qui il est dit : « J’ai eu faim, et vous ne m’avez point donné à manger[370] » ; et non ceux qui ont racheté leurs péchés par l’aumône.
21. « Venez, écoutez, vous tous qui craignez le Seigneur, et je vous raconterai[371] ». Allons, écoutons ce qu’il doit nous raconter, « Venez, écoutez, et je vous raconterai ». Mais à qui dit-il : « Venez et écoutez ? À vous tous qui craignez Dieu ». Si vous ne craignez point Dieu, je ne raconte point. Il n’y a rien à raconter où n’est pas la crainte de Dieu. Que la crainte de Dieu ouvre les oreilles, afin que ma narration trouve où entrer et par où entrer. Mais que raconterai-je ? « Ces grands biens que Dieu a faits à mon âme ». Le voilà qui veut raconter, mais que va-t-il raconter ? Les espaces de la terre, sa distance des cieux, le nombre des astres, et les phases du soleil et de la lune ? Ces créatures marchent dans l’ordre tracé ; et ceux qui les ont étudiées avec trop de curiosité n’en ont point connu le Créateur[372]. Voici donc ce qu’il faut écouter et retenir : « O vous qui craignez Dieu : le grand bien qu’il a fait à mon âme », et si vous le voulez, à la vôtre. « Le bien qu’il a fait à mon âme, ma bouche le crie vers lui »[373]. Et ce bien fait à son âme, c’est de pouvoir crier vers Dieu ; voilà ce bien qu’il préconise, comme fait à son âme. Voilà, mes frères, que nous étions païens, sinon en nous-mêmes, du moins en nos pères. Or, que dit l’Apôtre ? « Vous le savez, quand vous étiez païens, vous vous laissiez conduire à des idoles muettes[374] ». Que telle soit maintenant l’hymne de l’Église : « Quel grand bien il a fait à mon âme, ma bouche le crie vers lui ». Homme, je m’adressais à la pierre, je m’adressais à un bois sourd, je parlais à des simulacres sourds et muets ; mais l’image de Dieu s’est retournée vers son Créateur. « Moi qui disais au bois : « Tu es mon Père ; et à la pierre : Tu m’as engendré[375] » ; je dis maintenant : « Notre Père, qui êtes aux cieux »[376]. Ma bouche a crié vers lui : « Ma bouche », et non une bouche étrangère. Quand je criais vers la pierre, dans une vie pleine de vanité, à l’exemple de mes pères[377], je criais par une bouche étrangère quand j’ai crié vers le Seigneur, selon le don qu’il m’en a fait, l’inspiration qu’il m’a envoyée, « c’est par ma bouche que j’ai crié vers lui ; et sous ma langue je l’ai glorifié ». Qu’est-ce à dire : « J’ai crié vers lui, je l’ai glorifié sous ma langue ? » Je l’ai prêché en public, je l’ai confessé en secret. C’est que ma langue glorifie le Seigneur ; tu dois le glorifier sous ta langue, c’est-à-dire penser à l’intérieur ce que tu dis avec certitude. « Ma bouche a crié vers lui, et je l’ai glorifié sous ma langue ». Vois quelle intégrité intérieure il désire, celui qui offre des sacrifices de moelle, C’est là, mes frères, ce qu’il faut faire, ce qu’il faut imiter afin que vous puissiez dire : « Venez et voyez le grand bien qu’il a fait à mon âme ». Tout ce que raconte le Prophète est l’effet de la grâce de Dieu en notre âme. Voyez ce qu’il dit ensuite.
22. « Si dans mon cœur j’ai vu l’injustice, que le Seigneur ne m’exauce point[378] ». Voyez, mes frères, combien facilement, combien journellement les hommes accusent en rougissant les iniquités des autres hommes il a mal agi, agi en fripon, c’est un homme criminel. C’est, là sans doute ce que l’on dit au sujet des hommes. Mais considère si dans ton cœur tu ne vois point l’injustice, de peur de méditer intérieurement ce que tu blâmes dans un autre, et de crier contre lui, non parce qu’il est coupable, mais parce qu’il, est surpris. Reviens à toi, et sois ton juge intérieurement. Dans le secret de ton intérieur, dans la veine intime de ton cœur, où tu es seul avec celui qui te voit, prends à dégoût ton iniquité, afin de plaire à Dieu. Garde-toi d’avoir pour elle un regard de complaisance ou d’amour, mais plutôt un regard de dédain et de mépris, jusqu’à t’en séparer. Et la joie qu’elle t’a promise pour t’entraîner au péché, et les menaces lugubres qu’elle t’a faites, pour te jeter dans les forfaits, tout cela n’est rien, tout cela doit passer : tout cela doit être méprisé, foulé aux pieds, et non pris en considération pour être accepté. Souvent elle s’insinue par la pensée, souvent encore par les conversations des méchants. « Les mauvais entretiens corrompent les bonnes mœurs pour toi, ne te laisse point séduire[379] ». C’est peu d’en détourner les yeux, peu encore de n’en point parler : ne les regarde point du cœur, c’est-à-dire, n’aie pour eux ni inclinaison, ni consentement. Journellement nous prenons le regard pour l’affection ; ainsi nous disons de Dieu : Il m’a regardé. Qu’est-ce à dire : Il m’a regardé ? Avant cela ne te voyait-il donc point ? Ou ses regards, dirigés en haut, ont-ils dû s’abaisser sur toi, provoqués par tes supplications ? Il te voyait, même auparavant ; mais dire : Il m’a regardé, c’est dire : Il m’a aimé. À un homme qui te voit, et dont tu implores la pitié, tu dis : Faites attention à moi. Il te voit cependant, et tu lui dis : Regardez-moi. Qu’est-ce à dire : Regardez-moi ? Accordez-moi votre amour, votre attention, votre pitié. Quand donc le Prophète nous dit : « Si j’ai envisagé l’iniquité dans mon cœur », ce n’est point qu’il n’y ait dans le cœur humain aucune suggestion criminelle. Il y a toujours suggestion, et suggestion incessante ; mais que le regard ne s’y repose point. Regarder l’iniquité, c’est regarder en arrière ; c’est encourir la sentence du Seigneur qui dit dans l’Évangile : « Nul n’est propre au royaume de Dieu, s’il regarde en arrière en mettant les mains à la charrue[380] ». Que me faut-il donc faire ? Ce que nous dit l’Apôtre : « J’oublie ce qui est en arrière, pour m’étendre vers ce qui est en avant[381] ». Tout notre passé qui est derrière, est une iniquité. Nul n’est bon avant de venir au Christ ; tous ont péché, et sont justifiés par la foi[382]. La justice ne sera parfaite que dans cette vie, mais c’est lui qui nous inspire les bonnes mœurs, pour y arriver, lui qui nous en fait don. Loin de toi donc, oh ! loin de toi, de compter sur tes mérites. Et quand l’iniquité te sera suggérée, loin de toi d’y consentir. Que dit en effet le Prophète ? « Si dans mon cœur j’ai vu complaisamment l’iniquité, que le Seigneur ne m’exauce point ».
23. « Si le Seigneur m’a écouté », c’est que je n’ai point regardé l’iniquité dans mon cœur. « Et il a écouté la voix de ma prière[383] ».
24. « Béni soit mon Dieu, qui n’a point rejeté ma prière, ni éloigné de moi sa miséricorde[384] ». Il continue dans le même sens, depuis l’endroit où il dit : « Venez, entendez, et je vous raconterai, à vous tous qui craignez le Seigneur, combien il a fait pour mon âme[385] ». Vous avez entendu ses paroles, et il conclut enfin : « Béni soit mon Dieu, qui n’a point rejeté ma prière, ni détourné de moi sa miséricorde ». C’est ainsi que l’interlocuteur arrive à la résurrection, où nous sommes déjà en espérance : bien plus, en réalité ; car ces paroles sont les nôtres. Tant que dure notre séjour ici-bas, supplions le Seigneur de ne point rejeter notre prière, de n’éloigner point de nous sa miséricorde ; c’est-à-dire, de nous accorder la persévérance dans la prière et de persévérer lui-même à nous prendre en pitié. Plusieurs ne prient qu’avec nonchalance, dans la phase de leur conversion : ils ont d’abord de la ferveur, puis vient la nonchalance, puis la froideur, puis la négligence : ils se croient en sûreté. L’ennemi veille : et loi, tu dors. Le Seigneur nous prescrit dans l’Évangile « de toujours prier, de ne point nous lasser ». Il apporte en exemple ce juge d’iniquité, qui ne craignait point Dieu, n’avait aucun respect pour les hommes, et qu’importunait cette veuve qui chaque jour le suppliait de l’entendre : il cède à l’ennui, lui que la pitié ne fléchissait point ; et ce juge inique se dit en lui-même : « Quoique je ne craigne point Dieu, et que je m’inquiète peu des hommes, cependant, parce que cette veuve m’importune tous les jours, j’entendrai sa cause et lui ferai justice. Or, le Seigneur ajoute : Si un juge d’iniquité en agit de la sorte, votre Père ne vengera-t-il pas ses élus, qui crient à lui jour et nuit ? Assurément, vous dis-je, il leur fera promptement justice[386] ». Ne cessons donc point de prier. Un retard dans ce qu’il doit nous accorder, n’est pas un refus : certains de sa promesse, ne cessons de prier, et ceci est encore un de ses bienfaits. Aussi a-t-il dit : « Béni soit mon Dieu qui n’a point éloigné de moi ma prière et sa miséricorde ». Tant que la prière ne sera pas loin de tes lèvres, sois en sûreté, parce que sa miséricorde n’est pas loin de toi.

DISCOURS SUR LE PSAUME 66 modifier

SERMON AU PEUPLE. modifier

LA BÉNÉDICTION DE DIEU. modifier

C’est le Seigneur qui nous bénit, parce qu’il nous cultive et qu’il habite en nous ; parce que, si nous travaillons avec lui par la grâce, c’est lui seul qui donne l’accroissement. C’est à lui que nous devons demander la bénédiction. Mais pour nous bénir, nous donnera-t-il les biens de la terre ? C’est là une bénédiction qui ne vient que de lui, et toutefois il les donne aux bons et aux méchants ne le servons donc point pour les obtenir, ne pleurons point s’ils nous sont enlevés, le donateur nous reste. Le chrétien travaille au grand jour comme la fourmi, et comme elle, jouit invisiblement. La bénédiction de Dieu, c’est sa lumière qui fera resplendir en nous son image, c’est la voie de Dieu ou Jésus-Christ béni chez tous les peuples. C’est là le salut. Nous chanterons alors le cantique de l’homme nouveau ; il ne restera rien du vieil homme. La terre donnera d’heureux fruits, ou des cohéritiers du Christ. Appelons son avènement et son règne.


1. Dans les deux psaumes que nous avons exposés naguère, votre charité s’en souvient, nous avons exhorté notre âme à bénir le Seigneur, et nos chants pieux ont répété « O mon âme, bénis le Seigneur[387] ». De même que dans ces psaumes nous avons engagé notre âme à bénir le Seigneur, de même en celui-ci nous devons dire : « Que Dieu nous prenne en pitié et qu’il nous bénisse[388] ». Que notre âme bénisse le Seigneur et que le Seigneur nous bénisse. Que nous bénissions le Seigneur, nous grandissons ; qu’il nous bénisse, nous grandissons encore : l’un et l’autre nous sont utiles. Nos bénédictions n’ajoutent rien à sa majesté, nos malédictions n’y dérogent en rien. Maudire le Seigneur, c’est se ravaler soi-même ; le bénir, c’est s’élever soi-même. C’est le Seigneur qui nous bénit le premier, il est juste que nous le bénissions ensuite. L’une de ces bénédictions est la pluie, l’autre la récolte. Elle est donc dévolue à Dieu qui nous donne la rosée et la culture, comme la récolte au laboureur. Ainsi chantons ses louanges, non point avec une dévotion stérile, non point d’une voix sans portée, mais dans la sincérité du cœur. Dieu est en effet appelé cultivateur[389]. L’Apôtre a dit : « Vous êtes le champ que Dieu cultive, l’édifice qu’il bâtit[390] ». Dans les choses visibles de ce monde, la vigne n’est pas un édifice, ni l’édifice une vigne ; quant à nous, nous sommes la vigne du Seigneur, parce qu’il nous cultive pour nous faire produire ; nous sommes l’édifice de Dieu, parce qu’en nous cultivant il habite en nous. Que dit en effet le même apôtre ? « J’ai planté, Apollo a arrosé, Dieu a donné l’accroissement. Donc celui qui plante n’est rien, non plus que celui qui arrose, mais Dieu, qui donne l’accroissement[391] ». C’est donc lui qui fait croître. Mais les autres sont-ils les agriculteurs ? Car on appelle agriculteur celui qui plante, celui qui arrose ; or, l’Apôtre a dit : « J’ai planté, Apollo a arrosé ». Demandons comment l’Apôtre l’a fait. Il répond : « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi[392] ». Quelque part que tu ailles, soit du côté des anges, c’est Dieu qui te cultive ; soit du côté des Prophètes, c’est Dieu qui te cultive ; soit du côté des Apôtres, je vois encore que c’est lui qui te cultive. Mais nous, que sommes-nous donc ? Peut-être les ouvriers de ce cultivateur, et cela par les forces qu’il nous a départies, par la grâce dont il nous a fait don. C’est donc lui qui nous cultive, lui qui nous donne l’accroissement. Mais tous les soins du vigneron pour sa vigne, se bornent à la bêcher, à la tailler, et aux autres travaux de la culture ; quant à faire pleuvoir sur sa vigne, il ne le saurait. S’il peut quelquefois l’arroser, avec quoi le peut-il ? 2 conduira bien l’eau dans la rigole, mais c’est Dieu qui donne la source d’eau. Enfin, dans sa vigne, il ne peut faire croître le sarment, il ne peut former du fruit, il ne peut modifier les espèces, il ne peut changer le temps de la germination. Mais Dieu qui peut tout est notre agriculteur, et nous sommes en sûreté. Quelqu’un objectera peut-être : Vous dites que c’est Dieu qui nous cultive ; et moi je soutiens que les Apôtres sont aussi des agriculteurs, eux qui ont dit : « J’ai planté, Apollo a arrosé ». Si je parle de moi-même, qu’on ne me croie point ; si c’est le Christ, malheur à quiconque refuse de le croire ! Que dit donc Notre-Seigneur Jésus-Christ ? « Je suis la vigne, et vous les branches, mon Père est le vigneron[393] ». Que la terre soit donc aride, et qu’elle crie à la soif ; car il est écrit : « Mon âme, sans vous, est comme une terre sans eau[394] ». Que notre terre, qui est nous-mêmes, soupire donc après la pluie, et dise : « Que le Seigneur nous prenne en pitié, et qu’il nous bénisse ».
2. « Qu’il fasse resplendir son visage sur nous et qu’il nous bénisse[395] ». On demandera peut-être ce que c’est que « nous bénir ». L’homme souhaite que Dieu le bénisse en bien des manières : celui-ci demande pour bénédiction que le Seigneur comble sa maison des biens nécessaires à cette vie ; celui-là voudrait pour bénédiction l’exemption de toute maladie corporelle ; cet autre, malade peut-être, demandera que Dieu le bénisse en lui rendant la santé ; un autre encore désire des enfants, et dans son chagrin de n’en voir point naître, voudrait pour bénédiction une postérité. Qui peut énumérer toutes les manières dont les hommes voudraient obtenir de Dieu ses bénédictions ? Et qui de nous peut dire que ce n’est point par une bénédiction de Dieu que la campagne donne des récoltes, qu’une maison regorge de richesses temporelles, que nous possédons une santé corporelle inaltérable, ou que nous la recouvrons après l’avoir perdue ? La fécondité des Épouses, les vœux chastes de ceux qui désirent des enfants, qui en est le maître, sinon le Seigneur notre Dieu ? Lui qui a créé quand rien n’était, maintient son œuvre par les générations successives. Telle est l’œuvre de Dieu, le don de Dieu. C’est peu pour nous de dire : Voilà l’œuvre de Dieu, le don de Dieu ; mais lui seul fait ces œuvres et ces dons. Peut-on dire, en effet, que Dieu fait ces œuvres, et qu’un autre sans être Dieu les fait aussi ? C’est Dieu qui les fait, et qui les fait seul. C’est donc vainement qu’on le demande, soit aux hommes, soit aux démons ; tout ce que reçoivent les ennemis de Dieu, ils le reçoivent de lui ; et quand ils l’obtiennent après l’avoir demandé à d’autres, c’est de lui qu’ils l’obtiennent sans le savoir, De même que, s’ils sont châtiés, et qu’ils attribuent à d’autres ces châtiments, c’est par lui qu’ils sont châtiés à leur insu : de même s’ils se fortifient, s’ils sont rassasiés, sauvés, délivrés, et que dans leur ignorance ils l’attribuent aux hommes, aux démons ou aux anges : ceux-ci ne peuvent rien que par celui qui a tout pouvoir. Si nous parlons ainsi mes frères, c’est afin que, si nous désirons parfois les biens de la terre, ou pour subvenir à nos besoins, ou même à cause de notre faiblesse, nous ne les demandions qu’à celui qui est la source de tout bien, le créateur elle réparateur de toutes choses.
3. Mais il y a certains dons que Dieu fait même à ses ennemis, d’autres qu’il ne réserve qu’à ses amis. Quels sont les dons qu’il fait à ses ennemis ? Ceux que je viens d’énumérer. Les bons, en effet, ne sont point seuls pour avoir des maisons qui regorgent des biens de la terre, ils ne sont point seuls pour avoir la santé, pour sortir de maladie, pour avoir des enfants, ni seuls pour avoir de l’argent, et tout le reste qui est nécessaire pour cette vie du temps qui doit passer : les méchants possèdent tout cela, souvent même les bons ne l’ont point ; mais souvent encore les méchants en éprouvent la disette, et parfois plus que les bons ; parfois les bons plus que les méchants. Dieu a donc voulu que ces biens du temps fussent mêlés ; s’il ne les donnait qu’aux bons seulement, les méchants croiraient que c’est pour ce motif qu’il faut adorer Dieu ; et s’il ne les donnait qu’aux méchants, ceux des bons qui sont faibles craindraient d’en être privés. Notre âme est en effet bien faible, et peu disposée au règne de Dieu, et Dieu qui nous cultive doit la nourrir. Tel arbre en effet qui peut braver les tempêtes, n’est sorti de terre que comme une herbe chétive. Ce vigneron divin sait donc bien tailler et émonder les arbres robustes j ainsi que donner des tuteurs à ceux qui sont nouvellement nés. Aussi, mes bien-aimés, comme je vous le disais tout à l’heure, si les biens n’étaient l’apanage que des bons seulement, tous se convertiraient à Dieu afin de les posséder ; et s’ils n’étaient l’apanage que des méchants, les faibles craindraient que leur conversion ne les privât de ce qui serait aux méchants seuls. Dieu les a donc donnés saris distinction aux bons et aux méchants. Au contraire, que les bons seuls soient privés de ces biens, et les faibles craindront alors de se convertir au Seigneur ; et s’il n’y a que les méchants pour en être privés, on ne verrait de peine que dans le châtiment des méchants. Donc, si Dieu les accorde aux bons, c’est pour les consoler dans leur pèlerinage ; s’il les accorde aux méchants, c’est pour avertir les bons de désirer d’autres biens qui ne leur seraient pas communs avec les méchants. Il les enlève ensuite aux bons quand il lui plaît, afin qu’ils sondent leurs forces ; et qu’ils sachent, eux qui l’ignoraient jusque-là, s’ils peuvent dire : « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté : ainsi qu’il a plu au Seigneur, il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni[396] ». Voilà une âme qui bénit le Seigneur, qui a produit des fruits, fertilisée qu’elle était par la rosée des bénédictions : « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté ». Il a soustrait les dons, mais non le donateur. Toute âme simple et bénie, qui ne s’attache pas aux choses de la terre, qui ne se traîne point avec des ailes embarrassées par la glu, mais dont les deux ailes reflètent l’éclat des vertus dans la double émeraude de la charité, s’élève en liberté dans les airs ; elle se voit enlever ce qu’elle foulait, sans s’y reposer aucunement, et dit avec sécurité : « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté : ainsi qu’il a plu au Seigneur, il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni ». Il a donné, il a ôté : celui qui a donné subsiste, et il ôte ce qu’il a donné que son nom soit béni. C’est donc pour cela que ces biens sont parfois étés aux bons. Mais qu’un homme faible ne vienne point nous dire : Quand pourrai-je avoir toute la force du saint homme Job ? Tu admires la force de l’arbre, parce que tu es nouvellement né ; et ce grand arbre, dont tu admires la force, ne fut qu’un roseau, sans celui qui te couvre de ses branches et de son ombre. Craindrais-tu que ces biens ne te soient enlevés, parce que tu es bon ? Remarque alors qu’ils sont enlevés aussi bien aux méchants. Pourquoi donc retarder ta conversion ? Ce que tu crains de perdre en devenant bon, tu le perdras peut-être en demeurant mauvais. Si tu les perds étant vertueux, tu as pour consolateur celui qui te les a ôtés ; ta cassette sera sans or, mais ton cœur plein de foi : pauvre au-dehors, tu seras riche à l’intérieur ; tu porteras avec toi des richesses que nul ne pourra t’enlever, dusses-tu échapper nu au naufrage. Si donc, dans ton impiété, tu es exposé à quelque perte, pourquoi celte perte ne te rendrait-elle pas bon, puisque tu vois aussi bien des méchants essuyer des perles ? Mais leur désastre alors est bien plus grand ; il n’y a rien dans la maison, et moins encore dans la conscience. Qu’un impie vienne à perdre ces biens, il ne possède plus rien à l’extérieur, et n’a rien non plus pour se reposer intérieurement. Il fuit les lieux témoins de son désastre, et où jadis il étalait orgueilleusement ses richesses aux yeux des hommes ; il n’ose plus affronter les regards des autres, il ne peut rentrer en lui-même, où il ne trouve rien. Loin d’imiter la fourmi, il ne s’est amassé aucun grain pendant l’été[397]. Qu’ai-je dit pendant l’été ? Quand la vie était calme pour lui, quand ce siècle était pour lui souriant de prospérité, quand il avait des loisirs, quand chacun vantait son bonheur, c’était alors l’été pour lui. Il eût imité la fourmi, s’il eût entendu la parole de Dieu, s’il eût amassé du grain, s’il fût rentré en lui-même. Mais était venue l’épreuve de la tribulation, et survenu l’engourdissement de l’hiver, la tempête de la crainte, le froid du chagrin, ou quelque dommage, quelque danger pour la vie, la perte des siens, quelque déshonneur, quelque humiliation ; voilà l’hiver. La fourmi se retire alors vers les approvisionnements qu’elle a faits pendant l’été ; là, dans son intérieur le plus secret, où nul ne la voit, elle jouit du fruit de son travail d’été. Quand, aux beaux jours, elle faisait ses provisions, chacun la voyait ; nul ne la voit quand elle s’en nourrit en hiver. Qu’est-ce que cela, mes Frères ? Voyez la fourmi de Dieu : chaque jour, à son lever, elle court à l’église de Dieu, elle prie, elle entend des lectures, chante des hymnes, réfléchit à ce qu’elle a entendu, rentre en elle-même et fait une secrète provision des grains qu’elle amasse dans l’aire. Voilà ce que font ceux qui ont la sagesse d’écouter ce que nous disons ici ; chacun les voit venir à l’église, sortir de l’église, écouter le sermon, écouter la lecture, chercher un livre, l’ouvrir, le lire : tout cela se fait visiblement. C’est la fourmi qui voyage, qui porte, qui fait des provisions, sous les yeux de ceux qui la regardent. Un jour viendra l’hiver, et pour qui ne vient-il pas ? Arrive un accident, la pauvreté, les autres plaignent cet homme dans son malheur, et ne connaissent point les provisions de cette fourmi. Malheur, disent-ils, à celui-ci qui a fait cette perte, à celui-là qui en a fait une autre, quel est son courage, pensez-vous ? Quel est son accablement ? Chacun mesure d’après soi-même, compatit selon ses forces, et se trompe en cela même, qu’il veut appliquer à celui qu’il ne connaît point sa propre mesure. Tu vois un homme qui subit une perte, ou qui subit une humiliation, ou réduit à l’indigence : que crois-tu alors ? Qu’il a commis quelque crime, pour être ainsi accablé. Que telle soit la pensée, le sentiment de mes ennemis. Ne sais-tu donc pas, ô homme, que tu es ton propre ennemi, quant aux jours d’été tu n’amasses point ce qu’il a amassé ? Maintenant c’est la fourmi qui se nourrit intérieurement de ses labeurs de l’été ; tu pouvais la voir amasser, tu ne la vois pas se rassasier[398]. Autant qu’il a plu à Dieu de nous suggérer ces réflexions, de soutenir notre faiblesse et noire humilité, nous vous expliquions, selon notre pouvoir, pourquoi Dieu dorme indistinctement ses biens aux bons et aux méchants, et les enlève aux méchants comme aux bons. Vous les donne-t-il, n’en soyez point orgueilleux ; vous les enlève-t-il, n’en soyez pas accablé. Tu crains qu’il ne les retire ; il peut les enlever au bon comme au méchant : il est donc préférable que tu sois bon, pour perdre ce qui est de Dieu ; car alors Dieu te reste. Quant à ce méchant, je lui dirai pour l’exhorter : Tu essuieras quelque perte (qui est exempt de la mort de ses proches?) un malheur viendra fondre sur toi, une calamité imprévue, le monde est plein, les exemples abondent : je t’avertis pendant l’été, il ne manque pas de grains à ramasser ; vois la fourmi, ô paresseux, amasse en été, puisque tu le peux : l’hiver ne te permettra pas d’amasser, mais seulement de manger tes provisions. Combien en est-il dont la tribulation est telle qu’ils ne peuvent ni lire, ni écouter, ni peut-être aborder ceux qui les consoleraient ? La fourmi est demeurée dans ses galeries ; qu’elle examine si elle a fait pendant l’été une provision qui la garantisse contre l’hiver.
4. Maintenant que Dieu nous bénira, pourquoi nous bénira-t-il ? Quelle bénédiction demande cette prière : « Que Dieu nous bénisse ? » La bénédiction qu’il réserve à ses amis, qu’il n’accorde qu’aux bons. Ne désire pas comme bien précieux ce que les méchants reçoivent aussi : Dieu, dans sa bonté, les accorde, « lui qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes[399] ». Qu’y a-t-il donc de réservé pour les bons ? de réservé pour les justes ? « Que les rayons de sa face tombent sur nous ». La lumière de ce soleil, vous la répandez sur les méchants comme sur les bons, répandez sur nous la lumière de votre face. Les bons et les méchants partagent avec les troupeaux la vue de cette lumière. « Mais bienheureux ceux dont le cœur est pur, parce qu’ils verront Dieu[400] ». « Que les rayons de sa face tombent sur nous ». Il y a deux manières d’entendre cette parole, expliquons l’une et l’autre : répandez sur nous les rayons de votre face, montrez-nous votre visage. Car Dieu n’a pas besoin de faire briller son visage, comme si ce visage était parfois sans lumière ; mais, faites-le briller sur nous, afin que nous puissions voir ce qui nous était dérobé, et que ce qui est sans que nous le voyions, nous soit révélé ou brille sur nous. Ou bien, rendez brillante sur nous votre image ; comme s’il disait : faites briller sur nous votre visage ; vous avez gravé en nous votre face, vous nous avez fait à votre image et à votre ressemblance[401] ; vous avez fait de nous votre monnaie ; mais votre image ne doit point demeurer dans l’obscurité : envoyez un rayon de votre sagesse, qu’elle dissipe nos ténèbres, et que votre image brille enfin sur nous ; que nous sachions que nous sommes votre image, que nous entendions ce qui est dit au Cantique des cantiques : « A moins que tu ne te connaisses, ô la plus belle des femmes[402] ». Voilà ce qui est dit à l’Église : « Puisses-tu te connaître toi-même ». Qu’est-ce à dire ? Puisses-tu connaître que tu es à l’image de Dieu. O âme précieuse de l’Église, rachetée par le sang de l’Agneau sans tache, vois quelle est ta valeur, examine ce que l’on a donné pour toi. Disons donc et désirons surtout « que le Seigneur fasse rayonner son visage sur nous ». Nous portons en nous son image ; de même que l’on voit la face des empereurs dans leur statue, Dieu a mis aussi dans son image son visage sacré ; mais les impies ne savent point que cette image de Dieu est en eux. Que doivent-ils dire, afin que Dieu fasse rayonner cette face sur eux-mêmes ? « C’est vous, Seigneur, qui allumerez mon flambeau ; ô mon Dieu, éclairez mes ténèbres[403] ». Je suis dans la nuit du péché ; mais qu’un rayon de votre sagesse dissipe ces ténèbres épaisses, que votre face devienne visible ; et s’il arrive à cause de moi quelque difformité, eh bien ! reformez vous-même ce que vous avez formé. « Que le Seigneur fasse briller en nous son visage ».
5. « Afin que nous connaissions votre voie sur la terre[404] ». « Sur la terre », ici-bas, en cette vie « que nous connaissions votre voie ». Qu’est-ce que « votre voie ? » Celle qui conduit à vous. Que nous sachions où aller, que nous sachions encore par où aller l’un et l’autre nous sont impossibles dans nos ténèbres. Vous êtes loin de ceux qui voyagent, vous nous avez tracé la route par laquelle nous devons retourner à vous : « Que nous connaissions votre voie sur la terre ». Quelle est cette voie de Dieu, puisque nous désirons de « connaître votre voie sur la terre ? » C’est à nous de la chercher, sans pouvoir la connaître par nous-mêmes. Nous pouvons l’apprendre de l’Évangile : « Je suis la voie », dit le Seigneur ; le Christ a donc dit : « Je suis la voie ». Craindrais-tu d’errer ? Il ajoute, « et la vérité ». Qui peut errer dans la vérité ? On n’est dans l’erreur que pour avoir dévié de la vérité. Le Christ est la vérité, le Christ est la voie : marche. Crains-tu de mourir avant d’y arriver ? « Je suis la vie : je suis », a-t-il dit, « la voie, la vérité et la vie[405] ». Comme s’il disait : Que crains-tu ? Tu marches par moi, tu marches vers moi, tu reposes en moi. Que veut dire alors le Prophète : « Que nous connaissions votre voie sur la terre », sinon que nous connaissions ici-bas votre Christ ? Mais que le psaume réponde lui-même ; de peur que vous ne pensiez qu’il faut chercher en d’autres endroits de l’Écriture un témoignage qui manquerait ici, il montre, en reprenant le verset, ce que signifie : « Afin que nous connaissions votre voie sur la terre » ; et comme si tu demandais : sur quelle terre et quelle voie ? « Et votre salut », dit-il, « dans toutes les nations ». Tu demandes en quelle terre ? Écoute « Dans toutes les nations. » Tu demandes quelle voie ? Écoute encore : « Votre salut ». Est-ce pour lui-même que le Christ est le salut ? Et que disait donc dans l’Évangile ce vieillard Siméon, ce vieillard dont les années se prolongent jusqu’à l’enfance du Verbe ? Voilà que ce vieillard prit dans ses mains le Verbe de Dieu enfant. Pourquoi celui qui a daigné habiter les entrailles d’une vierge aurait-il dédaigné d’être dans les bras d’un vieillard ? Il est donc dans les bras du vieillard tel qu’il fut dans le sein de la Vierge ; faible enfant dans les entrailles maternelles et dans les mains séniles, pour nous donner la force, lui par qui tout a été fait (si tout est par lui, sa mère est aussi par lui) : il est venu humble, infirme, et toutefois d’une infirmité qui doit changer : « Car s’il a été crucifié dans l’infirmité de la chair, il vit néanmoins dans la force de Dieu[406] », dit l’Apôtre. Il était donc dans les mains du vieillard. Et que lui dit ce vieillard ? Que dit-il, en se félicitant d’être bientôt délivré, en voyant qu’il tient dans ses bras celui par qui et en qui doit lui venir le salut ? « Seigneur », dit-il, « laissez maintenant votre serviteur allez en paix, puisque mes yeux ont vu votre salut[407]. Que « Dieu donc nous bénisse, qu’il ait pitié de nous, qu’il fasse briller sur nous les rayons de sa face, afin que nous connaissions votre voie en cette vie ». Sur quelle terre ? « Dans toutes les nations ». Quelle voie ? « Votre « salut ».
6. Quand la terre connaîtra ta voie de Dieu, quand toutes les nations connaîtront le salut de Dieu, qu’arrivera-t-il ? « Que tous les peuples vous bénissent, ô mon Dieu ; que tous les peuples », dit le Prophète, « publient vos louanges[408] ». Voici l’hérétique : J’ai, dit-il, des populations dans l’Afrique ; un autre à telle autre partie : Moi, j’ai des populations en Galatie. Fort bien ; tu as des peuples en Afrique, celui-ci en Galatie ; et moi je cherche celui qui a des sectateurs partout. Vous avez bien osé tressaillir à ces paroles : « Que les peuples vous bénissent, ô mon Dieu ». Remarquez, dans le verset suivant, que le Prophète ne parle point d’une partie quelconque : « Que tous les peuples publient vos louanges ». Marchez dans la voie avec toutes les nations, marchez dans la voie avec tous les peuples, ô fils de la paix, fils de l’Église, qui est seule catholique ; marchez dans la voie, marchez en chantant des hymnes. Voilà ce que font les voyageurs pour alléger leur fatigue. O vous donc, chantez dans cette voie, je vous en supplie par la voie elle-même, chantez dans cette soie : chantez un cantique nouveau ; que nul ne chante rien du vieil homme ; chantez les hymnes de la patrie, rien de vieux. Nouvelle voie, nouveau voyageur, nouveau cantique. Écoute l’Apôtre qui t’exhorte à chanter un cantique nouveau : « Si donc quelqu’un est à Jésus-Christ, c’est une nouvelle créature : le passé n’est plus, tout est devenu nouveau[409] ». Chantez un cantique nouveau dans la voie que vous connaissez sur la terre. En quelle terre ? « Dans toutes les nations ». Donc le cantique nouveau n’appartient point à telle partie. Chanter dans une partie, c’est chanter le passé : quoi qu’il puisse chanter, c’est le passé qu’il chante, c’est le vieil homme qui chante, il est divisé, il est charnel. Il est certainement charnel, autant qu’il est le vieil homme ; autant il est l’homme nouveau, autant il est l’homme spirituel. Voilà ce que dit l’Apôtre : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels ». Comment leur prouvera-t-il qu’ils sont charnels ? « Quand l’un dit : Je suis à Paul ; et l’autre : Je suis à Apollo, n’êtes-vous pas », dit saint Paul, « des hommes charnels[410] ? » Chantez donc en esprit un cantique nouveau dans la voie sûre. Ainsi chante le voyageur, souvent même il chante pendant la nuit. Autour de nous se font entendre des ennemis redoutables, ou plutôt sans se faire entendre ils gardent le silence, d’autant plus redoutable que leur silence est plus profond ; et toutefois on chante bien qu’on redoute les voleurs. Combien est-il plus sûr pour toi de chanter dans le Christ ? Il n’y a dans cette voie aucun voleur, à moins que tu n’ailles te jeter chez les voleurs, en quittant cette voie. Chante, je le répète, chante en sûreté un cantique nouveau dans le chemin que tu connais « sur la terre », c’est-à-dire « dans toutes les nations ». Remarque bien qu’il ne chante pas avec toi le cantique nouveau, celui qui ne veut être que dans une partie du monde. « Chantez », dit le Prophète, « un cantique nouveau » ; et il continue : « Que toute la terre chante le Seigneur[411]. Que les peuples vous bénissent, ô mon Dieu ». Ils ont trouvé votre voie, qu’ils vous confessent. Chanter c’est confesser, confesser tes fautes et la vertu de Dieu. Confesse ton iniquité, confesse la grâce de Dieu : accuse-toi, glorifie le Seigneur ; réprime-toi, et bénis-le, afin que quand il viendra il trouve que tu t’es châtié, et se donne à toi pour Sauveur. Pourquoi craindre de le confesser, vous qui avez trouvé cette voie dans tous les peuples ? Pourquoi craindre de le confesser, et dans cette confession de chanter un cantique nouveau avec toute la terre, dans toute la terre, et dans la paix catholique ? Craindrais-tu d’avouer tes fautes à Dieu, de peur qu’il ne te condamne à cause de tes aveux ? Si tu te caches par défaut d’aveu, tu te confesseras pour être condamné. Tu crains de faire des aveux, toi que le défaut d’aveu ne saurait cacher ; tu seras condamné par ton silence, tandis que l’aveu pourrait te sauver. « Que les peuples vous confessent, ô mon Dieu, que tous les peuples chantent vos louanges[412] ».
7. Et parce que cet aveu ne nous conduit pas au supplice, le Prophète continue : « Que les nations tressaillent et soient dans l’allégresse ! » Si l’aveu devant un homme arrache des pleurs aux fripons, que l’aveu devant Dieu donne la joie aux fidèles. Au tribunal d’un homme, on force un voleur à l’aveu par la crainte et la torture : souvent même la crainte étouffe cet aveu qu’arracherait la douleur : et tel qui gémit dans les tourments, mais qui craint la mort après son aveu, supporte la torture autant qu’il est possible ; mais s’il est vaincu par la douleur, son aveu fait son arrêt de mort. Pour lui donc il n’y a nulle joie, nulle allégresse ; avant l’aveu, il est déchiré par les ongles de fer, après l’aveu, il est condamné, livré au bourreau ; partout il est malheureux. Mais « que les nations tressaillent et soient dans l’allégresse ! » Quelle en sera la cause ? la confession. Pourquoi ? Parce que c’est au Dieu de bonté qu’elles font des aveux ; s’il exige la confession, c’est pour délivrer les humbles ; s’il damne celui qui refuse l’aveu, c’est pour châtier son orgueil. Sois donc dans la tristesse avant l’aveu, et après l’aveu dans la joie, car tu seras guéri. Le pus s’était amassé dans ta conscience, l’abcès était formé, la douleur ne te laissait aucun repos : le médecin applique le lénitif des paroles, souvent il tranche, il attaque l’endroit douloureux avec le fer de la chirurgie ; reconnais alors la main du médecin ; fais un aveu, et que cet aveu fasse écouler tout le pus de la plaie ; tressaille ensuite et sois dans la joie ; le reste sera bientôt guéri. « Que les peuples vous confessent, ô mon Dieu, que tous les peuples « vous bénissent ! » Et à cause de leur confession, « que les nations soient dans la joie et dans l’allégresse, parce que vous jugez les peuples dans l’équité ». Nul ne saurait vous tromper ; qu’il se réjouisse d’être jugé, celui qui a craint son juge. Dans sa prévoyance, il a prévenu sa face par l’aveu[413] ; et quand ce juge viendra, il jugera les peuples dans l’équité. De quoi servira la ruse de l’accusateur dès que la conscience est témoin, alors que tu seras là en présence de ta cause, et que le juge ne requiert aucun témoin ? Il t’a envoyé un avocat : à cause de lui et par lui fais ion aveu ; prends en main ta cause, il est un défenseur pour le pénitent, un intercesseur pour celui qui avoue, et pour l’innocent un juge. Peux-tu craindre avec raison, quand c’est ton avocat qui est ton juge ? « Que les nations donc soient dans la joie, qu’elles tressaillent, parce que vous jugez les peuples avec justice ». Mais ils pourront redouter d’être mal jugés ; qu’ils se laissent redresser et diriger par celui qui voit ce qu’ils ont à juger. Qu’ils soient redressés ici-bas, et qu’ils ne craignent plus le jugement. Voyez ce qui est dit dans un autre Psaume : « Sauvez-moi, Seigneur, par votre nom, et jugez-moi dans votre puissance[414] ». Que dit-il ? Si vous ne me sauvez pas d’abord en votre nom, j’ai tout à craindre quand vous me jugerez dans votre puissance ; mais si votre nom est pour moi un nom de salut, comment craindre celui qui me jugera dans sa puissance et dont le nom m’a d’abord sauvé ? Ainsi encore dans cet endroit : « Que tous les peuples vous confessent ! » Et de peur que vous n’en veniez à redouter cette confession, « que les nations », dit-il, « soient dans la joie et dans l’allégresse ! » Pourquoi « cette joie et cette allégresse ? Parce que vous jugez les peuples dans l’équité ». Nul contre nous ne vous fait des présents, nul ne peut vous corrompre, nul vous tromper. Sois donc en sûreté, ô mon frère. Mais qu’as-tu pour ta défense ? Nul ne peut corrompre Dieu, c’est évident. Mais n’a-t-il pas d’autant plus à craindre qu’il est plus corruptible ? Quelle est donc la garantie de sûreté ? Cette parole déjà émise : « O Dieu, sauvez-moi par votre nom, et jugez-moi dans votre puissance ». De même ici encore : « Que les nations soient dans la joie et dans l’allégresse, parce que vous jugez les peuples dans l’équité ». Et pour ôter la crainte aux pécheurs, il ajoute : « Et vous dirigez les nations sur cette terre ». Les nations étaient dépravées, elles étaient dans la voie de perdition, elles étaient corrompues ; leur dépravation, leur perdition, leur corruption leur faisait redouter l’avènement du souverain Juge : sa main s’est montrée, elle s’est étendue miséricordieuse sue les peuples, ils sont dirigés dans la voie droite ; comment craindre pour juge celui qu’elles ont vu les redresser ? Qu’elles s’abandonnent à sa main miséricordieuse, puisqu’il dirige les nations sur la terre. Sous sa direction, les peuples ont marché dans la foi, ont tressailli en lui, ont fait de bonnes œuvres ; et si dans leur navigation sur la mer, l’eau entre parfois par les moindres fissures, si par quelque fente elle arrive dans la sentine, en l’épuisant chaque jour au moyen des bonnes œuvres, de peur qu’elle n’entre davantage, et qu’arrivant au comble elle ne fasse sombrer le navire, en l’épuisant chaque jour par la prière, le jeûne, l’aumône, et surtout en disant avec un cœur pur : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés[415] » ; en parlant ainsi, marche en toute sûreté, tressaille dans ton chemin, chante sur ta route. Ne crains point ton juge ; il a été ton Sauveur avant que tu fusses fidèle. Tu étais impie, quand il t’a cherché pour te racheter : t’abandonnera-t-il pour te perdre, maintenant que tu es racheté, « lui qui dirige les peuples en cette terre ? »
8. Le Prophète est dans la joie, il tressaille, il répète pour nous exhorter les mêmes versets. « Que les peuples vous confessent, ô mon Dieu, que tous les peuples vous confessent : la terre a donné son fruit[416] ». Quel fruit ? « Que tons les peuples vous confessent ! » La terre existait, elle était couverte d’épines alors est venue la main de celui qui les arrache, est venu l’appel de sa majesté et de sa miséricorde ; la terre a confessé Dieu, la terre a donné son fruit. Mais eût-elle donné son fruit, si déjà elle n’avait reçu la rosée ? La terre eût-elle donné son fruit, si la divine miséricorde n’était venue d’en haut ? Lisez-moi, diras-tu, quand la terre a reçu la rosée avant de produire ses fruits. Écoutez cette pluie du Seigneur : « Faites pénitence ; car le royaume de Dieu approche[417] ». Il a fait pleuvoir, et cette pluie est un tonnerre qui épouvante : craignez-le quand il tonne, et recevez sa pluie. Après cette voix de Dieu qui est tonnerre et pluie, après cette voix examinons ce passage de l’Évangile. Voilà une femme de mauvaises mœurs, mal famée dans la cité, qui se précipite dans une maison étrangère, où elle n’était point conviée, mais où l’appelait un convié, non par la parole, mais par la grâce. Cette malade savait qu’elle avait une place dans la maison où venait s’asseoir le médecin. Elle entre donc, cette pécheresse, mais elle n’ose aller qu’à ses pieds ; elle pleure, donc à ses pieds, les arrose de ses larmes, les essuie de ses cheveux, les oint d’un parfum[418]. Qu’y a-t-il d’étonnant pour toi ? « La terre a donné son fruit ». Voilà ce qui s’est accompli, sous la pluie qui tombait de la bouche du Seigneur : voilà des faits que nous lisons dans l’Évangile ; en tous les lieux où il a fait pleuvoir par ses nuées, en envoyant les Apôtres qui ont prêché la vérité. « La terre a produit des fruits abondants », et cette maison a rempli toute la terre.
9. Vois ce que dit ensuite le Prophète : « Que Dieu nous bénisse, le Seigneur notre Dieu ; que notre Dieu nous bénisse[419] ». « Qu’il nous bénisse », ainsi que je l’ai dit ; qu’il nous bénisse, et nous bénisse encore, que sa bénédiction soit un accroissement. Que votre charité veuille bien le voir : déjà la terre a produit son fruit en Jérusalem. C’est là le berceau de l’Église : c’est là qu’est venu l’Esprit-Saint, qu’il a rempli ceux qui habitaient en un même lieu ; là qu’ont éclaté les miracles, qu’on a parlé toutes les langues[420]. Ceux qui étaient là furent remplis de l’Esprit de Dieu et se convertirent ; en recevant avec crainte la pluie divine, ils ont donné par la confession un fruit si précieux, qu’ils mettaient leurs biens en commun, les distribuaient aux pauvres, eu sorte que nul ne revendiquait rien en propre, que tous les biens étaient communs, et qu’ils n’avaient qu’un cœur et qu’une âme en Dieu[421]. Le Seigneur leur avait donné, en effet, le sang qu’ils avaient répandu, il le leur avait donné avec son pardon, afin qu’ils apprissent à boire ce sang répandu par eux. Admirable fruit ! Oui, « la terre donna là son fruit », un fruit très beau, un fruit excellent. N’y a-t-il que cette terre pour avoir donné son fruit ? « Que le Seigneur nous bénisse, le Seigneur notre Dieu ; que Dieu nous bénisse ». Qu’il nous bénisse encore ; car le sens d’une bénédiction est surtout l’accroissement. Prouvons-le par la Genèse ; vois les œuvres de Dieu. Le Seigneur fit la lumière, et il sépara la lumière des ténèbres ; il appela jour la lumière, et nuit les ténèbres. Il n’est pas dit : Il bénit la lumière ; car c’est la même lumière qui reparaît dans l’alternative des jours et des nuits. Il appela ciel le firmament entre les eaux et les eaux ; il n’est pas dit qu’il bénit le ciel. Il sépara les eaux de l’aride, il donna le nom de terre à l’aride, et celui de mer aux eaux rassemblées ; il n’est pas dit non plus que Dieu les bénit. Il en vint ensuite aux êtres qui devaient avoir la fécondité de la reproduction et vivre dans les eaux. Ceux-ci, en effet, se multiplient d’une manière étonnante, et Dieu les bénit en disant : « Croissez et multipliez, remplissez les eaux de la mer, et que les oiseaux se multiplient sur la terre ». De même, quand il eut tout soumis à l’empire de l’homme, qu’il avait créé à son image, il est écrit : « Dieu les bénit en disant : « Croissez et multipliez, couvrez la face de la terre[422] ». Donc, l’effet propre de la bénédiction, est cette fécondité qui parvient à couvrir la surface de la terre. Écoute encore dans ce psaume : « Que Dieu nous bénisse, le Seigneur notre Dieu ; que Dieu nous bénisse ». Et quelle sera la force de cette bénédiction ? « Et qu’il soit révéré sur tous les confins de la terre ». Telle est donc, mes frères, la bénédiction féconde qui nous vient de Dieu, au nom de Jésus-Christ, qu’il a rempli de ses enfants la face de la terre, après les avoir adoptés pour son royaume comme les cohéritiers de son Fils unique. Il n’a engendré qu’un Fils unique, mais il n’a point voulu qu’il fût seul ; oui, dis-je, il n’a point voulu qu’il demeurât seul, ce Fils unique engendré par lui. Il lui a fait des frères, et lui a préparé des cohéritiers, sinon par la génération, du moins par l’adoption. Il lui a fait d’abord partager notre nature mortelle, afin que nous crussions que nous pouvons être participants de sa divinité.
10. Voyons donc, mes frères, quel est notre prix. Tout est prédit, tout est en évidence, l’Évangile parcourt l’univers entier ; le travail qui s’opère aujourd’hui dans le genre humain, est un témoignage formel, tout ce qui est prédit dans les Écritures s’accomplit. De même que tout ce qui est prédit jusqu’aujourd’hui est arrivé, ainsi le reste s’accomplira. Craignons le jour du jugement, car le Seigneur viendra. Il est venu dans l’humilité, il viendra dans la gloire ; il est venu pour être jugé, il viendra pour juger. Reconnaissons-le dans son humilité, afin de ne point redouter sa gloire ; embrassons-le quand il est humble, afin de désirer sa grandeur. Car il viendra dans sa bonté, si nous soupirons après lui. Or, ceux-là soupirent après lui, qui croient en lui, qui gardent ses commandements. Dussions-nous ne point le vouloir, il viendra. Désirons donc son avènement, puisqu’il viendra toujours malgré nous. Comment désirer son avènement ? Par une vie sainte, et des actions pures. Que le passé n’ait pour nous aucun attrait, et le présent aucun charme ! N’imitons point le serpent qui se bouche l’oreille de sa queue, ou qui appuie son oreille sur la terre[423] ; que le passé ne nous empêche point d’écouter, que le présent ne nous détourne point de penser à l’avenir ; oublions le passé pour nous jeter vers ce qui est en avant[424]. Ce qui nous occupe aujourd’hui, nous fait gémir aujourd’hui, soupirer aujourd’hui, parler aujourd’hui ; ce que nous sentons quelque peu, sans pouvoir l’atteindre, nous l’atteindrons, et nous en jouirons à la résurrection des justes. Notre jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle[425], seulement brisons contre la pierre qui est le Christ[426], ce que nous tenons du vieil homme. Qu’il y ait vérité, mes frères, dans ce que l’on raconte du serpent ou de l’aigle, que ce soit un adage répandu chez les hommes plutôt qu’une vérité ; les saintes Écritures n’en sont pas moins vraies, et n’ont point sans motif parlé de la sorte ; mettons en pratique la leçon qu’elles nous donnent, sans nous inquiéter si le fait est réel. Sois donc tel que ta jeunesse se puisse renouveler comme celle de l’aigle ; et sache bien qu’elle ne peut être renouvelée, qu’à la condition que le vieil homme qui est en toi sera brisé contre la pierre ; c’est-à-dire que sans le secours de la pierre, sans le secours du Christ, tu ne peux arriver au renouvellement. Que la douceur de ta vie passée ne te rende point sourd à la voix de Dieu ; que les biens présents ne te retiennent pas, ne t’enlacent pas, ne te fassent point dire : Je n’ai pas le temps de lire, le loisir d’entendre. C’est là mettre son oreille contre la terre. Qu’il n’en soit pas ainsi de toi, mais deviens ce qui est le contraire selon toi, c’est-à-dire, oublie le passé, avance-toi vers l’avenir, et brise le vieil homme contre la pierre. Et si l’on te propose des paraboles que tu retrouves dans les saintes Écritures, accepte-les avec foi ; si tu n’y vois qu’un adage, tu peux n’y point croire. Peut-être en est-il ainsi, peut-être non. Mais toi, fais-en ton profit, et que cette parabole te conduise au salut. Tu ne veux point de cette parabole, fais ton salut par une autre, mais fais-le toutefois ; et attends avec sécurité le royaume de Dieu, afin que ta prière ne soit pas en opposition avec toi. Car toi, ô chrétien, quand tu dis : « Que votre règne arrive », comment peux-tu bien dire : « Que votre règne arrive[427] ? » Examine ton cœur et vois bien : « Que votre règne arrive ». Me voici, répondit ; ne crains-tu rien ? Nous l’avons dit souvent à votre charité ; mais prêcher la vérité n’est rien, si le cœur est en désaccord avec la langue, et entendre la vérité n’est rien, si cette audition ne produit aucun fruit. Nous vous parlons de cette chaire, comme d’un lieu plus élevé ; mais nous sommes à vos pieds atterrés par la crainte, il le sait ce Dieu qui se rend propice aux humbles ; car la voix de la louange a moins de charmes pour nous que la piété des pénitents, que les œuvres des cœurs droits. Combien encore vos progrès seuls font notre seule joie ; combien les louanges nous paraissent dangereuses, il le sait celui qui doit nous tirer de tout danger ; qu’il nous délivre ainsi que vous de toute tentation, et daigne enfin nous reconnaître, et nous couronner dans son royaume.

DISCOURS SUR LE PSAUME 67 modifier

LA PRÉDICATION ÉVANGÉLIQUE. modifier

Ce chant est intitulé : Psaume du Cantique. Selon quelques-uns, Cantique désignerait la part de l’intelligence, Psaume l’exécution extérieure ; alors cantique serait plus général, et l’on devrait dire livre des Cantiques, ce qui n’a pas lieu toutefois. Le Christ s’est levé, les Juifs ses ennemis ont tremblé, puis ont été bannis des lieux où ils croyaient l’avoir vaincu ; pour les justes, au contraire, ils seront rassasiés. Chantez donc, ô justes, celui qui est ressuscité. Pour lui ouvrir les cœurs par la foi, vous aurez à souffrir, mais le Seigneur va délivrer les uns, ressusciter les autres d’entre vous, et habiter en vous quand vous n’aurez qu’une seule âme. Quand le Christ traversa les nations qui étaient alors un désert spirituel, les Apôtres qui sont des cieux et des montagnes firent tomber la rosée de la grâce par la volonté du Seigneur. La loi chez les Juifs était imparfaite ou laissait dans l’imperfection, mais le Seigneur l’a perfectionnée par la loi de grâce. Il a donné au peuple ancien la manne, au peuple nouveau l’Eucharistie. Avec la grâce le bien s’est fait par amour et non par crainte. De là ce verbe qui vient aux prédicateurs avec la force du bien-aimé, qui a enchaîné le démon, lui a repris ses dépouilles, distribué ses ministres pour la beauté de l’Église. Dormir entre les héritages serait dormir entre les deux Testaments, avoir l’indifférence pour la terre, la patience pour le ciel. Les saints sont les ailes de l’Église, qui portent au loin ses louanges. Chez la colombe argentée, il y a des rois ou plutôt des hommes qui ont un ministère différent, et qui obtiennent la rémission des péchés, Le Christ est la montagne fertile ainsi que la lumière, les Apôtres ne sont l’un et l’autre que par lui ; Dieu réside en eux, ils en sont le char glorieux. Ils accomplissent la charité qui résume tous les préceptes. Le Christ sans ses membres a reçu des dons pour les hommes, comme Dieu il nous fait des dons. La captivité qu’il captive désigne ceux qui embrassent le joug du Seigneur ; béni soit le Dieu du salut qui s voulu mourir afin de nous apprendre la résignation. Il brise la tête de ses ennemis en les amenant à la foi, en précipitant dans l’abîme les obstinés. En nous tournant vers le Seigneur nous deviendrons ses chiens par la fidélité et la prédication. Les traces du Seigneur ont été vues dans les vertus des vierges, la conversion de Paul, le courage des martyrs. Honte aux hérétiques qui cherchent à séduire les âmes faibles. Les pays lointains comme l’Éthiopie étendront leu maies vers lui, il nous rendra vainqueurs de la mort.


1. Le titre de ce Psaume ne semble point soulever de pénible discussion, il paraît au contraire simple et facile. Il porte, en effet : « Pour la fin, psaume du cantique, à David lui-même[428] ». Déjà dans plusieurs psaumes nous vous avons donné le sens de cette expression « Pour la fin » ; c’est que « le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront[429] », la fin qui perfectionne, et non qui termine ou qui détruit. Toutefois, si l’on veut s’appliquer à rechercher le sens de cette expression, « Psaume du cantique » : pourquoi n’est-il pas dit simplement ou Psaume ou Cantique, mais l’un et l’autre ? ou quelle est la différence entre Psaume du cantique, et Cantique du psaume, car nous voyons dans quelques psaumes de semblables titres ? on trouvera peut-être cette différence : nous abandonnons ce travail à certains esprits subtils et qui ont plus de loisirs que nous. Quelques-uns[430] avant nous ont assigné cette différence entre le cantique et le psaume, que le cantique est un chant oral, tandis que le psaume s’exécute sur un instrument visible qui est le psaltérion, et qu’alors le cantique serait l’œuvre mentale de l’intelligence, le psaume l’œuvre corporelle. Ainsi dans ce psaume soixante-septième, que nous entreprenons d’exposer, nous trouvons cette parole : « Chantez au Seigneur, chantez son nom sur vos instruments[431] » ; ils ont fait cette distinction : « Chantez au Seigneur », désignerait les divers sentiments qui occupent notre cœur et qui sont connus à Dieu, invisibles pour les hommes ; mais les bonnes œuvres doivent être en évidence pour les hommes, afin qu’ils glorifient notre Père qui est dans les cieux[432] ; c’est donc avec raison qu’il est dit : « Chantez le nom du Seigneur sur vos instruments », c’est-à-dire, publiez sa louange, que son nom se redise avec allégresse. Autant qu’il m’en souvienne, j’ai suivi moi-même ailleurs cette distinction. Je me rappelle que nous avons lu aussi : « Bénissez Dieu sur vos instruments[433] », car le bien que nous faisons d’une manière visible n’est pas agréable aux hommes seulement, mais à Dieu. Or, tout ce qui plaît à Dieu n’est pas toujours de nature à plaire aux hommes, qui souvent ne peuvent le voir. Aussi serions-nous étonnés que l’on trouvât dans quelque autre endroit de l’Écriture : « Chantez son nom », comme nous y trouvons ces deux expressions : « Chantez Dieu et bénissez son nom sur vos instruments ». Si l’on trouve cette expression, nous avons perdu notre peine en assignant une différence. Ce qui m’étonne encore, c’est que généralement on dise des psaumes plutôt que des cantiques, au point que le Seigneur a dit : « Ce qui est écrit à mon sujet dans la loi, dans les Prophètes et dans les Psaumes[434] ». On dit encore le livre des Psaumes, et non des Cantiques : « Comme il est écrit au livre des Psaumes[435] », est-il dit ; tandis que, d’après notre distinction, il semble qu’on devrait les appeler des Cantiques, car il peut y avoir cantique sans psaume, et non psaume sans cantique. Il peut y avoir en effet dans notre esprit des pensées dont les actes ne soient pas corporels ; mais il n’est aucun acte louable dont la pensée n’ait occupé notre esprit. Dès lors, tout psaume serait un cantique, mais tout cantique ne serait pas un psaume ; et pourtant, avons-nous dit, on emploie le nom générique de psaumes, non de cantiques, et l’on ne dit point livre des Cantiques, mais des Psaumes. Si l’on comprenait et si l’on discutait le sens des paroles où ce titre porte seulement « Psaume », et où il y a seulement « Cantique », non plus « Psaume du cantique », ainsi que dans le nôtre, mais « Cantique du psaume » ; je ne sais si l’on pourrait justifier cette distinction. Aussi, comme nous l’avions déjà fait, laissons-nous ces discussions à ceux qui peuvent s’y livrer, qui ont le loisir d’établir ces différences, et de les marquer de quelque point certain ; nous, et autant qu’il nous est possible, avec le secours de Dieu, examinons et exposons le texte du psaume.
2. « Que Dieu se lève, et que ses ennemis soient dissipés[436] ». Ainsi a-t-il été fait ; le Christ s’est levé, lui, le Dieu suprême, béni dans tous les siècles[437], et les Juifs ses ennemis se sont dispersés dans toutes les nations, vaincus qu’ils étaient dans ces mêmes lieux où ils avaient sévi contre lui, et d’où ils étaient chassés dans l’univers entier : et maintenant ils haïssent encore, mais ils craignent, et sous le poids de cette crainte ils font ce qui suit : « Et que ceux qui le haïssent fuient devant sa face ». La fuite, pour l’âme, c’est la crainte. Car s’il s’agit d’une fuite corporelle, comment pourraient-ils fuir la face de celui qui montre partout l’effet de sa présence ? « Où irai-je devant votre esprit », a dit le Psalmiste, « et où fuir devant votre face[438] ? » C’est donc l’esprit en eux, et non le corps qui fuit ; c’est-à-dire qu’ils craignent sans pouvoir se cacher ; et s’ils fuient, ce n’est pas celle face qu’ils ne sauraient voir, mais celle qu’ils sont forcés d’envisager. Car on appelle sa face, sa présence au moyen de son Église. C’est pourquoi quand leur haine fit explosion, il leur dit : « Un jour vous verrez le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel[439] ». C’est ainsi qu’il est venu dans son Église, la jetant sur tous les confins de la terre où ses ennemis sont dispersés. Or, il est venu sur des nuées semblables à celles dont il a dit : « Je commanderai aux nuées de ne plus vous donner de la pluie[440] ». « Que ceux qui le haïssent, fuient donc en sa présence » : qu’ils craignent la présence de ses saints et de ses fidèles, dont il a dit : « Ce que vous avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait[441] ».
3. « Qu’ils disparaissent comme la fumée[442] ». Des flammes de leur haine, il s’est élevé comme une vapeur d’orgueil ; ils ont opposé leur bouche au ciel[443], en criant : « Crucifiez-le, crucifiez-le[444] », ils ont insulté leur captif, l’ont raillé sur la croix : et bientôt ils ont disparu en vaincus de, ces mêmes lieux où ils s’étaient enflés de leur victoire. « Comme la cire fond devant la flamme, que les impies disparaissent devant le Seigneur ». Peut-être le Psalmiste a-t-il voulu désigner ici ceux dont l’endurcissement se fond dans les larmes de la pénitence : et toutefois on peut y voir encore une menace du jugement à venir ; car s’ils ont péri parce qu’ils se sont élevés comme la fumée, c’est-à-dire, enflés d’orgueil, ils ne peuvent espérer au dernier jour que la damnation, en sorte qu’ils disparaîtront pour toujours de sa présence, quand il se montrera dans tout son éclat, comme le feu qui est la lumière des justes et le châtiment des pécheurs.
4. Voici la suite : « Que les justes se rassasient, qu’ils tressaillent en la présence du « Seigneur, qu’ils s’abreuvent de ses joies[445] ». Car, alors, ils entendront : « Venez, bénis de mon Père, et recevez le royaume[446]. Qu’ils « soient donc dans la joie e ceux qui ont été dans la tristesse, et qu’ils tressaillent en présence du Seigneur ». Cette allégresse ne donnera point une vaine jactance, comme il arrive en présence des hommes, mais elle éclatera en présence de Celui qui voit sans se tromper ses propres dons. « Qu’ils s’abreuvent de ses joies » ; non pas dans une allégresse mêlée de crainte[447], comme il arrive ici-bas, tant que la vie de l’homme sur la terre est une tentation[448].
5. Enfin il se tourne vers ceux à qui il a inspiré une si grande espérance, et les stimule en cette vie, par ces exhortations : « Chantez au Seigneur, bénissez son nom sur vos instruments[449] ». Nous avons dit à propos du titre ce que nous pensions de cette parole. Chanter à Dieu, c’est vivre pour Dieu ; bénir son nom sur des instruments, c’est travailler pour sa gloire. C’est donc par ces chants, par ces accords, c’est-à-dire par cette vie et par ces œuvres qu’il vous faut « ouvrir la voie », dit le Prophète, « à Celui qui s’élève au-dessus de l’Occident ». Ouvrez la route au Christ, afin que les cœurs s’ouvrent à lui par la foi, au moyen de ceux dont les pieds sont beaux, en apportant l’Évangile[450]. Car c’est lui qui s’élève au-dessus du couchant ; soit que nul ne puisse le recevoir en se tournant à lui par une vie nouvelle, sans avoir abjuré le vieil homme, et renoncé au monde ; soit que s’élever au-dessus de l’Occident, se dise de la résurrection qui triomphe de la mort corporelle. « Car le Seigneur est son nom ». Et si les Juifs l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire[451].
6. « Tressaillez en sa présence ». O vous à qui il est dit : « Chantez au Seigneur, bénissez son nom sur vos instruments, ouvrez la route à celui qui s’élève au-dessus de l’Occident, tressaillez aussi en sa présence[452] », comme des hommes tristes qui sont néanmoins dans la joie[453]. Pour lui ouvrir la route, pour lui préparer le moyen de venir et de s’emparer des nations, vous aurez à souffrir des choses tristes de la part des hommes. Toutefois, loin de vous toute défaillance, tressaillez au contraire, non plus en présence des hommes mais devant Dieu. Soyez pleins de joie dans votre espérance, et patients dans la tribulation[454]. « Tressaillez en présence de Dieu ». Mais ceux qui jettent le trouble en vous devant les hommes, « seront troublés à leur tour, devant la face de Dieu qui est le Père de l’orphelin, et rend justice à la veuve[455] ». Ils regardent comme dans la désolation ceux que le glaive de la parole de Dieu vient séparer, les parents des enfants, les Époux de leurs Épouses[456] ; mais ceux qui sont ainsi délaissés, et dans le veuvage, reçoivent les consolations « de celui qui est le Père des orphelins, qui rend justice à la veuve » ; ils reçoivent ses consolations, ceux qui lui disent : « Voilà que mon père et ma mère m’ont délaissé, mais le Seigneur m’a pris sous sa garde[457] » : qui ont mis leur espoir en Dieu, qui ont persisté nuit et jour dans la prière[458] : en présence de Dieu, ils seront dans le trouble, ces méchants qui verront qu’ils n’ont rien obtenu parce que le monde entier a suivi le Seigneur[459].
7. C’est en effet de ces orphelins et de ces veuves, c’est-à-dire de ceux qui se privent de tout commerce avec les espérances d’ici-bas, que le Seigneur se fait un temple, et c’est de ce temple qu’il dit ensuite : « Dieu habite son sanctuaire ». Le Prophète nous indique, en effet, ce qu’est ce sanctuaire, quand il dit : « C’est Dieu qui fait habiter ensemble ceux qui ont une même âme[460] » ; qui sont unanimes ou qui ont les mêmes sentiments tel est le sanctuaire du Seigneur. Car après avoir dit : « Le Seigneur est dans son sanctuaire », comme si nous lui demandions quel est ce lieu, puisque le Seigneur est partout entièrement, et qu’il n’est aucun espace corporel qui le puisse contenir, le Prophète s’explique aussitôt, afin que nous ne cherchions pas le Seigneur en dehors de nous, mais que plutôt, n’ayant qu’une même âme pour habiter la même demeure, nous méritions que le Seigneur daigne habiter avec nous. Le sanctuaire du Seigneur, c’est ce que cherchent les hommes quand ils veulent un lieu où leurs prières soient exaucées. Qu’ils soient donc eux-mêmes ce qu’ils cherchent, et qu’ils repassent avec amertume ce qu’ils disent dans leur cœur ou plutôt dans le silence le plus profond[461], qu’ils n’aient qu’une même âme, « dans la même demeure », afin qu’ils deviennent de vastes appartements habités par le Seigneur, et qu’ils soient exaucés en eux-mêmes. Il est, en effet, un vaste édifice, meublé non seulement de vases d’or et d’argent, mais aussi de vases de bois et d’argile. Les uns sont pour l’ornement, les autres pour l’ignominie ; mais si quelques-uns purifient en eux ce qui tient au vase d’ignominie[462], ils seront unanimes « dans une « maison e et deviendront ainsi le sanctuaire de Dieu. De même, en effet, que dans un vaste palais, le maître ne prend – point son repos dans un appartement quelconque, mais dans le lieu le plus honorable et le plus secret ; de même le Seigneur n’habite point chez tous ceux qui sont dans sa demeure, car il n’habite point en ceux qui sont des vases d’ignominie, mais il a son sanctuaire en ceux qu’« il fait habiter par l’accord des manières ou des mœurs, dans une seule maison ». Le mot grec, en effet, tropoi se peut traduire en latin par manières ou mœurs. Le grec ne porte pas non plus : « Il fait habiter dans » ; mais simplement : « Il fait habiter ». « Le Seigneur est » donc « dans son lieu sacré ». Quel est ce lieu ? Car c’est Dieu qui se le prépare. C’est Dieu, en effet, « qui fait habiter dans une même demeure les hommes d’une même âme » : c’est là son sanctuaire.
8. Vois aussi par le verset suivant que c’est bien la grâce qui se construit cet édifice, bien que ceux dont elle le construit ne l’aient prévenue par aucun mérite. « C’est lui qui dans sa force délivre les captifs ». Car il brise les entraves pesantes du péché, qui leur faisaient obstacle pour marcher dans la voie des commandements : il les délivre avec cette force qu’ils n’avaient pas avant sa grâce. « Il en est de même de ces rebelles qui habitent les sépulcres[463] » ; c’est-à-dire de ces pécheurs tout à fait morts, qui ne s’occupent que d’œuvres mortes. Ceux-ci sont rebelles, en effet, en résistant à la justice. Pour ces autres, qui sont captifs, ils voudraient peut-être marcher, mais ils ne le peuvent ; ils prient Dieu de leur en donner le pouvoir et lui disent : « Délivrez-moi de mes chaînes[464] » ; et lorsque Dieu les exauce, ils lui rendent grâce en disant : « Vous avez brisé mes chaînes[465] ». Quant à ces rebelles qui habitent les sépulcres, ils ressemblent à ceux dont l’Écriture a dit ailleurs : « Un mort, non plus que s’il n’existait pas, ne loue point le Seigneur[466] ». De là cette autre sentence : « Quand le pécheur est descendu au fond de l’abîme, il dédaigne[467] ». Il y a une différence entre désirer la justice et la combattre ; entre vouloir secouer le joug du mal, et défendre ses fautes plutôt que d’en faire l’aveu : or, la grâce du Christ délivre les uns et les autres dans sa force. Quelle force, sinon la force de résister au péché jusqu’à en mourir ? Car les uns et les autres de ces hommes deviennent propres à entrer dans la construction du sanctuaire de Dieu, les uns par la délivrance, les autres par la résurrection. Il ne fallut au Christ qu’un ordre pour délier cette femme que Satan tenait courbée vers la terre depuis dix-huit ans[468], et qu’un cri pour triompher de la mort de Lazare[469]. Celui qui a opéré ces merveilles sur des corps, peut en produire de bien plus admirables dans nos cœurs, et faire « que nous n’ayons qu’une âme pour habiter dans un même palais, en délivrant les captifs dans sa puissance, ainsi que les rebelles qui habitent les sépulcres ».
9. « Seigneur, quand vous sortiez à la vue de votre peuple[470] ». Le Seigneur sort quand il se montre dans ses œuvres. Or, il ne se montre pas à tous, mais seulement à ceux qui savent discerner l’œuvre divine. Car je ne parle point maintenant de toutes ces œuvres qui sont évidentes pour tous les hommes, des cieux, de la terre, des mers et de tout ce qu’ils renferment ; mais de ces œuvres par lesquelles « il délivre dans sa force les captifs ainsi que les rebelles qui habitent les sépulcres, et fait habiter un même palais à ceux qui ont un même cœur ». C’est ainsi qu’il marche sous les yeux de son peuple, ou sous les yeux de ceux qui comprennent cette grâce. Enfin, il poursuit : « Quand vous e parcouriez le désert, la terre fut ébranlée », C’était un désert que ces nations qui ne connaissaient point le Seigneur : un désert que ces lieux où Dieu n’avait donné aucune loi ; où n’habitait nul prophète pour annoncer l’avènement du Seigneur. Donc « quand vous parcouriez le désert », ou quand votre nom fut prêché parmi les Gentils, « la terre fut ébranlée », ces hommes terrestres furent poussés à embrasser la foi. Mais pourquoi futelle ébranlée ? « C’est que les cieux répandirent leur influence devant la face du Seigneur ». Vous reportez-vous en esprit à ces moments où Dieu traversait le désert en présence de son peuple, sous les yeux des enfants d’Israël, et s’environnait pendant le jour d’une colonne de nuées, et d’une colonne de feu pendant la nuit[471] ; alors vous comprendrez que « les cieux « s’épanchèrent devant le Seigneur », puisqu’il fit pleuvoir la manne pour son peuple[472] ; voilà ce qu’exprimerait ensuite le Prophète : « La montagne de Sinaï est en présence du Dieu « d’Israël, Dieu laisse tomber sur son héritage une pluie bienfaisante[473] » ; parce que ce fut sur le mont Sinaï que Dieu s’entretint avec Moïse, quand il donna la loi[474]. Alors la manne serait cette pluie bienfaisante que Dieu fit tomber sur son héritage, c’est-à-dire sur son peuple, car ce fut à eux seuls, et non aux autres peuples, que Dieu donna cette nourriture ; et quand il dit ensuite : « Il est épuisé », on doit comprendre que ce même héritage s’est affaibli ; car ils murmurèrent et conçurent du dégoût pour la manne ; ils voulaient pour nourriture des viandes, et tout ce qui constituait leur alimentation ordinaire en Égypte[475]. Mais si nous nous en tenons aux termes de la lettre sans recourir au sens spirituel, il nous faudra montrer quels étaient les hommes dont le corps était enchaîné, et quels étaient ceux qui habitaient les sépulcres et qui furent délivrés par la puissance divine. Ensuite, si ce peuple de Dieu, si cet héritage s’épuisa, dans son dégoût pour la manne, au lieu de dire après cela : « Mais toi, tu l’as rendu parfait », il faudrait dire : Mais toi, tu l’as frappé, car ces murmures et ces dégoûts, outrageants pour le Seigneur, furent suivis d’une plaie bien douloureuse[476]. Enfin, tout ce peuple mourut au désert, et nul, excepté deux hommes, ne mérita d’entrer dans la terre promise[477]. Sans doute on pourrait dire que cet héritage devint parfait dans sa postérité ; nous devons toutefois nous attacher au sens spirituel pour être plus à l’aise. « Tout se passait en figure pour ce peuple[478] » ; jusqu’à l’arrivée de la lumière et la disparition des ombres[479].
10. Que Dieu donc ouvre à nos instances ; et que ses mystères se découvrent à nos yeux, autant qu’il daignera nous l’accorder. Pour ébranler la terre et l’amener à la foi, quand l’Évangile parcourait les nations, « les cieux se sont épanchés devant la face du Seigneur » ; ces mêmes cieux dont le Psalmiste a chanté ailleurs : « Les cieux racontent la gloire de Dieu ». Car c’est d’eux qu’il est dit un peu plus bas : « Il n’est point de langue, point d’idiome qui n’entende cette voix ; son éclat s’est répandu dans tout l’univers, il a retenti jusqu’aux derniers confins de la terre[480] ». Toutefois ce n’est pas à ces cieux qu’il faut attribuer une telle gloire, comme si la grâce qui a fécondé le désert des nations, et mis en mouvement la terre vers la foi, pouvait venir des hommes. Ce n’est point par eux-mêmes que les cieux se sont épanchés, mais bien « devant la face du Seigneur », qui habitait en eux, et qui leur faisait habiter la même demeure dans l’union des âmes. Ils sont aussi les montagnes dont il est dit : « J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours ». Et toutefois, afin de ne point laisser croire qu’il met sa confiance dans des hommes, le Psalmiste ajoute aussitôt : « Mon secours me viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre[481] ». C’est encore à lui qu’il est dit ailleurs : « C’est vous qui répandez une lumière admirable du haut des montagnes éternelles[482] » ; bien qu’elle vienne des montagnes éternelles, c’est vous néanmoins qui la répandez. De même ici : « Les cieux se sont épanchés », mais, « devant la face du Seigneur ». Car eux-mêmes ont été sauvés par la foi, et cela ne vient point de leurs mérites, puisque c’est un don de Dieu : cela ne vient pas des œuvres, afin que nul ne se glorifie. Nous sommes, en effet, son ouvrage[483]. « C’est lui qui nous fait habiter la même demeure dans l’union des âmes ».
11. Mais que dit ensuite le Prophète : « La montagne de Sinaï, en face du Dieu d’Israël ? » Faut-il sous-entendre, s’est épanchée ; afin d’appeler encore montagne de Sinaï ce qu’il vient d’appeler du nom de ciel ; de même que nous avons donné aux cieux le nom de montagne ? Dans ce sens nous ne devons pas nous étonner qu’il soit dit : « La montagne », et non les montagnes, comme il avait été dit : Les cieux, et non le ciel ; car dans un autre psaume, après avoir dit : « Les cieux racontent la gloire de Dieu[484], il répète en d’autres termes la même pensée selon la coutume des saintes Écritures : « Et le firmament nous annonce ses œuvres ». Il a d’abord dit : « Les cieux », et non le ciel, et ensuite il dit : Le firmament, et non les firmaments. Or, « Dieu appelle ciel le firmament[485] », ainsi qu’il est dit dans la Genèse. Ainsi donc, les cieux et le ciel, les montagnes et la montagne ont une signification semblable et nullement différente : de même que les nombreuses Églises, et la seule Église, n’ont pas un sens divers, mais un seul et même sens. Mais pourquoi « cette montagne de Sinaï, qui engendre dans la servitude[486] », comme l’a dit l’Apôtre ? Faut-il entendre par là cette loi donnée sur le mont Sinaï, et que « les cieux auraient épanchée devant la face du Seigneur[487] », afin d’ébranler la terre ? Et cet ébranlement de la terre serait-il le trouble des hommes incapables d’accomplir cette loi ? Mais, s’il en est ainsi, cette loi est encore cette pluie bienfaisante, dont le Prophète a dit ensuite : « Vous ménagerez, Seigneur, une pluie désirable à votre héritage » ; car il n’en a pas agi de la sorte avec aucun peuple, et ne leur a pas manifesté ses jugements[488]. Cette pluie que Dieu a réservée à son héritage est donc la loi qu’il lui a donnée. « Elle s’est affaiblie », la loi ou la nation qui est notre héritage. On peut entendre que la loi s’est affaiblie, en ce sens qu’elle ne s’accomplissait point, non qu’en elle-même elle fût faible, mais parce qu’elle aboutissait à la faiblesse chez les hommes qu’elle menaçait sans leur donner le secours de la grâce. C’est en effet le terme dont s’est servi l’Apôtre en disant : « Ce qui était impossible à la loi, chez l’homme en qui la chair l’affaiblissait[489] », voulant nous montrer que c’est dans un sens spirituel qu’elle doit s’accomplir. Il dit néanmoins qu’elle s’affaiblit, parce que les faibles ne peuvent l’accomplir. Mais l’héritage qui s’affaiblit nous désignerait sans ambiguïté le peuple après que la loi lui fut donnée. « Car la loi est venue, en sorte que le péché a abondé[490] ». Alors le verset suivant : « Vous lui avez donné la perfection », se rapporte à la loi quia été perfectionnée, selon l’Apôtre, c’est-à-dire accomplie ; c’est ce que dit le Seigneur dans l’Évangile : « Je ne suis point venu pour détruire, mais pour accomplir la loi[491] ». De là vient que l’Apôtre, après avoir dit que la loi était affaiblie par la chair, puisque la chair ne peut accomplir ce qui ne s’accomplit que par l’esprit, c’est-à-dire par une grâce spirituelle, dit encore : « Afin que la justice de la loi soit accomplie en nous qui ne marchons pas selon la chair, mais selon l’esprit[492] ». Ainsi donc : « Vous lui avez donné la perfection ; parce que l’amour est la plénitude de la loi[493], et que l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs », non par nous-mêmes, mais « par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[494] » ; tel serait le sens de : « Vous lui avez donné la perfection », si l’on entend que c’est la loi qui a été perfectionnée ; mais, si c’est l’héritage, le sens est plus facile à saisir. Si l’on veut, en effet, que l’héritage du Seigneur, ou le peuple de Dieu ait été affaibli à cause de la loi, « parce que la loi est « entrée, de telle manière que le péché a « abondé » ; alors ces paroles : « Vous l’avez perfectionné », s’entendraient dans le même sens que ces autres du même saint Paul : « Où le péché a abondé, la grâce a surabondé[495] ». Car le péché se multipliant a multiplié aussi les infirmités, et ensuite ils ont précipité leur marche[496] ; car ils ont gémi et ont demandé à Dieu d’accomplir avec son secours ce qu’ils ne pouvaient accomplir avec un simple précepte.
12. Il y a dans ces paroles un autre sens, qui me paraît plus probable. Cette pluie abondante s’entend bien mieux de la grâce, qui nous est donnée sans être appelée par aucune œuvre méritoire. « Si c’est par grâce, ce n’est point en vue des œuvres, autrement la grâce ne serait plus grâce[497]. Je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre », est-il dit encore ; « puisque j’ai persécuté l’Église de Dieu ; mais c’est parla grâce de Dieu que je suis ce que je suis[498] ». Telle serait la pluie volontaire : « Car il nous a volontairement appelé par la parole de la vérité[499] ». C’est donc une pluie de son amour. De là vient qu’il est dit ailleurs : « Vous nous couvrez de votre amour, comme d’un bouclier[500] ». Or, quand le Seigneur traversait le désert, c’est-à-dire quand l’Évangile était, annoncé aux nations, « les cieux distillèrent » cette pluie : non d’eux-mêmes cependant, mais « en présence du Seigneur », car eux-mêmes aussi lui doivent la grâce d’être ce qu’ils sont. Et s’il est parlé du « mont Sinaï », c’est que celui qui a travaillé plus que tous les autres, non pas lui, mais la grâce de Dieu avec lui[501], afin qu’il s’épanchât plus abondamment parmi les nations, c’est-à-dire dans le désert où le Christ n’avait pas été annoncé, pour ne point bâtir sur le fondement d’un autre[502] ; celui-là, dis-je, était Israélite, de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin[503] ; il avait été engendré dans la servitude, en cette Jérusalem terrestre, qui est esclave avec ses enfants ; et c’est pourquoi il persécutait l’Église. Car, selon l’avis qu’il nous en donne : « De même que le Fils engendré selon la chair poursuivait le Fils selon l’esprit ; ainsi en est-il maintenant[504] ». Mais j’ai obtenu miséricorde, parce que j’ai agi dans l’ignorance, n’ayant point la foi[505]. Admirons donc « les cieux qui s’épanchent à la face du Seigneur », admirons plus encore cette « montagne de Sinaï », c’est-à-dire celui qui fut tout d’abord persécuteur, Hébreu fils d’Hébreux, et Pharisien en ce qui regarde la loi[506]. Que faut-il admirer ? Qu’il n’ait point agi de lui-même, mais « devant la face du Dieu d’Israël », d’Israël dont il dit : « Et à l’Israël de Dieu[507] » ; et dont le Seigneur a dit : « C’est là un vrai Israélite, sans déguisement[508] ». Telle est la pluie de grâce que le Seigneur a ménagée à son héritage, et que ne précédaient point les mérites des bonnes œuvres. « Cet héritage s’est affaibli ». Car l’Apôtre a reconnu qu’il n’est rien par lui-même, ni par ses propres forces, mais qu’il doit à la grâce de Dieu ce qu’il est. Il a reconnu ce qu’il a dit plus tard : « Je me glorifierai dans mes infirmités[509] ». Il a reconnu la vérité de cette parole : « Ne t’élève point dans ta sagesse, mais crains[510] ». Il a compris, que « Dieu donne la grâce aux humbles[511]. Il s’est affaibli, mais vous, ô Dieu, l’avez conduit à la perfection ; parce que la vertu se perfectionne dans la faiblesse[512] ». Dans quelques exemplaires et latins et grecs, on ne trouve pas : « La montagne de Sinaï », mais simplement : « En face du Dieu de Sinaï, en face du Dieu d’Israël ». C’est-à-dire : « Les cieux se sont épanchés en face du Dieu d’Israël » ; et comme si l’on demandait de quel Dieu : « En face du Dieu de Sinaï », dirait le Prophète, « du Dieu d’Israël », c’est-à-dire en face du Dieu qui a donné sa loi au peuple d’Israël. Pourquoi donc « les cieux s’épanchent-ils en face de Dieu » ; en face de ce Dieu, sinon pour accomplir ainsi la prophétie : « Celui qui a donné la loi, donnera aussi la bénédiction[513] ? » « La loi », pour effrayer celui qui présume des forces de l’homme ; « la bénédiction », qui délivre celui qui espère en Dieu. Vous donc, ô mon Dieu, avez donné la perfection à votre héritage : parce qu’en lui-même il s’est affaibli, afin de recevoir de vous le perfectionnement.
13. « Les animaux qui sont les vôtres, habiteront en cette terre ». « Qui sont les vôtres », non qui s’appartiennent ; qui vous sont soumis, non abandonnés à eux-mêmes ; qui ont besoin de vous, non point qui se suffisent. Enfin, il est dit ensuite : « Vous l’avez préparé dans votre bonté, Seigneur, pour celui qui est pauvre[514] ». « Dans votre bonté », et non dans le droit qu’il en avait. Il est pauvre, en effet, parce qu’il est infirme, afin d’être conduit à la perfection : il reconnaît son indigence, afin d’être rassasié. Telle est la bonté dont il est dit ailleurs : « Le Seigneur épanchera ses bénédictions, et notre terre donnera son fruit[515] » ; en sorte que le bien se fera, non par crainte, mais par amour ; non par l’effroi du châtiment, mais par la joie intime de la justice. Telle est, en effet, la vraie et saine liberté, Mais le Seigneur la prépare à celui qui est pauvre, non point à celui qui est dans l’abondance, et qui rougirait de cette pauvreté : c’est de tels hommes qu’il est dit : « Nous sommes en butte à l’outrage du riche, au mépris des superbes[516] ». Il appelle orgueilleux ceux qu’il a d’abord appelés riches.
14. « Le Seigneur donnera son Verbe » : c’est-à-dire, la nourriture à ses animaux qui habiteront cette terre. Mais que feront ces animaux auxquels il donnera le Verbe, sinon ce qui est dit ensuite ? « Qu’ils évangéliseront avec une grande force[517] ». Avec quelle force, sinon avec cette force qui lui fait délivrer les captifs ? Peut-être appellerait-il ici force, la vertu d’opérer des miracles qui éclata dans les prédicateurs de l’Évangile.
15. Quel est donc celui qui « donnera le Verbe à ceux qui prêcheront l’Évangile avec une grande force ? C’est, dit le Prophète, le roi des vertus du Bien-Aimé[518] ». Le Père est donc le roi des vertus du Fils. Car, le bien-aimé, à moins que l’on ne précise quel est ce bien-aimé, s’entend par antonomase du Fils unique de Dieu. Le Fils est-il le roi des vertus, c’est-à-dire des vertus qui lui obéissent ? Car « il doit donner la parole à ceux qui évangéliseront avec une grande force, celui qui est roi des vertus », et dont il est dit : « Le Seigneur des vertus est lui-même le roi de gloire[519] ». Qu’il n’ait point dit : Le roi de ses vertus, mais simplement : « Le roi des vertus du bien-aimé », c’est une manière de parler très fréquente dans les Écritures, pour peu qu’on y fasse attention : c’est ce qui arrive surtout quand le nom propre est exprimé, afin que l’on ne puisse douter que c’est bien du même personnage qu’il est question. Voilà ce que l’on trouve assez fréquemment dans le Pentateuque : « Et Moïse fit » tel et tel objet « comme le Seigneur l’avait commandé à Moïse[520][521] » en langage ordinaire on aurait dit : Moïse fit ce que lui commanda le Seigneur ; le texte sacré porte, au contraire : « Moïse fit ce que le Seigneur commanda à Moïse », comme si Moïse, à qui Dieu avait commandé, n’était pas Moïse qui exécuta, quoique ce fût bien le même cependant. Ces locutions se rencontrent bien difficilement dans le Nouveau-Testament, et toutefois l’Apôtre s’en servait quand il disait : « A propos de son Fils qui lui est né de la race de David selon la chair, qui a été prédestiné Fils de Dieu en puissance, selon l’Esprit de sainteté, par la résurrection d’entre les morts, de Jésus-Christ Notre-Seigneur[522] » ; comme si autre était le Fils de Dieu qui est né de la race de David selon la chair, et autre Jésus notre Seigneur, tandis que c’est bien le même. Dans les anciens livres on rencontre fréquemment cette locution : et c’est pourquoi, quand elle amène tant soit peu d’obscurité, on doit recourir aux exemples du même genre qui portent leur évidence en eux-mêmes ; ainsi elle est quelque peu obscure dans le passage du Psaume que nous exposons. Si l’on disait, en effet, Jésus-Christ roi des puissances de Jésus-Christ, le passage serait aussi clair que celui-ci : « Moïse accomplit ce que Dieu avait commandé à Moïse » ; mais comme il est dit : « Roi des vertus du bien-aimé », il ne vient pas facilement à l’esprit que celui qui est le bien-aimé soit aussi le Roi des vertus. Cette expression donc : « Roi des puissances du bien-aimé », peut s’entendre comme s’il était dit, roide ses vertus, puisque le roi des vertus est le Christ, et que le bien-aimé est aussi le même Christ. Ce sens toutefois n’est pas si rigoureux, qu’on n’en puisse donner un autre : car on peut entendre que le Père est le roi des vertus de son Fils bien-aimé, et ce même bien-aimé lui dit : « Tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi[523] ». Mais vient-on à me demander si Dieu le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ peut être aussi appelé roi, je ne sache pas qu’il y ait un homme pour oser le dépouiller de ce titre, quand l’Apôtre a dit : « Au roi des siècles, au Dieu immortel, invisible, unique[524] ». Et si l’on veut appliquer cette parole à la Trinité, nous y trouvons encore Dieu le Père. Mais à moins d’entendre d’une manière charnelle, cette expression : « O Dieu ! donnez votre jugement au roi, et votre justice au fils du roi[525] » ; je ne sais si l’on peut y voir autre chose que « à votre Fils ». Donc le Père est aussi roi. De là vient que « le roi des puissances du bien-aimé », peut s’entendre de deux manières. Aussi, après avoir dit : « Le Seigneur donnera son Verbe à ceux qui évangéliseront avec une grande puissance » : comme la puissance vient de celui qui gouverne, et doit servir les desseins de celui qui la donne, le Prophète ajoute : « Le Seigneur qui donnera le Verbe à ceux qui évangéliseront avec une grande puissance, est le roi des puissances du bien-aimé ».
16. Voici le verset suivant : « Bien-Aimé, et pour partager les dépouilles de la beauté de la maison[526] ». Il répète, afin de mieux appeler l’attention : cette répétition toutefois ne se trouve pas dans tous les exemplaires, et les plus soignés la marquent d’une étoile, ou du signe que l’on appelle astérisque, et par lequel on veut faire connaître ce qui manque dans le texte des Septante, mais qui est dans l’hébreu. Mais que l’on admette que cette expression, « bien-aimée » est répétée ou qu’elle n’est exprimée qu’une fois, voici, je crois, le sens qu’il faut donner à ce qui suit : « Et pour partager les dépouilles de la beauté de la maison », comme s’il y avait : « C’est au bien-aimé de partager les dépouilles qui embelliront le palais », c’est-à-dire, de celui qui est bien-aimé quand il assigne les dépouilles en partage. Cette maison embellie, c’est l’Église qu’enrichit le Christ, quand il l’orne de dépouilles comme un corps est beau par la distribution proportionnée des membres. Or, on appelle dépouilles ce que l’on enlève à l’ennemi. L’Évangile nous en explique la nature, quand nous lisons : « Nul ne peut entrer dans la maison d’un homme fort, pour en enlever les dépouilles, sans avoir auparavant lié le fort[527] ». Le Christ a donc enchaîné le diable avec des liens spirituels, quand il a triomphé de la mort, et s’est élevé de l’abîme jusque dans les cieux ; il l’a enchaîné par le sacrement de son incarnation, puisqu’il a été permis au démon de le faire mourir, bien qu’il ne trouvât en lui rien qui fût digne de mort ; et c’est après l’avoir ainsi enchaîné, que le Christ lui a enlevé ses dépouilles. Il exerçait alors son pouvoir sur les enfants de la rébellion[528], dont l’infidélité servait ses desseins. Or, le Seigneur en purifiant ces vases par la rémission des péchés, et en sanctifiant ces dépouilles enlevées à l’ennemi terrassé et enchaîné, les a distribuées pour l’embellissement de son palais ; en faisant des uns des Apôtres, des autres des Prophètes, d’autres des pasteurs et des docteurs, pour les fonctions du ministère, et l’édification du corps du Christ[529]. « De même, en effet, que notre corps est un, bien qu’il ait plusieurs membres, et que tous ces membres, quoique nombreux, ne composent néanmoins qu’un seul corps : ainsi en est-il du Christ. Or, tous sont-ils Apôtres ? Tous sont-ils Prophètes ? Tous sont-ils des puissances ? Tous ont-ils le don de guérir ? Tous parlent-ils diverses langues ? Tous sont-ils interprètes ? Mais c’est le seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu’il lui plaît[530] ». Telle est la beauté du palais auquel on distribue des dépouilles ; en sorte que celui qui l’aime s’exalte de cette beauté et s’écrie : « Seigneur, j’aime la richesse de votre maison[531] ».
17. Dans les versets qui vont suivre, le Prophète adresse la parole à ces mêmes membres qui font la beauté de l’édifice, et s’écrie : « Si vous vous endormez au milieu des héritages, ailes de la colombe argentée, et dont le cou est enrichi de reflets d’or et d’émeraude[532] ». Cherchons d’abord quel est l’ordre de ces paroles, et comment se termine la pensée ; car elle n’est point définie, puisqu’il est dit : « Si vous dormez ». Ensuite, quand il parle de ces « ailes argentées de la colombe », faut-il l’entendre au singulier, et dire, de cette aile, hujus pennae, ou au pluriel, ces ailes, hae pennae ? Mais le grec exclut absolument le singulier et emploie ici le pluriel. Cependant c’est encore une question incertaine, s’il faut lire, ces ailes, ou bien, ô ailes, comme si on leur adressait la parole. Ainsi donc, les paroles qui ont précédé, ont-elles donné l’achèvement à cette pensée, en sorte qu’elle soit ainsi réglée : « Le Seigneur donnera son Verbe à ceux qui évangéliseront avec une grande puissance, si vous dormez au milieu de l’héritage, ô vous, ailes de la colombe argentée » ? Ou bien trouve-t-elle son complément dans les paroles qui suivent, de cette manière : « Si vous dormez au milieu de l’héritage, les ailes de la colombe argentée deviendront blanches comme la neige du Selmon[533] ». C’est-à-dire que ces ailes blanchiront, si vous dormez au milieu de l’héritage ; en sorte qu’il adresserait la parole à ceux qui sont partagés comme des trophées pour l’ornementation du palais ; c’est-à-dire : Si vous dormez entre deux héritages, ô vous qui êtes distribués pour l’embellissement du palais, par la manifestation de l’Esprit, ainsi qu’il est nécessaire, en sorte qu’à l’un l’Esprit-Saint ait donné la parole de la sagesse, à l’autre la parole de la science selon le même Esprit, à celui-ci la foi, à cet autre le don de guérir dans le même Esprit, et le reste[534]. Si donc vous vous endormez au milieu de l’héritage, alors les ailes de la colombe argentée deviendront blanches comme la neige du Selmon. On peut encore l’entendre de cette manière « Si vous, ô ailes de la colombe argentée, dormez au milieu des héritages, ils blanchiront comme la neige du Selmon », c’est-à-dire les hommes qui recevront par la grâce la rémission de leurs péchés. Aussi est-il dit à propos de l’Église, au Cantique des cantiques : « Quelle est celle-ci qui s’élève dans sa blancheur[535][536] ? » Dieu accomplissant ainsi la promesse qu’il a faite par le Prophète : « Vos péchés fussent-ils comme le vermillon, je vous rendrai blancs comme la neige[537] ». On peut donc comprendre ce passage de manière que dans cette expression : « des ailes d’une colombe argentée, il faille sous-entendre, vous serez ; et alors le sens deviendrait : O vous qui êtes distribués pour l’embellissement du palais, si vous dormez au milieu des héritages, vous serez des ailes, d’une colombe argentée : c’est-à-dire, vous vous élèverez dans les hauteurs, mais en vous rattachant à l’Église par des liens sacrés. Par cette colombe argentée, je ne vois pas ce qu’il nous est possible d’entendre mieux que celle dont il est dit : « Ma colombe est unique[538] ». Elle est argentée, parce qu’elle est instruite des divins enseignements ; et ces enseignements du Seigneur sont appelés dans un autre endroit : « Un argent qui a passé à l’épreuve du feu de la terre, et qui est purifié sept fois[539] ». Il y a donc un grand bien à dormir entre ces deux héritages dans lesquels on prétend voir les deux testaments, en sorte que dormir entre deux héritages, ce serait reposer sur l’autorité de ces Testaments, c’est-à-dire, s’en rapporter à leur autorité, terminer dans la paix et à l’amiable toute dispute, dès que l’on apporte des témoignages et des preuves de l’un ou de l’autre. S’il en est ainsi, quelle leçon paraît donnée à ceux qui évangélisent avec une grande puissance, sinon que le Seigneur doit leur donner sa parole, afin qu’ils puissent évangéliser, s’ils se reposent entre les deux héritages ? Alors donc leur sera donnée la parole de vérité, s’ils ne négligent point l’autorité des deux Testaments ; en sorte qu’ils seront eux-mêmes des ailes de la colombe argentée, eux dont la prédication porte jusqu’au ciel la gloire de l’Église.
18. Mais « entre les épaules » : c’est là une partie du corps ; cette partie tient à la région du cœur, et toutefois en arrière ; les plumes de son dos, dit le Prophète, et il ajoute que cette partie de la colombe argentée a des reflets d’or, c’est-à-dire la force de la sagesse, et je ne crois pas que par cette force on puisse mieux entendre que la charité. Mais pourquoi le dos, et non la poitrine ? Je m’étonne en effet de cette parole d’un autre psaume, où il est dit : « Il te couvrira de son ombre entre ses épaules, et tu espéreras sous ses ailes[540] » tandis que les ailes ne peuvent abriter que ce qui est sous la poitrine. En latin, inter scapulas, entre les épaules, peut s’entendre peut-être de part et d’autre, en avant et en arrière, en sorte que par épaules, nous comprenions ces parties du corps au milieu desquelles est placée la tête ; il est possible encore que l’hébreu se puisse entendre de la même façon ; mais dans le grec, metaphrena. ne peut se dire que de la partie postérieure, ce qui est inter scapulas, entre les épaules. Or, est-ce là qu’est l’éclat de l’or, c’est-à-dire la sagesse et la charité, parce que c’est là que les ailes sont attachées en quelque sorte, ou bien, parce que c’est là que l’on porte le fardeau léger ? Que sont en effet ces deux ailes, sinon les deux préceptes de la charité, qui renferment toute la loi et les Prophètes[541] ? Qu’est-ce que le fardeau léger, sinon la charité que l’on accomplit par ces deux préceptes ? Tout ce qui est difficile dans ces deux préceptes devient léger pour celui qui aime. Et nous n’avons pas d’autre raison de bien comprendre cette parole : « Mon fardeau est léger[542] », sinon que Dieu nous donne l’Esprit-Saint, par qui la charité est répandue dans nos cœurs[543], afin que par amour nous fassions de bon cœur ce que la crainte fait faire à celui qui agit en esclave ; car on n’est pas ami du bien, quand on préférerait que le bien ne fût point commandé, si cela était possible.
19. On peut demander encore : Pourquoi n’est-il pas dit : Si vous dormez parmi les héritages, mais « au milieu des héritages » que veut dire « au milieu des héritages ? » Si l’on eût traduit le grec d’une manière plus expresse, on eût dit : Dans le milieu des héritages, ce que je n’ai lu chez aucun interprète ; c’est pourquoi il me semble que la traduction : « Au milieu des héritages », a la même valeur. Je dirai donc ce que j’en pense. Cette expression, dans le grec, s’emploie pour désigner un lien, un pacte, qui devient indissoluble ; c’est ainsi que l’Écriture s’en sert pour désigner le testament formé entre le Seigneur et son peuple : car, au lieu que le latin dit : « Entre vous et moi », le grec porte : « Au milieu du mien et du vôtre ». Ainsi encore à propos du signe de la circoncision, alors que Dieu, s’adressant à Abraham, lui dit : « Il y aura une alliance entre toi et moi, et toute ta postérité[544] » ; le grec porte : « Au milieu du mien et du tien, et au milieu de ta postérité ». De même quand le Seigneur parlait à Noé de cet arc-en-ciel qui sera un signe établi[545], il répète souvent cette expression, ainsi traduite en latin : inter me et vos, « entre vous et moi », ou « entre moi et toute « âme vivante », et chaque fois que l’on rencontre ces idées, nous voyons dans le grec « au milieu du mien et du tien », ana meson, David et Jonathan conviennent d’un signe pour ne pas se tromper dans leurs conjectures[546] ; et ce que le latin exprime par « entre eux deux », le grec l’exprime par « au milieu d’eux deux », ou ana meson. Mais nos traducteurs ont eu raison de ne point traduire cet endroit du psaume par « entre les héritages », comme il est d’ordinaire dans la langue latine, mais de dire « au milieu des u héritages e, comme dans le milieu des héritages, ce que dit le grec avec plus de précision, et ce qui se dit ordinairement des choses qui doivent être en parfait accord, ainsi que je le disais tout à l’heure. L’Écriture alors commande de dormir entre les héritages, à ceux qui sont les ailes de la colombe argentée, ou qui doivent le devenir par ce moyen. Or, ces héritages sont les deux Testaments, et quelle leçon devons-nous en tirer, sinon de ne point contredire à l’accord des deux Testaments, mais de les comprendre et d’acquiescer à leur autorité, d’être tout à la fois le signe et l’enseignement de leur accord, puisque nous sentons qu’ils ne disent rien de contraire l’un à l’autre, et que nous le montrons dans l’admiration de la paix, et comme dans le sommeil de l’extase ? Mais si nous voyons les Testaments dans les héritages, klerois, puisque c’est là un nom grec, et qui ne signifie pas Testaments, c’est que ces deux Testaments nous donnent l’héritage, dont le nom en grec est kleronomia, comme celui de l’héritier, kleronomos. Or, kleros, en grec, signifie un lot tiré au sort, et les sorts que nous a promis le Seigneur, se nomment les parties de cet héritage, distribuées au peuple, De là vient que la tribu de Lévi ne dut point avoir de sort, parce qu’elle devait vivre de la dîme[547]. De kleros viennent ces noms de clergé et de clercs, donnés à ceux qui ont pris un rang dans les divers degrés du ministère ecclésiastique, car ce fut par le sort qu’on élut Matthias, le premier, disons-nous, qui ait été ordonné par les Apôtres[548]. C’est pourquoi à cause de l’héritage qui nous vient par testament comme l’effet qui nous vient de la cause, on a désigné les Testaments eux-mêmes sous le nom d’héritages.
20. Toutefois, il me vient à l’esprit un autre sens bien préférable, si je ne me trompe, et qui nous fait comprendre par les sorts les héritages eux-mêmes ; l’héritage de l’Ancien Testament, bien qu’il soit l’ombre symbolique de l’avenir, serait la félicité de la terre ; l’héritage du Nouveau Testament serait le bonheur sans fin, et dormir au milieu des héritages signifierait qu’on ne recherche point celui-là avec ardeur, mais que l’on attend celui-ci avec patience. Ceux en effet qui servent Dieu pour ce motif, ou plutôt qui, pour ce motif ne le servent point, en cherchant dans cette vie et sur cette terre la félicité, voient le sommeil les fuir, ils ne dorment point. Agités par la flamme de leurs convoitises, ils se jettent clans les crimes, dans les forfaits ; le désir d’acquérir, la crainte de perdre leur enlève le repos. « Mais celui qui m’écoute », a dit la Sagesse, « habitera dans l’espérance ; libre de crainte, il s’abstiendra de tout mal[549] ». Autant que je puis voir, tel est le sens de dormir au milieu des sorts, c’est-à-dire au milieu des héritages ; c’est habiter l’héritage éternel, non point encore en réalité, mais en espérance, et faire trêve avec tout désir de bonheur terrestre. Et quand viendra l’objet de notre espérance, nous ne reposerons plus entre deux héritages, mais nous régnerons dans l’héritage nouveau, l’héritage véritable, dont l’ancien était la figure. Si donc nous entendons ces paroles : « Si vous dormez au milieu des héritages », comme s’il était dit : Si vous mourez au milieu des héritages, comprenant que l’Écriture, comme il lui arrive d’ordinaire, appellerait du nom de sommeil, la mort corporelle ; la plus sainte mort qui vient clore les jours de cette vie, est celle de l’homme qui persévère à réprimer en lui les désirs des biens terrestres, et à n’espérer jusqu’à la fin que l’héritage du ciel. Ceux qui dormiront ainsi au milieu des héritages auront des ailes comme ta colombe argentée ; parce qu’au jour de la résurrection, ils s’envoleront sus les nuées, à travers les airs, au-devant du Christ, afin de vivre toujours avec le Seigneur[550] ; ou bien parce qu’à l’occasion de ceux qui meurent ainsi, la gloire de l’Église éclate et plus haut et plus loin, et s’élève comme sur les ailes de la plus sublime louange. Ce n’est pas en effet sans raison qu’il est écrit : « Ne louez aucun homme avant sa mort[551] ». Donc, tous les saints de Dieu, depuis l’origine du genre humain jusqu’au temps des Apôtres, parce qu’ils ont bien su dire : « Je n’ai point désiré les jours de l’homme, vous le savez[552] » ; et encore : « J’ai fait une prière au Seigneur et je la renouvellerai[553] » ; et depuis le temps des Apôtres, qui a marqué plus clairement la différence entre les deux Testaments, les Apôtres eux-mêmes, les martyrs et les autres justes, comme les chefs du troupeau avec leur postérité, tous se sont endormis au milieu des héritages, méprisant la félicité du règne terrestre, pour mettre leur espérance dans ce royaume des cieux qu’ils ne tenaient pas encore. Et comme ils ont goûté cet heureux sommeil, voilà qu’ils sont comme les ailes de cette Église qui est la colombe argentée, et qu’elle-même s’élève par les louanges qu’on leur donne ainsi la renommée de leur sainteté est pour ceux de l’avenir une invitation à les imiter, et ceux-ci, dormant à leur tour ce même sommeil, deviendront des ailes nouvelles, qui porteront jusqu’aux siècles derniers la sublime renommée de l’Église.
21. « Pendant que celui qui habite au-dessus des cieux partage les rois à cause d’elle, voilà qu’elle deviendra plus blanche que la neige du Selmon[554] ». Celui qui habite au-dessus des cieux est le même « qui monte au plus haut des « cieux, pour accomplir toutes choses, tandis qu’il distribue les rois à cause d’elle », c’est-à-dire à cause de cette colombe argentée. Car l’Apôtre continue en disant : « C’est lui aussi qui a fait les uns Apôtres, les autres Prophètes, ceux-ci évangélistes, ceux-là pasteurs et docteurs ». Qu’est-ce autre chose que partager les rois à cause d’elle, sinon « pour l’œuvre du ministère, pour l’édification du corps du Christ[555] » ; puisque ce corps du Christ, c’est elle-même ? Ils sont appelés « rois », du mot régir : et que doivent-ils régir principalement, sinon les convoitises de la chair, de peur que le péché ne règne dans leur corps mortel, qu’ils n’abandonnent leurs membres au péché comme des instruments d’iniquité ; et afin qu’ils se donnent à Dieu, comme devenus vivants de morts qu’ils étaient, et que leurs membres soient des instruments de justice[556] ? C’est ainsi qu’ils seront des rois, séparés d’abord des étrangers, parce qu’ils ne porteront point le joug avec les infidèles, séparés entre eux, par leur propre ministère, mais dans la concorde. « Tous, en effet, ne sont point Apôtres, ni tous Prophètes, ni tous docteurs ; tous également n’ont point le don de guérison, ni tous le don des langues, ni tous le don de les interpréter. « Or, c’est le seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons selon qu’il lui plaît[557] » ; et c’est en donnant cet Esprit que celui qui habite les cieux, établit une distinction parmi les rois à cause de la colombe argentée. C’est de ce même Esprit-Saint que l’ange parlait à la Mère, pleine de grâce, de celui qui habite les cieux, quand elle demandait comment elle pourrait enfanter, elle qui ne connaissait point d’homme, et qu’il lui répondait : « L’Esprit-Saint descendra en vous, et la vertu du Tout-Puissant vous couvrira de son ombre[558] ». Qu’est-ce à dire, « vous couvrira de son ombre », sinon sera pour vous un ombrage ? De là vient que ces rois, que la grâce de l’Esprit-Saint en Jésus-Christ a partagés à cause de la colombe argentée, « deviendront blancs comme la neige de Selmon ». Car Selmon signifie ombre. Or, ce n’est point par leurs mérites ou par leur propre vertu qu’ils ont leurs attributs. « Qui est-ce, en effet, qui met de la différence entre vous », dit saint Paul ? « et qu’avez-vous que vous n’ayez point reçu[559] ? » Donc, pour être discernés des impies, ils reçoivent la rémission des péchés, de celui qui a dit : « Vos péchés fussent-ils comme le vermillon, je vous rendrai blancs commue la neige[560] ». Voilà comment « ils deviendront blancs comme la neige du Selmon », c’est par la grâce de l’Esprit du Christ, par qui leur sont assignés même leurs dons propres : c’est de lui qu’il est dit, comme je l’ai rappelé plus haut « L’Esprit-Saint descendra en vous, la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ; c’est pourquoi le Saint qui naîtra de vous s’appellera le Fils de Dieu[561] ». Or, cette ombre s’entend d’un abri contre la flamme des convoitises charnelles ; de là vient que cette vierge n’a point conçu le Christ par les désirs de la chair, mais par la foi de l’esprit. Or, l’ombre tient du corps et de la lumière ; c’est pourquoi ce Verbe qui était au commencement cette lumière véritable, afin de nous offrir un ombrage au milieu du jour, « s’est fait chair, et a demeuré parmi nous[562] » c’est-à-dire que l’homme s’est uni à Dieu, comme le corps à la lumière, et a couvert d’une ombre protectrice ceux qui croient en lui. Ce n’est point, en effet, d’une ombre de cette nature qu’il est dit : « Tout cela s’est évanoui comme une ombre[563] » ; ni d’une ombre semblable que l’Apôtre a dit : « Que personne donc ne vous condamne au sujet du manger ou du boire, ou à cause des jours de fêtes, des nouvelles lunes, des jours de sabbat : tout cela est l’ombre de l’avenir[564] ». Mais c’est d’une ombre pareille qu’il est dit : « Protégez-moi à l’ombre de vos ailes[565] ». Ainsi, quand celui qui habite les cieux fait le discernement des rois à cause de la colombe argentée, qu’ils ne vantent point leurs mérites, qu’ils ne se confient point dans leur propre vertu : « Ils deviendront blancs comme la neige du Selmon » ; ils seront purifiés par la grâce à l’ombre du Christ.
22. C’est cette montagne de Selmon que le Prophète appelle ensuite « Montagne de Dieu, montagne fertile, montagne laiteuse[566], ou grasse ». Quel autre sens que celui de la fertilité peut-on donner à une montagne grasse ? Car cette montagne, c’est-à-dire « Selmon » est encore appelée de ce même nom. Mais nous, quelle montagne devons-nous entendre par cette « montagne de Dieu, cette montagne fertile, cette montagne grasse », sinon ce même Christ, Notre-Seigneur, dont un autre Prophète a dit : « Voilà que dans les derniers jours, la montagne du Seigneur se manifestera au-dessus du sommet des montagnes[567] ? » Voilà cette montagne qui est laiteuse à cause des enfants qui ont besoin de lait pour nourriture[568], montagne fertile, qui fortifie, qui enrichit de ses dons excellents ; car le lait qui se coagule en fromage devient une admirable figure de la grâce : il est le produit de la surabondance du cœur maternel, et il est donné, avec une délicieuse miséricorde, gratuitement aux enfants. Dans le grec il y a doute si ce terme laiteux est à l’accusatif ou au nominatif ; parce que dans cette langue le mot montagne est du genre neutre ; c’est pourquoi plusieurs latins ont traduit, non pas Montem Dei, mais Mons Dei. Je crois qu’il est mieux de dire, à l’accusatif : « En Selmon, montagne de Dieu », c’est-à-dire en cette montagne de Dieu, qui est appelée Selmon, dans le sens que nous avons donné plus haut selon nos forces.
23. Il dit ensuite que « la montagne de Dieu est une montagne laiteuse, une montagne fertile », afin que nul n’ose désormais comparer Notre-Seigneur Jésus-Christ aux autres montagnes, appelées aussi montagnes de Dieu ; on lit en effet : « Votre justice est comme les montagnes de Dieu[569] » ; de là vient que l’Apôtre a dit : « Afin que nous aussi, nous soyons en lui la justice de Dieu[570] ». C’est de ces montagnes qu’il est dit ailleurs : « Vous projetez du haut de vos montagnes éternelles une lumière admirable[571] » : parce que la vie éternelle leur a été donnée, que par elle l’éminente autorité des livres saints a été consolidée ; mais elles empruntaient leur lumière à celui à qui il est dit : « C’est vous qui éclairez. J’ai levé les yeux vers la montagne, d’où me viendra le secours » : et cependant ce n’est point par elles-mêmes que ces montagnes me donneront du secours ; mais « mon secours me viendra du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre[572] ». Une de ces montagnes, quoique supérieure, après avoir dit qu’elle avait travaillé plus que toutes les autres ajoutait « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi[573] ». Afin donc que nul n’ait l’audace de comparer cette montagne qui désigne le plus beau des fils des hommes[574], à ces autres montagnes, qui sont les fils des hommes : car il y en eut qui dirent que ce Fils était Jean-Baptiste, d’autres Elie, d’autres Jérémie, ou quelqu’un des Prophètes[575]7 ; voilà que David les apostrophe en disant : « Pourquoi vous imaginer que les montagnes fertiles, sont la montagne sur laquelle il a plu au Seigneur d’habiter ? Pourquoi le soupçonner[576] ? » Ils sont à la vérité des lumières, puisqu’il leur a été dit : « Vous êtes la lumière du monde[577] » ; mais voici encore une autre parole : « Lumière véritable, qui éclaire tout homme[578] » ; de même ces Apôtres sont des montagnes, et néanmoins il est une montagne bien supérieure, établie sur le sommet des autres montagnes[579]. Ces montagnes tirent donc leur gloire de celle qu’elles portent ; et l’une d’elles a dit : « A Dieu ne plaise que je me glorifie, sinon en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour moi et moi tour le monde[580] : afin que celui qui se glorifie, ne se glorifie point en lui-même, mais en Dieu[581]. Pourquoi vous « imaginer que les montagnes fertiles sont cette montagne, en laquelle il plaît au Seigneur d’habiter ? » Non pas qu’il n’habite point dans les autres ; mais parce qu’il y habite par lui-même. « Car c’est en lui que réside la plénitude de la divinité[582] » ; non pas d’une manière figurative comme dans le temple construit par Salomon[583], mais d’une manière corporelle, ou solide et réelle. « Car Dieu était en lui se réconciliant le monde[584] », Soit que nous entendions ceci du Père, puisque le Christ a dit : « C’est le Père, qui demeure en moi, qui accomplit les œuvres. Je suis en mon Père, et mon Père est en moi[585] » ; soit que l’on entende par là que « Dieu était dans le Christ », le Verbe dans l’homme ; le Verbe n’en était pas moins dans la chair, de manière que lui seulement être appelé spécialement le Verbe fait chair[586], c’est-à-dire l’homme ne formant avec le Verbe qu’une seule personne qui est le Christ. « Pourquoi donc vous imaginer que les montagnes fertiles sont cette même montagne en laquelle il a plu à Dieu d’habiter » ; et bien autrement qu’en ces autres montagnes dont l’une vous paraît être lui-même ? Bien qu’ils soient enfants de Dieu par la grâce de l’adoption, il n’en faut pas conclure que l’un d’eux est le Fils unique de Dieu, à qui son Père disait : « Asseyez-vous à ma droite jusqu’à ce que je vous aie fait de vos ennemis un marchepied[587]. Car le Seigneur habitera jusqu’à la fin » ; c’est-à-dire, le Seigneur habitera ces montagnes qu’il ne faut point comparer à cette autre montagne, élevée sur le point culminant des montagnes[588], pour les diriger à leur terme, lequel est lui-même contemplé dans sa divinité ; « car, le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront[589] ». Il a donc plu à Dieu d’habiter cette hauteur élevée sur le sommet des montagnes, et à qui il dit : « Vous êtes mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis mes complaisances[590] ». Or, le Seigneur est lui-même une montagne qui habitera, pour les mener à leur fin, ces autres montagnes sur lesquelles il est élevé. « Il n’y a qu’un seul Dieu et un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme[591] », qui est la montagne des montagnes, comme le Saint des saints. De là cette parole : « Moi en eux, et vous en moi[592]. Pourquoi donc vous imaginer que les montagnes fertiles sont la montagne qu’il a plu au Seigneur d’habiter ? » Car le Seigneur, montagne fertile, habitera les autres montagnes fertiles pour les conduire à leur fin, de sorte qu’elles feront partie de celles auxquelles il a dit : « Sans moi vous ne pouvez rien faire[593] ».
24. Ainsi s’accomplit encore ce qui suit « Les chars de Dieu sont des myriades » : ou « ils se multiplient de dizaines de mille », ou de dix fois mille. Il n’y a ici qu’un mot grec, murioplasion, que les traducteurs latins ont rendu, chacun comme il a pu. Il était difficile, en effet, de le rendre en latin ; car, chez les Grecs, mille s’exprime par Xilia tandis que muriades ou myriades, signifie plusieurs dizaines de milliers : car une myriade signifie dix mille. Le Prophète a donc voulu désigner par ce nombre cette grande foule de saints et de fidèles qui, en portant Dieu, deviennent en quelque sorte les chars de Dieu. C’est en demeurant dans cette foule, et en la gouvernant, qu’il la mène à sa fin, comme qui conduit un char vers un lieu marqué. Car « c’est Jésus-Christ tout d’abord, ensuite ceux qui sont à Jésus-Christ, ensuite la fin[594] ». Telle est la sainte Église : elle se compose de ceux dont il est dit ensuite : « Ils tressaillent par milliers. Car ils s’épanouissent dans l’espérance », jusqu’à ce qu’ils arrivent à la fin, qu’ils attendent dans la patience[595]. C’est bien justement, qu’après avoir dit : « Ils tressaillent par milliers », l’écrivain sacré ajoute aussitôt : « Le Seigneur est en eux ». Et ne « nous étonnons pas qu’ils se réjouissent, puisque le Seigneur est en eux ». Car « c’est par de nombreuses tribulations qu’il nous faut entrer dans le royaume de Dieu[596] » ; mais « le Seigneur est en eux ». Dès lors, s’ils sont « comme dans la tristesse, néanmoins ils sont toujours dans la joie[597] » ; non pas dans la joie que donne la possession de la fin, mais dans la joie que donne l’espérance ; « ils sont aussi patients dans la tribulation[598] », parce que « le Seigneur est en eux, en Sina, la montagne sainte ». En interprétant les noms hébreux, nous trouvons que Sina signifie préceptes : il a d’autres sens encore, mais c’est là, je crois, le plus convenable pour le moment. Car en nous expliquant d’où vient la joie de ces myriades qui composent le char de Dieu, « Le Seigneur est avec eux », dit le Prophète, « en Sina, sur la montagne sainte » ; c’est-à-dire, le Seigneur est avec eux dans ses préceptes ; et le précepte est saint, comme l’a dit l’Apôtre : « Donc la loi est sainte, et le commandement est saint, juste et bon[599] ». Mais de quoi nous servirait un précepte, si nous ne trouvions en lui le Seigneur, dont il est dit : « C’est Dieu qui, par sa bonne volonté, opère en nous le vouloir et le faire[600] ? » Car un commandement sans le secours de Dieu, n’est qu’une lettre qui tue[601]. « Puisque la loi est entrée pour faire abonder le péché[602] ». Mais comme la plénitude de la loi, c’est la charité[603] », voilà que la loi s’accomplit par la charité, et non par la crainte. « La charité de Dieu est en effet répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[604] ». Ces milliers sont donc dans la joie, parce qu’ils accomplissent la justice de la loi, autant que l’Esprit de grâce leur vient en aide, parce que « le Seigneur est en eux, en Sina, dans son sanctuaire ».
25. S’adressant maintenant au Seigneur : « Vous êtes monté au plus haut des cieux », lui dit le Prophète, « entraînant captive la captivité même ; vous avez reçu des dons pour les hommes[605] ». Voilà ce que l’Apôtre nous rappelle, quand il parle ainsi du Christ Notre-Seigneur : « La grâce », nous dit-il, « a été donnée à chacun de nous selon la mesure du don de Jésus-Christ : c’est pourquoi « il est dit qu’en montant au ciel il a emmené captive la captivité elle-même, et a répandu ses dons sur les hommes. Qu’est-ce à dire qu’il est monté, sinon qu’il était descendu auparavant dans les lieux inférieurs de la terre ? Celui qui est descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses[606] ». Il est donc hors de doute que c’est au Christ qu’il est dit : « Vous êtes monté en haut, emmenant captive la captivité ; vous avez reçu des dons pour les hommes ». Ne soyez pas étonnés que l’Apôtre, citant ce même passage, ne dise point : « Vous avez reçu des dons pour les hommes » ; mais bien : « Il a répandu ses dons sur les hommes ». Il a parlé d’après son autorité apostolique, en ce sens que le Fils est Dieu avec son Père. Dans ce sens, le Christ a répandu ses dons sur les hommes, en leur envoyant l’Esprit-Saint, lequel Esprit vient du Père et du Fils. Mais dans ce sens que ce même Christ a un corps, qui est l’Église, et des membres qui sont les fidèles (d’où vient cette parole : « Vous êtes le corps du Christ, ainsi que ses membres[607] »), assurément il a lui-même reçu des dons pour les hommes. Car le Christ s’est élevé au ciel, où il est assis à la droite de son Père[608] ; mais s’il n’était pas aussi sur la terre, il n’eût point crié : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[609] ? » Comme donc ce même Christ nous dit : « Ce que vous aurez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’aurez fait[610] » ; pourquoi douterions-nous que dans ses membres il reçoit lui-même les dons que ses membres reçoivent ?
26. Mais que signifie : « Il a fait captive la captivité ? » Est-ce qu’il a vaincu la mort qui tenait captifs ceux qui étaient sous son empire ? Ou bien le Prophète appellerait-il captivité les hommes qui étaient sous le joug du démon ? Alors nous aurions une allusion à cette captivité dans le titre d’un autre psaume : « Quand l’édifice était construit après la captivité[611] » ; c’est-à-dire l’Église après l’idolâtrie. Par captivité, il désigne alors les hommes qui étaient retenus captifs, comme l’expression milice nous laisse entendre ceux qui portent les armes, et cette captivité fut, dit-il, captivée par le Christ. Pourquoi n’y aurait-il pas une captivité heureuse, si les hommes peuvent être en captivité pour leur bonheur ? Aussi fut-il dit à Pierre : « A l’avenir tu seras preneur, capiens, d’hommes[612] ». Ils sont donc captifs, parce qu’ils sont pris, et pris, parce qu’ils sont sous le joug ; oui, sous ce joug qui est doux[613], et ils sont délivrés du péché dont ils étaient esclaves, pour servir la justice dont ils étaient affranchis[614]. Il est donc en eux celui qui « a répandu ses dons sur les hommes, et a reçu les dons pour les hommes ». De là vient que cette captivité, cet esclavage, ce char, ce joug ne pèsent point sur des hommes qui gémissent, mais bien sur des hommes « qui tressaillent par milliers. Car le « Seigneur est en eux, sur le Sinaï, dans son sanctuaire[615] ». Il est une autre interprétation qui donne à Sina le sens de mesure, et qui revient à la nôtre ; car l’Apôtre, en nous parlant de ces dons d’une joie toute spirituelle, dans ce que nous avons cité plus haut, ajoute : « A chacun de nous a été donnée la grâce, selon la mesure du don de Jésus-Christ ». Puis vient alors ce qui suit ici « C’est pourquoi il est dit qu’en montant au ciel, il a emmené captive la captivité, et a répandu ses dons sur les hommes[616] » ; ce qu’exprime ici : « Vous avez reçu des dons pour les hommes ». Quoi de plus évident que l’accord entre ces vérités ?
27. Qu’ajoute ensuite le Prophète ? « Même ceux qui ne croient pas pour habiter[617] » ; ou, comme portent certains manuscrits : « Refusant de croire à toute habitation ». Refuser la foi, qu’est-ce autre chose que ne pas croire ? Mais il n’est pas facile de comprendre ceux dont il parle ici. Comme s’il donnait raison de ce qu’il a dit plus haut, après avoir écrit : « Vous avez emmené captive la captivité, et reçu des dons pour les hommes ». le Prophète ajoute : « Ceux-là même qui ne croient point pour habiter », c’est-à-dire, dont la foi est insuffisante pour habiter. Que veut dire le Prophète, et de qui parle-t-il ? Cette captivité voudrait-elle nous expliquer ce qui la rendait une captivité mauvaise avant qu’elle devînt bonne ? Son incrédulité la mettait sous le joug de son ennemi, « qui agit sur les enfants de rébellion, parmi lesquels vous avez été autrefois, quand vous viviez parmi eux[618] ». C’est donc par les dons de la grâce, que celui qui a reçu des dons pour les hommes, a emmené captive cette captivité. Ils n’avaient pas, en effet, la foi pour habiter. C’est de là que les a délivrés la foi, afin que devenus croyants, ils pussent habiter dans la maison du Seigneur, qu’ils devinssent même la maison de Dieu, et ce chal’ de Dieu où des milliers tressaillent d’allégresse.
28. De là vient l’enthousiasme du Prophète, qui voyait dans l’avenir ce qu’il chantait alors, et s’écriait à son tour dans une sainte allégresse : « Le Seigneur Dieu est béni, béni soit le Seigneur, de jour en jour[619] ». Quelques manuscrits grecs portent « chaque jour ». Car il y a dans le grec, emeran kathemeran, ce qui peut se rendre d’une manière plus vraie, par « chaque jour » ; expression qui a le même sens que de jour en « jour ». Tous les jours, en effet, jusqu’à la fin, il emmène captive la captivité, recevant des dons pour les hommes.
29. Et comme il dirige ce char vers la fin, voilà que le Prophète continue en disant : « Le Dieu de notre salut nous assure une course heureuse, il est notre Dieu, le Dieu qui nous sauve[620] ». Il nous montre ici le prix de la grâce. Qui pourrait vivre, si Dieu ne nous guérissait ? Mais de peur qu’on ne s’avise de dire : Pourquoi donc mourons-nous, si la grâce de Dieu nous donne le salut ? aussitôt le Prophète ajoute : « L’assujettissement à la mort est la part du Seigneur-Dieu » ; comme s’il disait : Pourquoi donc, ô homme, t’indigner d’avoir une condition mortelle ? Ton Dieu n’a pas eu d’autre issue que la mort. C’est donc à toi de te consoler plutôt que de t’indigner, car « le Seigneur aussi est assujetti à la mort. Or, c’est par l’espérance que nous avons le salut ; et si nous ne voyons pas ce que nous espérons, nous l’attendons par la patience[621] ». Supportons donc aussi la mort avec patience, à l’exemple de celui que nul péché ne rendait tributaire de la mort, et qui, tout Dieu qu’il était, bien que nul ne pût lui ôter la vie, qu’il ne la donnât de lui-même, a voulu passer par la mort.
30. « Toutefois le Seigneur brisera la tête de ses ennemis, il abattra le front superbe de ceux qui marchent dans leurs forfaits[622] » ; c’est-à-dire, qui s’élèvent avec jactance, qui s’enorgueillissent dans leurs crimes, alors qu’ils devraient s’humilier et dire : « Seigneur, ayez pitié de moi, qui suis un pécheur ». Mais il brisera leur tête, « car celui qui s’élève sera humilié[623] ». Ainsi, bien que la mort soit aussi le partage du Seigneur, cependant ce même Seigneur, parce qu’il est Dieu, est mort selon la chair, volontairement et non par nécessité. « Il brisera la tête de ses ennemis » ; non seulement de ceux qui insultaient au crucifié, et lui disaient en branlant la tête : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix » ; mais la tête de tous ceux qui s’élèvent contre sa doctrine, et qui raillent sa mort comme celle d’un homme. Car celui-là même dont il a été dit : « Il a sauvé les autres et ne peut se sauver lui-même[624], est le Dieu de notre vie, le Dieu qui peut nous sauver » ; mais afin de nous donner une leçon d’humilité et de patience, et d’effacer de son sang la cédule de nos péchés, il a voulu être lui-même assujetti à la mort, afin que cette mort ne fût plus pour nous une cause d’effroi, mais bien celle dont il nous délivre eu mourant de la sorte. Toutefois celui-là qui meurt au milieu des insultes « brisera la tête de ses ennemis » dont il a dit : « Ressuscitez-moi, et je me vengerai d’eux[625] » ; soit en leur rendant le bien pour le mal, quand il s’assujettit nos têtes par la foi ; soit en rendant la justice pour l’injustice, quand il abat la tête des orgueilleux. Chacune de ces manières, en effet, brise la tête de ses ennemis, qui doivent secouer leur orgueil, soit en se corrigeant par l’humilité, soit en roulant dans les profondeurs de l’abîme.
34. « Le Seigneur dit : Je sortirai de Basan[626] » ; ou, comme on lit dans quelques manuscrits : « Je ferai sortir de Basan ». Or, c’est lui qui nous change pour nous sauver, lui dont il est dit : « Il est le Dieu de notre salut, le Dieu qui nous sauve ». C’est à lui que l’on dit ailleurs : « Changez-nous, ô Dieu des vertus, montrez-nous votre face et nous serons sauvés[627] » ; et ailleurs encore : « Changez-nous, ô Dieu de notre salut[628] ». Je sortirai de Basan, dit le Prophète. Or, Basan signifie confusion. Qu’est-ce donc que sortir de la confusion, sinon rougir de nos fautes et demander à Dieu qu’il nous les pardonne dans sa miséricorde ? De là vient que le publicain n’osait lever les yeux au ciel ; il était dans la confusion en jetant les yeux sur lui-même ; aussi descendit-il justifié[629], car le Seigneur a dit : « Je ferai sortir de Basan ». Basan signifie encore sécheresse, et il est bien de comprendre que c’est le Seigneur qui nous délivre de la sécheresse ou de la disette. Tout pauvre, en effet, qui se croit dans l’abondance, qui croit regorger quand il est dans la disette, ne se convertit point. « Bienheureux, en effet, ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés[630] ». C’est de cette pauvreté que le Seigneur nous délivre ; car c’est dans la sécheresse de l’âme qu’on lui a dit : « J’ai levé les mains vers vous, mon âme sans vous est comme une terre sans eau[631] ». Mais on peut dire avec raison, comme on lit dans certains manuscrits : « Je reviendrai de Basan ». Car il se tourne en effet vers nous, celui qui a dit : « Revenez à moi, et je reviendrai à vous[632] » mais il n’y revient que quand la confusion remet incessamment sous nos yeux notre péché[633], et que quand la sécheresse nous fait soupirer après la rosée de celui qui réserve une pluie fertile à son héritage. Car la sécheresse affaiblit cet héritage, qui est rétabli quand se retourne vers lui celui à qui il est dit : « En vous tournant vers moi, vous m’avez rendu la vie[634] ». « Le Seigneur dit : « Je sortirai de Basan, je ferai sortir pour le fond de l’abîme ». Si « je les fais sortir », comment est-ce « pour le fond de l’abîme ? » Car c’est pour lui-même que le Seigneur nous fait sortir, ou opère notre conversion, quand il nous convertit d’une manière salutaire, et ce n’est point pour nous jeter dans les abîmes. Peut-être l’expression latine est-elle fautive, et aurait-elle dit le fond de l’abîme au lieu de profondément ? Car ce n’est point lui qui se tourne vers nous, mais il fait revenir à lui ceux que le poids de leurs péchés a plongés dans l’abîme de ce siècle ; c’est de là que revenait David quand il disait : « Du fond de l’abîme, j’ai crié vers vous, ô mon Dieu[635] ». Si l’on ne traduit pas : « Je ferai sortir » ; mais, « je sortirai pour les profondeurs de l’abîme », il faut comprendre en ce sens que le Seigneur promet de pénétrer par sa miséricorde les profondeurs de l’abîme, pour en délivrer les pécheurs les plus désespérés. Dans quelques manuscrits grecs, j’ai trouvé non plus, « dans le fond de l’abîme », mais, « dans les profondeurs », en buthois, ce qui confirme notre premier sens, c’est-à-dire que le Seigneur ramène à lui ceux qui l’invoquent du fond des abîmes. Et toutefois, il n’est point contre la vérité d’entendre par là que le Seigneur se tourne vers ces âmes pour les délivrer ; et il les ramène à lui, ou il se tourne pour les délivrer, de manière à teindre son pied dans le sang. C’est ce que dit le Prophète au Seigneur : « De manière que votre pied sera teint de sang[636] » ; c’est-à-dire, que ceux qui se tournent vers vous, ou vers lesquels vous vous tournez pour opérer leur délivrance, fussent-ils au fond de la mer submergés sous le poids de leurs péchés, feront de tels progrès dans la grâce, puisque « cette grâce aura abondé où avait abondé le péché[637] » ; que parmi vos membres, ils deviendront votre pied pour aller prêcher l’Évangile, et que, pour votre nom, endurant un long martyre, ils combattront jusqu’au sang. C’est là, je crois, la meilleure manière de comprendre ce pied teint de sang.
32. Il ajoute : « La langue de vos chiens le sera aussi du sang de vos ennemis[638] » : il appelle chiens ceux-là mêmes qui doivent combattre jusqu’au sang pour la foi en l’Évangile, aboyant en quelque sorte pour leur Dieu. Il n’entend pas ces autres chiens dont l’Apôtre a dit : « Evitez les chiens[639] », mais bien « ceux qui se nourrissent des miettes qui tombent de la table de leur maître ». La chananéenne, qui faisait cet aveu, mérita d’entendre : « O femme, votre foi est grande, qu’il vous soit fait selon votre désir[640] ». Voilà des chiens à louer, et non à détester ; ils sont fidèles à leur maître, et défendent sa maison en aboyant contre les voleurs. Le Prophète ne dit pas seulement « des chiens », mais « de vos chiens » ; et ce n’est point leurs dents, mais leur langue qu’il trouve louable : car ce n’est point sans raison, ni sans un grand mystère, que Gédéon reçut l’ordre de ne conduire avec lui que les soldats qui lécheraient l’eau du fleuve, à la manière des chiens ; et que dans une si grande multitude il ne s’en trouva que trois cents de semblables[641]. Dans ce nombre, en effet, nous retrouvons le signe de la croix, à cause de la lettre grecque qui, dans les nombrés, signifie trois cents. C’est de semblables chiens qu’il est dit dans un autre psaume : « Ils se changeront vers le soir, et souffriront de la faim comme des chiens[642] ». Si quelques chiens, en effet, ont encouru le blâme d’Isaïe, ce n’est point parce qu’ils étaient chiens, mais parce qu’ils aimaient à dormir, et ne savaient plus aboyer[643]. Il nous montre par là que si ces chiens veillaient et aboyaient dans l’intérêt de leur maître, ils seraient des chiens dignes d’éloges, comme le seront ceux dont il est dit : « Il en est de même de la langue de vos chiens ». Toutefois le Prophète a prédit que d’ennemis ils deviendraient tels par cette admirable conversion dont il a déjà parlé. Aussi le psaume dit-il que « vers le soir ils « se convertiront, et souffriront de la faim comme des chiens ». Et comme si nous lui demandions d’où leur viendra cet avantage, de devenir les chiens de celui dont ils étaient auparavant les ennemis, il nous répond : « C’est de lui-même ». Voici, en effet, ce que nous lisons : « La langue de ceux qui, d’ennemis, sont par vous, vos chiens ». C’est-à-dire par votre amour, par votre miséricorde, par votre grâce. Comment, en effet, l’auraient-ils pu par eux-mêmes ? Quand nous étions ennemis, nous avons été réconciliés à Dieu par la mort de son Fils[644] : c’est pour cela que le Seigneur prit la mort pour son partage.
33. « O Dieu, vos traces ont été vues ». Vos pas, quand vous veniez dans le monde, comme pour parcourir l’univers entier, sur ce char de triomphe ; ces mêmes pas qui sont les fidèles et les saints, et qu’il appelle nuées dans l’Évangile, quand il dit : « Un jour vous verrez le Fils de l’homme venant sur les nuées[645] ». Or, à l’exception de cet avènement où il paraîtra juge des vivants et des morts[646], et qui lui fait dire : « Vous verrez un jour le Fils de l’homme venant sur les nuées ; vos démarches ont été vues », c’est-à-dire ont été manifestées, et la grâce du Nouveau Testament a été révélée. De là vient qu’il est dit : « Combien sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, qui annoncent les biens[647] ! » Cette grâce, en effet, et ces démarches étaient cachées dans l’Ancien Testament : mais quand les jours ont été accomplis, et qu’il a plu à Dieu de révéler son Fils, et de le faire prêcher aux nations[648], « vos pas ont été vus, ô Dieu : les pas de mon Dieu, du roi qui est dans son sanctuaire ». Dans quel « sanctuaire », sinon dans son temple ? « Or, le temple de Dieu est saint », dit l’Apôtre, « et vous êtes ce temple[649] ».
34. Mais afin que ces démarches fussent plus visibles, « voilà que les princes marchaient les premiers, accompagnés des symphonistes, et au milieu des jeunes filles frappant des tambours[650] ». Ces princes sont les Apôtres, ce sont eux qui ont marché en avant, appelant les peuples à leur suite. « Ils ont marché les premiers », prêchant la nouvelle alliance, « unis aux symphonistes », ou à ceux dont les bonnes œuvres, devenant invisibles, étaient pour Dieu une louange semblable à une symphonie. Ces mêmes princes étaient « au milieu de jeunes filles qui frappaient des tambours », ou qui faisaient honneur à leur ministère ; car les ministres qui gouvernent les nouvelles Églises sont ainsi au milieu d’elles : ce sont en effet de jeunes filles qui bénissent Dieu dans une chair domptée ; et tel serait le sens de ces tambours, qui se forment d’une peau sèche et étirée.
35. Aussi, de peur qu’on ne donne à tout cela un sens charnel, et qu’on ne voie dans ces paroles des chœurs érotiques, le Prophète ajoute : « Bénissez le Seigneur au milieu des Églises ». Comme s’il nous disait : Pourquoi ces jeunes filles qui frappent des tambours vous feraient-elles croire à des divertissements lascifs ? « Bénissez le Seigneur dans ses Églises » ; car ce sont des Églises que nous désignent ces expressions symboliques ; les églises sont de jeunes filles embellies d’une grâce nouvelle ; les églises frappent des tambours, et la chair châtiée est une spirituelle symphonie. « Bénissez donc Dieu dans vos assemblées, et le Seigneur aux sources d’Israël[651] ». C’est en effet de là qu’il a choisi ceux dont il a fait des sources. Car c’est de là qu’il a choisi les Apôtres, ceux qui ont entendu tout d’abord : « Celui qui boira de l’eau que je lui donnerai, n’aura jamais soif, mais elle deviendra en lui une fontaine d’eau jaillissante jusqu’à la vie éternelle[652] ».
36. « Là était le jeune Benjamin ravi en extase[653] ». Là était Paul, le dernier des Apôtres, qui dit : « Pour moi, je suis enfant d’Israël, de la race d’Abraham, de la tribu de Benjamins[654] » ; et tout à fait en extase, alors que le miracle si éclatant de sa vocation tenait les assistants dans la stupeur. Car l’extase est le ravissement de l’esprit : ce qui arrive quelquefois par une crainte excessive ; parfois encore, par une révélation, alors que l’esprit abandonne les sens corporels, afin de voir tout ce qui doit lui être démontré. Tel est le sens que l’on pourrait donner à cette expression, en extase ; parce qu’à cette parole, adressée du haut du ciel au persécuteur : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[655] ? » les yeux du corps furent privés de la lumière, et il répondait à Dieu, qu’il voyait des yeux de l’esprit ; quant à ceux qui étaient avec lui, ils l’entendaient répondre sans voir à qui il s’adressait. On peut encore dans cette extase entendre celle dont il parle, quand il dit qu’il connaît un homme élevé jusqu’au troisième ciel, sans savoir néanmoins si ce fut avec son corps ou sans son corps ; mais qu’enfin il fut ravi au paradis et qu’il entendit des paroles ineffables, qu’il n’est pas permis à l’homme de rapporter[656]. « Les princes de Juda, les premiers entre tous, les princes de Zabulon, les princes de Nephtali[657] ». Comme il désigne les Apôtres sous le nom de princes[658], parmi lesquels se trouve « le jeune Benjamin dans son extase », paroles que chacun, sans hésitation, applique à saint Paul ; ou bien comme sous ce nom de princes, il désigne tous ceux des différentes Églises qui se distinguent et peuvent servir de modèles, on se demande pourquoi ces noms des tribus d’Israël ? S’il n’était fait mention que de Juda, comme c’est dans cette tribu que sont nés les rois, et même Jésus-Christ selon la chaire, nous serions portés à croire que cette tribu nous désigne les princes du Nouveau Testament : mais comme le Prophète ajoute : « Les princes de Zabulon, les princes de Nephtali », on est porté à croire qu’il y eut des Apôtres dans ces tribus, et non dans les autres. À la vérité, je ne vois point comment on prouverait cette opinion ; mais comme je ne vois pas non plus comment on la réfuterait, et qu’il est question là des princes de l’Église, des chefs de ceux qui bénissent Dieu dans les églises, je ne vois dans ce sens aucune absurdité ; mais je préfère celui qui ressort de l’étymologie de ces noms. Ce sont en effet des noms hébreux, et Juda veut dire confession ; Zabulon, la maison du courage ; Nephtali, ma dilatation. Tous ces noms nous désignent les véritables princes des Églises, dignes de nous conduire, dignes d’être nos modèles, dignes de nos hommages. Dans l’Église, en effet, les martyrs tiennent le premier rang, et sont au faîte des honneurs. Or, dans le martyre, il y a d’abord une confession, et la force d’endurer tout ce qu’il faudra pour la soutenir ; viennent ensuite les tourments, et après les tourments, la dilatation de l’allégresse qui en est la récompense. On peut encore l’entendre dans le sens des trois vertus que recommande l’Apôtre, la foi, l’espérance et la charité[659] ; la confession est l’œuvre de la foi, la force l’œuvre de l’espérance, et la dilatation l’œuvre de la charité. C’est en effet par la foi que l’on croit de cœur pour obtenir la justice, et que l’on professe de bouche pour obtenir le salut[660]. Or, pour celui qui est dans les tourments, la réalité est triste, mais l’espérance donne des forces. Car, « si nous espérons ce que nous ne voyons point, nous l’attendons par la patience[661] ». Quant à l’allégresse, elle est le fruit de la charité répandue dans nos cœurs ; car « la charité parfaite bannit la crainte[662] » : et cette crainte serait un tourment pour notre âme qu’elle jetterait dans l’inquiétude. Donc, « les princes de Juda marchent les premiers » de ceux qui bénissent le Seigneur dans tes assemblées. « Les princes de Zabulon, les « princes de Nephtali », les princes de la confession, de la force, de l’allégresse ; les princes de la foi, de l’espérance et de la charité.
37. « Seigneur, déployez votre force ». Il n’y a qu’un seul Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui toutes choses ont été faites, et nous sommes en lui[663] ; nous lisons qu’il est la Vertu de Dieu, la sagesse de Dieu[664]. Or, comment Dieu peut-il déployer son Christ, sinon en le faisant connaître ? « Dieu manifeste sa charité envers nous. Puisque c’est quand nous étions encore pécheurs que le Christ est mort pour nous[665]. Que ne nous « donnera-t-il point après nous l’avoir donné[666] ? Déployez votre force, ô mon Dieu ; confirmez ce que vous avez fait en nous[667] ». Déployez en nous enseignant, confirmez en nous aidant.
38. « Dans votre temple qui est à Jérusalem, les rois vous offriront des présents[668] ». Dans votre temple et dans cette Jérusalem libre, qui est notre mère[669], et qui est aussi votre temple saint ; dans ce temple donc « les rois vous offriront des présents ». Quels que soient ces rois, ou les rois de la terre, ou ces rois à qui le roi des cieux assigne un rang chez la colombe argentée, « ces rois vous offriront des présents ». Et quels présents vous seront plus agréables, que les sacrifices de louanges ? Mais ces louanges éprouvent une dissonance de la part de ceux qui se nomment chrétiens, et ont une foi différente. Faites alors ce qui suit : « Réprimez les bêtes des roseaux[670] ». Car ce sont des bêtes, et leur inintelligence les rend nuisibles : ils sont les bêtes des roseaux, parce qu’ils pervertissent le sens des Écritures au profit de leurs erreurs. De même que par la langue on désigne souvent la parole, de même par roseaux on peut fort bien entendre les Écritures ; c’est ainsi que dans l’hébreu, le grec ou le latin, ou dans toute autre langue, on désigne l’effet par le nom de l’instrument. Il est d’usage en latin de donner à l’écriture le nom de style, parce que l’on écrit avec le style ; on peut donc appeler aussi roseau, ce que l’on écrit avec le roseau. L’apôtre saint Pierre dit que ces hommes ignorants et légers détournent les Écritures à des sens pervers, et pour leur propre ruine[671] : voilà ces bêtes des roseaux, dont il est dit ici : « Réprimez ces bêtes féroces des roseaux ».
39. C’est d’eux encore que le Prophète a dit : « C’est une troupe de taureaux parmi les génisses des peuples, afin que soient tirés dehors ceux qui sont éprouvés comme l’argent[672] ». Il les appelle taureaux à cause de leur orgueil, de leur cou raide et indocile ; il désigne ainsi les hérétiques. « Ces génisses des peuples » doivent s’entendre, selon moi, des âmes faciles à séduire, et qui suivent ces taureaux sans résistance. Ils ne séduisent point les peuples entiers, qui renferment des hommes stables et graves ; de là ce mot des Écritures : « C’est au milieu d’une grave assemblée que je vous bénirai[673] » ; mais ils séduisent les génisses qu’ils rencontrent parmi ces peuples. « Il en est en effet parmi eux qui s’insinuent dans les maisons, qui emmènent après eux comme captives des femmes chargées de péchés, et entraînées par toutes sortes de désirs ; qui apprennent toujours, sans parvenir à connaître la vérité[674] ». Cette autre parole de l’Apôtre : « Il faut des hérésies, afin qu’on reconnaisse ceux d’entre vous qui ont une vertu éprouvée[675] », nous la retrouvons encore dans ce qui suit : « Afin que soient mis dehors ceux qui sont éprouvés par l’argent », c’est-à-dire éprouvés par la parole du Seigneur. Car « la parole du Seigneur est une parole chaste, c’est un argent éprouvé par le feu terrestre[676] ». Qu’ils soient tirés dehors, est-il dit, qu’ils soient visibles, qu’ils apparaissent ; ou, comme dit saint Paul, « qu’on les reconnaisse ». De là vient que dans l’argenterie, on appelle exclusores, ou tireurs dehors, ceux qui donnent la forme aux objets qu’ils tirent d’une masse en fusion. Il est en effet dans l’Écriture bien des sens cachés, connus seulement de quelques esprits supérieurs ; et l’on ne s’en sert jamais d’une manière plus efficace et plus convenable que pour répondre aux hérétiques. Alors en effet ceux-là même que touche peu la doctrine, secouent leur sommeil, écoutent avec ardeur, et les hérétiques sont réfutés. Combien de sens n’a-t-on pas découverts dans les saintes Écritures pour prouver contre Photius que le Christ est Dieu ! Combien pour prouver qu’il est un homme, contre Manès ! Combien en faveur de la Trinité, contre Sabellius ! Combien en faveur de l’unité dans la Trinité, contre les Ariens, les Eunomiens, les Macédoniens ! Combien en faveur de l’Église répandue dans l’univers entier, du mélange des bons et des méchants jusqu’à la fin des siècles, de leur impuissance à nuire aux bons en partageant les mêmes sacrements, contre les Donatistes, les Lucifériens et autres, s’il en est encore, qui partagent leurs erreurs et s’éloignent de la vérité ! Combien encore, contre tant d’autres hérétiques, dont il serait trop long d’établir ici la nomenclature, ou de faire mention, ce qui n’est point nécessaire dans cet ouvrage ! Les auteurs approuvés qui ont mis en relief tous ces sens, seraient demeurés inconnus, ou auraient moins de célébrité que ne leur en ont donné les contradictions de ces orgueilleux que l’Apôtre compare à des taureaux, c’est-à-dire à des hommes rebelles et indociles au joug pacifique et doux de la discipline, quand il dit qu’il faut élire pour évêque, un homme « capable d’exhorter par la saine doctrine, et de convaincre ceux qui la contredisent[677] ». Il en est beaucoup en effet d’insoumis ; ce sont là ces taureaux dont le cou ne saurait supporter le joug, la charrue, l’attelage : des hommes aux paroles vaines et qui séduisent les âmes ; les âmes, le Prophète les appelle des génisses. Telle est donc l’utilité que se propose la Providence divine quand elle permet que des taureaux s’assemblent parmi les génisses des peuples, afin que soient tirés dehors, ou mis en évidence, ceux qui sont éprouvés comme l’argent. Car Dieu ne permet les hérésies, que pour manifester ceux qui sont éprouvés. Toutefois on pourrait comprendre encore : « Des taureaux se réunissent parmi les génisses des peuples, afin d’éloigner de ces génisses, ceux qui sont éprouvés comme l’argent ». Le but des docteurs hérétiques est en effet d’exclure de la portée des âmes qu’ils cherchent à séduire, c’est-à-dire d’en éloigner, ceux qui sont éprouvés comme l’argent, et dès lors capables d’enseigner la parole de Dieu. Peu importe l’un ou l’autre sens que l’on donne à cette expression ; voici la suite : « Dispersez les nations qui veulent la guerre ». Car elles ne cherchent point à se corriger, mais bien à contredire. Le Prophète annonce donc qu’ils seront plutôt dispersés eux-mêmes, ceux qui, loin de se corriger, s’étudient à disperser le troupeau du Christ. S’il les appelle des nations, ce n’est point que les familles s’y reproduisent, mais c’est à cause des sectes qui se perpétuent pour confirmer l’erreur.
40. « Des envoyés viendront de l’Égypte. L’Ethiopie préviendra sa main[678] ». Ces dénominations d’Égypte et d’Ethiopie désignent les nations converties à la foi, c’est la partie pour le tout ; il appelle envoyés les prédicateurs de la réconciliation. « Nous sommes donc », dit saint Paul, « des ambassadeurs au nom du Christ, comme si Dieu vous exhortait par notre bouche ; nous vous conjurons au nom du Christ de vous réconcilier à Dieu[679] ». Ce n’est donc plus d’Israël seulement, où furent choisis les Apôtres, mais des autres nations qu’il s’élèvera des prédicateurs de la paix chrétienne : voilà ce qui est prédit en figure. Mais dire : « L’Ethiopie préviendra sa main », signifie, elle préviendra sa vengeance : c’est-à-dire, en se tournant vers lui, afin d’obtenir la rémission des fautes, et de n’encourir point l’obstination, en demeurant dans le péché. C’est ce qui est dit dans un autre psaume : « Prévenons sa face par des hymnes d’allégresse[680] ». De même que « sa main » signifie sa vengeance, « sa face » désigne sa présence et son apparition, qui aura lieu au jugement. Comme donc il a entendu par l’Égypte et l’Ethiopie, les peuples de l’univers entier ; voilà qu’il ajoute : « A Dieu les royaumes de la terre ». Ce n’est donc point à Arius, ni à Sabellius, ni à Donat, ni aux autres taureaux à la tête haute, mais « à Dieu, qu’appartiennent les royaumes de la terre[681] ».
41. Plusieurs manuscrits latins, et principalement les Grecs, séparent ces versets de manière à ne pas dire dans le même verset : « A Dieu les royaumes de la terre » ; mais « à Dieu » est à la fin d’un verset. Il faut lire : « L’Ethiopie préviendra la main pour Dieu », et dans le verset suivant : « Royaumes de la terre, chantez le Seigneur, faites résonner vos harpes en l’honneur de Dieu ». Cette distinction, d’accord avec un plus grand nombre de manuscrits et plus recommandable par l’autorité, est sans doute préférable, et me semble prêcher la foi qui précède les bonnes œuvres ; car l’impie est justifié par la foi sans aucun mérite de bonnes œuvres, comme le dit l’Apôtre : « A l’homme qui croit en celui qui justifie l’impie, la foi est imputée à justice[682] », en sorte que la foi commence, ensuite les œuvres de la charité. Car on ne peut appeler bonnes œuvres que celles qui viennent de l’amour de Dieu. Mais il faut que la foi les précède, afin que les œuvres viennent de la foi, et non pas que la foi vienne des œuvres, car nul homme ne peut agir par amour de Dieu, si d’abord il ne croit en Dieu. Telle est la foi dont il est dit : « En Jésus-Christ, ni la circoncision, ni l’incirconcision ne servent de rien, mais la foi qui agit par la charité[683] ». Telle est la foi dont il est dit à l’Église elle-même dans les cantiques « Tu viendras, tu passeras outre par l’initiative de la foi[684][685] ». Elle est venue comme le char de Dieu, environnée de myriades qui applaudissaient, suivant une route favorable, et passant de ce monde à son Père[686], afin que s’accomplit en elle cette parole de l’Époux lui-même, qui passa de ce monde au Père : « Je désire que « là où je suis, eux-mêmes soient avec moi[687] », mais par l’initiative de la foi. Comme la foi doit donc précéder, afin que les bonnes œuvres viennent ensuite, et qu’il n’y a de bonnes œuvres que celles qui suivent la foi ; ces paroles : « L’Ethiopie préviendra la main pour Dieu », ne paraissent avoir d’autre sens que celui-ci : L’Ethiopie croira en Dieu. C’est ainsi qu’elle préviendra sa main, ou ses œuvres. La main de qui, sinon de l’Ethiopie ? Il n’y a dans le grec aucune ambiguïté à cet égard ; car le mot « sa », qui est du féminin, ne laisse aucun doute. Ainsi ces paroles n’auraient d’autre sens que celui-ci : « L’Ethiopie étendra d’abord ses mains vers Dieu », c’est-à-dire fera précéder ses œuvres par sa croyance en Dieu. « J’estime », dit l’Apôtre, « que l’homme est justifié par sa croyance en Dieu sans les œuvres de la loi. Dieu n’est-il que le Dieu des Juifs ? N’est-il pas aussi le Dieu des nations[688] ? » Ainsi donc l’Ethiopie, qui parait être la dernière des nations, sera justifiée par la foi sans les œuvres de la loi. Car elle ne se glorifie point des œuvres de la loi pour être justifiée ; elle ne met pas ses mérites avant sa foi, mais sa foi avant ses mérites. Dans plusieurs manuscrits, on ne lit point « ses mains », mais « sa main », ce qui a la même valeur, car cela s’entend toujours des œuvres. J’aimerais mieux que l’on eût traduit en latin : « L’Ethiopie étendra d’abord ses mains, suas, ou sa main, suam, vers le Seigneur », cela serait plus clair qu’avec ejus, et cela serait possible sans blesser la vérité, puisque dans le grec le pronom autes, d’elle, ne signifie pas seulement ejus, mais encore suam ou suas; suam si c’est la main, suas si l’on dit les mains. Cette expression du grec Xeira autes, que nous lisons dans plusieurs manuscrits, peut se dire de sa main ; cette autre, qui est rare dans les manuscrits grecs, Xeiras peut se rendre en latin par les mains d’elle, manus ejus, ou par manus suas, ses mains.
42. Après avoir parcouru dans sa prophétie, tout ce que nous voyons accompli déjà, le Prophète nous exhorte à bénir le Christ, dont il nous prédit le futur avènement. « Royaumes de la terre, chantez le Seigneur, bénissez-le sur vos instruments, chantez le Seigneur qui s’élève par-dessus le ciel des cieux, à l’Orient[689] » ; ou, comme on lit dans quelques manuscrits : « Qui s’élève sur le ciel du ciel à l’Orient ». Ces paroles ne désignent point le Christ pour celui qui ne croit ni à sa résurrection, ni à son ascension. Et quand le Seigneur ajoute : « A l’Orient », n’est-ce point pour désigner le lieu même de cette résurrection et de cette ascension, qui s’effectuèrent dans les pays orientaux ? Il est donc assis par-dessus le ciel du ciel, à la droite de son Père. Voilà ce qu’a dit l’Apôtre : « C’est lui qui est monté par-dessus tous les cieux[690] ». Que peut-il y avoir encore des cieux, après le ciel du ciel ? Nous pouvons aussi dire les cieux des cieux, comme le firmament fut appelé ciel[691] : et cependant au lieu de ciel, nous lisons les cieux, dans ces paroles : « Et que les eaux qui sont par-dessus les cieux bénissent le Seigneur[692] ». Et comme c’est de là que le Christ doit venir pour juger les vivants et les morts, voyez ce qui suit : « Voici qu’il fera entendre sa voix, la voix de la force ». Celui qui sera « sans voix comme l’agneau devant celui qui le tond[693], voilà qu’il fera retentir sa voix » : non pas la voix de la faiblesse, comme s’il devait être mis en jugement ; mais « la voix de la force », comme il convient à un juge. Il ne sera plus comme auparavant un Dieu caché, qui n’ouvre point la bouche devant le tribunal des hommes ; mais « Dieu, notre Dieu viendra d’une manière visible, et ne se taira point[694] », Pourquoi perdre l’espoir, ô infidèles ? pourquoi vos sarcasmes ? Que dit le mauvais serviteur : « Voilà que mon maître tarde à venir[695] ? Voilà « que le Seigneur fera entendre sa voix, la voix de la force ».
43. « Rendez gloire au Dieu dont la magnificence éclate en Israël[696] ». Ce qui a fait dire à l’Apôtre : « Et à l’Israël de Dieu[697]. Car tous ceux qui viennent d’Israël ne sont point pour cela israélites[698] » ; puisqu’il y a aussi un Israël selon la chair. De là cette parole de l’Apôtre : « Voyez Israël selon la chair[699]. Ceux qui sont enfants d’Abraham selon la chair, ne sont point pour cela enfants de Dieu, mais ce sont les enfants de la promesse qui sont réputés enfants d’Abraham[700] ». Ainsi donc « la gloire se montrera en Israël » dans son plus vif éclat, quand il n’y aura plus dans son peuple aucun mélange de méchants, quand il sera comme une masse de froment purifiée par la ventilation[701], comme cet Israël qui est sans déguisement[702], « et sa vertu sera sur les nuages ». Car il ne viendra point seul pour juger, mais il viendra « avec les anciens de son peuple[703] », à qui il a promis qu’ils s’assiéront sur des trônes pour juger[704], et qui doivent juger les Anges eux-mêmes[705]. Voilà ces nuages.
44. Enfin, de peur qu’on ne donne à ces nuages une autre signification, le Prophète ajoute : « Le Seigneur est admirable dans ses saints, le Dieu d’Israël[706] ». C’est alors, en effet, que se vérifiera dans sa plénitude cette expression d’Israël, ou qui voit Dieu : « Car nous le verrons tel qu’il est[707] ». « Béni soit le Seigneur ; c’est lui qui donnera la vertu et la force à son peuple » aujourd’hui faible et fragile. « Car aujourd’hui nous portons notre trésor dans des vases de terre[708] ». Alors, par une heureuse transformation dans notre corps : « Il donnera la force et le courage à son peuple. Et ce corps qui est semé dans l’infirmité, se relèvera dans la force[709] ». Il nous donnera donc la force qu’il nous a promise dans sa chair, et que l’Apôtre appelle : « La vertu de la résurrection[710] », une force capable de détruire la mort, notre ennemie[711] ». Nous aussi, en finissant, avec le secours de Dieu, ce psaume long et difficile à comprendre, écrions-nous : « Dieu soit béni ». Ainsi soit-il.

PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME 68 modifier

PREMIÈRE PARTIE DU PSAUME. modifier

LA RÉDEMPTION PAR LE CHRIST. modifier

Bien que l’Église soit en paix, elle a cependant de quoi gémir avec le Christ qui parle dans le psaume, qui s’en est fait l’application, ainsi que les Apôtres en parlant de lui. Il est pour ceux qui doivent changer. Or, nous changeons eu mal par notre faute, et en bien par la grâce de Dieu. Cette grâce nous vient de la Passion, ou de la Pâque, du passage de Jésus-Christ Les eaux l’ont submergé, ou la foule a prévalu contre lui. Nous avons horreur de la mort, et le désir ou plutôt la promesse de l’immortalité nous aide à souffrir. Nous sommes le limon où le Christ est plongé, pour nous donner la substance, ou bien soit la richesse spirituelle, soit l’innocence. Le Christ s’est fatigué à crier contre les scandales des Scribes et des Pharisiens. Si ses yeux se sont lassés d’espérer en Dieu, c’est dans la personne des Apôtres et des disciples. Ses ennemis le haïssent, non comme on hait le méchant, mis ils le haïssent sans sujet ; car il reprend simplement au démon ce que celui-ci a volé. Il ne parle de son imprudence et de ses fautes, qu’au nom de l’Église qui demande à Dieu que l’on ne puisse rougir de ses membres. Le zèle de la maison de Dieu l’a fait traiter comme étranger par les enfants de la synagogue. On lui a donné pour nourriture le fiel ou le péché. Il s’est revêtu d’un sac, ou plutôt de notre chair, et on l’a persiflé. Il demande à Dieu l’accomplissement des promesses, au temps marqué par Dieu. Seulement que Dieu le délivre, et ne laisse point l’abîme se refermer sur lui.


1. Nous apparaissons au monde pour être agrégés au peuple de Dieu au moment où cet arbrisseau qui a germé d’un grain de sénevé étend au loin ses rameaux ; où ce levain d’abord méprisable a fermenté dans trois mesures de farine[712], c’est-à-dire dans l’univers entier que repeuplèrent les trois fils de Noé[713] : car on vient en foule de l’Orient et de l’Occident, de l’Aquilon et du Midi pour reposer avec les patriarches, tandis que leurs descendants selon la chair, mais qui n’ont pas imité leur foi, sont chassés dehors[714]. Nous avons donc ouvert les yeux en face de cette gloire de l’Église du Christ elle jadis stérile, mais à qui l’on prédisait la joie, et l’on annonçait qu’elle aurait une postérité plus nombreuse que celle qui avait l’Époux[715], nous voyons qu’elle a oublié les opprobres et les ignominies de son veuvage aussi pouvons-nous être dans l’étonnement quand nous lisons dans quelques prophéties des paroles d’humilité dans la bouche du Christ ou dans notre bouche. Il est possible encore que nous en soyons moins touchés ; car nous ne sommes point venus dans le moment où, sous le pressoir de la persécution, l’on en goûtait la lecture. Mais si nous considérons combien nos tribulations sont nombreuses, combien est étroit[716] le chemin où nous marchons, si tant est que nous y marchions, et par quelles douleurs, par quelles angoisses il nous conduit à ta vie éternelle : si nous examinons combien ce que l’on appelle bonheur en cette vie est plus à craindre que le malheur ; car le malheur bien souvent nous fait recueillir de la tribulation un fruit excellent, tandis que Le bonheur corrompt notre âme par une fausse sécurité, et donne lieu aux tentatives du démon ; en considérant donc avec prudence et droiture, comme la victime déjà prête, que la tentation est le fond de la vie humaine sur la terre[717], que nul homme n’est dans une sécurité parfaite, qu’il ne doit être sans crainte que quand il arrivera dans la patrie, d’où nul ami ne s’en va, où n’entre aucun ennemi ; même aujourd’hui dans les splendeurs de l’Église nous retrouvons nos cris dans ces cris de détresse. Alors comme membres du Christ, unis à notre chef par les liens de la charité, pour nous maintenir réciproquement, nous dirons des psaumes, ce qu’en dirent les martyrs qui ont passé avant nous ; car depuis le commencement jusqu’à la fin, la tribulation est connue à tous les hommes. Toutefois reconnaissons dans le grain de sénevé[718] le psaume que nous entreprenons d’exposer, et dont nous voulons parler à votre charité au nom du Seigneur. Détournons quelque peu notre pensée de la hauteur de cet arbrisseau, de l’étendue de ses branches, et de cette majesté où viennent se reposer les oiseaux du ciel ; et voyons de quelle petitesse a pu surgir cette immensité qui nous plaît dans cet arbre. C’est le Christ qui parle ici, vous le savez déjà, le Christ non seulement comme chef, mais aussi dans ses membres. Nous le reconnaissons à ses paroles. Que le Christ parle ici, il ne nous est aucunement permis d’en douter. Il y a ici en effet des plaintes prophétiques accomplies dans sa passion : « Ils m’ont donné du fiel pour nourriture, et du vinaigre pour étancher ma soif[719] » : c’est là ce qui fut alors réalisé à la lettre, et dans tous les détails de la prophétie. Après que le Christ suspendu à la croix a dit : « J’ai soif », et qu’à cette parole on lui a offert dans une éponge, du vinaigre qu’il goûta ; après qu’il s’est écrié : « Tout est consommé », et que baissant la tête, il a rendu l’esprit[720], voulant nous montrer que toutes les prophéties à son sujet étaient accomplies, dès lors il ne nous est plus permis d’y voir une autre signification. Les Apôtres parlant du Christ ont puisé des témoignages dans ce psaume. Qui oserait s’écarter de leurs sentiments ? quel agneau ne suivra les béliers du troupeau ? C’est donc le Christ qui parle ici ; et pour nous, il est mieux d’indiquer les endroits où la parole est à ses membres, afin de montrer que c’est le Christ tout entier qui parle ici, que de douter que ce langage appartienne au Christ.
2. Voici le titre du psaume : « A David, pour la fin, pour ceux qui doivent changer[721] ». Il faut entendre par là changer avec avantage, car on peut changer en pire ou en mieux. Adam et Eve devinrent pires ; mais ceux qui s’éloignent d’Adam et d’Eve, pour s’attacher à Jésus-Christ, deviennent meilleurs : « De même en effet que la mort est entrée par un seul homme, c’est aussi par un seul homme que nous vient la résurrection : et de même qu’Adam est pour tous une cause de mort, le Christ sera pour tous une source de vie[722] ». Adam, tel que Dieu l’avait fait, a changé cet état contre l’état bien inférieur de son iniquité ; mais les fidèles échangent l’état que leur a fait l’iniquité, contre l’état supérieur de la grâce. Nous changer en mal, c’est l’effet de notre iniquité ; nous changer en mieux, ce n’est point l’effet de notre justice, mais bien de la grâce de Dieu. C’est donc à nous qu’il faut attribuer notre changement en mal, et c’est Dieu qu’il faut bénir de notre changement en bien. Ce psaume est donc : « Pour ceux qui doivent changer ». Mais d’où a pu venir ce changement, sinon de la passion du Christ ? Le mot Pâques signifie en latin passage ; car Pâques n’est pas un mot grec, mais bien un mot hébreu. Dans la langue grecque, il a le sens de passion, puisque pasxein signifie souffrir : mais à s’en tenir à l’expression hébraïque, on trouve un autre sens. Pâques signifie donc passage. C’est le sens que lui donne saint Jean, qui s’exprime ainsi à propos de la cène que célébra le Christ, la veille de sa passion, et dans laquelle il institua le sacrement de son corps et de son sang : « Quand vint pour Jésus l’heure de passer de ce monde à son Père[723] ». Il nous montre donc le passage de la pâque. Mais si celui qui était venu pour nous n’avait passé de ce monde à son Père, comment pourrions-nous y passer d’ici-bas, nous qui ne sommes point descendus pour relever quoi que ce soit, mais qui sommes tombés ? Pour lui, il n’est point tombé, mais il est descendu afin de relever ce qui était tombé. Pour lui comme pour nous, c’est donc un passage que d’aller de cette vie à son Père, de ce monde au royaume des cieux, d’une vie pénible à la vie sans fin, d’une vie terrestre à la vie céleste, d’une vie corruptible à la vie incorruptible, d’une vie d’angoisses à une perpétuelle sécurité. « Pour ceux qui changeront », voilà donc le titre du psaume. Mais la cause de notre changement, ou la passion de Notre-Seigneur, nos plaintes dans ces douleurs, voilà ce qu’il nous faut examiner, ce qu’il faut reconnaître, afin de gémir, nous aussi ; mais cette attention, cette reconnaissance, ces gémissements doivent nous faire changer, afin que s’accomplisse pour nous le titre du psaume : « Pour ceux qui seront changés ».
3. « Sauvez-moi, ô Dieu, parce que les eaux pénètrent jusqu’à mon âme[724] ». Ce grain est aujourd’hui méprisé, parce qu’il ne semble pousser que d’humbles cris. Au jardin il est submergé, et le monde un jour doit admirer la majestueuse étendue de cette plante dont le germe a été méprisé par les Juifs. Considérez, en effet, ce grain de sénevé, chétif, noirâtre et tout à fait méprisable, afin de voir comment se vérifie le mot du Prophète « Nous l’avons vu, et il n’avait ni apparence ni beauté[725] ». Il se plaint que les eaux pénètrent jusqu’à son âme : parce que ces foules tumultueuses, désignées sous le nom des eaux, ont prévalu sur le Christ au point de le faire mourir. Elles ont eu la puissance sur lui jusqu’à le mépriser, le saisir, le garrotter, l’insulter, le souffleter, lui cracher au visage. Jusqu’à quel point encore ? jusqu’à le mettre à mort. Donc « les eaux ont submergé jusqu’à son âme ». Car il appelle son âme, cette vie, et c’est jusque-là que peut s’avancer la fureur de ses ennemis. Mais l’auraient-ils pu, si lui-même ne l’eût permis ? Pourquoi donc pousser des cris comme s’il souffrait malgré lui, sinon parce que le chef est pour nous la figure des membres ? Pour lui, il a souffert, parce qu’il l’a voulu ; mais les martyrs ont souffert, quand même ils ne l’eussent point voulu. Voici, en effet, comment le Sauveur prédit à Pierre sa passion : « Dans ta vieillesse, lui dit-il, un autre te ceindra et te conduira où tu ne voudras point[726] ». Quel que soit notre désir d’être unis au Christ, nous ne voudrions pas mourir néanmoins ; et si nous souffrons volontiers ou du moins avec patience, c’est qu’il n’y a point d’autre passage par lequel nous puissions nous unir au Christ. Si nous pouvions par quelqu’autre moyen aller au Christ, ou à la vie éternelle, qui voudrait mourir ? Saint Paul, exposant quelque part notre nature intime, ou cette union de l’âme et du corps, et cette familiarité mutuelle que fait naître l’attachement, l’intime liaison, dit que nous avons dans le ciel une demeure éternelle, que la main de l’homme n’a point faite : c’est-à-dire l’immortalité qui nous est préparée, et dont nous serons revêtus à la fin du temps, quand nous ressusciterons d’entre les morts ; et il ajoute : « Notre désir sera, non pas d’en être dépouillés, mais de l’avoir comme un second vêtement, en sorte que ce qu’il a de mortel soit absorbé par la vie[727] ». Si cela était possible, nous dit-il, nous voudrions devenir immortels, nous voudrions que l’immortalité nous arrivât, et nous changeât dès maintenant tels que nous sommes, afin que notre mortalité actuelle fût absorbée par la vie, que notre corps ne passât point par la mort, pour ressusciter à la fin des temps. En vain donc nous passons du mal au bien, le passage n’en a pas moins son amertume ; il a de ce fiel que les Juifs donnèrent au Seigneur dans sa passion, tout ce qui nous fait souffrir a de cette âcreté, symbole de ceux qui l’abreuvèrent de vinaigre[728]. C’était donc nous qu’il figurait d’avance, qu’il personnifiait en lui-même, quand il dit : « Sauvez-moi, ô Dieu, car les eaux submergent jusqu’à mon âme ». Ceux qui l’ont persécuté ont même pu le tuer, mais ils n’auront plus aucun pouvoir sur lui. Car le Seigneur nous a prémunis d’avance, quand il a dit : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et n’ont plus rien à vous faire ; mais craignez celui qui peut précipiter l’âme et le corps dans l’enfer[729] ». Plus notre crainte est grande, et moins nous méprisons les biens médiocres ; plus nous désirons l’éternité, plus nous méprisons les biens du temps. Ici-bas nous savourons jusqu’aux délices passagères, et les tribulations même d’un moment nous sont amères. Mais qui ne boirait à la coupe des tribulations passagères, par crainte du feu éternel ; et qui ne mépriserait les délices d’un moment, en espérant les délices de la vie éternelle ? Crions donc au Seigneur, afin qu’il nous délivre de cette vie, de peur que dans l’accablement nous ne cédions à l’iniquité, et ne soyons réellement submergés « Sauvez-moi, ô Dieu, car les eaux vont jusqu’à submerger mon âme ».
4. « J’ai été fixé dans le limon de l’abîme, il n’a point de substance[730] ». Qu’est-ce qu’il appelle limon ? ceux qui persécutent ? Car l’homme a été pétri de limon[731]. Mais déchoir de la justice, a fait de ceux-ci le limon de l’abîme ; quiconque résiste à leurs persécutions et à leurs efforts pour l’entraîner, fait de l’or au moyen de ce limon. En lui le limon doit mériter de prendre une forme céleste et d’être mis au nombre de ceux dont le titre du Psaume a dit : « Pour ceux qui doivent changer ». Or, quand ceux-ci étaient un limon, j’ai été plongé en eux, c’est-à-dire qu’ils m’ont saisi, qu’ils ont prévalu sur moi, qu’ils m’ont donné la mort. « J’ai été fixé dans le limon de l’abîme, et ce n’est point une substance ». Qu’est-ce à dire : « Ce n’est point une substance ? » Est-ce le limon qui ne serait pas une substance ? Ou bien, est-ce moi qui, arrêté dans le limon, ne suis pas une substance ? Qu’est-ce à dire : « J’ai été fixé ? » Le Christ a-t-il été arrêté de la sorte ? Ou bien tout arrêté qu’il fut, n’a-t-il pas été, comme il est écrit au livre de Job, « la terre livrée « aux mains de l’impie[732] ? » A-t-il été fixé d’une manière corporelle, car on put le tenir ainsi et il fut crucifié ? Et il n’eût pas été crucifié, s’il n’eût été fixé par des clous. Comment donc dire de lui qu’« il n’est pas une substance ? » D’autre part, est-ce que ce limon n’est pas substantiel ? Nous comprendrons ce que signifie : « Il n’y a pas de substance », si tout d’abord nous pouvons comprendre ce qu’est une substance. Substance a quelquefois le sens de richesses, et c’est ainsi que l’on dit : Il a de la substance ; et encore : Il a perdu toute substance. Mais, dans ce cas, pouvons-nous croire que : « Il n’y a pas de substance », signifie : Il n’y a pas de richesses, comme s’il s’agissait ici de richesses, ou qu’il en fût aucunement question ? Ou peut-être ce limon a-t-il le sens de pauvreté, et alors il n’y aura de richesses pour nous que quand nous aurons part à l’éternité ? Nous posséderons alors les véritables richesses, puisque nous ne manquerons de rien. On pourrait alors entendre cette parole en ce sens, et le Psalmiste dirait : « J’ai été fixé dans le limon de l’abîme, et il n’y a pas de substance », pour dire, j’ai été réduit à la pauvreté. Car le Christ se plaint ici d’être « pauvre et souffrant[733] ». Et l’Apôtre a dit de lui : « Étant riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, afin que vous soyez enrichis de sa pauvreté[734] ». Alors le Seigneur, pour nous signaler sa pauvreté, aurait dit : « Il n’y a aucune substance ». Revêtir la forme de l’esclave, c’était, pour lui, descendre à la dernière pauvreté. Quelles sont donc ses richesses ? « Ayant la nature de Dieu, il n’a point cru que ce fût une usurpation de s’égaler à Dieu ». Voilà ses richesses immenses, incomparables. D’où vient alors sa pauvreté ? De ce qu’« il s’est anéanti, en prenant la forme de l’esclave, en se rendant semblable aux hommes ; et reconnu homme par tout ce qui était en lui, il s’est humilié, se rendant obéissant jusqu’à la mort » ; en sorte qu’il a pu dire : « Les eaux ont pénétré jusqu’à mon âme ». Ajoutez aussi à la mort : et que pourrez-vous ajouter de plus ? L’ignominie de la mort. Aussi l’Apôtre a-t-il dit : « Et la mort de la croix[735] ». Immense pauvreté ! mais d’où viendront d’immenses richesses. Car si le comble a été à son indigence, il sera mis aussi aux richesses qui nous viendront de sa pauvreté. Quelles richesses n’a-t-il point pour nous enrichir de son indigence ! Que ne produiront point en nous ses richesses, quand sa pauvreté nous enrichit de la sorte !
5. « Je suis fixé dans le limon de l’abîme, et il n’y a nulle substance ». On peut encore entendre par substance, ce qui nous fait ce que nous sommes. Mais cette interprétation devient plus difficile à saisir, quoique les choses soient d’un fréquent usage ; toutefois, comme l’expression est inusitée, il faut la remarquer et l’expliquer tant soit peu ; avec de l’attention cette explication ne nous fatiguera point. On dit un homme, on dit le bétail, on dit le ciel, le soleil, la lune, la pierre, la mer, l’air ; tous ces objets sont des substances, par cela même qu’ils existent. Les natures s’appellent aussi des substances, Dieu est une certaine substance ; car ce qui n’est pas substance, n’est absolument rien. Être quelque chose, c’est donc être une substance. De là vient que dans la foi catholique, on nous prémunit contre les raisons des hérétiques, en nous faisant dire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont d’une seule substance. Qu’est-ce à dire d’une seule substance ? Par exemple, si le Père est de l’or, le Fils est de l’or, le Saint-Esprit est de l’or. Tout ce qu’est le Père comme Dieu, le Fils l’est aussi, le Saint-Esprit l’est aussi, Mais être Père, ce n’est pas son être absolu, car Dieu n’est point appelé Père par rapport à lui-même, mais par rapport à son Fils ; en lui-même, il s’appelle Dieu. Aussi dès lors qu’il est Dieu, par là même il est substance. Et parce que le Fils est de même substance que lui, assurément le Fils est Dieu aussi. Mais comme être Père n’est point le propre de sa substance, et qu’il n’est ainsi appelé qu’à cause du Fils, nous ne disons pas que le Fils est Père, comme nous disons que le Fils est Dieu. Si tu demandes ce qu’est le Père, on te répond : Il est Dieu. Tu demandes ce qu’est le Fils ; on répond : Il est Dieu. Tu demandes ce que c’est que le Père et le Fils ; on répond encore : Dieu. Si l’on t’interroge sur le Père seul, réponds qu’il est Dieu ; sur le Fils seul, réponds aussi qu’il est Dieu ; sur l’un et l’autre, réponds non qu’ils sont des Dieux, mais un Dieu. Il n’en est pas ainsi des hommes. Tu demandes ce qu’est Abraham, notre père, on te répond : Un homme ; on exprime sa substance. Tu demandes ce qu’est Isaac son fils, on répond : Un homme ; Isaac et Abraham sont de la même substance. Tu demandes ce que c’est qu’Abraham et Isaac, on ne répond plus un homme, mais des hommes. Il n’en est pas ainsi dans la divinité. La substance y est tellement une, qu’elle admet l’égalité, mais non la pluralité. Si donc l’on te fait cette objection : Puisque, selon toi, le Fils est tout ce qu’est le Père, assurément le Fils est Père aussi, tu répondras : J’ai dit que substantiellement, le Fils est tout ce qu’est le Père, mais non en ce qui est dit dans un autre sens. En lui-même il est appelé Dieu ; par rapport à son Père, il est appelé Fils. De même, le Père est appelé Dieu en lui-même, et Père par rapport à son Fils. Celui qui est appelé Père par rapport au Fils n’est pas Fils, et celui qui est appelé Fils par rapport au Père, n’est pas Père ; mais celui qui est Père, considéré en lui-même, ou le Père ; et celui qui est Fils, considéré en lui-même, ou le Fils, voilà Dieu. Que signifie donc : « Il n’y a point de substance ? » Si nous entendons ainsi la substance, comment comprendre ce qu’a voulu dire le Psalmiste : « J’ai été fixé dans le limon de l’abîme, et il n’y a pas de substance ? » Dieu a fait l’homme, et l’a fait substance[736] ; et que n’est-il demeuré tel que Dieu l’avait fait ? Si l’homme était demeuré ce que Dieu l’avait fait, celui que Dieu a engendré n’eût pas été cloué comme homme. Mais comme l’iniquité a fait déchoir l’homme de la substance dans laquelle Dieu l’avait créé[737] (car l’iniquité n’est pas une nature créée par Dieu mais l’iniquité est cette perversité que l’homme a faite) ; voilà que le Fils de Dieu est descendu dans le limon de l’abîme, et y a été cloué ; et comme il était retenu dans leurs iniquités, il n’était point cloué à une substance. « J’ai été fixé dans le limon de l’abîme, et il n’y a point de substance. Tout a été fait par lui, et rien n’a été créé sans lui[738] ». Toutes les natures sont ses œuvres ; l’iniquité n’a pas été faite par lui, parce que l’iniquité n’est point une œuvre. Les substances qui le bénissent ont été faites par lui. Or, toutes les substances qui le bénissent sont mentionnées par les trois enfants dans la fournaise ; en sorte que l’hymne des bénédictions passe des choses terrestres aux choses célestes, ou des choses célestes aux choses terrestres pour arriver à Dieu[739]. Non que toutes ces créatures aient l’intelligence pour louer Dieu ; mais parce que les réflexions que toutes nous inspirent enfantent la louange, et que la contemplation de ces créatures fait jaillir de notre âme une hymne au Créateur, Tout bénit donc Dieu, oui, tout ce qu’a fait Dieu. Mais dans cette hymne, pourriez-vous remarquer la voix de l’avarice ? Le serpent lui-même y bénit Dieu, mais non l’avarice. Toutes les bêtes qui rampent sont appelées à louer Dieu ; oui, toutes les bêtes rampantes sont nommées, mais aucun vice n’y est nommé. Car le vice vient de nous, de notre volonté ; et le vice n’est point une substance. C’est dans les vices que le Seigneur a été embarrassé quand il a souffert la persécution ; dans les vices des Juifs, et non dans la substance de l’homme, qui a été faite par lui. « J’ai été fixé », dit-il, « dans le limon de l’abîme, et il n’y a nulle substance ». J’ai été fixé, et n’ai point retrouvé ce que j’avais fait.
6. « Je suis allé en pleine mer, et la tempête m’a submergé[740] ». Béni soit celui qui, dans sa miséricorde, est arrivé à la profondeur des mers, et qui a daigné descendre dans les entrailles d’un monstre marin ; mais qui en a été rejeté le troisième jour[741]. Il est arrivé jusqu’à la profondeur des mers, profondeur où nous étions engloutis, profondeur où nous avions fait naufrage : c’est là qu’il est venu, et la tempête l’a englouti : car c’est là qu’il a été le jouet des flots ou plutôt des hommes ; ou de ces voix qui disaient : « Crucifiez-le, crucifiez-le », alors que Pilate s’écriait : « Je ne trouve aucun motif de le condamner à la mort », et que s’élevaient de plus en plus ces clameurs : « Crucifiez-le, crucifiez-le[742] ». La tempête allait croissant jusqu’à ce qu’elle eût submergé celui qui était venu en pleine mer. Et le Seigneur endura entre les mains des Juifs, ce qu’il n’avait pas souffert en marchant sur la mer[743] ; et non seulement ce qui ne lui était point arrivé, mais ce qu’il n’avait pas laissé subir à Pierre. « Je suis allé en pleine mer, et la tempête m’a submergé ».
7. « Je me suis épuisé à crier ; mon gosier en est devenu rauque[744] ». Où ? et quand ? Interrogeons l’Évangile. Car notre psaume nous fait connaître d’avance la passion du Sauveur. Nous savons en effet qu’il a souffert : nous lisons et nous croyons que les eaux pénétrèrent jusqu’à son âme ; nous savons encore que la tempête le submergea, puisque les séditieux eurent le pouvoir de le faire mourir : mais qu’il se soit fatigué à force de crier, que son gosier en soit devenu rauque, non seulement nous ne lisons pas cela, mais nous lisons le contraire, puisqu’il ne répondait point à leurs provocations, afin d’accomplir ce qui est dit dans un autre psaume : « Je suis comme un homme qui n’entend point et qui n’a point de réponse en sa bouche[745] » ; et cette autre prophétie d’Isaïe : « Il a été comme la brebis que l’on va égorger, et non plus que l’agneau devant celui qui le tond, il n’a point ouvert sa bouche[746] ». Or, s’il ressemble à l’homme qui n’entend point, qui n’a point de réponse en sa bouche, comment s’est-il fatigué à crier, et son gosier en est-il devenu rauque ? Ou bien, se taisait-il parce que son gosier était rauque pour avoir tant crié en vain ? Car nous connaissons par un autre psaume cette parole tombée de la croix : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné[747] ? » Mais cette parole fut-elle bien élevée et bien longue pour que le gosier du Sauveur en devînt rauque ? Au contraire, longtemps il cria : « Malheur à vous scribes et pharisiens[748] ». Longtemps il cria : « Malheur au monde à cause des scandales[749] ! » Et en effet il criait comme un homme à la voix rauque, aussi ne le comprenait-on point, quand les Juifs demandaient : « Que dit-il ? C’est là une parole dure, et qui peut l’entendre ? Nous ne savons ce qu’il dit[750] ». Il prononçait toutes sortes de paroles, mais son gosier était rauque pour eux, et ses paroles n’étaient point comprises. « Je me suis épuisé à crier, mon gosier en est devenu rauque ».
8. « Mes yeux se sont lassés à vous attendre, ô mon Dieu[751] ». Loin de nous d’appliquer ces paroles à notre chef, loin de nous de croire qu’ils aient cessé d’espérer en son Dieu, les yeux de celui en qui était Dieu, se réconciliant le monde[752], de celui qui était le Verbe se faisant chair pour habiter parmi nous[753], en sorte que non seulement Dieu était en lui, mais qu’il était Dieu. Tel n’est donc point le sens ; et les yeux de notre chef n’ont point cessé d’espérer en son Dieu ; mais ses yeux ont pu faillir dans son corps, c’est-à-dire dans ses membres. Telle est donc la voix des membres, la voix dru corps, mais non la voix du chef. Mais comment la retrouvons-nous dans son corps, dans ses membres ? Que puis-je vous dire encore ? Que vous rappellerai-je ? À sa passion, à sa mort, ses disciples n’osèrent plus croire qu’il fût le Christ. Les Apôtres furent dépassés par le voleur qui crut, alors que ceux-ci venaient à défaillir[754], Vois doué ces membres qui désespèrent : vois s’entretenant en chemin après la résurrection ces deux disciples, dont l’un était Cléophas, et dont les yeux ne pouvaient le reconnaître. Comment l’eussent-ils connu des yeux, quand leur esprit chancelait à son égard ? Il y avait dans leurs yeux un phénomène semblable à celui de leur esprit. Ils parlaient de lui entre eux, et interrogés par lui sur le sujet de leur entretien, ils répondirent : « Êtes-vous donc le seul étranger à Jérusalem ? Ignorez-vous ce qui s’est passé, comment Jésus de Nazareth, puissant en œuvres et en paroles, a été mis à mort par les anciens et les princes des prêtres ? Pour nous, nous espérions qu’il délivrerait Israël[755] ». Ils avaient espéré, ils n’espéraient plus. Leurs yeux s’étaient lassés à espérer dans leur Dieu. C’est donc en leur nom que le Sauveur a dit : « Mes yeux se sont lassés d’espérer en mon Dieu ». Ce fut cette espérance qu’il leur rendit, quand il leur fit toucher ses plaies ; et après les avoir touchées, Thomas revint à l’espérance qu’il avait perdue, et s’écria : « Mon Seigneur, et mon Dieu ». Tes yeux, ô Thomas, se sont lassés d’espérer en ton Dieu ; tu as touché ses plaies, et tu as retrouvé ton Dieu : tu as touché la forme de l’esclave, et tu as reconnu ton Seigneur. Toutefois le Seigneur lui dit : « Tu as cru, parce que tu as vu ». Et comme pour nous désigner d’avance par la voix de sa miséricorde : « Bienheureux », a-t-il ajouté, « ceux qui ne voient point et qui croient[756] ». « Mes yeux se sont lassés d’espérer en mon Dieu ».
9. « Ils se sont multipliés plus que les cheveux de ma tête, tous ceux qui me haïssent « sans sujet[757] ». Comment multipliés ? Et s’adjoignant un des douze[758]. « Ils se sont multipliés plus que les cheveux de ma tête, ceux qui me haïssent sans sujet ». C’est aux cheveux de sa tête qu’il compare ses ennemis. Il fut donc bien juste de les raser, quand il fut crucifié au Calvaire[759]. Que les membres s’appliquent cette parole, et apprennent à subir une haine injuste. Et s’il est nécessaire, ô Chrétien, que le monde te haïsse dès aujourd’hui, pourquoi ne pas agir de manière à rendre sa haine injuste, afin de reconnaître ta propre voix, dans le corps mystique de ton Seigneur, et dans ce psaume qui le prophétise ? Cornaient se pourra-t-il que le monde te haïsse gratuitement ? Il le fera si tu ne causes à personne aucun mal qui puisse t’attirer cette haine, puisque gratuitement signifie sans sujet. C’est peu que l’on te haïsse sans sujet, agis encore de manière que l’on te rende le mal pour le bien. « Ils se sont fortifiés coutre moi, ces ennemis qui me poursuivent injustement ». Ce qu’il a dit d’abord : « Ils se sont multipliés plus que les cheveux de ma tête » ; le Psalmiste le répète ici : « Mes ennemis se sont fortifiés contre moi » ; et après avoir dit d’abord : « Ils me haïssent gratuitement », il répète : « Ils me poursuivent d’une manière injuste ». Telle est la voix des martyrs, non point dans les tourments qu’ils endurent, mais dans leur cause. Ce n’est point d’être persécuté, ni d’être saisi, ni flagellé, ni emprisonné, ni proscrit, ni mis à mort, que l’on est louable ; mais endurer tout cela pour une bonne cause, voilà ce qui honore. Car l’honneur est dans la bonté de la cause, et non dans l’atrocité de la peine. Quelque grands qu’eussent été les supplices des martyrs, peuvent-ils être égaux aux supplices de tous les voleurs ensemble, de tous les sacrilèges, de tous les scélérats ? Ceux-ci n’ont-ils pas encouru aussi la haine du monde ? Oui assurément. La grandeur de leur malice remplit plus que la moitié du monde, et ils sont en quelque sorte bannis de la société même des mondains, car ils troublent même la paix terrestre ; et ils sont en butte à des maux nombreux, mais non sans sujet. Voyez encore la plainte de ce larron crucifié avec le Seigneur : quand d’autre part un des larrons insultait au Seigneur cloué à la croix, et lui disait : « Si tu es le Fils de Dieu, délivre-toi », l’autre le fit taire en disant : « Tu ne crains pas Dieu, quand tu es condamné au même supplice ? Pour nous, c’est justement que nous sommes châtiés de nos crimes[760] ». Voilà que ce n’est point sans sujet : mais l’aveu lui fait rejeter ce qu’il a de corrompu, et il devient apte à prendre la nourriture du Seigneur. Il a rejeté son iniquité, il l’accuse, et cet aveu l’en guérit. Voilà donc deux larrons, voilà aussi le Seigneur : ils sont en croix, comme lui-même est en croix : le monde hait les uns, mais non sans sujet ; le monde hait l’autre, mais gratuitement : « J’ai payé ce que je n’ai point enlevé ». Telle est bien la gratuité. Je n’ai rien dérobé, et je dédommage ; je n’ai point péché et je subis le châtiment. Celui-là est le seul pour être tel, il n’a rien dérobé. Non seulement il n’a rien dérobé, mais ce qu’il n’a point acquis par la rapine, il l’abandonne, pour venir jusqu’à nous. « Il n’a point cru que ce fût une usurpation, pour lui, de s’égaler à Dieu : et pourtant il s’est anéanti, en prenant la forme d’un esclave[761] ». Il n’a donc rien usurpé. Quel est l’usurpateur ? Adam. Quel est le premier usurpateur ? Celui qui séduisit Adam[762]. Quelle fut l’usurpation du diable ? « J’établirai mon trône vers l’aquilon, et je serai semblable au Très-Haut[763] ». Il usurpa ce qui ne lui avait pas été donné ; c’est là un vol. Donc le diable usurpa ce qu’il n’avait pas reçu ; il perdit ce qu’il avait reçu ; et celui qu’il voulait tromper, il le fit boire à la coupe de son orgueil : « Goûtez », dit-il, « et vous serez comme des dieux[764] ». Ils voulurent usurper la divinité, ils perdirent le bonheur. Il est donc voleur, de là vient qu’il subit le châtiment. « Pour moi », dit le Psalmiste, « j’ai payé ce que je n’ai point ravi ». Or, le Seigneur, aux approches de sa passion, parle ainsi dans l’Évangile : « Voici venir le prince de ce monde », c’est-à-dire le diable, « et il ne trouvera rien en moi » ; c’est-à-dire, il ne trouvera pas de quoi m’ôter la vie : « mais afin que tous sachent bien que je fais la volonté de mon Père, levez-vous, sortons d’ici[765] ». Il s’en alla pour souffrir, afin de payer ce qu’il n’avait point usurpé. Qu’est-ce à dire : « Il ne trouvera rien en moi ? » Aucune faute. Le diable a-t-il donc perdu quelque chose de son héritage ? Qu’il compte avec les voleurs, « il ne trouvera rien en moi ». Toutefois en disant qu’il n’a rien usurpé, faisant allusion au péché, il affirme qu’il n’a rien pris qui ne fût à lui ; c’est là le vol, c’est là l’iniquité ; mais il a repris au démon ce que celui-ci avait enlevé. « Personne », dit-il, « n’entre dans la maison d’un homme fort, et n’enlève ce qui lui appartient, s’il n’a d’abord garrotté cet homme fort[766] ». Or, il a lié le fort, et lui a enlevé sa dépouille ; il ne l’a point volée, et il peut vous répondre : ces dépouilles avaient été enlevées à mon palais je ne commets pas un vol, je reprends ce qui était volé.
10. « Seigneur, vous connaissez mon imprudence[767] ». Il parle de nouveau, au nom de son corps. Quelle imprudence, en effet, peut-il y avoir dans le Christ ? N’est-il point la Force et la Sagesse de Dieu ? Parlerait-il de cette imprudence dont l’Apôtre a dit : « Ce qui paraît en Dieu une folie est plus sage que les hommes[768] ? » « Mon imprudence », c’est-à-dire, ce qu’ont tourné en dérision, contre moi, ceux qui se croyaient sages. Vous savez pourquoi : « Vous connaissez mon imprudence ». Qu’y a-t-il de plus semblable à l’imprudence, que de souffrir qu’on le saisisse, qu’on le flagelle, qu’on lui crache au visage, qu’on lui donne des soufflets, qu’on le couronne d’épines, qu’on.l’attache à la croix, quand il pouvait, d’un seul mot, renverser tous ses persécuteurs ? Tout cela ressemble à de l’imprudence, cela paraît de la folie, mais cette folie est supérieure à tous les sages. C’est une folie à la vérité ; mais jeter le grain en terre, paraît une folie pour quiconque ignore les usages du laboureur. On ne le sème qu’avec des fatigues, on le porte dans l’aire, on le bat, on le vanne ; et ce n’est qu’après avoir affronté les dangers et les intempéries du ciel, après avoir coûté des travaux, aux campagnards, des soins aux maîtres, que le froment pur est mis dans le grenier. Aux approches de l’hiver, on tire du grenier ce froment émondé, et on le jette ; cela paraît imprudent ; mais l’espoir du semeur fait que ce n’est pas imprudence. Le Seigneur donc ne s’est pas épargné, parce que son Père « ne l’a point épargné, mais l’a livré pour nous tous[769] ». C’est de lui que l’Apôtre a dit : « Il m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi[770]. Car si le grain de froment « ne tombe à terre pour y mourir », comme il l’a dit lui-même, « il ne rapportera aucun fruit[771] ». C’est là mon imprudence, et tu la connais. Pour eux, s’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le roi de gloire[772]. « O Dieu, vous connaissez mon imprudence, et mes fautes ne vous sont point cachées ». Il est clair, évident, manifeste, que ces paroles doivent s’entendre du corps du Christ ; car lui n’eut aucune faute, il se chargea de celles des autres, mais n’en commit aucune. « Et mes fautes ne vous sont point cachées » : c’est-à-dire, je vous ai confessé toutes mes fautes, et avant qu’elles fussent dans ma bouche, vous les avez connues dans ma pensée, vous avez vu les blessures que vous deviez guérir. Mais où ? Assurément dans son corps et dans ses membres, dans ses fidèles, d’où était venu pour s’attacher à lui ce membre, qui faisait l’aveu de ses fautes, « Et mes péchés », dit-il, « ne vous sont point cachés ».
11. « Qu’ils ne rougissent point de moi, u ceux qui espèrent en vous, Seigneur, Dieu « des vertus[773] » Voici de nouveau la voix du chef : « Qu’ils ne rougissent point de moi » ; qu’on ne leur dise point : Où est celui qui vous disait : « Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi[774]. Qu’ils ne rougissent point à mon sujet, ceux qui espèrent en vous, Seigneur, Dieu des vertus. Qu’ils n’éprouvent aucune confusion à cause de moi, ceux qui vous cherchent, ô Dieu d’Israël ». Ceci peut s’entendre du corps ; mais à condition de ne point faire de ce corps un seul homme : car un seul homme ne saurait être son corps, mais seulement un faible membre ; tandis que son corps est composé de plusieurs membres. Son corps dans son intégrité, c’est l’Église entière. C’est donc avec raison que l’Église tient ce langage : « Qu’ils ne rougissent point à mon sujet, ceux qui espèrent en vous, ô Dieu des vertus ». Que je ne sois plus en butte aux soulèvements des persécuteurs, que je n’aie pas à lutter contre la jalousie de mes ennemis, et les aboiements de ces hérétiques sortis de mon sein, mais qui n’étaient point de moi : car s’ils eussent été de moi, ils fussent demeurés avec moi[775]. Que leurs scandales ne m’accablent point, « de manière qu’ils rougissent de moi, ceux qui espèrent en vous, Seigneur, ô Dieu des vertus ». « Qu’ils ne soient point couverts de confusion à cause de moi, ceux qui vous cherchent, ô Dieu d’Israël ».
12. « Car c’est à cause de vous que j’ai supporté les opprobres, et que l’ignominie a couvert mon visage[776] ». Ce serait peu de dire : « J’ai supporté » ; il va plus loin : « C’est pour vous que j’ai supporté ». Souffrir parce que tu as péché, c’est souffrir pour toi, et non pour Dieu. « Quelle gloire vous revient-il », dit saint Pierre, « de souffrir parce que vous êtes châtiés à cause de vos péchés[777] ? » Mais souffrir parce que tu as gardé le commandement de Dieu, c’est là souffrir pour Dieu ; et ta récompense t’attend dans l’éternité, parce que c’est pour Dieu que tu as souffert l’outrage. De là vient qu’il a souffert le premier, afin de nous apprendre à souffrir. Mais s’il a souffert, lui à qui l’on ne pouvait faire aucun reproche ; à combien plus juste raison devons-nous souffrir, nous à qui notre ennemi peut bien n’avoir aucune faute à reprocher, mais qui avons en nous une autre cause d’un châtiment bien mérité ? Un homme t’appelle voleur, et tu ne l’es pas ; c’est une injure que tu reçois ; toutefois tu n’es pas tellement innocent qu’il n’y ait en toi rien qui déplaise à Dieu. Or, si celui qui n’avait absolument rien dérobé, qui a dit en toute vérité : « Voici le prince de ce monde, et il ne trouvera rien en moi[778] », a été appelé pécheur, appelé inique, appelé Béelzébub[779], appelé insensé ; toi, serviteur, tu ne veux pas entendre, après l’avoir mérité, ce que le Seigneur a entendu sans le mériter aucunement ? Il est venu pour te donner l’exemple, et comme s’il l’eût fait sans motif, tu n’en profites d’aucune sorte. Pourquoi a-t-il entendu ces injures, sinon afin que tu puisses les entendre sans te décourager ? Mais les entendre, pour toi, c’est l’abattement : c’est donc en vain que le Christ les a entendues, puisqu’il les entendait pour toi et non pour lui. « C’est donc à cause de vous que j’ai supporté l’opprobre, que l’irrévérence a couvert ma face ». « L’irrévérence, dit-il, « a couvert mon visage ». Qu’est-ce que l’irrévérence ? Ne savoir point rougir. C’est faire un reproche à un homme que dire de lui : C’est un homme irrévérent. C’est pour l’homme un grand défaut que de ne savoir plus rougir. L’irrévérence est donc une sorte d’impudence. Or, un chrétien doit avoir cette irrévérence, quand il se trouve au milieu des hommes qui n’aiment point le Christ. S’il rougit du Christ, il sera effacé du livre des vivants. Il te faut donc cette impudence quand on insulte au Christ devant toi : lorsqu’on t’appelle adorateur d’un crucifié, sectateur d’un supplicié, disciple d’un homme puni de mort ; rougir alors, c’est mourir. Écoute en effet l’arrêt de celui qui ne trompe jamais : « Quiconque rougira de moi devant les hommes, à mon tour je rougirai de lui en présence des anges de Dieu[780] ». Veille donc sur toi ; aie de l’impudence, du front, quand tu entends injurier le Christ ; oui, aie du front. Que peux-tu craindre pour ton front, que tu as muni du signe de la croix ? Tel est le sens de ces paroles : « C’est à cause de vous que j’ai supporté l’injure, que l’irrévérence a couvert mon visage ». « A cause de vous, j’ai supporté l’injure » : et parce que je n’ai point rougi de vous, quand on m’injuriait à cause de vous, « voilà que l’impudence a envahi mon visage ».
13. « Je suis devenu étranger à mes propres frères, j’ai été méconnu par les fils de ma mère[781] ». Il est devenu étranger pour les fils de la synagogue. Dans sa patrie on disait : « Ne savons-nous pas qu’il est le fils de Marie et de Joseph[782] ? » Et pourquoi est-il dit à un autre endroit : « Pour celui-là nous ne savons d’où il est[783] ? Je suis donc devenu « étranger aux fils de ma mère ». Ils n’ont su d’où j’étais, et leur chair était ma chair : ils ne savaient pas que je suis né de la race d’Abraham ; c’est en lui que mon corps était caché, lorsqu’il ordonna à son serviteur de mettre sa main sous sa cuisse, et qu’il jura par le Dieu du ciel[784]. « Je suis devenu un étranger pour les fils de ma mère ». Pourquoi ? Comment ne m’ont-ils point connu ? Pourquoi m’ont-ils traité comme un étranger ? Comment ont-ils bien osé dire : « Nous ne savons d’où il est ? Parce que le zèle de votre maison m’a dévoré[785] » ; c’est-à-dire, parce que j’ai poursuivi en eux leurs iniquités, parce qu’au lieu de les supporter patiemment je les ai repris, parce que j’ai cherché votre gloire dans votre maison, que j’ai frappé du fouet ceux qui commettaient des malversations dans le temple[786] : c’est là aussi qu’il est dit que « le zèle de votre maison m’a dévoré ». De là vient que je suis un hôte, un étranger ; de là encore : « Nous ne savons d’où il est ». Ils sauraient d’où je suis, s’ils connaissaient vos commandements. Et si je les avais trouvés fidèles à vos préceptes, le zèle de votre maison ne m’eût point dévoré. « Et les injures de ceux qui vous outragent sont retombées sur moi ». C’est là le passage que citait saint Paul (vous venez de l’entendre lire), et il ajoute : « Tout ce qui est écrit, n’est écrit que pour nous instruire, et pour nous donner l’espérance dans la consolation des saintes Écritures[787] ». Il attribue donc au Christ cette parole : « Les injures de ceux qui vous outragent sont retombées sur moi ». Pourquoi sur vous ? Peut-on outrager le Père, sans outrager le Christ lui-même ? Pourquoi « les injures de ceux qui vous outragent, retombent-elles sur moi ? », parce que celui qui me connaît, connaît aussi le Père[788] : parce que nul n’a insulté le Christ, sans insulter Dieu parce que nul ne peut honorer le Père, sinon celui qui honore le Fils[789]. « Les injures de ceux qui vous outragent retombent sur moi », parce qu’elles arrivent jusqu’à moi.
14. « J’ai couvert mon âme du jeûne, et l’on m’en a fait un sujet d’opprobre[790] ». Dans un autre psaume déjà, nous vous avons exposé le sens spirituel du jeûne du Christ[791]. Pour lui, il y avait jeûne, quand nul ne croyait en lui : il avait faim d’âmes qui crussent en lui : il avait soif aussi quand il dit à la Samaritaine : « J’ai soif, donnez-moi à boire[792] ». Or, il avait soif de la foi. Et quand sur la croix il dit aussi : « J’ai soif[793] », il désirait la foi de ceux dont il avait dit : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[794] ». Mais qu’est-ce que les hommes lui ont donné à boire dans sa soif ? Du vinaigre. Qui dit aigri, dit aussi vieilli. Ils l’ont donc abreuvé du vieil homme, en refusant d’être des hommes nouveaux. Pourquoi n’ont-ils pas voulu être nouveaux ? Parce qu’ils ne sont point de ceux dont le titre du psaume a dit « Pour ceux qui doivent changer ». Donc « j’ai couvert mon âme du jeûne ». Enfin il repoussa le fiel qu’ils lui avaient offert : il aima mieux jeûner que de goûter l’amertume. Car ceux qui provoquent l’aigreur n’entrent point dans son corps mystique, et il a dit d’eux : « Les âmes à fiel ne s’élèveront point en elles-mêmes[795] ». Donc « j’ai couvert mon âme de jeûne, et l’on m’en a fait un sujet d’opprobre ». Ils m’ont fait un sujet d’opprobre, de mon désaccord avec eux, c’est-à-dire de ce qu’ils me faisaient jeûner ; car n’être point d’accord avec ceux qui persuadent le mal, c’est jeûner à son sujet ; et ce jeûne attire l’opprobre, c’est-à-dire l’insulte à celui qui ne consent point au mal.
15. « Et le sac a été mon vêtement[796] ». Déjà nous avons quelque peu parlé du sac[797]. « Pour moi, quand ils se livraient à la violence contre moi, je me couvrais d’un cilice, j’humiliais mon âme dans le jeûne. Le sac a été mon vêtement » : c’est-à-dire, j’ai opposé ma chair à leurs sévices : j’ai caché ma divinité. « Le sac », parce que le Christ avait une chair mortelle, pour condamner, par le péché, le péché dans la chair[798]. « J’ai pris un sac pour vêtement : et je suis devenu pour eux une parabole », c’est-à-dire un sujet de dérision. On appelle parabole, prendre pour type un homme dont on dit du mal ; ainsi par exemple : qu’il périsse comme un tel, voilà une parabole, ou une comparaison, une ressemblance en fait de malédiction. « Je suis devenu pour eux une parabole ».
16. « Ils m’insultaient, ceux qui étaient assis sur la porte[799] ». Ici, « sur la porte », n’a d’autre signification qu’en public. « Et ceux qui buvaient du vin, chantaient contre moi ». Pensez-vous, mes frères, que cela ne soit arrivé qu’au Christ ? Chaque jour cela lui arrive dans ses membres : quand parfois un serviteur de Dieu est obligé de défendre ces ivresses, ces débauches, soit dans quelque maison champêtre, soit dans quelque bourgade, où n’a pas été entendue la parole de Dieu ; c’est peu d’y chanter, on veut encore chanter contre celui qui interdit ces chants. Comparez le jeûne du Christ, avec leurs orgies. « Ils chantaient contre moi, ceux qui buvaient le vin », le vin de l’erreur, le vin de l’impiété, le vin de l’orgueil.
17. « Pour moi, je vous adresse ma prière, ô mon Dieu[800] ». Pour moi, j’étais près de vous. Comment ? En vous invoquant. Si l’on te maudit, ô Chrétien, et que tu n’aies rien à faire ; si l’on te jette l’opprobre à la face, cl que tu n’aies aucun moyen de ramener au bien celui qui t’insulte, il ne te reste qu’à prier. Mais souviens-toi de prier aussi pour lui. « Pour moi, je vous adresse ma prière, ô mon Dieu. Au temps où il vous plaira, Seigneur ». Voilà le grain de froment qui est enfoui, il en sortira un fruit. « Au temps où il vous plaira, Seigneur ». Les Prophètes ont fait mention de ce temps, dont l’Apôtre a dit : « Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant le jour du salut[801]. Au temps où il vous plaira, dans votre infinie miséricorde ». Le temps où il plaît à Dieu est « dans sa miséricorde infinie ». Si cette miséricorde n’était infinie, que ferions-nous dans l’infinité de nos fautes ? « Dans votre miséricorde infinie, exaucez-moi dans la vérité de votre salut ». Il dit votre vérité, comme il a dit, « votre miséricorde » ; car toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité[802]. Comment miséricorde ? En pardonnant les péchés. Comment vérité ? En acquittant ses promesses. « Exaucez-moi dans la vérité de votre salut ».
18. « Retirez-moi de la fange, afin que je n’y demeure point[803] ». C’est de cette fange qu’il a dit plus haut : « Je suis fixé dans le limon de l’abîme, et ce n’est point une substance ». Après avoir écouté l’explication de ce premier passage, il ne vous reste rien de plus â comprendre ici. Le Christ veut donc être tiré du bourbier où plus haut il se dit enfoncé. « Tirez-moi de cette fange, afin que je n’y demeure point[804]. Et il explique lui-même : « Que je sois délivré de ceux qui me haïssent ». Ils sont donc le limon qui me submergeait. Mais voici peut-être une réflexion qui nous est suggérée. Tout à l’heure il disait : « J’ai été fixé », maintenant il dit : « Tirez-moi de cette fange, afin que je n’y demeure point » ; tandis que, selon le premier sens, il devrait dire : Sauvez-moi, en me tirant de cette fange qui m’arrêtait, et non en m’empêchant de m’y arrêter. Il y était donc resté d’une manière corporelle, et non selon l’esprit. Il parle ainsi en se conformant à l’infirmité de ses membres. Lorsque tu es saisi par celui qui te pousse au péché, ton corps est tenu en réalité, tu es alors enfoncé dans le limon de l’abîme, d’une manière corporelle ; mais tant que tu n’y as pas consenti, tu n’y demeures point ; tu y demeures au contraire, si tu y consens. C’est donc à toi de prier, afin que ton âme ne soit point retenue comme ton corps, et que tu sois libre dans les chaînes. « Délivrez-moi de ceux qui me haïssent, délivrez-moi du sein de l’abîme ».
19. « Que le tourbillon des eaux ne me submerge point[805] ». Mais déjà il était submergé. C’est vous qui avez dit : « Je suis jeté en pleine mer » ; et encore : « La tempête m’a submergé ». La tempête a submergé son corps, mais qu’elle ne submerge pas mon esprit, Quand il est dit : « Si l’on vous poursuit dans une cité, fuyez dans une autre[806] » ; cela signifie que ceux-là ne devaient y demeurer ni selon le corps, ni selon l’esprit. Il n’est pas à désirer pour nous d’y être embarrassé, même d’une manière corporelle ; et nous devons l’éviter autant que possible. Quelque peu que nous y demeurions, nous sommes alors tombés entre les mains des méchants, notre corps y est embarrassé, et dès lors nous sommes fixés dans le limon de l’abîme ; il nous reste à prier pour notre âme, afin qu’elle n’y demeure pointa c’est-à-dire que nous n’y consentions point, et que les vagues ne nous submergent point, de manière à nous plonger dans les profondeurs de la vase. « Que le gouffre ne m’engloutisse point, que le puits de l’abîme ne se referme point sur moi ». Qu’est-ce à dire, mes frères ? Que demande le Prophète ? Il est profond, l’abîme de l’iniquité humaine ; quiconque s’y laisse tomber, tombe dans un gouffre insondable. Mais si de ces profondeurs il confesse à Dieu ses péchés, le puits ne se refermera point sur lui ; c’est ce qu’exprime ainsi un autre psaume : « Du fond de l’abîme, j’ai crié vers vous, Seigneur ; Seigneur, écoutez ma voix[807] ». Mais s’il lui arrive ce qui est dit dans une autre sentence des Écritures : « Quand l’impie est descendu dans les profondeurs du mal, il méprise[808] » ; alors le puits se referme sur lui. Pourquoi se ferme-t-il ? Parce que lui-même a fermé la bouche. Voilà ce pécheur qui ne fait point d’aveu ; il est vraiment mort, et alors s’accomplit en lui ce qui est dit ailleurs : « Un mort ne confesse pas plus le Seigneur que s’il n’était pas[809] ». Voilà, mes frères, ce que nous devons craindre par-dessus tout. Si tu vois un homme tombé dans l’iniquité, il est plongé dans le gouffre ; mais si tu lui énumères ses fautes, et qu’il réponde : J’ai péché, je l’avoue, le puits ne se referme pas sur lui ; mais si tu l’entends dire : Quel mal ai-je fait ? il prend alors la défense de ses fautes ; l’abîme se referme sur lui, et il n’y a nulle issue pour en sortir. Sans l’aveu, il n’y a point de place pour la miséricorde. Tu te fais le défenseur de ton péché, comment Dieu peut-il t’en délivrer ? Pour que Dieu soit ton libérateur, sois toi-même ton accusateur.

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 68 modifier

DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME. modifier

LA RÉDEMPTION PAR LE CHRIST (SUITE). modifier

L’abîme se referme sur nous par le refus de l’aveu de nos fautes. Dieu vent que l’on fasse appel à sa bonté, et même quand il permet l’affliction, il agit avec miséricorde. Hâtez-vous de me secourir, non seulement d’une manière spirituelle et dans mon âme, mais d’une manière ostensible, afin que mes ennemis puissent profiter de ma délivrance, comme la délivrance des enfants de la fournaise convertit Nabuchodonosor. Vous savez ce que l’on nous reproche. Mon cœur n’a trouvé personne qui s’affligeât avec lui sur les hommes qui se perdent. Les fidèles composent la nourriture du Seigneur, les hommes y jettent le fiel des contradictions et de l’hérésie, et le Seigneur refuse d’en boire, parce que ces hommes n’entrent point dans son Église. Par un juste châtiment de Dieu ils doivent trouver un piège dans ce qui est visible, être courbés vers les biens de cette vie, être en butte le la haine, et laisser désertes leurs habitations. S’ils ont aidé à l’accomplissement des desseins de Dieu, c’est par leur malice. Les Juifs ont persécuté celui qui voulait expier nos fautes : en voulant tuer un juste, ils ont encore tué un Dieu ; ils ne doivent point lire leur nom sur le livre de vie. Le pauvre et l’affligé trouveront le soulagement dans la face de Dieu, ou dans le bonheur de l’autre vie. Ils béniront Dieu, c’est là le vrai sacrifice. Nous qui sommes captifs, nous entrerons dans la cité de la délivrance, si nous servons Dieu par amour pour sa gloire


1. Il nous reste à vous expliquer aujourd’hui, mes frères, la seconde partie du psaume, dont nous avons entretenu hier votre piété. Je vois qu’il me faut acquitter ma dette, si toutefois la longueur du psaume ne me laisse pas encore aujourd’hui votre débiteur. Je vous en préviens d’avance, et vous supplie de ne pas attendre de moi de longues discussions sur les passages qui sont clairs par eux-mêmes. De cette manière nous pourrons au besoin nous arrêter sur les endroits obscurs, et peut-être acquitter notre dette ; et ainsi de jour en jour, vous payer à mesure que nous deviendrons débiteur. Voyons donc la suite du psaume, après ce verset : « Que l’abîme ne se referme point sur moi[810] » Hier, nous avons insisté auprès de votre charité, en vous suppliant d’apporter toute l’attention de votre âme, toute la ferveur de votre piété pour écarter de nous cette malédiction, Car l’abîme, ou le gouffre de l’iniquité se ferme sur l’homme qui, non seulement est plongé dans le péché, mais qui se ferme l’issue même de la confession. Quand cet homme en vient à dire : Je suis pécheur ; l’abîme s’illumine d’un rayon de lumière dans ses profondeurs. Le psaume continue donc par les lamentations de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans ses tourments, de Jésus-Christ dans le chef et dans les membres. Comme nous vous l’avons dit : en certains endroits il faut discerner les paroles du Chef ; mais les paroles qui ne peuvent convenir au Chef, il faut les attribuer aux membres. Le Christ parle comme s’il était seul ; car il est bien seul, celui dont il est dit : « Ils seront deux dans une même chair[811] ». S’il n’y a qu’une seule chair, pourquoi s’étonner qu’if n’y ait qu’une seule voix ? Voici donc la suite : « Exaucez-moi, Seigneur, parce que votre « miséricorde est pleine de bonté[812] ». Il nous exprime pour quel motif il doit être exaucé : la divine miséricorde est pleine de bonté. N’était-il pas plus conséquent de dire : Exaucez-moi, Seigneur, afin qu’il y ait de la bonté dans votre miséricorde ? Pourquoi dire : « Exaucez-moi, parce que votre miséricorde est pleine de bonté ? » Quand il était dans la tribulation, il a parlé de la miséricorde en termes quelque peu différents, puisqu’il disait : « Exaucez-moi, Seigneur, parce que je suis dans la peine ». Dire alors : « Exaucez-moi, parce que je suis dans la peine », c’est exprimer le motif pour lequel il veut être exaucé : mais pour un homme qui est dans l’affliction, il faut que la divine miséricorde soit pleine de bonté. À propos de cette bonté dans la miséricorde du Seigneur, écoutez cette autre parole de l’Écriture « Comme la pluie au temps de la sécheresse, ainsi est admirable la miséricorde de Dieu au temps de la tribulation[813] ». Ce qu’il appelle admirable dans un endroit, il l’appelle dans l’autre pleine de bonté. Donc, quand le Seigneur permet ou fait que nous soyons dans quelque tribulation, même alors il agit avec miséricorde : car sans nous soustraire alors la nourriture, il en stimule le désir. Aussi que dit-il maintenant ? « Exaucez-moi, Seigneur, parce que votre miséricorde est pleine de bonté ». Je vous en supplie, ne différez pas de m’entendre ; telle est l’affliction qui m’accable, que votre miséricorde me sera douce. Vous n’avez différé de me secourir, que pour me faire apprécier la douceur de votre secours : il n’y a donc plus lieu de différer : la tribulation s’est élevée pour moi au comble du malheur ; que votre miséricorde vienne y apposer l’œuvre de la bonté. « Exaucez-moi, Seigneur, parce que votre miséricorde est pleine de bonté. Jetez les yeux sur moi, selon l’étendue de votre compassion » ; et non selon le grand nombre de mes fautes.
2. « Ne détournez pas votre visage de votre serviteur[814] ». Or, cette expression « de votre serviteur », ou de celui qui est petit, est un acte d’humilité ; parce que dans l’épreuve de la tribulation je n’ai pas eu l’orgueil : « Ne détournez pas votre face de votre serviteur ». Telle est l’admirable miséricorde de Dieu que le Prophète chantait plus haut. Car dans le verset suivant il explique ce qu’il a dit : « Je suis dans la tribulation, hâtez-vous de me secourir ». Qu’est-ce à dire : « Hâtez-vous ? » Ne différez pas davantage : la tribulation m’accable ; les malheurs sont venus sur moi, que votre miséricorde les suive.
3. « Veillez sur mon âme et rachetez-la[815] ». Cela n’a pas besoin d’explication : voyons ce qui suit. « Délivrez-moi à cause de mes ennemis ». Voilà une prière que nous devons admirer, qu’il ne faut pas effleurer légèrement, ni négliger en courant ; il faut l’admirer : « Délivrez-moi, à cause de mes ennemis ». Qu’est-ce à dire : « A cause de mes ennemis, délivrez-moi ? » Afin que ma délivrance les confonde, les tourmente. Quoi donc ! si nul ne devait souffrir de ma délivrance, ne faudrait-il pas me secourir ? Eh ! la délivrance n’est-elle si agréable pour toi, que quand elle devient la damnation d’un autre ? Voilà qu’il n’y a aucun ennemi, que ta délivrance doive couvrir de confusion ou tourmenter ; en demeureras-tu là ? Ne voudras-tu pas être délivré ? Ou bien, tes ennemis doivent-ils profiter de ta délivrance, au point de pouvoir se convertir ? Mais ce qui doit nous étonner, c’est que le Prophète ait ainsi motivé sa prière. Est-ce qu’un serviteur de Dieu n’est délivré par le Seigneur son Dieu, que pour le progrès des autres ? Mais alors, si nul n’en devait profiter, ce serviteur de Dieu ne serait-il donc point délivré ? À quelque point de vue que j’envisage soit le châtiment, soit ta délivrance des ennemis, je ne vois point le motif de cette prière : « Délivrez-moi, à cause de mes ennemis » ; à moins d’entendre par là un autre motif, et quand je vous l’aurai exposé, avec le secours de Dieu, chacun de vous en jugera selon l’esprit qui habite en lui. Il y a pour les saints une certaine délivrance occulte : elle a lieu pour eux. Il en est une autre, publique et évidente : elle a lieu à cause de leurs ennemis, que Dieu veut punir ou délivrer. À la vérité Dieu n’a pas délivré des violences de la persécution ces frères Macchabées[816], dont Antiochus, dans sa fureur, il fit venir la mère, afin que ses caresses rappelassent ses enfants à l’amour de la vie, et qu’en cherchant à vivre pour les hommes ils mourussent devant Dieu. Mais cette mère, différente d’Eve et semblable à l’Église, vit mourir avec joie, afin de les retrouver vivants, ceux qu’elle avait enfantés avec douleur ; elle les exhortait à choisir la mort pour les lois de la patrie et du Seigneur leur Dieu, plutôt que de vivre en les méprisant. Que devons-nous croire ici, mes frères, sinon qu’ils furent délivrés ? Mais leur délivrance fut occulte : enfin Antiochus lui-même, qui les fit mettre à mort, crut avoir fait ce que sa cruauté lui dictait, ou plutôt lui imposait. Mais ce fut d’une manière évidente que les trois enfants furent délivrés des flammes de la fournaise[817] ; puisque leurs corps en furent retirés, et que l’on vit qu’ils étaient sains et saufs. Les uns donc furent couronnés d’une manière invisible, les autres délivrés au grand jour : tous néanmoins furent sauvés. Quel fruit ces trois enfants tirèrent-ils de leur délivrance ? pourquoi leur couronnement fut-il différé ? Nabuchodonosor lui-même se convertit à leur Dieu ; il prêcha ce Dieu qui avait délivré ses serviteurs, ce même prince qui l’avait méprisé en jetant les jeunes hommes dans la fournaise. Il y a donc une délivrance occulte, et une délivrance évidente. La délivrance occulte est pour l’âme, tandis que la délivrance évidente est pour le corps : l’âme est délivrée secrètement, le corps l’est ostensiblement. Si donc il en est ainsi, reconnaissons la voix du Seigneur dans ce psaume : ce qu’il nous a dit plus haut : « Veillez sur mon âme et délivrez-la », s’entend de la délivrance invisible. Reste alors à délivrer le corps : et en effet, à la résurrection du Sauveur, et quand il monta aux cieux, quand il envoya d’en haut l’Esprit-Saint[818], ceux qui l’avaient mis à mort embrassèrent la foi, et d’ennemis qu’ils étaient devinrent ses amis, par l’effet de la grâce, et non par leur propre justice. C’est pourquoi le Prophète poursuit : « Délivrez-moi à cause de mes ennemis. Veillez sur mon âme », mais secrètement : « A cause de mes ennemis, délivrez » aussi mon corps. Car il ne servirait de rien à mes ennemis que vous eussiez seulement délivré mon âme : ils croiront qu’ils ont fait quelque chose, qu’ils ont atteint leur but. Qu’est-il besoin de répandre mon sang, si je dois passer par la corruption[819] ? Donc « veillez sur mon âme et délivrez-la », car vous seul le savez : ensuite, « à cause de mes ennemis, délivrez-moi », afin que ma chair ne voie point la corruption.
4. « Vous connaissez mes opprobres, et ma confusion et ma honte[820] ». Qu’est-ce que l’opprobre ? la confusion ? la honte ? On appelle opprobre ce que nous reproche un ennemi. La confusion est le reproche qui aiguillonne notre conscience. La honte est la rougeur qu’amène sur un front innocent la fausse accusation d’un crime. Le crime n’existe pas, ou s’il existe, il n’est point le fait de celui à qui on le reproche ; mais à cause de la faiblesse de l’âme humaine, souvent nous rougissons même quand on nous impute faussement un crime ; non point parce qu’on nous l’objecte, mais parce qu’on le croit. Tout cela se rencontre dans le corps mystique du Seigneur. Car en lui, il ne pouvait y avoir de honte, puisqu’il n’y avait pas de crime. Toutefois on reprochait aux chrétiens le fait même d’être chrétiens. C’était une gloire ; les âmes fortes l’entendaient volontiers, et l’entendaient de manière à ne pas rougir du nom du Seigneur. Une certaine impudence avait envahi leur visage, ils avaient le front de Paul qui s’écriait : « Je ne rougis pas de l’Évangile, car il est la vertu de Dieu pour sauver ceux qui croiront[821] ». O Paul, n’es-tu pas, toi aussi, adorateur d’un crucifié ? C’est peu pour moi, répond-il, de n’en pas rougir ; mais ma gloire unique est où mon ennemi voit une honte pour moi. « Loin de moi de me glorifier, sinon en la croix de Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde[822] ». Contre un tel front l’on ne pouvait jeter que l’opprobre. Car il ne pouvait-y avoir de confusion pour sa conscience déjà guérie, ni de honte pour son visage. Mais quand on vint reprocher à quelques-uns d’avoir tué le Christ, ils furent justement aiguillonnés par leur mauvaise conscience ; une confusion salutaire les convertit, en sorte qu’ils purent s’écrier : « Vous avez connu ma confusion[823] ». Vous donc, Seigneur, connaissez non seulement mon opprobre, mais aussi ma confusion, et chez plusieurs ma honte ; ils croient en moi à la vérité, mais ils rougissent de me confesser publiquement et devant les hommes ; la langue humaine a sur eux plus de force que la promesse divine. Voyez donc ces hommes : ce sont eux que l’on recommande à la bonté de Dieu, non plus afin qu’il les abandonne en cet état, mais afin qu’il les soutienne de son secours. Un homme qui croyait, mais qui craignait encore, a dit en effet : « Je crois, Seigneur, mais aidez mon incrédulité[824]. « Tous ceux qui me persécutent sont en votre eu présence ». Si donc j’essuie un opprobre, vous savez pourquoi ; une confusion, vous savez pourquoi ; une honte, vous savez encore pourquoi ; délivrez-moi donc, à cause de mes ennemis, parce que vous connaissez tout cela, mais eux ne le connaissent point ; et comme ils sont devant vous sans connaître cela, ils n’ont pu ni éprouver de la honte, ni se corriger, si vous ne me délivrez en considération de mes ennemis.
5. « Mon cœur a attendu l’outrage et la misère[825] ». Qu’est-ce à dire « A attendu ? » Il a prévu qu’il en serait ainsi, il l’a prédit. L’avènement du Christ n’avait point d’autre but. S’il n’eût voulu mourir, il n’eût point voulu naître ; c’est en vue de sa résurrection qu’il a fait l’un et l’autre. Il y avait en effet dans le genre humain deux choses fort connues, une troisième était ignorée. Les hommes connaissaient la naissance et la mort, mais nous ne savions ressusciter ni vivre éternellement. Or, pour nous apprendre ce que nous ne savions point encore, Dieu a voulu passer par deux phases bien connues. C’est donc pour cela qu’il est venu. « Mon cœur a attendu l’outrage et la misère ». Mais de qui est cette misère ? Il a attendu la misère, mais c’est plutôt la misère de ceux qui le crucifiaient, qui le persécutaient ; en sorte qu’il y avait la misère chez eux, et chez lui miséricorde. Car il prenait en pitié leur misère, quand sur la croix il s’écriait : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[826]. Mon cœur a attendu l’outrage et la misère : j’ai attendu quelqu’un qui s’affligeât avec moi, et nul ne s’est rencontré ». De quoi donc m’a-t-il servi d’attendre ? c’est-à-dire de quoi m’a-t-il servi de prophétiser ? de quoi m’a servi de prêcher que je venais pour cela ? Voilà que s’accomplit ce que j’ai dit : « J’ai attendu que l’on s’affligeât avec moi, et nul ne s’est rencontré ; j’ai espéré un consolateur, et n’en ai point trouvé[827] » ; c’est-à-dire, nul ne s’est rencontré. Cette parole du verset précédent : « J’ai attendu quelqu’un qui s’affligeât avec moi » ; il la répète au verset suivant : « J’ai espéré un consolateur ». Ce qu’il a dit encore plus haut : « Et nul ne s’est rencontré » ; il le répète ici : « Et n’en ai point trouvé ». Il n’y a donc rien d’ajouté, c’est la première pensée qu’il répète. Mais en examinant de près cette pensée, on peut soulever quelques questions. Ses disciples ne furent-ils donc point dans l’affliction quand il fut conduit pour être supplicié, quand il fut cloué à la croix, quand il mourut ? Leur tristesse fut si grande qu’ils en pleuraient encore, quand Marie Madeleine, qui le vit la première, vint alors leur raconter ce qu’elle avait vu[828]. C’est l’Évangile qui nous le rapporte ; ce n’est point de notre part une parole hasardée, ce n’est point un soupçon. Il est constant que les disciples en furent dans la tristesse, dans les larmes. Des femmes qui lui étaient étrangères pleuraient quand on le conduisait au supplice, et se tournant de leur côté, il leur dit : « Pleurez, mais sur vous, et non sur moi[829] ». Comment donc attendit-il sans le trouver quelqu’un qui s’affligeât avec lui ? Nous regardons, et nous voyons de la tristesse, des pleurs, des lamentations ; et de là vient que cette parole nous étonne : « J’ai attendu que l’on s’affligeât avec moi, et nul ne s’est rencontré ; que l’on me consolât, et je n’ai trouvé personne ». Toutefois, avec plus d’attention, nous verrons qu’il a attendu que l’on s’affligeât avec lui, sans trouver personne. Les disciples étaient pris d’une tristesse charnelle, au sujet de cette vie périssable, qu’il devait échanger contre la mort et recouvrer par la résurrection ; tel était le sujet de leur tristesse. Ils devaient s’attrister au contraire au sujet de ces aveugles qui avaient tué le médecin, de ces infortunés qui, dans la fougue de leur démence, insultaient celui qui leur apportait le salut. Lui voulait les guérir, eux voulurent le tuer ; de là cette tristesse du médecin. Or, vois s’il y eut quelqu’un pour s’affliger avec lui. Il ne dit pas en effet : J’ai attendu que l’on s’affligeât, et nul ne s’est rencontré ; mais « que l’on s’affligeât avec moi », c’est-à-dire pour le même sujet qui m’affligeait moi-même, « et je n’ai trouvé personne ». Pierre l’aimait assurément beaucoup, lui qui, sans hésiter, se précipita pour marcher sur les flots, et fut délivré à la parole du Seigneur[830] : lui qui, dans son amour, le suivit audacieusement quand on le conduisait à la mort, et pourtant le renia trois fois dans son trouble. Pourquoi ? sinon parce qu’il voyait un mal dans la mort ? Car il évitait ce qu’il croyait un mal. Il gémissait de voir dans le Seigneur ce que lui-même voulait éviter. Aussi avait-il dit auparavant : « A Dieu ne plaise, Seigneur ! veillez sur vous, il n’en sera pas ainsi » : quand il mérita d’être appelé « Satan », après s’être entendu dire : « Tu es bienheureux, Simon, fils de Jean[831] ». Donc nul ne partageait cette tristesse au sujet de ceux pour lesquels Jésus disait : « Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce qu’ils font. J’ai attendu que l’on s’affligeât avec moi, et nul ne l’a fait ». Non, il ne s’est trouvé personne. « J’ai cherché eu des consolateurs et n’en ai point trouvé ». Quels sont ces consolateurs ? Ceux qui avancent dans la vertu. Car ce sont eux qui nous consolent, telle est la consolation pour les prédicateurs de la vérité.
6. « Ils m’ont donné du fiel pour nourriture, et dans ma soif m’ont abreuvé de vinaigre[832] ». Ceci s’est accompli à la lettre, ainsi que nous le voyons dans l’Évangile. Mais, remarquons-le bien, mes frères, ne pas trouver de consolateurs, ne trouver personne qui s’affligeât avec moi, voilà ce qui était pour moi du fiel, voilà pour moi l’amertume, voilà le vinaigre ; il m’était amer à cause de ma douleur, c’était le vinaigre, parce qu’il avait vieilli. Nous lisons à la vérité, comme le raconte l’Évangile[833], qu’on lui offrit du fiel ; mais pour breuvage, et non pour nourriture. Toutefois ce qui était prédit ici s’est accompli à la lettre, et c’est dans ce sens qu’il faut entendre : « Ils m’ont donné du fiel pour nourriture » ; et non seulement dans cette parole, mais dans ce fait même nous devons rechercher un mystère, percer l’obscurité, entrer dans le temple par la déchirure du voile, et voir une figure ou dans la manière de prédire, ou dans la manière dont le fait s’est accompli. « Ils m’ont donné du fiel pour nourriture », dit le Prophète. Ce qu’ils m’ont présenté n’était point une nourriture, c’était plutôt un breuvage ; mais, ils l’ont donné pour nourriture » : le Seigneur en effet avait déjà pris une nourriture, et elle fut arrosée de fiel. Il avait pris une nourriture agréable, en mangeant la Pâque avec ses disciples : ce fut là qu’il établit le sacrement de son corps[834]. Or, sur cette nourriture si agréable, si douce, de l’unité du Christ que l’Apôtre nous signale dans ces paroles « Nous sommes tous un seul pain, un seul corps[835] » ; sur cette nourriture, qui vient jeter le fiel, sinon les contradicteurs de l’Évangile, semblables aux persécuteurs du Christ ? Car il y eut moins de crime pour les Juifs de le crucifier quand il était sur la terre, qu’il n’y en a pour ceux qui le méprisent dans le ciel. Ce que firent donc les Juifs en lui jetant un breuvage amer sur la nourriture qu’il avait prise, ceux-là le renouvellent qui, par une vie criminelle, apportent le scandale dans l’Église : voilà ce que font les hérétiques en corrompant la doctrine. Or, qu’ils ne s’élèvent point en eux-mêmes[836] ; eux qui apportent le fiel sur des mets si délicats. Mais que fait le Seigneur ? Il ne les admet point parmi ses membres. Voilà ce que figurait le Seigneur quand il goûta le fiel qu’on lui présentait, et qu’il n’en voulut point boire[837]. Ne rien endurer de leur part, ce serait ne rien goûter ; mais comme il faut les endurer, il faut aussi goûter du fiel. Et comme ces gens ne peuvent compter parmi les membres du Christ, lui les goûte seulement, mais eux n’entrent point dans son corps. « Voilà qu’ils m’ont donné du fiel pour nourriture, et dans ma soif ils m’ont abreuvé de vinaigre ». J’avais soif, et l’on m’a donné du vinaigre : c’est-à-dire, je désirais d’eux la foi, et je n’ai trouvé que le vieil homme.
7. « Que leur table soit un piège devant eux[838] ». Ils m’ont tendu un piège, en me présentant un pareil breuvage, qu’ils trouvent un semblable piège. Mais pourquoi devant eux ? » Il suffirait de dire : « Que eu leur table soit un piège » Il y a des hommes qui connaissent leurs iniquités, et qui néanmoins y persévèrent avec une singulière obstination : leur piège est alors devant eux. Ils conjurent leur propre perte, et descendent vivants dans l’enfer[839]. Enfin, qu’est-il dit à propos des persécuteurs ? « Si le Seigneur n’eût été avec nous, ils nous eussent peut-être engloutis tout vivants[840] ». Qu’est-ce à dire « vivants ? » C’est-à-dire, que nous eussions consenti à leurs desseins, bien que nous sussions que nous n’y devions point consentir. Le piège est donc devant eux, et ils ne se corrigent point. Ou bien le piège est-il sous leurs yeux, afin qu’ils ne tombent point ? Voilà qu’ils connaissent le piège, et ils y mettent le pied, et ils baissent le cou qui va être enlacé. Combien il eût été mieux d’éviter le piège, de connaître le péché, de condamner son erreur, de s’épargner l’amertume, d’entrer dans le corps du Christ, et de chercher la gloire de Dieu ! Mais, telle est la présomption de leur esprit, que le piège est sous leurs yeux, et que néanmoins ils y tombent. « Que leurs yeux soient obscurcis, afin qu’ils ne voient point[841] », dit ensuite le Prophète : afin que s’ils ont vu sans motif, il leur arrive de ne point voir du tout. « Que leur table donc soit devant eux comme un piège ». « Qu’elle devienne un piège devant eux », ce n’est point là un souhait, mais une prophétie : il n’appelle point ce malheur, il le prédit, C’est une réflexion que souvent nous avons faite, et il vous en souvient ; il ne faut pas voir une imprécation malveillante, dans une parole prophétique, inspirée par l’Esprit de Dieu. Que cela donc arrive, puisqu’il est impossible que ces événements n’arrivent point. Et quand nous voyons l’Esprit de Dieu prédire aux méchants de semblables malheurs, sachons les comprendre de manière à les éviter pour nous. Car il nous est utile de le comprendre, et de tirer ce profit de nos ennemis. « Que leur table soit donc pour eux aussi une représaille et une pierre d’achoppement ». Est-ce là une injustice ? Non, c’est une justice. Pourquoi ? Parce que c’est une représaille. Rien ne peut leur arriver qui ne leur soit dû. C’est donc une représaille contre eux, une pierre de scandale ; parce qu’ils sont pour eux-mêmes un scandale.
8. « Que leurs yeux s’obscurcissent afin eu qu’ils ne voient point, tenez leur dos toujours incliné ». Telle est la conséquence. Dès lors que leurs yeux sont obscurcis de peur qu’ils ne voient, il est de rigueur que leur dos soit toujours courbé. D’où vient cela ? C’est qu’après avoir cessé de connaître les choses d’en haut, leurs pensées ont dû s’occuper des choses de la terre. Celui-là n’a point le dos courbé, qui sait comprendre Les cœurs en haut. Car il se dresse pour attendre l’espérance qui nous est réservée dans le ciel, surtout s’il y envoie ce trésor qui doit suivre son cœur[842]. Mais ceux qui ne comprennent point l’espérance d’une vie future, sont aveuglés déjà, et s’occupent des choses d’ici-bas : c’est avoir le dos courbé. Telle est la maladie dont le Seigneur guérit cette femme de l’Évangile, que Satan avait enchaînée depuis dix-huit ans, qui était courbée et que redressa le Sauveur[843]. Comme il avait opéré cette guérison le jour du sabbat, les Juifs en furent scandalisés il était bien juste que ces hommes courbés se scandalisassent de la voir redressée : « Tenez leur dos sans cesse incliné »,
9. « Versez sur eux votre colère, et que le feu de votre indignation les atteigne[844] ». Tout cela est clair : toutefois l’expression « les eu atteigne » semble dire qu’ils fuiront. Mais où fuiront-ils ? Dans le ciel ? Vous y êtes, Seigneur. Dans les enfers ? Vous y êtes présent[845]. Ils ne veulent point prendre leurs ailes pour voler directement : « Que le feu de votre colère les atteigne », et ne leur permette point de s’enfuir.
10. « Que leur habitation devienne déserte[846] ». Voilà ce qui est manifeste. De même qu’il ne demandait pas seulement une délivrance occulte, quand il disait : « Veillez sur mon âme et délivrez-la », mais qu’il la voulait d’une évidence corporelle, quand il ajoutait : « Délivrez-moi à cause de mes ennemis » : de même ici, il prédit à ses ennemis quelques-unes de ces calamités obscures dont il parlait tout à l’heure. Combien, en effet, voit-on d’hommes pour comprendre le malheur de celui dont le cœur est aveuglé ? Qu’il vienne à perdre les yeux du corps, chacun plaint son infortune : qu’il perde les yeux de l’esprit, tout en demeurant dans l’abondance de tout bien, on vante son bonheur ; mais ceux-là seulement qui sont aveuglés comme lui. Quelle évidence faut-il donc, pour que chacun voie la vengeance exercée contre eux ? Car l’aveuglement des Juifs est une vengeance cachée : quelle sera la vengeance manifeste ? « Que leur habitation soit déserte, et que nul n’habite sous leurs tentes ». Voilà ce qui est arrivé pour la ville de Jérusalem, dans laquelle on vit les principaux crier contre le Fils de Dieu : « Crucifiez-le, crucifiez-le[847] » ; et prévaloir sur lui, puisqu’ils eurent le pouvoir de mettre à mort celui qui avait ressuscité les morts. Combien alors ils se crurent et grands et puissants ! Vinrent ensuite les représailles du Seigneur ; la ville fut prise d’assaut, les Juifs vaincus, et combien de milliers d’hommes égorgés ! Aujourd’hui aucun juif n’y peut retourner. Le Seigneur ne leur permet point d’habiter ces mêmes lieux où ils purent crier si fort contre lui. Ils ont perdu ce séjour de leur démence, et puissent-ils connaître, même aujourd’hui, le lieu de leur repos ! Quel bien leur a fait Caïphe en s’écriant : « Si nous le laissons ainsi, les Romains viendront et nous extermineront, nous et notre ville[848] ? » Ils ne l’ont point laissé vivre et pourtant il vit ; et les Romains leur ont enlevé et la ville et la puissance. Tout à l’heure, à la lecture de l’Évangile, nous entendions ces paroles : « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu n’as pas voulu ? Voilà que votre habitation deviendra déserte[849] ». C’est là ce qui est dit ici : « Que leur habitation soit déserte et que nul n’habite sous leur tente. Que nul n’y habite », mais nul d’entre eux. Car ces mêmes lieux sont habités par beaucoup d’hommes, mais par aucun juif.
11. Pourquoi ? « Parce qu’ils ont persécuté celui que vous avez frappé, et ils ont eu ajouté à la douleur de mes blessures[850] ». Comment donc ont-ils péché en poursuivant celui que Dieu lui-même avait frappé ? De quoi pouvons-nous incriminer leurs intentions ? de malice. Car ce qui s’est accompli à propos du Christ était nécessaire. Il était venu pour souffrir à la vérité, et néanmoins il a puni ceux qui l’ont fait souffrir. Judas qui l’a trahi a été châtié, et le Christ a été crucifié : mais il nous a rachetés de son sang, et il a puni Judas du prix qu’il en avait reçu. Ce misérable rejeta, en effet, cet argent au prix duquel il avait vendu le Seigneur, et il ne connut point le prix auquel le Seigneur l’avait racheté[851]. Voilà ce qui arriva à Judas. Mais comme nous voyons qu’en toutes choses le Seigneur mesure ses représailles, et qu’il ne laisse personne dépasser dans sa violence le pouvoir qui lui a été donné ; comment ceux-ci purent-ils ajouter quelque chose, ou comment le Seigneur fut-il frappé ? Évidemment, il parle ici au nom de ceux qui lui forment un corps, d’où lui est venue sa chair, c’est-à-dire du genre humain, de cet Adam qui, le premier, fut frappé de mort à cause de son péché[852]. C’est donc une peine pour les hommes de naître mortels : et quiconque persécute les hommes, ajoute à cette peine. L’homme serait-il donc condamné à mourir, si Dieu ne l’eût frappé ? Pourquoi donc, ô homme, sévir encore contre lui ? Est-ce peu, pour l’homme, d’être condamné à mourir un jour ? Chacun de nous porte donc sa peine : et c’est ajouter à cette peine que vouloir nous persécuter. Cette peine, Dieu nous l’a infligée. Car le Seigneur prononça contre l’homme cette sentence : « Au jour où vous en toucherez », dit-il, « vous mourrez[853] ». C’est dans cette mort qu’il avait pris une chair, et notre vieil homme a été crucifié avec lui[854]. C’est donc au nom de cet homme qu’il dit : « Ils ont persécuté celui que vous avez frappé, et ils ont ajouté à la douleur de mes plaies ». À quelle douleur de mes plaies ? À la douleur de mes péchés ; car ce sont ses péchés qu’il appelle des plaies. Ici, sans vous arrêter au chef, voyez les membres ; c’est en leur nom que lui-même a parlé dans cet autre psaume, où il élève la voix, puisqu’il en récita hautement le premier verset, quand il était en croix : « O Dieu, mon Dieu, jetez les yeux sur moi, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » Là il continue en disant : « Le rugissement de mes péchés éloigne de moi votre salut[855] ». Telles sont les blessures que les voleurs ont infligées en chemin à celui qu’il prit sur son cheval ; près duquel le prêtre et le Lévite avaient passé avec mépris et qu’ils n’avaient pu guérir : or, le Samaritain étant venu à passer, en eut pitié, s’en approcha et le mit sur sa propre monture[856]. Samarite, en latin, signifie gardien ; or, quel est le gardien, sinon notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ? Et comme il est ressuscité d’entre-les morts pour ne plus mourir[857], voilà qu’il ne s’endort point, qu’il ne sommeillera point, celui qui est gardien d’Israël[858]. « Ils ont ajouté à la douleur de mes plaies ».
12. « Ajoutez sans cesse l’iniquité à leur iniquité[859] ». Qu’est-ce que cette parole ? Qui n’en frémirait point ? C’est à Dieu que l’on dit : « Ajoutez l’iniquité à leur iniquité ». Comment Dieu pourra-t-il ajouter l’iniquité ? A-t-il donc l’iniquité pour l’ajouter ? Nous savons combien est vrai ce mot de saint Paul : « Que pouvons-nous dire ? Est-ce qu’il y aurait en Dieu de l’iniquité ? Loin de nous cette pensée[860] ». Comment dire alors : « Ajoutez l’iniquité à leur iniquité ? » Comment devons-nous comprendre cela ? Que Dieu nous aide à vous le dire, et à vous le dire brièvement à cause de votre fatigue. Il y avait iniquité chez eux, parce qu’ils avaient tué un homme juste ; une autre est venue s’y joindre, parce qu’ils ont crucifié le Fils de Dieu. Ils ont pu sévir contre son humanité. « Mais s’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire[861] ». Il y avait donc pour eux iniquité à vouloir tuer un homme, et à cette iniquité s’est jointe celle de crucifier le Fils de Dieu. Qui donc y a joint cette iniquité ? Celui qui a dit : « Ils respecteront peut-être mon Fils, je le leur enverrai[862] ». Ils avaient la coutume de mettre à mort les serviteurs qui leur étaient envoyés pour lever le prix de la location et du fermage. Le Maître leur envoya son Fils, en sorte qu’ils le tuèrent aussi. Il a donc ajouté l’iniquité à leur iniquité. Mais Dieu en a-t-il agi ainsi dans sa colère, ou dans ses justes représailles ? « Que leur table », dit le Prophète, « soit pour eux un châtiment et un scandale ». Ils méritaient d’être aveuglés au point de méconnaître le Fils de Dieu. Et pour Dieu, ajouter l’iniquité à leur iniquité, ce n’était pas blesser, c’était ne pas guérir. De même que pour augmenter une fièvre, une maladie, tu n’as pas besoin d’y ajouter une autre maladie, il suffit de n’apporter aucun soulagement ; ainsi parce qu’ils sont devenus tels qu’ils ne méritaient plus la guérison, ils ont en quelque sorte progressé dans leur malice, selon cette parole : « Quant aux méchants et aux criminels, ils se fortifient de plus en plus dans le mal[863] », et l’iniquité s’ajoute à leur iniquité. « Et qu’ils n’entrent pas dans l’héritage de votre justice ». Cette parole est assez claire.
13. « Qu’ils soient effacés du livre de vie[864] ». Y furent-ils donc inscrits un jour ? Mes frères, nous ne devons pas entendre par là que Dieu inscrive quelqu’un sur le livre de vie, ou qu’il l’en efface. Si un homme a dit : « Ce que j’ai écrit est écrit », à propos de l’inscription : eu Roi des Juifs[865] », Dieu inscrira-t-il pour effacer ensuite ? Il connaît l’avenir, et avant l’origine du monde il a marqué ceux qui doivent régner avec son fils dans la vie éternelle[866]. Voilà ceux qu’il a inscrits, ceux que contient le livre de vie. Enfin, dans l’Apocalypse, que dit l’Esprit de Dieu à propos des persécutions de l’Antéchrist que ce même livre nous annonce pour l’avenir ? « Alors », est-il dit, « s’uniront à lui ceux qui ne sont pas inscrits au livre de vie[867] ». D’où il suit que ceux-là certainement ne le suivront pas, qui y sont inscrits. Mais alors comment les autres peuvent-ils être effacés d’un livre où ifs ne sont pas inscrits ? Le Prophète parle ici dans le sens de leurs espérances, car ils se croiront inscrits. Qu’est-ce à dire : « Qu’ils en soient effacés du livre de vie ? » Qu’ils soient assurés que leur nom n’est point. C’est encore en ce sens qu’il est dit dans un autre psaume : « Mille tomberont à votre gauche, et dix mille à votre droite[868] », c’est-à-dire beaucoup heurteront contre le scandale, et parmi ceux qui espéraient siéger avec vous, et parmi ceux qui espéraient se tenir debout à votre droite, être séparés des boucs de la gauche[869]. Nul donc ne doit se tenir à sa droite et tomber ensuite, ou être chassé après avoir siégé avec lui ; mais plusieurs de ceux qui se croyaient avec lui devaient tomber dans le scandale ; c’est-à-dire beaucoup de ceux qui espéraient s’asseoir avec vous, Seigneur, beaucoup de ceux qui espéraient se tenir debout à votre droite doivent néanmoins tomber. Ainsi donc, dans notre psaume, ceux qui espéraient être inscrits dans le livre de Dieu par les mérites de leur propre justice, et à qui il est dit : « Sondez les Écritures, puisque vous croyez par elles arriver à la vie éternelle[870] », seront effacés du livre de vie, c’est-à-dire connaîtront qu’ils n’y sont point inscrits, quand leur condamnation leur sera signifiée. Car le verset suivant nous donne cette explication « Et qu’ils ne soient point inscrits avec les justes ». Je dis donc : « Qu’ils soient effacés », dans le sens de leur espérance ; mais que puis-je dire d’après votre justice ? « Qu’ils n’y soient point inscrits ».
14. « Moi, je suis pauvre et affligé[871] ». Pourquoi cette parole ? Est-ce pour nous faire comprendre que les malédictions de ce pauvre viennent de l’amertume de son cœur ? Car il a prédit bien des maux qui leur arriveront. Et comme si nous lui disions : Pourquoi tant d’invectives ? Modérez votre colère ; il nous répond : « Moi, je suis pauvre et affligé ». Ils m’ont réduit à cette indigence, et accablé de cette douleur : voilà pourquoi je parle de la sorte. Toutefois ce n’est point ici l’emportement de l’invective, c’est la prédiction d’un prophète. Car il nous dira plus tard, ail sujet de sa pauvreté et de son affliction, de quoi nous les faire apprécier, afin que nous apprenions à être pauvres et à souffrir. « Bienheureux les pauvres, parce que le royaume des cieux leur appartient » ; et : « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés[872] ». Voilà ce dont lui-même nous a donné l’exemple ; aussi dit-il : « Moi je suis pauvre et affligé ». C’est tout son corps qui parle ainsi, car en cette vie le corps du Christ est pauvre et affligé. Il y a pourtant des chrétiens qui sont riches, il est vrai, mais ils sont pauvres, s’ils sont vraiment chrétiens ; et en comparaison des richesses du ciel qu’ils espèrent, ils ne voient dans leur or que de la poussière, « Moi je suis pauvre et affligé ».
15. « Et le salut de votre face m’a soutenu, ô mon Dieu ». Ce pauvre a-t-il donc été abandonné ? Eh ! quand as-tu daigné faire asseoir à la table un pauvre guenilleux ? Eh bien ! c’est le salut de la face de Dieu qui a soutenu cet indigent ; il a caché sa pauvreté dans sa propre face. C’est de lui en effet qu’il est dit : « Vous les cacherez dans le secret de eu votre face[873] ». Or, voulez-vous connaître les richesses qui sont dans cette face ? Les richesses d’ici-bas te donnent le moyen de manger ce que tu veux, et quand tu veux ; mais les richesses de Dieu te délivrent à jamais de la faim. « Moi, je suis pauvre et affligé, et le salut de votre face m’a aidé, ô mon Dieu ». En quoi ? Est-ce à n’être plus ni pauvre ni indigent ? « Je célébrerai le Seigneur dans mes cantiques ; je le glorifierai de mes louanges[874] ». Nous l’avons dit déjà, ce pauvre célèbre le nom du Seigneur dans ses cantiques, il le glorifie de ses louanges. Comment oserait-il chanter, s’il n’était délivré de la faim ? « Je célébrerai le nom du Seigneur eu dans mes cantiques, je le glorifierai de mes louanges ». Immenses richesses. Quelles perles en l’honneur de Dieu n’a-t-il pas extraites de ce trésor intérieur ? « Je le glorifierai de mes louanges ». Voilà mes richesses. « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ». Il est donc resté pauvre ? Loin de là. Vois ses richesses : « Comme il a plu au Seigneur, ainsi a-t-il été fait ; que le nom du Seigneur soit béni[875]. Je célébrerai le nom du Seigneur dans mes cantiques, je le glorifierai de mes louanges ».
16. « Et cela plaira au Seigneur ». Mes louanges lui plairont : « Bien plus que le jeune taureau qui commence à montrer des ongles et des cornes[876] ». Ce sacrifice de louanges lui sera plus agréable que celui d’un jeune taureau. « Le sacrifice de la louange me glorifiera, et telle est la voie dans laquelle je montrerai le salut de Dieu. « Immolez au Seigneur un sacrifice de louanges, et rendez au Très-Haut vos hommages[877] ». Donc je louerai le Seigneur, et cela lui sera plus agréable que l’offrande d’un jeune taureau qui commence à montrer des cornes et des ongles. La louange qui s’exhalera de ma bouche, plaira au Seigneur, bien plus qu’une grande victime immolée sur ses autels. Faut-il parler des ongles et des cornes de ce jeune taureau ? Tout homme qui est bien armé, qui est riche en louanges de Dieu, doit avoir des cornes pour secouer son antagoniste, et des ongles pour soulever la terre. Vous savez ce que font les jeunes veaux qui se développent, et qui acquièrent en grandissant l’audace des taureaux ; car ici le mot jeune désigne une vie nouvelle. Si donc un hérétique vient à vous contredire, qu’il soit secoué. Un autre ne contredit point, mais il a des inclinations abjectes et terrestres, qu’il soit soulevé par vos ongles. Donc, plus que ce jeune taureau, ma louange doit vous plaire, cette louange qui doit succéder à mon indigence et à mon affliction, alors que je serai dans l’éternelle société des anges, où il n’y aura plus ni adversaire à combattre, ni paresseux à soulever de la terre.
17. « Que les pauvres voient et se réjouissent[878] ». Qu’ils croient, et s’épanouissent dans l’espérance. Qu’ils soient plus pauvres encore, afin de mériter d’être rassasiés : de peur qu’en exhalant la surabondance de leur orgueil, ils ne se voient privés du pain qui donne la véritable vie. « Cherchez le Seigneur », vous qui êtes pauvres ; ayez faim, ayez soif[879], c’est lui qui est le pain vivant descendu du ciel[880]. « Cherchez le Seigneur, et votre âme vivra ». Vous cherchez le pain qui donne la vie à votre corps cherchez le Seigneur, afin qu’il donne la vie à votre âme.
18. « Car le Seigneur a exaucé les pauvres ». Il a exaucé les pauvres, et il ne les eût point exaucés, s’ils n’eussent vraiment été pauvres. Veux-tu être exaucé ? Sois pauvre : que ce soit la douleur, et non le dégoût, qui crie en toi. « Car le Seigneur a exaucé les pauvres, et n’a point méprisé ses captifs[881] ». Il a enchaîné les serviteurs qui l’avaient offensé mais quand ils ont crié dans leurs entraves, il ne les a point méprisés. Quelles sont ces entraves ? Une chair mortelle, une chair corruptible, telles sont les entraves qui nous enchaînent. Et voulez-vous connaître combien ces chaînes sont lourdes ? C’est de là qu’il est dit : « Le corps qui se corrompt appesantit l’âme[882] ». Quand les hommes veulent s’enrichir ici – bas, ils cherchent des lambeaux pour couvrir ces entraves. Mais que ces entraves te suffisent pour vêtements, ne cherche rien au-delà de ce qui suffit pour subvenir à la nécessité. Chercher le superflu, c’est vouloir appesantir tes chaînes. Dans une semblable détresse, qu’il ne reste simplement que tes entraves. Qu’à chaque jour suffise sa peine[883]. C’est là cette peine qui nous fait crier vers le Seigneur : « Parce que le Seigneur a exaucé les pauvres, et n’a point dédaigné ses captifs ».
19. « Que les cieux le bénissent, ainsi que eu la terre et les mers et tous les animaux qui rampent dans leurs abîmes[884] ». Pour ce pauvre, il n’y a de vraie richesse, qu’à considérer tes créatures, et à louer le Créateur. « Que les cieux le bénissent, et la terre et les mers, et les animaux qui rampent dans leurs abîmes ». Il n’y a vraiment pour louer Dieu que ces créatures qui nous le font bénir quand nous les considérons ?
20. Écoute un autre verset : « Car le Seigneur sauvera Sion ». Il rétablit son Église, et incorpore à son fils unique les nations fidèles ; sans toutefois frustrer ceux qui croient en lui des dons qu’il a promis. « Car le Seigneur sauvera Sion, et l’on bâtira des cités en Juda[885] ». Ces villes seront des Églises. Que nul ne nous dise : Quand sera-ce que l’on bâtira des cités en Juda ? Puisses-tu connaître cette construction, devenir une pierre vivante et faire partie de l’édifice. C’est maintenant que l’on bâtit les villes de Juda, car Juda signifie confession. C’est avec la confession de l’humilité que se bâtissent les villes de Juda : en sorte qu’on laisse au-dehors les orgueilleux qui rougissent de la confession. « Dieu donc sauvera Sion ». Quelle Sion ? écoute la suite : « Et la postérité de ses serviteurs la possédera, et il n’y aura pour l’habiter eu que ceux qui aiment son nom[886] ».
21. Le psaume est terminé, mais arrêtons-nous quelque peu sur ces deux derniers versets : ils nous prémunissent en effet contre le désespoir qui nous empêcherait d’entrer dans cette construction. « C’est la postérité de ses serviteurs », dit le Prophète, « qui doit habiter Sion ». Mais « cette postérité de ses serviteurs », quelle est-elle ? Ce sont les Juifs, me diras-tu peut-être, les Juifs nés d’Abraham mais nous, qui ne sommes point issus d’Abraham, comment habiterons-nous cette cité ? Ils ne sont point de la race d’Abraham, ces Juifs auxquels il fut dit : « Si vous êtes les fils d’Abraham, faites les œuvres d’Abraham[887] ». C’est donc la postérité de ses serviteurs, ou ceux qui imiteront la foi de ses serviteurs, qui habiteront cette ville. Enfin le dernier verset nous explique le précédent. Dans la crainte que tu ne vinsses à croire que ces paroles : « Elle servira d’asile à la postérité de ses serviteurs », s’appliquent aux Juifs, et à dire : Nous sommes la postérité des nations qui ont adoré les idoles, et rendu un culte aux démons ; qu’avons-nous à espérer dans cette cité ? voilà que le Prophète rassure tes espérances et ajoute : « Elle sera l’asile de ceux qui aiment le nom du Seigneur ». Car la postérité de ses serviteurs est dans ceux qui aiment son nom. Et comme ses serviteurs ont l’amour de son nom, quiconque aime son nom peut se dire de la postérité de ses serviteurs ; et quiconque n’aime point son nom doit renier qu’il appartienne à cette postérité.

DISCOURS SUR LE PSAUME 69 modifier

SERMON POUR UNE FÊTE DE MARTYRS. modifier

LE CHANT DES MARTYRS. modifier

Les martyrs ont dû souffrir dans leur corps et dans leur foi ; et ceux qui font partie de l’Église ou du corps de Jésus-Christ doivent souffrir de quelque façon. Le démon, qui était lion quand il persécutait, est aujourd’hui serpent et nous persécute par les scandales, surtout de la part des chrétiens. Il est enchaîné dans le cœur des impies, il sévit par le scandale. Tous donc doivent subir l’épreuve, tous ont besoin du secours de Dieu. Honte à ceux qui recherchent la vie du Christ pour l’opprimer, qui nourrissent la haine contre lui. Que tous marchent docilement à sa suite ; qu’ils ne cherchent pas les applaudissements des flatteurs, qui les perdraient. Gloire à Dieu toujours, et à lui seul. Oublions le passé, allons toujours en avant.


1. Béni soit le grain de froment qui a voulu mourir afin de se multiplier[888] : béni soit le Fils de Dieu, Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur, qui n’a pas dédaigné de subir la mort pour nous rendre dignes de vivre en lui. Il était seul jusqu’à son passage, ainsi que l’a chanté le Psalmiste : « Me voilà seul jusqu’à ce que j’aie passé[889] » : car c’était un grain à part, mais qui portait en lui le germe d’une grande multitude ; et dans combien d’autres grains chantons-nous sa louange, quand nous célébrons les fêtes des martyrs qui ont souffert comme lui ? Ses membres si nombreux sont donc unis par les liens de la paix et de la charité à notre Sauveur, qui est notre chef unique, et ne forment qu’un seul homme, comme vous le savez pour l’avoir si souvent entendu : et souvent leur voix retentit dans les psaumes comme la voix d’un seul homme, et le cri de l’un est comme le cri de tous, parce que tous ne sont qu’un en un seul. Écoutons donc les travaux des martyrs, et les dangers qu’ils ont courus en ce monde, dans l’ouragan de toutes les haines ; dangers non seulement pour ce corps qu’ils devaient toujours quitter, mais dangers pour leur foi. Car ils pouvaient céder aux douleurs atroces de la persécution ou à l’amour de la vie, et cette défaillance leur eût fait perdre tes promesses de Dieu, qui les avait prémunis contre la crainte par ses paroles et par son exemple par ses paroles, en disant : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l’âme[890] » ; par ses exemples, en accomplissant lui-même ses prescriptions, alors qu’il n’évitait ni ceux qui le frappaient, ni ceux qui lui donnaient des soufflets, ni ceux qui lui crachaient au visage, ni ceux qui le couronnaient d’épines, ni ceux qui le faisaient mourir sur la croix. Lui qui ne méritait rien de tout cela, a voulu l’endurer pour ceux qui le méritaient ; il se donnait comme un remède à leur maladie. Les martyrs ont donc souffert ; mais ils eussent défailli, sans le secours de celui qui a dit : « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles[891] ».
2. Ce psaume est donc le cri de ceux qui souffrent et par conséquent des martyrs qui sont en danger au milieu de leurs douleurs, mais qui mettent leur confiance dans leur chef. Écoutons-les, unissons-nous à eux, parlons avec eux, du moins par les sentiments du cœur, sinon en souffrant de la même manière. Pour eux, ils ont reçu la couronne, tandis que nous sommes au milieu dus périls : non que nous ayons à subir les persécutions qu’ils endurèrent, mais les persécutions plus dangereuses peut-être de tous les scandales. Car ils sont plus multipliés de nos jours, que quand le Seigneur s’écriait : « Malheur au monde, à cause des scandales, et comme l’iniquité abonde, la charité se refroidit chez plusieurs[892] ». Personne à Sodome ne faisait subir à Loth une persécution corporelle[893] ; nul ne l’empêchait d’y habiter. Pour lui toute persécution était dans les mœurs corrompues des Sodomites. Ainsi, depuis que le Christ est assis dans les cieux, depuis qu’il est glorifié, que les rois ont courbé la tête sous son joug, qu’ils ont incliné leur front devant son signe, et qu’il ne reste personne qui ose publiquement insulter le Christ, nous n’en gémissons pas moins au milieu des symphonies et des mélodies ; et les ennemis des martyrs, impuissants à les poursuivre de leurs cris et du glaive, les poursuivent de leurs vices. Plût à Dieu que nous n’eussions à souffrir que des païens ! nous nous consolerions en attendant que la croix du Sauveur vint marquer ces hommes qu’elle n’a point touchés encore, et que sa puissance vint enchaîner leur fureur. Mais nous en voyons qui portent sur leur front le signe du Christ, porter sur ce même front l’impudence de la luxure, qui insultent plus qu’ils n’honorent les martyrs aux jours de leur solennité. Voilà ce qui nous fait gémir, ce qui est pour nous une persécution, pour peu que nous ayons de cette charité qui s’écrie « Qui donc est faible sans que je sois faible avec lui ; qui est scandalisé sans que je brûle[894] ? » Nul serviteur de Dieu n’est donc sans persécution ? elle est vraie cette parole de l’Apôtre e Aussi tous ceux qui veulent e vivre avec piété en Jésus-Christ, souffriront « persécution[895] ». Cherchons-en l’origine, cherchons-en la manière, car le diable a deux formes. C’est un lion qui bondit, un dragon qui tend des embûches. Que ce lion nous menace, il est un ennemi ; que ce dragon nous tende tin piège, il est encore un ennemi. Quand serons-nous eu sûreté ? Tous auront beau devenir chrétiens, le diable deviendra-t-il chrétien à son tour ? une cesse de nous tenter, il est sans cesse en embuscade. Il est enchaîné, garrotté dans le cœur des impies, de peur qu’il ne sévisse contre l’Église et ne la tourmente selon ses désirs. L’honneur rendu à l’Église, la paix des chrétiens, voilà ce qui fait grincer des dents à l’impie ; impuissant à sévir contre elle, il a recours aux danses, aux blasphèmes, aux impudicités, non pour frapper les corps des chrétiens, mais pour déchirer les âmes. Elevons donc une voix unanime, et répétons ces paroles : « O Dieu, soyez attentif à me secourir[896] ». Car dans ce monde nous avons besoin d’un secours incessant. Quand ce besoin cessera-t-il ? Maintenant toutefois, que nous sommes dans l’angoisse, disons surtout : « O Dieu, soyez attentif à me secourir ».
3. « Qu’ils soient couverts de honte et de confusion, ceux qui recherchent ma vie[897] ». C’est le Christ qui parle ; qu’il parle comme chef, qu’il parle dans son corps mystique, l’interlocuteur est le même qui a dit : « Pourquoi me persécutez-vous[898] ? » C’est lui qui a dit en effet : « Tout ce que vous avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait[899] ». Vous connaissez donc la voix de cet homme, de l’homme tout entier, du chef et des membres ; il est inutile de la signaler bien souvent, puisque vous la connaissez. « Qu’ils soient couverts de honte et de confusion », dit le Christ, « ceux qui en veulent à ma vie ». Il a dit dans un autre psaume : « Je regardais à droite, et je voyais que nul ne me connaissait ; la fuite m’était fermée, et nul n’était là pour rechercher ma vie[900] ». Ici donc il dit de ses persécuteurs que nul ne cherche sa vie ; et dans notre psaume, il appelle la honte et la confusion sur ceux qui recherchent sa vie. Il se plaignait qu’on ne le cherchât point pour l’imiter ; il gémissait de ce qu’on le cherchât pour l’opprimer. C’est chercher la vie du juste, que penser à l’imiter ; c’est chercher encore la vie du juste, que songer à le tuer. Comme donc on peut chercher la vie du juste en deux manières, chacun de ces psaumes nous exprime l’une de ces manières. Dans l’un, il se plaint que l’on ne recherche point sa vie, pour souffrir comme lui ; mais il dit ici : « Qu’ils soient couverts de honte et de confusion, ceux qui cherchent ma vie ». S’ils cherchent cette vie, ce n’est point pour en avoir deux ; puisqu’ils ne recherchent point cette vie comme le voleur cherche la tunique du voyageur ; il ne tue que pour voler et posséder. Mais quiconque poursuit pour tuer, ôte la vie, et ne s’en revêt point, ils cherchent donc la vie, parce qu’ils veulent me tuer. Et toi, qu’appelles-tu sur eux ? « Honte et confusion ». Que devient alors cette parole que tu as apprise de la bouche de ton Seigneur : « Auriez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent[901] ? » Te voilà persécuté, et maudissant ceux qui te persécutent, comment prends-tu pour modèle ton Seigneur qui a tant souffert et qui, sur la croix, s’écriait : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[902] ? » À ce langage le martyr peut répondre et dire : Tu me proposes un modèle dans le Seigneur qui dit-: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font » ; reconnais ma voix, afin qu’elle soit aussi la tienne. Qu’ai-je dit de mes ennemis ? « Honte et confusion sur eux ». Telle est la vengeance que Dieu a exercée sur les persécuteurs des martyrs. Ce même Saul qui persécutait Étienne a été couvert de honte et de confusion. Il respirait le carnage, il cherchait ceux qu’il pouvait saisir pour les livrer à la mort ; il entend cette parole d’en haut « Saul, Saul, pourquoi me persécuter ? » Il est renversé, couvert de honte, et ce persécuteur acharné se relève pour obéir[903]. Voilà ce que les martyrs appellent sur leurs persécuteurs : « Honte et confusion ». En effet, s’ils ne sont sous le poids de la honte et de la confusion, ils défendront inévitablement leurs actions : ils se font en eux-mêmes une gloire de saisir, de garrotter, de frapper, de tuer, de danser, d’insulter : qu’ils rougissent donc une fois de tels actes, qu’ils en soient confus. S’ils rougissaient, ils se convertiraient ; car ils ne peuvent se convertir que sous le poids de leur confusion et de leur honte. Faisons ces vœux pour nos ennemis ; faisons-les en toute sûreté. Pour moi, je l’ai dit, et je le dis avec vous : oui, « honte et confusion » à ceux qui dansent, qui chantent, qui insultent aux martyrs : qu’un jour, dans ces murs, ils frappent leur poitrine avec confusion.
4. « Qu’ils soient repoussés en arrière et qu’ils rougissent, ceux qui cherchent à me nuire[904] ». D’abord c’était la violence des persécuteurs, maintenant c’est la haine de ceux qui méditent le mal. Après les temps de persécution, l’Église a vu naître des temps bien différents. Ce fut d’abord un choc violent contre cette Église, quand les rois la persécutèrent ; et comme ces attaques de la part des rois étaient prédites et qu’on devait y croire, une fois ce temps écoulé, un autre devait suivre. Ce temps qui devait suivre est donc arrivé ; les rois ont embrassé la foi, la paix a été donnée à l’Église ; cette Église a été comblée de dignités même sur la terre, même en cette vie, et toutefois les persécuteurs ne laissent pas de frémir, ils roulent dans leurs pensées leurs projets d’attaque. C’est dans ces pensées que le diable est enchaîné comme dans l’abîme : il frémit sans briser ses chaînes. Car le Prophète a dit de ces temps : « Le pécheur verra et frémira de colère ». Et que fera-t-il ? ce qu’il fit d’abord ? – Saisis, enchaîne, frappe. Il ne le fait point. Que fera-t-il donc ? « Il grincera des dents et séchera de rage[905] ». C’est contre ceux-là que s’irrite le martyr, et néanmoins ce martyr prie pour eux. De même en effet qu’il appelait le bien sur ceux dont il disait : « Honte et confusion à ceux qui cherchent ma vie » ; de même encore : « Qu’ils soient rejetés en arrière et qu’ils rougissent, ceux qui méditent le mal contre moi ». Pourquoi ? Afin qu’ils ne marchent pas en avant, mais qu’ils suivent avec docilité. Blâmer la religion chrétienne, et prétendre vivre selon ses propres lumières, c’est vouloir marcher avant le Christ : comme si ce Christ eût été dans l’erreur, ou qu’il eût été assez faible, assez impuissant pour vouloir mourir, ou pour être réduit à mourir entre les mains des Juifs : comme s’il était bien courageux pour un homme d’éviter tout cela, de se détourner de la mort, de feindre la mort afin d’y échapper, de tuer son âme, afin de vivre selon le corps ; voilà ce que l’on regarde comme les conseils de la force et de la prudence. Quiconque blâme ainsi le Christ, le précède, prend en quelque sorte le pas sur lui ; qu’il croie au Christ et le suive avec docilité. Car le Seigneur tint lui-même à Pierre le langage que tenait le Prophète dans ses souhaits contre les persécuteurs qui méditent le mal contre lui. Pierre en un certain endroit voulut précéder le Seigneur. Le Sauveur alors parlait de sa passion, et s’il ne l’eût subie, nous ne serions point sauvés ; et Pierre qui, un peu auparavant, avait proclamé le Fils de Dieu, dans cette confession fameuse qui lui valut le nom de Pierre, sur laquelle dut être bâtie l’Église, s’écria quand le Seigneur parla de sa passion prochaine : « Point du tout, Seigneur, veillez sur vous, cela n’arrivera point ». Un peu auparavant : « Tu es bienheureux, Simon, fils de Jean », avait dit le Seigneur, « parce que ce n’est ni le sang ni la chair qui t’ont révélé ceci, mais mon Père qui est dans le ciel » ; et tout à coup : « Va derrière moi, Satan ». Qu’est-ce à dire : « Derrière moi ? » Suis-moi. Tu veux aller devant moi, tu veux me donner des conseils ; c’est à loi plutôt de suivre les miens : voilà le sens de Va derrière moi, marche après moi. Il modère celui qui le précédait, et te replace en arrière ; il l’appelle Satan, parce qu’il a voulu prendre le pas sur le Seigneur. Tout à l’heure il était « bienheureux », maintenant c’est « Satan ». Pourquoi tout à l’heure était-il « bienheureux ? » « Parce que ce n’est « ni le sang ni la chair qui t’ont révélé ceci », dit le Sauveur, « mais mon Père qui est dans le ciel ». Pourquoi Satan maintenant ? « Parce que tu ne comprends pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes[906] ». Nous donc, qui voulons célébrer dignement les fêtes des martyrs, souhaitons d’imiter les martyrs ; ne cherchons point à précéder les martyrs, et n’allons pas nous croire plus de prudence qu’ils n’en avaient, parce que nous avons évité les tourments qu’ils endurèrent pour la justice et pour la foi, tourments qu’ils furent loin d’éviter. « Qu’ils soient donc rejetés en arrière et qu’ils rougissent », ceux qui méditent le mal et nourrissent leurs cœurs de luxure. Qu’ils entendent cette parole de l’Apôtre : « Quel fruit avez-vous jamais recueilli de ces actes qui vous font rougir maintenant[907] ? »
5. Quelle est la suite ? « Qu’ils fuient avec ignominie ceux qui me disent : Courage ! courage[908] ! » Il y a deux sortes de persécuteurs, ceux qui blâment et ceux qui flattent. La langue du flatteur est plus funeste que la main de l’assassin ; et l’Écriture l’appelle une fournaise. En parlant de la persécution, l’Écriture a dit, à propos des martyrs mis à mort : « Elle les a éprouvés comme l’or dans la fournaise, et les a reçus comme la victime de l’holocauste[909] ». Or, écoutez cette ressemblance avec la langue des flatteurs. « C’est au feu que l’on éprouve l’or et l’argent ; mais pour l’homme, l’épreuve est la langue des flatteurs[910] ». Il y a donc feu d’une part, et feu d’autre part, et il te faut sortir victorieux de l’un et de l’autre. La réprimande t’a brisé, et lu as été brisé dans la fournaise comme un vase d’argile. La parole t’a formé, et puis est venue l’épreuve de la tribulation ; ce qui a été formé a dû passer par la cuisson, et si la forme était irréprochable, le feu devait la consolider. Aussi le Christ a-t-il dit dans sa douleur : « Ma force s’est desséchée comme l’argile[911] ». Car la douleur et la fournaise de la tribulation m’ont rendu plus fort. Mais si tu es assailli par les louanges et par les applaudissements des flatteurs, et que tu leur souries, achetant de l’huile et ne la portant pas avec toi, non plus que les cinq vierges folles[912] ; la bouche des flatteurs sera une fournaise qui te brisera. Mas nous ne pouvons rien sans cela ; il nous faut et y entrer et en sortir ; il nous faut encourir un certain blâme de la part des méchants, des hommes sans pudeur, et recevoir aussi les applaudissements des flatteurs : mais il faut également en sortir. Prions donc celui dont il est dit : « Que le Seigneur veille sur ton entrée et sur ta sortie[913] », afin que tu puisses y entrer tans déshonneur, et sans déshonneur en sortir. Car l’Apôtre a dit : « Dieu est fidèle, et il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces[914] ». Telle est pour toi l’entrée. Il n’est pas dit : Vous ne serez point tentés. Sans tentation il n’y a pas d’épreuves, et sans épreuve il n’y a nul progrès. Que désire donc l’Apôtre ? « Dieu est fidèle, et il ne permettra point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces ». Tu as entendu l’entrée, écoute aussi la sortie : « Mais il ménagera dans la tentation une issue, afin que vous la puissiez supporter[915]. « Qu’ils fuient avec ignominie ceux qui me disent : Courage ! courage ! » Pourquoi me louer ? Qu’ils louent le Seigneur. Qui suis-je pour être loué moi-même ? Qu’ai-je fait ? Qu’y a-t-il en moi que je n’aie reçu ? « Si tu l’as reçu », dit l’Apôtre, « pourquoi te glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu[916] ? Qu’ils fuient donc avec ignominie ceux qui me disent : Courage ! courage ! » C’est une huile semblable qui a parfumé la tête des hérétiques[917], et ils nous disent : C’est moi, c’est moi ; on leur répond : C’est vous, Seigneur. Ils ont accueilli ces acclamations : « Courage ! courage ! » « Ce courage ! courage ! » les a entraînés, et ils sont devenus les guides aveugles des aveugles qui les suivaient[918]. C’est à pleins poumons que l’on crie à Donat ce que nous venons de chanter : « Courage ! courage ! » guide fidèle, guide illustre, Mais lui ne répond pas : « Qu’ils fuient avec confusion ceux qui me disent : Courage ! courage ! » et il n’a point voulu les redresser, et leur faire dire au Christ : Guide fidèle, chef illustre. Et pourtant l’Apôtre, craignant les applaudissements des hommes qui le louaient véritablement dans le Christ, ne voulut point être loué à la place du Christ ; et quand plusieurs disaient : « Moi je suis Paul ». « Est-ce que Paul a été crucifié pour vous ? » leur dit-il avec la liberté du Seigneur, « ou seriez-vous baptisés au nom de Paul[919] ? » Que ce soit donc là le refrain des martyrs même dans la persécution des flatteurs. « Qu’ils fuient avec confusion, ceux qui me disent : Courage ! courage ! »
6. Et qu’arrivera-t-il quand ils seront repoussés, quand ils seront tous dans la confusion, soit ceux qui cherchent ma vie, soit ceux qui méditent le mal contre moi, soit ceux qui ont des desseins pervers, et dont une feinte bienveillance veut adoucir les coups que portera leur langue ? quand ils seront repoussés et couverts de confusion, qu’arrivera-t-il ? « Qu’ils soient dans l’allégresse, qu’ils tressaillent en vous[920] » : non pas en moi, non plus en tel ou tel, mais bien en Celui qui les a faits lumière, alors qu’ils étaient ténèbres. « Qu’ils tressaillent en vous, qu’ils soient dans l’allégresse, tous ceux qui vous cherchent ». Autre est rechercher Dieu, et autre est rechercher les hommes. « Qu’ils soient dans la joie ceux qui vous cherchent ». Donc ils ne seront pas dans la joie ceux qui se recherchent eux-mêmes, et que vous avez recherchés le premier, avant qu’ils aient songé à vous rechercher. Cette brebis ne cherchait point encore son pasteur, elle errait loin du troupeau, quand le Christ est descendu pour elle, l’a recherchée, l’a reportée sur ses épaules[921]. Pourrait-il, ô brebis, te mépriser quand tu le cherches. Celui qui le premier t’a recherchée, alors que tu le méprisais et que tu ne le cherchais point ? Comment donc enfin la rechercher Celui qui le premier t’a recherchée, et t’a reportée sur ses épaules ? Fais ce qu’il a dit : « Celles qui sont mes brebis entendent ma voix et me suivent[922] ». Si donc tu cherches Celui qui t’a cherché le premier, tu deviens sa brebis, tu entends la voix de ton pasteur et tu le suis ; vois ce qu’il t’a montré de lui-même, ce qu’il t’a montré de son corps, afin que tu ne sois point trompé sur lui ni trompé sur l’Église, afin que nul ne te dise : Celui-ci est le Christ, quand ce ne serait point lui ; ou bien : Voici l’Église, quand ce ne serait point l’Église. Il en est beaucoup en effet qui ont dit que le Christ n’avait point de chair, ou que le Christ n’est point ressuscité dans son corps : garde-toi de suivre leurs voix. Écoute la voix du véritable pasteur, qui se revêtit d’une chair, pour courir après la chair qui était perdue. Il ressuscita et dit « Touchez et voyez, car un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai[923] ». C’est devant toi qu’il se montre, suis sa voix. Il te montre aussi l’Église, afin que nul ne te puisse tromper en s’appelant l’Église : « Il fallait », dit-il, « que le Christ souffrît et ressuscitât d’entre les morts le troisième jour, et que l’on prêchât en son nom la pénitence dans toutes les nations, en commençant par Jérusalem[924] ». Telle est la voix du pasteur, garde-toi de suivre la voix des étrangers[925] ; le voleur n’est pas à craindre pour toi, si tu suis la voix du pasteur. Mais comment la suivras-tu ? Si tu ne dis à aucun homme, en applaudissant à ses propres mérites : « Courage, courage ! » et si tu ne l’entends point pour l’applaudir, de peur que l’huile des pécheurs ne parfume ta tête[926]. « Qu’ils tressaillent en vous, qu’ils soient dans l’allégresse, tous ceux qui vous cherchent, et qu’ils disent ». Que diront-ils dans leurs jubilations ? « Gloire à Dieu à jamais ». Qu’ils disent aussi, tous ceux qui sont dans l’allégresse et qui vous cherchent. Que dire ? Qu’ils disent : « Gloire à Dieu à jamais, ceux qui aiment votre salut ». Non seulement, « gloire à Dieu », mais « gloire à jamais ! » Tu étais égaré, tu errais loin de lui : il t’a appelé : « gloire à Dieu ». Il t’a soufflé la pensée de confesser tes fautes, tu les a confessées, il t’en accorde le pardon : « gloire à Dieu ». Voilà que tu commences à vivre dans la justice ; et il me paraît juste qu’à ton tour tu sois glorifié. Il fallait bénir le Seigneur quand il te rappelait de tes égarements ; il fallait le bénir encore quand il t’a pardonné les fautes que tu confessais ; maintenant que tu as entendu sa parole et fait des progrès, que tu es justifié, que tu as atteint les suprêmes degrés de la vertu, il est bien juste pour toi de recueillir quelque gloire. « Qu’ils disent : Gloire à Dieu à jamais ». Tu es pécheur, bénis-le, afin qu’il t’appelle ; tu confesses tes fautes, bénis-le, afin qu’il te lardonne ; tu marches déjà dans la justice, bénis-le, afin qu’il te dirige ; tu persévères jusqu’à la fin, bénis-le, afin qu’il te glorifie. « Gloire donc au Seigneur, toujours gloire ». Que tel soit le refrain des justes, le refrain de ceux qui cherchent le Seigneur. Quiconque ne tient pas ce langage ne le cherche point. Voilà : « Gloire à Dieu. Qu’ils tressaillent en vous, qu’ils soient dans l’allégresse, ceux qui le cherchent, et qu’ils disent : « Gloire au Seigneur à jamais, tous ceux qui aiment votre salut » : non pas leur salut, comme s’ils pouvaient se sauver eux-mêmes ; non comme si le salut venait de l’homme et que l’on pût être sauvé par lui : « Gardez-vous », est-il dit, « de mettre votre confiance dans les princes, dans les fils des hommes, en qui le salut n’est pas[927] ». Pourquoi ? « Le salut est l’œuvre du Seigneur, et votre bénédiction est sur votre peuple[928] ». Donc « gloire à Dieu à jamais ». Quels hommes parlent ainsi ? « Ceux qui aiment votre salut ».
7. « Voilà que le Seigneur sera glorifié et toi ne le seras-tu jamais nulle part ? Quelque peu en lui, nullement en moi-même ; mais si toute ma gloire est en lui, c’est lui qui sera glorifié, et pas moi. Mais qu’es-tu donc ? « Pour moi je suis un pauvre, un indigent[929] ». Pour Dieu, il est riche, il nage dans l’abondance, il n’a besoin de rien. Voilà ma lumière ; ce qui m’éclaire, c’est que je m’écrie : « C’est vous, Seigneur, qui allumerez mon flambeau ; ô mon Dieu, vous éclairerez mes ténèbres[930]. C’est Dieu qui délie les captifs ; Dieu qui relève les blessés Dieu qui rend aveugles les sages ; Dieu qui veille sur les prosélytes[931] ». Et toi donc ? « Moi je suis pauvre et indigent e. Je suis comme l’orphelin ; et mon âme est comme une veuve dans la désolation et dans l’isolement : je cherche du secours ; et je confesse toujours mon infirmité. « Pour moi je suis pauvre et indigent ». Mes péchés m’ont été pardonnés, j’ai commencé à suivre les préceptes du Seigneur : et pourtant je suis encore pauvre et indigent. Pourquoi pauvre et indigent ? « Parce que je ressens dans mes membres une autre loi qui résiste à la loi de mon esprit[932] ». Pourquoi pauvre et indigent ? Parce que, « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice[933] ». J’ai encore faim, encore soit : Dieu diffère, mais ne refuse point de me rassasier. « Je suis pauvre et indigent : Seigneur, secourez-moi ». C’est par là qu’il a commencé : « O Dieu, soyez attentif à me secourir. Seigneur, secourez-moi ». On peut très bien dire de Lazare qu’il fut secouru : ce pauvre, cet indigent, qui fut porté dans le sein d’Abraham[934]. Il est le symbole de l’Église de Dieu, qui doit sans cesse confesser qu’elle a besoin de secours. Voilà ce qui est vrai, ce qui est pieux. « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu ». Pourquoi ? « Parce que vous n’avez pas besoin de mes biens[935] ». Il n’a nul besoin de nous, mais nous avons besoin de lui, c’est pour cela qu’il est véritablement notre Seigneur. Car toi, tu n’es pas pleinement le maître de ton serviteur : tous deux vous êtes hommes, tous deux vous avez besoin de Dieu. Si tu crois que ton serviteur a besoin de toi pour lui donner du pain, toi aussi tu as besoin de ton serviteur pour t’aider dans ton travail. Vous avez l’un de l’autre un besoin réciproque. Nul d’entre vous n’est donc complètement maître, nul complètement serviteur. Écoute le vrai maître dont tu es le vrai serviteur : « J’ai dit au Seigneur « Vous êtes mon Dieu ». Pourquoi êtes-vous mon Seigneur ? « Parce que vous n’avez nul besoin de mes biens ». Qu’es-tu donc, toi ? « Moi je suis pauvre et indigent ». Voilà le pauvre, l’indigent : que Dieu le nourrisse, que Dieu le soulage, que Dieu lui vienne en aide : « Seigneur », dit le Psalmiste, « secourez-moi ».
8. « Vous êtes mon secours, mon Sauveur, ô mon Dieu ; ne tardez point ». Vous êtes mon aide, mon libérateur : j’ai besoin de secours, aidez-moi ; je suis dans l’embarras, délivrez-moi. Nul autre que vous ne peut me tirer de cet embarras. Nous sommes enlacés dans les nœuds de soins divers ; de part et d’autre nous sommes déchirés comme par des aiguillons et des épines, nous marchons dans l’étroit sentier ; nous sommes arrêtés par les buissons : disons alors à Dieu : « C’est vous mon libérateur ». Celui qui nous a montré la voie étroite[936], me l’a fait suivre. Que cette parole, mes frères, soit toujours la nôtre. Si longtemps que nous ayons vécu ainsi, quels que soient nos progrès, que nul ne dise : Il me suffit, me voilà juste. C’est le langage de celui qui est resté en chemin, et qui ne sait point arriver. Il s’arrête à l’endroit où il dit : cela suffit. Écoute l’Apôtre, à qui rien ne suffit ; vois comment il veut du secours jusqu’à ce qu’il arrive : « Mes frères », dit-il, « je ne pense pas avoir encore atteint mon but[937] ». De peur qu’ils ne se croient arrivés, il leur dit encore : « Celui qui se flatte de savoir quelque chose ne sait pas même encore comment il faut le savoir[938] ». Que dit-il donc ? « Mes frères, je ne pense pas avoir atteint mon but ». Il avait dit d’abord : « Non que j’aie déjà recueilli, ou que je sois parfait » ; et il continue : « Mes frères, je ne pense pas avoir atteint mon but ». S’il n’a rien recueilli, il est pauvre et indigent ; s’il n’est pas encore parfait, il est pauvre et indigent. Il a raison de dire : « Seigneur, aidez-moi ». Mais il a une pensée, et une pensée plus élevée. Voyons toutefois ce qu’il dit : « Que celui qui a la puissance de faire infiniment plus que tout ce que nous demandons et tout ce que nous pensons[939] ». Voyez qu’il n’est point arrivé, qu’il n’a pas atteint son but. Que dit-il donc ? « Mes frères, je ne pense pas avoir atteint mon but ; je sais uniquement que j’oublie ce qui est derrière moi, et pour m’avancer vers ce qui est devant moi, je m’efforce d’atteindre le prix auquel Dieu m’a appelé d’en haut[940] ». Il court donc, et toi tu t’arrêtes. Il dit qu’il n’est point encore parfait, et tu te glorifies de ta perfection ! Honte à ceux qui te disent : « Courage ! courage ! » Honte à toi entre tous, puisque en toi-même tu te dis : « Courage ! courage ! » Car se louer, c’est se dire : « Allons ! courage ! » Quiconque s’entend louer par les autres et accueille ces louanges, ne porte point son huile avec soi : son flambeau s’éteint, l’Époux lui fermera la porte[941].
9. Voilà brièvement, mes bien-aimés, les instructions du psaume, dans cette solennité des martyrs ; ainsi comprenons que les martyrs ont enduré une douleur corporelle ; mais nous, de quelque paix que nous jouissions, il nous est nécessaire de subir une tribulation spirituelle ; il faut que parmi les scandales, et l’ivraie, et la paille[942], cette masse qui est l’Église exhale les gémissements, jusqu’à ce que vienne la moisson, jusqu’à ce que vienne le vanneur, jusqu’au jour où tout sera vanné une dernière fois, afin que le froment soit séparé de la paille, et placé dans les greniers[943]. Mais en attendant, crions vers le Seigneur : « Je suis pauvre, indigent ; ô Dieu, secourez-moi. Seigneur, vous êtes mon soutien, ne tardez pas ». Qu’est-ce à dire : « Ne tardez point ? » Beaucoup disent : Le Christ ne viendra de longtemps. Eh quoi donc ! parce que nous lui disons : Ne tardez point, viendra-t-il avant le moment qu’il a fixé ? Quel est le sens de ce vœu : « Ne tardez point ? » Que son avènement ne me paraisse point trop tardif, Il vous paraît bien éloigné, mais il ne paraît pas éloigné à Dieu pour qui un millier d’années n’est qu’un jour, ou trois heures de veille[944]. Si tu n’as la patience, ce temps te paraîtra long, et s’il te paraît long, tu te détacheras de Dieu, tu ressembleras à ceux qui se fatiguèrent dans la solitude, et qui s’empressèrent de demander à Dieu ces délices qu’il leur réservait dans la patrie ; et comme ils ne trouvaient point dans le voyage ces jouissances qui les eussent peut-être corrompus, ils murmurèrent contre Dieu, et retournèrent de cœur en Égypte[945] : le corps en était sorti, le cœur y retournait, Loin de toi, ah ! loin de toi ces sentiments. Crains la parole du Seigneur qui dit : « Souvenez-vous de l’Épouse de Luth[946] ». Elle était en chemin, délivrée de Sodome, elle regarde en arrière ; elle demeura à l’endroit où elle avait regardé : elle fut changée en statue de sel[947], afin de te donner la sagesse. C’est une leçon qui t’est donnée, afin que tu aies plus de courage, et que tu ne demeures pas follement en chemin. Considère celui qui y demeure, et va plus loin ; considère celui qui regarde en arrière, et avec Paul, avance-toi vers celui qui est devant toi. Que signifie, ne pas regarder en arrière ? « J’oublie », répond-il. « Ce qui est derrière moi ». Alors tu poursuivras la palme à laquelle tu es appelé d’en haut, et dont tu te glorifieras plus tard. Car le même Apôtre nous dit : « Il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice, que le Seigneur, comme un juste juge, me donnera en ce grand jour[948] ».

PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME 70 modifier

PREMIÈRE PARTIE DU PSAUME. modifier

LA GRÂCE PAR LE CHRIST. modifier

Le chrétien doit savoir qu’il n’est rien que par Dieu. Saint Paul, tout pécheur qu’il était, fut justifié par la divine miséricorde ; tel est le don qui nous délivre il est gratuit, puisque nous ne méritons que le châtiment. Les fils de Jonadab obéirent aux prescriptions de leur père et Dieu les bénit. Jérémie se sert de leur exemple pour encourager le peuple à subir la captivité. D’ailleurs nous devons servir un maître comme nous servirions le Christ, et nous sommes captifs sous la loi du péché, depuis Adam qui fut le premier et en qui nous mourons tous, mais nous vivrons en Jésus-Christ par la foi. Le Seigneur nous délivre donc par sa justice, et cette justice deviendra la nôtre en demeurant en nous, sans que néanmoins elle nous soit propre. Mais ne nous élevons pas comme le pharisien au-dessus de celui qui ne l’a point reçue encore, et qui pourra nous surpasser, comme Paul en surpassa tant d’autres. C’est la miséricorde de Dieu qui nous abrite contre sa colère. Cet homme qui demande la délivrance, c’est l’Église qui demandera Ta patience à ce même Dieu, son protecteur dès sa jeunesse, qui chantera Dieu ici-bas et dans le ciel, qui parait un prodige dans la voie que le Christ a suivie avant nous, lui que l’on a cru délaissé de Dieu. Honte à ceux qui compromettent notre âme par le découragement ! Dieu les confondra pour leur bien. Ajoutons à sa louange en le remerciant de ses dons invisibles. Renonçons au trafic ou à la gloire que l’on tire de ses bonnes œuvres, et à la lettre de la loi. Comme l’eau de la piscine, le peuple Juif fut troublé à l’avènement du Christ, qui vint s’ajuster à nous pour nous ressusciter, tandis que la loi n’était que le bâton d’Élisée.


1. Dans toutes les saintes Écritures, la grâce de Dieu qui nous délivrer se signale à notre attention afin de nous stimuler davantage. Voilà ce que chante le Prophète, dans le psaume dont nous voulons entretenir votre charité. Le Seigneur m’aidera, afin que j’en conçoive une idée convenable, et que je vous l’explique aussi d’une manière qui vous soit utile. Je suis en effet dominé par la crainte et par l’amour de Dieu ; par la crainte, car il est juste ; par l’amour, car il est miséricordieux. « Qui pourrait en effet lui dire : Que faites-vous[949] », s’il condamnait l’injuste ? Combien est grande sa miséricorde, pour qu’il justifie l’injuste ? De là vient que l’Apôtre, dans ce que vous venez d’entendre, nous prêche la grâce : et cette prédication lui attirait l’inimitié des Juifs, qui s’appuyaient sur la lettre de la loi, qui s’éprenaient de leur propre justice, et la vantaient. C’est d’eux que l’Apôtre a dit : « Je leur rends ce témoignage, qu’ils ont le zèle de Dieu, mais non selon la science ». Et comme si nous lui demandions : Qu’est-ce qu’avoir le zèle de Dieu non point selon la science ? il ajoute aussitôt : « Ne connaissant point la justice de Dieu, et voulant établir la leur, ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu[950] ». Ils se glorifient de leurs œuvres, dit-il, et se privent ainsi de la grâce ; et comme s’ils étaient pleins de confiance dans leur fausse santé, ils se dérobent au médecin. C’est contre ces présomptueux que le Seigneur avait dit : « Je ne suis point venu inviter les justes, mais les pécheurs à la pénitence. Ce ne sont point ceux qui se portent bien, mais les malades qui ont besoin du médecin[951] ». Toute la grande science d’un homme est donc de savoir que de lui-même il n’est rien, et que c’est de Dieu et pour Dieu qu’il est tout ce qu’il peut être. « Qu’avez-vous », dit saint Paul, « que vous n’ayez point reçu ; et si vous avez reçu, pourquoi vous glorifier comme si vous n’aviez point reçu[952] ? » Telle est la grâce que nous prêche saint Paul : ce fut ainsi qu’il s’attira l’inimitié des Juifs qui se glorifiaient de la lettre de la loi et de leur propre justice. C’est donc en nous prêchant cette grâce que l’Apôtre, dans le passage qu’on vient de nous lire, nous tient ce langage : « Pour moi, je suis le moindre des Apôtres, indigne même du nom d’apôtre, parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu[953]. Mais Dieu m’a fait miséricorde », ait-il dit ailleurs, « parce que j’ai agi dans l’ignorance n’ayant point la foi ». Et un peu plus loin : « C’est une vérité certaine, et digne d’être reçue en toute soumission, que Jésus-Christ est venu dans ce monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier. N’y avait-il donc point de Pécheurs avant lui ? Pourquoi dire alors : « Je suis le premier ? » J’ai devancé les autres, non par le temps, mais en malice. « Or », poursuit-il, « j’ai obtenu miséricorde, afin que je fusse le premier en qui Jésus-Christ fît éclater sa longanimité, et que je servisse d’exemple à ceux qui croiront en lui, pour la vie éternelle[954] » ; c’est-à-dire, afin que tout homme inique, tout pécheur désespérant de lui-même, s’armant en quelque sorte d’un courage de gladiateur, résolu de suivre ses penchants, parce qu’il se croit damné sans ressource, jette les yeux sur l’apôtre saint Paul, à qui Dieu a pardonné une telle cruauté, une si noire malice, et qu’il abjure son désespoir pour se retourner vers Dieu. Telle est donc la grâce que Dieu nous prêche dans ce psaume : parcourons-le, afin de voir s’il en est ainsi, ou si je ne lui donne pas un sens étranger. Je crois en effet que c’est là le sentiment qui y règne, et qui résonne dans presque toutes ses syllabes : c’est-à-dire qu’il a pour objet de nous prêcher le don gratuit de la grâce de Dieu, qui nous délivre, malgré notre indignité, non point à cause de nous, mais bien à cause d’elle-même : et quand même je ne vous tiendrais point ce langage, et que je ne vous aurais point fait ce préambule, tout homme entrerait dans ce sentiment, pour peu qu’il eût d’intelligence, et qu’il apportât son attention aux paroles de ce psaume. Le texte seul suffirait pour changer son opinion, s’il eût été d’un autre avis, et l’amener à ce qui retentit dans le psaume. Qu’est-ce à dire ? que nous placions en Dieu toute notre espérance, que par nous-mêmes nous ne présumions aucunement de nos forces ; de peur qu’en nous attribuant ce qui vient de Dieu, nous ne perdions ce que nous avons reçu.
2. Le titre de notre psaume est comme d’ordinaire une inscription placée sur le seuil pour indiquer ce que l’on fait dans la maison : « Pour David, psaume des fils de Jonadab, et « de ceux qui furent emmenés les premiers en captivité[955] ». Jonadab fut un homme dont Jérémie releva les vertus dans ses prophéties, et qui avait prescrit à ses enfants de ne point boire de vin, non plus que d’habiter dans des maisons, mais dans des tentes. Or, les fils demeurèrent dans les prescriptions de leur père, et méritèrent ainsi que le Seigneur les bénît[956]. Ce n’était point le Seigneur, mais bien kur père qui avait fait ces prescriptions. Ils les acceptèrent néanmoins comme si elles émanaient de leur Dieu : car si le Seigneur n’avait pas enjoint de ne point boire de vin, et d’habiter sous des tentes, il avait toutefois ordonné aux enfants d’obéir à leur père. Le fils ne doit donc refuser obéissance à son père, que quand le père lui commande contrairement à son Dieu. Car le père n’a plus alors le droit de s’irriter de la préférence que l’on donne à Dieu, sur lui. Mais quand le père commande ce que Dieu ne défend point, on doit lui obéir comme à Dieu, puisque Dieu a ordonné d’obéir à un père. Dieu bénit donc les fils de Jonadab à cause de leur obéissance, et les opposa à son peuple rebelle, lui reprochant de n’obéir point à son Dieu, tandis que les fils de Jonadab étaient fidèles aux prescriptions de leur père. Or, Jérémie, dans ce rapprochement, avait pour but de les préparer à être emmenés à Babylone, à ne point résister à la volonté de Dieu, et à n’attendre de l’avenir que la servitude. Telle est donc la couleur que l’on a voulu donner au titre du psaume ; aussi après avoir dit : « Des fils de Jonadab », on ajoute : « Et des premiers qui furent emmenés en captivité », non que les fils de Jonadab aient été captifs, mais parce que l’exemple de leur obéissance à leur père était proposé àceux qui allaient être emmenés captifs, afin qu’ils comprissent que leur captivité était le châtiment de leur rébellion envers Dieu. Ajoutez à cela que Jonadab signifie le volontaire de Dieu. Qu’est-ce à dire volontaire de Dieu ? Qui sert Dieu de plein gré. Qu’est-ce à dire volontaire de Dieu ? « Seigneur, vos volontés sont dans mon âme, je chanterai vos louanges[957] ». Qu’est-ce à dire encore le volontaire de Dieu ? « Je vous fais le sacrifice de ma volonté[958] ». Car si l’enseignement des Apôtres avertit le serviteur d’obéir à l’homme qu’un pour maître, non point comme par nécessité, mais de bon gré, et d’affranchir son cœur, par un service volontaire, combien plus votre volonté doit être pleine, entière, affectueuse, quand il s’agit du service de Dieu qui voit cette volonté ? Qu’un serviteur te serve à contre-cœur, tu peux bien voir sa main, son visage, sa présence, mais non découvrir son cœur. Et pourtant l’Apôtre leur dit : « Ne servez point sous le regard seulement » Qu’est-ce à dire, « sous le regard ? » Quoi donc ! mon maître va-t-il pénétrer la manière dont je le sers, pour me dire de ne point servir « à cause de son œil ? » Il ajoute : « Servez comme si vous serviez le Christ ». Cet homme, votre maître, ne voit point, mais le Christ, votre Maître, vous voit. « Servez donc de cœur », dit l’Apôtre, « et d’une pleine volonté[959] ». Tel fut Jonadab, ou plutôt, tel est le sens de son nom. Mais que signifient « ceux qui furent les premiers emmenés captifs ? » Les Juifs furent emmenés en captivité une première, une seconde et une troisième fois. Mais le psaume ne parle ni pour ceux, ni de ceux qui furent emmenés les premiers : en discutant le psaume, en le sondant, en scrutant le sens de tous les versets, on voit qu’il a un tout autre sens, et qu’il n’y est aucunement question de je ne sais quels hommes, qui, à telle invasion de leurs ennemis, furent, je ne sais à quelle époque, emmenés captifs de Jérusalem à Babylone. Mais que nous dit le psaume, sinon ce que vous avez entendu à la lecture de saint Paul ? Il nous prêche la grâce de Dieu ; et il nous la prêche, parce que de nous-mêmes nous ne sommes rien : il nous la prêche, parce que tout ce que nous sommes, c’est par la divine miséricorde, et que de nous-mêmes nous ne sommes que méchants. Pourquoi donc nous appeler « captifs ? » et pourquoi ce mot de captivité doit-il nous signaler la grâce du libérateur ? L’Apôtre nous fait cette réponse : « Chez moi l’homme intérieur se plaît dans la loi de Dieu : mais je sens dans mes membres une loi contraire à la loi de l’esprit, et qui me tient captif sous la loi du péché qui est dans mes membres ». Te voilà donc réduit en captivité. Que dit alors le psaume ? Ce que dit ensuite l’Apôtre : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur[960] ». Mais après l’explication du terme « captifs n, pourquoi « les premiers ? » Cela devient clair, si je ne me trompe. C’est qu’auprès des fils de Jonadab toute désobéissance devient coupable. Or, c’est la désobéissance qui nous a réduits en captivité, car Adam lui-même fut coupable de désobéissance. Aussi saint Paul a-t-il dit, et c’est la vérité, « que tous meurent en Adam, en qui tous ont péché[961] ». Il est donc vrai que « les premiers furent emmenés en captivité » : puisque « le premier homme est l’homme terrestre formé de la terre, le second est l’homme céleste, qui vient du ciel. Comme le premier fut terrestre, ses enfants sont terrestres ; comme le second est céleste, ses enfants sont célestes. De même que nous avons porté l’image de l’homme terrestre, portons aussi l’image de Celui qui est dans le ciel ». Le premier homme nous a rendus captifs, le second nous délivrera de la servitude. « De même en effet que tous meurent en Adam, tous aussi vivront en Jésus-Christ[962] ». Mais ils meurent en Adam à cause de leur naissance charnelle, ils seront délivrés dans le Christ par la foi du cœur. Tu n’étais pas libre de ne point naître d’Adam, et tu es libre de croire au Christ. Autant donc tu voudras appartenir au premier homme, autant tu feras partie de la captivité. Et qu’est-ce à dire : Tu voudras appartenir ? ou même tu appartiendras ? Tu en fais partie déjà : crie donc : « Qui me délivrera de ce corps de mort[963] ? » Écoutons ce même cri dans la bouche du Psalmiste.
3. « Mon Dieu, j’ai crié vers vous, que ma confusion ne soit pas éternelle ». Déjà je suis dans la confusion, mais que ce ne soit pas éternellement. Comment serait-il exempt de confusion celui à qui l’on dit : « Que vous revient-il de ces actes dont vous rougissez maintenant[964] ? » Comment donc pourrions-nous échapper à la confusion éternelle ? « Approchez-vous de lui, recevez sa lumière, et votre face n’aura point à rougir[965] ». Vous avez été dans la confusion en Adam ; retirez – vous d’Adam, approchez-vous du Christ, et vous n’aurez plus à rougir. « Seigneur, c’est en vous que j’ai mis mon espoir, je ne serai point confondu éternellement ». Si je suis confondu en moi-même, jamais en vous je ne serai confondu.
4. « Délivrez-moi dans votre justice et rachetez-moi[966] ». Non point dans ma justice, mais dans la vôtre : en comptant sur la mienne, je serais au nombre de ceux dont il est dit : « Dans leur ignorance de la loi de Dieu, et leurs efforts pour établir leur propre justice, ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu[967] ». Donc « en votre justice », et non dans la mienne. Qu’est-ce, en effet, que la mienne ? L’iniquité l’a précédée. Et quand je serai juste, ce sera par votre justice t car je ne serai juste que quand vous m’aurez donné la justice ; et cette justice ne sera la mienne qu’en demeurant en moi, puisqu’elle viendra de vous. Je crois, en effet, à celui qui justifie l’impie, afin que ma foi me soit imputée à justice[968]. Cette justice sera donc à moi, mais non comme si elle m’était propre, comme si j’avais pu me la donner moi-même : ainsi que le croyaient ceux qui se glorifiaient dans la lettre de la loi, et qui dédaignaient la grâce. Car il est dit ailleurs « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice[969] ». Et le Prophète assurément ne se glorifiait point de sa propre justice. Mais rappelons-nous ce mot de l’Apôtre : « Qu’avez-vous que vous n’ayez point reçu[970] ? » Et parlez de votre justice, sans oublier que vous l’avez reçue, et sans rien envier à ceux qui l’ont reçue. Le Pharisien aussi reconnaissait qu’il était redevable à Dieu, quand il disait : « Je vous rends grâces de ce que je ne suis point comme le reste des hommes ». « Je vous rends grâces », très bien ; « de ce que je ne suis point comme le reste des hommes » : pourquoi ? Te plairait-il d’être bon, parce que les autres sont mauvais ? Que va-t-il ajouter enfin ? « Ils sont injustes, voleurs et adultères, tel qu’est ce Publicain ». Ce n’est plus là se réjouir, c’est insulter. Quant à l’humble captif, « il n’osait lever les yeux au ciel, mais il frappait sa poitrine en disant « Seigneur, soyez-moi propice, car je suis un pécheur[971] ». C’est donc peu de reconnaître que le bien qui est en toi vient de Dieu, si tu ne veilles à ne point t’élever au-dessus de celui qui ne l’a point encore, et qui te devancera peut-être quand il l’aura reçu. Quand Paul lapidait Étienne, de combien de chrétiens n’était-il pas persécuteur ? Et néanmoins après une fois converti, il surpassa ceux qui l’avaient précédé. Dis donc à Dieu ce que tu entends dans le psaume : « Seigneur, j’ai mis en vous mon espoir, je ne serai point confondu éternellement[972]. Délivrez-moi, rachetez-moi, dans votre justice », et non dans la mienne. « Inclinez votre oreille vers moi ». C’est là confesser sa bassesse. Dire : « Inclinez-vous vers moi », c’est avouer que l’on ressemble ami malade qui est couché devant le médecin qui est debout. Vois enfin que c’est un malade qui parle : « Inclinez votre oreille jusqu’à moi, et sauvez-moi ».
5. « Soyez pour moi un Dieu protecteur ». Que les flèches de l’ennemi ne m’atteignent point, car je ne puis me défendre. C’est peu que « Dieu soit mon protecteur » ; le Prophète ajoute : « Servez-moi de forteresse, afin de me sauver[973] ». « Soyez pour moi une forteresse », soyez vous-même mon lieu fortifié. Où donc allais-tu, Adam, lorsque tu fuyais Dieu, et que tu te cachais dans les arbres du jardin ? Où allais-tu, quand tu fuyais sa face qui avait fait ta joie[974] ? Tu l’as fui, et tu es mort ; tu es devenu captif, et Dieu te recherche et ne t’abandonne point ; il laisse sur les montagnes ses quatre-vingt-dix-neuf brebis, et recherche la brebis égarée ; et en la retrouvant il s’écrie : « Il était mort et il est ressuscité ; il était perdu, et il est retrouvé[975] ». Ainsi Dieu devient le lieu de noire refuge, lui qui tout d’abord nous faisait craindre et fuir. « Soyez pour moi », dit le Prophète, « un lieu fortifié, afin de me sauver ». Je ne puis avoir de salut qu’en vous ; si vous n’êtes mon repos, mon mal ne saurait se guérir. Levez-moi de terre, que je me repose en vous, afin que je m’élève dans un lieu sûr. Qu’y a-t-il de plus sûr ? Quels adversaires, dis-moi, pourras-tu craindre, quand il sera ton refuge ? Qui pourra t’atteindre de ses traits cachés ? Je ne sais de quel homme on raconte que du sommet d’une montagne il cria à l’empereur qui passait : Je n’ai cure de toi, et à qui l’empereur répondit : Ni moi de toi. Il n’avait que le dédain pour un empereur avec des armes éclatantes, et une puissante armée. Où était-il ? dans un lieu fortifié. S’il se trouvait en sûreté, sur un terrain élevé, que sera-ce de toi, en celui qui a fait le ciel et la terre ? « Soyez donc pour moi un Dieu protecteur, un lieu de sûreté afin de me sauver ». Et si je me choisis un autre lieu, il n’y a point de salut pour moi. Cherche, ô homme, si tu peux trouver un lieu plus fortifié. Tu ne saurais échapper à Dieu qu’en fuyant vers Dieu. Si tu veux échapper à sa colère, cherche un refuge dans sa miséricorde. « C’est vous, en effet, qui êtes mon ferme appui, vous qui êtes mon refuge ». Qu’est-ce à dire : « Mon ferme appui ? » C’est par vous que je suis ferme, en vous qu’est ma force. « Car c’est vous qui êtes mon ferme appui, vous qui êtes mon refuge » : je me réfugierai donc en vous, afin de trouver en vous la force quand je serai faible par moi-même. Car c’est la grâce du Christ qui te donne la force et te fait inébranlable contre les efforts de l’ennemi. Mais il y a là toujours de l’humaine fragilité, toujours de la captivité première, toujours la loi des membres qui résiste à la loi de l’esprit, et qui veut me captiver sous cette loi du péché[976] ; toujours le corps qui se corrompt et appesantit l’âme[977]. Quelque fermeté que vous donne la grâce de Dieu, tant que vous portez ce vase de terre qui renferme le trésor de Dieu, cette argile vous laisse toujours dans la crainte[978]. « C’est donc vous qui êtes mon ferme appui », afin qu’en cette vie je puisse résister à toutes les tentations. Quel qu’en soit le nombre, quelque trouble qu’elles me causent : « c’est vous qui êtes mon refuge ». Il me reviendra de l’aveu de ma faiblesse d’être timide comme le lièvre, parce que je suis plein d’épines comme le hérisson. Mais il est dit dans un autre psaume, que « la pierre est le refuge des hérissons et des lièvres[979] » ; or, cette pierre était le Christ[980].
6. « Délivrez-moi, mon Dieu, de la main du pécheur[981] ». Ils sont pécheurs en général, ces hommes au milieu desquels gémit celui qui va être délivré de la captivité ; celui qui s’écrie : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps mortel ? La grâce de Dieu par Jésus-Christ, Notre-Seigneur[982] ». Au dedans j’ai pour ennemi cette loi qui est dans nos membres ; au-dehors encore des ennemis à qui en appeler ? À celui que le Prophète implorait : « Purifiez-moi, mon Dieu, de mes fautes cachées, et n’imputez pas à votre serviteur les fautes des autres[983] ». Dire donc : « Sauvez-moi », c’est lui demander de te guérir de tes maux intérieurs, ou de cette faiblesse qui te rend esclave, de celle qui te rattache au premier homme, et qui te fait gémir avec les premiers captifs. Mais une fois délivré de tes propres iniquités, veille aux iniquités de ceux avec lesquels il te faut vivre jusqu’à ce que cette vie soit écoutée. Mais quand le sera-t-elle ? La voilà qui finit pour toi, mais finira-t-elle pour l’Église avant la fin des temps ? Or, cet homme qui parle ici, c’est le Christ dans son unité. Sans doute il y a beaucoup de fidèles qui ont quitté ce corps, et qui jouissent du repos que Dieu donne aux âmes de ses serviteurs ; mais le Christ a des membres aussi dans ceux qui vivent maintenant, et dans ceux qui doivent maître ensuite. Donc, jusqu’à la fin des siècles subsistera cet homme qui demande à Dieu la délivrance de ses péchés, et de cette loi des membres qui résiste à la loi de l’esprit. Il gémira sur les fautes de ceux au milieu desquels il doit vivre jusqu’à la fin des siècles. Or, ces pécheurs sont de deux sortes : les uns qui ont reçu la loi, les autres qui ne l’ont pas reçue. Tous les païens n’ont reçu aucune loi, les Juifs et les Chrétiens ont reçu la loi. Le nom de pécheur est donc un nom générique ; il signifie transgresseur de la loi, si on a reçu la loi, ou simplement pécheur sans la loi, si on ne l’a point reçue. L’Apôtre fait mention de ces deux catégories, et dit : « Ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi, et ceux qui ont péché avec la loi, seront jugés par la loi[984] ». Mais toi, qui gémis entre ces deux pécheurs, dis à Dieu ce que tu entends dans ce psaume : « Mon Dieu, délivrez-moi de la main du pécheur ». De quel pécheur ? « De la puissance du transgresseur de la loi, et de l’homme inique ». L’homme qui a violé la loi est inique à la vérité, car on ne peut la violer sans iniquité ; mais si tout violateur de la loi est coupable, tout injuste n’est point, pour cela, violateur de la loi. « Sans la loi », dit l’Apôtre, « il n’y a pas violation de la loi[985] ». Donc, ceux qui n’ont pas reçu la loi peuvent être appelés injustes, mais non prévaricateurs. Les uns et les autres sont jugés selon leurs mérites. Mais moi, qui veux être délivré de la servitude par votre grâce, je crie vers – vous : « Délivrez-moi de la main du pécheur ». Qu’est-ce à dire : « De sa main ? » De sa puissance, de peur que éa violence ne m’arrache un consentement ; de peur que ses artifices ne me persuadent l’iniquité. « Délivrez-moi de la main du prévaricateur de la loi, et de l’injuste ». Mais, diras-tu, pourquoi demander que Dieu te délivre de la main du transgresseur de la loi, et de l’injuste ? Garde-toi d’y consentir ; et à ses violences, oppose la patience et le calme. Mais quelle patience opposer quand ne nous soutient plus celui qui est une forteresse ? Pourquoi lui dis-je : « Délivrez-moi de la main du violateur de la loi, et de l’injuste ? » Parce qu’il n’est point en moi d’être patient, mais en vous, qui donnez la patience.
7. De là vient que je dis ensuite : « C’est vous qui êtes ma patience ». Et si vous êtes ma patience, j’ai raison de dire encore : « Vous êtes, Seigneur, mon espérance dès ma jeunesse[986] ». Dieu est-il ma patience parce qu’il est mon espoir, ou mon espoir parce qu’il est ma patience ? « L’affliction », dit l’Apôtre, « produit la patience, la patience la pureté, la pureté l’espérance ; or, cette espérance n’est pas vaine[987]. Je m’applaudis d’avoir mis en vous mon espoir, ô mon Dieu, je ne serai point confondu éternellement. Seigneur, vous êtes mon espoir dès ma jeunesse ». Est-ce bien dès ta jeunesse que Dieu est ton espoir ? Ne l’est-il pas dès la mamelle, dès la plus tendre enfance ? Oui, dit le Prophète. Car, voyons la suite, de peur que cette parole : « Mon espérance dès ma jeunesse », ne semble dire que Dieu n’a rien été pour mon enfance, ma naissance même. « C’est en vous que j’ai été affermi dès le sein de ma mère ». Écoute encore : « Dès le sein de ma mère vous êtes mon protecteur[988] ». Pourquoi donc « dès ma jeunesse », sinon depuis que j’ai commencé à espérer ? Car auparavant je n’espérais pas en vous, bien que vous fussiez mon protecteur, pour me faire arriver avec bonheur au temps où j’ai commencé à espérer en vous. Or, j’ai commencé à mettre en vous mon espoir, dans ma jeunesse, alors que vous m’avez armé contre le diable, afin que sous l’armure de vos milices, muni de votre foi, de la charité, de l’espérance et de tous vos autres dons, je pusse combattre tous vos ennemis invisibles, et entendre ces paroles de l’Apôtre : « Nous n’avons plus à combattre contre le sang et la chair, mais contre les principautés, coutre les puissances, contre les princes du monde, et de ces ténèbres, contre les esprits de malice[989] ». Il est donc jeune encore, celui qui livre ces combats ; mais nonobstant sa jeunesse, il succombera, s’il ne met son espoir en celui qu’il invoque en disant : « Vous êtes, Seigneur, mon espoir dès ma jeunesse ».
8. « Vous serez toujours le sujet de mes cantiques ». Est-ce dès l’origine de mon espoir jusqu’à présent ? Non, mais « toujours ». Qu’est-ce que « toujours ? » Non seulement tant que dure la foi, mais au temps de la vision. « Car, maintenant que nous sommes en cette vie, nous sommes éloignés du Seigneur ; puisque nous allons à lui par la foi, sans le voir à découvert[990] ». Or, un temps viendra que nous verrons à découvert ce que nous croyons sans le voir : et notre joie sera de voir ce que nous aurons cru ; tandis que la vue de ce qu’ils n’auront point voulu croire fera la confusion des impies. Alors ce sera la réalité ; maintenant ce n’est que l’espérance. « Or, l’espérance qui verrait ne serait plus l’espérance ; si nous ne voyons pas ce que nous espérons, nous l’attendons par la patience[991] ». Tu gémis donc maintenant, tu cours maintenant au lieu de ton refuge, afin d’être sauvé ; maintenant que tu es malade, tu cherches le médecin ; que sera-ce quand tu auras une santé parfaite ? Quand tu seras comme les anges de Dieu[992], pourras-tu oublier la grâce qui t’a délivré ? Non. « C’est vous que je chanterai toujours ».
9. « Beaucoup me regardent comme un prodige[993] ». Ici-bas, dans cette vie de l’espérance, vie de sanglots, vie d’humilité, vie de douleur, vie d’infirmité, vie de gémissements dans nos chaînes ; quoi donc en cette vie ? « Beaucoup me regardent comme un prodige ». Pourquoi « comme un prodige ? » Pourquoi m’insulter quand ils voient un prodige en moi ? Parce que je crois ce que je ne vois pas encore. Eux qui n’ont de bonheur que dans ce qu’ils voient, mettent leurs délices dans l’ivresse, dans la luxure, dans l’adultère, dans l’avarice, dans les richesses, dans la rapine, dans les dignités du siècle, dans l’éclat d’une muraille de boue ; voilà leurs délices ; mais moi je suis une voie bien différente ; je méprise les biens présents, je redoute jusqu’au bonheur de ce monde, et n’ai de sécurité que dans les promesses de Dieu. Pour eux : « Mangeons et buvons, et nous mourrons demain[994] ». Que dis-tu ? Répète encore. « Mangeons », dit-il, « et buvons ». Continue ; qu’as-tu dit ensuite ? « Car demain nous mourrons ». Tu m’effrayes sans me séduire. La raison que tu me donnes me glace d’effroi, et m’empêche de t’écouter. « Nous mourrons demain », dis-tu, et tout à l’heure : « Mangeons et buvons ». Car, après avoir dit : « Mangeons et buvons », tu as ajouté : « Parce que nous mourrons demain ». Ecoute-moi, au contraire : jeûnons et prions, car nous mourrons demain, C’est en marchant dans cette voie étroite et rude, que « je parais à plusieurs une monstruosité ; mais vous êtes, ô Dieu, mon puissant appui ». Venez, Seigneur Jésus, venez me dire : Ne te décourage point dans cette voie, j’y ai marché le premier, moi-même je suis la voie[995], c’est moi qui conduis, je conduis en moi et jusqu’à moi. Que je sois donc « un prodige pour beaucoup » : je n’ai rien à redouter, parce que « vous êtes, Seigneur, mon puissant protecteur ».
10. « Que ma bouche soit pleine de vos louanges, afin que tout le jour je chante votre gloire et votre magnificence[996] ». Qu’est-ce à dire t « Tout le jour ? » sans interruption. Dans la prospérité, car vous me consolez ; dans l’adversité, parce que vous m’épurez ; avant ma naissance, parce que vous m’avez créé ; après ma naissance, parce que vous m’avez sauvé ; après mon péché, parce que vous m’avez pardonné ; dans ma conversion, parce que vous m’avez aidé ; dans ma persévérance, parce que vous la couronnez. Oui, Seigneur, « que ma bouche soit pleine de vos louanges, afin que je chante votre gloire tout le jour, et votre magnificence ».
11. « Ne me rejetez pas au temps de ma vieillesse[997]. Vous qui êtes l’espérance de mes jeunes années, ne me rejetez pas au temps de ma vieillesse ». Quel est ce temps de la vieillesse ? « Au déclin de ma force, ne m’abandonnez pas ». Le Seigneur te répond au contraire : Que ta force s’affaiblisse, afin que la mienne demeure en toi, et que tu puisses dire avec l’Apôtre : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort[998] ». Ne crains point d’être abandonné dans cette impuissance, dans cette vieillesse. Quoi donc ! ton Dieu n’a-t-il pas été infirme sur la croix ? Ses ennemis ne le regardaient-ils point comme un homme sans force, comme un captif, un opprimé ? N’ont-ils pas branlé la tête, comme des taureaux pleins de force et de puissance, en lui disant : « S’il est fils de Dieu, qu’il descende de la croix[999] ? » Cette faiblesse lui valut-elle d’être abandonné, quand il aima mieux ne pas descendre de la croix, afin que l’on ne pût voir en cela une concession aux insolences, plutôt qu’une manifestation de sa force ? Que t’apprend-il, en demeurant à la croix, sans vouloir en descendre, sinon à supporter les insultes, sinon à demeurer fort dans ton Dieu ? C’est peut-être de lui qu’il est dit : « Je suis pour beaucoup un prodige, et vous êtes mon ferme appui ? » Appui dans son infirmité, mais non dans sa force ; en ce sens qu’il nous a personnifiés en lui-même, et non qu’il est descendu. Je suis devenu un prodige pour beaucoup. Ce serait là sa vieillesse, puisque le vieil homme désigne bien une vieillesse, et l’Apôtre a dit : « Notre vieil homme a été crucifié avec Lui[1000] ». Si notre vieil homme était en lui, il y avait donc une vieillesse ; car la vieillesse vient de vieux. Et pourtant, comme cette parole est vraie : « Ta jeunesse se renouvellera comme celle de l’aigle[1001] » ; il est ressuscité le troisième jour et nous a promis la résurrection pour la fin des siècles. Le chef a précédé, les membres doivent suivre. Pourquoi craindre qu’il ne t’abandonne, qu’il ne te méprise au temps de la vieillesse, au déclin de tes forces ? C’est, au contraire, au déclin de ta propre force que la sienne se fera sentir en toi.
12. Pourquoi parlé-je ainsi ? « Parce que mes ennemis on-t parlé contre moi, et ceux qui épiaient ma vie se sont concertés en disant : Voilà qu’il est abandonné de Dieu ; poursuivez-le, saisissez-le, car il n’est personne pour le délivrer[1002] ». Voilà ce qui est dit du Christ. Cette puissance de divinité qui le rend égal à son Père, lui avait fait ressusciter les morts ; et quand il tombe entre les mains de ses ennemis, le voilà faible et saisi comme un homme sans force. Comment l’eût-on saisi, si ses ennemis n’eussent dit d’abord « Dieu l’a délaissé ? » De là cette plainte qu’il exhale sur la croix : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné[1003] ? » Mais Dieu avait-il bien abandonné son Christ, lui qui était alors dans le Christ, se réconciliant le monde[1004] ? Et ce Christ, né des Juifs selon la chair, était Dieu, et Dieu par-dessus toutes choses, béni dans tous les siècles[1005]. Dieu donc l’avait-il abandonné ? Point du tout. Mais il parle ici en notre nom, au nom de notre vieil homme crucifié avec lui[1006] ; c’est encore de ce vieil homme qu’il avait pris un corps, puisque Marie était fille d’Adam. Il s’appropriait donc la pensée de, ses ennemis, quand il disait sur la croix : « Pourquoi m’avez-vous abandonné[1007] ? » D’où leur vient la pensée malheureuse que vous m’avez abandonné ? « Car s’ils eussent connu le Seigneur de la gloire, ils ne l’eussent point crucifié[1008]. Poursuivez-le et saisissez-le ». Toutefois, mes frères, ces paroles conviennent mieux aux membres du Christ, et nous devons y retrouver nos propres paroles ; car c’est en notre nom que le Christ les a proférées, et non dans sa puissance et dans sa majesté. C’était dans l’humanité dont il s’était revêtu pour nous, et non dans cette puissance qui nous a créés.
13. « Seigneur, mon Dieu, ne vous éloignez pas de moi[1009] ». Ainsi en est-il, et il ne s’éloigne point. Le Seigneur est toujours près de ceux qui ont le cœur contrit[1010]. « Mon Dieu, soyez attentif à me secourir ».
14. « Qu’ils soient confondus, anéantis, les ennemis de mon âme[1011] ». Quel souhait ? « Qu’ils soient confondus et anéantis ». Pourquoi ce souhait ? « Parce qu’ils compromettent mon âme ». Qu’est-ce à dire « qu’ils la compromettent ? » Qu’ils l’engagent comme dans une rixe. Car on appelle compromis des hommes que l’on engage dans des querelles. Si donc il en est ainsi, évitons ceux qui compromettent notre âme. Qu’est-ce à dire : qui compromettent notre âme ? Qui nous provoquent à résister à Dieu, à le maudire dans nos malheurs. Quand est-ce que tu es assez droit pour goûter la bonté du Dieu d’Israël, qui est bon pour les humbles de cœur[1012] ? Quand est–ce que tu es droit ? Veux-tu l’entendre ? Lorsque Dieu te plaît dans le bien que tu fais, et que tu ne le maudis point dans les maux que tu endures. Comprenez bien ces paroles, mes frères, et soyez en garde vis-à-vis de ceux qui compromettent vos âmes. Tous ceux qui ont sur vous une influence de découragement dans le chagrin et dans les épreuves, aboutissent â vous le faire maudire dans vos souffrances, et à tirer de votre bouche ces paroles Qu’est-ce que cela ? qu’ai-je fait ? Ainsi donc, tu n’as rien fait, tu es juste, et Dieu est injuste ? Mais, diras-tu, je suis pécheur, je l’avoue, je ne me dis point juste ; néanmoins, pour être pécheur, le suis-je autant que tel autre qui est heureux ? Autant que Galus-Seïus ? Je connais ses crimes, ses iniquités, dont je suis bien loin, tout pécheur que je suis ; et pourtant je le vois dans une prospérité florissante, quand je languis dans une telle misère. Si donc je dis : Que vous ai-je fait, ô mon Dieu, ce n’est pas que je n’aie fait aucun mal, mais je n’en ai pas fait assez pour endurer ce que je souffre. Encore une fois, c’est toi qui es juste, et Dieu qui est injuste. Éveille-toi, misérable, ton âme est compromise. Je ne me dis point juste, me répondras-tu. Que dis-tu donc ? Je suis pécheur, mais les fautes que j’ai commises ne méritent pas de si grands maux. À la vérité, tu ne dis point à Dieu : Je suis juste et vous injuste ; mais bien : Je suis injuste, et vous plus injuste encore. Voilà comment ton âme est engagée, voilà ton âme qui guerroie. Quelle âme, et contre qui ? Ton âme, et contre Dieu ; ton âme, qui est créature, en guerre contre son créateur ; âme ingrate, par cela même que tu cries contre lui. Reviens donc à l’aveu de ta faiblesse ; implore le secours du médecin. N’estime pas heureux ceux qui ne fleurissent que pour un temps. Dieu te châtie, et il les épargne ; il ne te châtie peut-être, et ne te purifie comme un fils, qu’afin de te laisser son héritage. Reviens donc, prévaricateur, reviens en ton cœur[1013], et n’engage point ton âme. Celui que tu veux combattre est beaucoup plus fort que toi. Plus grandes seront les pierres que tu lanceras contre le ciel, et plus elles t’écraseront par leur chute. Reviens donc et reconnais-toi. C’est à Dieu que tu t’en prends ; c’est à toi de rougir et de t’en prendre à toi-même. Tu ne ferais aucun bien sans sa bonté ; tu n’aurais rien à souffrir sans sa justice. Eveille-toi donc à cette voix : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur, ainsi a-t-il été fait : que le nom du Seigneur soit béni[1014] ». Ils étaient injustes, ces hommes pleins de santé, assis auprès de Job[1015] ; et néanmoins, lui que Dieu devait recevoir dans le ciel, était flagellé, et eux, qu’il devait punir un jour, étaient alors épargnés. Quelles que soient donc les afflictions qui t’arrivent, les outrages que tu essuies, n’engage point ton âme ; ne l’engage pas contre Dieu, ni même contre ceux qui te font subir ces traitements. La moindre haine que tu conçoives contre eux compromettrait ton âme à leur égard. Rends plutôt grâces à Dieu, et prie-le pour eux. C’est peut-être une invocation en leur faveur, que cette parole que tu as entendue « Qu’ils soient confondus, anéantis, ceux qui engagent mon âme ». « Qu’ils soient confondus, anéantis », car ils présument de leur justice ; qu’ils soient confondus, voilà ce qui leur convient, afin qu’ils reconnaissent leurs péchés ; qu’ils en soient dans la confusion, dans la défaillance, eux qui avaient tort de présumer de leur justice, qu’ils disent dans leur défaillance : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis puissant[1016] ». Qu’ils disent encore : « Ne me rejetez point aux jours de ma vieillesse[1017] ». C’est donc leur bien que souhaitait le Prophète, dans cette confusion de leurs maux, dans cette défaillance de leurs forces pour le mal, afin que, confondus et anéantis, ils cherchent à échanger cette confusion contre la lumière, et cette faiblesse contre la force. Écoute ce qui vient ensuite : « Qu’ils revêtent la confusion et la honte, ceux qui cherchent ma ruine. La confusion et la honte » : la confusion, à cause de leur conscience criminelle, et la honte pour devenir modestes. Qu’il en soit ainsi d’eux, et ils deviendront bons. N’accuse donc plus de violence le prophète ; puisse-t-il être exaucé en leur faveur. La parole d’Étienne paraissait violente, alors que de sa bouche enflammée s’exhalait cette apostrophe : « Hommes à la tête dure, incirconcis de cœur et d’oreilles, vous résistez toujours au Saint-Esprit[1018] ». Quel transport de colère, quelle véhémence contre ses adversaires ! Son âme te paraît engagée ? Loin de là, il cherchait leur salut, il enchaînait par ses paroles ces frénétiques à l’aveugle délire. Vois en effet que son âme n’était engagée ni contre Dieu ni contre eux-mêmes. « Seigneur Jésus », dit-il, « recevez mon esprit[1019] ». Il ne s’emporta point contre Jésus, puisqu’il endurait d’être lapidé pour sa parole ; son âme n’était donc point compromise vis-à-vis de Dieu. Elle ne l’était pas non plus vis-à-vis de ses ennemis, puisqu’il s’écrie : « Seigneur, ne leur imputez pas ce péché[1020]. Qu’ils revêtent la confusion et la honte, ceux qui méditent ma ruine ». Voilà ce que cherchent tous ceux qui m’affligent, ils cherchent à me nuire. Voilà ce que cherchait cette femme, qui donnait ce conseil : « Blasphème ton Dieu, et meurs[1021] », et cette autre Épouse de Tobie, qui disait à son mari : « Où sont toutes vos justices[1022]? » Elle parlait ainsi pour l’animer contre Dieu, qui l’avait rendu aveugle, et compromettre son âme par ce sentiment coupable.
15. Si donc, dans la tentation, nul n’a pu t’indisposer contre Dieu, nul ne t’a extorqué une résistance dans le malheur, ou ne t’a inspiré l’aversion contre ceux qui te font souffrir, ton âme n’est point engagée. Tu peux dire en toute sûreté ce qui suit : « Pour moi, j’espérerai toujours en vous, j’ajouterai à vos louanges[1023] ». Qu’est-ce à dire ? Voici ce qui doit nous surprendre : « J’ajouterai à vos louanges ». Voudrais-tu perfectionner la louange du Seigneur ? Peut-on ajouter à cette louange ? Si cette louange est pleine, que pourras-tu y ajouter ? On a chanté Dieu dans ses bienfaits, dans toutes ses créatures, dans la création de toutes choses, dans l’ordre et la disposition des siècles, dans l’ordre des temps, dans la hauteur des cieux, dans la fécondité de la terre, dans l’immensité des mers, dans la beauté des créatures qui naissent de toutes parts, dans les fils mêmes des hommes, dans la loi qu’il doit donner, dans la délivrance de son peuple de la captivité égyptienne, et dans ses autres merveilles si nombreuses ; mais on ne l’avait pas encore béni d’avoir ressuscité notre chair pour la vie éternelle. Que ce soit donc là le surcroît de louange qui lui vient de la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ : en sorte que ce soit sa louange qui enchérisse sur toute louange passée ; c’est ainsi que nous pouvons parfaitement l’entendre. Mais toi, homme pécheur peut-être, qui craignais de compromettre ton âme, qui n’espérais que de lui seul la délivrance de ta première captivité, qui n’espérais plus en ta propre justice, mais en ta grâce de celui que prêche notre psaume, que pourras-tu ajouter à la louange de Dieu ? J’y ajouterai, dit-il. Voyons ce qu’il y ajoutera. Votre louange, ô Dieu, pourrait être parfaite, et nul défaut ne paraîtrait dans cette louange ; non, rien n’y manquerait, quand mème vous condamneriez tous les injustes. Car ce ne serait pas une moindre louange, pour le Seigneur, que cette justice qui condamne l’iniquité ; ce serait là une grande gloire. Vous avez fait l’homme, vous lui avez donné son libre arbitre, vous l’avez placé dans le paradis, en lui donnant un précepte ; vous l’avez menacé d’une mort bien juste, s’il le violait ; vous n’avez rien négligé, nul n’en pouvait exiger plus de vous ; il a péché, et le genre humain est devenu une masse de pécheurs naissant d’autres pécheurs[1024] et si vous condamniez cette masse d’iniquités, qui pourrait dire : Vous agissez injustement ? Vous seriez alors dans la justice, et là serait toute votre gloire ; mais comme vous avez délivré le pécheur même et justifié l’impie, « j’ajouterai à vos louanges un surcroît de gloire ».
16. « Ma bouche publiera votre justice[1025] », et non la mienne. C’est par là que j’enchérirai sur toutes vos louanges ; car toute ma justice, si tant est que je sois juste, n’est que votre justice en moi, et non la mienne : puisque c’est vous qui justifiez l’impie[1026]. « Ma bouche publiera votre justice, et votre salut durant tout le jour ». Qu’est-ce à dire, « votre salut ? » C’est à Dieu qu’il appartient de nous sauver[1027]. Que nul ne prétende se sauver lui-même. C’est Dieu qui peut nous sauver. Nul ne se sauvera par ses forces, le salut vient du Seigneur, le salut de l’homme est vanité[1028]. « Je chanterai votre salut tout le jour » : en tout temps. Es-tu dans l’adversité ? chante le salut de Dieu ; dans la prospérité ? chante encore le salut du Seigneur. Ne chante point dans la prospérité que c’est le Seigneur qui sauve pour te taire dans le malheur : ce ne serait plus « durant tout le jour », comme il vient d’être dit. Car tout le jour comprend aussi la nuit. Ainsi, par exemple, dire que trente jours se sont écoulés ; n’est-ce point dire autant de nuits ? et les nuits ne sont-elles point comprises dans le mot jour ? Qu’est-il dit en effet dans la Genèse ? « Et le soir et le matin formèrent un jour[1029] ». Donc le jour entier s’entend aussi de la nuit ; car la nuit sert au jour, et non le jour à la nuit. Tout ce que tu fais dans ta chair mortelle doit servir à la justice ; agis toujours pour obéir à Dieu et non au stimulant de la chair, de peur d’assujettir le jour à la nuit. Donc tout le jour, c’est-à-dire dans la prospérité coin me dans le malheur, chante les louanges de Dieu ; tout le jour, ou dans la prospérité, toute la nuit ou dans le malheur ; et néanmoins chante pendant tout le jour, la louange de Dieu, afin de ne point dire en vain : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours en ma bouche[1030] ». Job louait le Seigneur, quand il jouissait heureusement de ses enfants, de ses troupeaux, de ses serviteurs, de tout son bien ; c’était le jour alors : vint ensuite le malheur, la pauvreté se rua sur lui ; il perdit et ce qu’il possédait, et ceux auxquels il le réservait ; c’était alors la nuit. Vois-le cependant qui loue Dieu tout le jour. Quand s’éteignit pour lui le jour du bonheur, parce que l’éclat de la lumière ou de la prospérité disparut, cessa-t-il de bénir Dieu ? Le jour ne brillait-il pas dans son cœur, d’où s’échappaient ces rayons : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur, il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni[1031] ? » Or, ce n’était encore là que comme les heures du soir : la nuit devint ensuite plus épaisse, les ténèbres plus profondes, c’est-à-dire, la maladie du corps, la pourriture et les vers ; et dans cette pourriture néanmoins, il ne cessa de louer Dieu durant cette nuit extérieure, lui que faisait tressaillir la lumière de son âme. Et quand sa femme le portait au blasphème, et compromettait son âme, il répondit à cette misérable, qui était comme l’ombre de la nuit « Vous parlez comme une femme insensée ». Véritable fille des ténèbres, « Si nous avons reçu les biens de la main de Dieu ; comment n’en pas recevoir les maux[1032] ? » Nous l’avons béni pendant le jour, nous tairons-nous pendant la nuit ? « J’annoncerai votre salut tout le jour », même avec sa nuit.
17. « Car je n’ai point connu le trafic ». Ce qui me porte à vous « bénir tout le jour », dit le Prophète, « c’est que je ne connais point le négoce[1033] ». Quel est ce négoce ? Que les trafiquants écoutent, et changent de vie ; qu’ils ne soient plus ce qu’ils ont été, qu’ils désavouent, qu’ils oublient leur passé ; enfin qu’ils n’aient pour ce passé ni approbation ni louange ; qu’ils le blâment et le condamnent, qu’ils se corrigent si le trafic est un péché. Car de là vient ce je ne sais quel besoin d’acquérir, qui vous porte au blasphème, ô trafiquants, dès que vous essuyez quelque perte ; et dès lors vous ne louez pas Dieu durant tout le jour. Et quand il vous arrive de tromper sur le prix des marchandises, et que non contents de mentir, vous ajoutez le serment au mensonge ; comment la louange de Dieu est-elle dans votre bouche pendant tout le jour, alors que, si vous êtes chrétiens, vos paroles sont une cause de blasphème contre le nom du Seigneur[1034] ? et l’on dit : Voilà des chrétiens ! Si donc le Psalmiste chante le Seigneur pendant tout le jour, parce qu’il ignore le trafic, que les chrétiens se corrigent et ne trafiquent plus. Mais, me dira un négociant : je fais venir de bien loin des marchandises, dans ces lieux où elles ne se trouvent point, et afin de vivre, je cherche le bénéfice de ma peine, en vendant au-dessus du prix d’achat. Comment vivre autrement, et n’est-il pas écrit : « L’ouvrier est digne de son salaire[1035] ? » Mais il s’agit ici de mensonge et de parjure ; ce n’est point le défaut du négoce, c’est le mien propre : car il ne m’est pas impossible, si je le veux, de m’exempter de ce défaut. Je ne veux donc pas attribuer au négoce une faute qui m’est propre : si je mens, c’est moi qui mens, et non le négoce. Je pourrais dire : J’ai acheté à tel prix, je revends à tel autre : achetez si cela vous agrée. Une telle franchise n’éloignerait pas les acheteurs, tous viendraient au contraire, appréciant ma loyauté plus que mes marchandises. Ainsi donc, me dira-t-on, conseillez-nous de ne recourir ni au mensonge ni au parjure, mais non de renoncer au négoce qui me fait vivre. Où irai-je si vous me tirez de là ? Deviendrai-je artisan ? Cordonnier, ferai-je des chaussures ? Les cordonniers ne sont-ils point menteurs ? Ne sont-ils point parjures ? Quand ils ont vendu une chaussure et en ont reçu le prix, ne laissent-ils pas l’ouvrage déjà commencé, pour se mettre à un autre, trompant ainsi celui qu’ils avaient promis de satisfaite bientôt ? Ne disent-ils pas souvent : Je le fais aujourd’hui, je l’achève aujourd’hui ? Et puis, sont-ils exempts de tromperies dans leurs marchandises ? Ils font les mêmes parjures, ils font les mêmes mensonges : mais ce n’est point à leur profession, c’est à leur malice qu’il faut s’en prendre. Tout artisan donc, assez méchant pour ne point craindre Dieu, tombe dans le mensonge, dans le parjure, ou par avidité, du gain, ou par appréhension d’une perte et de la pauvreté ; ils sont loin de louer Dieu sans cesse. Pourquoi donc me retirer de mon trafic ? Pour devenir un laboureur murmurant contre Dieu quand il tonne, recourant aux sortilèges par crainte de la grêle, cherchant à résister au ciel même, souhaitant la faim aux pauvres, afin de vendre ce que j’ai gardé ? C’est là que vous voulez m’amener ? Mais, direz-vous, les bons laboureurs n’en sont point là, Les bons trafiquants, non plus, ne font ce que vous leur attribuez. Direz-vous que c’est un mal d’avoir des enfants, parce que pour un mal de tête qui leur arrive, des mères coupables et infidèles ont recours à des ligatures sacrilèges, à des enchantements ? Tout cela est le vice des hommes, et non des conditions. Voilà ce que peut me répondre un négociant. Cherchez donc, ô évêque, la manière d’entendre ces négoces, dont il est parlé dans notre psaume ; de peur que vous l’entendiez mal et ne m’interdissiez tout trafic ; dites-moi comment je dois vivre : si je suis bien, je m’en trouverai bien : je sais toutefois que si je suis mauvais, il ne faut pas l’attribuer à mon trafic, mais bien à mon injustice. À ne dire que la vérité on ne trouve point de contradicteur.
18. Cherchons donc ce que l’on appelle ici négoce, puisque ne point le connaître, c’est bénir Dieu tout le jour. Négoce signifie en grec « action », et en latin, negatum otium, nul repos : qu’il vienne de l’action ou de la négation du repos, exposons ce qu’il est. Un négociant plein d’activité met en quelque sorte sa confiance dans ses actes, loue ses propres œuvres et n’arrive point à la grâce de Dieu. Il est donc en opposition avec cette grâce de Dieu, que préconise notre psaume ; car il nous entretient de la grâce de Dieu, de manière que nul ne se glorifie de ses œuvres ; de même qu’il est dit quelque part : « Les médecins u ne rendront point à la vie n, et pourtant les hommes doivent-ils pour cela renoncer à la médecine ? Qu’est-ce que cela signifie ? Cette expression désigne les orgueilleux, qui promettent le salut aux hommes, tandis que le salut vient de Dieu[1036]. De même alors que le Prophète nous met en garde contre les médecins, c’est-à-dire contre ces orgueilleux prometteurs de salut, par cette parole : « Je publierai votre salut tout le jour » ; de même il nous met en garde contre les trafiquants qui se confient dans leur industrie et dans leurs affaires : « Ma bouche publiera votre justice », et non la mienne. Quels sont ces trafiquants, c’est-à-dire ceux qui mettent leur confiance dans leurs affaires ? Ceux qui, dans leur ignorance de la justice de Dieu, veulent établir leur propre justice, et se soustraire à celle qui vient de Dieu[1037], C’est donc là un vrai négoce, parce qu’il ne laisse aucun repos, negatotium. Quel mal y a-t-il à refuser tout repos ? Le Seigneur eut raison de chasser du temple ceux dont il disait : « Il est écrit : Ma maison est une maison de prière ; et vous en faites une maison de négoce[1038] » : c’est-à-dire, en vous glorifiant de vos œuvres, sans chercher le repos, sans écouler cette parole de l’Écriture qui condamne votre agitation et votre empressement : « Faites trêve, et voyez que je suis le Seigneur[1039] ». Qu’est-ce à dire : « Faites trêve, et voyez que je suis le Seigneur », sinon que c’est Dieu qui agit en vous, afin de ne point vous glorifier de vos œuvres ? N’entendras-tu point la voix de celui qui dit : « Venez à moi, vous tous qui ployez sous le fardeau du labeur, et je vous soulagerai. « Prenez sur vous mon joug et apprenez que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour vos âmes[1040] ? » Voilà le repos que l’on nous prêche à l’encontre du négoce : voilà le repos à l’encontre de ceux qui n’aiment point le repos, qui travaillent, qui se glorifient de leurs œuvres, qui ne cherchent pas en Dieu le repos, et qui s’éloignent d’autant plus de la grâce, qu’ils s’enorgueillissent plus de leurs œuvres.
19. Mais dans quelques exemplaires on lit « Parce que je ne connais point la littérature ». Au lieu de « négoce » dans certains exemplaires, d’autres portent : « la littérature ». Il n’est pas facile de trouver un accord entre ces deux expressions ; et néanmoins la différence des interprétations sert plutôt à nous montrer le véritable sens qu’à nous induire en erreur. Cherchons donc aussi le sens de littérature, et n’allons pas heurter les grammairiens, comme nous avons heurté les négociants ; car un grammairien peut vivre honnêtement dans son art sans parjure, comme sans mensonge. Cherchons quelle est cette littérature que ne connaît point celui qui a dans la bouche, pendant tout le jour, la louange de Dieu. Il y a chez les Juifs une certaine littérature, car c’est à eux que nous rapportons ces paroles, et c’est là que nous en comprendrons le sens. Tout à l’heure, à propos des trafiquants, leurs actes et leurs œuvres nous ont montré que l’on appelle négoce, l’art détestable stigmatisé par ces paroles de l’Apôtre : « Dans leur ignorance de la justice de Dieu, et leur volonté d’établir leur propre justice, ils ont refusé toute soumission à la justice de Dieu[1041] » ; et que le même Apôtre condamne encore : « Cela ne vient pas de nos œuvres, afin que nul ne se puisse applaudir[1042] ». Comment donc ? Ne ferons-nous aucun bien ? Nous en ferons ; mais Dieu lui-même agira en nous : « Car nous sommes son ouvrage, étant créés en Jésus-Christ par les bonnes œuvres[1043] ». De même que nous avons trouvé, dans ces paroles, la condamnation des trafiquants, c’est-à-dire de ceux qui se glorifient de leurs œuvres, qui s’élèvent dans ce négoce ennemi du repos, qui s’agitent plutôt qu’ils n’agissent, en bien, puisque ceux-là font le bien en qui Dieu lui-même agit : ainsi nous trouverons chez les Juifs, je ne sais quelle littérature. Dieu veuille m’aider à vous exprimer en paroles, ce qu’il fait entrevoir à mon esprit. Les Juifs, pleins de présomption dans leurs vertus, et dans la justice de leurs œuvres, se glorifiaient avec orgueil de la loi, de ce qu’ils avaient reçu la loi, que n’avaient pas reçue les autres nations ; et dans cette loi, ils s’applaudissaient, non plus de la grâce, mais de la lettre, car la loi sans la grâce n’est plus qu’une lettre ; elle demeure pour nous convaincre d’iniquité, et non pour nous donner le salut. Que dit en effet l’Apôtre ? « Si la loi qui a été donnée avait pu produire la vie, il serait vrai de dire que la justice vient de la loi ; mais la loi écrite a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse de Dieu fût donnée par la foi en Jésus-Christ, chez ceux qui croiront[1044] ». C’est de cette loi qu’il a dite ailleurs : « La lettre tue, mais l’esprit vivifie[1045] ». Tu n’as que la lettre, si tu es prévaricateur de la loi. « Toi qui avec la lettre de la loi et la circoncision,», dit-il encore, « es transgresseur de la loi[1046] ». N’a-t-on pas raison de chanter et de dire : « Délivrez-moi de la main du violateur de la loi, et de l’injuste[1047] ? » Tu as donc une lettre, mais tu n’accomplis pas cette lettre. Comment ne l’accomplis-tu point ? « Parce que tu dérobes, tout en prêchant qu’il ne faut point dérober ; tu es adultère tout en prohibant l’adultère ; tu es sacrilège malgré ton horreur pour les idoles. Vous êtes cause que le nom du Seigneur est blasphémé parmi les nations, ainsi que cela est écrit[1048] ». De quoi donc peut te servir mine lettre que tu n’accomplis pas ? Et pourquoi ne point l’accomplir ? Parce que tu présumes de toi-même. Pourquoi ne pas l’accomplir ? Parce que tu es un trafiquant plein de confiance dans tes œuvres : tu ne sais point qu’il le faut le secours de la grâce pour accomplir le précepte de la loi. Voilà que Dieu commande ; fais ce qu’il prescrit. Tu veux agir comme de toi-même, et te voilà tombé ; alors pèse sur toi cette lettre qui te punira sans te sauver. Il est donc vrai, de dire que « la loi vient de Moïse, et la grâce de Jésus-Christ[1049] ». Moïse a écrit cinq livres ; et dans les cinq galeries qui environnaient la piscine, il y avait des malades qui étaient couchés, mais sans pouvoir être guéris[1050]. Voilà comment pèse sur toi cette lettre, qui peut convaincre un coupable, mais non sauver un homme injuste. Dans ces galeries, qui figuraient les cinq livres de Moïse, on exposait les malades plutôt qu’on ne les guérissait. Qu’est-ce donc qui guérissait alors la maladie ? le mouvement de l’eau. Dans la piscine ainsi agitée descendaient les malades, et un seul était guéri, comme symbole de l’unité : tout malade qui descendait alors n’était point guéri pour cela. Admirable symbole de l’unité dans ce corps qui crie vers Dieu de tous les confins de la terre ! Nul autre n’était guéri, si l’eau n’était troublée de nouveau. L’agitation de la piscine figurait donc la perturbation du peuple juif, à l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Car on croyait que l’eau était troublée dans la piscine par l’arrivée de l’ange. Cette eau donc, environnée de cinq galeries, c’était le peuple Juif environné de la loi : il y avait des malades dans chacune des galeries, et ils n’étaient guéris que quand l’eau était troublée et agitée. Le Christ est venu, l’eau a été troublée, il a été crucifié, que le malade descende afin d’être guéri. Comment descendre ? qu’il s’humilie. Vous tous alors, qui aimez la lettre sans la grâce, vous demeurerez sous les galeries, vous serez malades, couchés à terre, sans guérison : car vous avez présumé de la lettre. « Si la loi donnée eût pu produire la vie, la justice alors viendrait de la loi[1051] ». Mais la loi a été donnée afin que vous devinssiez coupables, que coupables vous fussiez saisis, de crainte, que la crainte vous fît implorer le pardon, et qu’ainsi vous n’eussiez plus de confiance dans vos forces, ni de présomption dans la lettre. Voilà ce que nous figurait encore le prophète Elisée qui envoya par son serviteur son bâton, afin de ressusciter un mort. Le fils de la veuve qui l’hébergeait venait de mourir ; dès qu’il l’apprit, il donna son bâton à son serviteur : « Va », lui dit-il, « et pose-le sur le cadavre[1052] ». Le Prophète ne savait-il point ce qu’il faisait ? Le serviteur alla donc, mit le bâton sur le cadavre, et le mort ne ressuscita point. « Si la loi qui a été donnée, pouvait produire la vie, la justice « viendrait de la loi n. Mais cette loi envoyée par le serviteur ne donne point la vie et toutefois celui qui avait envoyé son bâton par son serviteur, vint ensuite donner la vie. Comme l’enfant n’était pas en effet ressuscité, Elisée vint lui-même, figurant Notre-Seigneur, qui s’était fait précéder de son serviteur avec sa loi, comme avec un bâton. Il vint auprès de ce mort étendu par terre, et mit ses membres sur ses membres. C’était un enfant, un tout jeune homme : le Prophète contracta sa taille naturelle, et se raccourcit dans la proportion de l’enfant qui était mort, Ce mort ressuscita, quand le Prophète vivant se fût proportionné à lui, et le maître fit ce que n’avait point fait le bâton ; la grâce produisit l’effet que la lettre n’avait point produit. Ceux donc qui sont demeurés avec le bâton du Prophète se glorifient dans la lettre aussi n’ont-ils point la vie. Pour moi, je veux me glorifier dans votre grâce. « Dieu me garde », a dit saint Paul, « de me glorifier, sinon en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ[1053] », sinon en ce Dieu vivant qui s’est proportionné à mon cadavre, afin de me ressusciter, afin que de la sorte, je n’eusse plus la vie, mais que Jésus-Christ vécût en moi[1054]. Je me glorifie donc de la grâce, et ne « connais point la littérature » ; c’est-à-dire que je réprouve de tout mon cœur ces hommes qui mettent leur confiance dans la lettre pour s’éloigner de la grâce.
20. Le Prophète a donc raison d’ajouter : « J’entrerai dans la puissance du Seigneur[1055] » ; non point dans la mienne, mais dans celle du Seigneur. Pour eux, en effet, ils se glorifient dans la lettre, et dès lors n’ont point connu la grâce jointe à la lettre. « Car c’est Moïse qui a donné la loi, et Jésus-Christ la grâce et la vérité[1056] ». C’est lui qui est venu pour accomplir la loi, quand il nous a fait don de la charité, par laquelle on peut l’accomplir ; « puisque la loi dans sa plénitude, c’est la charité[1057] ». Mais les Juifs n’ayant point la charité, c’est-à-dire, n’ayant point l’esprit de la grâce : « Car la charité de Dieu est répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[1058] » ; en sont restés à se glorifier dans la lettre. Et comme « la lettre tue, et que l’esprit vivifie[1059] ; moi qui n’ai point connu la lettre, j’entrerai dans la puissance du Seigneur ». Tel est le sens que vient confirmer et achever d’éclaircir le verset suivant, de manière à le fixer dans le cœur des hommes, et à ne laisser notre intelligence dans aucun doute. « Seigneur », dit le Prophète, « je ne me souviendrai uniquement que de votre justice ». Uniquement ! Pourquoi donc, mes frères, ajouter uniquement ? Il suffirait de dire : Je me souviendrai de votre justice. « Uniquement », dit le Prophète, et non de la mienne. « Qu’avez-vous, en effet, que vous n’ayez point reçu ? Et si vous avez reçu, pourquoi vous glorifier, comme si vous n’aviez point reçu[1060] ? » C’est uniquement votre justice qui me délivre, il n’y a de moi que le péché seulement. Que je ne m’applaudisse donc point de mes propres forces, que je ne demeure point dans la lettre : que je répudie toute littérature, c’est-à-dire tous les hommes qui se glorifient de la lettre, qui semblables à des frénétiques s’appuient sur leurs forces pour leur malheur : que je répudie ces hommes, afin que je vive dans la puissance du Seigneur, que je sois fort alors même que je serai faible, et que vous, ô Dieu, soyez puissant en moi, parce que « je me souviendrai uniquement de votre justice ».

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 70 modifier

DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME. modifier

LA GRÂCE PAR LE CHRIST (SUITE). modifier

L’orgueil nous a éloignés de Dieu, la fatigue nous y ramènera par la grâce, qui est un don gratuit et que n’a précédée en nous aucun mérite, car c’est de l’homme animal créé le premier, que nous vient la captivité, et dis second homme, ou de l’homme spirituel, la délivrance. Écoutons le Seigneur, et ne tuons point l’héritier. Dès notre jeunesse il nous a montré que nous sommes des déserteurs, que la grâce seule nous ramène comme le Prodigue, que depuis notre conversion, c’est encore lui qui est notre guide, car il est la voie, en dehors de laquelle nous uie pouvons marcher sans trouver la mort, puisqu’il est la vie. Et l’Église publiera jusqu’à la fin du monde la grâce du Christ, la délivrance par le Christ, les merveilles qui sont l’œuvre du Christ. L’homme a voulu être comme Dieu, et s’éloigner de Dieu, tandis qu’il ne peut être comme Dieu qu’en demeurant en lui. La défense de toucher à l’arbre de la science du bien et du mal était le moyen de maintenir l’homme dans une soumission qu’il voulut secouer, et en dehors de Dieu qui est le bien, il ne trouva qu’une profonde misère. Il ne revient à Dieu qu’en disant : « Qui est semblable à Dieu ? » Le Christ alors nous tire de l’abîme, une première fois en ressuscitant dans cette chair qu’il tient de nous ; une seconde fois, en nous donnant l’espérance de la résurrection ; une troisième fois, quand nous ressusciterons réellement. Chantons, et des lèvres et du cœur, sa justice qui se multiplie. Bénissons-le avec l’Église jusqu’à la fin des temps.


1. Hier nous avons démontré à votre charité que ce psaume nous prêche la grâce de Dieu, qui nous sauve gratuitement, sans que nous ayons auparavant mérité autre chose que la damnation ; mais comme nous ne pouvions l’expliquer entièrement hier, nous avons réservé pour aujourd’hui la seconde partie, vous promettant d’acquitter notre dette avec le secours de Dieu. Et maintenant qu’il nous faut l’acquitter, soyez attentifs et ouvre ; vos cœurs comme des champs fertiles qui rendent la semence au centuple, et ne sont point rebelles à la céleste rosée. Nous avons parlé hier du titre du psaume, et toutefois pour le rappeler à votre mémoire et le faire connaître à ceux qui étaient absents hier, nous en disons rapidement un mot, que doivent se rappeler ceux qui ont entendu, et écouter ceux qui ne le savent point. Ce psaume est pour les enfants de Jonadab, nom qui signifie volontaire de Dieu, et nous enseigne qu’il faut servir Dieu avec une volonté spontanée, c’est-à-dire une volonté bonne, pure, sincère et parfaite, et non avec déguisement : c’est ce qu’indiquent encore ces paroles d’un autre psaume : « Je vous offrirai des sacrifices volontaires[1061] ». C’est donc pour les fils de Jonadab, ou pour les fils de l’obéissance, que l’on chante ce psaume, et pour ceux qui les premiers furent conduits en captivité, afin que nous reconnaissions aussi notre gémissement, et qu’à chaque jour suffise sa malice[1062]. Si l’orgueil nous a éloignés de Dieu, que la fatigue nous ramène à lui. Et comme nous ne pouvons retourner à lui que par la grâce, cette grâce nous est donnée gratuitement ; car si elle n’était gratuite, elle ne serait plus une grâce. Or, si elle est grâce, parce qu’elle est gratuite, nul mérite en vous ne l’a précédée, pour vous la faire accorder. Car si vos bonnes œuvres l’avaient précédée, ce serait une récompense, et non un don gratuit : or, le salaire que nous méritions, c’est l’enfer, Notre délivrance n’est donc point due à nos mérites, mais bien à la grâce de Dieu. Bénissons-le donc, et reconnaissons que nous lui sommes redevables de tout ce qui est en nous, et de notre salut. C’est ainsi que le Prophète conclut tout ce qu’il a déjà dit : « Seigneur, je me souviendrai uniquement de « votre justice[1063] ». C’est là que nous avons terminé hier notre instruction. Ces premiers captifs sont donc ceux qui appartiennent au premier homme : car c’est à cause du premier homme, en qui nous mourons tous, que nous sommes captifs. « En effet, ce n’est point l’homme spirituel qui fut formé le premier, mais bien l’homme animal d’abord, ensuite l’homme spirituel[1064] ». Le premier homme a donc l’ait les premiers captifs, et le second homme les seconds rachetés. Car ce nom de rachetés dit hautement que nous étions captifs. D’où nous eût-on rachetés, si auparavant nous n’eussions été en servitude ? Pour exprimer plus clairement cette captivité que nous insinuait l’épître de saint Paul, nous avons emprunté ses paroles, afin de la prêcher en répétant avec lui : « Je vois dans mes membres une loi qui résiste à la loi de mon esprit, et qui me rend captif sous la loi du péché qui règne dans mes membres[1065] ». Telle est notre première captivité qui fait conspirer la chair contre l’esprit[1066]. C’est là le châtiment du péché, de diviser contre lui-même l’homme qui n’a pas voulu avoir un seul maître. Car rien n’est aussi avantageux pour l’âme que l’obéissance. Et si cet assujettissement est si avantageux à l’âme, dans un serviteur pour obéir à son maître, dans un fils pour obéir à son père, dans une Épouse pour obéir à son mari ; combien le sera-t-il plus dans l’homme pour obéir à Dieu ? Adam fit l’expérience du mal, et tout homme est Adam, de même que tout homme est Christ en ceux qui croient, parce que tous sont membres du Christ : Adam fit donc l’expérience du mal, qu’il n’eût jamais ressenti s’il fût demeuré fidèle à cette parole : « N’y touche point[1067] ». Après cette expérience du mal, qu’il obéisse au médecin qui veut le relever, lui qui n’a point voulu croire au médecin pour n’être point malade. Car un bon, un fidèle médecin donne à ceux qui sont en santé le moyen de ne point leur devenir nécessaire. Car ce n’est point l’homme en santé, mais bien le malade qui a besoin du médecin[1068]. Or, un médecin habile qui vous aime assez pour ne point chercher à vendre son art, qui a plus de joie de vous voir en santé que de vous voir malade, donne aux hommes qui se portent bien des conseils qu’ils doivent observer pour ne point tomber malades. Mais qu’on néglige Ces conseils, et qu’on arrive à la maladie, on a recours au médecin. On invoque, sous l’empire du mal, celui que l’on méprisait en santé. Qu’on le supplie du moins, et que dans le délire de la fièvre on ne s’emporte pas jusqu’à le frapper. Vous avez entendu tout à l’heure, dans la lecture de l’Évangile, une parabole contre ces frénétiques. Étaient-ils sains d’esprit ceux qui disaient : « Voici l’héritier, venez, tuons-le, et l’héritage sera pour nous[1069] ? » Assurément non : car après avoir tué le fils, ils eussent tué le père ; est-ce là de la sagesse ? Enfin les voilà qui ont tué le fils : mais le fils est ressuscité, et la pierre qu’ont repoussée ceux qui bâtissaient, est devenue la pierre angulaire[1070]. Ils se sont heurtés contre elle, et se sont meurtris ; elle tombera sur eux pour les écraser. Mais il n’en est pasde même de celui qui chante dans notre psaume, et qui dit : « J’entrerai dans la puissance du Seigneur » : non pas dans la mienne ; mais dans celle « du Seigneur ». « Seigneur, je me souviendrai uniquement de votre justice ». Je ne reconnais en moi aucune justice, je me souviendrai uniquement de la vôtre. C’est de vous que je tiens tout le bien qui est en moi ; et tout le mal qui est en moi vient de moi. Au lieu du supplice que je méritais, vous m’avez donné la grâce que je ne méritais point. C’est donc uniquement de votre justice que je veux me souvenir.
2. « O Dieu, vous m’avez instruit dès ma jeunesse[1071] ». Que m’avez-vous enseigné ? Que je dois me souvenir uniquement de votre justice. Si je considère en effet ma vie passée, je comprends ce que je méritais, et ce qui m’a été accordé au lieu de ce que je méritais. Je méritais la peine, j’ai reçu la grâce ; je méritais l’enfer, j’ai reçu la vie éternelle. « O Dieu, vous m’avez instruit dès ma jeunesse ». À la première lueur de cette foi qui m’a renouvelé, vous m’avez appris qu’il n’y avait en moi rien qui pût me faire croire que vos dons étaient mérités. Qui peut se tourner vers Dieu, s’il n’est dans l’iniquité ? Qui est racheté, sinon le captif ? Qui peut dire que sa captivité était injuste, quand il a quitté son général pour suivre un déserteur ? C’est Dieu qui est le général, et le déserteur, c’est le diable : le général a intimé un ordre, le déserteur a insinué la révolte[1072] ; est-ce an commandement ou à la fourberie que tu as prêté l’oreille ? Le diable te paraît-il préférable à Dieu ? Celui qui fait défaut, à celui qui t’a créé ? Tu as cru à la promesse du diable, et tu as rencontré la menace de Dieu. Maintenant donc, délivré de sa servitude, heureux en espérance, mais pas encore en réalité, marchant dans la foi, et non dans la claire vue, notre interlocuteur s’écrie : « O Dieu, vous m’avez instruit dès ma jeunesse ». Depuis que je me suis tourné vers vous, que vous avez renouvelé en moi ce que vous aviez fait, créé de nouveau ce que vous aviez créé, réformé ce que vous aviez formé ; depuis que je me suis tourné vers vous, j’ai compris qu’il n’y avait d’abord en moi aucun mérite, mais que votre grâce m’a été donnée gratuitement, afin que je me souvinsse uniquement de votre justice.
3. Mais après la jeunesse ? Car « vous m’avez instruit », dit le Prophète, « dès mes jeunes années » ; qu’est-il arrivé après la jeunesse ? Dès l’abord de ta conversion, tu as compris qu’avant ton retour à Dieu, il n’y avait rien de juste en toi, et que l’iniquité a précédé tout d’abord, afin que, à l’iniquité une fois bannie, pût succéder la charité ; ayant revêtu l’homme nouveau, seulement par l’espérance, et pas encore dans la réalité, tu as compris qu’en toi nul bien n’avait précédé, que la grâce de Dieu t’a seule tourné vers Dieu. Mais depuis ta conversion, as-tu du moins quelque mérite qui t’appartienne, et dois-tu compter sur tes forces ? Les hommes disent quelquefois : Laissez maintenant, j’avais besoin d’être mis sur le bon chemin ; il suffit, je suivrai ma route. Le guide qui t’a montré le chemin reprend : Ne veux-tu point que je te conduise ? Mais toi, dans ta présomption : Non, non, c’est assez, je suivrai ma route. On te laisse, et ton ignorance t’égare de nouveau. Il eût été bien pour toi qu’il te conduisît toujours, celui qui t’avait mis d’abord sur la voie. S’il ne le fait, tu vas t’égarer encore ; dis-lui donc : « Seigneur, conduisez-moi dans voire voie, et je marcherai dans votre vérité[1073] ». Mais prendre une voie nouvelle, c’est la jeunesse pour toi ; c’est un renouvellement, le commencement de la foi. Car auparavant tu errais dans tes propres voies, tu t’égarais dans les sentiers âpres et épineux ; meurtri dans tous tes membres, tu cherchais ta patrie, ou cette stabilité d’esprit qui te fît dire : C’est bien, et le fît dire avec une pleine confiance, libre de toute épreuve, et enfin de toute captivité ; or, c’est là ce que tu ne trouvais point. Que dirai-je ? Qu’un guide est venu te montrer la voie ? C’est la voie elle-même qui est venue vers toi, et tu as été remis dans cette voie, sans que tu l’aies aucunement mérité, puisque tu étais dans l’erreur. Mais depuis que tu y marches, es-tu ton propre guide Celui qui t’a enseigné la voie t’a-t-il délaissé ? Non, dit le Psalmiste, « Vous m’avez enseigné dès ma jeunesse ; et jusqu’à ce jour, je publierai vos merveilles ». Car il y a du merveilleux dans ce que vous faites pour moi, pour me diriger et me mettre sur la route ; et ce sont là vos merveilles. Quelles sont, crois-tu, les merveilles de Dieu ? et de toutes ces merveilles, qu’y a-t-il de plus admirable que de ressusciter les morts ? Mais suis-le donc un mort, diras-tu ? Si tu étais mort, on ne te dirait point : « Lève-toi, ô toi o qui dors, sors d’entre les morts, et le Christ « t’illuminera[1074] ». Tous les infidèles sont morts, comme tous les pécheurs, ils ont la vie corporelle, mais l’âme est morte. Or, rendre la vie à celui dont le corps est mort, c’est le mettre en état de voir encore cette lumière, et de respirer l’air ; mais ce n’est pas être pour lui l’air et la lumière ; il commence à revoir ce qu’il voyait auparavant. Ce n’est pas ainsi que l’on ressuscite une âme. Dieu seul ressuscite une âme, comme il est vrai de dire que seul il rend la vie au corps ; mais pour Dieu, ressusciter un corps, c’est le rendre au monde ; tandis que ressusciter une âme, c’est la ramener à lui-même. Supprimez l’air de ce monde, et le corps meurt aussitôt ; que Dieu se retire, et notre âme est morte. Pour Dieu, ressusciter une âme, c’est la mettre en lui-même ; en dehors de lui, elle meurt de nouveau. Or, il ne la ressuscite point pour l’abandonner à elle-même, comme il ressuscita Lazare, mort depuis quatre jours, et rendu à la vie du corps par la présence corporelle du Sauveur. Il approcha son corps du sépulcre et cria : « Lazare, sortez, dehors » : Lazare se leva et sortit du sépulcre, tout lié qu’il était, puis on le délia et il s’en alla[1075]. La présence du Seigneur le rendit à la vie, mais il vécut en l’absence du Seigneur. Et toutefois, en le ressuscitant par sa présence corporelle et visible, il le ressuscita encore par cette invisible majesté dont aucun lieu n’est privé. Or, bien que le Seigneur fût présent, d’une manière visible, pour ressusciter Lazare ; quand le Seigneur s’éloigna de celte ville ou de ce lieu, Lazare cessa-t-il de vivre ? Ce n’est pas ainsi que notre âme revient à la vie. Dieu la ressuscite, et voilà qu’elle meurt de nouveau, si Dieu l’abandonne. Je vais vous dire une chose hardie, et vraie néanmoins : nous avons deux vies, la vie de l’âme et la vie du corps, De même que l’âme est la vie du corps, ainsi Dieu est la vie de cette âme ; et comme le corps meurt quand il perd son âme, l’esprit meurt quand il perd son Dieu. C’est donc une grâce de la part de Dieu de nous ressusciter et de demeurer avec nous. Aussi, parce qu’il nous délivre de notre mort, et qu’il renouvelle en quelque sorte notre vie, nous lui disons : « O Dieu, vous m’avez instruit dès mes jeunes années ». Et parce qu’il ne s’éloigne point de ceux qu’il ressuscite, de peur que son éloignement ne leur donne la mort, nous lui disons : « Et jusqu’à présent j’annoncerai vos merveilles », car je ne vis qu’en union avec vous ; c’est vous qui êtes la vie de mon âme ; elle meurt si vous l’abandonnez à elle-même. « C’est donc jusqu’à présent », c’est-à-dire, tandis que ma vie, ou plutôt mon Dieu est en moi. Mais après ?
4. « Et jusqu’à ma vieillesse, et mes derniers jours[1076] ». Voilà deux expressions pour désigner la vieillesse, et dont le sens est distinct du grec. L’âge mûr qui succède à la jeunesse, a chez les Grecs un nom particulier, et il en est un autre pour la vieillesse qui vient après l’âge mûr : on appelle presbutes, l’homme de l’âge mûr, et geronle vieillard. Mais comme ces deux noms sont confondus en latin, on a désigné la vieillesse par deux expressions, vieillesse et derniers jours ; vous savez que ce sont là deux âges différents. « Vous m’avez instruit de votre grâce, dès u ma jeunesse ; et jusqu’à présent », après ma jeunesse, « j’annoncerai vos merveilles », car vous êtes avec moi pour me garantir de la mort, vous qui êtes venu me ressusciter : « Et jusqu’à ma vieillesse, et le déclin de ma vie » ; c’est-à-dire, jusqu’à mon dernier moment, si vous n’êtes avec moi, je n’aurai aucun mérite ; que votre grâce demeure donc en moi. Ainsi parlerait un homme seul, toi, lui ou moi ; mais comme c’est la parole d’un noble interlocuteur, c’est-à-dire de l’unité même, c’est la parole de l’Église ; cherchons la jeunesse de l’Église. À son avènement, le Christ est crucifié, il meurt, il ressuscite, il appelle les nations, les voilà qui se convertissent, de généreux martyrs se présentent pour le Christ, le sang des fidèles est répandu, voilà que s’élève dans l’Église une abondante moisson : c’est sa jeunesse. Mais, à mesure que le temps marche, que l’Église confesse toujours et dise : « Jusqu’à ce jour j’annoncerai vos merveilles ». Non seulement dans ma jeunesse, alors que Paul et Pierre, que les premiers Apôtres les annonçaient ; mais dans le cours des âges, moi ou plutôt l’unité des membres qui composent votre corps, « j’annoncerai vos merveilles ». Et après ? « Jusque dans la vieillesse et mes derniers jours, je publierai vos merveilles » ; car l’Église sera ici-bas jusqu’à la fin des temps. Eh ! Si elle ne devait subsister ici-bas jusqu’à la fin des siècles, à qui le Seigneur aurait-il dit : « Je suis avec vous, jusqu’à la consommation des temps[1077] ? » Pourquoi fallait-il nous tenir ce langage dans les saintes Écritures ? C’est qu’on devait rencontrer des ennemis de la foi chrétienne qui diraient : Les chrétiens ne sont que pour un instant, ils disparaîtront, le culte des idoles reviendra, tout sera rétabli comme auparavant[1078]. Combien de temps subsisteront les chrétiens ? « Jusqu’à la vieillesse, et les dernières années » ; c’est-à-dire jusqu’à la fin des siècles. Et toi, misérable infidèle, tu attends que le Christianisme passe, et tu passeras sans être chrétien : tandis que les chrétiens doivent demeurer jusqu’à la fin des temps ; et toi, dans ton infidélité, à la fin d’une vie si courte, de quel front te présenteras-tu devant un juge que tu auras blasphémé pendant ton existence ? Donc, « depuis ma jeunesse jusqu’aujourd’hui, et jusqu’à ma vieillesse et mes derniers jours, Seigneur, ne m’abandonnez pas ». Et cela ne sera point pour un temps, comme le disent nos ennemis. « Ne m’abandonnez point, que je n’aie publié votre puissance devant toute génération à venir ». À qui le bras du Seigneur a-t-il été montré[1079] ? Le bras du Seigneur, c’est le Christ. Ne m’abandonnez donc point : qu’ils ne soient point dans la joie, ceux qui disent : Les chrétiens ne sont que pour un temps. Qu’il y ait toujours des hommes pour annoncer votre bras. À qui ? « A toutes les races futures ». Si donc c’est à toutes les races futures, c’est jusqu’à la fin des siècles ; car à la fin du monde, il n’y aura plus de génération à venir.
5. « Je publierai votre puissance et votre justice[1080] ». C’est là montrer votre bras à toutes les générations à venir. Et quelle est l’œuvre de votre bras ? notre délivrance gratuite. Voilà ce que je dois publier, votre grâce à toute génération à venir ; je dirai à tout homme qui doit naître : Tu n’es rien par toi-même, invoque le Seigneur ; le péché vient de toi, le mérite vient de Dieu : ce qui t’est dû, c’est le châtiment, et si tu reçois une récompense, Dieu couronnera ses dons, et non pas tes mérites. Je dirai à toute génération à venir : Tu es venu de la captivité, tu appartenais à Adam. À toute génération à venir, je montrerai non mes forces, non ma justice, mais « votre puissance et votre justice, ô Dieu, jusqu’aux plus hautes merveilles qui sont votre ouvrage ». Jusqu’à quel point « votre justice et votre puissance ? » jusqu’à la chair et au sang ? Bien plus « jusqu’aux merveilles les plus élevées qui sont votre ouvrage ». Les cieux sont en haut, les Anges sont en haut, ainsi que les Trônes, les Dominations, les Principautés, les Puissances ; ils vous doivent ce qu’ils sont, ils vous doivent la vie, et surtout la vie de justice, et la vie heureuse. Jusqu’où donc « publierai-je votre justice et votre puissance ? » « Jusqu’aux plus hautes merveilles qui sont votre ouvrage ». Ne croyez pas que l’homme seul ait part à la grâce de Dieu. Qu’était l’ange avant d’être créé ? Que serait-il s’il était délaissé de son Créateur ? Donc « je publierai votre justice et votre puissance, jusqu’aux plus hautes merveilles qui sont votre ouvrage ».
6. Toutefois l’homme se glorifie : et pour être de la première captivité, il écoute la suggestion du serpent : « Goûtez, et vous serez comme des dieux[1081] ». Des hommes comme des dieux ! « O Dieu, qui est semblable à vous ? » Rien, ni dans l’abîme, ni dans l’enfer, ni sur la terre, ni dans les cieux ; car c’est vous qui avez tout créé. Comment l’œuvre entre-t-elle en lice avec l’ouvrier ? « O Dieu, qui est semblable à vous ? » Pour moi, dit ce misérable Adam, et tout homme est en Adam, lorsque, cédant à la perversité, je veux être semblable à vous, je me vois réduit à en appeler à vous, de ma triste captivité ; heureux jadis sous un roi plein de bonté, je suis devenu l’esclave de mon séducteur ; et maintenant je crie vers vous, parce que je suis tombé en me séparant de vous. Et pourquoi suis-je tombé loin devons ? Parce que j’ai cédé à la malice, et voulu être semblable à vous. Quoi donc ? N’est-ce pas à devenir semblable à lui, que le Seigneur nous appelle ? N’est-ce point lui qui nous dit : « Aimez vos ennemis ; priez pour ceux qui vous persécutent : faites du bien à ceux qui vous haïssent ? » C’est là nous inviter à lui devenir semblables. Et puis, que dit-il ensuite ? « Afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux ». Or, que fait ce Père ? Le voici assurément : « Il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes[1082] ». Donc vouloir du bien à ses ennemis, c’est ressembler à Dieu ; et ce n’est point là de l’orgueil, mais de l’obéissance. Pourquoi ? Parce que nous sommes faits à l’image de Dieu. « Faisons l’homme », dit-il, « à notre image et à notre ressemblance[1083] ». Il n’y a donc point usurpation à garder, en nous l’image de Dieu, et puissions-nous ne point la perdre par notre orgueil. Mais qu’est-ce que cette prétention orgueilleuse d’être semblable à Dieu ? Quel motif, pensez-vous, fait dire à cette âme captive : « Seigneur, qui est semblable à vous ? » Quelle malice y a-t-il dans cette ressemblance ? Écoutez et comprenez, si vous le pouvez ; nous espérons que celui qui nous met lui-même ces paroles dans la bouche, nous donnera aussi le pouvoir de les comprendre. Dieu n’a besoin d’aucun bien, il est le bien suprême, et tout bien vient de lui. Pour être bons, nous avons besoin de Dieu ; mais lui, pour être bon, n’a nul besoin de nous, et non seulement de nous, mais pas même « de ces merveilles si hautes qui sont son ouvrage » ; il n’a besoin ni des esprits célestes, ni des esprits supérieurs encore, ni de ce que l’on nomme le ciel des cieux, pour être supérieur en bonté, en puissance, en félicité. Que serait tout ce qui n’est point lui, si lui-même ne l’eût créé ? Quel besoin peut avoir de toi celui qui était avant toi, et qui est si puissant, qu’il t’a créé lorsque tu n’étais pas ? Mais cette œuvre, est-ce l’œuvre des parents à l’égard des enfants ? Cette génération est plutôt l’œuvre d’une convoitise charnelle, qu’une création : Dieu crée alors qu’ils engendrent. Mais si tu crées aussi bien que Dieu, dis-moi ce que ta femme doit mettre au monde. Pourquoi te demander de me le dire ? Que ta femme le dise, elle qui ne sait ce qu’elle porte. Et toutefois les hommes engendrent des fils, pour être la consolation et le soutien de leur vieillesse. Or, Dieu n’a-t-il créé tout ce qui existe que pour avoir un soutien dans ses vieux jours ? Dieu connaît ce qu’il crée, et ses desseins de bonté sur sa créature, et ce qu’elle deviendra par sa propre volonté : Dieu connaît tout cela, et le coordonne avec sagesse, Mais l’homme, pour être quelque chose, se tourne vers celui qui l’a créé. Pour lui, s’en éloigner, c’est se glacer ; s’en rapprocher, c’est se réchauffer ; s’en éloigner, c’est la nuit ; s’en rapprocher, c’est la lumière. Celui qui lui a donné l’être lui donne encore le bien-être. Enfin ce fils le plus jeune qui voulut avoir en main la part de cet héritage que son père lui gardait si avantageusement, devint maître de lui-même et s’en alla dans un pays éloigné, où il servit un maître méchant et garda les pourceaux. Mais la faim corrigea cet orgueilleux, que l’abondance avait éloigné[1084]. Donc tout homme qui aspire à être semblable à Dieu, qui veut se tenir auprès de lui, qui lui garde toute sa force[1085], comme a dit le Prophète, ne doit point s’en éloigner ; qu’il s’attache à lui, afin d’en recevoir l’empreinte, comme la cire reçoit l’empreinte d’un anneau ; qu’en s’attachant à lui, il en reçoive l’image, et dise avec le Prophète : « Il m’est bon de m’attacher à Dieu[1086] », alors il gardera cette image, cette ressemblance à laquelle il a été fait. Mais si vouloir imiter Dieu n’est qu’un acte pervers, et de même que Dieu n’a besoin de personne pour le gouverner et le conduire, si l’homme veut user de sa puissance pour se diriger et se conduire comme Dieu, sans aucune main étrangère, que lui restera-t-il alors, mes frères, sinon de languir loin de ce feu divin, de s’évanouir loin de cette vérité, de changer toujours et d’aboutir au néant, loin de celui qui est souverainement, qui est immuable ?
7. Voilà ce qu’a fait le diable : il a voulu imiter Dieu, mais d’une manière criminelle. Loin d’être soumis à la puissance divine, il a voulu une puissance à l’encontre de Dieu même. Quant à l’homme, il entendit le Seigneur Dieu qui lui intimait ce précepte « Ne touchez point[1087] ». À quoi ? À cet arbre. Et qu’était-ce que cet arbre ? S’il est bon pourquoi n’y pas toucher ? S’il est mauvais, que fait-il dans le paradis ? C’est au contraire parce qu’il est un bon arbre qu’il est dans le paradis : mais je te défends d’y toucher. Pourquoi n’y pas toucher ? Parce que je veux ton obéissance et non tes contradictions. Voilà ton service, ô serviteur ; mais ne sers point d’une manière perverse. Serviteur, écoute avant tout l’ordre du Maître, et tu comprendras le sens du précepte. Cet arbre est bon, et je te défends d’y toucher. Pourquoi ? Parce que je suis maître, et toi serviteur. C’est là toute la raison. Te paraît-elle faible, et dédaignerais-tu de me servir ? Quel est ton avantage, sinon d’être soumis à ton maître ? Or, s’il est avantageux pour toi d’être sous un maître, et d’obéir, que devait-il te commander ? Pouvait-il exiger quelque chose de toi ? Devait-il te dire : Offre-moi un sacrifice ? N’a-t-il pas fait toutes les créatures, et toi-même entre ces créatures ? Devait-il te dire : Sois à mon service, ou près de ma couche, quand je prends mon repos, ou à table quand je répare mes forces, ou dans le bain quand je me lave ? Eh quoi ! parce que Dieu n’avait nul besoin de tes services, ne devait-il rien te commander ? Mais s’il fallait t’intimer un ordre, afin de te faire sentir, pour ton avantage, que tu es sous la dépendance d’un maître, il devait faire quelque défense, non pas que l’arbre fût mauvais, mais parce que tu avais besoin d’obéir. Or, le Seigneur ne pouvait te faire mieux sentir l’avantage de l’obéissance, qu’en prohibant pour toi ce qui n’était point mauvais. Il n’y a que l’obéissance qu’on puisse rémunérer, il n’y a que la désobéissance que l’on châtie. L’arbre est bon, mais je te défends d’y toucher. Tu ne mourras point, si tu n’y touches point. Interdire cet arbre, était-ce donc interdire tous les autres ? Le jardin n’est-il pas plein d’arbres fruitiers ? Te manquerait-il quelque chose ? Je t’interdis celui-là, je te défends d’en goûter. Il est bon, mais l’obéissance est meilleure encore. Si tu viens à y toucher, cet arbre deviendra-t-il un poison, qui te fera mourir ? Non : mais toucher au fruit défendu est une désobéissance qui t’assujettit à la mort. Aussi cet arbre est-il appelé l’arbre de la science du bien et du mal[1088], non que ses fruits la pussent donner ; mais peu importe la nature de l’arbre, et la nature de ses fruits, il était ainsi appelé parce que l’homme qui ne voudrait point faire le discernement du bien et du mal, d’après le précepte de Dieu, le devait faire par sa propre expérience, et n’enfreindre la défense que pour trouver la mort. Mais d’où vient, mes frères, qu’Adam y toucha ? Que lui manquait-il ? Oui, dites-le-moi, que lui manquait-il dans le paradis, au milieu de ces richesses, au milieu des délices, alors que ses délices étaient de voir la face de Dieu, cette face qu’il craignait après le péché comme la face d’un ennemi ? Que lui manquait-il pour toucher à cet arbre ? N’est-ce pas qu’il voulut user de sa puissance, et mit son bonheur à violer une défense, afin de n’être sous aucune domination, et d’être comme Dieu, puisque Dieu n’a aucun maître ? Funeste liberté ! criminelle présomption ! Le voilà qui mourra parce qu’il s’est éloigné de la justice ! Voilà qu’il a violé le précepte, qu’il a secoué de ses épaules le joug de la discipline, et brisé dans sa fureur le frein qui le dirigeait ; où est-il maintenant ? Le voici captif, et il s’écrie ; « Seigneur, qui est semblable à vous ? » J’ai voulu follement devenir semblable à vous, et me voilà semblable aux bêtes. Sous votre empire, assujetti à vos lois, j’étais véritablement semblable à vous : mais l’homme était en honneur, et il ne l’a pas compris, il s’est comparé aux animaux sans raison, et leur est devenu semblable Dans cette malheureuse ressemblance avec l’animal, crie donc enfin, et dis au Seigneur : « O Dieu, qui est semblable à vous ? »
8. « Que d’angoisses, et nombreuses et accablantes, vous m’avez fait éprouver[1089] ! » Tout cela est bien juste, esclave orgueilleux ; car tu as voulu, dans ton insolence, être semblable à ton Seigneur, toi qui étais fait à son image. Et tu voudrais trouver le bonheur en t’éloignant du bien suprême ? Dieu te dit alors : Si tu trouves la félicité en t’éloignant de moi, je ne suis pas le bien pour toi. Mais si Dieu est bon, souverainement bon, d’une bonté qui lui soit propre et ne lui vienne point d’ailleurs ; s’il est pour nous le souverain bien, que serais-tu loin de lui, sinon mauvais ? Et s’il est notre bonheur, que peux-tu espérer en t’éloignant de lui, sinon le malheur ? Reviens donc, instruit par le malheur, et dis : « Seigneur, qui est semblable à vous ? Que d’angoisses, et nombreuses et accablantes, m’avez-vous fait éprouver ! »
9. Toutefois ce n’était point un abandon, mais bien un châtiment, une épreuve. Écoutons cette action de grâce du Prophète : « Vous êtes revenu, et vous m’avez rendu à la vie et retiré une seconde fois des entrailles de la terre[1090] ». Quelle fut donc la première fois ? Pourquoi « une seconde fois ? » O homme, tu es tombé de bien haut, esclave rebelle, orgueilleux contre Dieu, tu es tombé de bien haut ! Cette parole s’est accomplie en toi : « Quiconque s’élève sera humilié » ; que cette autre s’accomplisse de même : « Quiconque s’abaisse sera élevé[1091] ». Sors enfin de l’abîme. Me voici, dit-il, je reviens et je le reconnais : « O Dieu, qui est semblable à vous ? Quelles tribulations, et nombreuses et accablantes, vous m’avez fait éprouver ! Mais vous êtes revenu, vous m’avez rendu à la vie, et m’avez une seconde fois retiré des entrailles de la terre ». Je comprends. Vous m’avez retiré des abîmes de la terre : vous m’avez retiré des profondeurs et de l’abîme du péché. Mais comment une seconde fois ? » Quelle fut la première ? Voyons la suite du psaume. Elle vous expliquera peut-être ce que nous ne comprenons pas encore, ce que signifie « une seconde fois ». Écoutons donc. « Combien d’angoisses, et nombreuses et accablantes, m’avez-vous fait éprouver ! Et vous êtes revenu, et m’avez rendu à la vie, vous m’avez retiré une seconde fois des entrailles de la terre[1092] ». Mais ensuite ? « Vous avez multiplié votre justice, vous vous êtes tourné vers moi pour me consoler, et me retirer de nouveau des entrailles de la terre » Voici encore une fois « de nouveau ». S’il nous paraissait difficile d’en préciser le sens une première fois, que sera-ce maintenant qu’il est répété ? « De nouveau », signifie d’abord deux fois, et le voici encore une fois. Puisse m’aider celui de qui vient la grâce ; puisse m’aider ce bras que nous annonçons à toute créature à venir ; puisse-t-il m’aider lui-même, et que sa croix soit une clef qui m’ouvre ce mystère sacré. Ce n’est pas sans raison en effet qu’à sa mon sur la croix, le voile du temple[1093] fut déchiré en deux parties, parce que la passion de Jésus-Christ mettait à découvert les mystères les plus cachés. Puisse-t-il assister ceux qui retournent à lui ; que le voile soit enlevé[1094] ; et que Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur nous dise pourquoi le Prophète parle ainsi : « Vous m’avez fait éprouver des peines sans nombre et accablantes ; et revenant à nous, vous nous avez vivifié, et retiré de nouveau des entrailles de la terre ». Voilà une première fois « de nouveau ». Cherchons ce qu’il signifie et nous trouverons pourquoi il est répété une seconde fois.
10. Qu’est-ce que le Christ ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu, et le Verbe était en Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par lui, et rien n’a été fait sans lui ». Prodigieuse élévation ! Incommensurable élévation ! Et toi captif, où es-tu ? Dans la chair, dans la mort. Qui est donc ce Verbe ? Et toi qui es-tu ? Qu’a fait ensuite ce Verbe ? Et pour qui ? Qui est-il, sinon le Verbe, comme on l’appelle ? Quel Verbe ? Est-ce une parole qui résonne et qui passe ? C’est le Verbe qui est Dieu et en Dieu, le Verbe par qui tout a été fait. Qu’est-il pour toi ? « Le Verbe qui s’est fait chair, pour habiter parmi nous[1095]. Celui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous, que ne nous donnera-t-il pas avec lui[1096] ? » Voilà ce qu’il est, ce qu’il devient, et pour qui. Le Fils de Dieu prend une chair à cause du pécheur, de l’homme inique, du déserteur, de l’orgueilleux, de ce misérable qui voulait être semblable à son Dieu. Il est devenu ce que tu es, ô fils de l’homme, afin que nous devinssions fils de Dieu. Il s’est fait chair ; d’où est venue cette chair ? De la vierge Marie[1097]. D’où venait la vierge Marie ? D’Adam. C’était donc de ce premier captif, et la chair du Christ venait de cette masse de servitude. À quoi bon ? Pour te servir de modèle. Il à pris en toi le moyen de mourir pour toi ; il a pris en toi de quoi offrir pour toi, afin de t’instruire par son exemple. Que devait-il t’apprendre ? Que tu dois ressusciter. Comment pourrais-tu le croire, si tu ne voyais la résurrection dans une chair tirée de la masse de ta mortalité ? C’est donc en lui que nous sommes ressuscités tout d’abord, et nous sommes ressuscités, parce que le Christ est ressuscité ; car ce n’est point le Verbe qui est mort, puis ressuscité : mais c’est la chair qui, dans le Verbe, est morte, puis ressuscitée. Le Christ est mort dans cette chair qui doit mourir en toi, et ressuscité dans cette même chair comme tu dois ressusciter. Son exemple t’apprend à ne rien craindre, mais à espérer. Tu redoutais la mort, et le voilà qui meurt ; tu désespérais de ressusciter, le voilà qui ressuscite. Mais, diras-tu, le Christ est ressuscité ; et moi, ressusciterai-je ? Il est ressuscité dans cette chair qu’il a prise de toi et pour toi. C’est donc ta nature qui t’a précédé en lui : c’est ce qu’il tenait de toi qui es monté au ciel avant toi ; tu y es donc monté aussi toi-même. Le Christ y est monté le premier, et nous en lui : parce que sa chair était de nature humaine. Donc, à sa résurrection nous avons été retirés des entrailles de la terre. Alors cette parole : « Vous m’avez retiré des entrailles de la terre », se justifie à la résurrection de Jésus-Christ. Et quand nous avons cru en lui, « il nous a tirés de nouveau des entrailles de la terre ». Voilà encore « de nouveau ». Écoute l’Apôtre qui nous en prêche l’accomplissement : « Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, cherchez ce qui est d’en haut, goûtez ce qui est d’en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu ; goûtez ce qui est du ciel, non ce qui est sur la terre[1098] ». Le Christ est donc ressuscité le premier ; nous aussi nous sommes ressuscités, mais seulement par l’espérance. Écoute le même apôtre saint Paul qui nous dit : « Nous gémissons intérieurement dans l’attente de l’adoption, qui sera la délivrance de notre corps ». Tu es encore dans les gémissements, encore dans l’attente. Qu’as-tu donc reçu du Christ ? Écoute ce qui suit : « Nous sommes sauvés par l’espérance ; or, l’espérance qui verrait, ne serait plus une espérance. Car, comment espérer ce que l’on voit déjà ? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience[1099] ». Ainsi donc, c’est par l’espérance que nous sommes tirés de l’abîme une seconde fois. Pourquoi une « seconde fois ? » Parce que le Christ nous avait déjà précédés ; et comme nous ressusciterons en réalité ; puisque nous vivons dans l’espérance, et que maintenant nous marchons dans la foi ; nous avons été retirés des entrailles de la terre, par la foi en celui qui est ressuscité avant nous des entrailles de la terre ; notre âme est sortie de l’infidélité, de l’incrédulité, Ainsi s’est accomplie en nous une première résurrection par la foi. Mais si elle doit être la seule, que devient cette parole de saint Paul : « Nous attendons l’adoption qui délivrera notre corps ? » et cette autre du même endroit : « Le corps est mort à cause du péché, mais l’esprit vit à cause de la justice ? Or, si l’esprit qui a ressuscité le Christ d’entre les morts, vit en nous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts, vivifiera aussi vos corps mortels à cause de son esprit qui habite en vous[1100] ». Donc, nous sommes déjà ressuscités en esprit par la foi, l’espérance et la charité. Mais il nous reste à ressusciter dans notre corps. Te voilà donc une première fois et une seconde fois tiré des entrailles de la terre. Une première fois, dans le Christ qui nous à précédés ; une seconde fois, en espérance, et cette espérance deviendra une réalité. « Vous avez multiplié votre justice », dans ceux qui ont embrassé la foi, et qui sont ressuscités d’abord en espérance : « Vous avez multiplié votre justice ». Car le châtiment vient de cette justice : « Et le temps est venu », dit saint Pierre, « de commencer le jugement par la maison de Dieu[1101] », ou par les saints. « Or, Dieu châtie tout homme qu’il adopte pour fils[1102] ». Vous avez multiplié votre justice » : puisque vous n’avez pas épargné vos fils eux-mêmes, et que vous ne préservez pas du châtiment ceux à qui vous réservez l’héritage éternel. « Vous avez multiplié votre justice et vous vous êtes retourné pour me consoler » : et comme vous ressusciterez mon corps à la fin des temps, « vous m’avez tiré de la terre encore une fois ».
11. « Pour moi, je chanterai toujours votre vérité sur les instruments du psaume[1103] ». L’instrument du psaume est le psaltérion. Mais qu’est-ce que le psaltérion ? Un instrument de bois avec des cordes. Que signifie-t-il ? Il diffère quelque peu de la harpe : ceux qui le connaissent prétendent qu’il y a cette différence, que dans le psaltérion, ce bois creux auquel sont ajustées ces cordes qui doivent résonner, est à la partie supérieure, tandis qu’il est à la partie inférieure dans la harpe. Et comme l’esprit vient du ciel, tandis que la chair vient de la terre, le psaltérion paraît être un instrument céleste, tandis que la harpe serait terrestre. Or, comme le Prophète avait parlé de nous tirer deux fois des entrailles de la terre, une fois selon l’esprit et par l’espérance, une seconde fois, d’une manière corporelle et en réalité ; écoutez ces deux résurrections : « Pour moi, je chanterai, en votre honneur, votre vérité sur l’instrument du psaume ». Voilà pour l’esprit : et que sera-ce du corps ? « Je vous chanterai sur la harpe, ô saint d’Israël ».
12. Écoutez encore cette résurrection, une première fois et une seconde fois. « Mes lèvres tressailliront quand je chanterai votre gloire[1104] ». Comme les lèvres peuvent se dire de l’homme intérieur aussi bien que de l’homme extérieur, et que le sens qu’elles ont ici peut être incertain ; le Prophète ajoute : « Ainsi que mon âme que vous avez rachetée ». Donc, avec ces lèvres intérieures, sauvés en espérance, retirés des abîmes de la terre par la foi et la charité, et attendant néanmoins la délivrance de notre corps[1105], que disons-nous à Dieu ? Le Prophète a déjà parlé « de notre âme que Dieu a rachetée ». Mais pour ne point nous laisser croire que notre âme seule est rachetée par la délivrance dont il a parlé, « et encore », dit-il. Qu’est-ce à dire encore ? « Mais encore ma langue », c’est bien la langue du corps, « publiera tout le jour votre justice[1106] » ; c’est-à-dire éternellement, à jamais. Mais quand est-ce qu’il en sera ainsi ? À la fin des siècles, lorsque notre corps sera ressuscité et semblable aux anges. Comment savons-nous que c’est de la fin du siècle qu’il est dit : « Et mon âme chantera votre justice pendant tout le jour ? » C’est qu’alors « seront couverts de honte et de confusion ceux qui cherchent à me nuire ». Or, quand seront-ils dans la honte et dans la confusion, sinon à la fin des siècles ? Ils ne peuvent être confondus qu’en deux manières, ou quand ils croiront au Christ, ou quand le Christ viendra les juger. Tant que l’Église, en effet, sera sur la terre, tant que le froment gémit au milieu de la paille, tant que gémissent les épis mêlés à l’ivraie[1107], les vases de miséricorde parmi les vases de colère destinés à l’ignominie[1108], tant que gémit le lys au milieu des épines, il ne manquera pas d’ennemis pour dire : « Quand mourra-t-il ? quand périra sa mémoire et son nom[1109] ? » C’est-à-dire : À bientôt, et il n’y aura plus de chrétiens ; ils ne sont que depuis un temps, et un temps viendra qu’ils disparaîtront. Mais en parlant de la sorte, ces ennemis meurent pour l’éternité et l’Église demeure, montrant le bras de Dieu à toute génération à venir. Mais à la fin des temps le Christ viendra dans sa gloire, et les morts ressusciteront tous, chacun portant ses œuvres : les bons seront séparés et mis à la droite, et les méchants à la gauche[1110] ; et nos insulteurs d’autrefois seront confondus, et nos railleurs couverts de honte ; et c’est ainsi qu’après la résurrection, ma langue publiera votre justice et chantera votre louange pendant tout le jour, pendant que la honte et l’ignominie feront le partage de ceux qui cherchent à me nuire.

  1. Ps. 84,13
  2. Mt. 23,12
  3. Ps. 35,12
  4. Ps. 60,4
  5. Gen. 2,24 ; Eph. 5,31
  6. Col. 1,24
  7. Mt. 23,35
  8. Gen. 38,27
  9. Ps. 86,5
  10. Rom. 11,21
  11. Rom. 9,4-5
  12. Ps. 2,1
  13. Ps. 40,6
  14. Ps. 117,13
  15. Ps. 61,5
  16. Ps. 104,18
  17. Gen. 37-41
  18. Mt. 5,14
  19. Ps. 111,10
  20. Ps. 5,11
  21. Ps. 39,3
  22. Mt. 22,10-14
  23. Ps. 39,6
  24. Phil. 2,21
  25. Mt. 25,34-41
  26. Ps. 86,3
  27. Ps. 136,5
  28. 1 Cor. 15,46
  29. Gen. 4,1-2
  30. Gen. 25,23
  31. Gen. 4,17
  32. Jos. 18,28
  33. Rom. 5,19
  34. 1 Cor. 15,22
  35. Col. 3,9-10
  36. Eph. 5,8
  37. 1 Cor. 10,11
  38. Dan. 3,97
  39. Mt. 23,2-3
  40. Lc. 13,27
  41. Mt. 6,10
  42. Lc. 1,33
  43. Ps. 86,3
  44. 1 Pi. 2,13-18
  45. Ps. 56,2
  46. Mt. 5,41
  47. Ps. 34,12
  48. Ps. 105,20
  49. Isa. 40,6
  50. Exod. 32,20
  51. Jn. 4,7
  52. Jn. 19,28
  53. Mt. 9,17
  54. Ps. 54,20
  55. 2 Sa. 5,6
  56. Psa. 71,11
  57. Mat. 22,14
  58. Mrc. 5,25-31
  59. Mat. 24,12-13
  60. Phi. 3,20
  61. Psa. 61,6
  62. Rom. 8,25
  63. Ps. 61,7
  64. Ps. 38,13
  65. Ps. 61,8
  66. Rom. 4,
  67. Rom. 8,30
  68. Mt. 9,12-13
  69. Rom. 8,24
  70. Mt. 13,43
  71. Eph. 6,12
  72. Ps. 61,9
  73. Ps. 41,4-5
  74. Ps. 54,23
  75. Rom. 1,29-30
  76. Rom. 8,31
  77. Ps. 61,10
  78. Ps. 4,3
  79. Ps. 109,6
  80. Rom. 12,17
  81. Mt. 22,13
  82. Mt. 12,25
  83. Mt. 25,41
  84. Ps. 61,11
  85. Rom. 9,14
  86. 1 Pi. 5,8
  87. 1 Tim. 6,17
  88. Mt. 5,45
  89. 1 Tim. 6,17
  90. Ps. 51,9
  91. Ps. 39,5
  92. Ps. 61,12-13
  93. Héb. 1,1
  94. Mt. 3,17
  95. Ps. 84,9
  96. Sir. 24,6
  97. Jn. 1,3
  98. Jn. 16,12
  99. Col. 2,3
  100. Jn. 3,29
  101. Jn. 8,44
  102. Ps. 74,8
  103. Rom. 9,22-26
  104. Ps. 79,6
  105. 1 Cor. 10,13
  106. Rom. 13,1
  107. Rom. 9,14
  108. Ps. 35,10
  109. Sir. 3,22
  110. Isa. 58,7
  111. Isa. 1,16-18
  112. Ps. 68,5
  113. Col. 2,14-15
  114. Ps. 10,6
  115. Sag. 1,9
  116. Rom. 8,32
  117. Ps. 65,13
  118. 1 Cor. 10,13
  119. Psa. 4,3
  120. Act. 19,19
  121. Luc. 15,32
  122. Rom. 1,3
  123. Lc. 11,7
  124. Col. 1,18
  125. Col. 2,20
  126. Rom. 6,6
  127. Col. 3,1
  128. Ps. 62,1
  129. Mt. 5,6
  130. Ps. 62,2
  131. Eph. 5,14
  132. Ps. 12,4
  133. Ps. 35,9
  134. Lc. 20,36
  135. Jn. 14,6
  136. Jn. 4,14
  137. Gal. 4,9
  138. Jn. 1,3
  139. Jn. 1,30
  140. Ps. 62,4
  141. Ps. 62,5
  142. 1 Tim. 2,8
  143. Jn. 14,6
  144. Mt. 5,45
  145. 2 Cor. 9,7
  146. Ps. 62,7-8
  147. Rom. 13,13
  148. 1 Thes. 5,5-8
  149. Mt. 23,37
  150. Ps. 62,9
  151. Mt. 16,22-23
  152. Ps. 62,10
  153. Rom. 8,35
  154. Jn. 11,48
  155. Mt. 21,43
  156. Ps. 53,11
  157. Lc. 13,32
  158. Jn. 19,15
  159. Ps. 62,12
  160. Apoc. 5,5
  161. Ps. 63,2
  162. Sir. 2,11-12
  163. Ps. 123,3
  164. Mt. 10,28
  165. Lc. 12,5
  166. Ps. 63,3
  167. Phil. 2,6-7
  168. Jn. 10,18
  169. Jn. 10,32
  170. Sag. 2,18-20
  171. Ps. 56,5
  172. Jn. 18,31
  173. Jn. 19,1-5
  174. Mt. 27,24
  175. Lc. 23,21
  176. Jn. 19,14
  177. Mc. 15,25
  178. Jn. 2,25
  179. Mt. 26,14-15
  180. Ps. 63,6
  181. Jn. 19,15
  182. Lc. 23,14-22
  183. Mt. 27,25
  184. Rom. 6,12
  185. 1 Cor. 15,54
  186. Ps. 63,7
  187. Mt. 27,6
  188. Ps. 63,8
  189. Jn. 10,30
  190. Id. 14,28
  191. Phil. 2,6-7
  192. 2 Cor. 13,4
  193. Ps. 86,5
  194. Ps. 63,9
  195. Id. 26,12
  196. Ps. 21,17-18
  197. Mt. 27,40-43
  198. Mt. 27,63-66
  199. Mt. 28,12-13
  200. Act. 2,1-37
  201. Ps. 63,10
  202. Mt. 10,28
  203. Mt. 26,69
  204. Act. 5,27-29
  205. Ps. 44,3
  206. Ps. 53,2-7
  207. Mt. 26,40
  208. Ps. 63,11
  209. Lc. 24,16-46
  210. Jn. 20,25-29
  211. Ps. 72,1-3
  212. Mt. 26,38-39
  213. Mt. 25,34-41
  214. Ps. 64,1
  215. 2 R. 24,14
  216. Jer. 29,10-11
  217. 1 Cor. 10,11
  218. Mt. 21,43
  219. Jn. 11,48
  220. 2 Cor. 5,6
  221. 2 Sa. 5,6 ; Jos. 18,28
  222. Mt. 25,34-41
  223. Ps. 64,2
  224. Phil. 3,20
  225. 2 Cor. 10,3
  226. Eph. 5,19
  227. Sir. 15,9
  228. Ps. 75,12
  229. 1 Cor. 15,51-55
  230. 1 Cor. 15,26
  231. Ps. 50,20-21
  232. Id. 64,3
  233. Jn. 17,2
  234. Act. 2,41
  235. Ps. 64,4
  236. Jer. 16,19
  237. Ps. 140,2
  238. Mt. 27,46
  239. Héb. 6,19-20
  240. Id. 9,7
  241. 2 Cor. 3,6
  242. Id. 15
  243. 2 Cor. 3,16
  244. Id. 17
  245. Rom. 10,4
  246. Jn. 5,46
  247. Mt. 27,51
  248. Ps. 64,5
  249. Jn. 1,1-3
  250. Eph. 4,13
  251. 1 Cor. 11,3
  252. Ps. 1,1
  253. Id. 64,5
  254. Ps. 64,6
  255. Jn. 14,6
  256. Mt. 5,6
  257. Mt. 4,19
  258. Mt. 13,47-50
  259. Ps. 64,7
  260. 2 Cor. 1,9
  261. Ps. 64,8
  262. Ps. 65,6
  263. Id. 64,8
  264. Id. 9
  265. Ps. 64,9
  266. Mt. 16,26
  267. Mt. 10,28
  268. Lc. 21,18
  269. Ps. 64,10
  270. Id. 22,5
  271. Jn. 7,37-38
  272. Ps. 64,11
  273. 1 Cor. 3,1
  274. Id. 2,6
  275. Ps. 65,12
  276. Mt. 13,25-30
  277. Ps. 64,13
  278. Jn. 4,35
  279. Id. 38
  280. Ps. 64,14
  281. Ps. 65,1
  282. Rom. 10,4
  283. Col. 1,18
  284. Deut. 25,5
  285. Mt. 22,28
  286. Id. 23-30 ; Lc. 20,27-36
  287. Rom. 11,23
  288. Ps. 65,2
  289. Ps. 65,2
  290. Mt. 6,1
  291. Id. 5,16
  292. Id. 6,1-2
  293. Ps. 65,2
  294. 1 Cor. 1,26-28
  295. Mt. 9,9
  296. Jn. 1,41-47
  297. Jn. 1,41-47
  298. 1 Cor. 1,27-28
  299. Id. 29
  300. 1 Cor. 1,31
  301. Ps. 65,3
  302. Ps. 2,11
  303. Phil. 2,12-13
  304. Ps. 19,8-9
  305. Jn. 9,39
  306. Jn. 9,40-41
  307. Phil. 2,6-7
  308. Jn. 14,28
  309. Id. 10,30
  310. 1 Cor. 2
  311. Rom. 11,17-20
  312. Id. 23
  313. 1 Cor. 2,8
  314. Rom. 11,17-25
  315. Ps. 65,3
  316. Act. 10,41
  317. Jn. 10,38
  318. Mt. 14,25-29
  319. Exod. 14,21
  320. Mt. 12,39-40
  321. Phil. 3,9-10
  322. 2 Cor. 13,4
  323. Jn. 2,18
  324. Jn. 2,19-21
  325. Mt. 26,61
  326. Ps. 26,12
  327. Gal. 2,20
  328. Rom. 8,32
  329. Mt. 26,15
  330. Jn. 10,18
  331. Mt. 27,40
  332. Jn. 19,34
  333. Mt. 28,13
  334. Ps. 65,4
  335. Id. 5
  336. Phil. 2,6
  337. Rom. 11,25
  338. Ps. 54,6
  339. Id. 142,6
  340. Ps. 109,7
  341. 1 Cor. 13,12
  342. Ps. 65,7
  343. Gen. 3,17
  344. Ps. 65,7
  345. Rom. 3,23
  346. Rom. 5,20
  347. Mt. 23,12
  348. Ps. 65,8
  349. Gen. 12,3
  350. Ps. 65,9
  351. Jn. 14,6
  352. Eph. 5,8
  353. Mt. 10,22
  354. Ps. 65,10
  355. Id. 11
  356. Id. 12
  357. Ps. 65,12
  358. Ps. 18,7
  359. Rom. 12,11
  360. Ps. 65,13
  361. Ps. 65,13
  362. 1 Cor. 15,54
  363. Ps. 54,14
  364. Id. 17,29
  365. Ps. 15,2
  366. Id. 65,14
  367. Id. 15
  368. 1 Cor. 9,9
  369. Lc. 16,9
  370. Mt. 25,42
  371. Ps. 65,18
  372. Sag. 13,9
  373. Ps. 65,17
  374. 1 Cor. 12,2
  375. Jer. 2,27
  376. Mt. 6,9
  377. 1 Pi. 1,18
  378. Ps. 65,18
  379. 1 Cor. 15,33
  380. Lc. 9,62
  381. Phil. 3,13
  382. Rom. 3,22
  383. Ps. 54,19
  384. Id. 20
  385. Id. 16
  386. Lc. 18,1-8
  387. Ps. 102,1 ; Ps. 103,1
  388. Id. 66,2
  389. Jn. 15,1
  390. 1 Cor. 3,9
  391. 1 Cor. 3,6-9
  392. 1 Cor. 15,10
  393. Jn. 15,5.1
  394. Ps. 62,6
  395. Ps. 66,2
  396. Job. 1,21
  397. Prov. 6,6 ; 30,25
  398. Prov. 6,6 ; 30,25
  399. Mt. 5,45
  400. Id. 8
  401. Gen. 1,26
  402. Cant. 1,7
  403. Ps. 17,29
  404. Id. 66,3
  405. Jn. 14,6
  406. 2 Cor. 13,4
  407. Lc. 2,29-30
  408. Ps. 66,4
  409. 2 Cor. 5,17
  410. 1 Cor. 3,1-4
  411. Ps. 95,1
  412. Ps. 66,5
  413. Ps. 94,2
  414. Ps. 53,3
  415. Mt. 6,12
  416. Ps. 66,6
  417. Mt. 3,2
  418. Lc. 7,37-38
  419. Ps. 66,7
  420. Act. 1,4
  421. Act. 4,32
  422. Gen. 1,1-28
  423. Ps. 57,5
  424. Phil. 3,13
  425. Ps. 103,5
  426. Id. 136,9 ; 1 Cor. 10,4
  427. Mt. 6,10
  428. Ps. 67,1
  429. Rom. 10,4
  430. Hilaire, prologue, sur les Ps
  431. Ps. 67,5
  432. Mt. 5,16
  433. Ps. 46,7-8
  434. Lc. 24,41
  435. Act. 1,20
  436. Ps. 67,2
  437. Rom. 9,5
  438. Ps. 138,7
  439. Mt. 26,64
  440. Isa. 5,6
  441. Mt. 25,40
  442. Ps. 67,3
  443. Id. 72,9
  444. Jn. 19,6
  445. Ps. 67,4
  446. Mt. 25,34
  447. Ps. 2,11
  448. Job. 7,1
  449. Ps. 67,5
  450. Isa. 52,7
  451. 1 Cor. 2,8
  452. Ps. 67,5
  453. 2 Cor. 6,10
  454. Rom. 12,12
  455. Ps. 67,6
  456. Mt. 10,34-35
  457. Ps. 26,10
  458. 1 Tim. 5,5
  459. Jn. 12,19
  460. Ps. 67,7
  461. Ps. 4,5
  462. 2 Tim. 2,20
  463. Ps. 67,7
  464. Id. 24,17
  465. Id. 115,17
  466. Sir. 17,26
  467. Prov. 18,3
  468. Lc. 13,1
  469. Jn. 11,43-44
  470. Ps. 67,8
  471. Exod. 13,21
  472. Id. 16,13
  473. Ps. 67,10
  474. Exod. 19,18
  475. Nb. 11,5-6
  476. Id. 33
  477. Id. 14,29-30
  478. 1 Cor. 10,11
  479. Cant. 2,17
  480. Ps. 18,2-5
  481. Id. 120,1-2
  482. Ps. 75,5
  483. Eph. 2,8-10
  484. Ps. 18,2
  485. Gen. 1,8
  486. Gal. 4,24
  487. Exod. 19,18
  488. Ps. 147,20
  489. Rom. 8,3
  490. Rom. 5,20
  491. Mt. 5,17
  492. Rom. 8,3-4
  493. Id. 13,10
  494. Id. 5,5
  495. Id. 20
  496. Ps. 15,4
  497. Rom. 11,6
  498. 1 Cor. 15,9-10
  499. Jac. 1,18
  500. Ps. 5,13
  501. 1 Cor. 15,10
  502. Rom. 15,20
  503. Phil. 3,5
  504. Gal. 4,25-29
  505. 1 Tim. 1,13
  506. Phil. 3,5
  507. Gal. 6,16
  508. Jn. 1,47
  509. 2 Cor. 12,9
  510. Rom. 11,20
  511. Jac. 4,6
  512. 2 Cor. 7,9
  513. Ps. 83,8
  514. Ps. 67,11
  515. Id. 84,13
  516. Id. 122,4
  517. Id. 67,12
  518. Ps. 67,13
  519. Id. 23,10
  520. Nb. 17,11
  521. selon les LXX
  522. Rom. 1,3-4
  523. Jn. 17,10
  524. 1 Tim. 1,17
  525. Ps. 71,2
  526. Ps. 67,13
  527. Mt. 12,29
  528. Eph. 2,2
  529. Id. 4,11-12
  530. 1 Cor. 12,11-12.29-30
  531. Ps. 25,8
  532. Ps. 67,14
  533. Id. 15
  534. 1 Cor. 12,7-9
  535. Cant. 3,6
  536. selon les LXX
  537. Isa. 1,8
  538. Cant. 6,8
  539. Ps. 11,7
  540. Ps. 90,4
  541. Mt. 22,40
  542. Id. 11,30
  543. Rom. 5,5
  544. Gen. 17,2-7
  545. Id. 9,12
  546. 1 Sa. 20,20-23
  547. Nb. 18,20
  548. Act. 1,26
  549. Prov. 1,33
  550. 1 Thes. 4,16
  551. Sir. 11,30
  552. Jer. 17,16
  553. Ps. 26,4
  554. Ps. 67,15
  555. Eph. 4,10-12
  556. Rom. 6,12-13
  557. 1 Cor. 12,11.29-30
  558. Lc. 1,35
  559. 1 Cor. 4,7
  560. Isa. 1,18
  561. Lc. 1,35
  562. Jn. 1,1-14
  563. Sag. 5,9
  564. Col. 2,16-17
  565. Ps. 16,8
  566. Id. 67,16
  567. Isa. 2,2
  568. 1 Cor. 3,1
  569. Ps. 35,7
  570. 2 Cor. 5,21
  571. Ps. 75,5
  572. Id. 120,1-2
  573. 1 Cor. 15,10
  574. Ps. 44,3
  575. Mt. 16,14
  576. Ps. 67,17
  577. Mt. 5,14
  578. Jn. 1,9
  579. Isa. 2,2
  580. Gal. 6,14
  581. 1 Cor. 1,31
  582. Col. 2,9
  583. 1 R. 6,1
  584. 2 Cor. 5,19
  585. Jn. 14,10
  586. Id. 1,14
  587. Ps. 109,1
  588. Isa. 2,2
  589. Rom. 10,4
  590. Mt. 3,17
  591. 1 Tim. 2,5
  592. Jn. 17,23
  593. Id. 15,5
  594. 1 Cor. 15,23-24
  595. Rom. 8,25
  596. Act. 14,21
  597. 2 Cor. 6,10
  598. Rom. 12,12
  599. Id. 7,12
  600. Phil. 2,13
  601. 2 Cor. 3,6
  602. Rom. 5,20
  603. Id. 13,10
  604. Id. 5,5
  605. Ps. 67,19
  606. Eph. 4,7-10
  607. 1 Cor. 12,27
  608. Mc. 16,19
  609. Act. 9,4
  610. Mt. 25,40
  611. Ps. 95,1
  612. Lc. 5,30
  613. Mt. 11,30
  614. Rom. 6,18
  615. Ps. 67,18
  616. Eph. 4,7-8
  617. Ps. 67,19
  618. Eph. 2,2-3
  619. Ps. 67,20
  620. Id. 21
  621. Rom. 8,24
  622. Ps. 67,22
  623. Lc. 18,13-14
  624. Mt. 27,40-42
  625. Ps. 40,11
  626. Ps. 67,23
  627. Ps. 79,20
  628. Ps. 84,5
  629. Lc. 18,13
  630. Mt. 5,6
  631. Ps. 142,6
  632. Zach. 1,3
  633. Ps. 50,5
  634. Id. 70,20
  635. Id. 129,1
  636. Ps. 67,21
  637. Rom. 5,20
  638. Ps. 67,24
  639. Phil. 3,2
  640. Mt. 15,28
  641. Jug. 7,5-6
  642. Ps. 58,15
  643. Isa. 66,10
  644. Rom. 5,10
  645. Mt. 26,64 ; Mc. 13,26
  646. 2 Tim. 4,1
  647. Rom. 10,15
  648. Gal. 4,4
  649. 1 Cor. 3,7
  650. Ps. 67,26
  651. Id. 27
  652. Jn. 4,13-14
  653. Ps. 67,28
  654. Phil. 3,5
  655. Act. 9,4-7
  656. 2 Cor. 12,2-4
  657. Ps. 67,28
  658. Rom. 9,9
  659. 2 Cor. 13,13
  660. Rom. 10,10
  661. Id. 8,25
  662. Jn. 4,18
  663. 1 Cor. 8,6
  664. Id. 1,21
  665. Rom. 5,8
  666. Id. 8,32
  667. Ps. 67,29
  668. Id. 30
  669. Gal. 4,26
  670. Ps. 67,31
  671. 2 Pi. 3,16
  672. Ps. 67,31
  673. Id. 34,18
  674. 2 Tim. 3,6-7
  675. 1 Cor. 11,19
  676. Ps. 11,7
  677. Tit. 1,9
  678. Ps. 67,32
  679. 2 Cor. 5,20
  680. Ps. 94,2
  681. Id. 67,33
  682. Rom. 4,5
  683. Gal. 5,6
  684. Cant. 4,8
  685. selon les LXX
  686. Jn. 13
  687. Id. 17,21
  688. Rom. 3,18-29
  689. Psa. 67,33-34
  690. Eph. 4,10
  691. Gen. 1,8
  692. Psa. 148,4
  693. Isa. 53,7
  694. Ps. 69,3
  695. Lc. 12,45
  696. Psa. 67,35
  697. Gal. 6,16
  698. Rom. 9,6
  699. 1Co. 10,18
  700. Rom. 9,8
  701. Mt. 3,12
  702. Jn. 1,47
  703. Isa. 3,14
  704. Mt. 19,28
  705. 1Co. 6,3
  706. Psa. 67,36
  707. Jn. 3,2
  708. 2 Cor. 4,8
  709. 1 Cor. 15,43
  710. Phil. 3,10
  711. 1 Cor. 15,26
  712. Mt. 13,31-33 ; Lc. 13,19-21
  713. Gen. 9,19
  714. Mt. 8,11
  715. Isa. 54,1 ; Gal. 4,27
  716. Mt. 7,14
  717. Job. 7,1
  718. Mt. 13,31
  719. Ps. 68,22
  720. Jn. 19,28-30
  721. Ps. 68,1
  722. 1 Cor. 15,21-22
  723. Jn. 13,1
  724. Ps. 68,2
  725. Isa. 53,2
  726. Jn. 21,18
  727. 2 Cor. 5,1-4
  728. Mt. 27,31
  729. Id. 10,20
  730. Ps. 68,3
  731. Gen. 2,7
  732. Job. 9,24
  733. Ps. 68,30
  734. 2 Cor. 8,9
  735. Phil. 2,6-8
  736. Gen. 1,27
  737. Id. 3,6
  738. Jn. 1,3
  739. Dan. 3,24-90
  740. Ps. 68,3
  741. Mt. 12,40
  742. Jn. 19,6
  743. Mt. 14,25
  744. Ps. 68,1
  745. Id. 37,15
  746. Isa. 53,7
  747. Ps. 21,2
  748. Mt. 23,13-14
  749. Id. 18,7
  750. Jn. 6,61 ; 16,18
  751. Ps. 68,4
  752. 2 Cor. 5,19
  753. Jn. 1,11
  754. Lc. 23,42
  755. Id. 24,13-21
  756. Jn. 20,28-29
  757. Ps. 68,5
  758. Mt. 26,14
  759. Id. 27,33
  760. Lc. 23,39-41
  761. Phil. 2,6-7
  762. Gen. 3,1
  763. Isa. 14,13
  764. Gen. 3,5
  765. Jn. 14,30
  766. Mt. 12,29
  767. Ps. 68,6
  768. 1 Cor. 1,25
  769. Rom. 8,32
  770. Gal. 2,20
  771. Jn. 12,24-25
  772. 1 Cor. 2,8
  773. Ps. 68,7
  774. Jn. 14,1
  775. Jn. 2,19
  776. Ps. 68,8
  777. 1 Pi. 2,20
  778. Jn. 9,24
  779. Mt. 10,25
  780. Lc. 9,26
  781. Ps. 68,9
  782. Lc. 4,22
  783. Jn. 9,29
  784. Gen. 24,9
  785. Ps. 68,10
  786. Jn. 9,15
  787. Rom. 15,4
  788. Jn. 14,9
  789. Id. 5,23
  790. Ps. 68,11
  791. Voyez Disc. sur le Ps. 34, Serm. 2, n°4
  792. Jn. 4,7
  793. Id. 19,28
  794. Lc. 23,34
  795. Ps. 65,7
  796. Id. 68,12
  797. Voyez Disc. sur le Ps. 34, Serm. 2, n°3
  798. Rom. 8,3
  799. Ps. 68,13
  800. Id. 14
  801. 2 Cor. 6,2
  802. Ps. 24,10
  803. Id. 68,15
  804. Id. 3
  805. Ps. 60,8-16
  806. Mt. 10,23
  807. Ps. 129,1-2
  808. Prov. 18,3
  809. Sir. 17,26
  810. Ps. 68,16
  811. Gen. 2,24 ; Eph. 5,31
  812. Ps. 68,17
  813. Sir. 35,26
  814. Ps. 68,18
  815. Ps. 67,19
  816. 2 Mac. 7
  817. Dan. 3,49
  818. Act. 1,9 ; 2,4
  819. Ps. 29,10
  820. Id. 68,20
  821. Rom. 1,16
  822. Gal. 6,14
  823. Ps. 133,2
  824. Mc. 9,23
  825. Ps. 68,21
  826. Lc. 23,34
  827. Ps. 68,21
  828. Jn. 20,18 ; Mc. 16,9
  829. Lc. 23,24
  830. Mt. 14,29-31
  831. Mt. 16,17.22-23
  832. Ps. 68,22
  833. Mt. 27,34
  834. Lc. 22,19
  835. 1 Cor. 1,17
  836. Ps. 65,7
  837. Mt. 27,34
  838. Ps. 68,23
  839. Id. 54,14
  840. Id. 123,2-3
  841. Ps. 68,24
  842. Mt. 6,21
  843. Lc. 13,16
  844. Ps. 68,25
  845. Id. 138,8
  846. Id. 18,26 ; Act. 1,20
  847. Jn. 19,6
  848. Jn. 11,48
  849. Mt. 23,37-38
  850. Ps. 68,27
  851. Mt. 27,5
  852. Gen. 3,19
  853. Gen. 2,17
  854. Rom. 6,6
  855. Ps. 21,2
  856. Lc. 10,30-34
  857. Rom. 6,9
  858. Ps. 120,4
  859. Id. 68,28
  860. Rom. 9,14
  861. 1 Cor. 2,8
  862. Mt. 21,37
  863. 2 Tim. 3,13
  864. Ps. 68,29
  865. Jn. 19,22
  866. Rom. 8,9
  867. Apoc. 13,8
  868. Ps. 90,7
  869. Mt. 25,33
  870. Jn. 5,39
  871. Ps. 68,30
  872. Mt. 5,3-5
  873. Ps. 19,21
  874. Id. 68,31
  875. Job. 1,21
  876. Ps. 68,32
  877. Id. 49,14-23
  878. Id. 68,33
  879. Mt. 5,6
  880. Jn. 6,51
  881. Ps. 68,34
  882. Sag. 9,15
  883. Mt. 6,34
  884. Ps. 68,35
  885. Ps. 68,36
  886. Id. 51
  887. Jn. 8,39
  888. Jn. 12,25
  889. Ps. 140,10
  890. Mt. 10,28
  891. Mt. 28,20
  892. Mt. 18,7 ; 24,12
  893. Gen. 19,39
  894. 2 Cor. 11,29
  895. 2 Tim. 3,12
  896. Ps. 69,2
  897. Ps. 69,3
  898. Act. 9,4
  899. Mt. 25,40
  900. Ps. 141,5
  901. Mt. 5,44
  902. Lc. 23,34
  903. Act. 7,57 ; 9,1.4-6
  904. Ps. 69,4
  905. Ps. 111,10
  906. Mt. 16,16-23
  907. Rom. 6,21
  908. Ps. 69,4
  909. Sag. 3,6
  910. Prov. 27,21
  911. Ps. 21,16
  912. Mt. 25,3
  913. Ps. 120,8
  914. 1 Cor. 10,13
  915. Id.
  916. Id. 4,7
  917. Ps. 140,5
  918. Mt. 15,14
  919. 1 Cor. 1,12-13
  920. Ps. 69,5
  921. Lc. 15,4-5
  922. Jn. 10,3
  923. Lc. 24,39
  924. Id. 46
  925. Jn. 10,5
  926. Ps. 111,5
  927. Ps. 145,2-3
  928. Id. 3,9
  929. Id. 69,6
  930. Id. 17,29
  931. Id. 145,7
  932. Rom. 7,23
  933. Mt. 5,6
  934. Lc. 16,22
  935. Ps. 15,2
  936. Mt. 7,14
  937. Phil. 3,13
  938. 1 Cor. 8,2
  939. Eph. 3,20
  940. Phil. 3,12-14
  941. Mt. 25,3-10
  942. Id. 13,20
  943. Mt. 3,12
  944. Ps. 89,4
  945. Exod. 16,2 ; Act. 7,39
  946. Lc. 17,32
  947. Gen. 19,29
  948. 2 Tim. 4,8
  949. Sag. 12,12
  950. Rom. 10,2-3
  951. Mt. 9,12-13
  952. 1 Cor. 4,7
  953. Id. 15,9
  954. 1 Tim. 1,13.15-16
  955. Ps. 59,1
  956. Jer. 35,6-10
  957. Ps. 55,12
  958. Id. 53,8
  959. Eph. 6,6-7
  960. Rom. 7,22-25
  961. Id. 5,12
  962. 1Co. 15,47-49.22
  963. Rom. 7,24
  964. Id. 6,21
  965. Ps. 33,6
  966. Id. 70,1
  967. Rom. 10,3
  968. Rom. 4,5
  969. Ps. 7,9
  970. 1 Cor. 4,7
  971. Lc. 18,11-13
  972. Act. 7,59
  973. Ps. 70,3
  974. Gen. 3,8
  975. Lc. 15,4-24
  976. Rom. 7,23
  977. Sag. 9,15
  978. 2 Cor. 4,7
  979. Ps. 103,18
  980. 1 Cor. 10,4
  981. Ps. 70,4
  982. Rom. 7,24-25
  983. Ps. 18,13-14
  984. Rom. 2,12
  985. Id. 4,15
  986. Ps. 70,5
  987. Rom. 5,3-5
  988. Ps. 70,6
  989. Eph. 6,12
  990. 2 Cor. 5,6
  991. Rom. 8,24
  992. Mt. 22,30
  993. Ps. 70,7
  994. 1 Cor. 15,32
  995. Jn. 14,6
  996. Ps. 70,8
  997. Id. 9
  998. 2 Cor. 12,10
  999. Mt. 27,39-40
  1000. Rom. 6,6
  1001. Ps. 102,5
  1002. Id. 70,10-11
  1003. Id. 21,2
  1004. 2 Cor. 5,19
  1005. Rom. 9,5
  1006. Id. 6,6
  1007. Mt. 27,46
  1008. 1 Cor. 2,8
  1009. Ps. 70,12
  1010. Id. 33,19
  1011. Id. 70,13
  1012. Id. 72,2
  1013. Isa. 46,8
  1014. Job. 1,21
  1015. Id. 9,13
  1016. 2 Cor. 12,10
  1017. Ps. 70,9
  1018. Act. 7,51
  1019. Id. 56
  1020. Id. 59
  1021. Job. 2,9
  1022. Tob. 2,22
  1023. Ps. 70,14
  1024. Gen. 2 et 3
  1025. Ps. 70,15
  1026. Rom. 4,5
  1027. Ps. 3,9
  1028. Id. 59,13
  1029. Gen. 1,5
  1030. Ps. 33,2
  1031. Job. 1,21
  1032. Id. 2,10
  1033. Ps. 70,15
  1034. Rom. 2,24
  1035. Lc. 10,7
  1036. Id. 3,9
  1037. Rom. 10,3
  1038. Mt. 21,13
  1039. Ps. 45,11
  1040. Mt. 11,28-29
  1041. Rom. 10,3
  1042. Eph. 2,9
  1043. Id. 10
  1044. Gal. 3,21-22
  1045. 2 Cor. 3,6
  1046. Rom. 2,27
  1047. Ps. 70,4
  1048. Rom. 2,21-27
  1049. Jn. 1,17
  1050. Id. 5,2
  1051. Gal. 3,21
  1052. 2 R. 4,29
  1053. Gal. 6,14
  1054. Id. 2,20
  1055. Ps. 70,16
  1056. Jn. 1,17
  1057. Rom. 13,10
  1058. Id. 5,5
  1059. 2 Cor. 3,6
  1060. 1 Cor. 4,7
  1061. Ps. 53,8
  1062. Mt. 6,34
  1063. Ps. 70,16
  1064. 1 Cor. 15,46
  1065. Rom. 7,23
  1066. Gal. 5,17
  1067. Gen. 2,17
  1068. Mt. 9,12
  1069. Mt. 21,38
  1070. Ps. 117,22
  1071. Id. 61,17
  1072. Gen. 2,17 ; 3,1
  1073. Ps. 85,11
  1074. Eph. 5,14
  1075. Jn. 11,41-44
  1076. Ps. 70,18
  1077. Mt. 28,20
  1078. Voir Discours sur le Ps. 40, n. 1
  1079. Ps. 53,1
  1080. Ps. 70,19
  1081. Gen. 3,5
  1082. Mt. 5,44-45
  1083. Gen. 1,26
  1084. Lc. 15,12-16
  1085. Ps. 58,10
  1086. Id. 72,28
  1087. Gen. 2,17
  1088. Gen. 2,7
  1089. Id. 20,20
  1090. Ps. 70,20
  1091. Lc. 14,11
  1092. Ps. 59,21
  1093. Mt. 27,51
  1094. 2 Cor. 3,16
  1095. Jn. 1,13-14
  1096. Rom. 8,32
  1097. Lc. 2,7
  1098. Col. 3,1-2
  1099. Rom. 8,23-25
  1100. Rom. 8,10-11
  1101. 1 Pi. 4,17
  1102. Prov. 3,12 ; Hébr. 12,6
  1103. Ps. 70,22
  1104. Ps. 70,23
  1105. Rom. 8,23
  1106. Ps. 70,24
  1107. Mt. 3,12 ; 13,30
  1108. 2 Tim. 2,20
  1109. Ps. 40,6
  1110. Mt. 25,33