Discours sur les psaumes (Augustin)/Psaumes CXLI à CL

Discours sur les psaumes : Psaumes CXLI à CL
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)
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DISCOURS SUR LE PSAUME 141


SERMON AU PEUPLE. modifier

CHANT DES MARTYRS. modifier

Méditer, c’est imiter l’animal qui rumine, et qui pour cela est nommé pur. Crier vers le Seigneur, c’est l’invoquer, et crier de sa voix, c’est parler du cœur répandre sa prière devant Dieu, c’est prier où lui seul peut voir, et dans le cœur encore, et la porte close, de peur que le tentateur n’y puisse entrer. Cette porte a deux battants : le désir et la crainte ; c’est ouvrir la porte au démon que désirer ou craindre quelque chose de terrestre ; c’est l’ouvrir è Dieu que désirer le ciel et craindre l’enfer. Les martyrs ont fermé la porte au diable en méprisant les promesses du monde et ses menaces, et ouvert au Christ qui promettait la vie éternelle, qui menaçait de jeter le corps et l’âme dans le feu éternel. Ils prient, dans la crainte de s’attribuer l’honneur de la résistance, et quand on le croit accablé, il marche dans les sentiers de la justice inconnus au pécheur, connus de Dieu qui nous sauve ; car connaître, pour lui, c’est sauver ; méconnaître, c’est damner. Ces sentiers ou voies étroites sont au pluriel à cause de la pluralité des commandements, qui se réduisent à la charité, ou à la voie par excellence. Le Seigneur connaît donc nos voies, et nous conduit si nous sommes doux et humbles. Les persécuteurs ont voulu nous tendre un piège dans notre voie, ou dans le Christ ; mais comme ils sont hors du Christ, ils ont tendu le piège le long de la voie ; n’en sortons point et nous l’évitons qu’on nous reproche le Crucifié, nous nous en glorifions. Le Prophète voit, parce qu’il regarde à droite, où sont les élus, et nul ne les connaissait, c’est-à-dire ne connaissait le prix de ses souffrances. La fuite lui est fermée, quand son âme ne connaît point la fuite. Le corps veut fuir, mais l’âme ne saurait fuis, à moins d’imiter le mercenaire qui abandonne les brebis au danger. Le Seigneur le relève, le délivre des persécuteurs c’est-à-dire du diable dont les persécuteurs sont les instruments, de ces princes ou amateurs du monde, appelés aussi ténèbres. On distingue le monde fait par Dieu, en qui était le Verbe, et le monde qui ne l’a point connu ; les justes sont dans le monde, mais non du monde. Le Prophète veut être délivré de la prison, ou de la caverne du titre, ou du monde, ou du corps en ce sens qu’il est corruptible, ou bien encore de ce lieu étroit, c’est-à-dire triste, et mon âme chantera vos louanges.


1. C’est à la solennité des martyrs que vous êtes redevables de ce surcroît de dévotion, M nous redevable de cet entretien. Toutefois votre charité doit se souvenir du long discours d’hier. Bien que nous ayons remarqué pendant tout ce discours une avidité spirituelle qui se renouvelait sans cesse, nous ne saurions oublier notre commune fragilité, d’autant plus qu’il nous faut rendre aux paroles admirables du Seigneur, l’honneur qui leur est dû, ainsi qu’il est écrit : Les paroles du Seigneur sont admirables de sagesse. Elles ne vous arrivent, il est vrai, que dans des vases bien chétifs ; mais si les vases sont d’argile, le pain est du ciel. L’Apôtre nous dit en effet : « Nous portons ce trésor dans des vases fragiles, afin que la perfection de la vertu vienne de Dieu[1] ». Or, ce trésor et ce pain sont une même chose ; s’il n’en était pas ainsi, l’Écriture ne nous dirait pas à propos du trésor « C’est dans la bouche de l’homme sage que repose le trésor désirable, tandis que l’insensé le dissipe ». Aussi, mes frères, avertissons-nous votre charité de retourner, de ramener eu quelque sorte dans votre pensée le pain que l’oreille dépose dans l’estomac de votre mémoire. C’est ainsi « qu’un trésor précieux repose dans la bouche du sage, tandis que l’insensé le digère aussitôt[2] » ; en un mot, que le sage rumine et que l’insensé ne rumine pas. Qu’est-ce à dire, en termes plus clairs et en latin ? Le sage réfléchit sur ce qu’il a entendu, l’insensé l’oublie aussitôt. Car ce n’est point pour un autre motif que la loi appelle animaux purs ceux qui ruminent et impurs ceux qui ne ruminent point[3], puisque toute créature de Dieu est pure. Devant Dieu qui les a créés, le porc est aussi pur que l’agneau ; car tout ce qu’il fit était éminemment bien[4], et « toute créature de Dieu est bonne[5] », a dit l’Apôtre, comme « tout est pur pour ceux qui sont purs »[6]. Tout est donc pur, dans sa nature même, et néanmoins l’agneau est le symbole de ce qui est pur, comme le pourceau est le symbole de ce qui est impur ; l’agneau marque l’innocence du sage qui rumine, qui réfléchit ; le pourceau, l’impureté d’une folie oublieuse. Nous avons chanté un psaume analogue à la fête. Il est court, voyons si nous pourrons aussi l’exposer brièvement.
2. « De ma voix, j’ai crié vers le Seigneur ». Il me suffirait de dire : « J’ai crié de la voix vers le Seigneur », et néanmoins il n’est peut-être pas inutile d’ajouter : ma voix. Plusieurs, en effet, crient vers le Seigneur, non de leur voix, mais de la voix de leur corps. Quant, à l’homme intérieur en qui le Christ a commencé d’habiter par la foi[7], il crie vers Dieu, non par le bruit des lèvres, mais par l’élan du cœur. Car l’oreille de Dieu diffère bien de l’oreille de l’homme, qui n’entend qu’à la condition que les poumons, la poitrine et la langue formeront un son ; tandis que pour Dieu notre cri c’est notre pensée. « De ma voix j’ai crié vers Dieu, de ma voix j’ai invoqué le Seigneur[8] ». Le Prophète nous explique le mot crier, en ajoutant : j’ai invoqué. Blasphémer, c’est, en effet, crier aussi vers le Seigneur. Dans la première partie du verset il pousse un cri, et dans la seconde partie il donne l’explication de son cri, comme si on lui demandait quel cri il a poussé vers le Seigneur : « J’ai poussé vers le Seigneur un cri de prière ». Mon cri est une invocation, et non un outrage, ni un murmure, ni un blasphème.
3. « Je répandrai ma prière devant lui[9] ». Qu’est-ce à dire « devant lui ? » En sa présence. Qu’est-ce à dire, en sa présence ? Où ses yeux voient. Mais où ne voient-ils point ? Dire en effet où Dieu voit, laisserait entendre qu’il est des lieux où ut ne voit point. Mais en fait d’objets corporels, les hommes voient comme les animaux voient, tandis que Dieu voit où nos regards ne sauraient pénétrer. Car nul homme ne saurait voir tes pensées que Dieu pénètre néanmoins. Répands donc ta prière où seul peut voir Celui qui peut seul te récompenser. Car le Seigneur Jésus-Christ l’ordonne de prier dans le secret ; mais si tu comprends l’endroit secret pour toi, si tu te purifies, c’est là que tu pries Dieu. « Quand vous priez », dit le Sauveur, « n’imitez point les hypocrites qui aiment à prier debout, dans les synagogues et sur les places publiques, pour être vus des hommes. Mais vous, quand vous priez, entrez dans votre chambre, et, la porte close, priez votre Père dans le secret ; et votre Père, qui voit dans le secret, vous le rendra[10] ». Si tu attends des hommes ta récompense, prie devant les hommes ; si Dieu seul doit te la rendre, répands ta prière en sa présence, et la porte close, de peur que le tentateur n’y puisse entrer. Car le tentateur ne cesse de frapper pour entrer, et si la porte est close, il passe outre. Comme donc il est en notre pouvoir de clore la porte, j’entends la porte de notre cœur, et non celle de nos maisons ; car c’est dans le cœur aussi qu’est la chambre secrète ; comme il est en notre pouvoir de clore cette porte : « Ne donnez aucune entrée au diable[11] », nous dit l’Apôtre. S’il vient à pénétrer dans ton cœur, à s’en rendre maître, tu dois reconnaître que tu as fermé la porte négligemment, ou négligé complètement de la fermer.
4. Mais qu’est-ce à dire, fermer la porte ? Cette porte a comme deux battants : celui de la convoitise, et celui de la crainte. Ou tu convoites quelque chose de terrestre, et le diable entre par là ; ou tu crains quelque chose de terrestre, et il entre encore. Ferme donc au diable cette double porte de la crainte et de la convoitise, et ouvre-la au Christ. Comment ouvrir au Christ ces deux battants ? En désirant le royaume des cieux, en craignant le feu de l’enfer. L’amour du monde ouvre l’entrée au diable, et l’amour de la vie éternelle l’ouvre au Christ ; la crainte des maux temporels est une porte ouverte au démon, tandis que le Christ entre chez nous par la crainte des maux éternels. Les martyrs ont fermé la porte au diable, en l’ouvrant au Christ. Le monde leur a promis beaucoup, ils ont ri de ses promesses et ont fermé au diable la porte de la convoitise. Voyons s’ils l’ont ouverte au Christ : « Quiconque me confessera devant les hommes, moi aussi je le confesserai devant mon Père qui est dans le ciel[12] ». Comment les confessera-t-il ? « Venez », dira-t-il, « bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde[13] ». Il les confessera en les plaçant à sa droite. Voyons s’ils ont ouvert au Christ la porte de la crainte, qu’ils avaient fermée au diable. Dans le même endroit, le Seigneur nous avertit de la fermer au démon et de la lui ouvrir. « Ne craignez point », dit-il, « ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer l’âme ». Il nous avertit par là de fermer au démon la porte de la crainte. N’avons-nous donc rien à craindre ? et ne faut-il pas ouvrir au Christ cette porte de la crainte fermée au diable ? Aussi, comme pour nous dire : fermez au démon, mais ouvrez pour moi, le Sauveur a-t-il ajouté : « Craignez au contraire Celui qui a le pouvoir de jeter l’âme et le corps au feu éternel[14] ». Si donc, sur la foi en ces paroles, tu ouvres la porte au Christ, ferme-la au démon. Le Christ est à l’intérieur, c’est là qu’il habite ; répands ta prière devant lui, ne cherche pas à te faire entendre de loin. Car elle n’est pas loin de vous cette sagesse de Dieu, « qui atteint d’une extrémité à l’autre avec force, et dispose de tout avec douceur[15] ». C’est donc dans ton âme qu’il te faut répandre ta prière devant Dieu, c’est là que sont ses oreilles. Ce n’est, en effet, « ni de l’Orient, ni de l’Occident, ni des lieux déserts, que le Seigneur vous écoute ; car il est juge[16] ». Or, s’il est juge, vois dans ton cœur quelle est ta propre cause.
5. « Je répandrai ma prière devant lui, j’annoncerai en sa présence toutes mes afflictions[17] ». Ces deux versets ne font que répéter les deux premiers. Il y a deux pensées dont chacune est répétée deux fois. La première est celle-ci : « De ma voix j’ai crié vers Dieu, j’ai imploré le Seigneur de mes cris » ; l’autre : « Je répandrai ma prière devant lui, j’annoncerai en sa présence toutes mes afflictions ». Devant lui est identique à sa présence, et répandre ma prière, est identique à proclamer toutes mes afflictions. Quand agiras-tu ainsi ? L’interlocuteur est alors dans la tribulation : « Quand mon âme tombe en défaillance », nous dit-il. Pourquoi donc ton âme est-elle en défaillance, ô martyr que l’on persécute ? C’est de peur que je ne fasse à moi-même l’honneur de mes forces, et afin que je sache bien qu’un autre les produit en moi. C’est d’ailleurs l’avertissement que donne le Seigneur à ceux dont il voulait faire ses témoins : « Quand ils, vous traîneront devant les juges, ne vous inquiétez point de ce que vous direz ; car ce n’est point vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père qui parle en vous[18] ». Arrière donc ton esprit, et que l’Esprit de Dieu parle en toi. C’est donc avec raison qu’il voulait en faire des pauvres d’esprit : « Bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux leur appartient »[19]. Donc bienheureux ceux qui sont pauvres de leur esprit, et riches de l’Esprit de Dieu ; car tout homme qui suit son esprit est un orgueilleux ; qu’il soumette son esprit, et reçoive l’Esprit de Dieu. Il cherchait les hauts lieux, qu’il reste dans la vallée. S’il s’élève en haut, les eaux s’écouleront loin de lui ; s’il demeure dans la vallée, il en sera rempli, et il lui arrivera comme au sein dont il est dit : « Des fleuves d’eau vive couleront de son sein[20] ». Donc « pendant la défaillance de mon âme, j’ai annoncé en votre présence ma tribulation », j’étais humble, et je confessais devant vous la défaillance de mon esprit, étant comblé de votre Esprit-Saint.
6. Quant aux hommes, en apprenant la défaillance de mon esprit, ils ont désespéré de moi, et ils ont dit : Nous l’avons pris, nous l’avons accablé : « Mais vous, Seigneur, vous avez connu mes sentiers ». Ils me croyaient abattu, vous saviez que j’étais debout. Ceux qui me persécutaient, qui s’étaient emparés de moi, croyaient que mes pieds étaient embarrassés ; mais ce sont leurs pieds au contraire qui sont embarrassés, et ils sont tombés : « Mais nous nous sommes levés et redressés[21]. Car mes yeux sont toujours fixés sur le Seigneur, parce que c’est lui qui dégagera mes pieds du filet[22] ». J’ai continué ma course ; « et celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin[23] ». Ils me croyaient accablé, et moi je marchais. Où est-ce que je marchais ? Dans les sentiers que ne voyaient pas ceux qui croyaient m’avoir pris ; dans les sentiers de votre justice, dans les sentiers de vos préceptes. « Vous connaissiez en effet mes sentiers », que ne connaissait pas le persécuteur ; autrement il ne me porterait point envie, mais il y marcherait avec moi. Quels sont donc ces sentiers, sinon les voies dont il est dit ailleurs : « Le Seigneur connaît la voie des justes, mais la voie des impies périra[24] ? » Il ne dit point que le Seigneur ne connaît pas la voie des impies ; mais bien : « Dieu connaît la voie des justes, celle des impies périra ». Car tout ce que Dieu ne connaît pas doit périr. Dans beaucoup d’endroits de l’Écriture, connaître, pour Dieu, c’est sauver. Connaître, c’est garder, comme ne pas connaître, c’est damner. Comment, en effet, celui qui connaît tout pourrait-il dire à la fin du monde : « Je ne vous connais pas[25] ? » Qu’ils ne s’applaudissent point dès lors en disant que le juge ne les connaît point. C’est déjà un châtiment que n’être point connu du juge. Ces voies dès lors, dont il est dit que le Seigneur les connaît, le Prophète les appelle ici des sentiers, quand il dit : « Vous connaissez mes sentiers ». Tout sentier, en effet, est une voie, mais toute voie n’est pas un sentier. Pourquoi donc ces voies sont-elles appelées des sentiers, sinon parce qu’elles sont des voies étroites ? La voie large est celle des impies, la voie étroite celle des justes.
7. Dire la voie et les voies, c’est tout un, de même que dire l’Église ou les Églises, le ciel ou les cieux. L’un est au pluriel, l’autre au singulier. L’Église, à cause de son unité, n’est qu’une Église : « Ma colombe est unique, l’unique de sa mère[26] ». Mais il y a plusieurs Églises, si l’on envisage les diverses assemblées des fidèles en divers endroits : « Les Églises de la Judée se réjouissaient dans le Christ, parce que celui qui naguère nous persécutait, annonce maintenant la foi qu’il voulait détruire ; et ils glorifiaient Dieu à mon sujet[27] ». Il dit ici les Églises, et ailleurs il parle d’une seule Église : « Ne donnez aucun scandale aux Juifs, ni aux Grecs, ni à l’Église de Dieu[28] ». Il en est donc de même de la voie et des voies, du sentier et des sentiers. Pourquoi les sentiers, et pourquoi le sentier ? De même que nous avons donné la raison de l’Église et des Églises, nous devons rendre compte du sentier et des sentiers. On dit les sentiers de Dieu, à cause de la pluralité des préceptes, et comme tous les préceptes peuvent se réduire à un seul, comme « la plénitude de la loi est la charité[29] », toutes ces voies divisées en plusieurs préceptes peuvent se réduire à une seule, puisque notre voie c’est la charité. Voyons si la charité est une voie. Écoutons l’Apôtre : « Je vous enseigne une voie bien supérieure encore[30] ». Quelle est cette voie, ô saint Apôtre ? Écoute bien cette voie : « Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges mêmes, si je n’ai point la charité, je suis comme un airain sonnant et une cymbale retentissante, Quand j’aurais le don de prophétie, que je pénétrerais tous les mystères et us toutes les sciences, et quand j’aurais toute la foi possible, jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai point la charité, je ne suis rien. Et quand je distribuerais toutes mes richesses aux pauvres, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, tout cela ne sert de rien[31] ». C’est donc la charité qu’il appelle une voie suréminente. Cette voie si relevée, mes frères, est une voie merveilleuse. Et parce qu’elle est très relevée, elle est aussi de beaucoup la meilleure ; car ce qui est éminent, est élevé ; or, rien de plus relevé que la voie de la charité, et il n’y a que les humbles pour y marcher. Ces sentiers donc, la charité les appelle des préceptes. « Vous connaissez mes sentiers », dit le Prophète ; vous savez que tout ce que j’endure, est par amour pour vous, vous savez qu’en moi la charité souffre tout ; vous savez que si je livre mon corps pour être brûlé, j’ai cette charité sans laquelle rien ne me servirait.
8. Qui, mes frères, connaît véritablement ces voies de l’homme, sinon celui à qui le Prophète a dit : « Vous connaissez mes voies ? » Quelles que soient les actions des hommes sous nos yeux, nous ne savons quelle intention les a dictées. Combien est-il d’impies, qui, mesurant les autres sur eux-mêmes, disent de nous que nous cherchons dans l’Église des honneurs, des applaudissements, des avantages temporels ? Combien m’accusent de ne vous parler que pour me faire acclamer et applaudir par vous, et de n’avoir d’autre but, d’autre intention dans mes discours ? Comment leur montrer que telle n’est point mon intention ? Je n’ai plus qu’à dire : « Vous connaissez mes sentiers ». Comment ces accusateurs savent-ils ce que vous-mêmes ne savez point ? Comment savent-ils ce qu’à peine je connais moi-même ? Car ce n’est point à moi de me juger : celui qui me juge, c’est le Seigneur[32], Je ne sais ce que, dans son ignorance, Pierre présumait de lui-même, quand le médecin ne présumait point de ses forces autant que lui. Crions donc vers Dieu avec un cœur pur et plein de piété, car c’est un véritable cri : « Seigneur, vous connaissez mes voies ». Mais veux-tu que le Seigneur te conduise par ses voies ? Sois doux, sois calme, loin de toi toute obstination, tout orgueil, garde-toi d’élever et de secouer la tête comme le cheval et le mulet qui n’ont point d’intelligence[33] ». Si tu es doux, si tu es calme, tu seras une monture pour Dieu qui te conduira par ses voies. Car il conduira les humbles dans la justice, et enseignera ses voies aux hommes doux[34]. « C’est donc vous, ô mon Dieu, qui connaissez mes voies ».
9. « Dans cette voie où je marchais, ils m’ont caché un piège ». Cette voie par où il marchait, c’est le Christ ; et c’est là que lui ont tendu des pièges ceux qui persécutent les chrétiens, et au nom du Christ. « C’est donc là qu’ils m’ont caché un piège ». Pourquoi me porter envie, pourquoi me persécuter ? Parce que je suis chrétien. Si donc c’est parce que je suis chrétien qu’ils me persécutent, « ils m’ont caché un piège dans la voie où je marchais ». Autant qu’il est en eux, ils m’ont tendu des pièges dans la voie où je marche ; autant que le peuvent leurs désirs, que le peuvent leurs efforts, que le peuvent leurs vœux, ils ont voulu me prendre au piège dans la voie où je marchais. « Mais le Seigneur connaît la voie des justes[35] », et, « vous, Seigneur, connaissez mes sentiers ». Voilà ce qu’ils ont désiré ; mais comme c’est vous qui êtes ma voie, vous ne leur permettrez point de me tendre des pièges en vous-même. C’est au nom du Christ en effet que les hérétiques veulent nous préparer des embûches, et ils se trompent eux-mêmes. Ce qu’ils croient mettre dans la voie, ils le placent en dehors, car eux-mêmes sont en dehors ; et ils ne peuvent tendre des pièges où ils ne sont point. Mais le Prophète parle dans le sens de leurs désirs, de leurs vœux, de leur intention ; car il est dit formellement ailleurs : « Ils m’ont tendu un piège près de la route[36] ». Dire « dans la voie », c’est parler dans le sens de leurs désirs, de leurs vœux ; dire « près de la route », ou « près des sentiers », c’est parler selon la vérité. Car le piège n’est point dans le sentier, n’est point dans la voie elle-même, qui est le Christ ; mais bien près des sentiers. Le Christ ne leur permet pas de le placer dans la voie, de peur que nous ne puissions la suivre ; il permet seulement qu’on le tende le long de la voie, afin de nous prémunir contre tout écart. Un païen s’imagine me tendre un piège dans la voie, quand il me dit : Tu adores un Dieu crucifié. Il s’en prend à la croix de Jésus-Christ qu’il ne comprend point. Il croit mettre dans le Christ ce qu’il ne met que le long du chemin. Mais que je ne sorte point du Christ, et je ne quitterai point la voie pour tomber dans le piège. Qu’il insulte au crucifié, comme il lui plaira, je n’en verrai pas moins la croix de Jésus sur le front des rois. Ce qu’il raille, c’est mon salut. Rien de plus orgueilleux que le malade qui a des sarcasmes pour le remède qui le guérit ; s’il n’en riait point, il le prendrait et serait sauvé. Cette croix est le symbole de l’humilité, et un excès d’orgueil ne laisse point connaître à ce malade ce qui guérirait la tumeur de son âme. Et moi, si je connais ce remède, je marche dans la voie. Loin de rougir de la croix, je la porte non plus d’une manière invisible, mais sur mon front. Il y a beaucoup de sacrements que nous recevons de manières différentes : les uns, comme vous le savez, c’est notre bouche qui les reçoit ; d’autres, c’est tout notre corps ; mais comme c’est notre front qui rougit, celui qui a dit : « Si quelqu’un rougit de moi devant les us hommes, je rougirai de lui devant mon Père qui est dans les cieux[37] », a voulu établir sur le siège même de la pudeur ce que les païens appellent une ignominie. Écoute les reproches que l’on fait à un impudent : c’est un effronté, dit-on. Qu’est-ce à dire : il n’a pas de front ? C’est un impudent. Que mon front ne soit donc point nu, qu’il soit couvert par la croix de mon Seigneur. Donc, « ils m’ont tendu des pièges dans cette voie où je marchais » : autant qu’il était en eux, car ils ne les ont placés en réalité que le long de la voie, et moi je serai en sûreté, si je ne sors point de cette voie sacrée. « Tu ne, sais point », dit l’Écriture, « que tu marches parmi les pièges[38] ». Qu’est-ce à dire, parmi les pièges ? Dans la voie du Christ bordée de pièges de part et d’autre : pièges à droite, et pièges à gauche ; pièges de la prospérité à droite, et pièges de l’adversité à gauche ; pièges à droite, ou promesses du monde ; pièges à gauche, ou menaces du monde. Pour toi, marche au milieu des pièges, sans t’éloigner de la voie, sans te laisser prendre aux promesses, ni abattre par les menaces. « Dans le chemin où je marchais, ils m’ont caché leurs embûches ».
10. « Je considérais à droite, et je voyais[39] ». Il voyait, parce qu’il regardait à droite ; c’est s’aveugler, que regarder à gauche. Qu’est-ce à dire : considérer à droite ? Où seront ceux à qui l’on dira : « Venez, bénis de mon Père, et possédez le royaume[40] ? » Mais ils seront à gauche, ceux à qui l’ami dira : « Allez au feu éternel, préparé au diable et à ses anges[41] ». Au milieu du monde menaçant et frémissant de rage, au milieu des persécutions, des outrages se multipliant à chaque pas, au milieu des terreurs, le Prophète méprisait le présent, envisageait l’avenir, et considérait à droite où il doit être un jour ; c’est là qu’il était par la pensée, là qu’il regardait, là qu’il voyait, et dès lors, tout lui était supportable ; mais ses persécuteurs ne voyaient point. Aussi, après avoir dit : « Je considérais à droite, et je voyais », il ajoute aussitôt : « Et nul ne me connaissait ». Quand nous endurons tout, qui connaît notre dessein, et si nous regardons à droite ou à gauche ? Chercher dans tes souffrances l’applaudissement des hommes, c’est regarder à gauche ; mais dans tes souffrances, chercher les promesses de Dieu, c’est regarder à droite ; mais regarder à droite, c’est voir, comme regarder à gauche, c’est demeurer aveugle ; et encore, regarder à droite, c’est n’être connu de personne. Qui te consolera en effet, sinon ce Seigneur à qui tu as dit : « Et vous avez connu mes sentiers ! Mais nul ne me connaissait ? »
11. « La fuite m’est fermée ». Il se regarde comme environné de toutes parts. « La fuite m’est fermée ». Que ses persécuteurs disent avec outrage : Le voilà accablé, le voilà pris, enfermé, vaincu, sa fuite n’est plus possible. La fuite est fermée à l’homme qui ne fuit point. Mais celui qui ne fuit point, endure tout ce qu’il peut pour le Christ : c’est-à-dire que son âme ne connaît point la fuite ; car le corps peut fuir ; on nous l’accorde, on nous le permet, d’après cette parole du Sauveur : « S’ils vous poursuivent dans une ville, fuyez dans une autre[42] ». Mais la fuite est fermée à l’homme dont le cœur ne fuit pas. Or, il importe de savoir pourquoi il ne fuit pas, si c’est parce qu’il est environné, ou parce qu’il est pris, ou parce qu’il est courageux ; car la fuite est fermée au captif, comme elle est fermée à l’homme vaillant. Quelle fuite alors nous faut-il éviter ? Quelle fuite nous est fermée ? Celle dont le Seigneur a dit dans l’Évangile : « Que le bon pasteur donne sa vie us pour ses brebis ; mais que le mercenaire et celui qui n’est point pasteur s’enfuit quand il voit venir le loup ? » Pourquoi fuir quand vient le voleur ? « Parce qu’il se met peu en peine des brebis[43] ». Cette fuite était fermée à notre interlocuteur, soit que nous l’entendions de Jésus-Christ Notre-Seigneur, notre chef qui est mort pour tous, soit de nos martyrs qui sont ses membres, et qui, eux aussi, sont morts pour leurs frères. Écoutez ce mot de saint Jean : « De même qu’il a donné sa vie pour nous, et nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères[44] ». Mais quand ils donnent leur vie, le Christ la donne aussi, puisqu’il s’écrie quand on les persécute : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[45] ? » « La fuite m’est fermée, et nul ne recherche mon âme ». Il n’est donc personne pour en vouloir à sa vie ? Comment, il voit les hommes qui ont conjuré sa mort, qui veulent répandre son sang, et il n’est personne qui recherche son âme ? Cette parole peut avoir deux sens ; de même que la fuite est fermée en deux manières, puisque ni le captif, ni l’homme vaillant ne fuient point ; de même des persécuteurs ou des amis peuvent chercher la vie d’un homme. Ainsi donc « nul ne recherche son âme », signifie ici ils persécutent mon âme, mais ils ne la recherchent point. S’ils cherchaient mon âme, ils la trouveraient attachée à vous ; et s’ils savaient la chercher, ils sauraient l’imiter ; et pour que vous sachiez encore que des persécuteurs peuvent chercher l’âme d’un homme, il est dit ailleurs : « Qu’ils soient couverts de honte et d’ignominie, ceux qui recherchent mon âme[46] ».
12. « J’ai crié vers vous, Seigneur ; j’ai dit : Vous êtes mon espérance[47] ». Au milieu de mes douleurs et de mes tribulations, j’ai dit : « Vous êtes mon espérance ». Ici-bas vous êtes mon espérance, et c’est ce qui me donne la patience. « Vous êtes mon partage », non point ici-bas ; mais « dans la terre des vivants ». Dieu donne une portion dans la terre des vivants ; mais cette portion n’est point en dehors de lui. Que donnerait-il à celui qui l’aime, si ce n’est lui ?
13. « Soyez attentif à ma prière, parce que je suis humilié à l’excès[48] ». Humilié par les persécuteurs, humilié par l’aveu. Il s’humilie d’une manière invisible, quand ses ennemis l’humilient visiblement. Dieu donc le relève, et d’une manière visible, et d’une manière invisible. Ce fut invisiblement qu’il releva les martyrs ; mais ils le seront d’une manière visible, quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruption à la résurrection des morts, quand cette chair contre laquelle seule pouvaient sévir les méchants, sera renouvelée. « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l’âme[49] ». Or, qu’est-ce qui a péri ? qu’ont-ils tué ? Peuvent-ils même faire périr ce qu’ils tuent ? Non pas, Écoute la promesse du Seigneur : « En vérité, je vous le déclare, pas un cheveu de votre tête ne périra[50] ». À quoi bon t’inquiéter des autres membres, quand un seul cheveu ne doit pas périr ?
14. « Délivrez-moi de mes persécuteurs ». De qui pensez-vous qu’il veuille être délivré ? Des hommes qui le persécutaient ? Sont-ce bien les hommes qui sont nos ennemis ? Nous avons des ennemis invisibles qui nous persécutent bien autrement. L’homme nous poursuit pour tuer notre corps, l’autre ennemi pour enlever notre âme. Il a donc des instruments ; car il est dit qu’« il exerce maintenant son pouvoir sur les enfants de rébellion[51] ». Au moyen de ses instruments, c’est-à-dire au moyen des hommes dont il se sert, il persécute le corps à l’extérieur, afin de ruiner l’âme à l’intérieur ; car si l’âme demeure ferme quand le corps succombe, le piège est détruit et nous sommes délivrés. Nous avons donc d’autres ennemis ; demandons à Dieu qu’il nous en délivre, de peur qu’ils ne nous séduisent, ou en nous accablant par les maux de cette vie, ou en nous corrompant par ses attraits. Quels sont ces ennemis ? Voyons si quelque serviteur de Dieu, quelque soldat vaillant qui a lutté contre eux n’en a point parlé ouvertement. Écoute ce mot de l’Apôtre : « Vous n’avez point à lutter contre le sang et la chair[52] ». N’allez donc point haïr les hommes, les regarder comme vos ennemis, et croire que leurs inimitiés pourront vous accabler : ces hommes que vous craignez ne sont que chair et que sang ; « et nous n’avons pas à combattre contre le sang et la chair », dit l’Apôtre, voulant nous montrer son mépris pour des hommes assujettis à la mort. Contre qui donc nous faut-il combattre ? « Contre les princes, contre les puissances, contre ceux qui dirigent ce monde ténébreux[53] ». Tu es effrayé à ce mot, de « directeur du monde » ; car s’ils sont les princes de ce monde, iras-tu donc au-delà du monde pour en être délivré ? iras-tu au-delà du monde pour échapper à leur puissance ? Par ceux qui dirigent ce monde ténébreux, tu ne dois donc pas comprendre ceux qui dirigent le ciel et la terre, lesquels sont les ouvrages de Dieu. Mais si l’on appelle monde le ciel et la terre, les méchants s’appellent aussi le monde. Pourquoi le monde ? parce qu’ils aiment le monde ; et dès lors ils sont ténèbres parce qu’ils sont impies. Aussi, que dit saint Paul à plusieurs d’entre eux qui avaient embrassé la foi ? « Vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur[54] ». Voyez donc par qui vous étiez gouvernés avant d’être lumière, et quand vous étiez ténèbres. Par qui sont dirigés les impies, sinon par le diable, comme les hommes de foi et de piété sont dirigés par Jésus-Christ ? C’est donc au diable et à ses anges que saint Paul donne le nom de princes du monde, c’est-à-dire princes de ceux qui aiment le monde, princes des pécheurs, ou des ténèbres de cette vie ; tels sont les ennemis dont nous devons prier Dieu qu’il veuille bien nous délivrer.
15. Voyez aussi deux mondes, clairement précisés dans un endroit de l’Écriture, dans l’Évangile ; le monde que Dieu a fait, et le monde que dirige le diable, c’est-à-dire les amis du monde. Car Dieu qui a fait les hommes, ne les a point faits amis du monde. Aimer le monde est un péché, et Dieu n’a point fait le péché. Écoutez donc ce double monde que je vous annonçais. « Il était dans ce monde »[55], est-il dit. Mais de qui est-il dit qu’il était dans ce monde, sinon de Jésus-Christ qui est la sagesse de Dieu, et dont je vous ai dit tout à l’heure : « Elle atteint avec force d’une extrémité à l’autre, et dispose tout avec douceur[56] ? Elle atteint partout us à cause de sa pureté, et rien de souillé n’est en elle[57] ». Donc « il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a point connu ». Ce n’est donc point le monde fait par Jésus qui est régi par les princes et par les puissances des ténèbres[58] ; mais le monde qui n’a point connu Jésus-Christ, c’est-à-dire les amis du monde, les pécheurs, les injustes, les orgueilleux et les infidèles. Comment les pécheurs sont-ils le monde ? Parce qu’ils aiment le monde, et qu’en l’aimant ils habitent le monde ; comme on appelle maison et la bâtisse et ceux qui l’habitent. Dire d’une maison qu’elle est bonne, s’entend souvent de la bâtisse, comme une bonne maison s’entend aussi de ceux qui y demeurent. Mais on dit encore en deux manières : Gare à cette maison ! elle est mauvaise ; tantôt c’est parce qu’elle menace ruine, et que tu pourrais y être écrasé ; tantôt : Prends garde à cette maison, signifie : gare au lac des chasseurs, crains, ô pauvre, d’y être opprimé par le riche, ou victime de quelque fraude. Comme donc il y a maison et maison, de même il y a monde et monde. Mais pourquoi les justes, qui sont aussi dans le monde, ne sont-ils point appelés le monde ? L’Apôtre l’a dit : « Étant dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair[59] ; mais notre conversation est dans le ciel[60] ». Le juste habite dans la chair ; mais son cœur est en Dieu. Lui-même est appelé monde, si c’est en vain qu’il entend : En haut les cœurs ; mais s’il ne l’entend pas en vain, qu’il habite en haut. « Vous êtes morts », dit l’Apôtre, « et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ[61] ». Mais ceux dont la vie est ici-bas, c’est-à-dire ceux dont les affections et les désirs se traînent sur la terre, rétrécis et embarrassés, sont justement appelés mondains. Car il est aussi naturel d’appeler monde ceux qui habitent le monde, que d’appeler maison ceux qui demeurent dans une maison. Il y a donc monde et monde ; « le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a point connu ». Voilà donc un monde fait par le Seigneur, et un monde qui n’a point connu le Seigneur. Chante l’édifice, aime l’architecte, et sans désirer d’habiter dans l’édifice, habite dans l’architecte lui-même.
16. « Délivrez-moi de ceux qui me poursuivent ; car ils se sont fortifiés contre moi ». De qui cette parole : « Ils se sont fortifiés coutre moi ? » C’est la plainte du corps du Christ, la plainte de l’Église, la plainte des membres du Christ, qui s’écrient : Voilà que s’accroît le nombre des pécheurs. « Or, à mesure que se multiplie l’iniquité, la charité se refroidit chez plusieurs[62]. Délivrez-moi de ceux qui me persécutent, parce qu’ils se sont fortifiés contre moi ».
17. « Délivrez mon âme de son cachot, afin qu’elle confesse votre nom ». Nos devanciers ont entendu ce cachot de différentes manières, et peut-être est-ce bien ce cachot qui est désigné dans la « caverne » du titre. Voici en effet le titre du psaume : « Prière intelligente pour David lui-même, quand il était dans la caverne ». Cette caverne serait alors le cachot dont nous parlons. Voici deux points à expliquer ; comprendre l’un, c’est aussi comprendre l’autre. Les mérites font le cachot ; car une même demeure peut être une prison pour l’un, une habitation pour l’autre, Celui qui garde un captif, le gardât-il dans sa propre maison, et celui qui est gardé, voilà deux hommes qui sont dans la prison ; mais dira-t-on du premier qu’il est en prison ? C’est une même demeure pour l’un et pour l’autre ; mais la liberté en fait pour l’un une maison, la captivité une prison pour l’autre. Quelques-uns donc ont pensé que cette caverne, ce cachot c’est le monde, et que l’Église demande à Dieu d’être délivrée de cette prison, c’est-à-dire de ce monde qui est sous le soleil, où tout est vanité, Car il est dit : « Tout est vanité et présomption d’esprit dans toute entreprise et tout labeur de l’homme sous le soleil[63] ». Dieu donc nous promet que hors de ce monde nous serons dans je ne sais quel repos ; et c’est peut-être ce qui nous fait dire à propos de cette terre : « Délivrez mon âme de sa prison ». Par la foi et par l’espérance, notre âme est en Jésus-Christ, comme nous l’avons dit tout à l’heure : « Votre vie us est cachée en Dieu avec le Christ[64] ». C’est notre corps qui est dans la prison, qui est dans le monde. Si le Prophète disait : Tirez mon corps de la prison, nous comprendrions que la prison c’est le monde. Et néanmoins, peut-être à cause de tout ce qui nous retient dans le monde, de ces convoitises terrestres contre lesquelles nous avons à lutter et à combattre ; car « nous sentons dans nos membres une loi qui est contraire à la loi de l’esprit[65] », avons-nous raison de dire : Délivrez mon âme de ce monde, c’est-à-dire des fatigues et des tribulations de cette vie. Car ce n’est point cette chair que vous avez faite, mais bien la corruption de la chair, les peines et les tribulations qui sont une prison pour moi.
18. D’autres ont soutenu que cette prison, cette caverne, c’est notre corps, et que tel est le sens de « tirez mon âme de la prison ». Mais ce sens n’est point très solide. Que voudrait dire, en effet : « Tirez mon âme de la prison », ou tirez mon âme de mon corps ? Est-ce que les âmes des scélérats ne quittent point le corps pour aller dans des supplices plus cruels qu’ils n’en ont endurés sur la terre ? Quelle est donc l’importance de cette prière : « Délivrez mon âme de la prison », puisque tôt ou tard elle doit en sortir ? Serait-ce un juste qui dirait : Que je meure maintenant ; délivrez mon âme de cette prison du corps ? Trop d’empressement serait un défaut de charité. Il doit sans doute en avoir le désir, il doit y aspirer et dire avec l’Apôtre : « J’ai un ardent désir d’être délivré des liens du corps, et d’être avec Jésus-Christ, ce qui est sans comparaison le meilleur[66] ». Mais où serait la charité ? Aussi dit-il ensuite : « Mais demeurer dans la chair est pour moi une nécessité à cause de vous[67] ». Que le Seigneur dès lors nous délivre du corps quand il lui plaira. On pourrait appeler aussi notre corps une prison, non que Dieu ait fait cette prison, mais parce qu’il est un supplice et qu’il est mortel. Il faut, en effet, considérer dans notre corps, et l’œuvre de Dieu et la peine du péché. Cette forme, ce port, cette démarche, la disposition des membres, l’action des sens, la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher, toute cette construction, cette admirable architecture ne peut être que l’œuvre de Dieu qui a tout fait et dans le ciel et sur la terre, et ce qu’il y a de plus élevé comme ce qui est plus infime, et ce qui est visible comme ce qui est invisible. Où est donc le châtiment dans notre corps ? C’est que la chair est corruptible, qu’elle est fragile, qu’elle est mortelle, qu’elle est dans l’indigence ; il n’en sera plus ainsi au moment de la récompense. Nous aurons en effet notre corps, puisque c’est le corps qui ressuscitera. Qu’est-ce donc que nous n’aurons plus ? La corruption ; puisque ce corps corruptible sera devenu incorruptible[68]. Si donc la chair est une prison pour toi, ce n’est point le corps qui est cette prison, mais la corruption du corps. Votre corps a été fait bon par Dieu qui est bon ; mais, comme il est juge et juste, il l’a condamné à la corruption. Le corps est donc un bienfait, la corruption un châtiment. Alors « délivrez mon âme de sa prison » pourrait bien signifier : Tirez mon âme de la corruption. Ce sens n’est plus un blasphème, on le comprend.
19. Mais enfin, selon moi, « délivrez mon âme de sa prison » voudrait dire, délivrez-la de ce lieu étroit. Un homme qui a de la joie est au large même dans sa prison ; un homme qui est triste est à l’étroit dans une vaste plaine. Donc il supplie Dieu de le délivrer de l’angoisse ; bien qu’il soit en effet au large par l’espérance, le présent le tient néanmoins à l’étroit. Écoute les angoisses de l’Apôtre : « Je n’ai point eu l’esprit en repos, parce que je n’ai point trouvé mon frère Tite[69] ». Ailleurs : « Qui est faible sans que je sois faible avec lui ? qui est scandalisé sans que je brûle[70] ? » Être faible, et brûler, n’est-ce donc pas être dans les peines, dans la prison ? Mais à ces peines la charité fait produire des couronnes. De là cette autre parole : « Il me reste à recevoir la couronne de justice que me rendra en ce jour le Seigneur qui est un juste juge[71] ». Tel est le sens de ces paroles : « Tirez mon âme de son cachot, afin qu’elle confesse votre nom ». Une fois délivrée de la corruption, qu’aura-t-elle à confesser ? Il n’y a là aucun péché, mais des louanges ; or, la confession s’entend de deux manières : ou de l’aveu des péchés, ou des louanges de Dieu, Quant à la confession des péchés, chacun la connaît, elle est tellement connue du peuple, que si l’on vient, dans une lecture, à prononcer le nom de confession, qu’il soit pris dans le sens d’une confession des péchés, ou dans le sens d’une confession de louanges, chacun se frappe aussitôt la poitrine. On connaît donc la confession des péchés, voyons maintenant si l’on connaît la confession de louanges. Où le trouver ? On lit dans les saintes Écritures : « Voici ce que vous direz dans votre confession : C’est que toutes les œuvres du Seigneur sont parfaitement bonnes[72] ». C’est donc là une confession de louanges. Ailleurs le Seigneur s’écrie : « Je vous confesserai, ô mon Père, Seigneur du ciel et de la terre[73] ». Que confessait-il ? Ses péchés ? Non ; la confession du Christ était donc une louange. Écoute cette louange adressée à son Père : « C’est », dit-il, « parce que vous avez dérobé ces mystères aux sages et aux savants et que vous les avez révélés aux petits[74] ». Ainsi donc, mes frères, parce que nous habiterons dans la maison du Seigneur, après ces angoisses de la corruption, toute notre vie ne sera qu’une louange en l’honneur de Dieu. Plusieurs fois déjà nous l’avons dit : quand il n’y aura plus de nécessité, tout ce qui tient à la nécessité cessera aussi. Là nous n’aurons plus rien à faire, je ne dirai pas ni le jour, ni la nuit, puisqu’il n’y aura pas de nuit, mais un jour et un jour unique, nous n’aurons d’autre tâche que de louer Dieu que nous aimons ; car alors nous le verrons. Maintenant nous le désirons, nous le, bénissons sans le voir ; quel amour, quels chants d’allégresse quand nous le verrons ! Ce sera la louange continuelle d’un amour sans fin. Ainsi vivrons-nous alors ; « délivrez donc notre âme de ce cachot, afin qu’elle confesse votre saint nom ». « Bienheureux ceux qui habitent dans votre maison, ils vous béniront de siècle en siècle[75] ». La prison nous retient maintenant, parce que « la chair qui se corrompt appesantit l’âme[76] ». Ce n’est point la chair qui appesantit l’âme, car nous aurons alors une chair ; mais « la chair qui se corrompt ». Notre prison n’est donc point notre corps, mais la corruption. « Délivrez mon âme de son cachot, afin qu’elle confesse votre nom, ô mon Dieu ». Ce qui va suivre maintenant est dit au nom de Jésus-Christ, notre chef, et cette parole est semblable à celle qui terminait hier. Voici cette parole d’hier, s’il vous en souvient : « Je suis seul jusqu’à ce que j’aie passé[77] ». Quelle est la dernière ici ? « Les justes m’attendent jusqu’à ce que vous m’ayez donné ma récompense ».


DISCOURS SUR LE PSAUME 142 modifier

SERMON AU PEUPLE. modifier

LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST DANS L’ÉGLISE. modifier

David est ici la figure du Christ, et Absalon, la figure de Judas. Le Christ est né de la sainte Vierge ou de cette cité de Dieu que lui-même a fondée : de là cette femme vêtue du soleil, foulant aux pieds la lune ou la mortalité. C’est le Christ qui souffre en nous qui sommes ses membres, lui qui est un avec son Père, et un avec nous, qui l’avons revêtu. Judas, fils de l’Époux, persécutait donc l’Époux, ce qui existe encore aujourd’hui ; de là ces plaintes du Christ contre ses ennemis intérieurs. Souvenez-vous de moi dans votre justice, et non dans celle qui me viendrait de la foi, mais dans celle de la foi ; et n’entrez pas en jugement avec votre serviteur, qui se défie de ses œuvres, puisque devant vous nul fils d’Adam n’est juste. Quiconque vous sert est votre ami, et vos amis, comprenant qu’ils avaient besoin de miséricorde, disaient tomme nous : « Remettez-nous nos dettes ». L’ennemi nous persécute, en nous détournant du ciel, en nous jetant dans les ténèbres, comme ceux qui sont justement condamnés à mourir ; mais comme le Christ n’avait rien en lui de répréhensible, il se plaint ici comme au jardin des Oliviers. Le Prophète médite les œuvres de Dieu, afin d’en admirer plus parfaitement l’ouvrier, de qui nous vient tout bien qui est en nous ; car de nous-mêmes nous n’avons que la malice, et c’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire. En voyant que tout bien me vient de Dieu, j’ai tendu mes mains vers vous ; car mon Orne a soif de vous, hâtez-vous de me donner le bonheur, car mon esprit s’est affaissé en moi. Ne détournez pas de moi votre face, comme vous l’avez fait quand l’étais orgueilleux, autrement je tomberais dans ces ténèbres où l’on n’a plus que le mépris. Je veux espérer en vous par la patience, vous chercher par de bonnes œuvres et dans le secret. C’est dans les ténèbres que le pécheur cherche un refuge, l’homme contrit cherche en Dieu un refuge contre les princes du monde, qni entreraient en nous comme en Judas, recevant indignement le morceau de pain. Apprenez-moi à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu, mon héritage ; c’est à vous de nous prescrire ce que nous devons faire, c’est vous qui nous sauverez à cause de votre saint nom.


1. Je dirai ce que Dieu voudra bien m’inspirer, sur le psaume que l’on vient de chanter. Hier notre psaume était court, et le temps nous permettait de parler longuement sur quelques versets ; aujourd’hui que le psaume est plus long, nous ne pouvons nous arrêter aussi longtemps à chaque parole, de peur que Dieu ne nous permette point de l’achever.
2. Voici le titre du psaume. « Pour David, quand son fils le poursuivait[78] ». Or, le livre des Rois nous apprend que cela s’est fait, qu’Absalon se déclara l’ennemi de son père[79], qu’il souleva contre lui non seulement une guerre civile, mais une guerre domestique. Quant à David, loin de succomber sous le poids de cette injustice, il s’humilia profondément, accepta ce châtiment de Dieu, supporta ce remède amer, sans rendre injustice pour injustice, mais avec un cœur toujours prêt à suivre la volonté de Dieu. Ce David fut donc louable. Mais il nous faut reconnaître un autre David, qui eut vraiment la main puissante, comme l’exprime ce mot David, et qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ces faits anciens étaient des figures de l’avenir ; et je ne veux point m’arrêter à vous expliquer ce que vous avez entendu sauvent, et fort bien retenu. Cherchons donc dans ce psaume notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, qui s’annonce lui-même dans cette prophétie, et nous prêche dans les faits passés ce qui doit arriver de nos jours. Car c’est lui-même qui s’annonçait par les Prophètes, puisqu’il est le Verbe de Dieu, et que les Prophètes ne parlaient que pleins de ce Verbe divin. Ils étaient donc pleins du Christ pour annoncer le Christ ; ils marchaient devant leur prince qui devait venir après eux et n’abandonnaient pas ceux qui le précédaient. Reconnaissons donc comment le Christ était poursuivi par son fils ; car il avait des fils, dont il est dit : « Les fils de l’Époux ne jeûnent point tandis que l’Époux est avec eux ; mais quand l’Époux leur sera enlevé, ils jeûneront[80] ». Donc les fils de l’Époux sont les Apôtres, et parmi eux Judas le persécuteur, qui fut un démon. C’est donc sa passion que le Christ va nous annoncer dans ce psaume. Écoutons.
3. J’appelle aussi votre attention sur ce point, mes frères, non pour vous apprendre ce que vous ignorez, mais pour vous rappeler ce que vous savez déjà, c’est que notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ est la tête de son corps c’est que l’unique médiateur de Dieu et des hommes, c’est Jésus-Christ homme[81], né de la Vierge, comme dans une solitude, ainsi que nous l’apprenons de l’Apocalypse. Et par cette solitude, nous devons entendre, je crois, que seul il est né de la sorte. Cette femme a enfanté celui qui doit conduire les hommes avec une verge de fer[82] ; et cette femme est la cité de Dieu dont il est dit dans un psaume : « O cité de Dieu, on dit de vous des choses merveilleuses[83] » ; cette cité qui eut son commencement en Abel, comme la cité du mal en Caïn[84], l’antique cité de Dieu, toujours tourmentée sur la terre, espérant le ciel, et dont le nom est Jérusalem et Sion. C’est assurément d’un homme né en Sion, et fondateur de Sion, qu’un psaume nous a dit : « Un homme dira : Sion est ma mère ». Quel est cet homme ? « Un homme qui a été fait en elle, et c’est le Très-haut qui l’a fondée[85] ». C’est donc en Sion qu’il a été fait homme, mais homme humble, et lui-même qui est le Très-Haut a fondé cette cité en laquelle il a été fait homme. C’est pourquoi celte femme était revêtue du soleil[86], et du soleil de justice lui-même, que les impies ne connaissent point, eux qui diront au dernier jour : « Nous avons donc erré hors de la voie de la vérité, et la lumière de la justice n’a pas lui à nos yeux, le soleil ne s’est point levé pour nous[87] ». Il est donc un soleil de justice qui ne se lève point pour les impies. Du reste, il fait lever ce soleil sur les bons et sur les méchants[88]. Cette femme était donc revêtue du soleil, et portait dans ses entrailles un fou qu’elle devait enfanter. Le même était donc fondateur en Sion, et naissait en Sion ; et cette femme, cité de Dieu, était protégée par la lumière de celui qu’elle portait dans ses entrailles. C’est avec raison dès lors que la lune était sous ses pieds, parce que dans sa force elle foulait aux pieds la mortalité de cette chair qui croît et décroît. Donc notre Seigneur Jésus-Christ est tout à la fois la tête et le corps. Lui qui a voulu mourir pour nous a daigné parler en notre nom et faire du nous ses membres. Aussi parla-t-il quelquefois au nom de ses membres, et quelquefois en son propre nom, comme chef. Il peut parler en dehors de nous, et nous jamais sans lui. L’Apôtre a dit : « Afin de suppléer en sa chair aux douleurs du Christ[89] ». Ce qui manque, non pas à mes douleurs, mais aux douleurs du Christ, non plus en la chair du Christ, mais en la mienne. Le Christ, en effet, souffre non pas en sa chair, puisque c’est en elle qu’il est monté au ciel, mais en ma chair qui souffre encore sur la terre. C’est en ma chair que Jésus-Christ souffre : « Je vis, non pas moi, mais c’est le Christ qui vit en moi[90] ». Et si le Christ ne souffrait point dans ses membres, c’est-à-dire dans les fidèles, Saul ne persécuterait point sur la terre le Christ qui est assis dans les cieux. Enfin, dans un endroit de ses Épîtres il nous dit clairement : « Et comme notre corps, qui est un, est néanmoins composé de plusieurs membres, et que tous ces membres, quoique nombreux, ne sont néanmoins qu’un seul corps ; ainsi en est-il du Christ[91] ». Il ne dit point : Ainsi en est-il du Christ et de son corps ; mais bien : « Le corps est un avec plusieurs membres ; de même en est-il du Christ ». Tout donc n’est qu’un seul Christ. Et comme tout ne forme qu’un seul Christ, la tête s’écriait du haut du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[92] ? » Retenez bien cela, mes frères, et qu’il demeure dans votre mémoire, puisque vous êtes les enfants instruits de la doctrine et de la foi catholique. Reconnaissez dans Jésus-Christ ta tête et le corps, et dans ce même Christ le Verbe de Dieu, unique et égal au Père. Voyez de là par quelle admirable grâce vous touchez à Dieu, au point qu’il a voulu être un avec nous, lui qui est un avec son Père. Comment un avec son Père ? « Mon Père et moi sommes un[93] ». Comment un avec nous ? « L’Écriture ne dit point : Et ceux qui naîtront », comme pour en marquer plusieurs ; mais elle dit, comme parlant d’un seul : « Celui qui naîtra de vous et qui est le Christ ». Mais, dira-t-on, si le Christ est de la race d’Abraham, en sommes-nous ? Souvenez-vous que le Christ est la race d’Abraham, et que dès lors si nous sommes la race d’Abraham, nous sommes aussi le Christ. Or, « le corps dans son unité a néanmoins plusieurs membres, il en est de même du Christ. Et vous tous qui êtes baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ ». Toutefois le Christ est la race d’Abraham, et l’on ne saurait contredire les paroles si claires de l’Apôtre : « Et dans ta race, qui est le Christ »[94]. Voyez encore ce qu’il nous dit : « Si donc vous êtes au Christ, vous êtes de la race d’Abraham[95] ». De là ce grand sacrement « Ils seront deux dans une même chair »[96]. L’Apôtre l’a dit : « Ce sacrement est grand, je l’entends de Jésus-Christ et de l’Église[97] ». Le Christ et l’Église sont deux dans une seule chair. Deux à cause de la distance qui nous sépare de la majesté divine, deux certainement ; car nous ne sommes point le Verbe, puisque nous n’étions au commencement ni Dieu, ni en Dieu ; nous ne sommes point celui par qui tout a été fait[98]. Mais au point de vue de la chair, on trouve le Christ, et l’on nous trouve avec lui. Ne nous étonnons donc plus du langage des psaumes ; le Prophète parle souvent au nom du chef, et souvent au nom des membres, et il en parle comme s’ils n’étaient qu’une même personne ; et il n’est pas étonnant que deux dans une même chair n’aient qu’une même voix.
4. Judas, fils de l’Époux, persécutait donc l’Époux. C’est ce q ni est arrivé ; mais n’y avait-il point là une figure de l’avenir ? L’Église, en effet, devait avoir bien des faux frères, et maintenant encore le fils de l’Époux persécute l’Époux, et le persécutera jusqu’à la fin. « Qu’un ennemi m’ait outragé, je l’aurais supporté », dit-il ailleurs, « et si celui qui me hait s’élevait contre moi, je me déroberais à ses poursuites[99] ». Quel est l’ennemi ? Quel est celui qui me hait ? Celui-là même qui dit : Qui est le Christ ? Le Christ est un homme qui n’a pu vivre quand il voulait vivre : il est mort malgré lui, disent-ils, mort convaincu, mort sur une croix, mort d’après une sentence. Voilà ce que disent les ennemis. Celui-là, dit le Christ, est un ennemi déclaré, il me hait, il me fait ouvertement la guerre : on peut facilement le, supporter ou l’éviter. Mais que faire avec Absalon ? Que faire avec Judas?que faire avec de faux frères ? que faire avec de mauvais fils, mais fils néanmoins, qui ne se soulèvent point contre nous pour blasphémer le Christ, mais qui adorent le Christ avec nous, et qui persécutent le Christ en nous ? C’est d’eux que le même psaume nous dit ensuite qu’il eût été facile de tolérer un ennemi déclaré, ou de se dérober à ses embûches. C’est, en effet, se dérober au païen que d’entrer dans l’Église. Mais quand c’est dans l’Église que l’on trouve ce que l’on redoutait ailleurs, où chercher un refuge ? Aussi le même Apôtre, qui gémit des périls qu’il trouve chez les faux frères, nous dit-il que ce sont « des combats au-dehors, et des craintes à l’intérieur[100]. Si l’homme qui « me haïssait se fût élevé contre moi, je me serais dérobé à ses poursuites ; mais toi qui n’avais avec moi qu’une même âme ». Il y a ici unité d’âme, comme unité dans le Christ. L’Église a donc à souffrir au-dehors et à gémir à l’intérieur ; et toutefois, qu’elle croie à des ennemis au-dehors et au dedans ; ceux du dehors plus faciles à éviter, ceux de l’intérieur plus difficiles à tolérer.
5. Que notre Sauveur donc, que le Christ avec nous, le Christ tout entier s’écrie : « Seigneur, exaucez ma prière, prêtez l’oreille à mes supplications[101] ». « Exaucez » a le même sens que « prêtez l’oreille ». C’est une répétition qui a pour but de corroborer. « Exaucez-moi dans votre vérité, dans votre justice ». Ne passons pas légèrement sur cette expression : « dans votre justice ». Elle nous prêche la grâce de Dieu, afin que nul d’entre nous ne s’imagine que sa justice vient de lui-même. Car cette justice vient bien de Dieu, et si tu l’as, c’est qu’il te l’a donnée. Que dit, en effet, l’Apôtre de ceux qui ont voulu se glorifier de leur propre justice ? « Je leur rendrai », dit-il, « ce témoignage qu’ils ont le zèle de Dieu ». Il parlait alors des Juifs. « Ils ont à la vérité le zèle de Dieu », nous dit-il ; « mais non selon la science[102] ». Qu’est-ce à dire : « non point selon la science ? » Quelle science, ô saint Apôtre, nous donnez-vous comme utile ? Est-ce la science qui enfle dès qu’elle est seule, qui n’édifie que quand elle est unie à la charité[103] ? Ce n’est point cette science, assurément, mais la science qui est la compagne de la charité, la maîtresse de l’humilité, Vois si telle est la science dont il est dit : « Ils ont à la vérité le zèle de Dieu, mais non selon la science ». Qu’il nous dise lui-même de quelle science il parle : « Ignorant la justice qui vient de Dieu », nous dit-il, « et voulant établir leur propre justice, ils n’ont pas été soumis à la justice de Dieu[104] ». Quels sont donc les hommes qui veulent établir leur propre justice ? Ceux qui s’attribuent à eux-mêmes le bien, et à Dieu le mal qu’ils font. C’est le comble de la perversité : ils ne seront droits qu’à la condition de se corriger. Il y a donc perversité à rejeter sur Dieu le mal que l’on commet, à s’arroger le bien : il n’y a de droiture qu’à s’attribuer le mal, et à Dieu le bien que l’on fait. Car tu ne passerais pas d’une vie impie à la vie des justes, si tu n’étais devenu juste par celui qui justifie l’impie[105]. Donc, dit le Prophète : « Exaucez-moi dans votre justice », et non dans la mienne : afin que « je sois trouvé en Dieu, non point avec ma propre justice qui vient de la loi, mais avec celle qui vient de la foi[106] ». Voilà ce que signifie : « Exaucez-moi dans votre justice ». Quand en effet je me considère, je ne trouve de moi que le péché.
6. « Et n’entrez point en jugement avec votre serviteur[107] ». Quels hommes veulent entrer en jugement avec Dieu, sinon ceux qui ignorent sa justice, et veulent établir celle qui leur est propre ? Que signifie : « Nous avons jeûné et vous ne l’avez point vu ; nous nous sommes humiliés, et vous ne l’avez point su ? »[108] C’est comme si ces interlocuteurs disaient : Nous avons accompli vos préceptes, pourquoi ne pas accomplir vos promesses envers nous ? Et Dieu te répondra : Recevoir ce que j’ai promis, c’est un don de ma grâce, et faire ce qui mérite cette récompense est encore un don de cette même grâce. Enfin, voici ce que dit le Prophète à ces superbes : « Pourquoi vouloir entrer en jugement avec moi ? Vous m’avez tous abandonné, dit le Seigneur[109] ». Pourquoi vouloir entrer en jugement avec moi et faire mention de vos actes de justice ? Comment approuver la justice dans un cœur où je condamne l’orgueil ? C’est donc avec raison que notre interlocuteur, qui est humble dans le corps du Christ, apprenant de ce chef auguste à être doux et humble de cœur[110], s’écrie ici : « N’entrez point en jugement avec votre serviteur ». Ne disputons point, je ne veux aucun différend avec vous, ô mon Dieu, ni faire valoir ma justice, pour être, par vous, convaincu d’humilité. « N’entrez point eu jugement avec votre serviteur ». Pourquoi ? Que craint-il ? « C’est que nul homme vivant ne sera trouvé juste devant vous ». Nul homme vivant, est-il dit, nul homme vivant ici-bas, vivant dans la chair, vivant pour mourir, nul homme né des hommes, vivant pour les hommes, né d’Adam, ou plutôt Adam vivant ; tout homme vivant de la sorte pourra sans doute paraître juste à ses propres yeux, mais non à vos yeux. Comment à ses propres yeux ? Ayant pour lui-même des complaisances, et dès lors il vous déplaira : « Car devant vous nul homme vivant ne paraîtra juste ». N’entrez donc point en jugement avec moi, je vous en supplie, ô mon Dieu. Quelle que soit ma justice à mes propres yeux, vous tirez de vos trésors la règle infaillible, vous l’appliquez surmoi, et vous nue trouvez tortueux. « N’entrez point en jugement avec votre serviteur ». Oui, « avec votre serviteur ». Il est indigne de vous, ô Dieu, d’entrer en jugement avec celui qui vous sert, non plus qu’avec votre ami. Autrement vous ne diriez point : « Je vous le déclare, à vous qui êtes mes amis[111] », si de vos serviteurs vous ne les aviez faits vos amis. Bien que vous me donniez le nom d’ami, je confesse que je ne suis qu’un serviteur. J’ai besoin de miséricorde, je reviens de mes égarements, implorant mon pardon, et indigne d’être appelé votre fils[112]. « N’entrez donc pas en jugement avec votre serviteur ; car nul homme vivant ne sera juste à vos yeux. Ne louez personne avant sa mort[113] ». Nul homme donc absolument. Que dirons-nous de ces chefs du troupeau, de ces apôtres dont il est dit : « Offrez au Seigneur les fils des béliers[114] ». L’un d’eux, saint Paul, sait bien, nous dit-il, qu’il n’est point parfait : « Non pas que j’aie déjà reçu, ou que je sois parfait[115] ». En un mot, mes frères, ils ont appris à faire la même prière que nous, le divin Jurisconsulte leur a prescrit la même règle de supplications. « C’est ainsi que vous prierez[116] », leur dit-il, et après quelques articles qui précèdent il prescrivit ce que devaient dire ces béliers, ces chefs du troupeau, ces principaux membres du Pasteur suprême, de celui qui rassemble toutes les brebis en un seul troupeau ; ils apprirent à dire ; « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent[117] ». Ils ne dirent point : Nous vous rendons grâces parce que vous nous avez remis nos dettes, comme nous remettons, nous aussi, à ceux qui nous doivent ; mais bien : remettez-nous comme nous remettons. Déjà, sans doute, les Apôtres priaient, les fidèles priaient ; car cette prière est enseignée par le Sauveur principalement à ceux qui lui sont fidèles ; si l’on entendait par ces dettes celles qui sont remises au baptême, les catéchumènes principalement devraient dire : « Remettez-nous nos dettes ». Que les Apôtres donc disent eux-mêmes : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent ». Et quand on leur dira : Pourquoi ce langage ? quelles sont vos dettes ? qu’ils répondent : « Nul homme vivant ne sera justifié en votre présence ».
7. « Car l’ennemi a persécuté mon âme, il a humilié ma vie sur la terre[118] ». Voyez-nous, Seigneur, voyez notre chef pour nous : « C’est que l’ennemi a persécuté mon âme ». Le diable, en effet, a persécuté l’âme du Christ, Judas l’âme de son maître ; et maintenant encore le même diable continue à persécuter le corps du Christ ; à Judas succède un autre Judas. Le corps du Christ ne manque pas d’ennemi, et dès lors il peut dire : « Voilà que l’ennemi a persécuté mon âme, il a humilié ma vie sur la terre ». Au lieu de cette parole : « Il a humilié ma vie sur la terre », nous lisons ailleurs : « Ils ont courbé mon âme[119] ». Quel est en effet le but que se propose à notre égard son persécuteur, sinon de nous détourner de toute espérance du ciel, et de nous inspirer le goût de la terre ? C’est là ce qu’ils font eux-mêmes autant qu’il est en eux ; mais Dieu nous préserve d’un tel malheur, nous à qui il est dit : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, ayez du goût pour les choses du ciel où le Christ est assis à la droite de Dieu ; cherchez ce qui est du ciel, et non ce qui tient à la terre ; car vous êtes morts[120] ». Nul homme vivant, en effet, ne sera justifié devant Dieu. Ces persécuteurs donc, soit à force ouverte, soit par de secrètes embûches, s’efforcent de nous amener à la vie terrestre. Soyons en garde contre eux, afin de pouvoir dire : « Toute notre conversation est dans le ciel[121]. L’ennemi », dit le Prophète, « a humilié ma vie sur la terre ».
8. « Ils m’ont placé dans les ténèbres, comme les morts du siècle ». Ces paroles conviennent mieux à notre chef, et se comprennent mieux en lui. Il est mort en effet pour nous, mais il n’est pas un mort du siècle. Quels sont, en effet, les morts du siècle ? et comment notre chef n’est-il pas un mort du siècle ? Ceux-là sont les morts du siècle, qui sont morts justement, qui ont reçu le châtiment de l’iniquité, qui ont dû mourir à cause de la transmission du péché, selon cette parole « Voilà que je suis conçu dans l’iniquité, et ma mère m’a nourri avec le péché dans ses entrailles[122] » ; tandis que le Christ est venu au sein d’une Vierge prendre une chair, mais non l’iniquité de la chair, prendre une chair pure et purifiante. Or, ceux qui le croyaient pécheur, le regardaient comme un mort du siècle. Mais celui qui a dit dans un autre psaume : « Je payais ce que je n’avais point ravi[123] » qui a dit encore dans l’Évangile : « Voici le Prince du monde », le préposé de la mort, l’instigateur de toute œuvre mauvaise, qui en exige le châtiment ; « le voici, mais il ne trouvera rien en moi[124] ». Qu’est-ce à dire, qu’« il ne trouvera rien en moi ? » Aucune faute, rien qui mérite la mort. « Mais afin », dit-il, « que tous connaissent que je fais la volonté de mon Père, levez-vous, sortons d’ici[125] ». Mourir, nous dit-il, c’est accomplir la volonté de mon Père ; mais je n’ai rien fait qui soit digne de mort. Je n’ai rien fait qui mérite la mort, seulement je veux mourir, afin de délivrer, par la mort d’un innocent, tous ceux qui ont mérité de mourir. « Ils m’ont placé dans les ténèbres », comme dans les enfers, comme dans le sépulcre, comme dans la passion même ; ils ont traité comme les morts du siècle celui qui a dit : « Je suis devenu comme un homme sans secours, libre entre les morts[126] ». Qu’est-ce à dire libre ? Pourquoi libre ? Parce que tout homme qui commet le péché est esclave du péché[127]. Ensuite il ne nous délivrerait point de nos chaînes, s’il n’était lui-même libre de toute entrave. Celui-là donc qui était libre a tué la mort, enchaîné les chaînes, captivé la captivité, et ils l’ont placé dans les ténèbres comme un mort du siècle.
9. « Et voilà qu’en moi l’esprit a été accablé d’ennui[128] ». Reportez-vous à cette autre parole : « Mon âme est triste jusqu’à la mort[129] ». Voyez que c’est bien la même plainte. Le passage du chef aux membres et des membres au chef n’est-il pas visible ? « En moi l’esprit a été accablé d’ennui » ; parole qui nous appelle : « Mon âme est triste jusqu’à la mort ». Mais nous étions là nous-mêmes. « Car il a transfiguré en lui notre corps misérable, en le rendant conforme à son corps glorieux[130] » ; et notre vieil homme a été attaché avec lui à la croix[131]. s Mon cœur s’est troublé au dedans de moi ». « Au dedans de moi », dit le Prophète, et non dans les autres. Les autres, en effet, m’ont abandonné, et ceux qui s’étaient attachés à moi se sont retirés ; en me voyant mourir, ils m’ont cru tout autre, cédant ainsi le pas à un voleur qui croyait en moi[132], quand eux-mêmes s’esquivaient.
10. Le Prophète passe ensuite aux membres : « Je me suis souvenu des jours d’autrefois ». A-t-il pu se souvenir des jours anciens, Celui pour qui tout jour a été fait ? Mais c’est le corps qui parle ici, l’interlocuteur est tout homme justifié par la grâce et attaché au chef par les liens de la charité et d’une humble piété ; c’est lui qui dit : « Je me suis souvenu des jours anciens, j’ai médité sur toutes vos œuvres[133] ». Car toutes vos œuvres sont parfaites, et rien n’eût été affermi, si vous ne l’eussiez affermi vous-même. Toutes vos créatures sont pour moi un grand spectacle : je cherche l’ouvrier dans son ouvrage, et le créateur dans la créature. Pourquoi cela ? pourquoi cette recherche, sinon afin de comprendre que tout ce qu’il y a de bon en lui vient de Dieu, de peur que dans son ignorance de la justice de Dieu il ne prétendît établir la sienne, et ne fût plus dès lors soumis à la justice de Dieu[134] ? Dès lors cette parole du commencement lui est applicable : « Dans votre vérité et dans votre justice ». Ainsi donc, dès qu’il médite les œuvres de Dieu, qu’il s’applique à les considérer, l’interlocuteur nous insinue la grâce de Dieu, nous en établit l’importance, et s’applaudit d’avoir trouvé cette grâce qui nous sauve gratuitement. Pourquoi te glorifier dans ta justice ? Pourquoi t’élever, ô toi qui ignores la justice de Dieu ? Il t’en a coûté, diras-tu, pour être sauvé ; mais qu’as-tu donné pour être homme ? Considère dès lors l’auteur de ta vie, de ta substance, de ta justice, l’auteur de ton salut. « Médite les œuvres de ses mains », et tu comprendras que la justice qui est en toi est une œuvre de la main de Dieu. Écoute une leçon de l’Apôtre : « Cela ne vient point des œuvres, de peur qu’on ne vienne à s’enorgueillir[135] ». Sommes-nous donc sans bonnes œuvres ? Nous en avons assurément ; mais vois ce qui suit : « Nous sommes l’ouvrage de Dieu », nous dit le même Apôtre. Or, en disant que nous sommes l’ouvrage de Dieu, l’Apôtre a-t-il voulu, par ce mot d’ouvrage, désigner cette nature qui fait de nous des hommes ? Nullement ; il est question de nos œuvres. « Cela ne vient pas de nos œuvres », dit-il, « afin que nul ne s’élève »[136]. Mais, sans nous en tenir à des conjectures, écoutons-le : « Nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ par les bonnes œuvres ». Ne t’imagine pas faire quelque chose, si ce n’est dans ta malice. Laisse ton œuvre pour n’envisager que l’œuvre de ton créateur : c’est lui qui t’a formé d’abord, qu’il te rétablisse dans ce qu’il t’avait fait, et que tu as détruit. Il a fait que tu sois ; et si tu es bon, c’est lui qui te fait bon. « Opérez votre salut », nous dit-il, « avec crainte et tremblement[137] ». Mais si notre salut est une œuvre qui nous soit propre, pourquoi le faire avec crainte et tremblement, puisque notre œuvre dépend de nous ? Écoute bien cette crainte et ce tremblement. « C’est Dieu qui, dans sa bonté, opère en nous le vouloir et le faire[138] ». Donc avec crainte et tremblement, afin que ce divin ouvrier se plaise à opérer dans les vallées ; car celui qui juge les nations, qui les couvre de ruines, agit en nous comme en s’abaissant. « J’ai médité sur l’œuvre de vos mains ». J’ai donc vu, « j’ai considéré vos ouvrages » ; car il n’est en nous rien de bon qui ne vienne de tous qui nous avez faits.
11. Qu’ai-je fait après avoir vu que toute grâce excellente vient de vous, que tout don partait nous vient d’en haut, descend du Père des lumières, en qui il n’y a ni changement, ni ombre de vicissitude[139] ? À cette vue je me suis détourné du mal que j’avais fait en moi : « Et j’ai tendu mes mains vers vous ». « J’ai étendu », dit le Prophète, « mes mains vers vous, et mon âme, devant vous, est une terre sans eau[140] ». Répandez sur moi votre rosée, afin que je porte de bons fruits. « Car c’est le Seigneur qui répandra la douceur afin que la terre porte son fruit[141] ». « J’ai étendu mes mains vers vous, mon âme est une terre sans eau devant vous », et non devant moi. Je puis en effet vous témoigner ma soif, mais non m’abreuver moi-même. « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau » ; car mon âme a soif du bien vivant[142]. Quand viendrai-je, sinon quand Dieu lui-même viendra ? Mon âme a soif du Dieu vivant, parce que « mon âme est devant vous comme une terre sans eau ». Je vois la mer qui regorge, elle a de grandes eaux qui s’élèvent avec fracas, mais des eaux amères. Voilà que l’eau est séparée, et l’aride paraît[143] ; c’est mon âme, arrosez-la, « car elle est devant vous comme une terre sans eau ».
11. « Hâtez-vous, Seigneur, de m’exaucer[144] ». Pourquoi différer quand je suis altéré, et attiser ainsi ma soif ? Mais si vous retenez vos eaux sacrées, c’est afin que j’y puise plus avidement, que je ne les dédaigne point quand vous les répandez. Si vous ne les retenez que dans ce dessein, donnez-les-moi maintenant ; car « mon âme est devant vous comme une terre sans eau ; hâtez-vous, Seigneur, de m’exaucer, mon esprit est en défaillance ». Puisque mon esprit tombe en défaillance, comblez-moi de votre esprit. Cette défaillance de mon esprit est un motif de m’exaucer plus promptement. Me voilà pauvre d’esprit, donnez-moi le bonheur du ciel[145]. Que l’esprit vive dans l’homme, il y a orgueil, c’est par l’esprit qu’il s’élève contre Dieu. Puisse-t-il être assez heureux pour que cette parole s’accomplisse en lui : « Vous leur ôterez leur esprit, et ils tomberont, et ils rentreront dans leur poussière[146] », afin qu’un humble aveu leur fasse dire : « Souvenez-vous que nous sommes poussière[147] ». Mais après avoir dit. « Souvenez-vous que nous sommes poussière » ; qu’ils disent encore : « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau ». Quelle terre est sans eau plus que la poussière ? Mais « hâlez-vous de m’exaucer, ô mon Dieu o, répandez sur moi votre rosée et votre force, afin que je ne sois plus comme une poussière que le vent soulève de la surface de la terre[148]. « Hâtez-vous de me secourir, ô mon Dieu, mon esprit a défailli ». Ne mettez aucun retard à secourir mon indigence. Vous m’avez ôté mon esprit, afin que dans ma défaillance et en restant dans ma poussière, je puisse dire : « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau » : accomplissez en moi cette autre parole du psaume : « Vous enverrez votre esprit, et ils seront créés ; vous renouvellerez la face de la terre[149] », Si donc quelqu’un est à Jésus-Christ, c’est une nouvelle créature : le passé n’est plus[150]. C’est leur esprit vieilli qui n’est plus, et c’est votre esprit qui a tout renouvelé.
13. « Ne détournez point de moi votre face ». Vous l’avez détournée de mon orgueil, car autrefois j’étais dans l’abondance et je m’élevais. « Pour moi », j’ai dit un jour, dans mon abondance : « Je ne serai jamais ébranlé ». Je disais donc : Jamais je ne serai ébranlé, j’ignorais votre justice, et j’établissais la mienne ; mais « c’est votre bonté, Seigneur, qui m’a consolidé dans mon état florissant ». J’ai dit, dans mon abondance : « Jamais je ne serai ébranlé » ; mais c’est de vous que me venait toute cette abondance, et pour me montrer qu’elle me venait de votre bonté, « vous avez détourné de moi votre face, et je suis tombé dans le trouble[151] ». Après ce trouble où je suis tombé quand vous avez détourné votre face, après cet ennui de l’esprit, ce trouble du cœur que j’ai ressenti parce que vous avez détourné de moi votre face, voilà que j’ai été devant vous comme une terre sans eau : « Ne détournez point de moi votre face ». Vous l’avez détournée de mon orgueil, daignez la rendre à mon humilité. « Ne détournez pas de moi votre face », si vous la détournez « je serai semblable à ceux qui descendent dans l’abîme. Qu’est-ce à dire, ceux qui descendent dans l’abîme ? Quand l’impie est descendu dans les profondeurs du mal, il méprise[152]. Ceux-là descendent dans l’abîme, qui perdent tout aveu ; c’est contre ce malheur que le Prophète dit au Seigneur : « Que le gouffre ne referme pas sa bouche sur moi[153] ». Telles sont les profondeurs que l’Écriture appelle souvent l’abîme, et quand le pécheur y est tombé, il n’a plus que le mépris. Qu’est-ce à dire, le mépris ? Il ne reconnaît plus aucune Providence, ou s’il en reconnaît une, il ne croit point en être l’objet. Sans espérance de pardon, il donne libre carrière à ses passions coupables et ne recule devant aucun péché. Il ne dit point : Je retournerai à Dieu, afin qu’il revienne à moi ; il ne comprend point cette parole : « Convertissez-vous à moi et je reviendrai à vous[154] », parce que dans ces profondeurs il n’a plus que le dédain. « Car », dit le sage, « un mort ne confesse pas le Seigneur non plus que s’il n’était pas[155] ». Ne détournez donc point de moi votre face, autrement je serai semblable à ceux qui descendent dans l’abîme ».
14. « Faites-moi entendre dès le matin votre miséricorde, parce que j’ai espéré en vous[156] ». Je sais que je suis dans la nuit, mais j’espère en vous jusqu’à ce que l’iniquité des ténèbres soit passée[157]. « Nous avons en effet », comme le dit saint Pierre, « une preuve plus certaine chez les Prophètes, sur qui vous ferez bien d’arrêter les yeux comme sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour commence à paraître et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs[158] ». Il donne alors le nom de matin à ce jour qui doit suivre la fin du monde, et qui nous montrera ce que nous aurons cru en cette vie. « Au matin vous entendrez ma voix, au matin je me tiendrai devant vous pour vous contempler[159] ». Faites-moi comprendre au matin votre miséricorde, parce que j’ai espéré en vous. Car « si nous ne voyons point ce que nous espérons, nous l’attendons par la patience ». La nuit a besoin de patience, le jour nous donnera la joie. « Faites-moi entendre au matin votre miséricorde, parce que mon espoir est en vous »[160].
15. Mais que faire ici-bas, en attendant que le matin vienne ? Il ne suffit pas, en effet, d’espérer, nous avons une œuvre à faire. Pourquoi une œuvre à faire ? C’est qu’il est dit dans un autre psaume : « J’ai recherché Dieu au jour de ma tribulation[161] » ; comme j’ai recherché Dieu dans le temps de ma nuit. Comment l’avez-vous cherché, ô Prophète ? « De mes mains, la nuit, en sa présence, et je n’ai pas été trompé ». Qu’est-ce à dire de mes « mains ? » Par de bonnes œuvres. « En sa présence » : « En faisant l’aumône, garde-toi de sonner de la trompette, et ton Père qui voit dans le secret, te récompensera[162] ». Comme donc il nous faut espérer le matin, et supporter ainsi la nuit d’ici-bas, et persévérer dans la patience jusqu’à l’arrivée du jour, que devons-nous faire jusque-là ? Ne feras-tu point quelque chose sur toi-même, pour mériter d’arriver au matin ? « Seigneur, faites-moi connaître la voie par laquelle j’entrerai ». C’est pour cela que le Seigneur a fait briller ce flambeau prophétique, c’est pour cela qu’il nous a envoyé son Fils dans la chair comme dans un vase d’argile, lui qui a dit : « Ma face est desséchée comme l’argile[163] ». Marche donc à la lumière des – Prophètes, marche au flambeau de ces prédictions de l’avenir marche à la parole de Dieu, Tu ne vois pas encore ce Verbe qui était au commencement, ce Dieu en Dieu[164] ; marche à cette lumière de la forme de l’esclave, et tu arriveras à la forme de Dieu. « Faites-moi connaître, ô mon Dieu, par quelle voie j’entrerai ; parce que j’ai élevé mon âme vers vous ». Oui, vers vous, mais non contre vous. C’est en vous qu’est la source de vie[165] ; « j’ai élevé mon âme vers vous », comme un vase que l’on apporte à la source. Remplissez-moi, Seigneur, « puisque c’est vers vous que j’ai élevé mon âme ».
16. « Délivrez-moi de mes ennemis, ô mon Dieu, je me réfugie en vous[166] ». Jadis je vous ai fui, maintenant je me réfugie en vous. Adam s’enfuit de devant la face du Seigneur, et se cacha dans les bosquets du paradis[167], en sorte qu’on peut lui appliquer cette parole de Job « Comme le serviteur qui fuit son maître, et qui recherche les ombres[168][169] ». Il s’enfuit donc de devant la face du Seigneur, et chercha les ombres puisqu’il s’enfuit dans les obscurs bosquets du paradis. Malheur à lui s’il demeure dans cette ombre et s’il fait dire un jour « Tout a passé comme une ombre[170]. Délivrez-moi de mes « ennemis ». Dans ces ennemis je ne vois point des hommes. « Car nous n’avons pas à combattre contre la chair et le sang ». Contre qui dès lors ? « Contre les princes et les puissances qui dirigent ce monde ». Quel monde ? Non point les cieux et la terre, puisqu’ils ne sauraient gouverner ce qu’ils n’ont point fait. « Qui gouvernent le monde ». Quel monde alors ? « Ces ténèbres[171] ». Quelles ténèbres ? Les méchants. « Vous étiez autrefois ténèbres, vous êtes maintenant lumière dans le Seigneur[172] ». C’est donc contre les princes du monde, de ces ténèbres, contre les princes des méchants, que vous avez à combattre ; guerre bien nouvelle[173], d’avoir à vaincre un ennemi qu’on ne voit point ! Contre les princes du monde, les princes de ces ténèbres, c’est-à-dire contre le diable et ses anges, et non contre les princes de ce monde dont il est dit : « Et le monde a été fait par lui[174] » ; mais de cet autre dont il est écrit : « Et le monde ne l’a point connu. Délivrez-moi de mes ennemis, ô mon Dieu, parce que j’ai cherché en vous un refuge ». « De mes ennemis », non de Judas, mais de celui qui remplit le cœur de Judas. Je vois l’un et je le souffre, j’attaque l’autre sans le voir. Judas prit le morceau de pain, et Satan entra dans son cœur[175], afin que cet autre David souffrît persécution de la part de son fils. Combien n’est-il pas de Judas que remplit Satan, et qui dès lors ne reçoivent le pain sacré que pour leur condamnation ? « Quiconque en effet mange et boit indignement, mange et boit sa propre condamnation[176] ». Ce que l’on offre n’est point mauvais, mais on offre au méchant un bien qui fera sa condamnation. Le bien suprême ne saurait profiter à quiconque le reçoit mal. Donc, « délivrez-moi de mes ennemis, parce que j’ai cherché un refuge vers vous ». Où fuir en effet ? « Comment éviter votre esprit ? Si je monte vers le ciel, vous y êtes ; si je descends dans l’abîme, vous y êtes aussi ». Quelle ressource encore ? « Si je prends des ailes comme la colombe, et que je m’envole jusqu’aux confins des mers » ; pour habiter par l’espérance à la fin des siècles : « c’est là que me conduit votre main, là que me fait arriver votre droite[177]. Délivrez-moi de mes ennemis, Seigneur, parce que c’est en vous que je cherche un asile ».
17. « Apprenez-moi à faire votre volonté ; « parce que c’est vous qui êtes mon Dieu[178] ». Humble confession, saint engagement ! « Parce que c’est vous qui êtes mon Dieu ». J’aurais recours à un autre, pour me refaire, si un autre m’avait fait. Mais vous êtes mon tout, « parce que vous êtes mon Dieu ». Chercherai-je un père pour avoir son héritage ? « Vous êtes mon Dieu » ; non seulement vous me donnez un héritage, mais vous êtes cet héritage même. « Le Seigneur est la portion de mon héritage[179] ». Chercherai-je un Seigneur pour me racheter ? « Vous êtes mon Dieu ». Chercherai-je un homme puissant pour me délivrer ? « Vous êtes mon Dieu ». Humble créature, souhaiterai-je d’être créée de nouveau ? « Vous êtes mon Dieu », vous êtes mon Créateur ; c’est vous qui m’avez créé par votre Verbe, et créé de nouveau parce même Verbe. Vous m’avez créé par le Verbe-Dieu qui demeure en vous, et créé de nouveau par le Verbe fait chair pour nous. « Apprenez-moi donc à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu ». Si vous ne m’instruisez, je ferai ma volonté, et mon Dieu m’abandonnera. « Apprenez-moi à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu ». « Enseignez – moi », car vous ne serez pas mon Dieu pour que je sois mon maître. Voyez comme notre psaume prêche la grâce de Dieu. Retenez ces instructions, abreuvez-en votre âme, et que nul ne les arrache de vos cœurs ; de peur que vous n’ayez le zèle de Dieu, mais non selon la science ; de peur que dans votre ignorance de la justice de Dieu, vous ne prétendiez établir la vôtre[180], et que dès lors vous ne soyez plus soumis à la justice de Dieu. Vous savez que ces paroles sont de l’Apôtre ; répétez dès lors avec le Prophète : « Enseignez-moi à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu ».
18. « Votre Esprit plein de bonté », non le mien qui est méchant : « Votre Esprit plein de bonté me conduira dans la terre de Droiture », parce que mon esprit pervers m’a conduit dans la terre de perversion. Qu’ai-je donc mérité, Seigneur ? Quelles bonnes œuvres ai-je pu faire sans votre secours, pour obtenir, pour me rendre digne d’être conduit par votre Esprit dans la terre de la justice ? Quelles sont mes œuvres, ou mes mérites ? « C’est à cause de votre nom, ô mon Dieu, que vous me donnerez la vie ». Comprenez autant qu’il est en vous cette prédication de la grâce qui vous a sauvés gratuitement. C’est, à cause de votre nom, Seigneur, que vous me donnerez la vie. « Ce n’est point à nous, Seigneur, qu’il faut donner la gloire, ce n’est point à nous, mais à votre nom ». Car c’est à cause de votre nom que vous nous donnerez la vie « dans votre justice », et non point dans la mienne ; non point à cause de mes mérites, mais à cause de votre miséricorde. Si je prétendais m’appuyer sur mes mérites, je ne mériterais que l’enfer. Vous avez donc détruit en moi tout mérite, pour y insérer vos dons. « C’est à cause de votre nom, Seigneur, que vous me donnerez la vie, et dans votre justice vous délivrez mon âme de la tribulation ; et dans votre miséricorde vous perdrez mes ennemis vous perdrez tous ceux qui affligent mon âme, parce que je suis votre serviteur ».[181]

DISCOURS SUR LE PSAUME 143

SERMON AU PEUPLE

VICTOIRE DE DAVID SUR GOLIATH.




Ce géant, c’est le démon qu’il nous faut combattre, et David, c’est le chrétien armé de sa foi, ou même le Christ. Les cérémonies symboliques de la loi sont les armes qui embarrassent David. Il les quitte pour prendre cinq pierres, qui figurent la loi de Moïse en cinq livres ; pierres du torrent ou du peuple qui passe, et que la charité fait découvrir. Or, la charité, c’est l’effet de la grâce, qui se donne gratuitement c’est pourquoi David mit ces pierres dans son vase de berger destiné à recueillir le lait du troupeau. Armé de ces pierres ou de la charité, il renverse Goliath et lui tranche la tête avec sa propre épée, comme le Christ tourne contre Satan les hommes dont il se servait. Nos mains dressées au combat et nos doigts à la guerre, n’ont qu’un même sens ; mais les doigts marquent la division de l’action divine qui a divers dons pour les hommes. La guerre pour nous, c’est le combat contre ce monde qui n’a pas connu le Sauveur ; contre la chair qui a des aspirations contraires à celles de l’esprit. Cette chair sera rebelle jusqu’à sa transformation, mais il nous faut la soumettre en nous soumettant nous-mêmes à Dieu, autrement nous combattrons en vain. Disons pendant le combat : Vous êtes ma miséricorde, ou plutôt vous m’accordez d’user de miséricorde en me remettant mes dettes à condition que je remettrai, en me donnant à la condition que je donnerai. Or, la miséricorde éteint les feux du jugement. Le Seigneur est mon soutien, dit l’Église qui jouit par avance d’une certaine paix, parce qu’elle a mis sa confiance dans le Seigneur.
Qu’est-ce que l’homme pour que Dieu le rachète par son Fils unique ? s’il l’estime à ce point pendant qu’il combat, que sera-ce après la victoire ? Quant à l’homme pécheur, il n’est qu’un néant : qu’il fasse des œuvres dignes de la lumière, et recherche Dieu en sa présence, ou Dieu qui veille sur nous. L’Église dit à Dieu : Inclinez vos cieux et descendez. Ces cieux sont les Apôtres qui ont converti le monde. Faites briller vos éclairs contre les conspirateurs. Tendez-nous la main, afin que nous puissions surmonter les grandes eaux de la contradiction. Le cantique nouveau du Prophète, c’est le Nouveau Testament, celui de la grâce qui nous fait accomplir la loi par les œuvres de la charité. Dieu a sauvé son Christ du glaive des méchants, glaive qui désigne ce que le Prophète appelait tout à l’heure les grandes eaux, c’est-à-dire les hommes frivoles, et la main des fils de l’étranger qui ont parlé la vanité, c’est-à-dire ambitionné le bien terrestre. Abraham, Isaac et Jacob furent riches, à la vérité ; mais ils ne regardaient les biens de la terre que comme des biens de la gauche, ou biens périssables, leur préférant les biens de la droite, ou Dieu avec l’éternité. C’est là ce que signifie : Sa gauche est sous ma tête, et sa droite m’embrasse ; c’est-à-dire, il ne m’abandonne point en cette vie, et me réserve les biens de l’avenir. Le langage de ces hommes est donc vain, parce qu’ils ont appelé heureux celui qui possède ces biens, tandis que celui-là seul est heureux qui a pour Dieu le Seigneur.


1. Le titre de ce psaume ne renferme que peu de paroles, mais beaucoup de mystères. « À David pour Goliath[182] ». Votre charité se souvient que l’Écriture nous parle de ce combat qui eut lieu au temps de nos pères. Un peuple étranger faisait la guerre au peuple de Dieu, et Goliath provoqua David à un combat singulier, afin que la victoire de l’un ou de l’autre champion fit voir la décision de Dieu. Mais à quoi bon parler de la victoire quand nous connaissons celui qui provoque et celui qui est provoqué ? C’est l’impiété qui provoque la piété, l’orgueil qui s’attaque à l’humilité, le diable qui s’attaque au Christ. Faut-il s’étonner que le diable soit vaincu ? Le premier était d’une stature gigantesque, l’autre petit de taille, mais grand par la foi. David, qui était saint, prit des armes guerrières pour marcher contre Goliath. Mais son âge et sa taille trop petite l’empêchèrent de les porter. Il jeta donc ces armes qui le chargeaient sans l’aider, et prit au torrent cinq pierres qu’il mit dans son vase de berger. Ainsi armé à l’extérieur, mais armé intérieurement du nom de son Dieu, il marcha contre le géant et le vainquit[183]. Voilà ce que fit David ; mais développons ces figures mystérieuses. Le titre est court, avons-nous dit, à n’en considérer que les paroles ; mais il est très important à cause des mystères qu’il renferme. Rappelons à notre mémoire cette parole de saint Paul : « Tout cela se passait pour eux en figure[184] » ; afin que l’on ne nous accuse pas de témérité en cherchant des mystères dans des passages sans mystères et écrits très simplement. Nous avons donc une autorité qui stimule notre attention à rechercher ces mystères, notre vigilance à les développer, notre dévotion à les écouter, notre fidélité à les croire, notre diligence à les pratiquer. En David nous trouvons le Christ ; mais comme vous ne sauriez l’ignorer, vous tous qui êtes instruits à son école, dans le Christ il y a la tête et le corps ; n’appliquez donc pas ces paroles au Christ de telle manière qu’il n’y ait rien pour vous qui êtes ses membres. Après avoir posé cette base, voyons ce qui suit.

2. Vous savez que le premier peuple fut chargé de nombreux sacrements visibles et corporels, d’une circoncision, d’un sacerdoce laborieux, d’un temple plein de figures, d’un grand nombre d’holocaustes et de sacrifices. Telles sont les armes plus embarrassantes que utiles qu’a dû déposer notre David. « Car si la loi qui a été donnée avait pu donner la vie, il serait vrai de dire que la justice vient de la loi ». À quoi donc a servi la loi ? L’Apôtre continue : « Mais l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse de Dieu s’accomplît par la foi en Jésus-Christ, en ceux qui croiraient[185] ». Aussi qu’a fait ce David, c’est-à-dire Jésus-Christ, la tête et le corps, qu’a-t-il fait quand la nouvelle alliance a été dévoilée, quand la grâce de Dieu a dû être enseignée et appréciée ? Il a quitté les armes et a pris cinq pierres[186] : ces armes qui l’embarrassaient, il les a mises de côté ; il a donc rejeté les sacrements de la loi, sacrements qu’il n’a point imposés aux Gentils, et que nous n’observons point. Vous savez en effet combien sont nombreux ces préceptes de la loi que nous ne pratiquons point, et qui sont néanmoins établis et mis sous nos yeux, pour en figurer d’autres ; non que nous devions rejeter la loi de Dieu, mais depuis l’accomplissement des promesses nous n’avons plus à nous arrêter aux symboles qui les annonçaient. Ce qu’ils nous promettaient est arrivé. La grâce du Nouveau Testament, voilée dans la loi, nous est dévoilée dans l’Évangile. Nous avons écarté le voile et reconnu ce qu’il nous dérobait ; nous l’avons reconnu dans la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, notre chef et Sauveur, qui a été crucifié pour nous, et à la mort de qui le voile du temple se déchira[187]. Enfin ce David quitta ces armes, ce fardeau de l’ancienne loi, pour prendre la loi même. Car ces cinq pierres sont la figure des cinq livres de Moïse. Il prit ces cinq pierres dans le torrent, et vous savez ce que signifie ce torrent ; car cette vie mortelle s’écoule, et tout ce qui vient au monde ne fait que passer. Ces pierres étaient donc dans le torrent, ou dans ce peuple primitif, pierres inutiles, ne rapportant rien, ne produisant rien ; le torrent passait dessus. Que fit David pour que la loi devînt utile ? Il prit la grâce. Car on ne saurait accomplir la loi sans la grâce ; puisque « la plénitude de la loi c’est la charité[188] ». Mais cette charité, d’où vient-elle ? Vois si elle ne vient pas de la grâce. « L’amour de Dieu », dit l’Apôtre, « est répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[189] », C’est donc la grâce qui nous fait accomplir la loi, et la grâce est figurée par le lait. Rien dans la chair ne se donne plus gratuitement que le lait, puisque la mère, loin d’attendre du retour, ne cherche qu’à le donner ; elle le donne gratuitement, elle s’attriste quand elle ne peut le donner. Comment donc David a-t-il montré que la loi ne peut agir sans la grâce, si ce n’est qu’en voulant joindre avec la grâce ces cinq pierres qui désignaient la loi renfermée dans les cinq livres, il les mit dans son vase de berger destiné à garder le lait du troupeau ? Armé de ces pierres, c’est-à-dire armé de la grâce, et dès lors loin de présumer de lui-même, plein de confiance en Dieu, il s’avança contre l’orgueilleux Goliath, plein de jactance et de confiance en lui-même. Il prit une de ces pierres, la lança, en frappa le front de son adversaire, qui tomba blessé dans cette partie du corps où n’était pas le signe du Christ, Remarquez aussi que David prit cinq pierres et n’en jeta qu’une seule ; les livres sont au nombre de cinq et n’ont qu’un même objet : car « la plénitude de la loi c’est la charité », comme nous l’avons dit tout à l’heure. Et l’Apôtre a dit : « Supportez-vous les uns les autres dans la charité, vous appliquant à conserver l’unité de l’esprit dans le lieu de la paix[190] ». Après avoir blessé et renversé Goliath, David lui prit son épée et lui trancha la tête. C’est ce que fit aussi notre David, qui chassa le démon de ceux qui lui appartenaient. C’est ce qui arrive quand les principaux de ceux qui lui appartiennent, et qui étaient au pouvoir du diable qui s’en servait pour lacérer d’autres âmes, quand ces hommes viennent à tourner leurs âmes contre le diable ; alors l’épée de Goliath sert à lui trancher la tête. Voilà, en peu de mots, autant que le temps nous le permet, les figures du titre ; voyons ce que renferme le psaume.

3. « Béni soit le Seigneur mon Dieu, qui as instruit mes mains au combat, et mes doigts à la guerre[191] ». Ce cri vient de nous, si nous appartenons au Christ. Bénissons le Seigneur notre Dieu, qui instruit nos mains au combat, et nos doigts à la guerre. Il semble qu’il y ait ici une répétition, et que nos mains au combat n’aient d’autre sens que mes doigts à la guerre. Est-il une différence entre la main et les doigts ? Car la main n’agit que par les doigts. On pourrait donc sans absurdité prendre les doigts pour la main. Et toutefois, dans les doigts nous trouvons la division de l’action et la racine de l’unité. Vois cet effet de la grâce dans cette parole de l’Apôtre : « L’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse, l’autre reçoit du même Esprit le don de parler selon la science ; un autre reçoit le don de la foi dans le même Esprit, un autre reçoit du même Esprit le don de guérir les malades, un autre le don de parler diverses langues, un autre le don de prophéties, un autre le discernement des esprits. Or, c’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses propres dons, comme il lui plaît[192] ». Mais faire ce don à l’un, cet autre don à l’autre, c’est là une diversité d’opérations. Toutefois, comme « c’est un seul et même esprit qui opère toutes ces choses », nous trouvons ici la racine de l’unité. C’est donc par ces doigts que le Christ combat, qu’il marche à l’ennemi, qu’il s’avance en bataille.

4. Pour ce qui est de ces guerres et de ces combats, il serait long de les exposer, et il est plus facile de les soutenir que de les expliquer. Mais nous avons une guerre dont l’Apôtre nous dit : « Ce n’est plus contre la chair et le sang qu’il nous faut combattre[193] », c’est-à-dire contre les hommes qui semblent vous persécuter ; ce n’est point contre eux que vous combattez, « mais contre les princes et les puissances, contre les directeurs du monde ». Et de peur que par le monde vous n’entendiez le ciel et la terre, il vous montre ce qu’il entend par là : « De ces ténèbres », nous dit-il. Ce monde n’est donc point celui qu’il a fait et dont l’Évangile nous dit : « Et le monde a été fait par lui » ; mais c’est le monde qui ne l’a point connu, car il est dit aussi : « Et le monde ne l’a point connu ». Ces ténèbres ne sont point telles par nature, mais par volonté. L’âme ne s’éclaire point par elle-même. Quand elle est humble, elle chante avec humilité et avec vérité : « C’est vous, Seigneur, qui faites luire mon flambeau ; ô Dieu, éclairez nos ténèbres[194] ». Et encore : « C’est en vous qu’est la source de la vie ; et c’est en votre lumière que nous verrons la lumière[195] ». Non point en la nôtre, mais en votre lumière. Car on donne aux yeux le nom de lumière, et toutefois, que la lumière extérieure vienne à manquer, fussent-ils sains et ouverts, ils demeureront dans les ténèbres. Donc nous faisons la guerre aux princes de ces ténèbres, c’est-à-dire aux princes des infidèles, au diable et à ses anges, qui dirigent ce glaive dont le diable frappe les fidèles. Mais de même qu’une fois que Goliath est renversé, on lui prend son glaive pour lui en couper la tête[196] ; de même quand les fidèles embrassent la foi, on leur dit : « Vous étiez autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur[197] ». Vous avez combattu avec la main de Goliath, maintenant avec la main du Christ, coupez la tête à Goliath.

5. Voilà une guerre. Il en est une autre que chacun soutient au dedans de lui-même. Tout à l’heure on nous parlait de cette guerre dans l’épître de saint Paul : « La chair conspire contre l’esprit, et l’esprit contre la chair, au point que vous ne faites point ce que vous voulez[198] ». C’est là une guerre pénible, d’autant plus pénible qu’elle est intérieure. Quiconque triomphe dans cette guerre, surmonte des ennemis qu’il ne voit pas. Car le démon et ses anges n’attaquent chez toi que la chair qui domine. Comment pourrions-nous, en effet, vaincre des ennemis que nous ne voyons pas, sinon parce que nous ressentons intérieurement des mouvements charnels ? Combattre ces mouvements, c’est ruiner l’empire du diable. Dans l’amour de l’argent, c’est l’avarice qui domine, et comme l’avarice domine en toi, le diable te propose un gain au moyen de la fraude. Car souvent on ne saurait que par la fraude parvenir au gain. Il propose donc au-dehors à cette avarice, que tu n’as pas vaincue intérieurement, dont tu n’es pas maître, que tu n’as pas domptée ; ce perfide juge des combats te propose donc, comme à son athlète, la fraude et le gain, l’œuvre et la récompense : Agis et reçois le prix. Mais si tu es parvenu à fouler aux pieds l’avarice, tu n’es pas intérieurement dominé par cet ennemi que tu sens et peux vaincre ; car tu ne sens point le diable qui te tend cette embûche. Si donc tu as dompté l’avarice, tu feras attention à celui qui te propose l’œuvre et le prix. Qu’est-ce qu’il te propose ? L’injustice et le gain. Qu’est-ce que Dieu propose au contraire ? L’innocence et la couronne. Agis et prends, te dit l’un aussi bien que l’autre. Toi donc, athlète intérieur, si, loin d’être vaincu par l’avarice, tu en es vainqueur, tu tiens tes regards fixés en Dieu et tu surmontes le démon. Tu fais le discernement de l’un et de l’autre, et tu dis : Je vois ici l’œuvre et le prix, mais là au contraire l’appât et l’hameçon. Car tu ne dis rien intérieurement, qui ne regarde ton salut. Par le péché tu es divisé contre toi-même. Tu traînes après toi une source de concupiscence qui va te conduire à la mort ; tu as devant toi un ennemi à combattre, et en toi un ennemi à vaincre ; mais tu peux recourir à celui qui t’aidera dans le combat, qui te couronnera après la victoire, et qui t’a fait quand tu n’étais pas encore.

6. Comment pourrai-je vaincre, diras-tu ? Voilà que l’Apôtre me propose un combat très difficile, et lui-même prend soin de me montrer combien il est difficile, sinon impossible, de vaincre, si je n’en comprends l’importance. « La chair », dit-il, « conspire contre l’esprit, et l’esprit contre la chair, en sorte que vous ne faites point ce que vous voulez[199] ». Comment me commander de vaincre, quand lui-même nous dit : « En sorte que vous ne faites point ce que vous voulez ? » Veux-tu savoir comment ? Jette les yeux sur la grâce de ce vase pastoral, mets dans ce vase de lait la pierre du fleuve, Eh bien ! je vous le dis, ou plutôt c’est la Vérité qui vous le dit : Tu ne fais point ce que tu veux, parce que la chair combat contre l’esprit. Dans ce combat, si tu présumes de tes forces, je t’en avertis, ne fais pas bon marché de cette parole : « Réjouissez-vous en Dieu notre soutien[200] ». Si tu pouvais tout par toi-même, tu n’aurais pas besoin de soutien ; et si tu ne faisais rien par ta propre volonté, il ne te faudrait aucun aide, car on n’a besoin d’aide que quand on agit. Aussi, après avoir dit : « La chair conspire contre l’esprit, l’esprit contre la chair, en sorte que vous ne faites point ce que vous voulez », et après t’avoir mis toi-même sous tes propres yeux, comme dépourvu de force contre toi-même, l’Apôtre te renvoie tout d’un coup à celui qui peut t’aider : « Si vous êtes conduits par l’esprit, vous n’êtes as plus sous la loi ». Celui qui est sous la loi, au lieu d’accomplir la loi, se trouve sous le fardeau de la loi, comme David sous le poids de ses armes. Si donc tu es conduit par l’esprit, vois qui est celui qui t’aidera pour accomplir ce que tu veux ; ton aide est pour toi un sauveur, une espérance, c’est lui qui dresse tes mains au combat, tes doigts à la lutte. « Les œuvres de la chair sont faciles à reconnaître ; ce sont la fornication, l’impureté, la luxure, l’idolâtrie, les empoisonnements, les dissensions, les inimitiés, les ivrogneries, les débauches, et autres crimes semblables ; car je déclare, et je l’ai déjà dit, que ceux qui les commettent ne posséderont point le royaume de Dieu[201] ». Non point ceux qui combattent ces crimes, mais ceux qui les commettent. Il est une différence, en effet, entre combattre, vaincre, et jouir de la paix et du repos. Je vais le montrer par quelques exemples : Écoutez. On te propose un gain à faire, et cela te plaît ; il faut user de fraude, mais le gain est considérable ; cela te plaît, et toutefois tu résistes : c’est là le combat ; mais on te persuade, on fait des instances, on délibère. Combattre, c’est donc être en danger. Après avoir vu le combat, voyons le reste. Au mépris de la justice, tel a commis la fraude : le voilà vaincu ; mais il rejette le gain pour demeurer juste, le voilà vainqueur. Dans ces trois états je plains le vaincu, je crains pour celui qui combat, j’applaudis au vainqueur. Mais celui-là même qui a vaincu a-t-il pu gagner sur lui de n’être point tenté par l’argent, de n’y point goûter un certain attrait, quoiqu’il l’ait surmonté et méprisé, quoique, loin d’y consentir, il n’ait point daigné même le combattre ? Il a ressenti néanmoins quelque vibration de plaisir, et cette vibration, cet ennemi qui déjà ne combat plus, qui ne règne plus, persiste néanmoins en nous : il y a dans cette chair mortelle quelque chose qui n’y sera plus un jour. Tout sera absorbé dans une pleine victoire, mais à l’avenir ; quant à cette vie, « le corps est mort à cause du péché », et de là vient que le péché subsiste dans notre corps sans toutefois y régner : « Mais l’esprit est vivant à cause de la justice. Si donc l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ rendra aussi la vie à vos corps mortels, à cause de son Esprit qui habite en vous[202] ». C’est là qu’il n’y aura plus de combat, plus même de vibration ; tout sera dans une paix profonde. Ce n’est point une nature contraire qui combattra une autre nature, mais c’est comme deux Époux sous un même toit. Qu’ils viennent à se quereller, c’est un séjour fatigant et plein de périls ; que le mari ait le dessous, la femme l’avantage, c’est une paix contre tout ordre ; que le mari domine au contraire, que la femme lui soit soumise, la paix est dans l’ordre ; et toutefois ce ne sont point deux natures différentes, puisque la femme a été tirée de l’homme. Ta chair est pour toi une Épouse, une servante ; donne-lui tel nom qu’il te plaira, il te faut la soumettre ; et s’il y a combat, que la victoire te reste. Tel est l’ordre, en effet, que l’inférieur soit soumis au supérieur ; afin que celui-là même qui veut s’assujettir ce qui lui est inférieur soit soumis à son tour à celui qui est au-dessus de lui. Reconnais donc l’ordre et cherche la paix toi à Dieu, et la chair à toi. Y a-t-il rien de plus juste, rien de plus beau ? Toi soumis au supérieur, l’inférieur à toi. Sois serviteur, de celui qui t’a créé, afin d’avoir pour serviteur ce qui a été créé pour toi. L’ordre que nous traçons et que nous prêchons n’est point : À toi la chair, et toi à Dieu ; mais bien : Toi à Dieu, et la chair à toi ; si tu dédaignes « toi à Dieu », tu n’obtiendras jamais la chair à toi. Rebelle envers ton Seigneur, tu seras sous l’esclave de l’esclave. Si tu n’es d’abord soumis à Dieu, et ensuite la chair soumise à toi-même, pourras-tu dire ces paroles : « Béni soit le Seigneur mon Dieu, qui dresse mes mains au combat et mes doigts à la guerre ? » Tu veux combattre sans savoir, tu seras vaincu et condamné. Soumets-toi donc à Dieu tout d’abord, puis avec ses leçons et son secours tu combattras en disant : « C’est lui qui dresse mes mains au combat, mes doigts à la guerre ».

7. Et pendant ce combat, comme il n’est pas sans danger, dis alors ce qui suit dans cette lutte périlleuse : « Vous êtes ma miséricorde[203] » Je ne serai pas vaincu dès lors. Que veut dire « ma miséricorde ? » Que vous me faites miséricorde, que vous l’exercez envers moi, ou bien que vous m’accordez d’user de miséricorde ? Car il n’y a rien pour vaincre plus complètement notre ennemi que la miséricorde que nous avons pour tous. Il se prépare à nous calomnier au jugement de Dieu, mais il ne peut rien objecter de faux, il n’est point devant celui qui écoute la fausseté. S’il plaidait contre nous au tribunal d’un homme, il pourrait alléguer le mensonge, nous accabler de fausses récriminations ; mais comme notre procès se plaide au tribunal de ce juge que l’on ne saurait tromper, notre ennemi cherche à nous séduire par le péché, pour avoir de véritables crimes à nous reprocher. Et quand la fragilité humaine vient à succomber sous ses artifices, qu’elle s’humilie par un aveu, et s’exerce par des œuvres de miséricorde et de piété. Tout s’efface quand, avec sincérité et une pleine confiance, nous disons à celui qui nous voit : « Remettez-nous, comme nous remettons à notre tour[204] ». Dis alors de tout ton cœur, dis en toute confiance et en toute sécurité : « Remettez-nous, comme nous remettons nous-mêmes » ; ou ne nous pardonnez point, si nous ne savons pardonner. Quand même tu ne dirais pas : Ne nous remettez point si nous ne remettons point nous-mêmes, le Seigneur ne nous pardonne qu’à la condition que nous pardonnions aussi. Pour te laisser impuni dans tes crimes, il ne sera point menteur dans ses promesses. Veux-tu ton pardon, dit-il ? Pardonne toi-même. Il est une autre œuvre de miséricorde, veux-tu obtenir ? donne toi-même. C’est ce qui est marqué au même endroit de l’Évangile : « Remettez et il vous sera remis, donnez et l’on vous donnera[205] ». J’ai sur toi une créance, et toi une créance sur un autre ; remets-lui sa dette, et je te remets la tienne. Tu me demandes, celui-là te demande aussi. Donne-lui, et je te donnerai. Or, qui est-ce qui remet ? Qui est-ce qui donne ? N’est-ce pas la charité ? « Et d’où vient la charité, sinon par cet Esprit-Saint qui nous a été donné[206] ? » Si donc c’est par les œuvres de miséricorde que notre ennemi peut être vaincu, si nous ne pouvons faire des œuvres de miséricorde sans avoir la charité, et si nous n’avons la charité que par le Saint-Esprit : c’est lui qui dresse nos mains au combat et nos doigts à la guerre : c’est à lui que nous disons avec justice : « ma miséricorde », puisque c’est par lui que nous devenons miséricordieux. « Quiconque n’aura point fait miséricorde sera jugé as sans miséricorde[207] ».
8. Pensez-vous que des œuvres de miséricorde soient peu importantes ? Il est bon d’en dire quelques mots. Écoutez d’abord cette sentence tirée des livres saints et que j’ai citée tout à l’heure : « Quiconque n’aura pas fait miséricorde subira un jugement sans miséricorde » ; il sera donc jugé sans miséricorde, celui qui n’aura pas fait miséricorde avant d’être jugé. Qu’est-il dit ensuite ? Que dit l’Apôtre ? « La miséricorde s’élèvera au-dessus du jugement[208] ». Qu’est-ce à dire, qu’« elle s’élèvera au-dessus du jugement ? » C’est-à-dire que Dieu lui donne la préférence sur le jugement, et que, chez l’homme qui aura fait des œuvres de miséricorde, l’eau de cette miséricorde éteindra le feu du péché, quand même il aurait au jugement des fautes à punir. « La miséricorde est au-dessus du jugement ». Quoi donc ? Dieu sera-t-il injuste à nos yeux, en venant au secours de ces âmes, en les délivrant, en leur pardonnant ? Nullement, il est juste au contraire : la miséricorde n’efface point en lui la justice, non plus que la justice n’efface la miséricorde. Vois si Dieu n’est point juste : Remets, et je te remettrai ; donne et je te donnerai. Vois s’il n’est point juste : « On se servira pour toi de la mesure dont tu te seras servi[209] ». C’est la mesure elle-même, non point une mesure du même genre, mais la même mesure ; pardonne, et je te pardonne. Tu as en toi pour mesure le pardon que tu accorderas, tu trouveras en moi cette même mesure dans le pardon que tu recevras. Tu as en toi la mesure ; c’est de donner ce que tu as, et tu trouveras en moi cette mesure ; c’est de recevoir ce que tu n’as pas encore.
9. « Vous êtes ma miséricorde, mon refuge, mon soutien, mon libérateur ». Voilà un athlète fort à la peine, parce que sa chair conspire contre l’esprit. Tiens ferme néanmoins, tes vœux seront comblés quand la mort sera absorbée dans une entière victoire, quand ce corps mortel sera ressuscité et doué de la vie des anges et de qualités célestes. « Ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront les premiers, ensuite nous qui vivons, qui sommes demeurés jusqu’alors, nous serons enlevés avec eux dans les airs au-devant du Christ, et ainsi nous serons éternellement avec le Seigneur[210] ». C’est là que la mort sera absorbée dans sa victoire. C’est là que l’on dira : « O mort, où est ton combat ; ô mort, où est ton aiguillon[211] ? » Il n’y aura en effet de rébellion contre Dieu, ni dans notre corps, ni dans notre âme. La victoire sera complète, la paix complète. Telle est cette paix dont on nous dit ici-bas, au milieu de nos combats : « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte de Dieu[212] ». Vous êtes dans le combat, engagés au fort de la mêlée, et néanmoins vous désirez un certain repos. « Quel est l’homme qui aime la vie, qui souhaite de voir des jours heureux[213] ? » Qui ne répondra aussitôt : C’est moi ? La vie, les jours heureux sont dans ces lieux où la chair ne conspire plus contre l’esprit, et où l’on ne dit plus : Combattez, mais : Réjouissez-vous. Or, quel est l’homme qui désire ces jours ? Tout homme dira certainement : C’est moi. Écoute ce qui suit : Je vois que tues dans la peine, dans le combat, dans les périls, écoute ce que le psaume ajoute pour dresser tes mains au combat, tes doigts à la guerre : « Détourne ta langue du mal, et que tes lèvres n’usent point de fourberie ; détourne-toi du mal et fais le bien[214] ». Comment pourrais-tu faire le bien, sans te détourner du mal ? Comment t’engager à vêtir l’homme nu, si tu es encore spoliateur ? Comment t’engager à donner, si tu es ravisseur ? « Détourne-toi donc du mal, d’abord, et fais le bien ». Que le pauvre d’abord ne pleure point à ton sujet, si tu veux qu’un pauvre se réjouisse. « Détourne-toi du mal et fais le bien ». Quelle sera ta récompense ? Car maintenant tu es encore dans le combat : « Cherche la paix, et poursuis-la ». Apprends à dire : « Vous êtes ma miséricorde et mon refuge, mon soutien, mou libérateur, mon protecteur ». « Mon appui », de peur que je ne tombe ; « mon libérateur », de peur que je ne reste dans le piège ; « mon protecteur », de peur que je ne sois blessé. « Oui, mon protecteur, en qui j’ai mis mon espoir ». Dans tous ces embarras, dans mes fatigues, dans mes combats, dans toutes ces difficultés, j’ai mis en lui mon espoir. « C’est lui qui m’assujettit mon peuple ». Ce langage est de notre chef.
10. « Seigneur qu’est-ce que l’homme, pour vous faire connaître à lui[215] ? » Il est tout ce qu’il est, précisément parce que vous « vous êtes fait connaître à lui ». « Qu’est-ce que l’homme, pour vous révéler à lui, ou le fils de l’homme, pour que vous songiez à lui ? » Vous songez à lui, vous l’aimez, vous lui assignez son prix, vous le mettez en son rang, vous savez au-dessous de qui vous le placez, au-dessus de qui vous l’élevez. Car estimer c’est assigner un prix. Quel prix a donc assigné à l’homme Celui qui a donné pour l’homme le sang de son Fils unique ? « Qu’est-ce que l’homme, pour vous révéler à lui ? » À qui vous faire connaître, et qui êtes-vous ? « Qu’est-ce que le fils de l’homme, pour l’estimer à ce prix ? » Vous l’estimez, vous en faites cas, comme s’il était d’un grand prix. Car aux yeux de Dieu l’homme n’est point tel qu’aux yeux d’un autre homme ; qu’il trouve un esclave à acheter, et il mettra plus de prix à un cheval qu’à un homme. Vois, au contraire, combien un Dieu t’a estimé, dès lors que tu peux dire : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » À quel prix t’a évalué « Celui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous ? Comment ne nous a-t-il pas tout donné avec lui[216] ? » S’il nourrit ainsi les combattants, quel sera le prix du vainqueur ? Je suis », dit-il, « le pain vivant descendu du ciel[217] ». C’est là le pain qu’il donne aux combattants, pain qu’il fait venir des greniers célestes, et dont il nourrit les anges ; « car l’homme a mangé le pain des anges[218] ». Mais après les combats et après ce pain que donnera-t-il ? Quel prix réserve-t-il aux vainqueurs, sinon ce qui est marqué dans un autre psaume : « J’ai fait une demande au Seigneur, et je la ferai encore : c’est d’habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, afin de contempler ses délices et d’être à l’abri dans son temple[219] ? Qu’est-ce que l’homme pour vous révéler à lui, ou le fils de l’homme pour l’estimer à ce point ? »
11. « L’homme est semblable au néant[220] », et néanmoins vous vous révélez à lui, vous l’appréciez. « L’homme est devenu semblable au néant ». À quel néant ? Au temps qui passe et qui s’écoule. Voilà ce que l’on appelle vanité dès qu’on le compare à la vérité, qui demeure toujours, qui est toujours stable. Toute créature visible n’est bonne qu’en son lieu. « Car c’est Dieu », dit l’Écriture, « qui a rempli la terre de ses biens[221] ». Qu’est-ce à dire de ses biens ? De ceux qui lui conviennent. Mais tous ces biens terrestres, volages, passagers, comparés à cette vérité dont il est dit : « Je suis celui qui suis[222] », tout ce bien qui passe est appelé vanité. Car il s’évanouit avec le temps, comme la fumée dans les airs. Que dirai-je de plus fort que l’Apôtre saint Jacques, lorsqu’il veut contraindre les superbes à s’humilier ? « Qu’est-ce que notre vie », dit-il ? « Une vapeur qui apparaît un instant pour se dissiper ensuite[223] ». Donc l’homme est semblable au néant. Le péché l’a rendu semblable au néant, car au moment de sa création il était semblable à la vérité ; mais le péché qu’il a commis, le châtiment qui lui a été infligé, l’ont rendu semblable au néant. « Vous avez châtié l’homme à cause de son iniquité », dit un autre psaume, « et vous avez fait sécher son âme comme l’araignée[224] ». De là aussi : « L’homme est devenu semblable à la vanité ». Qu’ajoute le Prophète dans l’autre psaume ? « Vous avez fait vieillir mes jours[225] ». Et ici : « Ses jours passent comme l’ombre ». Que l’homme donc veille sur lui-même dans ces jours qui passent comme l’ombre, afin qu’en soupirant après sa lumière, il fasse des œuvres qui en soient dignes ; et s’il est dans l’ombre de la nuit, qu’il cherche le jour. Pour l’homme qui comprend son état, les jours de cette vanité sont des jours de tribulation. Soit que les misères et les chagrins nous viennent accabler, soit que les prospérités du monde nous sourient, nous n’en devons pas moins craindre et gémir : « Parce que la vie de l’homme sur la terre est une tentation[226] ». De là cette parole : « Tout le jour je marchais dans l’affliction[227] ». Nous avons besoin de consolations, et tout ce que Dieu nous montre en fait de prospérités n’est point pour réjouir les heureux du monde, suais bien pour soulager les malheureux. Que l’homme donc, je le répète, dans ces jours qui sont une ombre, fasse des œuvres dignes de cette lumière qu’il désire, et dans cette nuit qu’il cherche Dieu, ainsi qu’il est écrit : « Pendant la nuit mes mains ont cherché Dieu en sa présence, et je n’ai pas été déçu[228] ». Quel est ce jour qu’il appelle un jour de tribulation, sinon celui qu’il appelle encore la nuit ? « Je l’ai cherché de mes mains pendant la nuit en sa présence ». Nous sommes encore dans la nuit, et nous veillons à la lumière de cette prophétie. Ce que l’on nous a promis, nous l’attendons encore ; mais que dit l’apôtre saint Pierre ? « Nous avons d’ailleurs une preuve as plus frappante encore dans les oracles des Prophètes, sur lesquels vous faites bien d’arrêter vos regards comme sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour commence à paraître et que l’étoile du matin se lève dans nos cœurs[229] ». C’est là le jour, c’est là notre jour. « Au matin vous entendrez ma voix, au matin je me tiendrai debout et je vous contemplerai ». Donc, travaille, bien que ce soit la nuit, et cherche Dieu de tes mains, ou par de bonnes œuvres, avant que ce jour vienne combler ta joie, de peur qu’il n’en vienne un autre pour t’affliger. Vois quelle sécurité dans ton labeur ; vois comment ne t’abandonne pas celui que tu cherches : « De mes mains j’ai cherché le Seigneur pendant la nuit en sa présence ». « Afin que ton Père qui voit dans le secret te donne ta récompense[230] ». De là cette expression « en sa présence ». Que la miséricorde et la charité soient dans ton cœur, de peur que tu n’agisses dans l’intention de plaire aux hommes. J’ai cherché Dieu de mes mains, dit le Prophète, par mes œuvres ; le chercher dans l’ombre, ou dans cette vie ; où lui-même voit, et non où je chercherais à plaire aux hommes. Qu’ajoute le Prophète ? « Et je n’ai pas été déçu. L’homme est semblable à la vanité, ses jours ont passé comme une ombre », et pourtant vous vous êtes fait connaître à lui, et vous l’estimez.
12. « Seigneur, inclinez vos cieux et descendez : touchez les montagnes, elles seront embrasées. Faites briller vos éclairs, et dispersez-les ; lancez vos flèches, et ils seront dans l’effroi. Tendez la main d’en haut, et délivrez-moi, sauvez-moi des grandes eaux[231] ». Le corps en Christ, l’humble David, plein de grâce et de confiance en Dieu, et combattant ici-bas, implore le secours de Dieu. « Inclinez vos cieux et descendez. » Quels sont les cieux à incliner ? Les Apôtres dans leur humilité. Tels sont en effet « les cieux qui annoncent la gloire de Dieu » ; et de ces cieux qui racontent la gloire de Dieu, le Prophète va nous dire : « Il n’est as point de discours, point de langage dans lequel on n’entende cette voix ; leur parole a retenti dans toute la terre, et leur voix jusqu’aux extrémités du monde[232] ». Quand la voix de ces cieux retentissait dans le monde entier, alors qu’ils opéraient des merveilles, et que le Seigneur faisait briller en eux les éclairs de ses miracles, et retentir le tonnerre de ses préceptes, on crut que des dieux étaient venus du ciel vers les hommes. Quelques païens dans cette pensée leur voulurent offrir des sacrifices. À la vue de ces honneurs qui ne leur étaient point dus, ces hommes saisis d’effroi et d’une vive horreur, afin de ramener ceux qui s’égaraient de la sorte, et leur montrer ce qu’ils ressentaient intérieurement, déchirèrent leurs vêtements et s’écrièrent : « Que faites-vous ? nous sommes des mortels comme vous[233] ». Et ils prirent de là occasion de leur prêcher la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, s’humiliant ainsi pour relever la gloire de Dieu : parce que les cieux s’inclinaient pour que Dieu descendît. « Inclinez donc vos cieux, et descendez, Seigneur », dit le Prophète ; et cela s’est fait. « Touchez les montagnes, elles s’embraseront » ; les montagnes orgueilleuses, les sommités de la terre, les grandeurs qui s’enflent ; touchez-les, dit le Prophète, touchez ces montagnes, donnez-leur de votre grâce ; « elles seront embrasées » parce qu’elles confesseront leurs fautes. La fumée de ces pécheurs avouant leurs péchés arrachera les larmes de ces superbes humiliés. « Touchez les montagnes, et elles s’évanouiront en fumée ». Tant que vous ne les toucherez point, elles croiront à leur grandeur. Une fois touchées, elles diront : « Vous seul êtes grand, ô mon Dieu[234] ». Voilà ce que diront les montagnes, et encore : « Vous êtes le Très-Haut, au-dessus de toute la terre[235] ».
13. Mais il est des conspirateurs ; il en est qui s’unissent contre le Seigneur et contre son Christ[236]. Ils s’unissent et ils conspirent. « Faites briller vos éclairs, et dispersez-les ». Multipliez vos miracles et leur conspiration se dissipera comme la fumée. « Lancez vos éclairs et dispersez-les[237] ». Une fois effrayés par vos miracles, ils n’oseront rien contre vous, l’effroi de vos prodiges les arrêtera. Quel est ce Dieu dont le pouvoir est si grand ? Quel est ce Dieu qui s’élève, et dont le nom a tant de puissance ? Mais dire qui il est, c’est pour eux déjà croire ; vos miracles ont brillé et dissipé leur funeste coalition. « Lancez vos flèches, et vous les troublerez. Que les flèches acérées du puissant[238] », que vos préceptes frappent leurs cœurs. « Lancez vos flèches, et vous les troublerez ». Ruinez leur fausse santé, afin que de bienheureuses plaies les guérissent ; et qu’ayant place dans l’Église et dans le corps du Christ, ils disent enfin avec l’Église ; « Je suis blessée par d’amour[239][240]. Lancez vos flèches et vous les troublerez ».
14. « Tendez la main d’en haut[241] ». Qu’en résultera-t-il ? Quelle en sera la fin ? Comment le corps du Christ pourra-t-il vaincre, sinon par le secours du ciel ? « Car le Seigneur viendra lui-même, à la voix de l’archange, descendra du ciel au son de la trompette de Dieu[242] », lui qui est le Sauveur de son corps et la main de Dieu. « Tendez votre main d’en haut, et délivrez-moi, sauvez, moi des grandes eaux ». Qu’est-ce à dire, « des grandes eaux ? » Des peuples nombreux. De quels peuples ? Des étrangers, des infidèles, soit qu’ils m’attaquent au-dehors, soit qu’ils me tendent des embûches à l’intérieur. « Délivrez-moi de ces grandes eaux, dans lesquelles vous m’exerciez, et dans lesquelles vous me plongiez pour me laver de mes souillures ». C’est encore l’eau de la contradiction[243]. « Délivrez-moi, et sauvez-moi des grandes eaux ».
15. Écoutons encore de quelles grandes eaux Dieu délivrera le corps du Christ, Dieu délivrera l’humilité de David. Qu’est-ce à dire, « des grandes eaux ? » Qu’avez-vous dit, ô Prophète, afin qu’on ne leur donnât pas un autre sens, qu’avez-vous dit de ces grandes eaux ? Écoute ce que j’en ai dit : « De la main des enfants étrangers » Écoutez, mes frères, au milieu de quel peuple nous vivons, et dont nous voulons être délivrés. « Leur bouche parle la vanité ». Combien de vanités n’entendriez-vous pas aujourd’hui même, si vous n’étiez point rassemblés pour ces divines pompes de la parole de Dieu ? « Leur bouche parle la vanité ». Comment ces diseurs de vanités pourraient-ils vous entendre dire la vérité ? « Leur bouche parle la vanité, leur droite est la droite de l’iniquité[244] ».
16. Que ferais-tu parmi eux, avec ton vase pastoral et tes cinq pierres ? Dis-le-moi autrement, ô Prophète, et montre-moi d’une autre manière la loi que tu as figurée dans tes cinq pierres. « Seigneur, je vous chanterai un cantique nouveau ». Ce cantique nouveau, c’est le chant de l’action de grâces ; le cantique nouveau est celui de l’homme nouveau ; le cantique nouveau, c’est le cantique du Nouveau Testament. « Je vous chanterai », dit le Prophète, « un cantique nouveau ». Et de peur qu’on ne croie que la grâce diffère de la loi, tandis au contraire que c’est par la grâce que la loi s’accomplit : « Je vous chanterai », dit-il, « sur le psaltérion à dix cordes[245] ». « Sur le psaltérion à dix cordes », ou par les dix préceptes de la loi. C’est ainsi que je vous chanterai : puissé-je trouver en vous ma joie, puissé-je vous chanter dans la loi, ce nouveau cantique ; « parce que la charité est la plénitude de la loi[246] ». Du reste, quiconque n’a point la charité, peut porter le psaltérion ; mais il ne saurait chanter. Pour moi donc, dit l’interlocuteur, au milieu des eaux de la contradiction, je vous chanterai un cantique nouveau : et jamais le bruit des eaux de la contradiction ne fera taire mon psaltérion : « Je vous chanterai sur le psaltérion à dix cordes ».
17. « C’est lui qui donne le salut aux rois » ; aux montagnes s’évanouissant en fumée, « Qui délivre David son serviteur ». Ce David, vous le connaissez, soyez donc David. De quoi Dieu a-t-il délivré David son serviteur ? De quoi a-t-il délivré le Christ ? De quoi le corps du Christ ? « Délivrez-moi du glaive des méchants[247] ». « Du glaive » ne suffirait pas ; il ajoute : « du méchant ». Assurément il est un glaive de faveur. Quel est ce glaive de faveur ? Celui dont le Seigneur a dit : « Je ne suis point venu apporter la paix sur la terre, mais le glaive[248] ». Il devait alors séparer les fidèles des infidèles, les fils des pères, il devait trancher de ce même glaive d’autres engagements, enlever toute chair corrompue, et guérir en tranchant ainsi les membres du Christ. Il est donc un glaive de bonté, ce glaive à deux tranchants, puissant de part et d’autre, par l’Ancien et par le Nouveau Testament, par le récit du passé et par les promesses de l’avenir. Tel est donc le glaive de la bonté ; l’autre est celui des méchants, et leur fait parler vanité, comme c’est par le glaive de la faveur que Dieu nous dit la vérité. Donc « délivrez-moi du glaive des méchants. Quant aux enfants des hommes, leurs dents sont pour eux des armes et des flèches, leur langue est un glaive tranchant[249] ». Délivrez-moi de ce glaive des méchants. Ce que le Prophète vient d’appeler « glaive », il l’appelait tout à l’heure « grandes eaux ». « Délivrez-moi des grandes eaux ». Ce que j’ai nommé grandes eaux, je l’appelle maintenant glaive des méchants. Enfin, après avoir parlé des grandes eaux, il continue : « De la main des étrangers, dont la bouche parle la vanité ». Et pour nous faire comprendre qu’il parle d’eux encore, quand il dit ici : « Du glaive des méchants délivrez-moi », il ajoute : « Délivrez-moi de la main des fils de l’étranger, dont la bouche parle la vanité », comme il l’avait dit plus haut. Et quand il nous dit que leur droite est la droite de l’iniquité, il avait déjà exprimé cette pensée, en nous parlant des grandes eaux. Et de peur que tu ne prennes ces grandes eaux dans un sens favorable, il nous l’exprime de nouveau dans le glaive des méchants. Qu’il vous explique maintenant cette expression : « Leur bouche parle la vanité, leur droite est la droite de l’iniquité ». De quelle vanité a parlé leur bouche ? et comment leur droite peut-elle être la droite de l’iniquité ?
18. « Leurs enfants sont dans leur jeunesse, comme des plants nouveaux[250] ». Il veut montrer ici leur félicité. Écoutez donc, enfants de la lumière, enfants de la paix, écoutez, enfants de l’Église, membres du Christ ; écoutez ce que le Prophète nomme étrangers, fils de l’étranger, eaux de contradiction, glaive du méchant. Écoutez, je vous en supplie vous qui, chaque jour, courez des dangers au milieu d’eux ; qui, au milieu de leurs discours, combattez contre les désirs de votre chair, qui avez à lutter au milieu de ces langues, de ces suppôts de Satan, et dont il se sert contre vous. « Car vous ne combattez plus contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre ceux qui gouvernent ce monde de ténèbres[251] », c’est-à-dire des méchants, Écoutez, afin de vous en séparer ; écoutez, afin de ne point regarder comme la vraie félicité celle que convoitent les hommes faibles ou corrompus. Ce sont bien là, mes frères, les fils de l’étranger, ce sont bien les grandes eaux, c’est bien là le glaive des méchants. Voyez quelle est cette vanité dont ils parlent, et gardez-vous de tenir leur langage, gardez-vous de parler comme eux, de peur de vivre comme eux. « Leur bouche parle la vanité, leur droite est la droite de l’iniquité ». De quelle vanité a donc parlé leur bouche, et comment leur droite peut-elle être la droite de l’iniquité ? Ecoute : « Leurs enfants sont dans la jeunesse, comme des plants nouveaux ; leurs filles sont parées, elles sont ornées comme des temples ; leurs celliers sont pleins, et regorgent deçà et delà ; leurs brebis sont fécondes, on les voit sortir en foule de leurs étables ; leurs bœufs sont gras ; il n’y a ni ruine ni ouverture dans leurs clôtures, ni cri dans leurs places publiques[252] ». N’est-ce donc point là le bonheur ? J’interroge les enfants du royaume des cieux, j’interroge cette race de ceux que Dieu ressuscités pour l’éternité, j’interroge le corps du Christ, les membres du Christ, le temple de Dieu, N’est-ce donc point une félicité que d’avoir des enfants en santé, des filles bien parées, des celliers bien remplis, de nombreux troupeaux, de n’avoir aucune ruine non seulement dans ses maisons, mais jusque dans ses clôtures, de n’entendre dans les places publiques aucun bruit, aucune clameur, mais le repos, la paix, l’abondance, la richesse dans les maisons et dans les villes ? N’est-ce donc point là le bonheur ? Les justes doivent-ils le fuir ? Aucun juste n’a-t-il donc possédé une maison regorgeant de biens, comblée d’un semblable bonheur ? La maison d’Abraham n’était-elle donc point riche en or, en argent, en enfants, en domestiques, en troupeaux[253] ? Jacob, ce saint Patriarche fuyant la face d’Esaü son frère, en Mésopotamie, ne s’enrichit-il point par ses services, et en retournant dans son pays ne rendit-il point grâces à Dieu, parce qu’ayant passé le fleuve avec son bâton, il revenait avec tant d’enfants, et des troupeaux si nombreux[254] ? Que dirai-je encore ? N’est-ce donc point là le bonheur ? Soit ; mais le bonheur de la gauche. Qu’est-ce que la gauche ? Ce qui est du temps, périssable, corporel. Sans vous dire de le fuir, gardez-vous de le regarder comme de la droite. Car les hommes du Psalmiste n’étaient point vains et méchants, parce qu’ils les possédaient, mais parce qu’ils prenaient pour biens de la droite, ce qui ne devait être que de la gauche. Que devaient-ils mettre à droite ? Dieu, l’éternité, les années de Dieu qui ne finiront point et dont il est dit : « Et vos années ne passeront point[255] ». Telle est la droite où doivent tendre nos désirs. Servons-nous de la gauche pour un temps, mais soupirons après la droite pour l’éternité. Si les richesses coulent chez vous en abondance, n’y attachez point votre cœur[256]. Car si vous attachez vos cœurs aux richesses qui coulent, de – votre gauche vous ferez votre droite. Corrigez-vous, admirez ces chastes baisers que vous donne la Sagesse « Sa gauche est sous ma tête, et il m’embrasse de sa droite[257] ». Voyez ces admirables chants d’amour, ces Cantiques des cantiques, ce chant des saintes épousailles du Christ et de l’Église. Que dit l’Épouse à propos de l’Époux ? « Sa gauche est sous ma tête, et il m’embrasse de sa droite ». La gauche est sous la tête, la droite sur la tête. C’est ce que l’on fait quand on embrasse, on met la droite sur la tête, et la gauche au-dessous. « Sa gauche » ; dit l’Épouse, « est sous ma tête ». Car il ne m’abandonnera point en ce qui est nécessaire à la vie ; et toutefois cette main gauche sera sous ma tête ; non point sur ma tête, mais au-dessous, afin qu’il m’embrasse de cette même droite qui promet la vie éternelle. Car sa gauchie ne sera sous ma tête que quand il m’embrassera de sa droite ; et ainsi s’accomplira ce que saint Paul écrit à Timothée : « Il a les promesses de la vie présente et de la vie future[258] ». Qu’avons-nous dans cette vie ? La gauche sous notre tête. Qu’avons-nous pour l’avenir ? Sa droite m’embrasse. Cherchez-vous ce qui est nécessaire en cette vie ? « Cherchez d’abord le royaume de Dieu », c’est-à-dire sa droite, et tout cela vous sera donné par surcroît[259] ». Vous aurez ici-bas les richesses et la gloire, et dans le siècle à venir la vie éternelle ; ma gauche soutiendra votre faiblesse, et ma droite couronnera vos vertus. Mais les Apôtres, qui avaient tout quitté et distribué leurs biens aux pauvres, ont-ils vécu ici-bas sans aucune richesse ? Que serait alors devenue cette promesse relative à la gauche : « Il recevra sept fois autant dans ce monde ? »[260] Le Sauveur nous promet la multiplication des biens. Et, en effet, qu’est-ce qui manque au serviteur de Dieu ? Un infidèle a une maison, quelques maisons peut-être ; « mais le fidèle a pour richesses le monde entier[261][262] ». Vois comme elle est sous la tête, cette gauche pleine de tous ces biens : « Il recevra en ce monde sept fois autant ». Vois la droite qui nous embrasse : « Et dans le siècle à venir la vie éternelle ». C’est bien avec raison que la Sagesse a dit ailleurs : « Les années de la vie sont dans sa droite, et dans sa gauche les richesses et les honneurs[263] ».
19. Comment donc ces hommes disent-ils des choses vaines ? comment leur bouche a-t-elle dit la vanité ? Parce que « leur droite est celle de l’iniquité ». Je ne leur fais pas un crime d’avoir des enfants qui sont dans leur jeunesse comme des jeunes plants, ni des filles ornées comme des temples, ni des biens en abondance et une félicité terrestre. Où est donc leur crime ? « D’avoir appelé heureux le peuple qui a de tels biens[264] ». O futiles discoureurs ! Appeler bienheureux un peuple qui a de tels biens ! Ils ont perdu la véritable droite, et se sont vêtus au rebours des dons de Dieu. Hommes pervers, hommes futiles, fils de l’étranger, ils ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens. « Ils ont mis à droite ce qui était à gauche, et ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens ». Mais vous, ô David ? Mais vous, ô corps du Christ ? Mais vous, ô membres du Christ ? Mais vous, fils de Dieu, et non fils de l’étranger, que dites-vous ? Les hommes vains dans leurs paroles, les fils de l’étranger ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens. Mais vous, que dites-vous ? « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur[265] ». Ayez donc la gauche, si vous le voulez, mais dans votre main gauche ; ambitionnez la droite, afin d’être placés à la droite. C’est ainsi qu’ils ont placé à gauche la gauche elle-même, auprès de qui le Christ a eu faim, et ils lui ont donné à manger ; a eu soif, et ils lui ont donné à boire ; a été étranger, et ils l’ont reçu ; a été nu, et ils l’ont revêtu[266]. Ce sont des avantages qu’ils ont tirés de la gauche, dont ils ont fait des œuvres de la droite, afin d’être eux-mêmes placés à la droite. Donc ces hommes vains, ces fils de l’étranger ont dit : « Bienheureux le peuple qui a de tels biens » ; mais vous, dites avec nous : « Bienheureux le peuple qui a pour Dieu le Seigneur ».


DISCOURS SUR LE PSAUME 144 modifier

SERMON AU PEUPLE, PRÊCHÉ A UTIQUE, DANS LA BASILIQUE DE LA MASSE-BLANCHE[267]. modifier

L’ŒUVRE DE LA RÉGÉNÉRATION. modifier

Dieu s’est loué pour nous apprendre à le louer. Ce David à qui s’adressent les louanges du psaume est le Christ issu du peuple juif d’où sont venus les Apôtres, et fils de David. – Bénissons Dieu toujours, dans la prospérité comme dans le malheur ; mais nulle prospérité n’est comparable à celle de posséder Dieu, que nul ne saurait nous ravir, que le malheur n’enleva point à Job. Croyons dès lors qu’il agit toujours avec miséricorde ; louons sans fin sa grandeur sans borne. Ainsi font cens qui ne passent par la mort que pour arriver à la terre des vivants. Bénissons-le dans ses œuvres, surtout dans celles qui nous connaissons. Toute génération le bénira. Elles annonceront la puissance de Dieu, en laquelle se résument toutes ses œuvres ; et tout ce que l’on peut louer vient de celui qui a tout fait, qui gouverne tout. Louer les œuvres de Dieu, c’est nous louer nous-mêmes, et nous louer sans orgueil. Ces œuvres sont pour nous des degrés pour nous élever jusqu’à lai ; ses faveurs sont accompagnées de menaces afin de nous encourager et de nous contenir. Ils raconteront ce mémorial du Seigneur qui n’a point oublié l’homme, quand l’homme l’oubliait. Ils tressailliront dans cette justice de Dieu qui nous refaits par sa grâce, et sans que nous ayons rien mérité par aucune œuvre, puisque toute bonne œuvre vient de lui. Il est miséricordieux envers les pécheurs, qu’il encourage contre le désespoir, qu’il détourne d’une folle espérance. Sa bonté s’étend sur toutes ses œuvres, puisqu’il fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et néanmoins il donne, c’est-à-dire qu’il est sévère pour nos œuvres, et nous force à retrancher les mauvaises, ou les retranche lui-même.

Les créatures intelligentes loueront le Seigneur, puisqu’elles révèlent sa grandeur, sa puissance ; elles le loueront sans voix, car on ne saurait en considérer la beauté sans louer Dieu.

Les saints feront connaître la beauté de Dieu, beauté supérieure à toutes les beautés visibles, et que nous découvre la foi ; sa fidélité dans ses promesses, dont plusieurs qui sont accomplies nous font croire au reste ; sa bonté à soutenir cens qui tombent, c’est-à-dire ou ceux qui se séparent du mal, ou ceux qui tombent de leur prospérité comme Job ; sa miséricorde qui donne en temps opportun, mais non tout ce que nous demandons, et quand nous le demandons. Souvent il diffère, ou nous accorde ce que nous ne demandons point, mais ce qui nous convient le mieux. Qu’il frappe ou qu’il guérisse il est toujours juste ; il est proche de ceux qui l’invoquent, mais en vérité, c’est-à-dire qui méprisent le reste pour ne désirer que lui-même, qui ne l’en aiment pas moins quand il nous ôte les biens terrestres. Il fera la volonté de ceux qui le craignent en leur accordant le salut, en perdant les pécheurs obstinés et murmurateurs.


1. Mon désir était de louer le Seigneur avec vous ; et puisqu’il a daigné m’accorder cette faveur, je veux mettre une certaine règle dans nos louanges en son honneur, afin de n’offenser par aucun excès celui que nous voulons louer ; nous ferons donc mieux de chercher dans l’Écriture un moyen plus assuré de le bénir, de peur de nous écarter un peu à droite ou à gauche. J’ose bien le dire à votre charité, mes frères : afin que Dieu pût être loué par l’homme, Dieu s’est loué lui-même ; et parce qu’il a daigné se louer lui-même, l’homme a trouvé moyen de le faire à son tour. On ne saurait, en effet, dire à Dieu ce que l’on dit à l’homme : « Que votre bouche ne se loue point[268] ». Se louer, de la part de l’homme c’est arrogance, de la part de Dieu c’est miséricorde. Il nous est bon d’aimer celui que nous louons, et aimer le bien c’est devenir meilleur. Le Seigneur donc, parce qu’il nous est avantageux de l’aimer, nous montre en se louant combien il est aimable, et se montrer aimable, c’est subvenir à notre faiblesse. Il engage donc notre cœur à le louer, et c’est pour être loué par ses serviteurs qu’il les a rem plis de son esprit ; et comme c’est son esprit qui le loue dans ses serviteurs, n’est-ce pas luimême qui chante ses propres louanges ? Voici donc de quelle manière commence notre psaume. « Je vous chanterai, ô mon Dieu, ô mon Roi ; je bénirai votre nom dans le siècle, et dans le siècle des siècles ». Vous le voyez : le commencement est une louange, et cette louange se continue jusqu’à la fin du psaume. Enfin le titre du psaume est : « Louange à David lui-même ». Or, comme on appelle David, celui qui est venu dans la race de David[269], qui est notre roi, qui nous conduit et nous introduit dans son royaume, louange à David signifie : « louange au Christ lui-même » qui s’appelle David selon la chair, parce qu’il est fils de David ; mais comme Dieu il est le créateur de David, et le Seigneur de David. C’est par là que saint Paul, faisant l’éloge du premier peuple de Dieu, d’où sont venus les Apôtres qui ont cru en Jésus-Christ, et tant d’églises primitives qui ont réalisé dans tant de milliers d’hommes ce que vous venez d’entendre dans l’Évangile à propos de ce riche qui s’en alla tout chagrin ; puisqu’ils vendaient leurs biens et en distribuaient le prix aux pauvres, cherchant ainsi la perfection dans le Seigneur ; pour relever donc la gloire du premier peuple, l’Apôtre parlait ainsi : « Ils ont pour pères les Patriarches, et c’est d’eux qu’est venu le Christ, qui est par-dessus tout le Dieu béni dans tous les siècles[270] ». C’est donc parce que le Christ est né d’eux selon la chair qu’il est appelé David ; mais comme il est aussi par excellence le Dieu béni dans tous les siècles, voilà que « je vous louerai, ô mon Dieu, ô mon Roi ; je bénirai votre nom », dit le Prophète, « et dans le siècle, et dans les siècles des siècles ». Dans le « siècle », signifie peut-être dans le temps, et dans le siècle des siècles, signifie « l’éternité ». Commence donc à louer Dieu dès maintenant, si tu dois le louer dans tous les siècles. Quiconque ne veut point le louer dans ce siècle qui passe, demeurera silencieux dans le siècle à venir. Il est ce qu’il semble nous dire dans les versets suivants.
3. De peur, en effet, que l’on ne comprît autrement cette parole : « Je louerai votre nom dans le siècle[271] », et qu’on ne l’entendît d’un autre siècle : « Je vous bénirai chaque jour », dit le Prophète. Loue donc le Seigneur ton Dieu, et bénis-le chaque jour, et quand chacun de tes jours sera écoulé, quand sera venu le jour sans fin, passe de la louange à la louange, comme on va de vertus en vertus[272]. « Chaque jour », dit-il, « je vous bénirai » ; il n’y aura pas un jour que je ne vous bénisse. Louer Dieu dans vos jours de félicité n’a rien de bien admirable. Mais qu’il arrive des jours tristes, comme c’est l’ordinaire dans les vicissitudes humaines, dans ces scandales sans nombre, dans ces épreuves si multipliées, qu’il arrive quelque chose de fâcheux, cesseras-tu de bénir Dieu ? Cesseras-tu de bénir ton Créateur ? Si tu cesses, tu ne saurais dire sans mensonge : « Je vous bénirai chaque jour, ô mon Dieu ». Si tu ne dois point cesser, quelque chagrin qui puisse t’arriver, tu trouveras alors ton bonheur en Dieu. Car au plus fort de ton malheur, tu pourrais être heureux ; quel que soit en effet le malheur qui t’afflige, il se trouvera aussi un bien qui te réjouira. Or, quel plus grand bien que ton Dieu dont il est dit : « Nul n’est bon que Dieu seul[273] ». Vois, en effet, et comprends à propos de ce bien suprême, combien on peut le louer sûrement, combien il est stable. Qu’il t’arrive en effet quelque bien qui te réjouisse, cela dure un jour, mais le lendemain ce bien qui faisait ta joie est passé. Je suis heureux, dis-tu, voilà une bonne journée ; tu as réalisé quelque profit, tu as été invité ou tu as assisté à quelque festin qui a duré longtemps : un long festin fait ton bonheur, et un autre te plaint de n’en pas rougir. Mais enfin, quel que puisse être ce bien qui fait ta joie, c’est un bien qui passe. Si, au contraire, tu mets en Dieu ta joie, tu entendras l’Écriture qui te dit « Que Dieu soit tes délices[274] ». Ta joie sera d’autant plus solide que celui qui fait ta joie est immuable. Mets ta joie dans l’argent, tu crains le voleur ; mais que. Dieu soit ton bonheur, qu’as-tu à craindre ? Que Dieu ne te soit enlevé ? Nul ne saurait te l’enlever, si tu ne l’abandonnes le premier. Dieu, en effet, n’est point comme cette lumière qui luit dans le ciel. Nous n’en approchons pas quand nous voulons, parce qu’elle rie luit point partout. Notre infirmité nous fait quelquefois goûter un certain plaisir à être en pleine lumière ; tandis que maintenant, pendant l’été, vous nous voyez chercher quelque place où il y ait moins de soleil. Mais si tu t’affermis en Dieu, si tu trouves quelque bonheur dans la lumière de la vérité, tu ne chercheras pas un lieu pour t’approcher de lui ; c’est ta conscience qui s’en approche, et la conscience qui s’en éloigne. Ce qu’a dit le Prophète : « Approchez, et soyez éclairés[275] », s’entend de l’esprit, et non de quelque véhicule ; des affections, et non de nos pieds. Affermi en lui, tu ne craindras aucun souffle brûlant ; son Esprit aura des souffles pour toi, et tu espéreras à l’abri de ses ailes[276].
4. Tu le vois donc ; tu peux chaque jour goûter des délices ; car Dieu ne t’abandonnera point, quelque malheur qui puisse t’arriver. Combien était accablant le malheur de Job ! Quelle soudaineté, combien de malheurs à la fois ! Comme Satan lui enlève tout ce qui semblait faire sa joie, sans la faire néanmoins ! Comme la mort fauche ses enfants ! Et les biens qu’il garde et ceux pour qui il les garde, tout lui est ravi ; mais on ne lui ravit point celui qui avait donné les uns et les autres. Ses enfants ne lui furent enlevés, en ce monde, que pour être, dans l’autre monde, rendus à son amour. Job, toutefois, avait eu lui une autre source de joie, qui lui faisait dire en vérité ce que nous disions tout à l’heure : « Je vous bénirai chaque jour ». Quoique ce jour, où tout avait péri, parut un jour triste, la lumière intérieure en fut-elle obscurcie pour lui ? Il demeura ferme dans cette lumière, et s’écria : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté : comme il a plu au Seigneur, il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni[277] ». Donc il bénit Dieu tous les jours, lui qui le bénit même en des jours si tristes. Le plus court moyen de louer Dieu toujours, de dire en toute vérité et sans déguisement : « Je bénirai le Seigneur en tous temps ; sa louange sera toujours dans ma bouche » ; le meilleur moyen, dis-je, c’est de reconnaître que s’il donne, c’est par miséricorde, que s’il retire, c’est par miséricorde ; c’est de ne point croire que sa miséricorde nous délaisse, ou quand il prévient notre désespoir en nous caressant par ses dons, ou notre mort en nous corrigeant de nos fautes. Bénis-le donc, soit dans ses dons, soit dans ses châtiments. Louer celui qui nous frappe, c’est nous guérir de nos plaies. « Chaque jour », dit le Prophète, « je vous bénirai ». Chaque jour donc, mes frères, bénissez Dieu ; oui, bénissez Dieu quoi qu’il puisse vous arriver. C’est lui qui détournera de vous tout ce que vous ne sauriez supporter. Si tu es heureux, tremble, et ne t’imagine pas que tu ne rencontreras plus de tentation ; sans la tentation il n’y a point d’épreuve ; or, ne vaut-il pas mieux être tenté et approuvé de Dieu que réprouvé sans tentation ? « Et je louerai votre nom dans le siècle, et dans le siècle des siècles ».
5. « Le Seigneur est grand, infiniment louable[278] ». Que pouvait-il dire, en quels termes s’exprimer ? Que n’a-t-il pas renfermé dans cette parole infiniment? Cherche dans ta pensée. Quelle idée te faire de celui qu’on ne saurait comprendre ? « Il est infiniment louable, et sa grandeur est sans borne ». Le Prophète nous dit infiniment, et sa grandeur, en effet, n’a point de borne : de peur qu’en cherchant à le louer, tu ne sois tenté de croire que l’on puisse donner une louange achevée à celui dont la grandeur est sans fin. Loin de toi de te persuader que tu puisses louer suffisamment son infinie grandeur. Puisqu’il n’a point de fin, n’est-il pas mieux de n’en donner aucune à sa louange ? Qu’est-il dit de sa grandeur ? Qu’elle est infinie. Que dit le Prophète, à propos de votre louange, ô mon Dieu ? « Je louerai votre nom dans le siècle, et dans le siècle des siècles ». Comme donc sa grandeur est sans fin, la louange que vous lui décernerez sera aussi sans fin. Car ce n’est point en mourant dans cette chair que tu cesseras de louer le Seigneur. Il est dit, il est vrai : « Les morts ne vous loueront point, ô mon Dieu[279] » ; mais il s’agit de ceux dont il est dit : « Un mort ne confesse point le Seigneur, c’est comme s’il n’était plus[280] » ; et non des morts dont il est dit : « Celui qui croit en moi vivra, bien qu’il ait passé par la mort[281] ». Car « le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, n’est point le Dieu des morts, mais des vivants[282] ». Et si tu n’appartiens jamais qu’à lui, tu ne cesseras de le louer. Pourrais-tu craindre qu’après n’avoir vécu que pour lui ici-bas, tu puisses ne point lui appartenir après la mort ? Écoute l’Apôtre qui te donne cette assurance : « Si nous vivons, c’est pour le Seigneur ; si nous mourons, c’est pour le Seigneur ; soit donc que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur[283] ». Comment se fait-il que tu sois à lui, même après ta mort ? C’est qu’il est mort pour te racheter au prix de son sang. Celui dont la mort est ta rançon, peut-il te perdre, toi son serviteur, bien que lu sois mort ? Aussi, après avoir dit : « Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur » ; l’Apôtre a-t-il ajouté, pour nous montrer ce prix inestimable : « Si donc le Christ est mort et ressuscité, c’est afin d’avoir l’empire sur les vivants et sur les morts[284] ».
6. Néanmoins, comme sa grandeur est sans borne, et que nous devons louer celui que nous ne pouvons comprendre (si nous le comprenions, en effet, sa grandeur ne serait pas sans borne ; mais si cette grandeur est sans borne, nous pouvons la comprendre quelque peu, et non dans son immensité), que sa bonté nous soutienne puisque sa grandeur nous dépasse ; jetons les yeux sur ses œuvres, et bénissons l’ouvrier dans ses œuvres, l’auteur dans l’ouvrage, le créateur dans ses créatures. Voyons ce qu’il a fait ici-bas, ce qui nous est connu, ce qui est visible pour nous. Combien d’autres, que nous ne saurions connaître, sont le produit de son immense bonté, de son infinie grandeur ! Quand notre vue pourrait pénétrer jusqu’au ciel, et que du soleil, de la lune et des étoiles, nous la ramènerions sur la terre, car c’est dans cet espace que nos yeux se promènent, pourrions-nous jeter au-delà des cieux, je ne dis pas les yeux du corps, mais les yeux de l’âme ? Louons donc le Seigneur dans ses œuvres, autant que ses œuvres nous sont connues. « Car les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde par tout ce qui a été fait[285]. Une « génération et une génération bénira vos œuvres[286] ». Toute génération chantera vos œuvres. Pour marquer toute génération, le Prophète se sert de cette manière de parler : « Une génération et une génération ». Il ne pouvait marquer en détail toute génération, jusqu’à l’épuisement de toutes les générations ; mais cette répétition du langage reporte la pensée dans l’infini. Cette génération, qui est maintenant dans la chair, qui passera comme elle est venue, bénit les œuvres de Dieu ; après cette génération une autre viendra louer les œuvres de Dieu, et après cette autre, une autre encore, et ainsi combien de générations jusqu’à la fin des siècles. Voilà ce que veut dire le Prophète « Une génération et une génération bénira vos ouvrages ». Ou aurait-il voulu, peut-être, dans cette répétition, préciser deux générations spéciales ? Dans cette génération présente nous sommes en effet les fils de Dieu, et dans l’autre génération nous serons les enfants de la résurrection ; et l’Écriture, qui donne le nom de régénération à la résurrection, nous appelle enfants de la résurrection. « À la régénération », est-il dit, « lorsque le Fils de l’homme s’assiéra dans sa majesté[287] ». De même ailleurs : « Les femmes ne prendront point d’Époux, ni les hommes d’Épouses, puisqu’ils seront les fils de la résurrection[288] ». Donc « une génération et une génération louera vos œuvres ». Maintenant dans cette vie mortelle nous louons les œuvres du Seigneur ; et si nous les bénissons chargés de chaînes, une fois couronnés, comment les bénirons-nous ? Considérons donc les œuvres de Dieu, dans cette génération présente puisque c’est en son honneur que le Prophète a dit : « Une génération et une génération bénira vos œuvres, parce que sa grandeur est sans borne ». Il est bien de considérer vos œuvres, afin de vous bénir, vous qui en êtes l’auteur.
7. « Et ils annonceront votre puissance ». Car ils ne béniront vos œuvres qu’en publiant votre puissance. On propose à des enfants, clans une école, un thème de louanges, et on ne leur propose de louer que les œuvres de Dieu : leur proposer de louer le soleil, de louer la lune, la terre, et, pour descendre à de moindres objets, la rose, le laurier ; tout cela c’est l’œuvre de Dieu que l’on donne à louer, que l’on entreprend de louer, qu’on loue enfin ; on chante les œuvres, on ne dit rien de l’ouvrier. C’est donc dans ses ouvrages que je veux louer le Créateur ; et je n’aime point ces ingrats panégyristes. Comment bénir les œuvres que Dieu a faites, et ne rien dire de celui qui a tout fait ? Eh ! pourrais-tu avoir quelque chose à louer, si Dieu n’était si grand ? Que peux-tu louer dans ces créatures visibles ? Leur beauté, leur utilité, quelque force, quelque puissance que tu y découvres. Mais si leur beauté a pour toi des attraits, quoi de plus beau que celui qui les a faites ? Si c’est leur utilité, quoi de plus utile que l’auteur de tant de choses ? Si c’est leur puissance, quoi de plus puissant que celui qui a tout créé, et qui, loin d’abandonner ses créatures, les dirige toutes et les gouverne ? Ce n’est donc ainsi, ô mon Dieu, qu’une génération qui vous bénit dans vos serviteurs, en louant vos œuvres ; elle ne ressemble point à ces parleurs muets, qui oublient le Créateur en louant la créature. Comment donc vous bénit cette génération ? « Ils annonceront votre puissance ». C’est votre puissance qu’ils chanteront en chantant vos œuvres. Quand vos saints, vos fidèles serviteurs, ceux qui vous offrent une véritable louange, ceux qui n’oublient point vos grâces, quand ceux-là chantent les ouvrages de Dieu, quels qu’ils soient, dans ce qu’il y a de plus élevé, comme dans ce qu’il y a de Plus bas, dans le ciel et sur la terre, ils se trouvent eux-mêmes parmi les œuvres qu’ils chantent, puisqu’ils sont au nombre des créatures de Dieu. Car celui qui a tout fait, nous a faits nous-mêmes parmi ses œuvres. Si donc tu viens à louer les œuvres de Dieu, tu te loueras toi-même, puisque tu es l’œuvre de Dieu ; et dès lors, que devient cette parole : « Que ta bouche ne te loue point[289] ? » Voilà donc une manière de te louer sans être orgueilleux : c’est de bénir en toi Dieu, et non pas toi : non parce que tu es tel, mais parce que c’est lui qui t’a fait ; non parce que tu as de la puissance, mais parce que Dieu peut agir en toi et par toi. C’est ainsi qu’« ils vous loueront, Seigneur, et qu’ils annonceront votre puissance », la vôtre et non la leur. Apprenez donc à louer Dieu, mes frères, et en considérant les œuvres admirez l’ouvrier, en lui rendant grâces, et non en vous arrogeant sa gloire. Louez Dieu de toutes ses œuvres, de l’ordre qu’il a établi, des dons qu’il nous a faits.
8. Enfin vois ce qui suit : « Ils chanteront votre puissance, ils parleront de la magnificence éclatante de votre sainteté, ils raconteront vos merveilles. Ils chanteront la terreur de vos prodiges, feront connaître votre grandeur. Ils répandront le souvenir de votre bonté[290] », et de la vôtre seulement. Vois si le panégyriste des œuvres de Dieu détourne sa vue du Créateur pour sa créature ; vois s’il délaisse l’ouvrier pour s’arrêter à l’ouvrage. Il se fait des œuvres comme des degrés pour s’élever jusqu’à lui, et non pour en descendre. Tu ne posséderas jamais l’ouvrier, si tu lui préfères ses œuvres. De quoi te servira d’avoir les œuvres en abondance, si l’ouvrier t’abandonne ? Aime les œuvres, à la bonne heure, mais aime l’ouvrier plus encore ; aime-les à cause de lui. Publie sa puissance, chante l’éclat glorieux de sa sainteté, raconte ses merveilles, publie la terreur de ses prodiges ; car il est tout à la fois aimable et terrible. Ses faveurs ne sont point sans menaces. Sans faveurs, il ne nous encouragerait point, et sans menaces il ne nous redresserait point. Ceux qui vous chantent raconteront donc votre puissance terrible ; vos créatures publieront votre force qui les châtie, qui les redresse par la discipline ; elles la publieront et ne se tairont point. Car elles ne parleront point du royaume éternel, sans parler du feu également sans fin. Car la louange de Dieu te met sur le bon chemin, et doit montrer ce qu’il faut aimer, ce qu’il faut craindre ; ce qu’il faut désirer et ce qu’il faut fuir, ce qu’il faut choisir, et ce qu’il faut rejeter. C’est maintenant le temps de choisir, plus tard celui de recevoir. Chantons donc la puissance de ce qu’il faut craindre. « Et ils raconteront votre grandeur », dit le Prophète. Bien qu’elle soit infinie, bien que cette grandeur ne connaisse point de borne, ils en parleront, ils ne s’en tairont point. Ils raconteront, dis-je, cette grandeur dont nous disions tout à l’heure : « Et votre grandeur qui est sans fin, « ils la raconteront ». Mais comment la raconter si elle est sans borne ? Ils la raconteront, en la louant ; et comme cette grandeur n’a point de fin, sa louange sera également sans fin. Montrons qu’il n’y aura point de fin à sa louange : « Bienheureux », dit le Prophète, « ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront dans les siècles des siècles[291]. Et ils raconteront votre gloire » ; cette gloire infinie, « ils la raconteront ».
9. « De leur bouche jaillira le souvenir de vos infinies bontés[292] ». Bienheureux festin ! Que mangeront-ils pour que leur bouche fasse de telles éruptions ? « La mémoire de vos infinies bontés ». Qu’est-ce donc que cette mémoire de vos infinies bontés ? C’est que vous ne nous avez point oubliés, Seigneur, alors que nous-mêmes ne pensions plus à vous. Toute chair avait oublié Dieu ; mais lui n’avait pas oublié son ouvrage. Tel est ce souvenir de nous, qui l’a empêché de nous oublier, ce souvenir qu’il nous faut redire, qu’il nous faut chanter ; et comme il est doux, il faut t’en nourrir, puis en faire éruption. Mange-le au point de le répandre au-dehors. Reçois, afin de donner. C’est manger que s’apprendre, c’est faire éruption qu’instruire ; c’est manger que d’écouter, c’est répandre que prêcher ; et toutefois tu répands ce que tu as mangé. Enfin cet avide mangeur, ce bienheureux Jean, qui ne se contentait point de la table du Seigneur, s’il ne reposait sur la poitrine de son maître[293], pour y puiser les secrets divins, que répand-il ensuite ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu, et le Verbe était en Dieu[294]. Ils répandront la mémoire de votre inépuisable bonté ». Comment ne suffit-il pas au Prophète de dire : votre mémoire, ni la mémoire de votre abondance, ni la mémoire de votre bonté ; mais il dit : « La mémoire de l’abondance de votre bonté ? » À quoi servirait cette abondance, si elle n’était douceur ; et ne serait-il pas fâcheux que cette bonté ne fût pas abondante ?
10. Donc, ils répandront au-dehors la « mémoire de votre inépuisable bonté » parce que vous ne nous avez point oubliés, et que vous souvenant de nous, vous nous avez avertis et fait souvenir de vous. « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui[295] ». Donc parce qu’ils répandront au-dehors la mémoire de votre inépuisable bonté, qu’il n’y a rien de bien qui ne vienne de vous, et qu’ils n’ont pu se tourner vers vous sans être avertis par vous-même, qu’ils n’auraient pu se souvenir de vous, si vous les eussiez oubliés ; parce qu’ils ont considéré ces effets de votre grâce, « ils tressailliront dans votre justice ». Oui, c’est à la vue des effets de votre grâce qu’ils tressailliront dans votre justice, et non dans la leur. Buvez donc la grâce, mes frères, si vous voulez répandre la grâce. Qu’est-ce à dire : Buvez la grâce ? Apprenez la grâce, comprenez la grâce. Avant de naître, nous n’étions rien, et nous sommes devenus des hommes quand nous étions dans le néant. Mais nous ne pouvons être hommes qu’en tirant notre origine de l’homme pécheur et méchant ; et par nature nous sommes enfants de colère comme tous les autres[296]. Reconnaissons donc la grâce de Dieu qui, non seulement nous a faits, mais nous a refaits ; c’est à elle que nous devons d’exister, que nous devons d’être justifiés. Que nul n’attribue à Dieu son existence, et à soi-même sa justification ; ce serait s’attribuer une prérogative supérieure à celle de Dieu. Car être juste est beaucoup plus que d’être homme. Ce serait donc attribuer à Dieu ce qui est moindre, à toi ce qui est supérieur. Donne-lui tout, bénis-le de tout garde-toi d’échapper à la main de ton auteur. Quel est donc l’auteur de ton être ? N’est-il pas écrit que Dieu prit du limon dans la terre, et en forma l’homme[297] ? Avant d’être homme, tu étais un limon ; et avant d’être limon tu n’étais rien. Mais ne remercie point ton créateur de cet ouvrage de boue, écoute une œuvre bien autre que ce divin potier a faite en toi. « Cela ne vient point des œuvres », dit saint Paul, « de peur que nul ne s’élève ». Mais pourquoi dire : « Ce n’est point par les œuvres, de peur que nul ne s’élève ? » Qu’avait-il dit plus haut ? « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi : et cela ne vient point de vous ». Ce sont les paroles de l’Apôtre et non les miennes. « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi ; et cela (ce salut par la foi) ne vient pas de vous ». Il avait déjà dit la grâce, et dès lors ce n’est point de vous mais de peur qu’on ne donnât un autre sens à ses paroles, il s’explique d’une manière très claire. Pour peu que l’on ait d’intelligence, on dira : « C’est la grâce qui nous a sauvés ». Mais dire grâce, c’est dire gratuitement. Si donc c’est gratuitement il n’y a rien de toi, aucun mérite. Car ce que l’on donne au mérite est une récompense et non une grâce. « Vous êtes sauvés par la foi au moyen de la grâce ». Parlez-nous plus clairement, ô glorieux Apôtre, à cause de ces orgueilleux qui se complaisent en eux-mêmes, et qui dans leur ignorance de la justice de Dieu veulent établir leur propre justice[298]. Écoutez donc cette même pensée plus clairement : « Que vous soyez sauvés par la grâce, cela ne vient point de vous, c’est un don de Dieu[299] ». Mais peut-être avons-nous fait quelques œuvres pour mériter les dons de Dieu. « Cela ne vient point de nos œuvres », dit l’Apôtre, « de peur que nul ne s’élève ». Quoi donc ! ne faisons-nous aucun bien ? Nous en faisons, mais comment ? En ce que Dieu opère en nous ; et que la foi lui donne entrée dans notre cœur, en sorte qu’en nous et par nous il y opère le bien. Vois d’où vient le bien que tu fais : « Nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ par les bonnes œuvres, afin de marcher dans ces œuvres[300] ». Telle est la douceur de son souvenir envers nous, C’est en la répandant que les prédicateurs tressailliront dans sa justice, et non dans leur propre justice. Mais pour être ce que nous sommes, pour vous louer, pour tressaillir dans votre justice, pour répandre le mémorial de votre inépuisable bonté, qu’avons-nous reçu de vous, ô Seigneur que nous bénissons ? Publions-le, et en le publiant chantons ses louanges.
11. « Le Seigneur est clément, miséricordieux, il est riche de patience et de compassion. Le Seigneur est bon pour tous, sa commisération s’étend sur toutes ses œuvres[301] ». S’il n’en était pas ainsi de Dieu, nous n’aurions rien à demander pour nous. Rentre dans toi-même ; que méritais-tu après le péché ? Que méritait ton mépris pour Dieu ? Cherche si tu trouves autre chose que la peine, autre chose que le supplice. Vois donc, d’une part ce que l’on te devait, et d’autre part, ce que t’a donné celui qui t’a fait ces dons gratuitement. À toi pécheur il a donné le pardon, l’esprit de justification, la charité, l’amour qui est la source de tout le bien que tu fais, et par-dessus tout, il te donnera la vie éternelle, la société des anges. Tout cela vient de sa miséricorde. Cesse de parler de tes mérites : tes mérites eux-mêmes sont les dons de Dieu. « Ils tressailliront dans votre justice . Vous êtes, Seigneur, clément et miséricordieux », vous qui nous avez fait tous ces dons. Vous êtes « patient » : combien de pécheurs ne supportez-vous pas ? « Le Seigneur est clément et compatissant », en accordant la rémission des fautes ; « il est patient », pour ceux qui n’ont point reçu le pardon ; loin de les condamner, il les attend, et dans sa patience il leur crie : « Convertissez-vous, revenez à moi afin que je revienne à vous[302] » ; et dans un excès de patience : « Je ne veux pas la mort de l’impie », dit-il, « seulement qu’il revienne et qu’il vive[303] ». Dieu donc est patient, mais toi, « dans la dureté, dans l’impénitence de ton cœur, tu t’amasses un trésor de colère, pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres[304] ». Car Dieu n’est point patient à supporter le pécheur, au point de ne le frapper jamais dans sa justice. Il a ses temps : aujourd’hui il t’appelle, aujourd’hui il t’exhorte, il attend ton repentir, et tu diffères ? Sa miséricorde est grande, même en ce qu’il a laissé incertain le jour de ta mort, en te laissant ignorer quand tu sortiras de ce monde, afin qu’en pensant chaque jour que tu dois mourir, tu t’empresses de revenir à lui ; c’est là une grande miséricorde. S’il avait marqué à chacun le jour de sa mort, cette assurance aurait multiplié les péchés des hommes. Il nous a donc fait espérer le pardon, de peur que le désespoir ne nous rendît plus pécheurs ; or, dans le péché, nous devons redouter et l’espérance et le désespoir. Voyez d’une part ce que le désespoir fait dire à l’homme sur des fautes à commettre, et ce que l’espérance lui fait dire dans le même sens, et comme Dieu répond à l’un ou à l’autre dans sa sagesse ou sa miséricorde. Écoute le langage du désespoir Puisque je dois être damné, pourquoi ne point faire ce qu’il me plaît ? Écoute le langage de l’espérance. La divine miséricorde est grande ; quand je me convertirai, Dieu me pardonnera mes fautes : pourquoi ne point faire ce qu’il me plaît ? L’un désespère et pèche ; l’autre espère et pèche encore. Ces deux excès sont à craindre, tous deux sont dangereux. Malheur à l’homme qui désespère ! malheur à l’homme qui n’a qu’une fausse espérance ! Quel remède apporte donc la divine miséricorde à ce double péril, à ce double mal ? Que dis-tu, ô toi que le désespoir excite au péché ? Puisque je dois être damné, pourquoi ne pas faire comme il use plaît ? Écoute l’Écriture : « Je ne veux pas la mort de l’impie, seulement qu’il revienne et qu’il vive ». Cette parole de Dieu nous ramène à l’espérance ; mais il faut craindre un autre piège qui est de trop espérer. Quel était donc ton langage, quand l’espérance te poussait au péché ? Au jour de ma conversion Dieu me remettra tous mes péchés, je ferai donc tout ce qui me plaira. Écoute encore la sainte Écriture : « Ne tarde point de te retourner vers le Seigneur, ne diffère pas de jour en jour ; car la colère de Dieu éclatera subitement, et il te perdra au jour des vengeances[305] ». Ne dis donc plus : Demain je me convertirai, demain je chercherai à plaire à Dieu ; et tous mes péchés d’hier et d’aujourd’hui me seront pardonnés. Il est vrai que Dieu t’a promis le pardon au jour où tu te convertiras ; mais il n’a promis aucun lendemain à tes retards.
11. « Le Seigneur est bon pour tous, et sa bonté s’étend sur toutes ses œuvres[306] ». Pourquoi donc une damnation ? Pourquoi des châtiments ? Ceux qu’il damne, ceux qu’il châtie, ne sont-ils pas son ouvrage ? Ils le sont sans doute. Veux-tu comprendre que « sa bonté s’étend sur toutes ses œuvres ? » Elle est la source de cette clémence « qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants[307] ». N’est-ce pas épancher sa miséricorde sur ses créatures, que faire pleuvoir sur les justes et sur les injustes ? N’est-ce point là épancher sa miséricorde sur toutes ses œuvres ? Attendre avec longanimité le pécheur, en disant : « Convertissez-vous à moi, et je me retournerai vers vous[308] », n’est-ce pas épancher sa miséricorde sur toutes ses œuvres ? Mais dire : « Allez, maudits, au feu éternel, préparé pour de diable et pour ses anges[309] », ce n’est plus la miséricorde, c’est la sévérité, Il y a donc miséricorde pour ses œuvres, et sévérité, non plus pour ses œuvres, mais pour les tiennes. Enfin si tu viens à retrancher tes œuvres mauvaises, de manière qu’il n’y ait en toi que son œuvre, sa miséricorde ne t’abandonnera point ; mais si tu ne quittes point tes œuvres mauvaises, Dieu déploiera sa sévérité contre tes œuvres, non contre les siennes.
13. « Que toutes vos œuvres vous confessent, ô mon Dieu, et que vos saints vous bénissent[310] ». Que toutes vos œuvres vous bénissent. Quoi donc ! la terre n’est-elle pas son œuvre ? Le bois n’est-il pas son œuvre ? Les troupeaux, les bestiaux, les poissons, les oiseaux, ne sont-ils pas ses œuvres ? Assurément ce sont là ses œuvres ; mais comment toutes ses œuvres pourront-elles confesser le Seigneur ? Je comprends que, à l’égard des anges, les œuvres de Dieu le confessent, car les anges sont ses œuvres ; les hommes aussi sont ses œuvres, et quand les hommes le confessent, ses œuvres le confessent ; mais les bois et les pierres ont-ils une voix pour le confesser ? Et, toutefois, que toutes ses œuvres le confessent, dit le psalmiste. Comment ? Et la terre et le bois ? Oui, toutes ses œuvres ; si toutes révèlent sa gloire, pourquoi toutes ne le confesseraient-elles point ? Car la confession ne s’entend pas seulement de l’aveu des fautes, elle s’entend aussi de la louange ; et ne croyez pas que partout le mot de confession ne signifie que l’aveu du péché. On s’est tellement pénétré de cette idée, que si l’on entend ce mot dans les saintes Écritures, on se frappe aussitôt la poitrine. Comprends alors qu’il y a aussi une confession de louanges : Notre-Seigneur Jésus-Christ avait-il donc des péchés à confesser ? Et cependant il dit : « Je vous confesserai, mon Père, Dieu du ciel et de la terre[311] ». La louange est donc une confession. Dès lors, comment faut-il entendre : « Que tous vos ouvrages vous confessent », sinon, que tous vos ouvrages vous louent ? Mais, diras-tu, la difficulté revient pour la louange, comme pour la confession. Si la terre, les bois, les créatures sans raison, ne sauraient confesser le Seigneur, parce qu’ils n’ont point de voix pour faire cette confession, ils ne pourront non plus le louer, puisqu’ils n’ont point de voix pour parler. Et toutefois ces créatures ne sont-elles point citées par les trois enfants qui se promènent dans les flammes, assez libres non seulement pour ne pas brûler, mais encore pour louer Dieu ? À toutes les créatures, depuis la terre jusqu’au ciel, ils disent : « Bénissez le Seigneur, chantez-lui des hymnes, louez-le à jamais[312] ». Les voilà qui chantent des hymnes. Que nul ne s’imagine, toutefois, qu’une pierre muette, qu’un animal sans parole ait assez de raison pour connaître Dieu. C’est une grave erreur pour ceux qui l’ont cru. Dieu a tout réglé, tout créé : à quelques créatures il a donné le sens, l’intelligence et l’immortalité comme aux anges ; à d’autres, qui sont mortels, il a donné le sens et l’intelligence comme aux hommes : à ceux-ci il a donné le sens corporel, mais sans intelligence et sans immortalité, comme aux animaux ; à ceux-là, il n’a donné ni le sens, ni l’intelligence, ni l’immortalité, comme aux herbes, aux bois, aux pierres : et toutefois nulle de ces créatures ne saurait manquer dans son genre. Dieu les a réglées comme par degrés depuis la terre jusqu’au ciel, depuis les choses visibles jusqu’aux choses invisibles, et ce qui est mortel, et ce qui est immortel. Cet enchaînement des créatures, cet ordre admirable qui s’élève du plus bas au plus haut, pour redescendre d’en haut jusqu’en bas, qui n’est interrompu nulle part, admirablement pondéré par les contraires, tout cet enchaînement bénit le Seigneur. Comment toutes ces créatures bénissent-elles le Seigneur ? En ce que tu ne saurais en considérer la beauté sans louer Dieu qui en est l’auteur. La terre n’a qu’une voix muette, sa beauté ; mais quand l’on considère sa beauté, sa fécondité, sa vertu surprenante, cette germination des semences que l’on y répand, et même de celle que l’on ne sème point, cette considération est une manière de questionner, tes recherches sont des interrogations. Admirer cette beauté, en rechercher les causes, sonder cette force, cette fécondité surprenante, c’est comprendre bientôt que cette puissance ne lui vient point d’elle-même ; et il te vient en pensée qu’elle n’a pu exister par elle-même sans le Créateur. Mais cette conclusion que tu as trouvée, est une confession de la terre, une hymne en l’honneur du Créateur. Aussi, quand nous admirons en général cette beauté du monde, n’y a-t-il pas dans cette beauté comme une voix qui vous crie : C’est Dieu qui m’a faite, et non pas moi ?
14. Donc, « que toutes vos œuvres vous confessent, ô mon Dieu, et que vos saints vous bénissent ». Et pour que vos saints vous bénissent dans la confession de vos œuvres, que ces mêmes saints considèrent toute créature confessant vos grandeurs. Écoute leur voix qui bénit Dieu, et que disent les saints en vous bénissant, ô mon Dieu ? « Ils publieront la gloire de votre royaume, et chanteront votre puissance[313] ». Combien est puissant le Dieu qui a fait la terre ! Combien est puissant le Dieu qui a comblé la terre de ses biens ! Combien est puissant le Dieu qui a donné aux animaux une vie qui leur est propre ! Combien est puissant le Dieu qui a jeté dans les entrailles de la terre tant de semences diverses, pour donner des fruits si variés et si beaux, des arbres si majestueux ! Qu’il est grand ! qu’il est puissant ! Interroge la créature, et la créature te répond ; et cette réponse de la créature, qui est comme une confession de louanges, te porte, toi, le saint de Dieu, à bénir le Seigneur, à publier sa puissance.
15. « Afin qu’ils fassent connaître aux fils des hommes voire puissance, et la gloire éclatante de votre royaume[314] ». L’œuvre de vos saints, ô Seigneur, c’est de chanter la gloire de cette grande beauté de votre royaume, la gloire de la grandeur de la beauté. Il est en effet dans votre royaume une certaine grandeur de beauté ; c’est-à-dire que votre royaume a de la beauté, et une grande beauté. Quelle est cette beauté de votre royaume ? Que ce royaume ne nous effraie point, sa beauté nous ravira de joie. Quelle est cette beauté qui fera les délices des saints ? Ces bienheureux à qui l’on dira : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume[315] ». D’où viendront-ils ? Où iront-ils ? Voyez, mes frères, et si vous le pouvez, représentez-vous, autant que possible, cette beauté du royaume à venir, dont nous disons dans notre prière : « Que votre règne arrive[316] ». Ce règne dont nous souhaitons l’avènement, c’est ce règne à venir que chantent les saints. Voyez ce monde, il a de la beauté. Quelle beauté dans la terre, dans la mer, dans l’air, dans le ciel et dans les astres ! Toutes ces beautés ne sont-elles pas de nature à effrayer un observateur ? Cette beauté n’est-elle pas supérieure, au point que nulle autre ne la surpasse ? Toutefois, dans cette beauté, dans cette splendeur en quelque sorte inexprimable, il y a près de toi des vermisseaux, de vils animaux, tout ce qui rampe sur la terre ; tout cela vit dans cette splendeur. Quelle ne sera point la beauté de cet autre royaume où tu n’auras que les anges pour vivre avec toi ? C’était donc peu pour le Prophète de nous dire la gloire de la beauté ; ce qui pouvait se dire de toute beauté de ce monde, beauté verdoyante sur la terre, beauté resplendissante au ciel ; mais en disant : « De la grandeur de la beauté de votre royaume », le Prophète nous révèle ce que nous ne voyons pas encore, ce que nous croyons sans le voir, ce que nous désirons en le croyant, désir qui nous fait supporter tous nos maux. Il y a donc une grandeur d’une certaine beauté : puissions-nous l’aimer avant de la voir, afin d’en jouir quand nous la verrons.
16. « Votre royaume ». Qu’est-ce que votre royaume ? « Le royaume de tous les siècles[317] ». Car le royaume de ce monde a aussi sa beauté ; mais il n’a pas cette grandeur de beauté que nous verrons dans le royaume de tous les siècles. « Et votre domination s’étend de race en race ». C’est une répétition qui comprend en général toutes les générations, ou la génération qui doit venir après cette génération.
17. « Dieu est fidèle dans ses paroles, et saint dans toutes ses œuvres[318] ». Qu’a promis ce Dieu fidèle dans ses paroles, qu’il n’ait point tenu ? « Le Seigneur est fidèle dans ses paroles ». Il est encore des promesses qui ne sont point accomplies, mais croyons en lui d’après ce qu’il nous a déjà donné. « Le Seigneur est fidèle dans ses paroles ». Nous pourrions en croire simplement à sa parole ; il ne l’a pas voulu néanmoins, et nous a donné son Écriture comme une promesse ; comme si tu disais à un homme, en lui faisant une promesse : tu n’en crois point à ma parole, je te fais un écrit. Comme cette génération s’en va et qu’une autre lui succède, et que les siècles voient les hommes paraître et disparaître, l’Écriture de Dieu, sa cédule a dû demeurer, afin que tous les hommes la pussent lire et tenir le chemin de la promesse. Et par quels biens Dieu n’a-t-il point dégagé sa signature ? Les hommes n’osent l’en croire à propos de la résurrection des morts et du siècle à venir, seul point de ses promesses qui ne soit pas accompli ; s’il entrait en raisonnement avec les infidèles, quel infidèle n’aurait pas à rougir ? Que Dieu te dise : Tu as mon billet, j’ai promis qu’il y aurait un jugement, une séparation des bons et des méchants, un règne sans fin pour les fidèles, et tu ne veux pas m’en croire ? Vois dans mon billet tout ce que j’ai écrit, entrons en compte ; certes, en voyant ce que j’ai accompli de mes promesses, tu peux croire que je tiendrai à ce que je dois encore. Dans cet écrit j’ai promis mon Fils, et je ne l’ai point épargné, puisque je l’ai livré pour vous[319] ; il faut donc compter cela comme accompli. Lis encore mon billet : J’ai promis de donner le Saint-Esprit par l’entremise de mon Fils. Encore accompli. J’y ai promis que les martyrs répandraient leur sang et recevraient une couronne de gloire. Encore accompli ; cette masse blanche te prouve que j’ai tenu parole. Mais pour que les martyrs fussent glorifiés comme je l’avais promis dans mon billet, qui porte : « Nous sommes, à cause de vous, livrés à la mort pendant tout le jour[320] » ; pour accomplir cette parole : « Voilà que les nations ont frémi, les peuples ont médité de vains complots, les rois de la terre se sont levés, les princes se sont rassemblés contre le Seigneur et contre son Christ[321] ». Les princes ont uni leurs efforts et conspiré contre les chrétiens. Et même dans mon billet, n’ai-je point promis que ces princes embrasseraient la foi, et n’est-ce point ce qui est arrivé ? Écoute en quel endroit je l’ai promis « Tous les rois de la terre l’adoreront, tous les peuples le serviront[322] ». Ingrat ! Tu lis ce que je dois, tu le vois accompli, et tu ne crois point au reste de la promesse ? Lis encore dans mon billet. « Que les nations ont frémi de colère, que mes ennemis ont parlé contre moi », c’est-à-dire contre mon Christ. « Quand mourra-t-il, quand son nom disparaîtra-t-il[323] ? » Voilà ce qu’ils ont fait, ce qu’ils ont dit ; lis maintenant ce que j’ai promis, à quoi je me suis engagé : « Le Seigneur l’emportera sur eux, il exterminera tous les dieux des nations de la terre, et chacun l’adorera dans sa terre natale[324] ». Maintenant il a prévalu, il a réduit au néant tous les dieux des nations de la terre. N’est-ce point ce qui est accompli ? sa parole n’est-elle pas dégagée ? Sous les yeux de tous il nous montre sa dette acquittée : une partie de ses promesses a été exécutée sous les yeux de nos pères, et nous ne l’avons point vu ; une autre partie sous nos yeux, et eux ne l’ont point vu ; de siècle en siècle, il tient ses promesses. Que reste-t-il encore ? Ne peut-on le croire après tout ce qui est accompli ? Que reste-t-il ? Le voilà qui entre en compte ; après avoir tenu tant de promesses, pourrait-il être infidèle pour ce qui reste ? Point du tout. Pourquoi ? Parce que le Seigneur est fidèle en toutes ses paroles, et saint dans toutes ses œuvres.
18. « Le Seigneur soutient tous ceux qui chancellent[325] ». Mais quels sont tous ceux qui chancellent et qu’il soutient ? Il soutient tous ceux qui tombent, mais ceux qui tombent d’une certaine manière. Il en est, en effet, beaucoup qui tombent en se séparant de Dieu ; « beaucoup qui tombent en se séparant de leurs pensées[326] ». Avoir une pensée funeste, et s’en séparer, c’est tomber, et le Seigneur soutient ceux qui tombent de la sorte. Les saints qui essuient quelques pertes ici-bas, sont en quelque sorte déshonorés en cette vie ; de riches ils deviennent pauvres, aux honneurs qu’ils recevaient, succède le mépris ; ils sont toutefois les saints de Dieu, mais les voilà comme tombés. Or, « Dieu soutient tous ceux qui tombent. Le juste tombe sept fois et se relève, les impies s’affaibliront dans les maux[327] ». Qu’il arrive donc à l’impie quelque chose de fâcheux, il en est affaibli ; qu’il arrive quelque malheur au juste, « le Seigneur affermit tous ceux qui tombent ». Job était tombé de cette ancienne splendeur où l’avaient élevé pour un temps ses grandes possessions terrestres, il était déchu de la magnificence de sa maison. Voulez-vous mesurer sa chute ? Il était assis sur le fumier, et le Seigneur le soutint dans sa chute. À quel point voulut-il bien le fortifier ? Au point que, malgré cette effroyable plaie qui couvrait tout son corps, il put répondre à sa femme qui le tentait, et que le démon lui avait laissée pour unique soutien : « Vous avec parlé comme une femme insensée : si nous avons reçu des biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas supporter les maux[328] ? » Jusqu’à quel point Dieu l’avait-il soutenu dans sa chute ? « Le Seigneur soutient tous ceux qui tombent. Que le juste vienne à tomber », est-il dit, « il n’en sera point troublé, parce que le Seigneur soutient sa main[329]. Il relève ceux qui sont brisés », du moins ceux qui sont à lui ; car Dieu résiste aux superbes[330].
19. « Les yeux de toutes les créatures sont fixés sur vous, Seigneur, et vous leur donnez la nourriture au temps opportun[331] ». Vous traitez donc l’homme comme un malade, ô mon Dieu ? Vous lui donnez à temps opportun, quand il a besoin ; et vous lui donnez ce qui convient. Aussi désire-t-il quelquefois sans rien recevoir de Dieu, qui connaît l’heure de donner, et qui prend soin de lui. Pourquoi vous parler de ces choses, mes frères, sinon de peur que vous n’ayez pas été exaucés, en demandant à Dieu ce qui était juste ? Quand on demande ce qui est injuste, Dieu nous châtie quelquefois en nous exauçant ; mais après avoir demandé ce qui est juste, ne nous décourageons point, ne nous rebutons point, si nous ne sommes point exaucés ; que nos yeux tournés vers le Seigneur attendent la nourriture qu’il donne à temps opportun. S’il nous refuse parfois, c’est de peur que ses dons ne soient préjudiciables. L’Apôtre ne faisait point une demande injuste, quand il priait Dieu de lui ôter cet aiguillon de la chair, cet ange de Satan qui le souffletait ; et pourtant il n’obtint pas ce qu’il demandait, parce que c’était le temps d’exercer sa faiblesse, et non de lui donner la nourriture. « Ma grâce te suffit », lui répondit le Seigneur, « car c’est dans la faiblesse que la vertu se fortifie[332] ». Le diable demanda de mettre Job à l’épreuve, et l’obtint[333]. Remarquez bien ceci, mes frères, c’est un mystère profond, qu’il nous faut étudier, reprendre souvent, retenir de manière à ne jamais l’oublier, à cause des épreuves en si grand nombre de cette vie. Que dirai-je ? Faut-il mettre saint Paul en parallèle avec Satan ? Saint Paul prie et n’est point exaucé ; le diable prie, et reçoit ce qu’il demande. Mais saint Paul ne fut point exaucé, afin qu’il en devînt plus parfait ; le diable fut exaucé pour sa propre damnation. Job lui-même enfin recouvra la santé en temps opportun. Dieu différa néanmoins pour le mettre à l’épreuve : il fut longtemps affligé de sa plaie, parla beaucoup, supplia le Seigneur de le délivrer de tant de maux, et le Seigneur ne le délivrait point. Il accorda plus promptement au diable le pouvoir de tenter Job, qu’à Job la délivrance qu’il sollicitait. Apprenez donc â ne point murmurer contre Dieu, et quand vous n’êtes point exaucés, ne cessez de répéter ce que nous avons dit plus haut : « Tous les jours je vous bénirai ». Le Fils unique de Dieu lui-même était venu pour souffrir, pour payer ce qu’il ne devait point, pour mourir entre les mains des pécheurs, pour effacer de son sang l’arrêt de notre mort ; c’est pour cela qu’il était venu ; et néanmoins afin de te donner l’exemple de la patience, il a pris le corps de notre faiblesse pour le transfigurer, en le rendant conforme à son corps glorieux[334]. « Mon Père », dit-il, « que ce calice s’éloigne de moi, s’il est possible[335] ». Et bien qu’il ne reçut point ce qu’il semblait demander, afin d’accomplir cette parole du psaume : « Je vous bénirai chaque jour » ; toutefois a-t-il ajouté : « Que votre volonté s’accomplisse et non pas la mienne, ô mon Père. Les yeux de tous espèrent en vous, et vous leur donnez la nourriture en temps opportun ».
20. « Vous ouvrez la main et vous comblez de vos bontés tout ce qui respire[336] ». Si quelquefois vous ne donnez point, vous donnez toutefois en temps opportun ; vous différez sans refuser, et cela en temps opportun.
21. « Le Seigneur est juste dans toutes ses voies[337] ». Qu’il nous frappe ou qu’il nous guérisse, il n’en est pas moins juste ; il n’y a point d’injustice en lui. Aussi tous les saints, dans l’affliction, ont chanté sa justice et sollicité ses bienfaits. Ils ont dit tout d’abord : Ce que vous faites est juste, Seigneur. Ainsi pria Daniel, ainsi tous les autres saints : Vos jugements sont justes, il est bien pour nous, il est juste de souffrir[338]. Ils n’ont point cru que Dieu eût manqué de justice, ou d’équité, ou de sagesse. Ils l’ont béni quand il les frappait, béni encore quand il les nourrissait. « Le Seigneur est juste dans toutes ses voies ». Que nul ne regarde ses douleurs comme une injustice de la part de Dieu, qu’il chante la justice de Dieu et n’accuse que sa propre injustice. « Le Seigneur est juste dans toutes ses voies, il est saint dans toutes ses œuvres ».
22. « Le Seigneur est proche de ceux qui l’invoquent[339] ». Mais que devient cette parole : « Voilà qu’ils m’invoqueront, et je ne les exaucerai point[340] ? » Vois d’abord ce qui suit : « De tous ceux qui l’invoquent en vérité ». Car beaucoup l’invoquent, mais non point dans la vérité ; ils désirent quelque chose de lui, mais sans le chercher lui-même. Pourquoi aimer Dieu ? Parce qu’il m’a donné la santé. J’en conviens, c’est lui qui te l’a donnée. Nul autre que lui ne saurait donner la santé. Je l’aime, dit celui-ci, parce qu’il m’a donné une femme riche, à moi qui étais dans l’indigence, une femme soumise. Tu as raison, c’est Dieu qui te l’a donnée. Il m’a donné, dit celui-là, des enfants nombreux et sages, une grande famille, de grands biens. Est-ce pour cela que tu l’aimes ? Pour cela que tu n’attends plus rien de lui ? Sois encore affamé, frappe encore à la porte du Père de famille, il a d’autres biens à te donner. Avec tout ce que tu as reçu, tu es pauvre encore et tu ne le sais pas. Tu es encore vêtu d’une chair misérable et mortelle, tu n’as pas reçu ce vêtement de gloire et d’immortalité, et tu es déjà las de prier ? « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés[341] ». Donc, si Dieu est bon pour t’avoir donné ces biens, quel ne sera point ton bonheur, quand il se sera lui-même donné ? Tu as tant désiré de lui ; je t’en prie, désire qu’il te fasse don de lui-même. Il n’y a pas dans ces biens plus de délices que dans lui-même, et l’on ne saurait aucunement les lui comparer. Donc celui qui préfère Dieu lui-même, dont il a reçu tous ces biens, à ces mêmes biens qui font sa joie, invoque Dieu en vérité. Pour vous faire mieux comprendre mes paroles, faisons à ces hommes cette proposition : S’il plaisait à Dieu de vous ôter tous ces biens qui font votre joie, qu’arriverait-il ? Qu’on l’aimerait moins, et que nul ne dirait : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; ainsi qu’il a plu au Seigneur il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni[342] ». Mais que dit cet homme à qui Dieu a enlevé ses biens ? O Dieu ! que vous ai-je fait ? Pourquoi m’ôter mes biens pour les donner à d’autres ? Vous les donnez à des méchants, et les enlevez à vos serviteurs, C’est accuser Dieu d’injustice et faire valoir votre justice. Au contraire, accuse-toi, et bénis Dieu. Tu auras le cœur droit quand tu béniras Dieu des biens qu’il t’aura faits, sans l’aimer moins dans les maux qu’il faut supporter. C’est là invoquer Dieu en vérité. Dieu exauce tous ceux qui l’invoquent de la sorte : « Il est proche », c’est-à-dire qu’il est là, bien qu’il ne t’ait pas donné encore ce que tu désires. Un médecin met quelquefois sur les yeux ou sur les entrailles, tel emplâtre qui ne guérit qu’en brûlant. Que le malade le supplie de l’enlever, le médecin attendra le moment, loin de se plier à la volonté du malade ; et toutefois il ne l’abandonne point. Il est près de lui sans lui complaire, et lui complaît d’autant moins qu’il est plus près de le guérir. C’est pour le guérir qu’il a mis l’emplâtre, pour le guérir encore qu’il ne fait point ce que voudrait ce malade. Dieu ne t’exauce point dans ton désir actuel, afin de te donner la santé pour l’avenir ; et en cela il fait aussi ta volonté. Car un malade qui ne veut rien de brûlant, veut néanmoins la santé. « Le Seigneur est donc près de tous ceux qui l’invoquent ». Mais comment de tous ? « De tous ceux qui l’invoquent dans la vérité ». Il soutient, quand ils chancellent, « ceux qui l’invoquent dans la vérité ».
23. « Il fera la volonté de ceux qui le craignent ». Il fera leur volonté ; oui, il la fera ; s’il ne la fait pas maintenant, il la fera un jour. Si tu crains Dieu au point de faire sa volonté, voilà qu’à son tour il devient ton serviteur, et fait ta volonté. « Il exaucera leurs prières, et les sauvera[343] ». Ainsi en est-il du médecin qui exauce, puisqu’il sauve. Quand le Seigneur en agira-t-il ainsi ? Écoute un mot de l’Apôtre : « C’est l’espérance qui nous sauve ; or, l’espérance que l’on voit n’est plus une espérance ; et si nous ne voyons point ce que nous espérons, nous l’attendons par la patience[344] » ; et ce que nous attendons, c’est le salut, qui est sur le point d’être révélé au dernier jour, comme nous l’apprend saint Pierre[345].
24. « Le Seigneur garde tous ceux qui l’aiment, et il perdra les pécheurs ». Vous voyez en Dieu et une sévérité et une douceur inexprimables. Il sauve tous ceux qui espèrent en lui, tous ceux qui le craignent, tous ceux qui l’invoquent dans la vérité : « Et il perdra les pécheurs[346] ». Quels sont tous ces pécheurs, sinon tous ceux qui persévèrent dans le péché, qui osent bien s’en prendre, non point à eux-mêmes, mais à Dieu, qui disputent continuellement contre lui ; qui désespèrent du pardon de leurs fautes, qui les accumulent encore dans ce désespoir, ou bien qui se flattent faussement dû pardon, et qui, dans cette espérance funeste, ne quittent jamais, ni leurs péchés, ni leur impiété ? Un temps viendra où Dieu fera le discernement, où il en fera deux parts, une à sa droite, et l’autre à sa gauche ; où les justes recevront le royaume éternel, et les méchants le feu éternel[347]. « Il perdra tous les pécheurs ».
25. Puisqu’il en est ainsi, mes frères, et que nous venons d’entendre la bénédiction du Seigneur, les œuvres du Seigneur, les merveilles du Seigneur, les miséricordes du Seigneur, les sévérités du Seigneur, sa providence dans toutes ses œuvres, la confession glorieuse qui monte vers lui de toutes parts ; écoutez comment le Psalmiste conclut à la gloire de Dieu : « Ma bouche publiera les louanges du Seigneur ; que toute chair bénisse son saint nom dans les siècles, et dans les siècles des siècles[348] ».

DISCOURS SUR LE PSAUME 145 modifier

SERMON AU PEUPLE. modifier

CHANT DE L’ÂME EXILÉE. modifier

Ici-bas notre âme s’efforce de s’élever à Dieu qui est descendu jusqu’à elle. – Bénis le Seigneur, ô mon âme. La joie est proposée ainsi à l’âme dans le trouble ; et l’interlocuteur n’est pas le corps, qui ne saurait donner un conseil, et qui est corruptible et inférieur à l’âme, celle-ci fût-elle souillée, comme le plomb le plus net est inférieur à l’or le plus maculé. C’est donc la partie supérieure, qui s’adresse à la partie inférieure, troublée par son attachement aux créatures, tandis que l’âme a besoin de s’attacher à Dieu afin qu’il la dirige, comme elle-même dirige le corps.

Je bénirai le Seigneur pendant ma vie, ou dans la terre des vivants, alors que le Seigneur sera notre héritage. Ici-bas nous passons, allant à une destination bien différente, comme le riche et Lazare ; mais dans la maison du Seigneur, nous le bénirons éternellement. Dieu seul doit être notre appui, et non les hommes qui ne sauraient sauver, encore moins les hérétiques se vantant de donner le salut. L’esprit s’en ira, et ils retourneront dans la terre avec leurs pensées. Bienheureux celui qui a pour appui le Dieu de Jacob, qui le fait Israël ; il est à nous par le culte que nous lui rendons et par le soin qu’il prend de nous sans l’un ou sans l’autre l’homme est stérile. Mais Dieu prend-il soin des hommes ? Oui, parce qu’il est le créateur de tout, et même du moindre insecte, et de plus qu’il sauvera les hommes et les animaux. Toutefois, selon l’Apôtre, il n’a aucun soin des bœufs ; mais c’est en ce sens qu’il ne donne pas des préceptes qui les concernent. L’Évangile nous dit que Dieu pourvoit à la subsistance des animaux. Nulle part on ne voit qu’il leur ait donné des préceptes, tandis que l’on voit que le moindre passereau ne tombera pas sans la volonté de Dieu, pas plus qu’un cheveu de notre tête.

C’est Dieu qui garde la vérité, qui rend justice à ceux que l’on opprime, c’est-à-dire à ceux qui souffrent pour la justice, et non à cause du mat qu’ils ont fait. Ainsi les hérétiques se plaignent des lois portées contre eux ; qu’ils considèrent leurs œuvres qu’ils voient si elles sont justes. L’Évangile n’assigne pas le bonheur à ceux qui souffrent, mais à ceux qui souffrent pour la justice. Or, l’Église souffre pour la justice, elle qui doit vivre parmi ces scandales ; mais il n’en est pas ainsi des hérétiques persuadant aux hommes de nier qu’ils soient chrétiens, les conduisant à l’apostasie, et se prétendant justes.

Dans les ministres de l’Église, ne nous inquiétons pas de la sainteté de l’homme ; c’est Dieu qui donne la nourriture, et à tous ceux qui ont faim et soif de la justice. C’est lui qui délie les captifs et non les hérétiques, lui qui donne la sagesse aux aveugles. Cette captivité est celle du corps, dont Dieu nous délivrera en le rendant immortel. C’est pour ceux que le péché fait tomber que le Christ est descendu, lui qui aime les justes, les étrangers qui viennent dans le giron de l’Église il soutient la veuve ou l’Église sans Époux en cette vie, et l’orphelin ou le chrétien détaché de tout ce qui est ici-bas ; il confond la voie des impies, ou la voie large de ceux qui ne connaissent que les jouissances terrestres, et donne aux justes le royaume éternel.


1. Les divins cantiques font les délices de notre esprit ; les larmes qu’ils font couler ne sont pas sans joie. Un chrétien fidèle, étranger au monde, n’a pas de plus agréable souvenir que celui de cette cité dont il est banni ; mais ce n’est ni sans douleur, ni sans soupir, que dans l’exil on se souvient de la patrie. Toutefois, l’espoir d’y retourner nous encourage et adoucit la douleur du bannissement. Que ces paroles divines s’emparent de votre cœur ; que celui qui vous possède s’empare de son héritage ou de vos âmes, de peur qu’elles ne se détournent vers d’autres objets. Que chacun de vous soit ici tout entier, et non là ; c’est-à-dire tout entier dans cette parole, qui retentit sur la terre, afin que cette parole élève notre cœur, et qu’il ne soit plus ici-bas. Car Dieu est avec nous, afin que nous soyons avec lui. Celui, en effet, qui est descendu jusqu’à nous, pour être avec nous, nous élève, afin que nous demeurions avec lui. C’est pour cela qu’il n’a point dédaigné notre exil, parce que Celui qui a tout créé n’est nulle part étranger.
2. Vous venez d’entendre un psaume ; c’est la voix de quelqu’un, la vôtre si vous le voulez, une voix qui exhorte l’âme à louer Dieu, et qui se dit : « Bénis le Seigneur, ô mon âme »[349]. Souvent, en effet, dans les peines de cette vie, dans les épreuves, votre âme se trouble en dépit de vos efforts ; et c’est à cause de ce trouble que nous lisons dans un autre psaume « Pourquoi tant de tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler ? » Or, afin de calmer ce trouble, voilà que le Prophète lui propose une joie non point encore en réalité, mais en espérance ; et à cette âme pleine de trouble, d’anxiété, de tristesse, de chagrin, il dit : « Espérez dans le Seigneur, car je le confesserai encore[350] ». Il place dans la confession cette espérance qui le relève, comme si cette âme qui le troublait par sa tristesse lui disait : Pourquoi me faire espérer dans le Seigneur ? la conscience que j’ai de mes fautes m’en détourne ; je sais le mal que j’ai fait, et tu me dis : « Espère dans le Seigneur ». Tu as péché, il est vrai ; sur quoi néanmoins baser ton espérance ? C’est que je « le confesserai ». De même que Dieu hait le pécheur qui défend ses péchés, de même il aide celui qui les confesse. C’est donc cette espérance, et elle ne saurait être sans joie, bien que dans les difficultés de cette vie pleine d’orages et de tempêtes ; c’est, dis-je, cette espérance qui relève notre âme, et qui lui donne la joie, comme l’a dit l’Apôtre : « Soyez pleins de joie dans l’espérance, et patients dans vos maux »[351]. Elle se relève donc pour louer le Seigneur, et on lui dit : « Bénis le Seigneur, ô mon âme ».
3. Mais quel est l’interlocuteur, et à qui s’adresse-t-il ? Que dirons-nous, mes frères ? Est-ce la chair qui dit : « Bénis le Seigneur, « Ô mon âme ? » La chair peut-elle donner à l’âme un conseil aussi salutaire ? Quelque soumise qu’elle soit, à quelque servitude que nous l’ayons réduite par les forces qui nous viennent de Dieu ; dût-elle nous obéir comme l’esclave le plus docile ; c’est beaucoup déjà qu’elle ne nous soit point un obstacle. Ensuite, mes frères, on ne demande conseil qu’aux plus parfaits. Notre âme est bonne sans doute, notre chair est bonne, puisque l’une et l’autre sont l’ouvrage de celui qui a bien t’ait toutes choses[352]. Quoique ces deux substances soient bonnes chacune en son genre, l’Apôtre a dit néanmoins : « Le corps est mort à cause du péché[353] ». Sans doute ce corps sera tel un jour que Dieu nous l’a promis ; mais il ne l’est pas encore, et nous nous réjouissons dans l’espérance qu’un jour il sera racheté, selon cette parole de l’Apôtre : « Nous gémissons en nous-mêmes, dans l’attente de l’adoption, qui sera la délivrance de notre corps. Car nous sommes sauvés par l’espérance. Mais l’espérance qui verrait ne serait plus l’espérance ; comment espérer ce que l’on voit ? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience[354] ». Bien que notre corps soit bon en lui-même ; néanmoins, tant qu’il est mortel à cause du péché, tant qu’il est dans l’indigence, tant qu’il est assujetti à la corruption et au changement, de manière à n’avoir en lui-même aucune consistance, assurément nous avons lieu d’en désirer la rédemption, qui le tirera de cette misère. Mais comment doit-il être un jour ? Tel que l’Apôtre nous l’a dit quelque part : « Il faut que ce corps corruptible soit revêtu d’incorruption, et que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité[355] ». Mais notre corps fût-il déjà un corps céleste et spirituel, un corps angélique et dans la société des anges, il ne pourrait même, en cet état, donner des avis à notre âme. Car le corps, dès lors qu’il est corps, est inférieur à l’âme, et l’âme la plus vile est toujours supérieure au corps le plus excellent.
4. Ne vous étonnez point qu’une âme vile et pécheresse soit toujours préférable au corps le plus parfait, le plus accompli ; non point par son mérite, maïs par sa nature. Sans doute l’âme pécheresse a toujours quelque souillure par ses désirs déréglés ; et néanmoins l’or, fût-il souillé, est toujours plus précieux que le plomb le plus pur. Que votre esprit passe en revue toutes les créatures, et vous ne trouverez pas incroyable que l’âme la plus vile soit plus précieuse que le corps le plus excellent. L’âme et le corps sont bien différents ; j’ai un reproche pour l’âme, un éloge pour le corps ; un reproche pour l’âme qui est dans l’injustice, un éloge pour le corps qui est vigoureux. Et toutefois, dans son genre, je puis louer ou blâmer l’âme, comme je puis blâmer ou louer le corps. Si vous me demandez quel est le meilleur, ou ce que j’ai blâmé, ou ce que j’ai loué, ma réponse vous étonnera. Assurément j’ai blâmé l’un, j’ai loué l’autre ; et quand on me demande quel est le meilleur, je réponds : Ce que j’ai blâmé est préférable à ce que j’ai loué. Si ma réponse te surprend, souviens-toi de ce que j’ai dit à propos du plomb et de l’or. J’ai blâmé l’or il n’est pas bon, il est souillé, il n’est ni brillant ni épuré ; ce plomb est très bon, rien de plus net. J’ai blâmé l’un, j’ai loué l’autre ; je les mets sous tes yeux, blâmant l’un et louant l’autre. Mais après ce reproche et cette louange, si tu me demandes quel est le meilleur, je répondrai l’or le moins pur est préférable au plomb le plus net. Comment préférable ? Pourquoi le blâmer dès lors ? Pourquoi l’ai-je blâmé ? Parce que cet or n’est point ce qu’il peut être. Que peut-il être ? Épuré, bien supérieur. Je l’ai blâmé parce qu’il n’est point encore épuré. Pourquoi ai-je loué le plomb ? Parce qu’il est épuré au point de ne pouvoir devenir meilleur. Tu dis de même d’un cheval, qu’il est excellent, d’un homme qu’il est très mauvais ; et néanmoins tu préfères l’homme que tu méprises au cheval que tu estimes. Qu’on vienne à te demander quel est le meilleur des deux, tu répondras : L’homme, non par ses mérites, mais par sa nature. Il en est de même des professions. Tu diras : un excellent savetier, par exemple, et tu blâmeras un jurisconsulte, parce que beaucoup de lois lui échappent ; te voilà donc louant un savetier, blâmant un légiste, et néanmoins, qu’on te demande celui qui est supérieur, tu préféreras le légiste, tout imparfait qu’il soit, au plus habile savetier. Que votre charité veuille bien m’écouter. Très-souvent, après avoir beaucoup Joué d’une part, et beaucoup blâmé d’autre part, nous préférons encore ce que nous avons blâmé à ce que nous avons loué. La nature de l’âme est bien supérieure à la nature du corps, elle est plus excellente, elle est spirituelle, incorporelle ; elle touche à la substance de Dieu. C’est quelque chose d’invisible, qui régit notre corps, met les membres en mouvement, applique les sens, forme les pensées, produit les actions, reçoit une infinité d’images ; et qui pourrait, mes frères bien-aimés, louer l’âme suffisamment ? Et si l’on se trouve lourd en faisant l’éloge de l’âme, qui pourra suffire à louer l’auteur de l’âme ? Telle est néanmoins la grâce de Dieu, que notre interlocuteur s’écrie : « Bénis le Seigneur, ô mon âme ». Qui pourrait louer Dieu ? S’il disait : Chante, ô mon âme, tes propres louanges ; peut-être ne trouverait-elle pas assez de paroles. « Bénis Dieu », lui dit-il. Cherche dans la ferveur de ta piété ; lu n’auras point assez de louanges. Mieux vaut succomber en louant Dieu, que te louer avec avantage. Dès qu’on loue Dieu, sans expliquer ce que l’on voudrait, la pensée s’avance toujours dans les régions intérieures, et cette ampleur de pensée te rend plus capable de recevoir celui que tu bénis.
5. Qui donc, ainsi que j’avais commencé à le dire, quel interlocuteur vient nous dire s Bénis le Seigneur, ô mon âme ? » Ce n’est point la chair. Car un corps, fût-il angélique, est inférieur à l’âme et ne saurait donner des conseils à ce qui est supérieur. L’âme serait bien malheureuse, si elle attendait un conseil du corps. La chair a raison d’obéir, elle est pour l’âme une servante : c’est l’âme qui commande, la chair qui obéit, l’âme qui conduit, la chair qui se laisse conduire ; comment la chair pourrait-elle donner à l’âme un conseil ? Qui donc nous dit ici : « Bénis le Seigneur, ô mon âme ? » Après la chair et l’âme nous ne trouvons plus rien dans l’homme : tout homme n’est que cela, une âme et un corps. Serait-ce l’âme qui se tiendrait ce langage, qui se parlerait à elle-même, qui s’exhorterait et s’exciterait de la sorte ? Une partie d’elle-même était dans le trouble et dans la fluctuation ; mais l’autre partie, que l’on nomme l’âme raisonnable, qui s’occupe de la sagesse, qui s’attache à Dieu, soupire vers lui, voyant que dans sa partie inférieure elle est troublée par des mouvements charnels, et forcée par les désirs terrestres de se répandre à l’extérieur, et d’abandonner Dieu intérieurement, elle revient d’elle-même du dehors au dedans, de ce qui est moindre à ce qui est supérieur, de ce qui est bas à ce qui est plus relevé, et elle s’écrie : « Bénis le Seigneur, ô mon âme ». Quelles délices trouverais-tu dans ce monde ? Qu’y vois-tu de louable ou d’aimable ? Que pourrais-tu y aimer ? Quelque part que se tournent les sens de ton corps, tu vois le ciel, tu vois la terre ; ce que tu aimes sur la terre est terrestre, ce que tu aimes dans le ciel est céleste. Partout quelque chose à aimer, partout quelque chose à louer ; mais combien est plus louable encore celui qui a fait tout ce que relèvent tes louanges ! Il y a longtemps déjà que tu vis dans ces préoccupations, que ces désirs si variés t’ont blessée, t’ont meurtrie ; partagée entre tant d’amours, tu es partout inquiète, jamais en assurance : recueille-toi en toi-même, et si quelque chose te plaît au-dehors, cherche quel en est l’auteur. Rien ne te paraît plus beau sur la terre que l’or et l’argent, par exemple, que les animaux, que les arbres, que les campagnes ; parcours ainsi toute la terre. Mais dans le ciel, quoi de plus beau que le soleil, la Lune, les astres ? Parcours ainsi tout le ciel : assurément tout cela est d’une beauté supérieure, car tout ce que Dieu a fait est très bon[356]. Partout la beauté de l’œuvre te prêche la beauté de l’ouvrier. Tu admires l’édifice, aimes-en l’architecte. Ne te laisse pas absorber par l’œuvre, au point d’en oublier l’auteur. Ce qui t’absorbe à ce point, il l’a mis au-dessous de toi, parce que c’est toi qu’il a fait au-dessous de lui-même. Nous attacher à ce qui est en liant, c’est fouler aux pieds ce qui est inférieur ; te séparer de ce qui est en haut, c’est faire de tout le reste un supplice tour toi. C’est ce qui est arrivé, mes frères. L’homme a reçu un corps qui devait le servir : il devait avoir Dieu pour maître, le corps pour serviteur ; au-dessus de lui le Créateur, au-dessous ce qu’il a créé ; l’âme raisonnable placée au milieu reçut pour loi de s’attacher à ce qui est en haut, de régir ce qui est en bas. Mais elle ne saurait conduire ce qui est au-dessous d’elle, si elle-même n’est dirigée par ce qui lui est supérieur. Qu’elle abandonne ce qui est meilleur, et l’inférieur l’entraîne. Elle ne peut gouverner ce qu’elle gouvernait, parce qu’elle n’a point voulu se laisser conduire par son véritable guide. Qu’elle revienne donc et le bénisse. Éclairée par la lumière de Dieu, dans cette partie d’elle-même qui est raisonnable, et par où lui vient le conseil, l’âme se donne un conseil appuyé sur l’éternité de son auteur. Elle lit en Dieu quelque chose que l’on doit et craindre, et louer, et aimer, et désirer, et saisir, sans le tenir encore, sans l’avoir saisi ; elle est enchaînée sous le coup d’un éclair, et n’est point assez forte pour y demeurer. Elle se recueille donc comme pour recouvrer la santé, et s’écrie : « Bénis le Seigneur, ô mon âme ».
6. Quoi donc, mes frères ? ne louons-nous pas le Seigneur ? Ne lui chantons-nous pas chaque jour des hymnes ? Chaque jour, autant qu’il est en nous, les louanges de Dieu ne s’échappent-elles point de nos bouches et de nos cœurs ? Et qu’est-ce que nous louons ? Ce qui est infiniment grand, comme est bien faible tout moyen de le louer. Comment le panégyriste peut-il atteindre dans sa hauteur celui qu’il veut chanter ? Un homme s’en vient devant Dieu, il chante longtemps, le mouvement est sur ses lèvres, mais ses pensées voltigent de désirs en désirs Notre esprit est donc là pour louer Dieu à sa façon, tandis que l’âme, tiraillée par une foule de désirs, de soins et d’affaires, est dans l’agitation. L’esprit ou cette partie supérieure de l’âme, la voit dans cette fluctuation, et pour la détourner de ces inquiétudes fâcheuses, lui dit : « Bénis le Seigneur, ô mon âme ». À quoi bon ces autres sollicitudes ? Pourquoi te laisser absorber par le soin de ces choses terrestres ? Debout avec moi, et bénis le Seigneur. Mais l’âme appesantie, incapable d’une attitude ferme et digne, répond à l’esprit « Je louerai le Seigneur pendant ma vie ». Qu’est-ce à dire, pendant ma vie ? C’est parce que je suis dans une véritable mort. Commence donc par exhorter ton âme : « Bénis le Seigneur, ô mon âme ». Et ton âme te répondra : Je le fais autant que je puis, mais faiblement, mais avec langueur, avec inconstance. Pourquoi ? C’est que « nous sommes loin du Seigneur, tant que nous sommes en cette vie[357] ». Pourquoi louer ainsi Dieu, d’une manière si imparfaite, si inconstante ? Interroge l’Écriture : « C’est que le corps corruptible appesantit l’âme, et que cette habitation terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées[358] ». Délivrez-moi de ce corps qui appesantit l’âme, et je louerai le Seigneur ; délivrez-moi de cette habitation terrestre qui abat l’esprit capable des plus hautes pensées, afin que de cette multitude je passe à une seule, qui sera de louer Dieu ; mais dans l’état où je suis, ma langueur m’en empêche. Quoi donc ? Te faudra-t-il garder le silence, et ne jamais louer le Seigneur parfaitement ? « Je louerai le Seigneur pendant ma vie ».
7. Qu’est-ce à dire, « pendant ma vie ? ». Vous êtes ici-bas mon espérance. C’est ici que vous êtes mon espérance, disons-nous à Dieu ; quant à devenir mon héritage, ce n’est point ici-bas, mais dans la terre des vivants ; et la terre que nous habitons est la terre des mourants[359]. Nous sommes ici-bas de passage, l’important c’est le terme où nous allons. Ici-bas, en effet, le méchant est un passager, comme le juste est un passager. Car nous ne voyons point que le juste passe, tandis que le méchant demeure, ou que le méchant passe, tandis que le juste demeure ; ils passent tous deux, mais non pour la même destination. Ils étaient bien deux, ce pauvre, couvert d’ulcères, couché à la porte du riche, et ce riche vêtu de pourpre et de fin lin, qui faisait chaque jour bonne chère. Ils étaient ici-bas tous deux, passaient tous deux par ici-bas, mais n’allaient point au même lieu ; ils ont une destination différente, où les conduisent des mérites bien différents. Le pauvre passa de la terre au sein d’Abraham, et le riche dans les tourments de l’enfer. Ils sont rapprochés sur la terre, l’un dans sa maison, l’autre devant sa porte, et la mort les a tellement séparés, qu’Abraham dit au riche : « Entre vous et nous, un immense abîme est éternel[360] ». Donc, mes frères, puisque c’est l’espérance qui est ici-bas notre nourriture, et que nous n’avons de vie parfaite que celle qui nous est promise ; ici-bas, les gémissements ; ici-bas, les épreuves et les angoisses ; ici-bas, les chagrins et les dangers ; notre âme louera le Seigneur comme il doit être loué quand s’accomplira celte parole d’un autre psaume : « Bienheureux ceux qui habitent votre mai son, ils vous loueront dans les siècles des siècles[361] » ; lorsque tout consistera pour nous à louer Dieu. Mais quand cela s’accomplira-t-il ? « Dans ma vie ». Qu’avons-nous, en effet, maintenant ? Le Prophète pourrait l’appeler ma mort. Pourquoi ta mort ? Parce que je suis éloigné du Seigneur. Si ma vie consiste à m’attacher à lui, m’en séparer c’est la mort. Mais d’où te vient ta consolation ? De l’espérance. C’est donc l’espérance qui fait ta vie ; que l’espérance te porte à louer Dieu, te porte à le chanter. Ne chante point ce qui te fait mourir, chante ce qui te fait vivre. La mort te vient des afflictions de ce monde, et la vie de l’espérance du siècle futur. « Je louerai le Seigneur pendant ma vie », est-il dit.
8. Et comment loueras-tu ton Seigneur ? « Je chanterai des psaumes à Dieu, tant que je suis ». Quelle est cette louange : « Tant que je suis je chanterai au Seigneur ? » Voyez, mes frères, ce que nous serons alors c’est être toujours, que louer toujours. Voilà que tu es aujourd’hui ; est-ce ton Dieu que tu bénis tant que tu es ? Voilà que tu chantais ; mais une affaire t’a détourné, tu ne chantes plus, et tu es néanmoins ; tu es donc, mais sans chanter. Peut-être même la convoitise a-t-elle incliné ton cœur vers quelque objet, et tu offenses l’oreille de ton Dieu, loin de chanter ses louanges : et tu es cependant. Quelle sera donc cette louange que tu offriras à Dieu, dès lors que tu le béniras tant que tu seras ? Mais qu’est-ce à dire : « Tant que je suis ? » Est-ce qu’un jour le Prophète ne sera plus ? Point du tout ; il sera dans une éternelle durée, et dès lors dans une durée véritable. Une durée qui finit dans le temps, tant qu’on la prolonge, n’est pas une longue durée. « Je chanterai mon Dieu, tant que je suis ».
9. Jusque-là, c’est bien. Tu béniras le Seigneur pendant ta vie ; tant que tu es ici-bas, tu chanteras ton avenir en Dieu. C’est bien attends de lui ce qui peut donner la confiance. Que l’espérance ne vous abandonne point dans ce lieu d’exil et d’épreuves, dans ces pièges et ces perfidies de notre ennemi, dans ces épreuves que le monde soulève comme des orages, dans ces labeurs et ces amertumes qui nous environnent de toutes parts. Que ferons-nous donc ? Écoute ce qui suit : « Ne mettez point votre confiance dans les princes ». Voilà, mes frères, une parole importante, c’est une parole divine, et qui vient d’en haut. Ici-bas, en effet, au milieu de nos faiblesses, l’âme, en butte à la tribulation, en vient à désespérer de Dieu et cherche à s’appuyer sur les hommes. Disons à l’homme que poursuit le malheur : Il est un homme puissant qui pourrait vous délivrer ; le voilà qui sourit, qui tressaille, qui se redresse. Dites-lui : Voilà que Dieu va vous délivrer ; et le voilà glacé par le désespoir. Le secours d’un mortel que l’on te promet te fait tressaillir de joie, et le secours de l’immortel t’attristera ? On te promet la délivrance par celui qui a besoin d’être délivré, et lu en ressens de la joie comme d’un grand secours ; on te promet le secours de Celui qui est le libérateur, qui n’a aucun besoin de délivrance, et cette promesse te parait une fable. Malheur à ces pensées injustes, qui nous éloignent de Dieu, pensées qui sont la désolation, la mort la plus épouvantable. Approche donc, ô mon frère, commence à désirer, commence à chercher, commence à connaître celui qui t’a fait. Il n’abandonnera point son œuvre, si son œuvre ne l’abandonne point. Tourne-toi donc vers ce Dieu à qui tu as dit : « Je louerai le Seigneur pendant ma vie, je chanterai le Seigneur tant que je suis ». Plein de l’esprit d’en haut, le Prophète nous avertit ; et comme on ferait à des hommes éloignés, à des hommes égarés, et qui, loin de vouloir bénir le Seigneur, ne veulent même point espérer en lui, le Prophète nous crie : « Ne mettez point votre confiance dans les princes, dans les enfants des hommes, en qui n’est point le salut[362] ». Le salut n’est que dans le Fils de l’homme, et non parce qu’il est fils de l’homme, mais parce qu’il est le Fils de Dieu ; non parce qu’il a pris de toi, mais parce qu’il a conservé en lui-même. Nul homme donc n’a le salut, puisque le salut est dans le fils de l’homme précisément parce qu’il est « Dieu, et Dieu béni dans tous les siècles ». Il est dit du Christ qu’il est né d’eux selon la chair[363]. De qui ? Des Juifs ; c’est de nos pères que le Christ est né selon la chair. Mais ce qui est né selon la chair, est-ce là tout le Christ ? Non, car ce n’est point selon la chair qu’il est par-dessus tout le Dieu béni dans tous les siècles. C’est pour cela qu’il est le salut, puisque le salut appartient au Seigneur. Nous lisons, en effet, dans un autre psaume : « Le salut vient du Seigneur, et votre bénédiction sera sur votre peuple[364] ». C’est donc vainement que les hommes s’attribuent le pouvoir de sauver. Qu’ils se sauvent, s’ils le peuvent. Réponds à cet orgueilleux : Dire que tu me donneras le salut, c’est te glorifier ; commence par te sauver, et vois si le salut est en toi. En considérant avec attention ta propre faiblesse, tu vois que tu ne l’as pas encore. Ne dis donc plus que j’aie à l’attendre de loi, mais, plutôt, attends avec moi ce salut. « Ne mettez point votre confiance dans les princes, et dans les fils des hommes, en qui n’est pas le salut ». Voici venir, je ne sais d’où, certains princes qui nous disent : Moi je baptise, et tout ce que je donnerai, c’est ce qui est saint ; ce que vous avez reçu d’un autre n’est rien, ce qui vient de moi, au contraire, est quelque chose. O homme, ô prince, veux-tu être de ces enfants des hommes, de ces princes en qui n’est pas le salut ? J’ai donc le salut, précisément parce que c’est toi qui me le donnes ? Ce que tu donnes est-il à toi ? Et même est-ce bien toi qui le donnes ? Peut-on même dire que tu le donnes ? Que le canal dise alors que c’est lui qui donne l’eau ; que le tuyau dise que c’est lui-même qui coule ; que le héraut dise que c’est lui qui fait grâce. Pour moi, dans l’eau j’envisage la source, et dans la voix du héraut je reconnais le juge. Tu ne seras donc point l’auteur de mon salut. Il le sera, celui qui me donne pleine assurance ; et je ne suis point sûr de toi. Et si tu n’es orgueilleux, je ne suis point seul pour douter de toi, tu en doutes avec moi. Donc le salut me vient de celui qui est par-dessus tout, puisque le salut vient du Seigneur. Toi, je te rencontre parmi les enfants des hommes, parmi les princes, et j’entends la voix du psaume : « Ne mettez point votre confiance dans les princes, dans les fils des hommes, en qui n’est point le salut ».
10. Qu’appelle-t-on vulgairement les enfants des hommes ? Veux-tu le savoir ? « Son esprit s’en ira, et la chair retournera dans sa terre[365] ». Voilà tout ce que dit la chair, sans savoir combien de temps elle parlera : elle menace et ne sait combien elle vivra. Son esprit s’en ira subitement, et elle retournera dans sa terre. Mais son esprit s’en ira-t-il comme il le voudra ? Il s’en ira, et même s’en ira quand il ne le voudra point, et dans un temps qu’il ignore retournera dans sa terre. Quand l’âme s’en ira, la chair retournera dans la terre. Mais parce que c’était la chair qui parlait de la sorte (Pour dire en effet : Comptez sur moi, c’est moi qui vous donne, il n’y a que des hommes dont il est dit : « Ils sont chair »), « voilà que l’esprit sortira, et « elle retournera dans la poussière ; en ce « jour périront toutes ses pensées o. Qu’est devenue cette enflure ? Qu’est devenu cet orgueil ? Où est cette jactance ? Peut-être cet homme est-il au lieu du bonheur, avec les justes, si tant est qu’il soit passé. Car je ne sais où sera passé celui qui parle de la sorte. C’est l’orgueil qui parle de la sorte, et je ne sais où vont ces hommes, à moins qu’en jetant les yeux sur un autre psaume je ne voie pour eux un passage funeste. « J’ai vu « l’impie élevé plus haut que les cèdres du Liban, et j’ai passé, et voilà qu’il n’était plus, et je l’ai cherché, et sa place ne s’est e plus trouvée[366] ». Cet homme juste qui a passé, sans trouver l’impie, est donc arrivé où l’impie n’était point. Écoutons donc tous, mes frères, écoutons, mes bien-aimés en Dieu. Quelles que soient nos tribulations, quel que soit notre désir de la grâce divine, gardons-nous de mettre notre confiance dans les princes, ou dans les fils des hommes, en qui n’est pas le salut. Tout cela est mortel, tout cela passe et doit finir, « Son esprit s’en ira, et il retournera dans sa terre : en ce jour périront toutes ses pensées ».
11. Que faire donc, si nous ne devons espérer ni dans les fils des hommes, ni dans les princes ? Que faire ? « Bienheureux celui dont le Dieu de Jacob est le soutien[367] ». Heureux donc, non pas tel ou tel homme, non pas tel ou tel ange, mais celui qui a pour soutien le Dieu de Jacob : parce qu’il soutint Jacob au point d’en faire Israël. Secours éclatant ! car Israël voit Dieu. Donc au milieu du pèlerinage de cette vie, si tu as pour soutien le Dieu de Jacob, tu deviendras Israël et tu seras le voyant de Dieu ; alors il n’aura plus ni labeur, ni gémissement, aux cuisantes inquiétudes succéderont les saintes louanges. « Bienheureux celui qui a pour soutien le Dieu de Jacob », et de ce même Jacob. Pourquoi ce bonheur ? Il gémit quelque temps encore ici-bas ; mais « son espérance est dans le Seigneur son Dieu ». Celui en qui est maintenant son espérance, sera un jour pour lui son bien. Est-ce me tromper, mes frères, que dire que Dieu sera un jour notre bien ? Ne pourrais-je pas dire qu’il sera notre héritage ? « Vous êtes mon espérance, ma portion dans la terre des vivants[368] ». Vous serez donc mon partage, Seigneur ; vous serez ma possession, et vous ne posséderez. Tu seras, ô mon frère, la possession de Dieu, et Dieu sera la tienne. Tu semas sa portion, afin qu’il te cultive, et il sera la portion pour le cultiver. Tu cultives le Seigneur en effet, et il daigne te cultiver. Je rends mon culte à Dieu, disons-nous, et l’on nous comprend. Mais comment Dieu peut-il ne cultiver ? Nous lisons dans l’Apôtre : « Vous êtes le champ que Dieu cultive, l’édifice qu’il bâtit[369] ». Et le Seigneur : « Je suis la vigne, vous êtes les sarments, et mon Père est le vigneron[370] ». Le Seigneur donc te cultive pour te faire porter du fruit, et tu offres ton culte à Dieu, pour porter aussi du fruit. Que Dieu te cultive, c’est un avantage pour toi, et que tu offres ton culte à Dieu, c’est encore un avantage. Que Dieu cesse de cultiver l’homme, et l’homme est un champ stérile ; que l’homme cesse de cultiver Dieu, c’est encore l’homme qui est désert. Dieu ne tire aucun accroissement de ton culte, ne perd rien de ton abandon. Il sera donc notre possession, afin de nous alimenter ; et nous serons son héritage, afin qu’il nous gouverne.
12. « Son espérance est dans le Seigneur son Dieu ». Qu’est-ce que ce Seigneur son Dieu ? Écoutez, mes frères. Il en est beaucoup qui ont plusieurs dieux, et qu’ils appellent leurs maîtres, leurs dieux. Mais, dit l’Apôtre, « Bien qu’il y en ait beaucoup que l’on nomme dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre, et qu’il y ait ainsi plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, néanmoins il n’y a pour nous qu’un seul Dieu, le Père, d’où procèdent toutes choses, et un seul Seigneur, qui est Jésus-Christ, par qui tout a été fait[371] ». Que Dieu donc soit ton espérance, qu’il soit ton Dieu, que ton espoir soit en lui. Il a mis également sa confiance dans son Seigneur et son Dieu, celui qui adore Saturne ; il a mis son espoir dans son Seigneur et son Dieu, celui qui adore Mars, ou Neptune, ou Mercure ; que dis-je ? qui adore son ventre, et dont il est dit : « Leur dieu c’est le ventre[372] ». Tel est donc le dieu de l’un et tel le dieu de l’autre. Mais quel est le Dieu de celui que le Prophète appelle heureux ? « Celui qui a fait le ciel et la terre et e tout ce qui est en eux[373] ». Notre Dieu est grand, mes frères ! Gloire à son saint nom, puisqu’il a daigné faire de nous son héritage. Tu ne vois pas encore le Seigneur, et tu ne saurais aimer pleinement ce que tu ne saurais voir encore. Tout ce que tu vois est son ouvrage. Tu admires le monde, et pourquoi point le Créateur du monde ? Tu vois le ciel, et tu es dans l’effroi ; tu considères la terre, et tu es dans la stupeur ; comment embrasser par la pensée l’étendue des mers ? Considère ces étoiles innombrables ; considère ces germes si nombreux, ces animaux si divers, et ceux qui nagent dans les eaux et ceux qui rampent sur la terre, et ceux qui volent dans les airs, et ceux qui marquent leur passage dans les cieux, combien tout cela est grand, est admirable, est surprenant de beauté ! Et voilà qu’il est ton Dieu, celui qui a fait tout cela. Mets en lui ton espérance, afin d’être heureux. « Son espérance est dans le Seigneur son Dieu ». Quel Dieu ? « Celui qui a fait le ciel et la terre, et tout ce qu’ils renferment ». Combien notre Dieu est grand !
13. Voyez, mes frères, combien est grand, combien est bon le Dieu qui fait de si grandes choses. Quelle a donc été la pensée de Dieu, (si toutefois l’on peut dire de Dieu qu’il a pensé) quand « il a fait le ciel et la terre, et tout ce qui est en eux ? » Tout cela est grand sans doute, me dira l’homme, je le vois : Dieu a fait le ciel, et la terre, et les mers. Mais quand est-ce que Dieu me compte parmi ses œuvres ? Est-il vrai qu’il prenne soin de moi, que je sois l’objet de ses pensées, qu’il sache même que je suis en vie ? Que dis-tu, ô mon frère ? ferme ton cœur à ces funestes pensées ; prends place parmi ceux dont nous disions tout à l’heure : « Je louerai le Seigneur dans ma vie, je chanterai mon Dieu tant que je suis ». Mais c’est à des hommes tièdes que notre interlocuteur tient ce langage, il les stimule, il semble craindre qu’ils ne désespèrent d’eux-mêmes, dès lors que peut-être ils ne sont point dans la pensée de Dieu. Ils sont nombreux, en effet, ceux qui pensent de la sorte. Mais ils ne quittent le Seigneur, ils ne s’abandonnent au courant de toutes sortes de péchés, que par cette pensée que Dieu ne prend d’eux aucun souci. Écoute les saintes Écritures, et ne désespère plus de toi-même. Celui qui a pris soin de te faire n’aura-t-il donc plus soin de te refaire ? Ton Dieu n’est-il pas celui qui a fait le ciel et la terre ? Si le Prophète n’avait rien ajouté, peut-être pourrais-tu dire : Le Dieu qui a fait le ciel et la terre est grand sans doute ; mais sa pensée descend-elle jusqu’à moi ? On te répondrait : C’est lui qui t’a fait. Comment ? Est-ce donc moi qui suis le ciel, ou moi la terre, ou moi la mer ? Il est évident que je ne suis ni le ciel, ni la terre, ni la mer ; mais je suis sur la terre. Tu es donc sur la terre, tu l’accordes du moins. Écoute maintenant que Dieu n’a pas fait seulement le ciel, et la terre et les mers ; car « il a fait le ciel, et la terre, et la mer, et tout ce qui les occupe ». Si donc tout ce qui les occupe est son ouvrage, toi aussi. Dire toi, ce n’est point assez : il a fait le passereau, la sauterelle, un vermisseau ; il n’est rien de tout cela qu’il n’ait fait, rien dont il ne prenne soin. Et ce soin n’est point éveillé par ses lois seulement, puisqu’il n’a donné des préceptes qu’à l’homme seul. Le Psalmiste a dit en effet : « Vous sauverez, Seigneur mon Dieu, les hommes et les animaux, selon votre grande miséricorde[374] ». C’est donc selon votre infinie miséricorde que vous sauverez les hommes et les bêtes. Mais l’Apôtre ajoute : « Est-ce que Dieu prend soin des bœufs[375] ? ». D’une part nous lisons donc : Dieu ne prend aucun soin des bœufs ; d’autre part : « Seigneur, vous sauverez les hommes et les animaux ». Est-ce là une contradiction ? Que veut dire l’Apôtre dans cette question : « Dieu prend-il soin des bœufs ? » Quand le Seigneur a dit : « Vous ne lierez point la bouche au bœuf qui foule le grain[376] », avait-il donc en vue les bœufs ? Il voulait spécifier certains bœufs en particulier. Car le Seigneur n’entend pas t’apprendre à soigner des bœufs ; l’homme fait ici naturellement ce qu’il doit faire. Il est ainsi fait qu’il doit prendre soin des animaux qui lui appartiennent, Dieu ne lui a fait aucun précepte à cet égard, il lui a seulement donné la tendance qui l’a rendu propre à le faire : voilà ce qu’a fait Dieu. Mais un autre doit le conduire, comme lui-même conduit son bétail ; et celui qui le dirige, lui a donné des préceptes. C’est donc dans le sens d’un précepte que Dieu se met peu en peine des bœufs ; mais dans le sens de cette providence universelle par laquelle il a créé tout, et gouverne tout, nous devons dire : « C’est vous, Seigneur, qui « sauverez les hommes et les animaux ».
14. Que votre charité redouble d’attention. Quelqu’un m’objectera peut-être : C’est le Nouveau Testament qui dit que Dieu ne prend pas soin des bœufs ; tandis que l’Ancien Testament nous dit : « Seigneur, vous sauverez les hommes et les animaux ». On calomnie parfois les deux Testaments, en disant qu’ils ne sont point d’accord. Qu’un homme s’en vienne me dire qu’il y a contradiction entre l’Ancien et le Nouveau, et me demander dans le Nouveau, un passage qui ressemble à celui-ci : « Seigneur, vous sauverez les hommes et les animaux » ; que répondrai-je ? Rien de plus sommaire dans le Nouveau Testament, que l’Évangile. Or, je trouve dans cet Évangile que Dieu prend soin de tous les animaux, et dès lors nul ne saurait me contredire. L’Apôtre serait-il donc en contradiction avec l’Évangile ? Écoutons le Seigneur lui-même prince et maître des Apôtres : « Considérez », nous dit-il, « les oiseaux du ciel, qui ne sèment point, qui ne moissonnent point, qui n’amassent point dans les greniers, et votre Père céleste les nourrit[377] ». Donc, en dehors de l’homme, Dieu prend soin des animaux, seulement pour les nourrir, non pour leur donner des lois. Donc, s’il s’agit des préceptes, Dieu n’ a aucun soin des bœufs ; mais quand il s’agit de créer, de paître, de gouverner, de conduire, tout appartient à Dieu. « Deux passereaux ne se vendent-ils pas une obole », dit Notre-Seigneur Jésus-Christ, « et l’un d’eux ne tombera pas sur la terre sans la volonté de votre Père ? N’êtes-vous pas beaucoup plus qu’eux ? » Garde-toi donc de dire : Dieu n’a de moi nul souci. Dieu prend soin de ton âme, Dieu prend soin de ton corps, parce que Dieu a fait ton âme et a fait ton corps. Mais Dieu, diras-tu, ne me discerne point dans une si grande foule. Voici dans l’Évangile un texte bien surprenant : « Tous les cheveux de votre tête sont comptés »[378].
15. « Dieu donc est mon Dieu, en lui est mon espérance ; c’est lui qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qui les occupe ». Mais en ce qui me concerne, que fait-il pour moi ? « Il conserve la vérité pour jamais[379] ». Le Prophète nous apprend à aimer Dieu et à le craindre. « Il garde pour toujours la vérité ». Quelle est la vérité qu’il garde pour jamais, quelle vérité et comment la conserver ? « Il rend justice à ceux que l’on opprime ». Il prend en main la défense de ceux que l’on opprime, et il leur rend justice, mes frères. À qui ? À ceux que l’on opprime, en châtiant les oppresseurs. Si donc il favorise les opprimés et châtie les oppresseurs, vois parmi lesquels tu veux être compté. Vois et considère si tu veux être parmi les opprimés, ou parmi les oppresseurs. Voici une parole de saint Paul, qui s’adresse à toi : « C’est être déjà criminel », te dit-il, « que d’avoir des procès. Pourquoi ne pas souffrir qu’on vous fasse tort[380] ? » Le voilà qui blâme les hommes de ne vouloir endurer aucun tort. Il ne l’engage pas à souffrir la peine, mais l’injure ; car toute peine n’est pas pour cela une injure. Il n’y a d’injure qu’à souffrir contre le droit. Ne dis pas : Je suis au nombre de ceux qui souffrent l’injure, car j’ai souffert à telle ou elle occasion. Vois si c’est injustement que tu as souffert. Les voleurs souffrent souvent, mais non l’injustice. Les hommes coupables de crimes, de maléfices, d’effractions, d’adultères, de corruption, souffrent tous de grands maux, mais ne souffrent pas l’injustice. Autre est endurer l’injustice, et autre subir une affliction, une peine, une douleur, un châtiment. Considère où tu es, vois ce que tu as fait, la cause de ta souffrance, et tu comprendras par là ce que tu endures ; car le droit et l’injustice sont contradictoires, puisque le droit c’est tout ce qui est juste. Mais tout ce qu’on appelle droit, n’est pas le droit pour cela. Que sera-ce si l’on se fait un droit injuste ? On ne saurait donc appeler droit ce qui est inique. Le véritable droit est donc bût ce qui est juste. Examine dès lors ce que lu as fait, et non ce que tu souffres. Si tu as fait ce qui est juste, ta douleur est injuste ; mais si tu as commis l’injustice, tu souffres justement.
16. Pourquoi parler ainsi, mes frères ? Afin que les hérétiques[381] ne s’applaudissent point quand ils ont à souffrir de la part des édits des princes d’ici-bas, afin qu’ils ne se mettent pas au nombre de ceux qui souffrent injustement, et qu’ils ne disent point : Voici un psaume consolant pour moi, puisque j’adore le Dieu « qui rendra justice à tous ceux que l’on opprime ». J’ai des raisons pour te demander si c’est injustement que tu souffres. Si tu as pratiqué ce qui est juste, on est injuste en te châtiant. Mais est-ce une justice de se soulever contre le Christ ? Est-ce une justice d’élever autel contre autel, par une orgueilleuse rébellion ? Est-ce justice de déchirer l’Église, quand les bourreaux ne déchirent point la tunique du Christ[382] ? Si tout cela n’est point le droit, tout ce que tu endures pour l’avoir fait est donc juste. Tu n’es donc pas au nombre de ceux qui souffrent injustement. Je lis dans l’Évangile un passage plus clair encore : « Bienheureux », est-il dit « ceux qui souffrent persécution ». Attends : pourquoi te hâter ? Pourquoi dire : c’est moi ? Attends, dis-je, et je te lirai tout. Tu as entendu : « Bienheureux ceux qui souffrent u persécution » ; et déjà tu commences à t’adjuger ce bonheur. Voici tout le passage, si tu le permets ; vois ce qui suit : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice[383] ». Dis maintenant : C’est moi. Dis : C’est moi, si tu l’oses. Reprenons alors ce que nous avons dit plus haut, et pour abréger, faisons une seule question : Si tu condamnais un homme sans connaître bien sa cause, aurais-tu l’audace de prétendre garder la justice ? Appellerais-tu injustice le mal qui pourrait t’en revenir ? Tu t’ériges donc insolemment sur le tribunal de ton cœur, pour en être précipité bientôt, et tu oses bien juger un homme dont tu ignores la cause ? Traiter ainsi un seul homme, c’est injustice, et tu te croiras juste en traitant de la sorte le monde entier ? Et qui donc, mes frères bien-aimés, qui donc endure l’injustice, sinon l’Église catholique qui souffre tous ces maux ? Elle gémit au milieu de tant de scandales des hérétiques, elle voit les artifices, les insinuations perfides arracher les faibles de son giron ; elle voit les petits enfants que l’on traîne je ne sais par quels détours, comme par autant de cavernes détestables, et que l’on rebaptise, pour anéantir en eux Jésus-Christ, pour tuer en eux, non plus cette chair mortelle qui en fait des hommes, mais ce qui doit les faire vivre éternellement. On fait dire à un homme : Je ne suis point chrétien, et l’on appelle cela juste. Tu te présenteras à l’évêque, lui dit-on, garde-toi de lui dire que tu es chrétien. Te dire chrétien, c’est t’exposer à n’en rien recevoir ; dis que tu ne l’es pas, et tu recevras. Quel est cet avis, ô chrétien ? Que nous enseignes-tu ? Tu souffres persécution, j’en conviens ; mais n’es-tu pas plus réellement un persécuteur ? Quand les empereurs persécutaient les chrétiens, ils les contraignaient par la menace, comme toi par la persuasion. Tu fais dire à un chrétien qu’il ne l’est pas, obtenant ainsi par la persuasion ce que les bourreaux n’obtenaient point par la mort. Tu laisses vivre un homme qui nie être chrétien. Il est renégat, et il vit ? Non, il ne vit plus. C’est un cadavre qui te répond. Frappé par le glaive du persécuteur, le martyr est tombé, mais il vit ; celui à qui tu parles est debout, mais il est tombé. Souffrir pour de tels crimes, est-ce donc une injustice ? Point d’illusion ; si tes actes sont injustes, c’est justement que tu souffres. À qui donc fait justice « Celui qui garde la vérité éternellement ? » À ceux qui subissent l’injustice.
17. Viens donc, et avec tes raisonnements si sages, si ingénieux, si subtils, viens nous dire que c’est là une véritable nourriture, dis-nous : Un affamé peut-il en nourrir un autre, c’est-à-dire un pécheur donner la sainteté ? Un homme qui meurt de faim peut-il donner à manger ? un malade peut-il guérir ? un homme garrotté en délier un autre ? Grandes et subtiles raisons, dont on veut séduire les impies ! Que notre psaume leur ferme la bouche : « Dieu qui donne la nourriture à ceux qui ont faim ». Je n’attends rien de toi, « c’est Dieu qui donne la nourriture aux affamés ». À quels affamés ? à tous. Qu’est-ce à dire, à tous ? C’est-à-dire qu’il donne la nourriture à tous les animaux, à tous les hommes, et il ne réserverait aucune nourriture à ses bien-aimés ? S’ils ont une autre faim, ils ont aussi une autre nourriture. Cherchons d’abord de quoi ils ont faim, et nous verrons ensuite quelle est leur nourriture. « Bienheureux ceux qui ont faim et soit de la justice, parce qu’ils seront rassasiés[384] ». Nous devons avoir faim de Dieu. Présentons-nous devant sa porte, en sa présence, prions-le comme des mendiants ; « c’est lui qui donne la nourriture à ceux qui ont faim ». Pourquoi, hérétique, le vanter de délier, de relever, d’éclairer ? Diras-tu que tu es délivré, que tu es debout, que tu es lumière ? loin de là. Écoute ce qui vient d’être dit : « Ne mettez point votre confiance dans les princes, dans les fils des hommes, en qui n’est point le salut ». Ils ne donnent point le salut. Arrière donc tous les hérétiques. « C’est le Seigneur qui délie les captifs, le Seigneur qui relève ceux qui sont tombés, le Seigneur qui donne la sagesse aux aveugles[385] », c’est-à-dire qu’il rend sages ceux qui sont aveugles. Cette pensée nous explique parfaitement les précédentes ; cette parole : « Il délie ceux que l’on enchaîne », aurait pu nous faire croire qu’il s’agit ici de ces serviteurs qu’un maître a mis aux fers pour quelque faute ; et celle-ci : « Il relève ceux qui tombent », reporte notre pensée sur l’homme qui trébuche et tombe, ou que son cheval renverse. Il est d’autres chutes, comme il est d’autres chaînes, comme il est d’autres ténèbres et une autre lumière. Le Prophète nous dit que le Seigneur « donne la sagesse aux aveugles », et non qu’il éclaire les aveugles, de peur qu’on ne le comprenne à la lettre, comme on le fait de cet aveugle à qui le Seigneur ouvrit les yeux et qu’il sauva, en faisant de la boue avec sa salive[386]. Afin que nous n’attendions aucune de ces faveurs temporelles, le Prophète nous parle de cette lumière de la sagesse qui éclaire les aveugles. Les captifs donc sont déliés, les hommes tombés sont relevés, dans le même sens que les aveugles arrivent à la lumière de la sagesse. D’où vient que nous sommes enchaînés ? Quelle chute nous a brisés ? Notre corps fut d’abord pour nous un ornement ; le péché en fait une lourde chaîne. Quelle est cette chaîne que nous portons ? Notre mortalité. Écoute l’apôtre saint Paul, encore enchaîné dans ce lieu d’exil. Quelles contrées n’a point parcourues cet enchaîné ? ses chaînes lui furent peu lourdes, puisque, nonobstant leur poids, il prêcha l’Évangile à l’univers entier : l’esprit de charité souleva ses chaînes, et il parcourut une infinité de régions. Que nous dit-il néanmoins ? « Mon désir est d’être délié, afin d’aller avec le Christ ». Et toutefois, sa compassion pour les autres captifs lui fait désirer d’être lié, afin de les servir encore : « Mais demeurer en la chair », nous dit-il, « m’est nécessaire à cause de vous »[387]. C’est donc « le Seigneur qui délie les captifs », c’est-à-dire qui, de mortels, nous rend immortels. « C’est le Seigneur qui relève ceux qui tombent ». Pourquoi tomber ? parce qu’ils se sont élevés. Pourquoi sont-ils relevés ? parce qu’ils se sont humiliés, Adam tomba et fut brisé[388] ; il tomba, tandis que le Christ descendit. Pourquoi descendre, lui qui n’avait fait aucune chute, sinon afin de relever celui qui était tombé ? « Le Seigneur donne aux aveugles la sagesse ; le Seigneur aime les justes ». Aussi rend-il justice à ceux qui souffrent injustement,
18. Et quels sont ces justes ? jusqu’où va maintenant leur justice ? Voilà que le Prophète ajoute : « Le Seigneur garde les prosélytes[389] ». Ces prosélytes sont les étrangers or, toute l’Église de la Gentilité est prosélyte. Étrangère, elle s’est unie à nos pères, devenant ainsi leur fille, non par la naissance charnelle, mais par l’imitation de leur foi. Toutefois, c’est le Seigneur, et non plus un homme qui la protège. « Il soutiendra la veuve et l’orphelin ». Ne croyons pas qu’il doive soutenir l’orphelin dans son héritage, ou la veuve dans je ne sais quel procès. Sans doute le Seigneur nous soutient dans ces sortes d’affaires ; c’est lui qui fait le bien dans tous les services que les hommes se rendent mutuellement ; lui qui soutient l’orphelin, n’abandonne point la veuve ; mais en un sens, nous sommes tous orphelins, parce que notre père, sans être mort, est cependant absent. Sans doute les hommes appellent orphelin celui dont le père est mort, et à vrai dire, nos pères sont vivants, puisque l’âme ne meurt point. Ils vivent dans les supplices s’ils ont été méchants, et dans le repos, s’ils ont fait le bien : rien n’est perdu aux yeux du Créateur. Toutefois, aussi longtemps que nous sommes dans ce corps mortel, et que nous habitons un lieu d’exil, nous sommes loin de notre Père, à qui nous crions : « Notre Père qui êtes aux cieux[390] ». L’Église est donc veuve, puisqu’elle n’a point d’Époux ici-bas, puisque son Époux est absent. Il viendra, cet Époux invisible qui la protège, cet Époux désiré. Nous avons pour lui de violents désirs, nous aspirons à lui sans le voir. Un jour nous le verrons, nous jouirons de ses embrassements, si la foi nous tient attachés à lui, maintenant qu’il est invisible. Que veut donc nous montrer le Prophète dans cet orphelin et cette veuve, sinon ceux que l’on abandonne sans secours ? Que l’âme délaissée ici-bas se promette le secours du Seigneur. Quelles que soient tes richesses, ton or, y mets-tu ta confiance ? Tu n’es plus un prosélyte, un orphelin, tu n’es point compté avec les veuves, tu as un ami ; si tu t’appuies sur lui, délaissant le Seigneur, tu n’es pas sans secours. As-tu tous ces biens, sans t’en prévaloir, sans y mettre ta confiance ? Tu as pour Dieu un orphelin, pour Dieu une veuve. Il soutient donc ceux que l’on abandonne, c’est là ce que dit le Prophète : « il soutient la veuve, il soutient l’orphelin ».
19. « Il confondra la voie des impies ». Quelle est cette voie des pécheurs ? De rire de ce que nous disons ici. Quel est l’orphelin, nous disent-ils ? quelle est la veuve ? qu’est-ce que ce royaume des cieux, ce châtiment de l’enfer ? Tout cela, fables chrétiennes ! Je tiens à ce que je vois : « Mangeons et buvons, car nous mourrons demain ». Prends garde aux paroles insidieuses de ces hommes ; qu’elles ne descendent point de l’oreille dans le cœur ; qu’elles rencontrent des épines dans ton oreille, et qu’il se retire devant leur aiguillon, celui qui essaierait d’y entrer. « Les mauvais discours corrompent les bonnes mœurs[391] », Mais pourquoi donc ces impies sont-ils heureux, me dira-t-on ? Ils n’adorent point Dieu, ils commettent chaque jour de grands péchés, et cependant ils ont tous ces biens que je n’ai point. Loin de toi de rien envier aux pécheurs. Tu vois ce qu’ils reçoivent, mais ne vois-tu pas ce que Dieu leur réserve ? Et comment voir ce qui est invisible, me diras-tu ? La foi a des yeux, mes frères, et des yeux plus grands, plus perçants, plus durables que les yeux du corps. Ces yeux n’ont trompé personne ; ah ! que ces yeux soient toujours vers le Seigneur, afin qu’il dégage tes pieds de toute embûche[392]. La voie des pécheurs te plaît, parce qu’elle est large, et que beaucoup y sont entrés ; tu en vois la largeur, mais non la fin. Cette fin, c’est un précipice ; cette fin est un gouffre sans fond ; et ceux qui marchent à l’aise et avec allégresse dans cette voie large sont plongés dans l’abîme. Mais tes yeux ne sont point assez perçants pour voir cette fin malheureuse : crois-en dès lors celui qui la voit. Et quel homme la voit donc ? Nul homme, sans doute ; mais le Seigneur est descendu pour te faire croire à Dieu. Or, voudrais-tu n’en pas croire le Seigneur ton Dieu, qui te dit : « Elle est large et spacieuse, la voie qui conduit à la perdition, et beaucoup y entrent par elle[393] ? » Telle est la voie que doit confondre le Seigneur, parce qu’elle est la voie des impies.
20. Et quand cette voie sera à sa fin que nous restera-t-il ? « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde[394] ». C’est par là que termine le Psalmiste : « Il confondra la voie des pécheurs ». Et toi ? « Le Seigneur régnera éternellement[395] » ; réjouis-toi, parce qu’il régnera pour toi. Réjouis-toi, parce que tu seras son royaume. Vois en effet ce qui suit. Tu es certainement citoyen de Sion, et non de Babylone, ou de la cité de ce monde qui doit périr ; mais tu appartiens à cette Sion affligée, étrangère pour un temps, et qui doit régner dans l’éternité. C’est donc de toi qu’il est question dans cette fin. « Le Seigneur régnera éternellement, ce Seigneur qui est ton Dieu, ô Sion ». Ton Dieu donc, ô Sion, doit régner éternellement ; mais ton Dieu régnerait-il sans toi ? « Et de génération en génération ». Le Prophète nomme deux générations, parce qu’il ne pouvait les nommer toutes. Mais la fin des paroles ne peut mettre la fin de l’éternité. L’éternité n’a que quatre syllabes, mais en soi-même elle est sans fin. On ne saurait t’en parler qu’en disant : « Ton Dieu régnera de génération en génération ». C’est dire peu ; et si on le disait tout un jour, ce serait peu encore ; et si on le répétait toute sa vie, ne cesserait-on pas enfin de le dire ? Aime l’éternité, ô mon frère : tu régneras sans fin, si tu n’as d’autre fin que le Christ ; avec lui tu régneras dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

DISCOURS SUR LE PSAUME 146 modifier

SERMON AU PEUPLE, PRÊCHÉ PROBABLEMENT A CARTHAGE. modifier

LA VIE DU JUSTE. modifier

Il est bon de chanter des psaumes au Seigneur, qui peut nous récompenser, et s’il n’accorde pas toujours ce qu’on lui demande, c’est qu’il est père et connaît ce qui doit nous être utile. Louer Dieu, ce n’est point simplement chanter en son honneur : le Prophète veut ici un psaume, et le psaume s’exécute sur un instrument de musique, ce qui exige l’action des doigts, et nous figure les œuvres. Une œuvre bonne est donc une louange, et le péché devient un silence ; le tort que l’on médite, un silence aussi. Toute action faite pour obéir à Dieu est donc une louange ; elle est un blasphème dès qu’elle est en dehors des bornes prescrites ; car la louange n’est pas bonne dans la bouche du pécheur, la licence est un ton faux, et Dieu est attentif aux œuvres plus qu’à la voix. L’Apôtre nous dit que nous devons louer Dieu, parce que le Christ est mort pour tous, et le Psalmiste, parce que Dieu bâtit Jérusalem, nous rassemble à la voix des Apôtres, guérit les cœurs brisés par le repentir ; or, ces cœurs brisés qui sont un sacrifice agréable à Dieu, sont les cœurs humbles, qui confessent leurs péchés, les châtient sur eux-mêmes. C’est l’œuvre de la rédemption. Mais la guérison ne sera parfaite que dans l’autre vie. En attendant le Seigneur bande nos plaies, quand il nous redresse par ses préceptes, et – nous aide par ses sacrements, qui sont comme des appareils et qu’il lèvera dans l’autre vie. – C’est Dieu qui compte les étoiles ou les flambeaux qui nous éclairent pour la vie éternelle ; tous ces flambeaux ne sont point marqués cependant pour la vie éternelle, et Dieu appelle par leurs noms ceux qui auront la charité et se tiendront unis à lui.

Dieu est grand, on ne saurait mesurer sa sagesse, qui est le nombre même, la mesure. Nous aurons part à cette mesure immuable, quand nous habiterons Jérusalem. Demandons à Dieu qu’il bande nos plaies, et dans les difficultés de l’Écriture, frappons à la porte avec humilité. Dieu renverse tous ceux que leur orgueil fait regimber. Les Manichéens ont regimbé contre les Écritures, et Dieu les a jetés à terre. Or, la terre pour eux, c’est la chair, et ils n’ont eu sur Dieu que des pensées grossières. Pour arriver au Seigneur, accusons-nous tout d’abord, puis faisons de bonnes œuvres, et nous nous rapprocherons de Dieu en reformant en nous son image que le méchant a effacée ; de là cette expression, qu’il est loin de Dieu. C’est ce même Dieu qui couvre le ciel de nuages, ou ses Écritures de mystères, et prépare à la terre, les pluies de l’intelligence et de la grâce ; qui fait croître l’herbe sur les montagnes, c’est-à-dire qui amène les grands du monde, comme Zachée, à la pratique des bonnes œuvres, qui prépare l’herbe pour les hommes en servitude, ou pour les ministres de l’Église qui ont droit à leur nourriture. Dépensons en bonnes œuvres, au moins la dîme de nos revenus, car nous devons être plus parfaits que les Pharisiens.

Ces petits des corbeaux qui invoquent le Seigneur, c’est nous les fils des Gentils, convertis à la foi. Dieu ne met point ses complaisances dans la puissance du cheval ou dans l’orgueilleux qui lève la tête, ni dans les tabernacles de l’homme, c’est-à-dire dans l’hérésie, mais dans son Église. Espérons en lui, non comme Judas qui douta de sa miséricorde.


1. Nous avons écouté avec attention chanter notre psaume ; mais l’entendre tous, n’était pas le comprendre bus. Quelle attention ne devons-nous pas y apporter maintenant, si, comme je l’espère et le désire, Dieu touché des prières de tous ces auditeurs, nous dévoile ce qu’il y a d’obscur, de manière que votre attention à m’écouter vous soit profitable, et que nul ne s’en retourne sans fruit ? Que dit le psaume en commençant ? « Louez le Seigneur ». Voilà ce qui nous est dit, et non seulement à nous, mais encore à toutes nations. Cette voix que des lecteurs font entendre çà et là, est recueillie par des Églises particulières ; mais la grande voix de Dieu qui domine toutes les autres, ne cesse de nous exhorter à le louer. Or, comme si nous demandions au Seigneur pourquoi nous devons louer Dieu, voyez quelle raison il nous donne : « Louez le Seigneur », nous dit-il, « parce qu’il est bon de lui chanter des psaumes ». Est-ce donc là tout ce qui nous en reviendra ? Louons le Seigneur. Pourquoi ? « Parce qu’il est bon de lui chanter des psaumes ». Je voudrais bien, dira-t-on, louer le Seigneur, mais s’il payait ma louange de quelque récompense. Comment louer gratuitement, ne serait-ce qu’un homme ? On ne loue donc les hommes que dans l’espoir d’une récompense ; mais quiconque loue Dieu, ne saurait-il en attendre aucune récompense, ni demander, ni espérer ? On loue un homme faible et avec espérance ; on loue le Tout-Puissant et il n’aurait rien à donner ? Serait-il impuissant à donner ce qu’on lui demande ? Que peut désirer l’homme, qui ne soit sous la main de Dieu ? Quand on loue un homme, il arrive que l’on désire ce qu’il ne saurait donner. Mais pour Dieu, tu peux le louer en toute sécurité ; nul ne saurait dire qu’il est impuissant à donner ce que l’on attend de lui. Nous devons donc louer le Seigneur en nous proposant quelque récompense, bien qu’il ne nous accorde pas toujours ce que nous désirons. Il est père, en effet, et ne donne point à des méchants fils ce qu’ils désirent. Bénissons-le donc, avec espérance et même avec désir, non point de telle ou telle faveur, mais de celle que juge à propos de nous accorder Celui que nous louons. Et il sait ce qui nous convient, c’est à nous d’attendre ce qui nous est utile. L’Apôtre l’a dit : « Nous ne savons ce qu’il convient de demander[396] ». Et le même saint Paul croyait qu’il lui serait avantageux d’être délivré de l’aiguillon de la chair, de cet ange de Satan qui le souffletait, selon ses aveux, et il dit : « Trois fois j’ai prié le Seigneur de m’en délivrer, et il m’a dit : « Ma grâce te suffit, car la vertu se perfectionne dans la faiblesse[397] ». Il désirait donc une faveur, que Dieu ne lui accorda point à sa volonté, afin de lui procurer la sainteté. Qu’est-ce donc que l’on nous propose ici ? « Louez le Seigneur », dit le Prophète. Pourquoi louer le Seigneur ? Parce qu’il est bon de lui chanter des hymnes. Ces hymnes sont la louange du Seigneur. C’est dire alors : Louez le Seigneur, parce qu’il est bon de le louer. Ne passons point légèrement sur cette parole : Louez le Seigneur. Elle est dite, et la voilà passée ; c’est fini, et nous rentrons dans le silence ; après avoir loué Dieu, nous nous sommes tus ; après le chant, le repos. Nous passons à ce qui nous reste à faire, et quand il se présente une autre occupation, cesserons-nous pour cela de louer Dieu ? Point du tout ; si la louange n’est qu’un moment sur ta langue, elle doit être continuellement dans ta vie. De là cette excellence du psaume.
2. Le psaume est un chant, non pas un chant quelconque, mais un chant sur le psaltérion. Or, le psaltérion est un instrument de musique, du genre de la lyre, de la harpe et d’autres semblables. Chanter le psaume n’est donc pas seulement chanter de la voix, mais unir la main à la voix sur l’instrument que l’on appelle psaltérion. Veux-tu donc chanter un psaume ? Non seulement que ta voix fasse retentir les louanges de Dieu mais que tes œuvres soient d’accord avec ta voix. Si tu ne chantes que de la voix, il y aura des silences, mais que ta vie soit une mélodie sans silences Tu es en affaires, et tu médites la ruse ; voilà un silence dans la louange de Dieu : et ce qui est plus grave, non seulement tu cesses de louer Dieu, mais tu tombes dans le blasphème. Quand on loue Dieu à cause du bien que tu fais, c’est ta bonne œuvre qui est une louange pour Dieu ; mais quand on blasphème Dieu à cause de tes œuvres, tes œuvres sont un blasphème. Que ta voix dès lors se fasse entendre pour stimuler l’oreille, mais que ton cœur ne se taise point, que ta voix ne soit jamais silencieuse. Ne méditer aucun tort dans les affaires, c’est chanter à Dieu. Quand tu manges, quand tu bois, chante, non point en flattant les oreilles par de suaves mélodies, mais en buvant, en mangeant avec sobriété, avec tempérance. Car voici ce que dit l’Apôtre : « Soit que vous buviez, soit que vous mangiez, soit que vous fassiez toute autre chose ; faites tout pour la gloire de Dieu[398] ». Si donc tu fais bien de manger et de boire, pour soutenir ton corps et réparer tes forces, en rendant grâces à celui qui soutient ainsi la faiblesse d’un mortel ; boire et manger sont pour toi louer Dieu. Mais si une avide intempérance te pousse au-delà des bornes prescrites par la nature, si tu vas jusqu’à te gorger de vin, boire et manger sont pour toi un blasphème. Après avoir bu et mangé, tu cherches le repos et le sommeil ; que ta couche n’accuse rien de honteux, rien de ce qui dépasse les bornes tracées par Dieu ; sois chaste même avec ton Épouse, et si tu veux en avoir des enfants, n’obéis point à une luxure effrénée. Jusque dans ton lit, respecte une Épouse ; puisque tous deux vous êtes membres du Christ, tous deux créés parle Christ, et rachetés par le sang du Christ. Agir ainsi, c’est louer Dieu, et rien dès lors n’interrompt ta louange. Mais quand viendra le sommeil ? Même pendant le sommeil, qu’une – conscience coupable ne te réveille point ; un sommeil innocent loue aussi le Seigneur Si donc tu bénis Dieu, chante non seulement de la langue, mais prends aussi le psaltérion des bonnes œuvres ; parce que ce psaltérion est bon. C’est donc louer Dieu que travailler à ses affaires, louer Dieu que boire et manger, louer Dieu que prendre son repas, louer Dieu que dormir ; quand cesse-t-on de louer Dieu ? Cette louange sera parfaite quand nous arriverons à la cité des saints, quand nous seront semblables aux anges de Dieu[399] ; quand il n’y aura plus à subir de nécessité corporelle, quand nous ne sentirons ni la faim, ni la soif, ni le poids de la chaleur, ni l’engourdissement du froid, ni les tourments de la fièvre, ni la destruction de la mort. Exerçons-nous par avance à cette louange parfaite, en louant Dieu par nos bonnes œuvres.
3. Aussi, après avoir dit : « Louez le Seigneur, parce qu’il est bon de le louer sur le psaltérion », le Prophète ajoute : « Que votre louange soit agréable à notre Dieu ». Comment cette louange sera-t-elle agréable à notre Dieu, sinon quand nous le bénirons par une vie pure ? Écoute bien comment cette louange peut lui être agréable. Il est dit ailleurs : « La louange n’est point belle dans la bouche du pécheur[400] ». Si donc la louange n’est point belle dans la bouche du pécheur, elle n’est point agréable ; car il n’y a d’agréable que le beau. Veux-tu que ta louange soit agréable à Dieu ? Ne gâte point tes chants mélodieux par les tons faux d’une vie licencieuse. « Que votre louange soit agréable à Dieu ». Qu’est-ce à dire ? Menez une vie pure, ô vous qui louez Dieu. La louange des méchants ne peut que le blesser. Dieu s’arrête plus à considérer ta vie, qu’à écouter le son de ta voix. Assurément tu veux avoir la paix avec ce Dieu que tu chantes, mais comment l’avoir avec lui quand tu es en désaccord avec, toi-même ? Quel désaccord avec moi-même, diras-tu ? C’est que ta langue rend un son, ta vie un autre son. « Que votre louange soit agréable à Dieu ». Un homme peut s’éprendre d’une louange, quand il entend louer avec une voix mélodieuse, des périodes arrondies et de fines pensées ; mais « que votre louange soit agréable à Dieu », qui a l’oreille non plus à notre voix, mais à notre cœur, qui n’écoute point l’harmonie des paroles, mais celle de nos bonnes œuvres.
4. Qui est notre Dieu, pour que notre louange lui soit agréable ? Il veut être doux pour nous, il veut se faire aimer de nous ; rendons grâces à sa miséricorde. Il daigne s’offrir à notre amour, non qu’il puisse recevoir quelque chose de nous, mais bien plus pour nous donner lui-même. Comment donc Dieu veut-il se poser devant nous ? Écoutez l’apôtre saint Paul : « Dieu fait éclater son amour envers vous ». Comment Dieu fait-il éclater cet amour ? Que l’Apôtre nous le dise, afin qu’on le compare avec notre psaume « Dieu », dit-il, « fait éclater son amour envers nous ». Comment le fait-il éclater ? « C’est que nous étions pécheurs, et alors le Christ est mort pour nous[401] ». Que réserve donc à ceux qui le bénissent un Dieu qui signale ainsi son amour envers des pécheurs ? Ainsi, voilà l’Apôtre qui nous dit que Dieu fait éclater son amour envers nous, au point que le Christ est mort pour les pécheurs ; non pour les laisser dans leur impiété, mais afin que la mort du juste les guérît de leur injustice ; maintenant écoute notre psaume, que dit-il après ces paroles « Que notre louange soit agréable à Dieu ? » Voyons s’il nous en donne une raison qui s’accorde avec celle de l’Apôtre : « Que le Christ est mort pour les impies ». C’est, dit le Psalmiste, « qu’il bâtit Jérusalem et qu’il rassemble ceux d’Israël qui sont dispersés[402] ». Voilà que le Seigneur bâtit Jérusalem et qu’il rassemble son peuple épars. Le peuple d’Israël est, en effet, le peuple de Jérusalem, et il y a une Jérusalem éternelle, dont les citoyens sont les anges mêmes. Que signifie donc ici Israël ? Si par Israël nous entendons ce petit-fils d’Abraham, appelé aussi Jacob, comment ce nom d’Israël conviendra-t-il aux anges ? Mais si nous examinons le sens de ce nom, car à Jacob le nom fut échangé contre celui d’Israël[403], ce nom d’Israël convient mieux à cette cité bienheureuse, et puissions-nous à notre tour être ensuite Israël. Que veut dire. Israël, en effet ? Qui voit Dieu. Donc, les habitants de cette cité des cieux voient Dieu, et ce spectacle de Dieu même fait leur joie dans cette ville si grande et si auguste. Quant à nous, le péché nous a bannis de cette heureuse patrie, il nous a empêchés d’y demeurer, et le poids de notre mortalité nous empêche d’y retourner. Dieu a regardé notre exil, et lui qui rebâtit Jérusalem, en relève la partie tombée. Comment relever cette partie tombée ? « En rassemblant ce qui est dispersé d’Israël ». Une partie d’Israël est tombée, en effet, devenue étrangère ; et cette étrangère, Dieu l’a regardée avec miséricorde, et a recherché ceux qui ne le cherchaient point. Comment les a-t-il cherchés ? Qui a-t-il envoyé dans notre captivité ? Il a envoyé un rédempteur selon cette Parole de l’Apôtre : « Dieu a signalé son amour envers nous, et quand nous étions encore dans le péché, le Christ est mort pour nous[404] ». C’est donc son Fils qu’il a envoyé pour nous racheter de notre captivité. Porte un sac avec toi, lui a-t-il dit, et mets-y le prix des captifs. Il a donc revêtu notre chair mortelle, où était le sang qu’il devait répandre pour nous racheter. Tel est le sang qui rassemble les enfants d’Israël qui sont dispersés. Or, si jadis il rassembla ceux qui étaient dispersés, combien faut-il s’appliquer à rassembler ceux qui le sont aujourd’hui ? Si les dispersés d’autrefois furent rassemblés afin que la main de l’Architecte les taillât de manière à les faire entrer dans l’édifice, comment aujourd’hui faut-il rassembler ceux que leur agitation a fait tomber des mains de l’architecte ? « C’est le Seigneur qui bâtit Jérusalem ». Tel est le Dieu que nous louons, et que nous devons louer pendant toute notre vie : « Le Seigneur qui bâtit Jérusalem, et qui rassemble ceux d’Israël qui sont dispersés ».
5. Comment les rassembler ? Que fait-il pour cela ? « C’est lui qui guérit ceux dont le cœur est brisé[405] ». C’est ainsi que l’on rassemble ceux d’Israël qui sont dispersés, afin de guérir ceux dont le cœur est brisé. Ceux dont le cœur n’est point brisé, ne sont point guéris. Qu’est-ce alors que briser son cœur ? Je vous le dirai, mes frères, afin que vous puissiez être guéris. Cette expression se trouve en beaucoup d’endroits dans l’Écriture, et principalement dans celui où le Psalmiste disait en notre nom : « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous l’eusse donné assurément mais les holocaustes ne vous sont point agréables ». Quoi donc ? Nous faudra-t-il demeurer sans sacrifice ? Entends celui que Dieu veut qu’on lui offre. Le Prophète continue en disant : « Le sacrifice agréable à Dieu est une âme affligée, le Seigneur ne dédaignera point un cœur brisé et humilié[406]. Il guérit donc les cœurs brisés » : parce qu’il s’approche d’eux pour les guérir ; comme il est dit ailleurs : « Le Seigneur est proche de ceux qui ont brisé leur cœur[407] ». Quels cœurs sont brisés ? Les cœurs humbles, Quels cœurs ne le sont point ? Les orgueilleux. Uni cœur brisé sera guéri, un cœur élevé sera brisé. Car il n’est brisé sans doute, que pour être guéri ensuite. Que notre cœur donc, mes frères, ne s’élève point avant d’être droit. On s’élève pour sa perte, quand on ne s’est point redressé tout d’abord.
6. « Il guérit ceux dont le cœur est brisé, il bande leurs plaies ». Dieu donc guérit ceux dont le cœur est brisé, et dès lors il guérit ceux qui s’humilient, ceux qui confessent leurs fautes, ceux qui se punissent eux-mêmes, ceux qui exercent contre eux-mêmes un jugement sévère, afin de sentir ensuite sa miséricorde. Voilà ceux que Dieu guérit, mais leur guérison sera parfaite seulement quand cette mortalité sera passée, quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruption, ce corps mortel, d’immortalité[408] ; quand la chair souillée n’aura plus pour nous aucune sollicitation, non seulement quand nous n’y succomberons plus, mais quand elle n’aura pires même aucune suggestion. Maintenant en effet, mes frères, combien d’attraits coupables pour notre âme ! Sans doute nous y résistons, et nos membres obéissent à la justice et non à l’iniquité ; et toutefois le plaisir que nous causent ces sollicitations, bien qu’il n’y ait aucun consentement, est loin de la santé parfaite. Tu seras donc guéri, oui, tu seras guéri si ton cœur est brisé. Ne rougis plus de briser ton cœur ; ceux-là, Dieu les guérit. Mais que puis-je faire maintenant, diras-tu ? « Selon l’homme intérieur, en effet, je trouve du plaisir dans la loi de Dieu ; mais je sens dans mes membres une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit, et qui me tient captif sous la loi du péché ». Que faire ? dis-tu. Brise ton cœur, confesse tes fautes, et dis avec l’Apôtre : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? » afin qu’il te soit répondu : « La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur[409] ». Comment nous délivrera cette grâce dont nous avons reçu maintenant les arrhes ? Écoute le même Apôtre : « Le corps est mort sans doute à cause du péché, mais l’esprit est vie à cause de la justice. Si donc l’esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels, à cause de sou esprit qui habite en vous[410] ». Telles sont donc les arrhes qu’a reçues notre esprit, afin que nous commencions par la foi à servir Dieu, à être appelés justes par la foi, « puisque c’est de la foi que vit le juste[411] ». Tout ce qui nous résiste encore, tout ce qui nous est contraire vient de la mortalité de notre chair, et sera guéri. « Car Dieu rendra la vie à vos corps mortels, par l’esprit qui habite en vous ». C’est pour cela qu’il nous témoigne, par un gage, qu’il veut accomplir ce qu’il nous a promis. Mais maintenant dans cette vie, où nous confessons nos fautes, sans rien posséder encore, dans cette vie qu’arrivera-t-il ? Comment être guéri ? « Le Seigneur guérit ceux dont le cœur est brisé » ; mais la guérison parfaite arrivera quand nous l’avons dit ; toutefois, en cette vie qu’arrive-t-il ? « Il bande leurs plaies ». Celui-là, dit le Prophète, qui guérit ceux dont le cœur est brisé, et dont la santé parfaite n’arrivera qu’à la résurrection des morts, celui-là bande aujourd’hui leurs plaies.
7. Comment bander ces plaies ? Comme les médecins bandent les fractures. Souvent, en effet, que votre charité veuille bien comprendre ce que comprennent ceux qui l’ont remarqué, ou l’ont appris des médecins : souvent les médecins brisent de nouveau afin de mieux redresser un membre mal replacé, ou mal affermi ; ils font une blessure nouvelle, parce qu’une guérison défectueuse devient nuisible. « Les voies du Seigneur sont droites », a dit l’Écriture, « mais l’homme au cœur dépravé y trouve des scandales[412] ». Qu’est-ce que l’homme au cœur dépravé ? L’homme qui a le cœur tortueux. Un tel homme ne voit que du louche dans les paroles de Dieu, que des défauts dans ses actes ; tous les jugements de Dieu lui déplaisent, surtout ceux qui doivent le châtier. Le voilà qui s’assied, qui montre que Dieu est en défaut parce qu’il n’agit point selon la corruption de son mur. C’est donc peu pour un cœur dépravé de ne point se redresser selon Dieu ; il prête à Dieu sa difformité. Que dit le Seigneur du haut du ciel ? C’est toi qui es tortueux, moi qui suis droit ; si tu étais droit, tu reconnaîtrais que je le suis. Posez un bois tortueux sur un pavé bien uni, il ne saurait s’y appliquer : il branle, il est peu solide ; et cela ne vient pas de l’inégalité du pavé, mais de la difformité du bois. C’est ce qu’a dit l’Écriture : « Que le Dieu d’Israël est bon à ceux dont le cœur est droit[413] ! » Mais cet autre cœur est tortueux, comment le redresser ? Il est tortueux et endurci ; qu’on brise alors ce cœur tortueux et endurci, qu’on le brise et qu’on le redresse. Tu ne saurais redresser ton cœur mais c’est à toi de le briser, Dieu le redressera. Comment le briser, le rendre contrit ? En confessant tes péchés, en les châtiant toi-même. Que veut-on dire autre chose, en se frappant la poitrine ? À moins peut-être de croire que nous frappons nos poitrines parce que toutes sont coupables. Mais non, c’est dire par là que nous brisons nos cœurs afin que Dieu les redresse.
8. « Dieu donc guérit ceux dont le cœur est brisé », contrit. Et cette guérison du cœur sera parfaite, quand notre corps sera complètement réparé, selon la promesse que nous en avons. Que fait cependant le médecin ? Il bande tes blessures, afin que tu puisses arriver à la santé pleine et entière, et que tout ce qui a été brisé et bandé redevienne solide. Quelles bandes nous seront appliquées ? Les sacrements de cette vie. Ces sacrements qui nous consolent, sont autant de bandages qui guérissent nos meurtrissures ; ce que nous disons en vous parlant, ces exhortations qui frappent vos oreilles et qui passent, tout ce que l’on fait ici-bas dans l’Église, tout cela est appareil pour vos plaies. De même qu’après la parfaite guérison le médecin enlève tout appareil, de même dans la cité de Jérusalem, quand nous serons semblables aux anges, pensez-vous que nous recevrons encore ce que nous recevons ici ? Aurons-nous besoin de lire l’Évangile pour affermir notre foi ? Les pasteurs nous imposeront-ils les mains ? Tous ces appareils de nos meurtrissures disparaîtront, quand la santé sera parfaite ; mais il n’y aurait point de guérison sans ces appareils. « Il guérit ceux dont le cœur est brisé, il bande leurs meurtrissures ».
9. « Il compte la multitude des étoiles, et les appelle par leurs noms[414] ». Qu’y a-t-il de grand pour Dieu à compter les étoiles ? Les hommes ont essayé de les compter ; à eux de voir s’ils ont réussi ; et toutefois ils n’en feraient point l’essai, s’ils n’espéraient y parvenir. Laissons-les, avec tout ce qu’ils ont pu faire, et au point qu’ils ont pu atteindre ; mais pour Dieu, rien de grand à compter toutes les étoiles. Repassera-t-il ce nombre dans sa mémoire, de peur de l’oublier ? Est-il bien étonnant que Dieu compte les étoiles quand il compte les cheveux de notre tête[415] ? Il est évident, mes frères, que Dieu veut nous montrer un sens caché dans ces paroles : « Il compte la multitude des étoiles, et les appelle par leurs noms ». Ces étoiles sont les flambeaux de l’Église, qui nous consolent dans cette nuit terrestre, et dont l’Apôtre a dit : « C’est au milieu d’eux que vous apparaissez, comme des flambeaux dans ce monde ». « Dans cette nation tortueuse et perverse », nous dit-il, « vous apparaissez au milieu d’eux comme des flambeaux dans le monde, portant en vous la parole de vie[416] ». Telles sont les étoiles comptées par le Seigneur ; il connaît et il compte ceux qui doivent régner avec lui, être unis au corps de son Fils unique. Il ne compte point celui qui en est indigne. Beaucoup ont embrassé la foi, ou plutôt beaucoup se sont unis à son peuple avec une ombre, une apparence de foi ; mais il sait ce qu’il doit compter et ce qu’il doit vanner. L’Évangile est parvenu à un point qui justifie cette parole : « J’ai annoncé et parlé : et ils se sont multipliés au-delà du nombre[417] ». Il y a donc parmi les peuples, des surnuméraires en quelque sorte. Comment surnuméraires ? C’est-à-dire plus nombreux ici-bas que dans le ciel. Le peuple qui est dans cette enceinte est plus nombreux qu’il ne sera dans le royaume de Dieu, dans la Jérusalem du ciel ; voilà les surnuméraires. Que chacun examine s’il brille dans les ténèbres, s’il est insensible aux séductions des ténèbres et des iniquités de ce monde : s’il n’est ni séduit ni vaincu, il sera comme une étoile que compte le Seigneur.
10. « Il appelle toutes les étoiles par leurs noms » ; c’est là toute notre récompense. Nous avons des noms devant Dieu, et que Dieu connaisse ces noms, c’est ce qu’il nous faut désirer ; c’est là que doivent tendre nos actions et nos efforts, autant qu’il nous est possible : n’ayons de joie pour rien autre chose, pas même pour un don spirituel. Que votre charité veuille bien m’écouter : les dons sont nombreux dans l’Église, comme l’a dit l’Apôtre : « L’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse ; l’autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science ; un autre le don de la foi par le même Esprit ; un autre le don de guérir les maladies ; un autre le don de discerner les esprits », c’est-à-dire de juger entre les bons esprits et les méchants ; « un autre le don des langues, un autre le don de prophétie[418] ! » Que n’a-t-il pas énuméré ! Combien ces dons sont nombreux ! Et pourtant beaucoup qui auront fait de ces dons un mauvais usage entendront à la fin : « Je ne vous connais pas ». Et que répondront à la fin ceux à qui l’on dira : « Je ne vous connais pas ? – Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en votre nom, et en votre nom chassé les démons, et en votre nom encore opéré de grands prodiges ? » Tout cela en votre nom. Et que leur dira le Seigneur ? « En vérité, je ne vous connais point, retirez-vous de moi, ouvriers d’iniquité[419] ». Quel avantage donc à être une lumière du ciel, éclairant les autres sans se laisser vaincre par la nuit ? « Je vous enseigne une voie bien supérieure encore », dit l’Apôtre[420]. « Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai point la charité, je suis un airain sonnant, une cymbale retentissante ». Quel don de parler les langues des anges et des hommes ! « Et pourtant si je n’ai pas la charité, je ne suis qu’un airain sonore, qu’une bruyante cymbale. Quand je pénétrerais tous les mystères, toute la science, quand j’aurais le don de prophétie et une foi capable de transporter les montagnes » (quels dons éminents, mes frères !), « si je n’ai la charité, je ne suis rien ». Combien grand encore le don du martyre, et de donner son bien aux pauvres ! Et toutefois « quand même », poursuit l’Apôtre, « quand même je distribuerais mon bien aux pauvres, quand je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai la charité, tout cela ne me sert de rien[421] ». Quiconque, dès lors, n’a point la charité, peut bien posséder ces dons pour un temps, mais ils lui seront ôtés ; on lui ôtera ce qu’il a parce qu’il lui manque quelque chose ; et ce qui lui manque est précisément ce qui lui assurerait la possession du reste, et l’empêcherait de périr lui-même. Que nous dit maintenant le Seigneur ? « A celui qui possède, on donnera encore ; et à celui qui n’a point, on ôtera même ce qu’il a[422] ». Donc, pour celui qui n’a pas, on lui ôtera même ce qu’il possède. Il a la grâce de posséder quelque don, mais il n’a pas la charité qui en use. Aussi voulut-il inculquer cette charité à ses disciples, afin de les faire marcher dans le ciel comme des étoiles dans la voie suréminente, celui qui compte les étoiles et les appelle par leurs noms. En effet, un jour ces disciples revinrent de la mission qu’il leur avait confiée, et dans leur joie ils s’écriaient : « Seigneur, voilà que les esprits immondes nous sont soumis à cause de votre nom ». « Mais celui qui compte les étoiles, et les appelle par leurs noms », sachant bien que plusieurs diront : N’avons-nous pas chassé les démons en votre nom ? et qu’on leur répondra au dernier jour : « Je ne vous connais point », parce qu’il ne les avait point comptés parmi les étoiles, ni appelés par leurs noms, celui-là, dis-je, leur répondit : « Ne vous réjouissez point de ce que les esprits vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel[423]. C’est lui qui compte les étoiles si e nombreuses et les appelle par leurs noms. »
11. « Notre Dieu est grand ». Le Prophète est plein de joie, il la répand d’une manière ineffable. Impuissant à parler, il avait du moins la pensée autant qu’il en était capable. « Notre Seigneur est grand, grande est sa puissance, et sa sagesse n’a point de nombre[424] ». On ne saurait compter celui qui suppute le grand nombre des étoiles. « Grand est notre Dieu, grande sa puissance, et osa sagesse n’a point de nombre ». Qui pourrait exposer le sens de ces paroles ? Qui pourrait même comprendre d’une manière convenable cette parole : « Et sa sagesse n’a point de nombre ? » Dieu veuille se répandre lui-même dans vos âmes, et suppléer dans sa puissance à notre faiblesse, éclairant lui-même vos esprits, afin que vous compreniez ce que signifie « La sagesse n’a point de nombre ». Peut-on, mes frères, compter les grains de sable ? Impossible à nous, Dieu seul le peut. Lui qui a compté les cheveux de notre tête[425], peut aussi compter les grains de sable. Tout ce qu’il y a d’infini dans ce monde, peut bien être infini pour les hommes, et non toutefois pour Dieu ; c’est peu dire, pour Dieu, les anges peuvent le compter : « Son intelligence n’a point de nombre ». Au-dessus de tous les calculs est son intelligence, et nous ne saurions la compter. Qui peut compter le nombre même ? C’est du nombre que l’on se sert pour compter, et quel que soit votre calcul vous prenez le nombre ; mais qui comptera le nombre même ? il est tout à fait innombrable. Qu’est-ce donc en Dieu que ce nombre, par lequel il a tout fait, et où il a tout fait, pour qu’on lui dise : « Vous avez réglé toutes choses avec mesure, avec nombre et avec poids[426] ? » Qui pourrait évaluer le nombre, supputer la mesure, peser la pesanteur où Dieu a tout réglé ? « Son intelligence donc n’a point de nombre ». Que la voix de l’homme se taise, que sa pensée devienne muette ; que les hommes ne s’efforcent peint de comprendre ce qui est incompréhensible ; qu’ils tâchent seulement d’y avoir une part, puisque nous y aurons part un jour. Nous ne serons point ce que nous comprenons, et nous ne pourrons le comprendre entièrement, mais nous en ferons partie ; car il est dit de Jérusalem, dont Dieu rassemble les débris dispersés, il est dit une parole d’un grand sens : « Jérusalem qui est construite comme une cité, et dont les habitants participent à ce qui est le même[427] ». Or, qu’est-ce à dire, ce qui est le même, sinon ce qui ne change point ? Tout ce qui est créé peut être d’une manière ou d’une autre ; mais celui qui a tout créé ne saurait être de telle ou telle manière. Celui-là est donc le même ; aussi est-il dit : « Vous les changerez, et ils seront changés ; mais vous êtes toujours le même, et vos années ne finiront point[428] ». Si donc Dieu est toujours le même, s’il ne peut changer ; en participant à sa divinité, nous deviendrons immortels à notre tour, et pour la vie éternelle. Et tel est le gage qu’il nous a donné en son Fils, comme je le disais tout à l’heure à votre sainteté, qu’avant de nous donner part à son immortalité, il a voulu prendre part à notre mortalité. Et comme il était mortel, non par sa propre substance, mais par la nôtre ; de même nous serons immortels, non par notre substance, mais par la sienne. Nous aurons donc part en Dieu ; que nul n’en doute ; l’Écriture nous l’affirme. Et quelle part aurons-nous en Dieu, comme si Dieu était en plusieurs parts indivisibles ? Qui pourra m’expliquer comment plusieurs pourront avoir part en celui qui est un, qui est simple ? N’exigez pas de moi que je vous explique ce qui est inexplicable, vous le voyez ; mais revenez au remède que vous offre le Sauveur ; brisez vos cœurs, brisez la dureté de l’âme, domptez ce qu’elle a d’inflexible, qu’elle confesse le mal qu’elle a fait, et renaisse dans le bien. Lui-même nous redressera, bandera nos blessures, affermira notre santé, et alors nous ne rencontrerons plus d’impossibilité dans ce qui nous est impossible aujourd’hui. Il est bon, en effet, de confesser sa faiblesse, quand on veut parvenir à la divinité. « Et son intelligence n’a point de nombre ».
12. Aussi dans cette impossibilité de comprendre, le Prophète vient te montrer ce que tu dois faire, et te dit : « Le Seigneur reçoit ceux qui sont doux ». Tu ne comprends rien par exemple aux choses de Dieu, ou tu les comprends peu, ou tu ne saurais les pénétrer ; rends honneur à son Écriture, honneur à sa parole, fût-elle voilée ; attends pieusement que tu puisses comprendre. Loin de toi la témérité d’accuser l’Écriture ou d’obscurité ou de perversité. Il n’y a rien de mauvais, mais il y a de l’obscur, non que Dieu te veuille rien refuser, mais il veut te stimuler avant de te le donner. Si donc il y a de l’obscurité, c’est le médecin qui l’a voulu, afin de te forcer à frapper à la porte ; il l’a voulu afin de t’exercer quand tu frappes, il l’a voulu, afin de n’ouvrir qu’à tes efforts[429]. Frapper sera pour toi un exercice, et cet exercice dilatera ton cœur, et ton cœur dilaté sera plus capable de recevoir ses dons. Loin donc de t’irriter de ces obscurités, sois doux, plein de mansuétude. Garde-toi de regimber contre, ces obscurités, et de dire : Il ferait mieux de s’exprimer de la sorte. Depuis quand peux-tu dire ou juger de quelle manière on eût dû s’exprimer ? Dieu a parlé comme il convenait de parler. Ce n’est point au malade à réformer les remèdes qu’on lui donne, le médecin sait les tempérer ; crois-en à celui qui travaille à te guérir. Aussi, que dit le Prophète ? « Le Seigneur reçoit ceux qui sont doux ». Garde-toi donc de résister aux secrets de Dieu, afin qu’il te reçoive. Si tu veux résister, écoute ce qui suit : « Il abat les pécheurs jusqu’à terre ». Il y a des pécheurs de beaucoup de sortes ; mais quels sont ces pécheurs qu’il humilie jusqu’à terre, sinon ceux qui sont opposés aux hommes doux ? Dire en effet du Seigneur : « Qu’il reçoit les hommes doux et qu’il abat jusqu’à terre les pécheurs », c’est désigner par cette douceur, de quels pécheurs il est question. Ici nous entendons par pécheurs ceux qui manquent de douceur et de mansuétude. Pourquoi les humilier jusqu’à terre, sinon parce qu’en regimbant contre les choses spirituelles, ils n’auront plus que des sentiments terrestres ?
13. C’est ainsi qu’il a traité les hommes qui voulaient se rire de la loi avant de la connaître, et qui ont manqué de docilité. Que votre charité comprenne bien ceci. Il s’est élevé une secte dépravée, celle des Manichéens, qui a tourné en dérision les Écritures qu’on lit dans l’Église, et dont on respecte l’autorité ; qui a osé condamner ce qu’elle n’entendait pas, et en jetant le blâme sur des questions qu’elle soulevait sans les comprendre, elle en a pris beaucoup dans ses filets. Pour les châtier de cette audace, Dieu les humilia jusqu’à terre ; il ne leur permit pas de comprendre les choses d’en haut, et dès lors ils n’eurent du goût que pour les choses terrestres. On n’entend dans leurs fables que des blasphèmes, que des imaginations de fantômes corporels : ils ont voulu connaître Dieu, et une fois arrivés à la pensée de cette lumière visible, ils n’ont pu aller au-delà. Alors ils ont imaginé, dans le royaume de Dieu, de vastes plaines d’une lumière semblable à celle du soleil visible, dont ils ont fait un fruit de cette lumière. Or, tout ce que l’on touche par la terre de cette chair, est terre aux yeux de Dieu. Nous avons des moyens de voir, d’entendre, de flairer, de goûter, de toucher. C’est par ces messagers appelés nos cinq sens, que cette chair peut connaître seulement ce qui est corporel ; quant aux choses intelligibles et spirituelles, nous les connaissons par l’esprit. Comme donc ces orgueilleux ont tourné en dérision les obscurités des saintes Écritures, qui n’étaient pour eux une porte close qu’afin de les exercer en frappant à cette porte, et non pour en refuser l’entrée aux humbles, voilà qu’ils sont abattus sur la terre, au point de ne pouvoir élever leurs pensées au-delà de ce que la terre nous fait connaître. Et que faut-il entendre par cette terre ? La chair. Pour eux, en effet, la terre est cette chair faite de la terre. Tout ce que l’on connaît par les yeux est terrestre ; tout ce que nous rapportent les oreilles, l’odorat, le goût, le toucher, tout cela est terrestre, parce que nous ne le connaissons que par la terre. Ils n’ont donc pu comprendre cette intelligence qui est sans nombre. C’est pourquoi ils ont condamné les saintes Écritures qui couvrent les vérités de certains voiles, afin d’exercer utilement les humbles, et ce blâme les a jetés dans une indocilité opposée à la douceur, et ils ont été humiliés jusqu’à terre, en sorte qu’ils n’ont pu comprendre Dieu qui est incorporel, et que leurs pensées sur Dieu n’étaient rien moins que corporelles et grossières.
14. « Dieu donc abat les pécheurs jusqu’à terre ». Que nous faut-il faire dès lors, si nous ne voulons être humiliés jusqu’à terre ? li est difficile de s’élever aux choses qui sont purement d’intelligence, difficile d’arriver à ce qui est spirituel, difficile d’élever son cœur de manière à comprendre qu’il y a quelque chose qui ne s’étend point selon les lieux, ne varie point avec le temps. Quelle idée, en effet, se fera-t-on de la sagesse ? Quelle forme lui donner ? Une forme longue ? une forme carrée ? une forme ronde ? Est-elle tantôt ici, et tantôt là ? Un homme réfléchit sur la sagesse dans l’Orient, un autre dans l’Occident ; à un tel intervalle, elle est présente à chacun d’eux, s’ils se la représentent convenablement. Que dis-je ici ? Qui peut le comprendre ? Qui peut se faire une idée de cette nature immuable et en quelque sorte divine ? Ne te hâte point trop, tu pourras la comprendre. Écoute ce qui suit : « Commencez devant le Seigneur par la confession[430] ». C’est par là qu’il te faut commencer, si tu veux arriver à connaître parfaitement la vérité ; si tu veux arriver, par la foi à la claire vue, commence par la confession. Accuse-toi tout d’abord, et après cette accusation bénis le Seigneur. Invoque celui que tu ne connais point encore, qu’il vienne et se fasse connaître ; non point qu’il vienne lui-même sans doute, mais qu’il te conduise jusqu’à lui. Comment vient-il là d’où il ne se retire jamais ? Telle est, en effet, la sagesse parfaite, qu’elle est partout et loin des méchants. Oui, dis-je, elle est par tout, et néanmoins elle est loin des méchants qui sont partout. Mais je vous le demande, comment être éloignée de quelques-uns et néanmoins être partout ? Qu’est-ce que cet éloignement, sinon que les méchants ne ressemblent point à Dieu, et qu’ils effacent en eux-mêmes son image ? Ils se sont retirés de Dieu parce qu’ils ont perdu la ressemblance avec lui ; qu’ils se réforment afin de se rapprocher de lui. Comment nous réformer, diront-ils, et quand nous réformer ? « Commencez devant Dieu par la confession ». Et après cette confession ? Faites des bonnes œuvres. « Chantez à notre Dieu sur la harpe ». Qu’est-ce à dire, sur la harpe ? Je vous l’ai dit déjà chanter sur la harpe a le même sens que chanter un psaume sur le psaltérion ; c’est bénir le Seigneur non seulement de la voix, mais aussi par les œuvres. « Chantez à notre Dieu sur la harpe ».
15. Ainsi donc confessez vos fautes, faites des œuvres de miséricorde, voilà ce que veut dire : « Chantez des psaumes à notre Dieu ». Quel est votre Dieu ? « Celui qui couvre le ciel de nuages[431] ». Qu’est-ce à dire qu’il couvre le ciel de nuées ? Qui couvre ses Écritures de figures et de mystères. Celui qui abat les pécheurs jusqu’à terre, qui adopte les humbles, « couvre aussi le ciel de nuages ». Et comment voir le ciel que des nuages nous dérobent ? Loin de toi toute crainte, écoute ce qui suit : « Celui qui couvre le ciel de nuages, et qui prépare des pluies à la terre ». À cette parole : « Qui couvre le ciel de nuages », tu as été dans la stupeur, tu as craint de ne point voir le ciel ; mais quand la pluie sera venue, tu produiras des fruits, et tu verras le ciel serein. « C’est lui qui couvre le ciel de nuages, qui prépare à la terre des pluies ». Voilà ce qu’a fait le Seigneur notre Dieu. Si l’obscurité des saintes Écritures ne nous en fournissait l’occasion, nous ne vous dirions pas ces vérités qui vous réjouissent. C’est peut-être cette pluie qui vous réjouit. Notre langue n’aurait pu la répandre sur vous, si Dieu n’avait couvert le ciel des saintes Écritures de nuages figuratifs. Il couvre donc le ciel de nuages, afin de préparer la pluie à la terre. Il a voulu que les prophéties fussent obscures, afin qu’en les expliquant les serviteurs de Dieu eussent ainsi le moyen de les verser dans l’oreille et dans le cœur des hommes qui peuvent recevoir de ces nuées la surabondance des joies spirituelles, « C’est lui qui couvre le ciel de nuages, qui prépare à la terre des pluies ».
16. « C’est lui qui fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour l’usage des hommes ». C’est là le produit de la pluie. « Il fait croître le foin sur les montagnes ». Ne croît-il pas aussi dans les vallées ? Mais ce qui est plus à remarquer, c’est sur les montages. Le Prophète appelle montagnes les grands du monde ; il te faut donc entendre par ces montagnes ceux qui sont élevés en dignité. Et il n’y a ici rien d’étonnant. Une veuve déposa dans le trésor deux pièces de monnaie[432] ; c’est la terre basse, la terre humble qui produit du fruit ; mais une montagne en produisit aussi, ce fut Zachée, le chef des publicains[433]. C’est ce qui était plus admirable, qu’une montagne produisît du foin. Plus les hommes sont élevés en dignité, plus leur avarice est grande, et plus ils sont grands en ce monde, plus ils aiment les richesses. De là vient qu’il s’en alla triste, ce jeune homme qui demandait à Jésus-Christ ce qu’il devait faire pour gagner la vie éternelle, en l’appelant bon Maître, et en disant : « Pour avoir la vie éternelle, que ferai-je ? » Et le Sauveur : « Observe les commandements ». « Quels commandements ? » Et le Sauveur : Les commandements de la loi. « Je les ai observés dès ma jeunesse. Il te manque un point cependant : veux-tu être parfait ? Va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens et suis-moi ». Que dit ainsi le Sauveur ? Tu es une montagne, reçois la pluie, et produis du foin. Que pourrais-tu produire, sinon du foin ? Qu’est-ce, en effet, que du foin, que tous ces dons que font les riches aux Églises, pour subvenir aux besoins de ceux qui servent Dieu ? Tout cela est charnel et n’apparaît que pour un temps ; mais la récompense que l’on gagne ainsi n’est point charnelle. Vois en effet ce que tu peux acheter au prix de biens si méprisables. L’Apôtre nous l’indique en nous montrant que tout cela n’est que du foin : « Si nous avons semé parmi vous les biens spirituels, est-ce une grande chose « que nous récoltions quelque peu de vos biens temporels[434] ? » Or, comprends que les biens charnels ne sont que du foin. « Toute chair n’est que du foin, et toute sa gloire tombera comme la fleur du foin[435] ». Ce jeune homme donc s’en alla triste, et le Sauveur de s’écrier : « Combien difficilement un riche entrera dans le royaume des cieux ! » Ce qui est donc admirable, c’est que Dieu fasse croître le foin sur les montagnes. Et comment le fait-il croître, si ce riche s’en va triste, dès qu’il entend qu’il doit donner son bien aux pauvres ? Que répond le Sauveur aux Apôtres contristés ? « Ce qui est difficile pour l’homme est facile à Dieu[436] ». C’est donc celui à qui tout est facile qui fait croître le foin sur les montagnes. Rien n’est plus stérile, en effet, que les roches des montagnes. Mais Dieu les arrose, lui qui « fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour les hommes tenus à la servitude ». Quelle servitude ? Écoutez saint Paul. « Nous sommes », dit-il, « vos serviteurs à cause de Jésus-Christ[437] ». Voilà qu’il s’appelle serviteur, celui qui disait : « Est-ce une grande chose, qu’après avoir semé parmi vous les biens spirituels, nous récoltions quelque peu de vos biens charnels ? » Nous sommes en effet des serviteurs pour vous, mes frères. Que nul d’entre nous ne se dise plus grand que vous. Nous serons plus grands si nous sommes plus humbles. « Quiconque d’entre vous veut être le plus grand, sera votre serviteur[438] », c’est la sentence du divin Maître. Donc, « il fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour les hommes de service ». L’apôtre saint Paul vivait du travail de ses mains, préférant l’indigence au foin des montagnes ; et toutefois les montagnes produisaient du foin. Mais parce qu’il n’en voulait point recevoir, les montagnes devaient-elles n’en point donner et demeurer stériles ? Le fruit est dû après la pluie ; on doit la nourriture au serviteur, comme l’a dit le divin Maître : « Mangez de ce qui est à eux ». Et de peur que ceux-ci ne crussent donner du leur : « Tout ouvrier », ajoute le Sauveur, « est digne de sa récompense »[439].
17. C’est pourquoi, mes frères, de même que déjà nous avons saisi l’occasion de vous parler à ce sujet, nous vous en parlons encore aujourd’hui, et d’autant plus librement, que nous ne vous demandons rien de ce genre. Et si nous vous demandions, nous chercherions en cela plutôt votre avantage, plutôt votre sanctification que vos richesses. Toutefois, encore un mot, mais bien court, j’ai déjà été bien long, et il est temps de finir. Si vous ne voulez être stériles, si la pluie a produit en vous la fécondité, si vous craignez que Dieu ne condamne en vous la stérilité, (car Dieu menace du feu la terre stérile qui ne produit que des épines[440], comme il prépare ses greniers pour celle qui est féconde) efforcez-vous d’exiger de vous-mêmes ce qui est dû à Dieu ; soyez pour vous de sévères exacteurs. Le Christ l’exige en silence, et cette voix peu bruyante n’en est que plus grande, puisqu’il nous parle dans son Évangile. Ce n’est point se taire complètement que dire : « Faites-vous des amis avec la monnaie de l’iniquité, afin qu’ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels[441] ». Il ne garde point le silence, écoutez sa voix. Nul ne saurait vous presser à ce sujet, à moins peut-être que ceux qui vous servent dans le ministère de l’Évangile n’en soient réduits à vous demander, Mais si vous les forcez à vous demander, prenez garde que vous n’obteniez point ce que vous-mêmes demandez à Dieu. Soyez donc vos propres exacteurs, de peur que ceux qui vous servent dans l’Évangile n’en soient réduits, je ne dis pas à demander, car ils ne demandent point, quelque besoin qu’ils éprouvent ; mais de peur que leur silence ne soit pour vous une condamnation. De là cette parole du Prophète : « Heureux celui qui comprend le pauvre et l’indigent[442] ». Dire qu’il comprend le pauvre et l’indigent, c’est dire qu’il n’attend point qu’on lui demande. L’un te cherche parce qu’il n’a rien ; mais toi, tu dois chercher un autre pauvre. L’Écriture nous recommande l’un et l’autre, mes frères ; ici : « Donne à quiconque te demande[443] », nous l’avons lu tout à l’heure ; et dans un autre endroit : « Que l’aumône sue dans ta main, jusqu’à ce que tu trouves un juste à qui la donner ». Celui-ci te demande, mais pour l’autre tu dois le chercher. Ne renvoie pas les mains vides celui qui te cherche : « Donne à quiconque te demande » ; mais il en est un autre que tu dois toi-même chercher : « Que ton aumône sue dans ta main, jusqu’à ce que tu rencontres un juste, à qui tu la donneras ». C’est ce que vous ne pourrez pratiquer, si vous ne mettez en réserve quelque peu de vos revenus, ce que chacun voudra, et selon que lui permet sa fortune, comme il ferait d’un argent dont il serait débiteur envers le fisc. Car le Christ a aussi fisc, à moins qu’il n’ait point son gouvernement. Vous savez en effet ce qu’est le fisc, ou fiscus: c’est un grand panier ; de là viennent fiscella, petit panier, et fiscina, corbeille. Ne vous imaginez pas que ce mot fiscus soit quelque dragon, parce qu’on n’entend parler qu’avec terreur d’un collecteur du fisc. Le Seigneur avait aussi son fisc ou sa cassette, quand sur la terre il portait ses deniers, et ces deniers étaient confiés à Judas[444]. Le Sauveur souffrait avec lui ce traître, ce voleur, pour nous donner en cela un modèle de patience. Toutefois, ceux qui donnaient cet argent le donnaient pour le Sauveur ; car ne croyez pas que le Sauveur ait couru çà et là, ait mendié, ou ait été dans le besoin, lui que servaient les anges, et qui avec cinq pains rassasia tant de milliers d’hommes. Pourquoi donc voulut-il éprouver le besoin, sinon pour donner l’exemple aux montagnes, qui ont dû produire du foin, et non demeurer stériles sous l’action de la pluie ? Retranchez quelque peu, jetez dans les coffres de Jésus-Christ une somme déterminée que vous déduirez des revenus de chaque année, ou du gain de chaque jour. Car on dirait que tu donnes de ton fonds, et dès lors ta main tremble nécessairement quand elle s’étend à ce que tu n’as point résolu de donner. Retranche donc une partie de tes revenus. Est-ce la dîme ? Eh bien ! donne la dîme, quoique ce soit bien peu. Car il est marqué dans l’Évangile que les Pharisiens donnaient la dîme. « Je jeûne deux fois la semaine », disait l’un deux, « je donne la dîme de tout ce que je possède[445] ». Et que dit le Seigneur : « Si votre justice ne surpasse de beaucoup celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux[446] ». Et pourtant, cet homme que tu dois surpasser en justice donne la dîme ; et toi tu n’en donnes pas la millième partie. Comment le surpasser, quand tu ne saurais même l’égaler ? « C’est Dieu qui couvre le ciel de nuages, qui prépare des pluies à la terre, qui fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour ceux des hommes qui servent les autres ».
18. « Il donne aux troupeaux leur nourriture[447] ». Ces troupeaux sont les troupeaux du Seigneur, qui ne prive point son bercail de cette nourriture que lui servent les hommes, et à ces hommes qui servent les autres il fait croître l’herbe. De là cette parole de l’Apôtre : « Celui qui fait paître le troupeau, ne mangera-t-il pas de son lait[448] ? C’est lui qui donne leur nourriture aux troupeaux et aux petits des corbeaux qui l’invoquent ». Allons-nous croire que les corbeaux invoquent le Seigneur pour recevoir de lui leur nourriture ? Gardez-vous de croire qu’un animal sans raison invoque le Seigneur, il n’y a pour l’invoquer que l’âme raisonnable. Il y a donc ici une figure, et ne croyez pas, comme l’ont dit certains impies, que l’âme de l’homme retourne après la mort dans les bestiaux, dans les chiens, les porcs, les corbeaux. Loin de vous, loin de votre foi ces pensées. L’âme de l’homme est faite à l’image de Dieu[449], et Dieu ne donnera point son image à un chien, à un pourceau. Que signifie donc : « Et aux petits des corbeaux qui lui demandent leur nourriture ? » Quels sont ces petits des corbeaux ? Les Israélites se vantaient d’être les seuls justes, parce qu’ils avaient reçu la loi, et ils regardaient comme pécheurs les hommes des autres nations. Et en effet toutes les autres nations étaient plongées daims le péché, dans l’idolâtrie, dans le culte de la pierre et du bois ; mais y sont-ils demeurés ? Et si nos pères, qui étaient des corbeaux, n’invoquaient pas Dieu, nous, les fils de ces corbeaux, ne l’invoquons-nous point ? « Il donne aux troupeaux leur nourriture, et aux petits des corbeaux qui l’invoquent ». C’est bien aux petits des corbeaux que saint Pierre a dit : « Ce n’est point par des objets corruptibles, comme l’or et l’argent, que vous avez été rachetés de la vie pleine de vanité que vous suiviez à l’exemple de vos pères[450] ». Car ces petits des corbeaux qui semblaient adorer les idoles de leurs pères se sont convertis à Dieu ; et aujourd’hui le petit du corbeau n’invoque et n’adore qu’un seul Dieu. Quoi donc ? diras-tu à ce petit du corbeau : As-tu bien pu quitter ton père ? Oui, tout à fait ; car le corbeau n’invoquait pas Dieu, et moi, le petit du corbeau, j’invoque le Seigneur. « Et aux petits des corbeaux qui l’invoquent ».
19. « Il ne met pas sa complaisance dans la puissance du cheval[451] ». Cette puissance du cavalier, c’est l’orgueil. On dirait que le cheval est né afin de porter l’homme et de l’élever plus haut ; de là cette encolure qui, chez cet animal, témoigne de sa fierté, Que les hommes ne se glorifient point de leurs dignités, qu’ils ne se croient point élevés par les honneurs qu’ils reçoivent, qu’ils prennent garde qu’ils n’en soient précipités comme d’un cheval fougueux. Vois en effet ce que dit un autre psaume : « Ceux-ci se glorifient de leurs chariots, ceux-là de leurs chevaux ; mais nous, c’est dans le nom du Seigneur notre Dieu ». C’est-à-dire, les uns se glorifient de leurs honneurs temporels, mais nous du nom du Seigneur que nous adorons. Aussi, que leur est-il arrivé ? Voyez ce qui suit : « Leurs pieds se sont embarrassés, et ils sont tombés ; mais nous nous sommes relevés et tenus debout[452] #Rem. Car le Seigneur ne met point sa complaisance, et ne met point ses délices dans les tabernacles de l’homme ». « Dans les tentes de l’homme », dit le Psalmiste ; car la tente de Dieu c’est l’Église répandue par toute la terre. Les hérétiques, en se séparant des tabernacles de l’Église, ont élevé des tentes pour eux-mêmes, et c’est dans ces tabernacles de l’homme que Dieu ne met point ses complaisances. Mais écoute le petit du corbeau qui dit : « J’ai choisi l’abjection dans la maison du Seigneur, plutôt que d’habiter dans les tentes des pécheurs »[453] Qu’un homme de bien, qu’un homme pieux qui connaît sa faiblesse, que ce petit du corbeau qui invoque le Seigneur, vienne à être sans dignité temporelle dans l’Église, il ne s’en sépare point pour cela, il ne se fait point en dehors de l’Église une tente en laquelle Dieu ne mettrait point ses complaisances. Mais que dit-il ? « J’ai choisi l’abjection dans la maison du Seigneur, plutôt que d’habiter dans les tabernacles des pécheurs ; et Dieu ne fera point ses délices des tabernacles de l’homme ».
20. Que dit encore le Prophète ? « Il mettra ses complaisances dans ceux qui le craignent, et dans ceux qui espèrent en sa miséricorde[454] ». Dieu se plaît dans ceux qui le craignent. Mais craint-on Dieu comme on craindrait un voleur ? On craint en effet le voleur, on craint la bête féroce, on craint beaucoup l’homme injuste et puissant. « Le Seigneur mettra ses complaisances dans ceux qui le craignent ». Mais comment le craignent-ils ? « En mettant leur espérance dans sa miséricorde ». Judas qui trahit le Christ craignait Dieu, mais sans espérer dans sa miséricorde. Il se repentit d’avoir livré le Seigneur et s’écria : « J’ai péché en livrant le sang du juste. Craindre Dieu était bien, mais il fallait espérer dans la miséricorde de ce Dieu que tu craignais. Le désespoir l’emporta et il alla se pendre[455]. Crains donc le Seigneur, mais en espérant dans sa miséricorde. Si tu crains un voleur, tu attends aussi du secours, mais non de l’homme que tu crains. C’est à l’homme que tu ne crains pas que tu demandes protection contre celui que tu crains. Si tu crains Dieu, et si tu le crains parce que tu es pécheur, qui te protégera contre Dieu ? Où aller ? Que faire ? Veux-tu échapper à Dieu ? Cherche en lui un refuge. Veux-tu fuir sa colère ? Cherche un refuge dans sa clémence. Tu le rendras clément si tu espères dans sa miséricorde. Du reste, évite le péché à l’avenir, et quant aux fautes passées, supplie le Seigneur de te les pardonner. À lui sont l’honneur et la puissance, en union avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

DISCOURS SUR LE PSAUME 147 modifier

SERMON AU PEUPLE. modifier

LA VOCATION A LA JÉRUSALEM DU CIEL. modifier

Dimanche dernier, le passage relatif au jugement dernier nous a empêché de nous occuper de ce psaume, en nous jetant dans la crainte, et toutefois que pouvons-nous craindre, puisque notre juge nous aime et sera juste ? Il y a dans notre psaume un passage relatif à la neige, au brouillard, au cristal, qui a besoin d’être bien compris ; et néanmoins, entre le psaume et l’Évangile de dimanche, une certaine analogie ; car le jugement annoncé par cet Évangile nous ouvrira la Jérusalem du ciel dont nous parle notre psaume. La crainte que nous inspire le jugement est salutaire, puisqu’elle nous prémunit contre l’amour de la vie et tient en éveil la foi dans nos cœurs.

Ce psaume fut composé pendant la captivité de Jérusalem, qui était une figure de notre captivité, car tel est notre état ici-bas, et le nombre de 70 années, un nombre septénaire, est la figure du temps qui s’écoule, sept jours par sept jours. Que tous les élus bénissent donc le Seigneur, car telle sera leur occupation, puisqu’il n’y aura plus alors besoin des œuvres extérieures le miséricorde ; et les hommes de Jérusalem sont ceux qui ne mettent point leur bonheur ici-bas, ou rougissent et se repentent d’avoir pris part à ses pompes. Sion et Jérusalem signifient vision, ce qui nous montre que si les mondains ont leurs spectacles ici-bas, nous aurons les nôtres dans les cieux. Nous louons Dieu ici-bas au milieu des défections, là-haut il n’y en aura plus, on ne pourra sortir, Dieu a consolidé les serrures. Cherchons à y entrer comme les vierges qui ont de l’huile dans leurs lampes. Elles sont vierges et au nombre de cinq, symbole des cinq sens qui sont vierges s’ils sont exempts de corruption ; il en est de môme des autres qui sont vierges aussi, ou sans corruption, mais aussi sans huile, au sans piété intérieure, et cherchant les applaudissements du dehors. Elles allument leurs lampes, ou fout éclater lus œuvres, s’endorment parce que tous doivent passer par la mort. Les vierges sages sont humbles, et craignent de n’avoir pas en suffisance l’huile de la piété intérieure. Faisons toujours des œuvres de miséricorde, et remettons pour qu’il nous soit remis ; la veuve achète le ciel avec deux deniers ; et l’on se servira à notre égard de la mesure que nous aurons employée. C’est Dieu qui nous tend la main, et Dieu qui nous a donné.

C’est Dieu qui a béni en Sion les enfants qui y demeurent dans le giron de la charité ; qui établit la paix sur ses confins, Or, cette paix n’est point pour l’hérésie, qui condamne sans connaître, qui ne croit ni à Moïse, ni aux Prophètes, ni au Christ ; puisqu’elle se prétend la véritable Église, tandis que cette Église doit être universelle. La voilà incrédule couse les frères du mauvais riche, qui n’en eussent pas cru même à celui qui serait ressuscité d’entre les morts, puisqu’elle n’en croit point au Christ ressuscité, qui dit que la pénitence et la rémission des péchés seront prêchées en son nom, c’est bien là l’Épouse ou l’Église, et prêchées par toute la terre, c’est bien là sa catholicité, et à partir de Jérusalem, ou de cette ville de la terre, image de la Jérusalem du ciel. De là encore le don des larmes après la descente du Saint-Esprit, parce que l’Église devait être prêchée en toutes les langues ; ce don n’existe plus parce que la prophétie est réalisée, et que l’Église parle toutes les langues des peuples.

Remercions Dieu d’avoir part un jour à cette Jérusalem, où nous aurons la moelle du froment, Dieu nous aidant à nous élever à lui en nous envoyant son Verbe qui est rapide, qui se revêt, comme d’une laine, de cette neige qui est froide, au de ces hommes froids d’abord et qui se convertissent, qui appellent ces hommes à la pénitence symbolisée par la cendre en les faisant passer par le brouillard, symbole de nos ténèbres, qui fait fondre Saul, cristal si dur, et par lui donne aux fidèles, le lait et le pain de la doctrine. Ce Verbe de Dieu peut donc dissoudre la glace la plus dure, son souffle en fait couler ces eaux de la vie éternelle.

Il enseigne sa parole à Jacob, ou ses desseins de miséricorde, en lui montrant par la lutte que le ciel souffre violence. Il n’y a que Jacob à qui tout cela ait été annoncé d’une manière efficace, car ceux qui le comprennent sont Jacob et Israël, par Isaac, et par Abraham.


1. Votre charité s’en souvient, nous avons remis à vous parler aujourd’hui du psaume que l’on vient de chanter. C’est lui, en effet, qu’on vous a lu dimanche, et que j’avais même entrepris de vous exposer. Mais la lecture de l’Évangile nous effraya, et cette crainte ainsi que le bien que nous en espérions pour vous, nous forcèrent de nous arrêter sur les paroles du Seigneur à propos du dernier jour, et sur la vigilance, sur les précautions avec lesquelles nous devons attendre son arrivée. Il nous effrayait par des exemples, pour ne point nous condamner en son jugement, nous disait qu’il en serait à l’avènement du Fils de l’homme, de même qu’aux jours de Noé : « Les hommes alors mangeaient et buvaient, ils achetaient, ils vendaient, ils mariaient leurs filles, épousaient des femmes, jusqu’à ce que Noé entra dans l’arche, et que le déluge vint les perdre tous[456] ». Pris d’inquiétude et frappé de crainte (qui peut en effet croire à ces choses sans trembler ?) nous avons appuyé sur ce sujet, autant que possible, nous avons parlé sur la pureté de vos mœurs, sur la vie régulière, qui doit être la nôtre à tous, afin que nous puissions non seulement voir arriver sans crainte, mais encore désirer ce jour si terrible. Car si nous aimons le Christ, nous devons appeler de nos vœux son avènement. Craindre l’avènement de celui que nous aimons, et néanmoins lui dire dans nos prières « Que votre règne arrive[457] », quand nous redoutons d’être exaucés, c’est un contre-sens tel que je ne saurais y croire. Pourquoi craindre, en effet ? Parce que notre juge viendra ? Mais est-il donc injuste ? Est-il malveillant ? Est-il jaloux ? Est-ce par autrui qu’il doit connaître ta cause, et peux-tu redouter que celui que tu as chargé de ce soin, ou ne te trahisse dans sa duplicité, ou ne manque d’éloquence et d’habileté pour démontrer ton innocence ? Rien de cela n’est à redouter. Qui donc viendra ? Pourquoi ne point te réjouir ? Qui doit venir te juger, si mon celui qui est venu pour être jugé à cause de toi ? Ne crains pas pour accusateur celui dont le Sauveur lui-même a dit : « Le prince de ce monde a été chassé dehors[458] ». Ne redoute pas un avocat peu habile tu as pour avocat celui qui sera ion juge. Il n’y aura que lui, et toi, et ta cause ; le plaidoyer de ta cause sera le témoignage de ta conscience. Si donc tu crains le juge à venir, redresse dès aujourd’hui ta conscience. Est-ce peu pour toi qu’il ne recherche point dans le passé ? Il te jugera sans plus te laisser de temps ; mais maintenant qu’il commande, quel espace de temps ne laisse-t-il pas écouler ? Alors il ne te sera plus possible de te corriger. Mais qui t’en empêche maintenant ? Voilà tout ce que nous représentions avec tant de force dimanche dernier, parce que c’est une vérité, parce qu’il n’y a que cela en quelque manière à vous représenter, un temps bien long s’écoula, et nous dûmes remettre pour aujourd’hui le psaume que nous avions entrepris d’expliquer. Le voici maintenant ; qu’il fixe notre attention, ou plutôt écoutons le Seigneur qui, dans sa miséricorde, a bien moulu nous faire dicter par son Esprit ces paroles saintes, selon le besoin qu’il nous connaît dans notre faiblesse. Quel malade, en effet, voudrait donner des conseils au médecin ?
2. À la lecture du psaume, vous avez remarqué, je pense, que tous les versets, ou du moins un grand nombre, veulent, pour être compris, que l’on frappe à la porte ; surtout quand il est dit que « Dieu donne la neige comme la laine, qu’il répand les frimas comme la poussière, qu’il jette son cristal comme des morceaux de pain. Qui pourra résister à la rigueur de son froid[459] ? » À ces paroles, quiconque les entend à la lettre, porte sa pensée sur les œuvres de Dieu. Qui donne la neige, si ce n’est Dieu ? Qui répand les frimas, si ce n’est Dieu ? Qui durcit le cristal, si ce n’est lui encore ? Or, ces trois phénomènes ont avec des objets bien différents de frappantes analogies. La neige, en effet, ressemble quelque peu à la laine, comme la poussière au frimas, comme un morceau de pain blanc à la blancheur et à l’éclat du cristal. Car on appelle cristal une espèce de verre, mais blanc. Ceux qui savent ces choses et du témoignage desquels nous pouvons douter d’autant moins que l’Écriture, qui est très certaine, les vient appuyer, ceux, dis-je, qui savent ces choses, nous disent que le cristal vient d’une neige durcie pendant de longues années sans se fondre, et qui se congèle au point qu’elle ne saurait plus se résoudre. L’été qui arrive dissout facilement les neiges d’un hiver qui s’écoulent, parce qu’elles n’ont pas eu le temps de se durcir. Mais que des neiges viennent s’amonceler pendant beaucoup d’années, et que cet amas vienne à résister aux chaleurs de l’été, et non d’un seul été, mais d’étés nombreux, surtout dans cette partie de la terre qui forme la plage du nord, et où le soleil, même en été, n’est pas très brûlant, cette dureté que le temps a fortifiée produit ce que l’on appelle cristal. Que votre charité soit attentive. Qu’est-ce donc que le cristal ? Une neige que la glace a durcie durant de longues années, de sorte que le soleil ni le feu ne peuvent la dissoudre facilement. Nous donnons cette explication un peu longue, parce que beaucoup l’ignorent ; quant à ceux qui la savent, qu’ils écoutent sans peine ce que l’on dit, non pour eux, mais pour ceux qui pourraient ignorer ce que nous disons. Lors donc que le lecteur récitait ce passage, je ne doute pas que vous vous soyez laissés aller à bien des pensées, que quelques-uns aient dit, et avec vérité : Que les œuvres du Seigneur sont grandes, quoique l’on n’en rapporte ici qu’une partie, encore est-ce une partie terrestre, et que tout le monde connaît comme la neige que Dieu fait descendre, le frimas qu’il répand, le cristal qu’il durcit. D’autres se sont dit : Est-ce bien sans raison que cela se trouve dans les saintes Écritures, et le sens littéral de ces paroles est-il bien le véritable sens ? N’y a-t-il pas un sens caché sous cette neige que l’on compare à la laine, sous ce frimas comparé à la poussière, sous ce cristal comparé au pain ? Mais pourquoi l’Écriture a-t-elle voulu employer ces voiles et ces comparaisons ? Ne vaudrait-il pas mieux s’exprimer plus clairement ? Pourquoi faut-il chercher le sens de ces paroles, et le chercher en hésitant ? Pourquoi ne puis-je les écouter sans heurter contre des difficultés ? Pourquoi même, après avoir entendu le psaume, n’en savoir pas davantage le puis souvent ? C’est là ce que je vous disais tout à l’heure : Laisse-toi guérir, c’est ainsi qu’il faut te soigner. Un malade est bien orgueilleux, bien impatient quand il donne des avis au médecin, ce médecin ne fût-il qu’un homme. Où est donc ce malade assez téméraire pour conseiller son médecin ? Quand le malade est l’homme, et Dieu le médecin, c’est une grande disposition à la guérison, que cette piété qui nous fait croire que Dieu a dû parler de la sorte, avant même que nous sachions ce qui est dit. Car cette piété te rendra capable de chercher le sens des paroles, de le trouver après l’avoir cherché, et de te réjouir de l’avoir trouvé. Que vos prières aient donc devant le Seigneur notre Dieu ce degré de ferveur, et si ce n’est pour nous, que du moins, en votre considération, il daigne nous découvrir ce qu’il y a de caché sous ces voiles. Supposez donc que je vous ai assigné un jour pour vous donner un spectacle tout divin, et qu’en prononçant ces versets sans les expliquer, je vous ai fait entrevoir seulement quelques richesses de celui qui nous donnera ces divins spectacles. Ces richesses nous sont montrées sous une enveloppe, afin de nous en faire désirer la découverte ; pour vous, tenez-vous prêts, non seulement à les regarder, mais encore à vous en revêtir.
3. Nous disions dimanche, et il doit vous en souvenir, vous qui étiez présents, que la lecture de l’Évangile, qui nous arrêta si longtemps, au point qu’il nous fallut remettre l’explication de notre psaume, avait beaucoup d’analogie avec le psaume lui-même. Nous l’avons dit alors, mais sans pouvoir le démontrer, puisqu’il fallut différer l’exposition du psaume. C’est aujourd’hui qu’il nous faut établir cette analogie. La lecture de l’Évangile nous effraya au sujet du dernier jour ; mais cette frayeur est la mère de la sécurité, car cette frayeur nous met sur nos gardes, et la sécurité vient de la vigilance. De même qu’une sécurité mal fondée nous jette en un plus grand effroi, de même une crainte sage amène la sécurité. La crainte qui nous saisit alors nous détourne de nous attacher à cette vie qui nous échappe, qui passe et s’évanouit, de l’aimer comme s’il n’y en avait point d’autre pour nous ; car s’il n’y en a point d’autre, aimons celle-ci. S’il n’est point d’autre vie, ceux qui ont passé la nuit à l’amphithéâtre sont plus heureux que nous. Que dit en effet l’Apôtre : « Si notre espérance dans le Christ n’est que pour cette vie, nous sommes les plus misérables de tous les hommes ». Il est donc une autre vie, Que chacun dans sa foi interroge le Christ ; mais la foi est endormie. Te voilà donc justement agité par les flots, parce que le Christ est endormi dans la barque. Car Jésus dormait dans la barque, et cette barque était battue par les flots, et par toutes sortes de tempêtes. Notre cœur est dans l’agitation quand le Christ dort. Et néanmoins le Christ veille toujours. Que signifie donc le sommeil du Christ ? Le sommeil de la foi. Pourquoi te laisser encore agiter par les flots du doute ? Éveille donc le Christ, éveille ta foi : envisage des yeux de la foi cette vie future pour laquelle tu as cru, pour laquelle tu as été marqué du signe de celui qui est venu en cette vie tout exprès, afin de te montrer combien est méprisable cette vie que tu aimes, combien il faut espérer l’autre vie en laquelle tu ne croyais point. Si donc tu éveilles ta foi, pour diriger ton regard sur tes fins dernières, sur ce siècle futur qui doit faire notre joie après l’autre avènement du Seigneur, après l’arrêt du jugement, après que les saints seront mis en possession du royaume des cieux ; si, dis-je, ta pensée s’arrête sur cette vie, sur le repos toujours agissant dont nous jouirons alors, et dont nous vous avons parlé souvent, mes bien-aimés, notre action ne sera plus agitée ; ce sera une et action dans un repos plein de douceur, une action que ne troublera aucune peine, que n’interrompra aucune fatigue, ni aucun nuage d’ennui. Quelle sera donc alors toute notre œuvre ? De louer Dieu, de l’aimer et de le louer ; de le louer en l’aimant, de l’aimer en le louant. « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans e les siècles des siècles[460] ». Pourquoi, sinon parce qu’ils vous aimeront aussi dans les siècles des siècles ? Pourquoi, sinon parce qu’ils vous verront dans les siècles des siècles ? Quel spectacle pour nous, mes frères, quel spectacle de voir Dieu ! Que les hommes voient un chasseur dans l’amphithéâtre, ils en tressaillent de joie. Malheur à ces misérables, s’ils ne se corrigent ! Ces mêmes hommes qui tressaillent de joie à la vue d’un chasseur, pâliront de tristesse à la vue du Sauveur. Quoi de plus misérable que ces hommes que le Sauveur ne sauvera point ? Rien donc d’étonnant qu’ils ne trouvent point leur salut dans un Dieu qui délivre, ceux qui mettent leurs délices dans un homme qui combat. Quant à nous, mes frères, s’il nous souvient que nous sommes ses membres, si nous l’aimions, si nous persévérons en lui, nous le verrons et il sera notre joie. Sa cité sera pure, et dans ses citoyens purifiés on ne trouvera ni séditieux, ni turbulent ; cet ennemi qui nous porte envie et nous barre le passage vers cette patrie bienheureuse, ne pourra plus nous y tendre des embûches ; on ne lui en permet pas même l’entrée. Si dès ici-bas il est banni du cœur des fidèles, comment ne serait-il point exclu de la terre des vivants ? Que sera-ce, mes frères, je vous le demande, que sera-ce d’habiter cette ville, quand en parler nous cause tant de joie ? Préparons nos cœurs pour cette vie future, et quiconque lui réserve son cœur, dédaigne tout ce qui est ici-bas ; et ce mépris lui fait attendre avec sécurité ce grand jour, dont l’expectative nous a effrayés dans la bouche du Seigneur.
4. Dès lors que notre psaume chante cette vie future dont il nous entretient, et que l’Évangile nous effraie au sujet de celle-ci, le psaume nous fait aimer l’avenir et l’Évangile haïr le présent. Le Nouveau Testament ne garde point le silence au sujet du bonheur à venir, et nous en parle d’autant mieux qu’il nous expose sans voile ce que nous devons comprendre ; mais il nous en parle clairement, afin de nous faire comprendre ce qui est dit ici en figures. L’Évangile donc nous disait : Prenez garde au dernier jour qui viendra, au jour de l’avènement du Fils de l’Homme[461] : parce qu’il surprendra dans leur malheur ceux qui sont aujourd’hui en sécurité, et précisément parce que c’est là une fausse sécurité, puisqu’ils se croient en sécurité dans les voluptés du siècle, tandis que leur sécurité devrait naître du silence de leurs convoitises du siècle. C’est à cette vie que nous prépare l’Apôtre dans ces paroles que j’ai citées alors : « Du reste, mes frères, le temps est court, il reste donc à ceux qui ont des femmes d’être comme s’ils n’en avaient point ; à ceux qui achètent, comme s’ils n’achetaient point ; à ceux qui se réjouissent, comme s’ils ne se réjouissaient point ; à ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient point ; à ceux qui usent des choses de ce monde, comme s’ils n’en usaient point ; car la figure du monde passe, et je désire que vous soyez sans inquiétudes[462] ». Quiconque a mis toute sa joie, toute sa félicité à manger, à boire, à se marier, à acheter, à vendre, à jouir du monde, est aussi sans inquiétude ; mais, comme tel, il est hors de l’arche, et malheur à lui, à cause du déluge. Quant à l’homme, qui mange, qui boit, qui fait toutes ses actions pour la gloire de Dieu[463], s’il est triste pour quelque sujet du temps, il pleure, mais conserve au dedans la joie de l’espérance ; si les affaires du temps lui causent de la joie, il se réjouit, mais son cœur nourrit une crainte spirituelle, en sorte qu’il ne se laisse ni corrompre par la prospérité ni abattre par le malheur. C’est là, en effet, pleurer comme si l’on ne pleurait point, et se réjouir comme si l’on ne se réjouissait point. Quiconque a une femme, et, par compassion pour sa faiblesse, rend le devoir sans l’exiger, ou ne cherche dans le mariage qu’un remède à sa propre faiblesse, et pleure de n’avoir pu se passer d’une femme, plutôt qu’il ne met en elle sa complaisance ; quiconque vend son bien, parce qu’il sait que ce bien, même en lui demeurant, ne le rendrait pas heureux ; quiconque achète et sait bien que cela passera, qui ne met point sa confiance dans ses biens, quelle qu’en soit l’abondance, et même la surabondance, qui du bien qu’il a, fait l’aumône à, celui qui n’a pas, afin de recevoir ce qu’il n’a pas de celui à qui tout appartient ; quiconque en est là peut attendre avec sécurité le dernier jour, parce qu’il n’est point hors de l’arche ; mais il fait partie de ces bois incorruptibles dont l’arche est construite[464]1. Qu’il ne craigne donc point l’avènement du Sauveur, mais plutôt qu’il l’espère et le désire ; car il ne viendra point pour lui infliger un châtiment, mais pour mettre fin à ses misères. Or, tout cela se fait par le désir que nous avons de cette cité sainte. Les avertissements de l’Évangile se réalisent dès lors dans nos soupirs vers cette Jérusalem que chante notre psaume, et de là vient l’accord de l’Évangile avec ce chant du Prophète.
5. Écoutons quelle est la cité que chante le psaume. Écoutons et chantons ; notre joie, en l’écoutant, est elle-même un cantique en l’honneur de notre Dieu. Car chanter n’est pas seulement répéter un cantique avec le bruit de la voix et des lèvres ; il est aussi un chant intérieur, parce qu’un autre a l’oreille dans notre intérieur. Chantons de la voix pour nous stimuler, chantons du cœur afin de lui plaire. Ce psaume est intitulé : « Psaume d’Aggée et de Zacharie[465] ». Or, Aggée et Zacharie furent des Prophètes, et ces Prophètes vivaient au temps de la captivité de cette Jérusalem qui était la figure de la Jérusalem du ciel. Or, pendant la captivité de cette ville, comme ils étaient à Babylone, ils prophétisèrent au sujet de Jérusalem, annonçant que le peuple sortirait de la captivité[466], que sur les ruines de l’ancienne serait bâtie une cité nouvelle. Or, nous connaissons cette captivité, si nous connaissons véritablement la nôtre. Dans ce monde, en effet, dans ces tribulations du siècle, au milieu de ces scandales sans nombre, nous sommes dans une sorte de captivité, mais nous en serons délivrés ; on nous prédit une vie nouvelle semblable à celle-ci. Après la promesse des Prophètes s’accomplit d’une manière visible tout ce qui devait faire de cette cité une image de la cité invisible. Jérusalem fut rebâtie après soixante et dix ans de captivité. Ce nombre de soixante et dix était précisé par Jérémie, qui nous montre, sous la figure du nombre septénaire, le temps présent qui s’écoule ; puisque nos jours, vous le savez, s’écoulent sept par sept, nombre qui passe pour revenir invariablement. Or, Jérémie, en prophétisant que Jérusalem serait rebâtie après soixante et dix ans, couvrait sous cette image une prophétie de l’avenir ; car il veut nous faire entendre qu’après l’écoulement de ces jours qui se comptent par sept, notre ville sera construite pour l’éternité, qui n’est qu’un aujourd’hui, puisque dans cette demeure le temps ne passe plus, parce que ses citoyens ne meurent point. Telle est la cité que les Prophètes voyaient en esprit ; c’est elle qu’ils voyaient quand ils parlaient de la cité d’ici-bas. Mais ils disaient au sujet de celle d’ici-bas ce qu’ils rapportaient à celle d’en haut : et tout ce qui se faisait dans le temps par le mouvement des corps et par les actions des hommes, devenait autant de signes et de prédictions pour l’avenir.[467]
6. Écoutons donc ce que l’on dit de cette ville ; élevons-nous jusqu’à elle. C’est elle que nous fait estimer l’Esprit-Saint, en répandant l’amour de cette cité dans nos cœurs, afin d’y faire monter nos soupirs, et que gémissant dans cet exil, nous ayons hâte d’arriver en la ville sainte. Aimons-la, mes frères, l’aimer c’est y aller. Aimons-la d’après cette bouche sacrée, cette bouche prophétique de l’Esprit de Dieu qui nous dit : « Jérusalem loue le Seigneur[468] ». Dans cette captivité les Prophètes voient ces troupeaux ou plutôt l’unique troupeau de tous les citoyens rassemblés de toutes les contrées, pour former la cité sainte. Ils voient la joie de cette masse qui ne craint plus rien, qui n’a rien à souffrir, puisqu’elle est dans le grenier céleste après avoir été foulée et vannée ; et comme ils sont encore sur cette terre au milieu de tant d’afflictions, ils se font précéder par la joie de l’espérance, ils soupirent après cette patrie, s’unissant ainsi de cœur aux anges de Dieu, et à ce peuple qui doit demeurer avec eux dans une sainte joie : « Loue le Seigneur, Jérusalem ». Quelle sera ton occupation, ô Jérusalem ? Car tout labeur, tout gémissement passera. Quelle sera donc ton occupation ? De labourer, de semer, de planter, de naviguer, de faire le négoce ? Quelle sera ton occupation ? Te faudra-t-il encore t’exercer dans ces œuvres, quelque bonnes qu’elles soient, et qui viennent de la miséricorde ? Considère le nombre de tes enfants, vois de toutes parts ceux qui forment la société : vois s’il en est un homme qui ait faim et à qui tu donnes du pain, qui ait soif et à qui tu puisses donner un verre d’eau froide ; vois s’il est un étranger à qui tu puisses donner l’hospitalité, s’il est un malade à visiter, s’il y a des plaideurs que tu puisses concilier[469] ; s’il est un moribond que tu puisses ensevelir. Que feras-tu donc ? « Jérusalem, loue le Seigneur ». Voilà quelle sera ton occupation. De même que l’on écrit sur un titre : Fais-en bon profit, je te répéterai « Jérusalem, loue le Seigneur ».
7. Soyez tous Jérusalem ; souvenez-vous de ce qu’il est dit : « Seigneur, vous réduirez leur image au néant dans votre ville[470] ». Ce sont les hommes qui maintenant font leurs délices de ces vaines pompes, ceux qui ne sont point venus aujourd’hui parce qu’on leur fait une largesse. À qui profite cette largesse ? Qui en supporte le contre-coup ? D’où vient la libéralité ? D’où vient le dommage ? Ce n’est point seulement à ceux qui donnent ces spectacles, qu’ils sont coûteux, mais ils le sont bien plus à ceux qui y mettent leur joie. Aux uns ils coûtent l’or de leurs coffres, aux autres les richesses de justice qui ornaient leurs cœurs. Ceux qui donnent ces spectacles pleurent bien souvent quand il faut vendre leurs terres, et combien doivent pleurer des pécheurs qui perdent leurs âmes ? Quand le Seigneur nous criait dimanche : « Veillez », était-ce donc pour que l’on veillât ainsi aujourd’hui ? Je vous en supplie, ô vous citoyens de Jérusalem, je vous en conjure par la voix de Jérusalem, par celui qui est le Rédempteur, l’architecte, le directeur de Jérusalem, offrez à Dieu pour eux vos supplications. Qu’ils voient, qu’ils comprennent la futilité de ces divertissements, et qu’après avoir été attentifs à ces sortes de spectacles qui font leurs délices, ils soient à eux-mêmes leurs spectacles, et spectacles de tristesse. C’est ce qui est arrivé pour beaucoup, à notre grande joie ; nous-mêmes avons jadis pris part à ces assemblées, à ces folies, Et combien de ceux qu’on voit maintenant, seront un jour chrétiens, et même évêques ? Le passé nous est une garantie de l’avenir : et ce que Dieu a déjà fait nous dit ce qu’il doit faire encore. Que vos prières veillent donc, mes frères, ce n’est pas inutilement que vous gémissez. Ils sont exaucés ceux qui, ayant échappé au péril, implorent le Seigneur en laveur de ceux qui y sont encore engagés, parce qu’ils ont couru les mêmes dangers, et Dieu tirera son peuple de la captivité de Babylone, et il le rachètera, le sauvera, et alors sera parfait le nombre des élus qui portent son image. Mais ils n’y seront point ceux dont le Seigneur doit mépriser et anéantir l’image dans sa ville sainte, parce qu’eux-mêmes ont anéanti son image dans leur cité, c’est-à-dire dans Babylone. Tel est le peuple qui louera Dieu, le peuple qu’annonce par avance son esprit prophétique ; il nous dit de tressaillir dans l’espérance, d’aspirer à la réalité. « Loue de concert le Seigneur, ô Jérusalem ; Sion, bénis ton Dieu ». « Loue de concert », parce que tu es formée d’un grand nombre de citoyens ; « bénis », parce que tu n’es qu’une seule ville. « Nous sommes plusieurs », dit l’Apôtre, « et néanmoins nous sommes un en Jésus-Christ[471] ». Louons donc de concert, parce que nous sommes plusieurs, et louons parce que nous ne sommes qu’un. Nous sommes à la fois, et plusieurs et un seul, parce que celui en qui nous avons l’unité, est toujours un.
8. Pourquoi, dira cette Jérusalem, louer de concert le Seigneur, et moi Sion, pourquoi louer mon Dieu ? Sion n’est qu’une avec Jérusalem. Ces deux noms tiennent à deux causes différentes : Jérusalem signifie vision de la paix, et Sion contemplation. Voyez si ces deux noms désignent autre chose que des spectacles ; que les païens ne s’applaudissent point alors de leurs spectacles, comme si nous n’avions point les nôtres. Quelquefois, quand on ferme le théâtre ou l’amphithéâtre, et qu’il sort de ces gouffres une foule d’hommes corrompus qui ont l’esprit tout occupé de vains fantômes, repaissant leur mémoire de souvenirs non seulement inutiles, mais pernicieux, s’applaudissant de ces plaisirs qui ont une douceur, mais douceur empoisonnée ; ils voient, et même souvent, passer les serviteurs de Dieu qu’ils reconnaissent ou bien à leurs vêtements, ou bien à leur maintien, ou même à leur figure, et ils disent en eux-mêmes : Combien ces gens sont malheureux ! que n’ont-ils pas perdu aujourd’hui ! Prions Dieu, mes frères, de récompenser leur bienveillance ; car ils prennent cela pour un bien. C’est par bonté qu’ils nous plaignent ; mais celui qui aime l’iniquité, hait son âme[472]. Et s’il hait son âme, comment pourrait-il aimer la mienne ? Toutefois, c’est par une bienveillance et perverse, et vaine, et futile, si l’on peut appeler cela bienveillance, qu’ils nous plaignent de perdre ce qu’ils aiment. Prions à notre tour, afin qu’ils ne perdent point ce que nous aimons. Voyez quelle est cette Jérusalem que le Prophète exhorte à louer Dieu, ou plutôt dont il prédit la louange. Ce ne sera point quand nous verrons Dieu, et quand nous l’aimerons, quand nous le louerons, que le Prophète aura besoin d’en gager, de stimuler cette ville à louer le Seigneur ; mais les Prophètes nous parlent de la sorte, afin de nous porter à goûter, autant que possible, en cette chair fragile, ces joies futures des bienheureux, et en jetant dans nos oreilles le trop plein de leur âme, d’allumer en nous l’amour de cette cité divine. Que nos désirs soient donc fervents ; loin de nous tout cœur tiède.
9. Mais voyez quelle est cette Jérusalem que le Prophète invite à louer Dieu, et pourquoi elle doit le louer. C’est parce que son bonheur sera parfait. « Loue de concert le Seigneur, ô Jérusalem ; ô Sion, loue ton Dieu ». Et comme si Jérusalem demandait : Comment louer Dieu avec une telle sécurité ? « C’est », dit le Prophète, « parce qu’il a fortifié les barrières de tes portes[473] ». Redoublez d’attention, mes frères. « Il a fortifié les barrières de tes portes ». On affermit les barrières non des portes ouvertes, mais des portes closes. De là vient qu’on lit dans plusieurs exemplaires : « Il a fortifié les serrures de tes portes ». Que votre charité comprenne ceci. Le Prophète dit que c’est une Jérusalem bien fermée qui loue le Seigneur. « Loue de concert le Seigneur, Ô Jérusalem ; Sion, loue ton Dieu ». Nous louons maintenant le Seigneur, nous le louons de concert, mais au milieu des scandales. Beaucoup entrent parmi nous contre notre volonté, beaucoup s’en vont, en dépit de nos efforts ; de là tant de scandales. « Et comme l’iniquité abonde », a dit la Vérité, « la charité refroidit chez plusieurs[474] », à cause de ceux qui entrent et que nous ne saurions juger, et de ceux qui sortent sans que nous puissions les retenir. Pourquoi ? parce que la perfection n’est point d’ici-bas, ni le bonheur d’ici-bas. Pourquoi encore ? Parce que nous sommes dans l’aire et non dans le grenier. Que faire alors, sinon d’être sans crainte pour l’avenir ? « Loue de concert le Seigneur, ô Jérusalem ; loue ton Dieu, ô Sion : parce qu’il a fortifié les barrières de tes portes ». « Il a fortifié », dit le Prophète, et non seulement il a mis des barrières. Que nul ne sorte plus, que nul n’entre plus. Que nul ne sorte, c’est ce qui nous réjouit ; que nul n’entre plus, c’est ce qu’il nous faut craindre. Mais sois sans crainte, on ne parlera de la sorte que quand tu seras entré. Sois seulement au nombre de ces vierges qui prirent avec elles de l’huile[475].
10. Ces vierges, en effet, désignent les âmes. Elles n’étaient pas seulement au nombre de cinq, mais ces cinq marquent des milliers. Dans ce nombre cinq sont donc renfermés des milliers non de femmes seulement, mais d’hommes aussi ; car ce mot de femme désigne les deux sexes à cause de, l’Église ; puisque l’Église, qui renferme les deux sexes, est appelée vierge. « Je vous ai fiancée à l’unique Époux, pour vous présenter à Jésus-Christ comme une Épouse chaste[476] ». Peu sont vierges de corps, mais tous doivent l’être de cœur. La virginité du corps consiste dans une chair intacte, la virginité du cœur, dans une foi pure. On dit de toute l’Église qu’elle est vierge, et au masculin on la nomme peuple de Dieu : or, les deux sexes forment le peuple de Dieu, un seul peuple, un peuple unique ; de même qu’il n’y a qu’une seule Église, une seule colombe ; et dans cette virginité, des saints par milliers. Ces cinq vierges dès lors désignent toutes les âmes qui doivent entrer dans le ciel : et le nombre cinq n’est point employé sans raison, puisque le corps est doué de cinq sens, comme chacun sait. Rien ne passe du corps dans l’âme que par ces cinq portes, car toute convoitise mauvaise nous vient soit des yeux, soit de l’odorat, soit du goût, soit des oreilles, soit du tact. Quiconque n’a point laissé entrer la corruption par ces cinq portes, est mis au nombre des cinq vierges. Or, la corruption est la fille des désirs illicites ; et l’Écriture nous fait voir de toutes parts ce qui est permis ou ce qui ne l’est point. Il est donc nécessaire que tu sois au nombre de ces cinq vierges, et tu n’auras pas à craindre cette parole : Que nul n’ose entrer. C’est en effet ce qui est écrit et ce qui sera exécuté ; à ton entrée, toutefois, nul ne viendra te barrer le passage ; mais quand tu seras entré, on fermera les portes de Jérusalem, et l’on en fortifiera les barrières, si tu ne veux pas être vierge de cœur, ou si, quoique vierge, tu prends place parmi les vierges folles, pour demeurer au-dehors et frapper vainement à la porte.
11. Quelles sont ces vierges folles ? Elles aussi sont au nombre de cinq ; et quelles sont ces vierges, sinon les âmes qui gardent la continence de la chair, afin d’éviter la corruption qui nous vient par tous les sens que nous énumérions tout à l’heure ? Elles évitent la corruption, n’importe d’où elle vienne, sans porter dans leur conscience et sous les yeux de Dieu seul, le bien qu’elles font ; elles veulent plaire aux hommes et s’arrêter à leur jugement. En quête des faveurs vulgaires, elles s’avilissent en voulant plaire à ceux qui les voient ; leur conscience ne leur suffit point. C’est donc avec raison que, selon l’Évangile, elles ne portent pas d’huile avec elles ; car l’huile, à cause de son éclat, de sa netteté, signifie la gloire. Mais que dit l’Apôtre ? Vois dons sa parole ces vierges sages qui portent l’huile avec elles. « Que chacun éprouve son œuvre, et il aura de quoi se glorifier en lui-même et non dans un autre[477] ». Voilà les vierges sages. Quant aux vierges folles, elles allument leurs lampes à la vérité, leurs œuvres paraissent avec éclat ; mais elles doivent mourir et s’éteindre, parce qu’elles n’ont point d’huile intérieure. Les voilà qui s’endorment toutes parce que l’Époux tarde à venir ; quelle que soit en effet celle de ces deux catégories que choisissent les hommes, ils s’endorment du sommeil de la mort ; et les vierges sages et les vierges folles, en attentant l’avènement du Seigneur, passent par cette mort du corps, mort visible, que l’Écriture appelle un sommeil, comme tout chrétien le sait. L’Apôtre dit en effet : « C’est pourquoi, parmi vous, beaucoup sont infirmes, languissants, et beaucoup sont endormis[478] » ; endormis, dit-il, ou plutôt morts. Mais voilà que l’Époux va venir, et tous vont se lever, mais non tous entrer. Voilà que s’évanouiront les œuvres de ces vierges folles, qui n’ont point l’huile de la bonne conscience. Elles ne trouveront plus, pour leur en acheter, ces flatteurs qui leur vendaient la louange. Car il y a de l’ironie plutôt que de la jalousie dans cette parole « Allez en acheter ». Ces vierges folles en avaient demandé aux vierges sages, et leur avaient dit : « Donnez-nous de votre huile, parce que nos lampes s’éteignent ». Que répondent les vierges sages ? « Non, de peur que nous n’en ayons pas suffisamment pour vous et pour nous ; allez plutôt à ceux qui en vendent, et achetez-en pour vous ». C’était leur dire sous la forme d’un avis : De quoi vous servent maintenant ceux dont vous achetez la louange ? « Et pendant qu’elles y allaient », dit l’Évangile, « voilà que les autres « entrèrent, et la porte fut close[479] ». Pendant qu’elles y vont de cœur, pendant qu’elles s’occupent de ces pensées, qu’elles s’éloignent dans ce dessein, qu’elles se ressouviennent de leur vie passée, elles vont en quelque sorte vers ceux qui vendent l’huile, et ne les trouvent plus favorables ; elles ne trouvent plus d’applaudissements chez ceux qui les flattaient, elles qui s’excitaient au bien, non par le mouvement d’une bonne conscience, mais par le stimulant des langues étrangères.
12. Cette réponse des vierges sages : « De peur qu’il n’y en ait pas suffisamment pour nous », témoigne aussi d’un grand sentiment d’humilité. Car l’huile que nous portons dans notre conscience, c’est le jugement que nous portons sur nous-mêmes, et qui nous fait voir tels que nous sommes ; or, il est difficile de se juger, de juger parfaitement de son état. Mes frères, quels que soient les progrès d’un homme dans la vertu ; tant qu’il se jette en avant et oublie ce qui est derrière[480] ; s’il se dit : c’est bien ; Dieu aussitôt tire de ses trésors la règle inflexible, et procède à un sévère examen. Or, qui se glorifiera d’avoir un cœur pur ? Qui osera dire qu’il est sans péché[481] ? Mais que dit l’Écriture ? « Il y aura un jugement sans miséricorde pour celui qui n’a pas fait miséricorde[482] ». Quels que soient tes progrès, tu espéreras donc dans la miséricorde. Car si la miséricorde ne vient tempérer la justice, tout homme se trouvera condamnable en quelque point. Or, quel passage de l’Écriture va nous consoler ? Celui-là même qui nous exhorte à la miséricorde, afin que nous nous appliquions à donner notre superflu. Car nous avons beaucoup de superflu, si nous nous en tenons au strict nécessaire ; mais rien ne nons suffira, si nous recherchons ce qui est futile. Cherchez donc, mes frères, ce qui suffit à l’œuvre de Dieu, et non ce qui suffit à vos désirs ; car votre désir n’est point l’œuvre de Dieu ; mais votre forme, votre âme, votre corps, voilà toute l’œuvre de Dieu. Cherche donc ce qui suffit pour cela, et tu verras qu’il faut peu de chose. Il ne fallut à la veuve de l’Évangile que deux deniers, pour faire une œuvre de miséricorde[483], deux deniers pour acheter le royaume de Dieu. Pour habiller des acteurs, quelle dépense ne fait point un donneur de spectacles ? Voyez non seulement qu’il faut peu pour vous suffire, mais aussi combien peu vous demande le Seigneur. Cherche avec soin ce qu’il t’a donné, prends-en ce qui te suffit ; quant au reste, qui est superflu pour toi, c’est le nécessaire des autres ; le superflu du riche est le nécessaire du pauvre. C’est posséder le bien d’autrui que posséder du superflu.
13. C’est quand tu feras miséricorde, et particulièrement celle-ci que l’on fait gratuitement : « Remettez-nous, comme nous remettons[484] » ; et où l’on ne fait d’autre dépense que celle de la charité, laquelle s’accroît à proportion qu’on la dépense ; c’est, dis-je, quand tu feras avec ferveur des œuvres de miséricorde, bonnes œuvres, avons-nous dit, qui ne seront plus nécessaires dans l’autre vie, puisqu’il n’y aura plus aucun malheureux à qui l’on puisse faire miséricorde[485], c’est alors que tu attendras en toute sécurité le jugement, non pas dans la sécurité de la justice, mais dans la sécurité de la divine miséricorde, puisque toi-même auras été miséricordieux. « Le jugement sera sans miséricorde pour celui qui n’aura point fait miséricorde. Et la miséricorde », ajoute le même Apôtre, « l’emporte sur le jugement[486] ». Gardez-vous de croire, mes frères, que le Seigneur n’est point juste, ou qu’il s’écarte de la justice, quand il n’a point pitié de nous. Il est juste quand il nous damne, et juste encore quand il nous prend en pitié. Quoi de plus juste de faire miséricorde à celui qui l’implore ? Quoi de plus juste aussi, que d’user envers nous de la mesure dont nous nous serons servis[487] ? Donne à ton frère qui a faim. À quel frère ? Au Christ. Si donc faire la charité à ton frère c’est la faire au Christ, et si le Christ est Dieu béni par-dessus tout dans les siècles[488], c’est un Dieu qui a voulu avoir besoin de toi, et ta main se retire ? Tu tends la main à Dieu pour lui demander : écoute l’Écriture : « Que ta main ne soit point ouverte pour recevoir, et fermée pour donner[489] ». Dieu veut qu’on lui donne de ce qu’il a donné. Que pourrais-tu donner, en effet, qu’il ne t’ait point donné ? « Qu’as-tu, que tu n’aies point reçu[490] ? » Et même, sans parler de Dieu, à qui pourrais-tu donner de ce qui est à toi ? Tu donnes de ce qui appartient à celui qui te commande de donner. Sois donc véritablement dispensateur, et non usurpateur. C’est en agissant de la sorte, et en disant avec humilité de cette huile : « De peur qu’il n’y en ait pas suffisamment pour nous[491] », que tu entreras, et que la porte ne te sera point fermée. Écoute ce mot de l’Apôtre : « Peu m’importe d’être jugé par vous[492] ». Comment pourriez-vous, en effet, juger ma conscience ? Comment verriez-vous l’intention qui me dirige dans toutes mes actions ? Quel jugement les hommes peuvent-ils porter sur un autre homme ? L’homme peut beaucoup mieux se juger, mais Dieu peut mieux encore juger l’homme, que l’homme ne peut se juger lui-même. Si donc tu es tel que nous disons, tu entreras, tu seras au nombre de ces cinq vierges, et les vierges folles seront exclues. C’est ce que nous dit l’Évangile ; la porte sera fermée, elles seront là, heurtant à cette porte et criant : « Ouvre-nous[493] » ; et on ne leur ouvrira point, parce « que le Seigneur a fortifié les barres de vos portes ». Oui, dit le Prophète, il a fortifié les barres de tes portes, sois en toute sécurité, chante avec assurance, et chante sans fin. Tes portes sont solidement closes, nul ami ne sort, nul ennemi ne peut entrer. « Il a consolidé les barrières de tes portes ».
14. « Il a béni tes enfants en toi ». Ils ne sont ni vagabonds au-dehors, ni exilés ; ils s’applaudissent dans ton enceinte, c’est là qu’ils chantent le Seigneur, là qu’ils sont bénis ils n’endurent plus les douleurs de l’enfantement, parce qu’ils n’ont plus à enfanter. Ils sont vos enfants, vos saints ; et ces enfants, ces saints, sont dans l’allégresse, dans la louange ; la charité à ressenti pour eux les douleurs de l’enfantement, et les a enfantés ; la charité les renferme dans son giron. Écoute la charité qui les enfante : c’est elle qui donnait à Paul non seulement un cœur de père, mais un cœur de mère, pour ses enfants : « Mes petits enfants », dit-il, « que j’enfante une seconde fois[494] ». Or, Paul qui enfante, c’est la charité qui enfante ; et la charité qui enfante, c’est l’Esprit de Dieu qui enfante. « La charité, en effet, est répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[495] ». Qu’elle rassemble donc ceux qu’elle a enfantés avec douleur, ceux qu’elle a mis au monde. Ils sont déjà dans l’intérieur, ils sont en sûreté. Ils ont pris leur essor du nid de la crainte, ils ont pris leur essor pour les cieux, pour les tabernacles éternels ; rien de temporel n’est à redouter pour eux.
15. « Il a béni tes fils en toi ». Qui a béni ? « Celui qui a mis la paix sur tes frontières[496] ». Quelle n’est point la joie universelle à cette parole ? Aimez-la, mes frères. Nous éprouvons une grande joie quand l’amour de la paix éclate ainsi du fond de vos cœurs. Quelle joie cette parole a suscitée ! Je n’avais rien dit encore, je n’avais rien expliqué, je prononce le verset et vos cris partent. Qu’est-ce qui a crié en vous ? L’amour de la paix. Qu’ai-je mis sous vos yeux ? Pourquoi ces cris, si vous ne ressentez cet amour ? D’où vient cet amour, si vous ne voyez rien ? La paix est invisible. Où est l’œil qui l’a vue pour l’aimer ? Et toutefois, on ne pousserait aucun cri si on ne l’aimait. Ce sont là, mes frères, les spectacles invisibles que Dieu nous présente. De quelle beauté l’idée seule de la paix n’a-t-elle point frappé vos cœurs ? Que dire encore dola paix, et comment la louer ? Votre allégresse a dépassé toutes mes paroles. Je n’achève point, je ne saurais, je suis trop faible. Remettons donc l’éloge de la paix, jusqu’à ce que nous soyons dans la patrie de la paix. C’est là que nous pourrons la louer plus pleinement, en jouir plus pleinement. Si nous l’aurions ainsi quand elle commence, quelles louanges lui donner quand elle sera parfaite ? Jugez-en vous-mêmes, ô fils bien-aimés, fils de la paix, citoyens de Jérusalem, car Jérusalem est la vision de la paix ; et tous ceux qui aiment la paix sont bénis dans son enceinte, ils peuvent y entrer et les portes se ferment, et les barrières sont consolidées. Cette paix dont le nom seul fait éclater votre amour, cultivez-la, recherchez-la sincèrement ; aimez-la dans vos maisons, aimez-la dans vos affaires, aimez-la dans vos Épouses, aimez-la dans vos enfants, aimez-la dans vos serviteurs, aimez-la dans vos amis, aimez-la dans vos ennemis.
16. Telle est la paix que n’ont point les hérétiques. Quelle est l’œuvre de cette paix, dans les perplexités de ce monde, dans l’exil de notre mortalité, où nul n’est connu d’un autre, ou nul ne connaît le cœur de son voisin ? Que fait la paix ? Elle ne juge pas de ce qui est incertain, et n’affirme rien d’inconnu. Elle est plus inclinée à croire le bien d’un homme, qu’à en soupçonner le mal. Elle ne s’afflige point de s’être trompée en croyant bon l’homme qui est méchant ; mais elle se croit coupable d’avoir cru au mal chez l’homme de bien. Je ne le connais point, dit-elle, que perdrai-je à croire qu’il est bon ? Si cela est incertain, il est permis d’agir avec précaution, car peut-être n’est-ce pas vrai ; mais garde-toi de condamner comme si tu étais certain. C’est le précepte de la paix. « Cherche la paix », dit le Prophète, « et poursuis-la[497] ». Que dit l’hérésie au contraire ? Elle condamne sans connaître, et condamne le monde entier ; tout le monde a péri, il n’y a plus un seul chrétien, l’Afrique seule est demeurée. Bien jugé. Mais de quel tribunal peux-tu condamner le monde entier ? Sur quel forum le monde a-t-il comparu devant toi ? Que l’on ait s’en rapporte pas à moi, j’y consens ; mais pas à toi non plus. Qu’on en croie au Christ, à l’Esprit de Dieu, qui a parlé par les Prophètes, qu’on en croie à la loi de Moïse. Qu’a dit Moïse des temps futurs qui sont les nôtres ? « En ta postérité », fut-il dit à Abraham, « toutes les nations seront bénies[498] ». As-tu des doutes sur cette race d’Abraham ? Il n’y a plus de doute à conserver quand l’Apôtre a parlé ; ou si tu n’en crois point à l’Apôtre, pourquoi dire : La paix, la paix, quand il n’y a point de paix[499] ? Que dit l’Apôtre ? « Les promesses de Dieu sont faites à Abraham et à sa postérité. L’Écriture ne dit point : « Et à ceux qui naîtront de lui, comme s’ils eussent dû être plusieurs ; mais comme en parlant d’un seul, elle dit : Et à celui qui naîtra de toi, qui est le Christ[500] ». Il y a des milliers d’années qu’il fut dit à Abraham : « Les nations seront bénies en ta postérité ». Or, ce qui a été prédit il y a tant de siècles, et ce qu’un seul a cru, nous le voyons accompli aujourd’hui. D’un côté nous lisons la promesse, de l’autre nous voyons l’accomplissement, et tu viens à la traverse résister à la vérité ? Que vas-tu dire ? Garde-toi de croire. De croire à qui ? À l’esprit de Dieu ? A Dieu qui parle à Abraham ? À qui croirai-je alors ? À toi ? Ce n’est point là ce que je dis, répondras-tu. Tu ne le dis point ? Comment, tu ne dis pas : Crois-en plutôt à moi qu’à l’Esprit. Saint, qu’à Dieu qui s’adresse à Abraham ? Que viens-tu me dire alors ? Tel a livré les livres saints, tel autre encore les a livrés. Est-ce un passage de l’Évangile que tu rapportes là, ou des Apôtres, ou des Prophètes ? Examine toutes les Écritures, et lis-moi cette parole, dans ceux en qui repose ma foi ; car je ne crois pas en toi. Où donc liras-tu cela ? C’est ce que m’a dit mon père, me répond-il, ce que m’a dit mon aïeul, mon frère, mon évêque. Mais voici la parole du Seigneur à Abraham : « Les nations seront bénies en celui qui naîtra de toi ». Un seul homme entendit cette parole et y crut, et après de longs siècles, elle s’accomplit dans des millions d’hommes. On croit à cette promesse, quand elle se fait, et on en doute quand elle s’accomplit ? Voilà donc ce qu’a dit Moïse ; donnons maintenant la parole aux Prophètes. Vois le prix de notre rédemption : le Christ suspendu à la croix. Considère le prix qu’il donne, et tu comprendras ce qu’il achète. Il veut faire un achat, et tu ne sais encore quel achat ; vois alors, vois la grandeur du prix, et tu comprendras l’importance de l’achat. Il répand tout son sang, c’est au prix de son sang qu’il achète, du sang de l’Agneau sans tache, du sang du Fils unique de Dieu. Que peut-on donc acheter au prix du sang du Fils unique de Dieu ? Encore une fois, considère à quel prix. Longtemps avant l’accomplissement, le Prophète a dit : « Ils ont percé mes « mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os ». Je vois la grandeur du prix, ô Christ, faites que je voie aussi ce que vous avez acheté : « Toutes les extrémités de la terre s’en souviendront, et se tourneront vers le Seigneur ». Dans le même psaume, je vois tout ensemble et l’acheteur, et le prix, et la possession. Cet acheteur c’est le Christ, le prix est son Sang, et la possession, l’univers entier. Écoutons les paroles du Prophète, qui contredisent les chicanes des hérétiques. Voilà ce que possède mon Dieu. Je lis son droit dans le psaume : « Ils en garderont la mémoire, et tous les confins de la terre se tourneront vers le Seigneur, toutes les familles de la terre se prosterneront en sa présence[501] ». L’Acheteur est donc le Christ, et non l’apostat Donat. « Ils l’adoreront ». Très-bien : « Toutes les familles de la terre se prosterneront en sa présence ». Pourquoi très bien ? « Parce que l’empire est au Seigneur, et il dominera sur toutes les nations ». Voilà ce qu’on lit dans Moïse, dans les Prophètes, et mille autres témoignages semblables. Qui pourrait compter les passages de l’Écriture au sujet de l’Église qui sera répandue dans toute la terre ? Qui les comptera ? Il y a moins d’hérésies contre l’Église, que la loi n’a de témoignages en sa faveur. Quelle page ne dit point son triomphe ? Quel verset ne l’a point consigné ? Tout parle de concert en faveur de cette unité, qui est au Seigneur, parce qu’il a mis la paix dans les confins de Jérusalem. Et c’est contre tout cela que tu viens aboyer, ô hérétique ? C’est avec raison que l’on applique à cette cité sainte ce mot consigné dans l’Apocalypse : « Loin d’ici les chiens[502] ». C’est contre tout cela que tu viens aboyer. Comme je le disais tout à l’heure, oses-tu bien condamner le monde entier ? Quel est ton tribunal, sinon la présomption de ton cœur ? Tribunal bien haut sans doute, mais ruineux. Voilà ce qu’a dit Moïse, ce qu’ont dit les Prophètes ; et des hommes qui veulent passer pour chrétiens ne le croient pas encore.
17. Le mauvais riche était dans les tourments de l’enfer, et l’ardeur des flammes lui fit désirer qu’une goutte d’eau tombât du doigt du pauvre qu’il avait autrefois méprisé à sa porte. Comme ce rafraîchissement lui était refusé, puisqu’on doit « juger sans miséricorde celui qui n’aura point fait miséricorde[503] », comme donc on le lui refusait « Père Abraham », s’écrie-t-il, « envoyez Lazare dans la maison de mon père, où j’ai cinq autres frères ; qu’il leur dise combien je souffre, afin qu’ils ne viennent point aussi dans ce lieu de tourments ». Que répond Abraham ? « Ils ont Moïse et les Prophètes ». Et celui-ci : « Mon père Abraham, mais si quelqu’un ressuscitait d’entre les morts, ils le croiraient ». Et Abraham : « S’ils n’écoutent ni Moïse, ni les Prophètes ils ne croiront pas quand même quelqu’un ressusciterait d’entre les morts[504] ». De qui dit-il, qu’« ils ont Moïse et les Prophètes ? » De ces frères assurément qui vivaient encore, qui avaient pour se corriger un long espace de temps, qui n’étaient point encore dans ces lieux de tourments. « Ils ont Moïse et les Prophètes, qu’ils les écoutent », dit Abraham. Ils ne croient point en eux, « mais ils croiraient si quelqu’un ressuscitait d’entre les morts. S’ils n’écoutent ni Moïse, mi les Prophètes, ils ne croiront pas même mi celui qui ressusciterait d’entre les morts ». C’est la décision d’Abraham. En quel endroit et de quel endroit Abraham l’a-t-il prononcée ? D’un certain lieu élevé, d’un lieu plein de repos et de joie. Que voyait en élevant les yeux cet infortuné qui souffrait dans l’enfer ? Il voyait aussi dans son sein, c’est-à-dire dans son secret, le pauvre qui tressaillait de joie. Voilà quel est ce tribunal. C’est là qu’habite le Seigneur, puisque Dieu habite dans les saints. Delà vient ce désir que l’Apôtre nous exprime ainsi : « Mourir pour être avec le Christ serait de beaucoup préférable[505] ». Il fut dit aussi au bon larron : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis[506] ». C’est le Seigneur qui est avec Abraham et en Abraham qui a porté cette sentence : « Ils ont Moïse et es Prophètes ; s’ils ne les écoutent point, ils n’écouteraient point non plus celui qui ressusciterait d’entre les morts ». O hérétiques, vous avez ici Moïse et les Prophètes, et vous vivez encore, et vous pouvez encore écouter, et vous pouvez encore vous corriger, dompter votre fureur, et embrasser la vérité : examinez avec vous-mêmes s’il faut en croire Moïse et les Prophètes, qui ont rendu à leur foi de si grands témoignages, quand nous voyons les événements du monde arriver selon leurs prédictions. Pourquoi hésiter encore à en croire à Moïse et aux Prophètes ? Pourquoi cette hésitation ? Attendriez-vous par hasard qu’un homme ressuscité d’entre les morts s’en vienne vous parler de son Église ? C’est ce que voulait le mauvais riche dans l’enfer ; il voulait que l’on envoyât vers ses frères[507] quelqu’un d’entre les morts ; on le reprend de cette exigence parce que Moïse et les Prophètes devaient suffire à ses frères. Sa prière fut vaine, afin que cet exemple vous profitât, et que vous ne fussiez point tourmenté comme lui, pour avoir fait trop tard de vaines prières. Écoutez Moïse et les Prophètes. Que dit Moïse ? « Dans ta postérité seront bénies toutes les nations[508] ». Qu’ont dit les Prophètes ? « Tous les confins de la terre se souviendront, et se tourneront vers le Seigneur[509] ». Et tu viendras me dire encore qu’un homme se lève d’entre les morts, je ne croirai que quand on viendra de là me parler ! Bénie soit votre miséricorde, ô mon Dieu ! vous avez voulu mourir, afin qu’un homme se levât des morts, et cet homme n’est point un homme quelconque, mais c’est la Vérité qui est sortie des enfers. Il pourrait dire la vérité sur les effets, sans être sorti des enfers ; et néanmoins, à cause de ces voix méchantes et ignorantes, il a voulu mourir et se lever d’entre les morts. Que dis-tu, ô hérétique, que dis-tu ? J’écouterai tes raisons, tu n’a plus d’excuses ; quand tu aurais les exigences du riche dans les enfers, voilà que le Christ est ressuscité d’entre les morts ; daigneras-tu l’écouter lui-même ? Tu as conçu en ta vie le désir de ce riche après sa mort, et voilà que le Christ est revenu des enfers ; ce n’est ni ton père, ni ton aïeul, ils ne sont point ressuscités des morts, ceux qui ont accusé je ne sais qui d’entre nous d’avoir livré les saints livres. Mais accordons qu’ils n’aient point calomnié, qu’ils aient dit vrai. Veux-tu savoir combien cela m’importe peu ? Écoutons ensemble ce qu’a dit celui qui est ressuscité d’entre les morts. À quoi bon tant discourir ? Écoutons, ouvrons l’Évangile, lisons ce qui s’est fait comme s’il s’accomplissait maintenant : remettons sous nos yeux le passé afin de nous mettre en mesure contre l’avenir. Voilà que le Christ ressuscité d’entre les morts se montre à ses disciples. Voici ses noces, il est l’Époux, l’Église et l’Épouse. Cet Époux que l’on disait mort, exterminé, anéanti, est ressuscité plein de vie, le voilà qui se montre aux yeux des disciples, qui se laisse toucher de leurs mains, ils touchent en effet ses plaies, ses meurtrissures qui leur avaient fait perdre l’espérance. Il se fait voir à leurs yeux, et en le touchant des mains ils le prennent pour un esprit, car ils ont perdu tout espoir qu’il pût être sauvé. Il les exhorte, les affermit dans la foi « Touchez et voyez, car un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai »[510]. Ils le touchent, ils sont dans la joie, dans l’étonnement. « Comme ils étaient encore dans le trouble de la joie », est-il écrit dans l’Évangile. Quelquefois on ne croit que difficilement ce qui donne de la joie, quelle qu’en soit la certitude. Un certain doute qui nous rend tardifs à croire assaisonne le bonheur qui nous vient alors. Plus nous avons désespéré de ce qui nous arrive, plus notre bonheur est grand ; et ce fut pour rendre leur bonheur plus doux et plus grand que le Sauveur ne voulut pas être connu tout d’abord. Il ferma les yeux de ces deux disciples qu’il rencontra parlant ensemble de leur peu d’espérance et se disant : « Nous espérions qu’il serait le Rédempteur d’Israël ». Ils l’avaient pensé, et ne le pensaient déjà plus. L’espérance n’était plus en eux, et le Christ était avec eux ; mais pour se rendre à eux, et leur ramener l’espérance. Ce fut donc seulement après, et quand ils l’eurent reconnu à la fraction du pain, qu’il se montra aux autres disciples qui le prenaient pour un esprit, qu’il leur dit : « Touchez et voyez, car un esprit n’a pas de chair et d’os, comme vous voyez que j’en ai ». Et comme la joie les troublait : « Avez-vous, ajouta-t-il, quelque chose à manger ? Il prit ce qu’ils présentèrent, le bénit, en mangea, et leur en donna ». Il parut alors qu’il avait réellement un corps, et toute crainte d’erreur disparut aussitôt. Que fit-il ensuite ? « Ne saviez-vous donc pas qu’il fallait que s’accomplît en moi tout ce qui est écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes ? » Or, comme ils croyaient aux Prophètes et à Moïse ; car il est vrai de dire avec Abraham : « S’ils n’en croient point à Moïse et aux Prophètes, ils n’en croiront point à celui qui ressusciterait d’entre les morts » ; comme ils en croyaient à Moïse et aux Prophètes, et n’étaient point de ceux que reprend Abraham, ils écoutèrent ce que dit le Seigneur : « Ne saviez-vous pas qu’il fallait que s’accomplît en moi ce qui est écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes ? » Les voilà qui en croient à Moïse et aux Prophètes, voyez comment sur leur témoignage ils croient à celui qui est ressuscité d’entre les morts. « Alors il leur ouvrit l’intelligence, afin qu’ils comprissent les Écritures, et il leur dit : Il fallait, selon qu’il est écrit, que le Christ souffrit et qu’il ressuscitât d’entre les morts le troisième jour ».
18. Tu vois déjà l’Époux de l’Église. Ni Moïse, ni les Prophètes, n’ont gardé le silence à propos du Christ qui devait ressusciter le troisième jour, qui devait souffrir. On nous a décrit l’Époux afin de nous faire éviter toute erreur. Mais parce que nous n’avons aucune erreur à propos de l’Époux, il s’est trouvé certains hommes qui semblent croire ce que nous croyons au sujet de l’Époux, et qui nous viennent dire, pour nous séparer de ses membres : Sans doute, le même Époux que vous croyez est le même que nous croyons ; mais l’Épouse n’est point cette Église dont vous êtes les membres. Quelle est donc cette Épouse ? C’est le parti de Donat. Voilà ton affirmation, mais est-ce bien toi qui parles, ou bien est-ce l’Époux ? Est-ce toi qui le dis, ou Dieu qui l’a dit par Moïse ? Moïse me montre l’Église ; car Moïse a dit : « Toutes les nations seront bénies en ta postérité ». Est-ce toi qui le dis, ou l’Esprit de Dieu par les Prophètes ? Les Prophètes me montrent l’Église, car un Prophète m’a dit : « Toutes les nations de la terre se souviendront du Seigneur, et se tourneront vers lui ». J’ai donc pour moi le témoignage de la loi et des Prophètes ; écoutons encore celui qui est ressuscité d’entre les morts. Il montre qu’il est l’Époux, nous en avons la certitude. Il nous en a convaincus par des témoignages visibles. Car Moïse et les Prophètes avaient dit que de « Christ devait souffrir, et se lever d’entre les morts ». Ces paroles nous indiquent l’Époux à vous et à moi ; et dès lors ces paroles t’amèneront à croire à Moïse et aux Prophètes : croyons de même en celui qui est ressuscité d’entre les morts. Qu’il continue donc et dise : Seigneur, c’en est fait, je crois que le Christ est l’Époux. Que nul ne me sépare des membres de votre Épouse, car si je ne faisais partie de ses membres vous ne seriez point ma tête, Parlez-moi aussi de votre Épouse ; car je ne doute plus de l’Époux. Écoute ce qui est dit de l’Église ; voilà que l’Époux continue en disant que l’on doit « prêcher en son nom la pénitence et la rémission des péchés ». Rien de plus vrai ; la pénitence et la rémission des péchés sont prêchées en son nom. Mais où ? Ici, disent les uns ; là, disent les autres. Mais lui, que dit-il ? « Ne les croyez point : il s’élèvera de faux Christs et de faux Prophètes, qui diront : C’est ici, c’est là[511] ». Ce n’est point du chef qu’ils disent : « c’est ici, c’est là » ; on sait que le Christ est dans le ciel, mais c’est de l’Église en laquelle est le Christ qui a dit : « Voilà, je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles[512] ». Or, le Seigneur a dit : « Ne les croyez point ». Dire en effet : « C’est ici, c’est là », c’est vous montrer des parties ; or, j’ai acheté le tout. Que l’Évangile me tienne encore ce langage : Dites cela vous-mêmes dans l’Évangile, vous Seigneur, qui êtes ressuscité d’entre les morts, afin qu’ils croient aussi en vous, ceux qui croient à Moïse et aux Prophètes ; dites-moi cela vous-même. Je vous écoute. « Il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât le troisième jour, et qu’en son nom la pénitence et la rémission des péchés fussent prêchées parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem[513] ». Que vas-tu répondre, ô hérétique ? Quand je citais Moïse, quand je citais les Prophètes, tu en appelais à celui qui devait ressusciter d’entre les morts. Voilà qu’il est ressuscité, qu’il a parlé ; l’Église du Christ, l’Épouse du Christ n’est pas plus douteuse que n’est douteux le corps du Christ que voyaient, que touchaient ses disciples. Celui qui est ressuscité d’entre les morts nous a montré l’un et l’autre ; il nous a montré la tête, montré les membres, montré l’Époux et montré l’Épouse. Ou crois ces deux articles avec moi, ou n’en crois qu’un seul, mais pour ta damnation. Crois-tu, en effet, qu’il se soit levé d’entre les morts, et levé dans le même corps ? C’est bien ; puisqu’il a montré ses meurtrissures, puisqu’il s’est montré tel qu’il a été à la croix, et au sépulcre, tu as raison de croire ; écoute la parole de celui en qui tu as mis ta foi : « Il faut que la pénitence et la rémission des péchés soient prêchées en son nom ». Où prêchées ? Dans l’étendue des terres. Si je parlais ainsi moi-même, dans ma polémique, dans ma lutte contre les hérétiques, dans mes conflits sur une telle question, je ne pourrais parler contre les hérétiques d’aujourd’hui avec autant de précision que le Christ contre ceux de l’avenir. Que veux-tu de plus ? Où prêche-t-on la rémission des péchés au nom du Christ ? Où ? « Dans toutes les nations ». A Partir d’où ? « A partir de Jérusalem ». Entre dans la communion de cette Église. Pourquoi disputer encore ? C’est dans la Jérusalem de la terre que l’Église a pris naissance, afin de se réjouir en Dieu dans la Jérusalem céleste. Elle commence à l’une pour se terminer à l’autre. Elle sera tout entière dans la Jérusalem du ciel, mais c’est dans celle de la terre qu’elle a commencée à croire.
19. Vois dans les Actes des Apôtres, si je ne me trompe, comment les disciples étaient assemblés à Jérusalem, quand le Saint-Esprit descendit. Tu comprendras alors le sens de cette parole : « A partir de Jérusalem », quand tu verras ces mêmes hommes sur qui le Saint-Esprit est descendu[514] parlant toutes les langues. Pourquoi ne veux-tu point parler la langue de tous les peuples ? Voilà bien que toutes les langues se font entendre, ô Jérusalem. Pourquoi celui qui reçoit maintenant le Saint-Esprit ne parle-t-il point toutes les langues ? C’était alors le signe que le Saint-Esprit descendrait sur les hommes, et qu’ils parleraient la langue de tous. Que vas-tu répondre, ô hérétique ? Que l’on ne donne plus l’Esprit-Saint. Je ne demande pas où on le donne, mais le donne-t-on ? Si on ne le donne point, que prétendez-vous faire, en parlant, en baptisant, en bénissant ? Que faites-vous ? d’inutiles cérémonies ? Diras-tu qu’on le donne ? Alors pourquoi ceux qui le reçoivent ne parlent-ils point toutes les langues ? Le don de Dieu est-il en défaut, son fruit a-t-il diminué ? L’ivraie a poussé sans doute, mais aussi le froment. « Laissez croître l’une et l’autre jusqu’à la moisson[515] ». Le Sauveur n’a point dit : Que l’ivraie croisse, et que le froment diminue ; ils croissent l’un et l’autre. Pourquoi le Saint-Esprit ne se fait-il point voir dans le don des langues ? Que dis-je ? il se montre maintenant dans toutes les langues ; l’Église alors n’était point répandue par toute la terre, de manière que ses membres pussent parler chez tous les peuples. Dieu alors accomplissait dans un seul homme ce qui était annoncé pour tous. Aujourd’hui le corps du Christ parle toutes les langues, et il parlera celles qu’il ne parle pas encore ; car l’Église croîtra jusqu’à ce qu’elle occupe toutes les langues du monde. Quel n’est point l’accroissement de cette Église que vous avez abandonnée ! Possédez avec nous ce qu’elle possède, afin d’arriver avec nous jusqu’où elle doit s’étendre. Je parle toutes les langues, et j’ose bien vous dire : Je suis parmi les membres du Christ, dans l’Église du Christ ; si le corps de Jésus-Christ parle toutes les langues, je suis aussi dans toutes les langues ; je parle grec, je parle syriaque, je parle hébreux, je parle la langue de tous les peuples, parce que je suis dans l’unité de tous les peuples.
20. L’Église donc, mes frères, a commencé par Jérusalem, pour se répandre dans toutes les contrées. Qu’y a-t-il de plus clair que ces témoignages de la loi, des Prophètes, et du Seigneur lui-même ? Partout retentissent les voix des Apôtres qui rendent témoignage à notre espérance dans l’unité du corps de Jésus-Christ. Tressaillez d’être parmi le froment, supportez l’ivraie, gémissez sous le fléau, aspirez au grenier. Viendra le temps où nous nous réjouirons dans Jérusalem, dont Dieu aura fortifié les barrières. Qu’il entre, celui qui doit y entrer. Quiconque doit y entrer au grand jour, n’entre point ici sous un déguisement. Celui qui entre ici à la dérobée, demeure au-dehors ; le voilà dehors, sans le savoir : le van le lui montrera, les serrures le lui apprendront. Quiconque est maintenant à l’intérieur, vraiment à l’intérieur, y sera là d’une manière inébranlable ; celui qui est ici-bas à l’intérieur, et en souffrance, y sera là dans la joie. Car les confins de Jérusalem sont la paix, puisque Dieu u a établi la paix « sur ses frontières ». Nous aspirons maintenant à la paix que nous ne possédons qu’en espérance. Qu’est-ce, en effet, que cette paix que nous avons en nous-mêmes ? « La chair conspire contre l’esprit, et l’esprit contre la chair[516] ». Est-il un seul homme pour jouir d’une paix parfaite ? Or, quand un seul homme aura la paix parfaite, elle sera parfaite aussi pour tous les citoyens de Jérusalem. Or, quand sera-t-elle parfaite ? Quand ce corps corruptible sera revêtu d’incorruption, ce corps mortel, revêtu d’immortalité[517] ; nous aurons alors une paix entière, une paix parfaite ; rien dans l’homme ne se soulèvera contre l’âme, ni elle-même contre elle-même, puisqu’elle ne sera plus meurtrie ; elle ne souffrira ni de la fragilité de la chair, ni des nécessités du corps, ni de la faim, ni de la soif, ni du froid, ni de la chaleur, ni de la fatigue, ni de l’indigence, ni d’aucune querelle, ni même des soucieuses précautions d’éviter un ennemi et de l’aimer. Tout cela, en effet, mes frères, conspire contre nous-mêmes ; la paix est loin d’être entière, d’être parfaite. Ces cris que vous poussiez tout à l’heure, au nom de la paix, viennent du désir que vous en avez : c’est le cri d’une âme qui a besoin, mais non qui est satisfaite ; car la justice ne sera parfaite qu’avec la paix parfaite. Maintenant nous avons faim et soif de la justice « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés[518] ». Comment seront-ils rassasiés ? Quand nous jouirons de la paix. C’est pourquoi, après ces paroles : « Il a établi la paix dans tes confins » ; le Prophète ajoute : « Et il te rassasie de froment », parce que nous serons rassasiés sans éprouver aucun besoin.
21. Comme cette paix dont nous parlons, mes frères, n’est pas complètement en nous, c’est-à-dire n’est point parfaite en chacun de nous, peut-être votre âme se plaît-elle à nous écouter encore ; et pourtant, bien que le corps ne s’y refuse point, nous finirons le psaume. Je ne vous vois jamais fatigués, et néanmoins, Dieu le sait, je crains de vous être à charge ou à quelques-uns de nos frères : j’en vois plusieurs d’entre vous qui exigent de moi ce travail, et j’ai cette confiance dans le Seigneur, que mes sueurs ne seront point sans fruit. J’éprouve une grande joie, en vous voyant goûter dans la parole de Dieu un tel plaisir, que cette ardeur louable du bien, et qu’enfante le bien, l’emporte sur l’ardeur des insensés qui sont dans – l’amphithéâtre. Y pourraient-ils demeurer debout aussi longtemps ? Écoutons donc le reste, mes frères, puisque tel est votre désir. Que le Seigneur me vienne en aide, qu’il soutienne mon esprit et mes forces. Le Prophète, s’adressant à la Jérusalem du ciel, lui dit : « Il a établi la paix dans tes confins, et il te rassasie de la moelle du froment ». La faim et la soif de la justice passeront, et nous serons rassasiés. Quelle sera en effet la moelle du froment, sinon le pain qui est descendu du ciel vers nous[519] ? Comment nous rassasiera-t-il dans la patrie, celui qui nous a ainsi nourris dans notre exil ?
22. Le Prophète va nous entretenir de cet exil, d’où nous passons à cette Jérusalem, où nous chanterons le Seigneur tous ensemble, où nous bénirons le Seigneur notre Dieu, nous qui serons Jérusalem et Sion, quand les serrures de nos portes seront consolidées. Que fait pour nous, dans cet exil, celui qui nous rassasiera de la moelle du froment ? Il fait ce qui suit : « Il envoie son Verbe à la terre ». Nous sommes ici-bas dans le labeur, en butte à la fatigue, à la langueur, à la mollesse, à la tiédeur : quand nous serait-il possible de nous élever, jusqu’à nous rassasier de la moelle du froment, si Dieu n’envoyait son Verbe à cette terre, dont le poids nous accable, à cette terre qui nous empêche de retourner à la patrie ? Loin de nous abandonner au désert, il nous a envoyé son Verbe, il a fait pleuvoir la manne du ciel. « C’est lui qui a envoyé son Verbe à la terre ». Comment l’a-t-il envoyé ? quel est ce Verbe ? « Son Verbe court jusqu’à la rapidité ». Il ne dit point que ce Verbe est rapide, mais « qu’il court jusqu’à la vitesse même ». Comprenons, mes frères ; le Prophète ne pouvait choisir un terme plus propre. Avoir chaud, c’est l’effet de la chaleur ; avoir froid, l’effet du froid, et marcher rapidement, un effet de la rapidité. Mais qu’y a-t-il de plus chaud que la chaleur, qui échauffe tout ce qui est chaud, de plus froid que ce même froid que subit tout ce qui se refroidit, de plus rapide que cette rapidité que subit tout ce qui va rapidement ? On peut dire de beaucoup de choses qu’elles vont rapidement, les unes plus, les autres moins ; et une chose est plus rapide à mesure qu’elle participe plus à la rapidité. Plus sa part est grande, plus grande est sa rapidité ; moins sa part est grande, moins grande est sa rapidité. Dès lors, quoi de plus rapide que la rapidité elle-même ? Comment donc se répand cette parole : « Jusqu’à la rapidité ? » Renchéris autant qu’il te plaira sur la rapidité du Verbe ; dis, si tu le veux, qu’il est plus rapide que tel ou tel objet, plus rapide que les oiseaux, que les vents, que les anges. Y a-t-il rien qui s’élance avec rapidité, comme la rapidité elle-même ? « Jusqu’à la rapidité », dit le Prophète. Qu’est-ce, mes frères, que la vitesse ? Elle est partout, et n’est point dans quelque partie séparée. Or, c’est le propre du Verbe de Dieu, de n’être point dans quelque partie séparée, d’être partout le Verbe et par lui-même, d’être le vertu de Dieu et la sagesse de Dieu[520] avant d’avoir pris notre chair. Si nous nous représentons Dieu dans la forme de Dieu, le Verbe est égal au Père ; il est cette sagesse dont il est dit : « La sagesse atteint d’une extrémité à l’autre avec force[521] ». Quelle vitesse ! « Elle atteint d’une extrémité à l’autre avec force ». Mais c’est peut-être sans se mouvoir qu’elle y atteint. Si elle ressemblait à un vaste bloc de pierre qui occupe un espace, on dirait qu’elle atteint d’une extrémité à l’autre de cet espace, et sans mouvement. Que disons-nous donc ? Ce Verbe est-il sans mouvement, et cette sagesse est-elle stupide ? Que devient alors ce qui est dit de l’Esprit de sagesse ? Car au nombre des qualités qu’on lui donne, il est écrit qu’il est « délié, mobile, certain, incorruptible[522] ». Donc la sagesse de Dieu est mobile. Si donc elle a de la mobilité, quand elle touche un objet, n’en touche-t-elle pas un autre ? ou abandonne-t-elle celui-là pour toucher celui-ci ? Où serait alors la vitesse ? Car telle est la vitesse, qu’elle est partout en tout lieu, et renfermée nulle part. Mais pour élever jusque-là nos pensées, nous avons trop de lenteur dans l’esprit. Qui peut concevoir ces choses ? J’en ai dit, mes frères, ce que j’ai pu, si tant est que j’y aie pu comprendre quelque chose, et vous avez compris comme vous l’avez pu. Mais que dit l’Apôtre ? « Gloire à celui qui peut faire au-delà de ce que nous demandons, ou de ce que nous pouvons comprendre[523] ». Que veut-il nous montrer par là ? Que toutes les fois que nous comprenons une chose, nous ne la comprenons pas telle qu’elle est. Pourquoi ? C’est que « le corps corruptible appesantit l’âme[524] ». Donc sur la terre nous demeurons froids, tandis que la vitesse n’est que chaleur ; que tout ce qui a plus de chaleur a plus de vitesse, comme tout ce qui est plus froid est aussi plus pesant. Nous sommes lents, donc nous sommes froids. Quant à la sagesse, elle court jusqu’à la rapidité. Elle est donc toute de feu, et « nul ne se dérobe à sa chaleur[525] ».
23. Pour nous que le froid du corps a ralentis, qui ployons sous la chaîne de cette vie corruptible, n’avons-nous donc nulle espérance d’avoir notre part à ce Verbe qui court jusqu’à la vitesse ? Ou même nous aurait-il délaissés, quand le poids du corps nous entraîne si bas ? N’est-ce point ce même Verbe qui nous a prédestinés avant notre naissance en un corps lourd et mortel ? C’est donc celui qui nous a prédestinés qui a donné à la terre la neige, ou nous-mêmes. Arrivons à ces versets obscurs du psaume ; déroulons ces voiles qui les couvrent, puisque votre avidité pour la parole de Dieu s’accroît à mesure que nous vous parlons. Nous voici donc lents sur la terre, et en quelque sorte gelés ici-bas. Il en est de nous comme de la neige, qui gèle dans les hauteurs et descend en bas ; de même, à mesure que la charité se refroidit[526], la nature humaine descend sur cette terre, et sous l’enveloppe d’un corps tardif devient semblable à la neige. Mais dans cette neige il y a des fils prédestinés de Dieu. Car Dieu « donne la neige comme la laine ». Qu’est-ce à dire : comme la laine ? C’est-à-dire qu’il doit tirer parti de cette neige qu’il a donnée, de ces hommes froids et lents d’esprit qu’il a prédestinés. La laine est la matière d’un vêtement ; en voyant la laine on comprend qu’elle est destinée à vêtir. Donc parce que Dieu a prédestiné ceux qui pour un temps sont froids et rampent sur la terre, qui n’ont point encore la ferveur de l’esprit de charité (car le Prophète encore ici parle de prédestination), Dieu a fait de ces hommes une laine dont il se fera un vêtement C’est donc avec raison que, sur la montagne, les vêtements du Christ brillèrent comme la neige[527]. La robe du Christ devint blanche comme la neige, comme si déjà il se fût fait une robe de cette neige qu’il a donnée comme la laine, ou de ceux qui languissaient encore, quoique prédestinés. Mais attendez quelque peu ; vois ce qui suit : Parce qu’il les a donnés comme la laine, il s’en fait un vêtement. On dit en effet de l’Église qu’elle est la robe du Christ, comme on dit qu’elle est le corps du Christ ; de là cette parole de l’Apôtre : « Afin de faire paraître devant lui une Église pleine de gloire, sans tache et sans ride[528] ». Oui, qu’il montre devant lui une Église pleine de gloire, sans tache et sans ride ; qu’il se fasse une robe de cette laine, qu’il a prédestinée quand elle était neige encore. De ces hommes encore incrédules, froids et pesants, qu’il se fasse un vêtement, un vêtement de cette laine ; afin qu’il en lave les taches et la purifie par la foi ; et pour en effacer les rides, qu’il l’étende sur la croix. « Il donne la neige comme la laine ».
24. S’ils sont prédestinés, il faut qu’ils soient appelés. « Car il a appelé ceux qu’il a prédestinés[529] ». Comment sont-ils appelés, et tirés de la langueur de ce corps dont ils font partie, pour recouvrer la santé ? Comment sont-ils appelés ? Écoute l’Évangile : « Ce ne sont point « les justes, mais les pécheurs, que je suis venu appeler à la pénitence[530] ». Cette prédestination, quand il est neige encore, porte l’homme à connaître sa torpeur, à confesser son péché ; cette vocation l’amène à la pénitence. Dieu dès lors, « qui donne la laine comme la neige », pour s’en faire un vêtement, appelle aussi à la pénitence, et « répand les frimas comme la cendre ». Qui donc répand les frimas comme la cendre ? Celui qui donne la neige comme la laine. Il appelle à la pénitence les prédestinés, car ceux qu’il a prédestinés, dit l’Apôtre, il les a aussi appelés. Or, la cendre est le symbole de la pénitence. Écoute celui qui appelle à la pénitence, dans les, reproches qu’il fait à quelques villes : « Malheur à toi, Corozaïn ! « Malheur à toi, Bethsaïda ! Car si les prodiges accomplis au milieu de vous avaient été accomplis autrefois dans Tyr et dans Sidon, elles auraient fait pénitence dans le cilice et dans la cendre[531] ». C’est donc lui qui répand les frimas comme la cendre. Qu’est-ce à dire, qu’il répand les frimas comme la cendre ? Quand on appelle un homme à connaître Dieu, et qu’on lui dit : Goûte la vérité, il commence à vouloir goûter cette vérité, mais il n’y suffit point, il se voit dans une obscurité qu’il ne remarquait point auparavant. Ce frimas ou brouillard t’apprend d’abord que tu ne sais rien, afin de t’apprendre ce qu’il faut savoir, et de te montrer que tu es trop faible pour comprendre ce qu’il est nécessaire de connaître. Car si, nonobstant ce brouillard, tu as la présomption de croire que tu sois quelque chose, l’Apôtre te dira : « Quiconque se flatte de savoir quelque chose, ne sait pas même comment il doit savoir[532] » Tu n’as donc rien compris encore, tu es encore dans le brouillard. Mais il ne t’abandonne pas, celui qui allume pour toi le flambeau de sa chair. Pour ne pas errer dans le brouillard, suis-le par la foi. Mais parce que tu essaies de voir sans en être capable encore, repens-toi de tes péchés ; voilà que le brouillard est répandu comme la cendre. Conçois enfin un repentir de ton obstination coutre Dieu, conçois un vif regret d’avoir suivi tes voies dépravées. Tu sens combien il est difficile d’arriver à la vision bienheureuse ; et il te deviendra salutaire, ce brouillard que Dieu répand comme la cendre. Tu es encore un brouillard, mais comme la cendre ; car les pénitents se roulent dans la cendre, témoignant ainsi, mes frères, qu’ils ressemblent à cette poussière, et disant à leur Dieu : « Je ne suis que cendre ». On lit en effet quelque part dans l’Écriture : « Je me suis méprisé, et j’ai rougi de moi, en me comparant à la boue et à la cendre[533] ». Telle est l’humilité du pénitent. Quand Abraham parle à son Dieu, et qu’il veut qu’on lui découvre l’embrasement de Sodome : « Je ne suis », dit-il, « que terre et que cendre[534] ». N’est-ce point toujours cette humilité que l’on retrouve dans les grandes âmes et dans les saints ? Donc le Seigneur répand le brouillard comme la cendre ; pourquoi ? « Parce qu’il appelle ceux qu’il a prédestinés[535], lui qui n’est point « venu pour appeler à la pénitence les justes, mais les pécheurs[536] ».
25. « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain ». Il n’est pas besoin de nous fatiguer encore à expliquer ce qu’est le cristal. Nous en avons dit un mot, que sans doute votre charité n’a point oublié. Que signifie donc : « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain[537] ? » De même que la neige vient de lui parce qu’elle désigne les prédestinés ; de même que le brouillard vient de lui, parce qu’il désigne ceux qu’il appelle à la pénitence après les avoir prédestinés ; ainsi le cristal lui appartient en quelque sorte. Qu’est-ce que le cristal ? Un corps très dur, fortement congelé, et qu’on ne saurait dissoudre facilement comme la neige. Cette neige de plusieurs années, durcie pendant de longs siècles, prend le nom de cristal ; et voilà ce que Dieu envoie comme des morceaux de pain. Que veut dire tout ceci ? Des pécheurs très endurcis ne sauraient plus être comparés à la neige, mais bien au cristal ; et toutefois ils sont prédestinés et appelés, quelques-uns même l’ont été de manière à nourrir les autres, à leur être utiles. Et qu’est-il besoin de vous citer ici tel ou tel que nous connaissons ? Chacun de vous peut se rappeler combien étaient endurcis, et se roidissaient contre la vérité quelques hommes qu’il a connus, et qui prêchent aujourd’hui cette même vérité ; les voilà devenus des morceaux de pain. Quel est ce pain unique ? « Quoique nous soyons plusieurs », dit l’Apôtre, « nous ne sommes qu’un en Jésus-Christ[538]. Nous ne sommes tous qu’un seul pain, un seul corps[539] ». Si donc le corps du Christ est un seul pain, ses membres sont des morceaux de pain. Il change en ses membres quelques cœurs endurcis, qu’il fait servir à la nourriture des autres. Pourquoi chercher si loin des exemples ? Il en est un bien connu, celui de l’apôtre saint Paul. Rien n’est plus connu que ce grand homme, rien de plus doux, rien de plus familier dans les saintes Écritures. S’il en est d’autres qui soient devenus du pain après avoir été endurcis comme lui, qu’au nom de saint Paul ils vous reviennent à la mémoire comme des exemples, afin d’expliquer le sens de cette parole : « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain ». L’apôtre saint Paul était donc un cristal, un cristal dur, rebelle à la vérité, déclamant contre l’Évangile, comme pour s’endurcir contre le soleil. Il était dur ce nourrisson de la loi, disciple du docteur de la loi Gamaliel[540]. Il n’écoutait ni Moïse, ni les Prophètes, qui annonçaient le Christ. Quelle dureté ! Les nations, il est vrai, n’écoutaient point les Prophètes, n’écoutaient point Moïse, elles étaient froides, mais n’étaient pas un cristal. Il était bien plus endurci, cet homme croyant aux paroles qui annoncent le Christ, et ne croyant point au Christ qu’il avait devant lui. Donc, parce qu’il était un cristal, il paraissait net et brillant, mais il était dur et fortement congelé. Comment paraissait-il net et brillant ? « Hébreu, et fils d’Hébreux, et Pharisien en ce qui regarde la loi ». C’est l’éclat du cristal. Vois maintenant combien il est dur « Quant au zèle pour le judaïsme, persécuteur de l’Église du Christ[541] ». Il était, cet homme endurci, et plus endurci peut-être que tous les autres, il était parmi ceux qui lapidaient le martyr saint Étienne. Il gardait les habits de ceux qui le lapidaient, le lapidant ainsi par les mains de tous.
26. Nous comprenons donc, et la neige, et le brouillard, et le cristal : Dieu veuille souffler et les dissoudre. S’il ne le fait, s’il ne dissout lui-même une glace si dure, « qui pourra subsister sous la rigueur de son froid ? » En face de son froid ; du froid de qui ? de Dieu. D’où vient qu’il est le froid de Dieu ? Qu’il abandonne le pécheur, qu’il ne l’appelle point, qu’il ne lui ouvre point l’esprit, qu’il ne répande pas en lui sa grâce, que l’homme dissolve, s’il le peut, les glaces de sa folie. Il ne le peut. Pourquoi ne le peut-il ? « Qui pourra se maintenir en présence de son froid ? » Vois-le se durcir comme une glace, et dire : « Je sens dans mes membres une autre loi qui est contraire à la loi de l’esprit, et qui me retient captif sous la loi des péchés qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ? » Voilà que le froid me saisit et me glace ; quelle chaleur viendra me délier, afin de prendre ma cause ? « Qui me délivrera du corps de cette mort ? Qui pourra se maintenir en présence de son froid ? » Qui pourra se délivrer si Dieu ne le délivre ? D’où vient la délivrance ? « De la grâce de Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ[542] ». Écoute la grâce de Dieu, dans notre psaume : « Il envoie son cristal comme des morceaux de pain : qui pourra se maintenir en présence de son froid ? » Faut-il donc désespérer ? Loin de là. Car le Prophète continue : « Il enverra son Verbe, qui va les dissoudre[543] ». Arrière donc tout désespoir, et pour la neige, et pour le brouillard, et pour le cristal. La neige est en effet comme la laine dont on fait un vêtement. Le brouillard trouve le salut dans la pénitence ; puisque « Dieu appelle ceux qu’il a prédestinés[544] ». Quel que soit l’endurcissement des prédestinés, bien que le temps ait endurci leur glace, et les ait changés en cristal, ils ne seront point trop durs pour la divine miséricorde. « Dieu enverra son Verbe, qui va les dissoudre ». Qu’est-ce à dire, « les dissoudre ? » Ne donnons pas à cette expression une interprétation défavorable, elle signifie que Dieu les fondra, les rendra liquides. C’est en effet l’orgueil qui les endurcit ; et l’on donne avec raison à l’orgueil le nom d’engourdissement ; car tout ce qui est engourdi est froid. Or, les hommes qui ont ressenti un froid vif nous disent tous les jours : Je suis engourdi. Donc l’orgueil est un engourdissement. « Dieu enverra son Verbe et les fera couler ». Et de fait, des amas de neige se liquéfient et s’abaissent sous l’action de la chaleur. Le froid donc élève un monceau de neige, et l’orgueil élève les insensés. « Dieu enverra son Verbe, et les rendra liquides ». Voilà donc Saul qui est un cristal endurci après la mort et la lapidation d’Étienne ; son endurcissement le rendit insensible contre le Christ, et il vient demander aux prêtres des lettres contre les chrétiens, ne respirant que le meurtre. Le voilà endurci, c’est un glaçon en face du feu de Dieu. Quels que soient néanmoins son endurcissement et sa glace, voilà que celui qui envoie son Verbe, et qui les rend liquides, s’écrie avec feu du haut du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[545] ? » Parole unique, et néanmoins ce cristal si dur est dissous. « Il enverra son Verbe, et les rendra liquides ». Ne désespérons pas du cristal, encore moins de la neige, ou du brouillard, Non, que le cristal ne nous désespère point. Écoutez une parole de ce même cristal : « J’ai été d’abord blasphémateur, persécuteur, insulteur ». Mais pourquoi Dieu a-t-il liquéfié ce cristal ? Pour que la neige ne désespère point d’elle-même. Car le même cristal ajoute : « J’ai obtenu miséricorde, afin que le Christ fît éclater en moi toute sa patience, et que je servisse d’exemple à ceux qui doivent croire en lui pour la vie éternelle[546] ». Tel est donc le cri de Dieu aux nations : J’ai fondu le cristal, venez, ô vous qui êtes la neige. « Il enverra son Verbe, et les rendra liquides, son esprit soufflera, et les eaux couleront ». Voilà que le cristal et les neiges se dissolvent, et s’en vont en eaux ; qu’ils viennent, ceux qui ont soif, et qu’ils boivent. Saul était dur comme le cristal, et il persécuta Étienne jusqu’à la mort ; et voilà que Paul, devenu eau vive, invite les nations aux véritables sources. « Son esprit soufflera, elles eaux couleront. C’est un esprit de chaleur, et de là vient cette parole d’un autre psaume : « Seigneur, changez notre captivité, comme les torrents au souffle du Midi[547] ». Jérusalem captive à Babylone était gelée en quelque sorte au souffle du Midi ; cette glace de la captivité s’est fondue, et la ferveur de la charité s’est élancée vers Dieu. « Son esprit soufflera et les eaux couleront. Il se formera en eux une source d’eau qui jaillira jusqu’à la vie éternelle[548] ».
27. « Il annonce sa parole à Jacob, ses décrets et ses jugements à Israël[549] ». Quels décrets et quels jugements ? Il déclare que toutes les douleurs endurées par les hommes, quand ils n’étaient que neige, ou frimas, ou cristal, est le juste châtiment de leur orgueil et de leur révolte contre Dieu, Remontons à l’origine de notre chute, et voyons combien le psaume a dit vrai quand il chante : « J’ai péché avant d’être humilié[550] ». Mais celui qui dit : « J’ai péché avant d’être humilié », dit aussi « C’est pour mon bien que vous m’avez humilié, afin que j’apprenne les moyens de votre justice[551] ». Ces moyens de justice, Dieu les a enseignés à Jacob, en mettant Jacob en lutte avec un ange ; et dans la personne de cet ange le Seigneur luttait lui-même. Jacob le retint, lui fit violence pour le retenir, et parvint à le retenir en effet. Dieu se laissa retenir par miséricorde, et non par faiblesse. Jacob lutta donc, et prévalut, et retint le Seigneur : et il pria celui qu’il semblait avoir vaincu, de le bénir[552]. Quelle idée se faisait-il de cet adversaire contre qui il luttait, et qu’il retenait ? Pourquoi le retenir, et user ainsi de violence ? « C’est que le royaume des cieux souffre violence, et que les violents seuls peuvent le ravir[553] ». Pourquoi donc lutter, sinon parce qu’il faut de grands efforts ? Pourquoi ne recouvrons-nous qu’avec peine ce que nous perdons si facilement ? C’est afin que cette peine à le recouvrer nous apprenne à ne point le perdre. Que l’homme donc s’efforce de conserver ; et il sera plus ferme à conserver ce qu’il n’aura recouvré qu’avec peine. Donc le Seigneur manifesta ses desseins à Jacob, à Israël ; et pour parler plus clairement, c’est par un juste décret du Seigneur que les justes doivent subir ici-bas les fatigues, les dangers, les chagrins et les douleurs. Celui-là seul peut dire qu’il a souffert sans sujet, bien que ce ne soit pas absolument sans sujet, puisque c’était pour nous, qui seul peut dire aussi : « Je payais ce que je n’avais point enlevé[554] », qui seul peut dire : « Voici venir le prince de ce monde, et il ne trouvera rien en moi ». Comme si quelqu’un lui disait : Pourquoi donc souffrez-vous ? il ajoute : « Mais afin que tous comprennent que j’accomplis là volonté de mon Père, levez-vous, sortons d’ici[555] ». Quant aux autres, qui souffrent tous pour leurs péchés, par un juste jugement de Dieu, et quand même ils souffriraient pour la justice, qu’ils ne s’arrogent pas l’honneur de souffrir innocemment comme le Christ. Écoute l’apôtre saint Pierre « Il est temps que le jugement commence par la maison du Seigneur ». Quand il exhorte les martyrs, les témoins de Dieu, à supporter avec patience les menaces et les fureurs du monde, il leur dit : « Il est temps que le jugement commence par la maison du Seigneur ; si donc il commence par nous quelle sera la fin de ceux qui ne croient point à l’Évangile ? Si le juste est à peine sauvé, où paraîtront le pécheur et l’impie[556] ? Le Seigneur annonce à Jacob sa parole, ses décrets et ses justices à Israël ».
28. « Il n’a point traité ainsi toutes les nations ». Que nul ne vienne vous tromper ; on n’a prêché à aucun peuple ce secret de Dieu’ qui condamne à la douleur le juste et l’injuste, ni comment tous l’ont mérité, ni comment la grâce de Dieu délivre le juste, et non pas ses mérites. Que faisons-nous donc, si ce décret n’a été prêché à aucun peuple, mais seulement à Jacob, seulement à Israël ? Où serons-nous ? Dans Jacob, dans Israël. « Il ne leur a point manifesté ses jugements ». À qui ? À tous les peuples. Pourquoi toutes les neiges ont-elles été appelées après que le cristal a été fondu ? Comment toutes les nations ont-elles été appelées après que Paul a été justifié ? Comment, sinon afin qu’elles fussent dans Jacob ? On a coupé l’olivier sauvage pour le greffer sur l’olivier franc[557]. Ils appartiennent maintenant à l’olivier ; on ne doit plus les nommer les nations, mais une seule nation en Jésus-Christ, la nation de Jacob, le peuple d’Israël. Pourquoi la nation de Jacob, la nation d’Israël ? Parce que Jacob est issu d’Isaac, et Isaac d’Abraham. Or, que fut-il dit à Abraham ? « En ta postérité seront bénies toutes les nations[558] ». Cette même parole a été répétée à Isaac et à Jacob. Nous appartenons donc à Jacob, puisque nous appartenons à Isaac, nous appartenons à Abraham. Car la postérité d’Abraham, ce n’est ni moi qui le dis, ni aucun autre homme, c’est saint Paul qui le dit, cette postérité c’est le Christ. Et il ajoute : « L’Écriture ne dit point : Et dans ceux qui naîtront de vous, comme s’il y avait plusieurs ; mais elle dit, comme en parlant d’un seul : En celui qui naîtra de vous, et c’est le Christ[559] ». Si donc il n’y a qu’une seule postérité, qu’un seul Jacob, qu’un seul Israël, tous les peuples ne sont qu’un seul peuple en Jésus-Christ. Ce que Dieu a révélé à Jacob et à Israël appartient donc aux nations : et l’on doit regarder comme appartenant aux autres peuples ceux-là seulement qui refusent de croire au Christ, refusent d’abandonner l’olivier sauvage et d’être entés sur l’olivier franc. Elles demeureront dans les forêts, ces branches amères et stériles. Mais que Jacob soit dans la joie. Qu’est-ce que Jacob ? Le supplantateur, car Jacob supplanta son frère[560]. « Une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement, jusqu’à ce que soit entrée la plénitude des nations[561] ». Jacob est donc devenu Israël. Qu’est-ce à dire Israël ? Écoutons ceci, nous tous qui sommes Israël, écoutons ; soit vous qui êtes ici parmi les membres du Christ, soit ceux qui sont au-dehors, sans être dehors néanmoins, soit ceux qui sont parmi les peuples, partout au-dehors et partout à l’intérieur. Qu’Israël écoute lui-même ce Jacob devenu Israël, Que signifie Israël ? Qui voit Dieu. Où verra-t-il Dieu ? Dans la paix. Dans quelle paix ? La paix de Jérusalem ; car c’est Dieu qui a établi tes confins dans la paix. C’est là que nous louerons le Seigneur, nous tous qui ne serons qu’un seul dans un seul et pour un seul, puisque désormais nous ne serons plus dispersés.


DISCOURS SUR LE PSAUME 148 modifier

SERMON AU PEUPLE. modifier

L’ESPÉRANCE DANS L’EXIL. modifier

Le temps, qui précède Pâques, temps de pénitence, est le symbole de la vie terrestre, vie pénible, comme le temps qui suit Pâques, temps de joie, est le symbole de la vie du ciel ; de même qu’il y a en Jésus-Christ le temps de la passion et celui de la gloire. Cette vie future a pour refrain l’Alléluia que les méchants peuvent bien chanter avec nous en cette vie, mais non dans l’autre.

Louer Dieu ne se dit pas seulement de la parole, mais aussi de l’action ; et comme un mot du Maître met en moi tout un empire, ainsi le maître qui est en nous fait agir nos membres si c’est Dieu, l’action est bonne ; elle est mauvaise, si c’est le diable.

Tout d’abord, le Prophète invite les créatures du ciel. Or, parmi les créatures, les unes connaissent et aiment Dieu ; d’autres, qui sont sans intelligence, contribuent néanmoins à l’harmonie de l’univers ; et comme elles font louer Dieu, elles-mêmes louent Dieu en quelque manière. Ainsi donc, dans le ciel les esprits, sur la terre les hommes louent Dieu directement ; tandis que les animaux et les plantes sont seulement pour nous une occasion de le louer.

Ce psaume est d’Aggée et de Zacharie qui, pendant la captivité, annonçaient la fin des malheurs et prophétisaient en figure la Jérusalem d’en haut, après la captivité de cette vie pleine de misères. Qu’elles bénissent Dieu, ces créatures du ciel où règne la paix, qui sont l’œuvre de Dieu, qu’a faites le Verbe, qui sont établies pour l’éternité, et qui ont pour précepte de louer Dieu. Nous aussi nous bénirons Dieu nous en avons pour gage son amour qui l’a conduit à la mort, sa chair qui est une portion de nous-mêmes, et qui est glorifiée au ciel. Descendant sur la terre, le Prophète invite à louer Dieu les abîmes ou tout ce qui fournit des eaux dans les airs, et les contient sur la terre, ainsi que les dragons et les éléments inférieurs qui obéissent à la parole de Dieu. Arrière celui qui attribue au hasard tous les phénomènes Dieu, qui a créé l’homme, prend soin d’un faible insecte et donne à chaque contrée ce qui lui convient, le chaque demeure ses habitants. De là ces harmonies qui nous élèvent jusqu’à leur auteur.

Mais pourquoi la foudre va-t-elle frapper les montagnes, et non les voleurs ? Dieu, qui veut la conversion de tous, peut en agir ainsi pour nous ramener par la crainte. Qu’il frappe l’innocent, peu importe, puisque la mort est un bien pour l’innocent. Comment sont morts les martyrs que Dieu aimait ? Ne blâmons rien ; croyons que tout est bien, quoique nous n’en comprenions pas la raison.

Tout ce qui est dans le ciel confesse Dieu, comme tout ce qui est sur la terre ; c’est-à-dire qu’à la vue des créatures ou proclame la gloire de Dieu qui élève la force de son peuple, et cette force est le Christ qui a paru mortel ici-bas, mais qui est ressuscité pour nous ressusciter avec lui. Que tous les saints bénissent Dieu, c’est-à-dire ceux qui s’approchent de Dieu par la foi d’Abraham.


1. Notre occupation en cette vie, mes frères, doit être de louer Dieu, car cette louange du Seigneur constituera le bonheur de notre vie à venir ; et nul ne peut avoir part à cette vie future, s’il ne s’y exerce dès celle-ci. Maintenant donc nous prions Dieu, mais nous prions aussi. Louer Dieu est une joie, le prier c’est gémir. De grands biens nous sont promis, et nous ne les possédons point encore ; mais comme celui qui nous les a promis est véridique, nous nous réjouissons dans l’espérance, et comme nous ne les possédons point, nous aspirons, nous gémissons. Il nous est avantageux de persévérer dans ce désir, jusqu’à ce que les promesses que nous attendons soient accomplies, que notre gémissement soit passé, pour faire place uniquement à la louange. C’est pour désigner ces deux époques, dont l’une se passe dans les amertumes et les tribulations de cette vie, l’autre dans la sécurité, dans l’allégresse éternelle ; que nous célébrons deux temps bien différents, l’un qui précède, l’autre qui suit la fête de Pâques. Le temps qui précède Pâques est le symbole des tribulations actuelles ; le temps où nous sommes, et qui suit Pâques, est le symbole de cette félicité dont nous jouirons plus tard. Nous célébrons dès lors avant Pâques notre vie actuelle ; et après Pâques, nos fêtes sont le symbole de ce bonheur qui n’est point encore le nôtre. Aussi l’un de ces temps est-il passé dans le jeûne et la prière, et dans l’autre, nous nous relâchons de nos jeûnes, pour chanter les louanges de Dieu ; c’est ce que nous marque le cantique Alléluia, qui en latin signifie « louez Dieu », comme vous le savez. L’un de ces temps précède la résurrection du Seigneur ; l’autre la suit et nous marque la vie future que nous ne possédons pas encore : ce n’est en effet qu’après notre résurrection que nous jouirons des biens figurés par le temps qui suit la résurrection du Christ. Nous avons dans notre chef la figure de ces deux états ; et la passion du Seigneur nous montre ce qu’est pour nous la vie présente, le labeur, la peine, et à la fin la mort ; mais sa résurrection et sa gloire nous désignent celte vie qui doit être la nôtre quand il viendra pour rendre à chacun selon ses mérites, des biens aux bons, des châtiments aux méchants. Aujourd’hui, sans doute, tous les méchants peuvent chanter avec nous l’ Alléluia; toutefois, s’ils persévèrent dans leur malice, le cantique de l’ Alléluia pourra bien être sur leurs lèvres, mais ils ne pourront obtenir cette vie future qui accomplira en réalité ce que nous n’avons aujourd’hui qu’en figures, parce qu’ils n’auront pas voulu méditer avant son avènement, et posséder par avance ce qui était à venir.
2. Maintenant donc, mes frères, nous vous exhortons à louer Dieu, et c’est ce que nous nous disons mutuellement dans ce seul mot Alléluia. Louez le Seigneur, dis-tu à l’un. Louez le Seigneur, te répondra l’autre ; et s’exhorter mutuellement, c’est faire dès lors ce que l’on s’exhorte à faire. Mais louez-le de tout vous-mêmes ; c’est-à-dire, non seulement de la langue, mais de la voix, mais aussi de toute votre conscience, dans toute votre vie, dans tous vos actes. Nous louons Dieu dans l’Église, maintenant que nous y sommes assemblés ; et que chacun se retire chez soi, il semble dès lors interrompre cette louange. Mais qu’il ne cesse de bien vivre, et il ne cesse de louer Dieu. Cesser de louer Dieu, c’est t’écarter de la justice, et de tout ce qui lui plaît. Si jamais tu ne t’éloignes du bien, ta tangue peut bien se taire, mais ta vie est un chant, et Dieu a l’oreille sur ton cœur, De même, en effet, que notre oreille entend notre voix, l’oreille de Dieu entend nos pensées. Or, il est impossible que les actes d’un homme soient mauvais quand il a de saintes pensées. Car l’action vient de la pensée, et nul ne peut rien faire au-dehors ni mouvoir les membres de son corps, si la pensée ne l’a ordonné tout d’abord. Ainsi en est-il des ordres que donne l’empereur dans l’intérieur de son palais, et qui se répandent par tout l’empire romain, et s’accomplissent visiblement dans les provinces. Quel mouvement ne soulève pas la seule parole du maître assis dans son palais ? Un mouvement de tes lèvres quand il parle, met en émoi toute une province pour exécuter l’ordre donné. Ainsi chaque homme a dans soi-même un empereur qui siège dans son cœur. S’il est bon, il ordonne le bien, et le bien se fait ; s’il est mauvais, il ordonne le mal, et c’est le mal qui se fait. Que le Christ y siège, et alors que pourra-t-il ordonner, sinon le bien ? Quand le diable en est en possession, que peut-il commander autre que le mat ? Or, Dieu a voulu laisser à ton choix auquel des deux tu veux préparer une place dans ton cœur, à Dieu ou au diable. Quand tu l’auras préparée, celui qui possédera ton cœur y commandera. Donc, mes frères, ne vous en tenez pas seulement au bruit ; quand vous louez Dieu louez-le pleinement. Chantez de la voix, chantez par une vie sainte, chantez par vos actions. Et s’il est encore pour vous des gémissements, des tribulations, des épreuves, ayez l’espérance que ces maux passeront et que viendra le jour où nous bénirons tous le Seigneur. Ce psaume, qui est clair et qu’il nous faut seulement parcourir, assigne un rang à toutes les créatures qui louent le Seigneur, et les engage à le louer comme s’il les eût trouvées muettes.
3. « Louez le Seigneur du haut des cieux[562] ». Il semble que le Prophète a trouvé dans le ciel des créatures qui ne chantent point le Seigneur, et qu’il les engage à se lever pour le bénir. Et toutefois, le ciel n’a jamais interrompu ses louanges en l’honneur du Créateur, la terre n’a jamais cessé de le bénir. Il est néanmoins des créatures qui ont un esprit capable de louer Dieu, et le louent dans cet amour qui fait que Dieu leur plaît. Car nul n’a de louanges que pour l’objet de ses complaisances. Il en est aussi d’autres qui n’ont point cet esprit dc vie, cette intelligence capable de louer Dieu, mais qui sont bonnes en elles-mêmes, parfaitement placées à leur rang, et contribuent ainsi à la beauté de cet univers que le Seigneur a créé. Sans doute par elles-mêmes elles n’ont pour louer Dieu ni la voix, ni le cœur ; mais pour l’homme intelligent qui les considère, elles deviennent un sujet de louer Dieu, et par cela même qu’elles sont un sujet de louanges en l’honneur de Dieu, elles-mêmes louent Dieu en quelque manière. Ainsi, par exemple, au ciel tout ce qui a l’esprit de vie, tout ce qui jouit d’une pure intelligence, pour contempler le Seigneur, et l’aimer sans fatigue, tous ces esprits louent le Seigneur. Sur la terre, les hommes louent le Seigneur, eux qui ont reçu de lui l’intelligence pour discerner le bien et le mal, pour connaître la créature et le Créateur, la pensée pour méditer ses œuvres, les discerner, s’y complaire et les chanter. Telle est la puissance des hommes ; mais les animaux peuvent-ils rien de semblable ? S’ils avaient une intelligence comme la nôtre, Dieu ne nous dirait point : « Gardez-vous de ressembler au cheval et au mulet qui n’ont point d’intelligence[563] ». Or, nous exhorter à n’être point sans intelligence comme les animaux, c’est nous montrer qu’il en a pourvu l’homme, afin que celui-ci loue le Seigneur. Les arbres ont-ils cette vie sensitive que nous voyons chez les animaux ? Car les bêtes, quoique dépourvues de ce discernement intérieur, de cette âme intelligente et raisonnable, et dès lors impuissantes à louer Dieu à la manière de l’homme, ont néanmoins cette vie extérieure que nous connaissons tous, et qui leur fait désirer la nourriture, choisir ce qui leur est utile, repousser ce qui leur est nuisible. Ils ont les sens pour discerner ce qui est corporel, la vue pour les couleurs, l’ouïe pour la voix, le nez pour l’odeur, le goût pour les saveurs, le mouvement pour ce qui leur plaît ou leur déplaît. Voilà ce que nous comprenons, ce que nous avons sous les yeux. Elles n’ont ni la raison, ni l’intelligence ; mais elles ont un corps animé, une vie visible, vie que n’ont point les arbres, et néanmoins toutes les créatures louent le Seigneur. Comment louent-elles le Seigneur ? C’est qu’en les voyant, nous nous reportons au suprême ouvrier qui les a créées, et de là vient en nous la louange de Dieu ; or, quand on loue Dieu en considérant toutes les créatures, toutes les créatures louent Dieu. C’est donc par le ciel que commence le Prophète ; toutes les créatures louent Dieu, et il leur dit : « Louez Dieu ». Pourquoi dire « louez Dieu », puisque toutes le louent en effet ? Parce qu’il prend plaisir à ces louanges, et qu’il fait ses délices d’y joindre en quelque sorte son encouragement. De même lorsque tu arrives près de gens qui travaillent avec allégresse, soit à la vigne, soit à la moisson, ou à d’autres travaux des champs, leur travail a pour toi des charmes, et tu leur dis : Courage ! travaillez ! non pour les engager à commencer dans ce moment, mais parce que c’est pour toi un plaisir de les trouver au travail, tu y joins tes félicitations, ton encouragement. Dire, en effet : travaillez, encourager un travailleur, c’est en quelque sorte travailler avec lui. C’est donc pour nous exhorter que le Prophète, rempli de l’Esprit-Saint, nous dit ce qui suit.
4. Psaume d’Aggée et de Zacharie[564] : tel est le titre du psaume. Ces deux Prophètes, pendant la captivité du peuple juif à Babylone, annonçaient la fin de la captivité, et la reconstruction de Jérusalem[565], détruite par la guerre. Ils nous donnaient ainsi un symbole de la vie future où nous louerons Dieu après la captivité de la vie présente, quand s’effectuera le renouvellement de cette grande cité d’où nous sommes bannis, maintenant que nous soupirons dans la servitude, sous le poids et dans l’embarras d’un corps mortel ; mais ce qui nous fait soupirer dans l’exil, fera notre joie dans la patrie. Quiconque ne gémit point dans l’exil, ne goûtera point la joie du citoyen, parce qu’il n’en éprouve aucun désir. Ces deux saints Prophètes apportaient donc un grand soulagement à ce peuple captif selon la chair, c’est-à-dire tombé à Babylone sous le pouvoir de rois étrangers ; car ils annonçaient que la captivité n’aurait qu’un temps et que Jérusalem serait reconstruite. Mais tout cela se passait pour eux en figure[566] ; et pour nous, c’est une réalité : ce qui était une ombre pour les Juifs est devenu une vérité pour nous. Maintenant donc, que nous dit l’Apôtre ? « Tant que nous u sommes dans un corps, nous sommes exilés loin du Seigneur[567] ». Nous ne sommes point encore dans la patrie. Quand y serons-nous ? Quand nous aurons remporté sur le diable un triomphe complet ; quand la mort, notre dernière ennemie, sera détruite ; alors s’accomplira cette parole des Écritures : « La mort a été absorbée dans sa victoire. O mort ! où est ton combat ? ô mort ! où est ton aiguillon[568] ? » Quand donc cessera-t-elle cette guerre que nous fait la mort maintenant, qui provoque vos gémissements sur la défaillance et l’instabilité des choses humaines, sur la fragilité de notre chair ? Chaque jour il nous faut lutter contre les tentations, et lutter contre nos plaisirs ; et s’il n’y a consentement, il y a du moins peine et lutte ; et il est à craindre que celui qui lutte ne soit vaincu ; mais si nous triomphons par le refus de consentement, il nous en coûte néanmoins de résister à ces attraits. Or notre ennemi ne meurt point et ne cessera de nous faire la guerre qu’à la résurrection des morts. Mais reprenons courage, ayons confiance, voilà qu’Aggée et Zacharie nous relèvent en chantant notre délivrance future. Si leur prophétie au peuple juif est accoua plie, pourquoi ce que l’on chante aujourd’hui pour le peuple chrétien ne s’accomplirait-il point ? Soyez donc pleins d’assurance ; seulement dans cette vie d’exil voyez comment vous agissez. Loin de vous tout amour de Babylone, de peur d’oublier jamais Jérusalem. Si votre corps est retenu à Babylone, que Jérusalem possède votre cœur par avance. Que toute créature loue donc le Seigneur, puisque nous ferons alors ce que nous préméditons ici-bas.
5. « Louez le Seigneur, vous qui habitez les cieux, louez-le dans les hauteurs ». Le Prophète s’adresse aux cieux, puis il en vient à la terre, parce qu’il bénit ce Dieu qui a créé le ciel et la terre. Ce qui est du ciel est dans le calme, dans la paix ; là règne une joie sans fin ; on n’y redoute ni la mort, ni la maladie, ni le chagrin ; les bienheureux louent Dieu sans cesse. Pour nous, à la vérité, nous sommes encore sur la terre ; mais quand nous pensons de quelle manière on loue Dieu dans le ciel, élevons-y notre cœur, et qu’on ne nous dise point en vain : Les cœurs en haut. Levons en haut notre cœur, de peur qu’il ne se corrompe sur la terre, puisque notre joie est dans ce que les anges font au ciel. Soyons-y par l’espérance dès aujourd’hui, afin d’y être un jour en réalité. « Louez donc le Seigneur, vous qui êtes des « cieux ».
6. « Louez-le tous, vous qui êtes ses anges ; chantez-le, vous qui êtes ses vertus ; soleil et lune, chantez ses louanges ; vous toutes, étoiles et lumière, publiez sa gloire. « Annoncez-le, ô cieux des cieux, et que toutes les eaux qui sont au-dessus des cieux chantent le nom du Seigneur[569] ». Comment le Prophète pourrait-il inviter chacune des créatures ? Il le fait néanmoins sommairement et renferme en quelques mots toutes les créatures du ciel qui louent leur Créateur.
7. Puis, comme si on lui demandait : Pourquoi ces créatures bénissent-elles le Seigneur, que lui doivent-elles, que leur a-t-il donné, pour le louer ainsi ? il ajoute : « Car il a parlé, et voilà qu’elles ont été faites ; il a commandé, et elles ont été créées ». Rien d’étonnant que l’œuvre chante la gloire de l’ouvrier, que la créature loue le Créateur. On vient de nommer le Christ, et il semble que nous n’ayons pas entendu son nom. Qui est le Christ ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe u était Dieu : voilà ce qui était en Dieu au u commencement. Tout a été fait par lui, et rien n’a été fait sans lui[570] ». Par qui toutes choses ont-elles été faites ? Par le Verbe. Comment le Prophète nous fait-il voir que tout a été fait par le Verbe ? « Il a dit, et tout a été fait ; il a commandé, et tout a été créé ». Nul ne parle, nul ne commande que par le Verbe.
8. « Il les a établis pour toujours, et pour les siècles des siècles[571] ». Tout ce qui est céleste, tout ce qui est d’en haut, toutes les vertus et tous les anges, et cette cité supérieure, bonne, sainte et heureuse d’où nous sommes bannis, ce qui fait notre malheur, où nous devons retourner, ce qui nous fait heureux en espérance, et où nous aurons le bonheur en réalité, après notre retour : « voilà ce que Dieu a établi dans le siècle, et dans le siècle des siècles ; il en a porté le décret, et sa parole ne passera joint ». Quel est, pensez-vous, le précepte porté aux créatures célestes et aux anges ? Quel précepte le Seigneur a-t-il pu leur enjoindre ? Quel précepte, sinon de le louer ? Bienheureux esprits dont toute la tâche est de louer le Seigneur ! Ils ne labourent point, ne sèment point, n’ont aucun souci de moudre ou de faire cuire la nourriture : ce sont là des œuvres de nécessité, et la nécessité n’est point du ciel. Ils ne commettent ni vol, ni rapine, ni adultère : ce sont là des œuvres d’iniquité, et l’iniquité n’est point du ciel. Ils ne donnent point le pain à celui qui a faim, ni le vêtement à celui qui est nu, ne visitent point le malade, ne reçoivent point l’étranger, ne réconcilient point les ennemis, n’ensevelissent point les morts : ce sont là des œuvres de miséricorde, et là, il n’y a point de misère qui ait besoin de miséricorde. Bienheureux esprits, serons-nous donc ainsi un jour ? Soupirons, mes frères, et que nos soupirs deviennent des gémissements. Qui sommes-nous, pour être un jour au ciel ? Des mortels, abattus, humiliés, de la terre et de la cendre. Mais il est tout-puissant, celui qui vous a fait une promesse. À nous considérer, qui sommes-nous ? Mais à considérer l’auteur de nos promesses, il est Dieu, il est tout-puissant. Ne pourra-t-il de l’homme faire un ange, lui qui a fait l’homme de rien ? Ou bien pourrait-il mépriser l’homme, ce même Dieu qui a voulu que son Fils unique mourût pour l’homme ? Jetons, les yeux sur les signes de son amour. Tels sont les gages qu’il nous a donnés de sa promesse : c’est la mort du Christ, le sang du Christ que nous possédons. Qui donc est mort ? Le Fils unique de Dieu. Pour qui est-il mort ? Plût à Dieu qu’il fût mort pour les bons, pour les justes. Mais quoi ? « Le Christ est mort pour les impies[572] », nous dit saint Paul. Lui qui a donné sa mort pour les impies, que peut-il réserver aux justes, sinon sa vie ? Que l’homme donc se relève dans sa faiblesse, qu’il ne se détourne point de Dieu, ne se roule point dans son désespoir et ne dise point Le bonheur n’est pas pour moi, C’est Dieu lui-même qui lui a promis ce bonheur ; il est venu afin de promettre ce bonheur ; il s’est montré aux hommes, il est venu se revêtir de notre mort et nous promettre sa vie, Il est venu dans le lieu de notre exil prendre ici-bas ce que l’on trouve si abondamment ici-bas, les opprobres, les fouets, les soufflets, les crachats, les affronts, la couronne d’épines, la suspension sur le bois, la croix, la mort. Voilà ce qui abonde en cette vie, et tel est le commerce qu’il est venu y faire. Qu’a-t-il donné ici-bas et qu’y a-t-il reçu ? Il a donné l’encouragement, donné la doctrine, donné la rémission des péchés ; il a reçu les outrages, la mort, la croix. Les biens, voilà ce qu’il nous apportait du ciel ; les maux, voilà ce qu’il a enduré sur la terre, Et toutefois il nous a promis que nous serons un jour dans ce même ciel d’où il est venu, et il a dit : « Mon Père, je veux qu’ils soient avec moi, où je suis moi-même[573] ». Tel est l’amour dont il nous a prévenus, et parce qu’il a voulu être avec nous où nous sommes, nous serons avec lui où il est. O homme, chétif mortel, que t’a donc promis Dieu ? Que tu vivras éternellement. Ne le peux-tu croire ? Oh ! crois hardiment. Ce qu’il a fait dépasse de beaucoup ce qu’il a promis. Qu’a-t-il fait ? Il est mort pour toi. Qu’a-t-il promis ? Que tu vivras avec lui. Que l’Éternel soit mort, c’est plus difficile à croire qu’un mortel qui vit éternellement. Or, ce qui est le plus difficile à croire, nous en sommes en possession, Quand un Dieu meurt pour l’homme, pourquoi l’homme ne vivrait-il pas avec Dieu ? Pourquoi ne vivrait-il pas éternellement, ce mortel pour qui est mort celui qui vit éternellement ? Mais comment Dieu est-il mort, et d’où lui est venue la mort ? Un Dieu peut-il mourir ? Il a pris de toi cette chair qui lui permettait de mourir pour toi. Il n’eût pu mourir sans cette chair, il n’eût pu mourir sans un corps mortel, il s’est revêtu de ce qui lui permettait de mourir pour toi, il te revêtira de ce qui te fera vivre avec lui. Où s’est-il revêtu de la mort ? Dans la virginité de sa mère. Où te revêtira-t-il de la vie ? Dans son égalité avec le Père. C’est là qu’il s’est choisi dans la chasteté le lit nuptial où l’Époux devait s’unir à l’Épouse. Le Verbe s’est fait chair[574], afin d’être le chef de l’Église. Car le Verbe ne fait point partie de l’Église ; mais pour en devenir le chef, il s’est revêtu d’une chair. Déjà est dans le ciel cette partie de nous-mêmes, ce corps qu’il a pris ici-bas, et dans lequel il est mort, dans lequel il a été crucifié. Tes prémices t’ont déjà devancé au ciel, et tu n’oses croire que tu suivras ?
9. Que le Prophète maintenant descende vers les créatures terrestres, après avoir invité celles du ciel. « Louez le Seigneur, créatures de la terre[575] ». Où avait-il commencé plus haut ? Louez le Seigneur du haut des cieux, et alors il énumère les créatures célestes. Écoute maintenant celles de la terre : « Dragons et tous les abîmes ». Les abîmes sont de grandes profondeurs d’eau : on nomme abîmes toutes les mers, et cet air où se forment les nuages. Ce vaste champ des nuages, des vents, des tempêtes, des pluies, des éclairs, du tonnerre, de la grêle, des neiges, et tout ce qu’il plaît à Dieu d’envoyer sur la terre du haut de cet air ténébreux et humide, tout cela s’appelle terre, parce qu’il est changeant et périssable. À moins que vous ne pensiez que la pluie se forme au-dessus des étoiles. Tout cela néanmoins se produit tout près de la terre. Il arrive quelquefois que des hommes s’élèvent sur de hautes montagnes, et voient les nues au-dessous d’eux et la pluie se former à leurs pieds ; et quand on considère attentivement tous ces phénomènes que produit le trouble des airs, on reconnaît que tout cela se forme dans cette basse région du monde. Aussi ce fut à ces ténèbres, ou à ces régions de l’air comme à une prison, que fut condamné le diable précipité des hautes régions des anges avec tous ses complices. Voici ce que dit l’Apôtre à son sujet : « Selon le prince des puissances de l’air, qui exerce maintenant son pouvoir sur les enfants de rébellion[576] ». Un autre Apôtre a dit : « Si Dieu n’a point pardonné aux anges qui ont péché, s’il les a précipités dans les prisons d’un enfer ténébreux, se réservant de les punir au dernier jugement[577] » ; il nomme alors enfer la partie inférieure de la terre. Sans nous arrêter en effet à ce qu’a reçu le diable, voyons ce qui l’a perdu. Toutes ces choses donc que vous voyez telles qu’elles, troublées, inconstantes, effrayantes, corruptibles, ont cependant leur place, leur ordre dans cet univers, contribuent pour leur part à sa beauté, et dès lors bénissent le Seigneur. C’est pourquoi le Prophète les prend à partie et les exhorte à louer Dieu, ou plutôt c’est nous-mêmes qu’il exhorte à le bénir par la considération de ces choses ; car elles louent le Seigneur en portant à le louer ceux qui les considèrent. « Louez Dieu, créatures de la terre », dit le Prophète, « dragons et tous les abîmes ». Les dragons se tiennent le long des eaux, s’élancent de leurs cavernes, rôdent dans les airs qu’agitent leurs mouvements. Ce sont d’effroyables bêtes, la terre n’en a pas de plus grandes. Aussi le Prophète commence par ces créatures : « Dragons et tous les abîmes ». Il y a comme des cavernes ou amas d’eaux cachées, d’où s’élancent les fontaines et les fleuves ; les uns sortent pour couler sur terre, et d’autres coulent invisiblement sous terre. Toutes ces eaux, tous ces éléments humides, avec les mers et les couches inférieures de l’air, prennent le nom d’abîmes ; c’est là qu’habitent les dragons qui louent le Seigneur. Croirons-nous cependant qu’ils forment des concerts pour louer Dieu ? Loin de là. Mais vous qui considérez les dragons et vous reportez à Celui qui les a formés, au créateur des dragons, vous vous écriez en admirant leurs vastes proportions : Combien est grand le Dieu qui a fait ces choses ; et les dragons empruntent vos voix pour louer le Seigneur. « Dragons et tous les abîmes ».
10. « Feu, grêle, neige, tourbillons et tempêtes, qui obéissent à sa parole[578] ». Pourquoi ajouter : « qui obéissent à sa parole ? » Des hommes légers, incapables de méditer et de comprendre que toute créature, en son lieu et en son rang, ne peut agir que sous la dépendance et par l’ordre de Dieu qui règle ses mouvements, se sont imaginé que Dieu gouverne seulement les créatures célestes, abandonnant avec dédain les créatures inférieures, qu’il laisse aller au hasard comme elles peuvent et où elles peuvent. Ils se tiennent un langage qui les persuade ; mais pour toi, ferme tes oreilles, c’est-à-dire ne te laisse point persuader par des paroles qui sont des blasphèmes et des outrages envers Dieu. Si la pluie venait de Dieu, nous disent-ils, tomberait-elle sur la mer ? Où serait sa Providence, de faire pleuvoir sur la mer, quand la Gétulie est desséchée ? Ils se croient habiles en parlant ainsi ; et nous pouvons leur répondre : Que la Gétulie ait soif, toi du moins tu n’as pas soif. Et néanmoins il serait bon pour toi de dire : « Mon âme sans vous est comme une terre sans eau »[579], ou comme il est dit plus clairement ailleurs : « Mon âme a soif de vous, et ma chair se dessèche dans ce désir[580] ». Et le Seigneur dans l’Évangile : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés[581] ». Or, celui qui nous tient ce langage impie est déjà rassasié ; il se croit savant, ne veut rien apprendre et montre qu’il n’a point soif. S’il avait une véritable soif, il chercherait à s’instruire, et comprendrait que rien ne se fait sur la terre sans la providence de Dieu ; il admirerait jusqu’à l’économie des membres d’un puceron. Que votre charité veuille bien écouter. Qui a disposé les membres d’un insecte et d’un moucheron, de manière à leur assigner une place, à leur donner une vie et un mouvement propres ? Prends et considère le plus chétif insecte, aussi petit que tu le voudras ; vois, si tu peux le comprendre, et l’ordre qui règne dans ses membres, et cette vie qui l’anime et le fait mouvoir ; de lui-même il évite la mort, il aime la vie, il recherche le plaisir, évite la douleur, s’agite en différentes manières et déploie de la vigueur dans le mouvement qui lui est propre. Qui a donné au cousin la trompe par où il suce notre sang ? Qui comprendra la délicatesse de ce canal qui le nourrit ? Qui a disposé tout cela ? Qui l’a créé ? Tu es effrayé de ces frêles ouvrages ; loue celui qui est grand. Demeurez donc fermes dans ces principes, mes frères : que nul ne vous fasse dévier de la foi, de la saine doctrine. Celui qui a fait l’ange dans le ciel, a fait aussi le vermisseau sur la terre ; mais l’ange dans le ciel pour habiter les régions célestes, et le vermisseau sur la terre pour demeurer dans ces terrestres régions. A-t-il fait l’ange pour ramper sur la terre, et le vermisseau pour planer dans les cieux ? À chaque demeure il a assigné ses habitants, aux créatures incorruptibles une demeure incorruptible, et aux créatures corruptibles un lieu sujet à la corruption. Considère toutes choses, et loue le monde entier. Et celui qui a mis en ordre les membres d’un vermisseau, ne gouverne point les nuées ? Et pourquoi, nous dit-on, pleut-il dans la mer ? comme s’il n’y avait pas dans la mer des créatures que nourrit la pluie, comme si Dieu n’y avait point mis des poissons, n’y avait point mis des animaux. Voyez comme les poissons accourent à l’eau douce, Et pourquoi, diras-tu encore, pleut-il pour le poisson, quand il ne pleut jamais pour moi ? Afin que tu comprennes que tu es dans une terre déserte, dans l’exil : afin que l’amertume de la vie présente te fasse désirer la vie à venir ou plutôt afin que tu sois de la sorte et flagellé, et châtié, et redressé. Comme Dieu a assigné à chaque région des biens spéciaux ! Nous avons parlé de la Gétulie ; eh bien ! il pleut ici à peu près chaque année, et chaque année aussi nous avons du blé que l’on ne saurait conserver et qui se corrompt très rapidement, parce qu’il en vient chaque année ; tandis que là où il vient rarement, il vient en abondance et se conserve longtemps, Mais croiras-tu que Dieu ait abandonné ces contrées, qu’il n’y ait pas mis des joies, de manière que les habitants ne puissent et louer et bénir le Seigneur ? Va chercher un Gétule, amène-le dans nos riants bosquets, il voudra s’enfuir et retourner dans son aride Gétule. Ainsi Dieu a distribué dans chaque pays, dans chaque région, et dans chaque saison, ses dons particuliers. Il serait long de considérer plus attentivement chacune des créatures. Qui pourrait en donner le détail ? Celui dont Dieu a éclairé les yeux y découvrent des beautés dont l’aspect les ravit, et ce ravissement les porte non point à chanter ces beautés, mais celui qui en est l’auteur ; et ainsi toutes les créatures chantent les louanges de Dieu.
11. C’est dans cette vue que, après avoir invité à bénir le Seigneur, et le feu et la neige, et la glace, et l’esprit des tempêtes, phénomènes qui sont aux yeux des insensés le résultat d’un trouble, et amenés par le hasard, le Prophète ajoute : « Qui obéissent à sa parole ». Loin de toi donc de croire que soient nues par le hasard ces créatures qui obéissent à la parole de Dieu dans tous leurs mouvements. Où il plaît à Dieu, c’est là que le feu luit, que se portent les nuées, que tombent la pluie, la neige et la grêle. Pourquoi la foudre s’en va-t-elle frapper les sommets des montagnes sans frapper un voleur ? Je ne puis répondre à cela que selon mes faibles lumières, et autant que Dieu me le permettra. Que de plus éclairés en comprennent davantage, en disent davantage, et fasse le Seigneur que vous en compreniez plus que je n’en dirai, sans orgueil toutefois et avec modération ! Tout ce que je puis dire à propos de cette difficulté, pourquoi Dieu frappe les montagnes sans frapper les voleurs, c’est qu’il attend peut-être la conversion de ces voleurs, et il frappe la montagne qui est sans crainte, afin de changer l’homme par la crainte. Toi-même, quelquefois pour corriger un enfant, tu frappes la terre pour l’épouvanter. Quelquefois néanmoins Dieu frappe l’homme quand il le juge convenable. Mais, me diras-tu, il frappe l’innocent et épargne le coupable. Ne t’en trouble point. Peu importe d’où vienne la mort, elle est bonne pour l’homme juste. Mais d’où saurais-tu ce que Dieu prépare de peines à ce scélérat, s’il ne se convertit ? N’aimeraient-ils pas mieux périr d’un coup de tonnerre, ces hommes qui s’entendront dire au dernier jour : « Allez au feu éternel[582] ? » L’important pour toi, c’est l’innocence. Est-ce un mal de mourir dans un naufrage, un bien de mourir de la fièvre ? De quelque manière que meure un homme, vois dans quel état il meurt, où il doit aller en mourant, et non par quelle porte il sort de la vie. Peu importe de quelle façon il nous faudra sortir du monde. Par quelle fin les martyrs ont-ils mérité de s’en aller ? Sont-ils morts de la fièvre, comme tant d’autres voudraient mourir ? Pour les uns c’est le glaive, pour d’autres c’est le feu, pour d’autres encore c’est la dent des bêtes qui leur a donné ta mort. Les bêtes ont dévoré les corps de ces martyrs, qui n’ont pas craint néanmoins que leurs corps périssent. Dieu, qui a compté les cheveux de notre tête[583], saura bien un jour réunir les corps de ses saints, quelque part qu’ils soient. Selon sa volonté, il délivra les trois enfants de la fournaise[584]. Abandonna-t-il pour cela les Macchabées dans les flammes[585] ? Il délivra les uns avec éclat, et couronna les autres en secret. Dieu sait donc ce qu’il fait. Pour toi, crains et sois bon. De quelque manière qu’il te veuille tirer d’ici-bas, qu’il te trouve prêt. Car tu n’es ici qu’un étranger[586], et non le possesseur de la maison. Cette maison t’a été louée ; oui, elle t’a été louée et non donnée, tu en sortiras en dépit de tes efforts : elle ne t’est point concédée avec cette condition que tu auras un temps assuré pour l’habiter. Que t’a dit le Seigneur ? Sois prêt, quand il me plaira de te dire Va-t’en ; je te fais sortir du logement temporaire de l’étranger, mais c’est pour t’assurer une demeure ; tu es un hôte sur la terre, sois en possession du ciel.
12. Sachons-le donc bien, tout ce qui nous arrive contre notre volonté, ne nous arrive que par la volonté de Dieu, par la sage disposition de la providence, par ses décrets, par ses lois ; et quand même nous ne pourrions comprendre pourquoi telle chose arrive, rendons au moins cet hommage à la providence, que rien n’arrive sans cause, et alors nous serons loin de tout blasphème. Quand nous commençons à raisonner sur les œuvres de Dieu, à dire : Pourquoi ceci ? pourquoi cela ? voici qui ne devrait pas être, voilà qui est mal ordonné ; où est donc la louange de Dieu ? Tu as perdu l’Alléluia. Considère toutes les créatures de manière à plaire à Dieu, et à louer le Créateur. Si tu entrais dans l’atelier d’un forgeron, tu n’oserais blâmer, ni soufflets, ni marteaux, ni enclumes ; mais un ignorant qui n’en connaît pas l’usage blâme tout ce qu’il rencontre. Qu’il ait, au contraire, non pas sans doute la science de l’ouvrier, mais le bon sens ordinaire, que dira-t-il en lui-même ? Ce n’est point sans motif que les soufflets sont placés ici, le forgeron en connaît la cause, bien que je l’ignore. Il n’osera donc rien blâmer dans l’échoppe d’un artisan, et il ose blâmer Dieu dans la création du monde. De même alors que « le feu, la grêle, la neige, la glace et l’esprit des tempêtes suivent la parole de Dieu » ; ainsi tout ce que de vains esprits attribueront au hasard dans la création, ne fait que la parole de Dieu, parce que rien n’existe que d’après son précepte.
13. Le Prophète exhorte ensuite à louer le Seigneur, « les montagnes et les collines, les arbres à fruits et les cèdres, les bêtes sauvages et les troupeaux, les reptiles et les oiseaux », Puis il en vient aux hommes : « Que les rois de la terre, que tous les peuples et tous les juges de la terre, que les adolescents et les vierges, et les enfants et les vieillards, bénissent le nom du Seigneur[587] » Il a donc chanté la gloire de Dieu dans le ciel, la gloire de Dieu sur la terre.
14. « Parce qu’il n’y a que son nom qui soit grand[588] ». Que l’homme ne cherche point à grandir son nom. Veux-tu être élevé ? Soumets-toi à celui qui ne saurait être abaissé. Il est le seul dont le nom soit grand.
15. « Sa confession subsiste sur la terre et dans le ciel[589] ». Qu’est-ce à dire que « sa confession subsiste sur la terre et dans le ciel ? » Que lui-même se confesse ? Point du tout, mais que toutes les créatures le confessent, que toutes le proclament ; que leur beauté devient chez elles une sorte de concert à la louange du Seigneur. Le ciel crie à Dieu C’est vous qui m’avez fait, et non moi. La terre crie à Dieu : C’est vous qui m’avez faite, et non moi. Comment ces créatures peuvent-elles crier ? Lorsqu’on les considère, et qu’on trouve qu’il en est ainsi, elles crient dans ta considération, elles crient par ta voix. « La confession est sur la terre et dans le ciel ». Considère le ciel, il est beau ; considère la terre, elle est belle ; l’un et l’autre ont une admirable beauté. C’est lui qui les a faits, lui qui les conduit, qui les gouverne par sa sagesse ; c’est lui qui fait que le temps passe, que les moments se succèdent ; c’est par lui que tout se répare. Toutes les créatures le louent, soit dans le repos, soit dans le mouvement, soit ici-bas sur la terre, soit dans les hauteurs des cieux, soit qu’elles vieillissent ou qu’elles se renouvellent. À la vue de ces créatures, tu es ravi, tu t’élèves jusqu’au Créateur, la vue des créatures visibles t’élève jusqu’aux créatures invisibles[590]. Alors « sa confession est sur la terre et aussi dans le ciel », c’est-à-dire que tu chantes sa gloire dans les choses de la terre, sa gloire encore dans les choses du ciel. Or, comme il a fait toutes choses, et que rien ne lui est supérieur, toutes ses créatures sont au-dessous de lui ; et tout ce qui pourrait te plaire en elles est bien inférieur à lui-même. Que ses œuvres te plaisent donc, mais sans te séparer de lui-même, et si tu aimes l’œuvre, aime bien plus celui qui l’a faite. Si ses œuvres sont belles, combien est plus grande la beauté du Créateur ? « On proclame sa gloire sur la terre et dans le ciel ».
16. « Et il élèvera la force de son peuple ». Voilà ce que prédisaient Aggée et Zacharie. Cette force de son peuple est maintenant abaissée par les persécutions, par les épreuves, par la componction des cœurs ; mais quand élèvera-t-il la force de son peuple ? Quand viendra le Seigneur lui-même, quand se lèvera le soleil de justice ; non point ce soleil qui apparaît à nos yeux, qui se lève sur les bons et sur les méchants[591] ; mais ce soleil dont il est dit : « Pour vous qui craignez Dieu, se lèvera le soleil de justice, et le salut sera sous ses ailes[592] ». C’est de lui que les orgueilleux et les impies diront un jour : « La lumière de la justice n’a point lui pour nous, et le soleil ne s’est point levé à nos yeux[593] ». Cette lumière sera l’été pour nous, Maintenant, pendant l’hiver, les fruits n’apparaissent point dans la racine, l’hiver nous fait paraître les arbres comme stériles. Quiconque ne sait pas voir les choses pourrait croire que la vigne est morte ; qu’un cep soit réellement desséché, il ressemble en hiver absolument à son voisin ; et pourtant l’un est mort, l’autre en vie ; mais la vie de l’un comme la mort de l’autre demeurent cachées. Or, voici l’été, qui fait ressortir dans l’un, une vie luxuriante, et dans l’autre une mort indubitable : l’un se couvre fièrement de feuilles et de fruits abondants, il se pare au-dehors de ce qui était caché dans sa racine. Nous ressemblons donc, mes frères, au reste des hommes qui naissent, qui mangent, qui boivent, qui se couvrent de vêtements, qui passent ainsi cette vie ; il en est de même des saints. Voilà ce qui jette souvent dans l’erreur des hommes qui disent : Depuis qu’il s’est fait chrétien, est-il délivré de sa migraine ? Ou bien, quel avantage a-t-il sur moi depuis qu’il est chrétien ? O vigne desséchée ! tu ne vois qu’avec dédain cette autre vigne que l’hiver a dépouillée, mais non desséchée. L’été viendra, le Seigneur viendra, lui qui est notre gloire et qui était caché dans la racine ; et alors « il élèvera la puissance de son peuple » après cette captivité, dans laquelle nous vivons pour mourir. De là cette parole de l’Apôtre : « Ne jugez point avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur, qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres ; et alors chacun recevra de Dieu sa louange[594] ». Mais, diras-tu, où donc est ma racine ? où est mon fruit ? Si tu as la foi, tu sais où est la racine ; car elle est où est ta foi, où est ton espérance, où est ta charité. Écoute l’Apôtre : « Vous êtes morts[595] », disait-il à ceux qui paraissaient morts pendant l’hiver ; apprends néanmoins qu’ils vivent : « Et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ ». C’est là que j’ai ma racine. Quand donc seras-tu paré de tes ornements, enrichi de tes fruits ? Écoute saint Paul qui le dit dans la suite : « Quand apparaîtra le Christ qui est votre vie, alors vous apparaîtrez avec lui dans la gloire[596] ; et il élèvera la puissance de son peuple ».
17. « Que tous ses saints le chantent dans leurs hymnes ». Connaissez-vous l’hymne ? C’est un cantique en l’honneur de Dieu. Louer Dieu, sans aucun chant, ce n’est point une hymne : chanter sans louer Dieu, n’est point une hymne ; louer quelque chose autre que Dieu, de quelque chant que l’on puisse accompagner cette louange, ce n’est point une hymne encore. Une hymne a donc ces trois conditions, qu’elle est un chant, une louange, et louange en l’honneur de Dieu, Un cantique en l’honneur de Dieu est donc une hymne. Or, que signifie cette parole : « Hymne à tous les saints ? » Que tous les saints du Seigneur lui chantent des hymnes, qu’ils fassent retentir ses louanges. C’est là ce qu’ils recevront de Dieu au dernier jour, une hymne éternelle. De là cette autre parole du psaume : « Le sacrifice de louanges est le culte qui m’honore, telle est la voie où je lui montrerai mon salut[597] ». Et encore « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles[598] ». Telle est l’hymne pour tous les saints. Quels sont les saints de Dieu ? « Les fils d’Israël, le peuple qui s’approche de lui ». Que nul ne dise : Je ne suis point entant d’Israël. Ne vous imaginez point que les Juifs seront enfants d’Israël, et non point nous. J’ose vous dire au contraire, que nous sommes les enfants d’Israël, et non les Juifs. Écoutez pourquoi : c’est que l’enfant né selon l’esprit est plus grand que l’enfant né selon la chair. Or, d’où est issu Israël ? D’Abraham. Car Isaac est né d’Abraham, et Israël d’Isaac. Comment Abraham se rendit-il agréable à Dieu ? « Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice[599] ». Quiconque dès lors imite Abraham dans sa foi, devient fils d’Abraham ; quiconque dégénère de la foi d’Abraham, est déchu de sa postérité. Les Juifs qui ont dégénéré de sa foi, ont perdu le droit d’être ses enfants, et nous en imitant sa foi, nous avons acquis ce même droit. Sache bien qu’ils l’ont perdu. Que leur répond le Sauveur quand ils disent : « Nous sommes fils d’Abraham[600] ? » Ils osent bien se vanter et lever la tête à propos de cette noble descendance d’un juste ; mais que leur dit le Seigneur : « Si vous étiez fils d’Abraham, vous en feriez les œuvres[601] ». Si donc ils ont perdu l’honneur d’être enfants d’Abraham, nous avons acquis ce même honneur ; et nous avons acquis par notre foi ce que leur incrédulité leur a fait perdre. Parce qu’Abraham crut à Dieu, sa foi lui fut imputée à justice. Or, la postérité d’Abraham c’est le Christ[602], et nous sommes dans le Christ ; d’Israël naquit un peuple, d’où est venue Marie, et de Marie est né le Christ, et nous qui sommes dans le Christ, nous sommes donc fils d’Israël. Qu’ajoute le Prophète pour nous distinguer des Juifs ? « Aux fils d’Israël, au peuple qui s’approche de Dieu ». Voyez les Juifs : s’ils s’approchent de Dieu, c’est d’eux qu’il est question. Mais peut-être s’en approchent-ils, me dira quelqu’un ; car eux aussi chantent des psaumes, ils chantent des hymnes à Dieu. N’entendez-vous point ce que dit le Prophète : « Voilà un peuple qui m’honore des lèvres, mais leur cœur est loin de moi[603] ? » Si donc leur cœur est loin de Dieu, et si notre cœur est près de Dieu, parce que nous croyons, parce que nous espérons, parce que nous aimons, parce que nous sommes unis au Christ, parce que nous sommes devenus ses membres ; est-ce que les membres sont séparés du chef ? S’ils étaient éloignés, ils seraient divisés, et cette parole ne serait plus vraie : « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles[604] ». S’ils étaient séparés du chef, il ne dirait point du haut du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[605]? » S’il n’était point en nous, il ne dirait point : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ». Et quand on lui dit : « Où donc vous avons-nous rencontré ayant faim ? » il ne répondrait pas : Quand vous l’avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait[606] ». Voilà Israël, voilà le peuple qui s’approche de Dieu, qui s’unit à lui maintenant dans l’espérance, et plus tard en réalité.


DISCOURS SUR LE PSAUME 149 modifier

SERMON AU PEUPLE. modifier

LE NOUVEAU CANTIQUE OU L’ÉVANGILE. modifier

Ce cantique nouveau du psaume est le Nouveau Testament avec ses promesses spirituelles, comme le vieux cantique est l’Ancien Testament avec ses promesses temporelles. L’amour seul est toujours nouveau et toujours ancien, parce qu’il est le Verbe de Dieu, qui ne vieillit point. L’homme vieillit par le pêché, la grâce le rajeunit. Chantons ce cantique, mais par Ioule la terre ; chantons, non seulement de la voix, mais de la pensée qui se manifeste par toutes les œuvres, comme celle des loups revêtus de la peau des brebis. Chantons ce cantique par tonte la terre, dont nul ne doit se séparer, autrement il ne serait pas le froment ; sortir de l’aire est le fait de la paille. C’est le Seigneur qui sème le bon grain, l’ennemi l’ivraie ; car ils doivent croître jusqu’à la moisson. Le champ du Seigneur c’est le monde, c’est l’assemblée des saints, autrefois prophétisée, maintenant accomplie. Israël, ou celui qui voit Dieu, doit tressaillir dans le Seigneur, et, comme Dieu est charité, aimer Dieu c’est le voir, c’est être Israël. Nous devons nous réjouir en Dieu, et non dans tel ou tel homme ; en notre roi qui est le Christ, parce qu’il a vaincu le diable ; qui est notre prêtre, puisqu’il s’est offert pour nous, qui n’avions aucune hostie pure.

Chantons et chantons en chœur, c’est-à-dire eu accord, et sur les tambours et sur le psaltérion, en accompagnant la voix de la main, ou plutôt des œuvres. Le tambour est une peau tendue ; le psaltérion est fait de cordes tendues aussi, ce qui désigne la mortification de la chair. Le Seigneur nous a comblés de faveurs en nous appelant à la gloire, en nous soutenant dans le combat. Les saints tressailliront dans leur gloire, parce qu’ils recherchent les applaudissements de Dieu seul, et non ceux des hommes, comme ces fous qui revêtirent un comédien et non tes pauvres de Jésus-Christ ; ils tressailliront dans leur lit de repos ou dans leur conscience, mais avec l’humilité de la crainte. Cette framée à deux tranchants est ta parole de Dieu qui règle les intérêts des temps et ceux de l’éternité, qui sépare le saint de l’impie, établissant aussi deux Testaments ; elle est aux mains des saints qui peuvent la prêcher, ou la prêcher et l’écrire. Avec ce glaive les saints tuent dans l’homme le païen pour faire le chrétien, comme Saut mourut pour foire place à Paul. Les rois, en devenant chrétiens, ont mis leurs pieds dans les entraves des préceptes de l’Évangile, ils se sont imposé des chaînes qui leur défendaient de faire ce qu’ils pouvaient ; chaînes de fer qui commencent par la crainte pour nous conduire au collier d’or de la sagesse ; chaînes de fer dans l’inviolabilité du mariage. Tel est le jugement que les saints accomplissent par leurs prédications.


1. Louons Dieu, mes frères, et par la voix, et par l’intelligence, et par les bonnes actions ; et d’après l’exhortation du psaume, chantons-lui un cantique nouveau. Car c’est ainsi qu’il commence : « Chantez au Seigneur un nouveau cantique[607] ». Le vieux cantique est celui du vieil homme, le nouveau cantique, celui de l’homme nouveau. Au vieux Testament le vieux cantique ; au nouveau Testament le nouveau cantique ; comme au vieux Testament les promesses temporelles et terrestres. Quiconque aime les choses d’ici-bas, aime le vieux cantique ; pour chanter le cantique nouveau, il faut aimer les choses de l’éternité. Quant à l’amour lui-même, il est nouveau et néanmoins éternel ; dès lors qu’il ne vieillit point, il est toujours nouveau. À le bien considérer, il est ancien, et dès lors comment peut-il être nouveau ? Quoi donc, mes frères, la vie éternelle a-t-elle commencé tout récemment ? La vie éternelle, c’est le Christ, et, comme Dieu, le Christ n’a point commencé ; car, « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; voilà ce qui était en Dieu au commencement. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait[608] ». Si les choses faites var lui sont anciennes, que peut être celui qui les a faites ? Que peut-il être, sinon éternel et coéternel au Père ? Mais nous qui sommes tombés dans le péché, nous tombons aussi dans la vieillesse. Car c’est nous qui parlons dans ce même psaume, où il est dit avec gémissement : « J’ai vieilli au milieu de mes ennemis[609] ». L’homme est vieilli par le péché, il est rajeuni par la grâce. Qu’ils chantent dès lors un cantique nouveau, ceux qui sont renouvelés dans le Christ, commençant ainsi d’appartenir à la vie éternelle.
2. Et ce cantique est celui de la paix, le cantique de l’amour. Quiconque se sépare de l’assemblée des saints, ne chante pas le cantique nouveau. Il s’attache en effet à la haine qui est antique, et non à l’amour qui est nouveau. Que trouvons-nous dans l’amour nouveau, sinon la paix, le lien d’une société sainte, une union spirituelle, un édifice de pierres vivantes ? Où rencontrer cela ? Non point dans un seul endroit, mais dans l’univers entier. Écoute à ce sujet un autre psaume : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau ; toute la terre, chantez au Seigneur[610] ». De là nous pouvons comprendre que celui qui ne chante pas avec toute la terre, ne chante point un cantique nouveau, quelles que soient les paroles qui sortent de sa bouche. À quoi bon écouter le son de la voix, quand je connais la pensée ? Mais vous, dira-t-on, connaissez-vous la pensée ? Les actes me l’apprennent. Qu’un homme soit surpris en flagrant délit de vol, d’homicide, d’adultère, sans voir ses pensées dans son cœur, on les connaît par ses actes. Il est beaucoup de pensées qui demeurent dans notre intérieur ; mais il en est beaucoup qui passent dans nos œuvres, et qui deviennent évidentes pour les hommes. Pour ces hommes qui ont brisé avec le Christ les liens de la charité, quand ils n’étaient corrompus qu’à l’intérieur, Dieu seul les connaissait. Mais l’épreuve est survenue, les a séparés et a montré aux hommes ce qui n’était connu que de Dieu. Ou ne juge du fruit que par les œuvres. De là cette parole de l’Évangile « Vous les connaîtrez à leurs fruits[611] ». Ainsi disait le Seigneur, à propos de ceux qui revêtent la peau des brebis, et qui ne sont à l’intérieur que des loups ravissants ; et de peur que l’humaine fragilité ne nous empêche de reconnaître le loup sous la peau d’une brebis, le Sauveur ajoute : « Vous les « connaîtrez à leurs fruits ». Nous cherchons le fruit de la charité, et nous trouvons les épines de la division. « Vous les connaîtrez à leurs fruits ». Leur cantique est donc l’ancien, chantons le cantique nouveau. Nous vous l’avons dit déjà, mes frères, toute la terre chante le nouveau cantique. Quiconque ne chante point le nouveau cantique avec toute la terre, pourra chanter ce qu’il voudra, sa langue pourra proférer l’ Alléluia; qu’il le chante, et le jour et la nuit, mes oreilles ne s’arrêteront point au bruit de ses chants, je m’arrêterai à ses œuvres. Que j’interroge l’un d’eux, que je lui dise : Quel est ton chant ? Alléluia, me répond-il. Que signifie Alléluia ? Louez le Seigneur. Viens, louons le Seigneur ensemble. Si tu loues le Seigneur, moi aussi je loue le Seigneur ; pourquoi serions-nous en désaccord ? La charité loue le Seigneur, la discorde lui jette le blasphème.
3. Et voulez-vous savoir où vous devez chanter ce nouveau cantique ? Voyez où s’accomplit et comment s’accomplit ce que va dire le Psalmiste ; voyez si c’est dans toute la terre, ou seulement dans une partie du monde, et vous jugerez mieux ensuite à qui appartient le nouveau cantique. Vous savez déjà ce que je viens de citer d’un autre psaume : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau ». Et pour vous montrer qu’il y a dans ce cantique nouveau un fruit de la charité et de l’unité, le Prophète ajoute : « Que toute la terre chante au Seigneur ». Que nul ne se sépare, que nul ne se divise ; si tu es froment, supporte la paille jusqu’à ce qu’elle soit vannée. Pourquoi veux-tu sortir de l’aire ? Fusses-tu le plus noble froment, si tu es en dehors de l’aire, les oiseaux te trouveront et t’amasseront[612]. Ajoute à cela que sortir de l’aire et t’envoler prouve que tu n’es que paille, et à cause de cette légèreté, le vent est venu t’enlever de dessous les pieds des bœufs. Ceux, au contraire, qui sont le bon grain, souffrent qu’on les foule : ils se réjouissent d’être le froment, gémissent parmi la paille, attendent celui qui doit vanner, qu’ils regardent comme le Rédempteur. « Chantez au Seigneur un nouveau cantique ; sa louange est dans l’Église des saints ». Or, cette Église des saints est l’Église du froment répandu dans le monde entier, et semé dans le champ du Seigneur qui est le monde comme nous l’expose Jésus-Christ, quand il nous dit, à propos du semeur, « qu’un homme sema du bon grain dans son champ, et que l’ennemi vint et y sema de l’ivraie ; et les serviteurs dirent au père de famille : N’avez-vous pas semé de bon grain dans votre champ ? d’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ? Il répondit : C’est l’ennemi qui a fait cela ». Ils voulaient cueillir l’ivraie, mais il les en empêcha en disant : « Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs : « Cueillez tout d’abord l’ivraie, et liez-la en bottes, pour la brûler ; quant au froment, mettez-le en réserve sur mon grenier ». Les disciples lui demandèrent ensuite : « Exposez – nous le sens de cette parabole de l’ivraie ». Il leur en expliqua toutes les parties, afin que nul n’attribue à ses propres lumières l’intelligence qu’il en peut avoir, mais bien à ce Maître céleste qui l’a exposée. Que nul ne vienne dire qu’il l’a expliquée comme il l’a voulu. Si le Seigneur eût expliqué la parabole d’un Prophète, quand lui-même disait par leur bouche tout ce qu’ils disaient, qui oserait dire qu’il ne devait point donner lui-même cette explication ? À plus forte raison, quand il donne le sens d’une parabole que lui-même a proposée, qui oserait contredire une vérité aussi évidente ? En expliquant cette parabole, le Sauveur nous dit donc : « Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’Homme », se désignant ainsi lui-même. « Le bon grain, ce sont les fils du royaume », c’est-à-dire l’assemblée des saints ; « l’ivraie, ce sont les fils de l’iniquité. Le champ, c’est le monde[613] ». Or, voyez, mes frères, que le bon grain est semé dans le monde entier, et que dans le monde entier il y a de l’ivraie. N’y a-t-il dans une partie que le bon grain, et que l’ivraie dans l’autre partie ? Nullement ; partout est le bon grain, et partout est le froment. Le champ du Seigneur c’est le monde, et non l’Afrique seulement. Il n’en est point de ce champ du Seigneur comme des autres terres, dont les unes, comme la Gétulie, rapportent soixante et cent pour un ; les autres, comme la Numidie, seulement dix pour un. Partout Dieu récolte cent pour un, ou soixante, ou trente ; vois seulement ce que tu veux être, si tu prétends être ce grain que récolte le Seigneur. Cette Assemblée des saints est donc l’Église catholique ; et l’Assemblée des saints ne saurait être l’Église des hérétiques. Cette Église des saints est celle que Dieu a prédite avant qu’elle fût visible, et qu’il veut rendre visible en la mettant sous nos yeux. L’Église des saints était jadis dans les livres, aujourd’hui elle est dans les nations : jadis on lisait seulement que l’Église des saints existerait, aujourd’hui on le lit encore, et, de plus, on voit qu’elle existe. On croyait en elle quand elle n’existait que dans les livres, aujourd’hui qu’on la voit, on lui résiste. « Sa louange est dans l’assemblée des saints ».
4. « Qu’Israël tressaille dans celui qui l’a fait[614] ». Que veut dire Israël ? Celui qui voit Dieu, c’est le sens que l’on donne à Israël. Que celui qui voit Dieu tressaille donc dans ce Dieu qui l’a fait. Pourquoi donc, mes frères, disons-nous que nous appartenons à l’Église des saints ? est-ce que nous voyons Dieu dès cette vie ? Et si nous ne le voyons pas, comment sommes-nous Israël ? Il est une vue de Dieu propre à cette vie, et une autre vue pour la vie à venir. Ici-bas nous voyons par la foi ; dans la vie future nous verrons face à face. Croire c’est voir, aimer c’est voir. Que voyons-nous ? Dieu. Où est Dieu ? Interroge saint Jean : « Dieu est charité »[615], nous dit-il. Bénissons dès lors son saint nom, et réjouissons-nous en Dieu, si nous nous réjouissons dans la charité. Qu’un homme ait la charité, et dès lors l’enverrons-nous bien loin pourvoir Dieu ? Qu’il entre seulement dans sa conscience, et il y trouve Dieu. Mais si la charité n’est point dans son cœur, Dieu non plus n’y est pas, tandis qu’il y est si la charité s’y rencontre. Un homme voudrait peut-être voir Dieu assis dans le ciel ; qu’il ait la charité et Dieu habitera en lui comme dans le ciel. Soyons donc Israël, et réjouissons-nous en celui qui nous a faits. « Qu’Israël tressaille en celui qui l’a fait ». Oui, qu’il se réjouisse dans celui qui l’a fait, et non point dans Anus, non point dans Donat, non point dans Cécilien, non point dans Proculien, non point dans Augustin. Qu’il tressaille dans celui qui l’a fait. Loin de nous, mes frères, de nous faire valoir auprès de vous ; c’est Dieu que nous vous recommandons, parce que nous vous recommandons à Dieu. Comment faire valoir Dieu auprès de vous ? En vous recommandant de l’aimer pour votre propre avantage, et non pour le sien ; car ne point l’aimer serait nuisible pour vous et non pour lui. Dieu, en effet, n’en aura pas moins la divinité, quand l’homme n’aurait point pour lui la charité. C’est toi qui trouves ton avantage en Dieu, et non Dieu en toi ; et néanmoins le premier[616], et avant que nous l’eussions aimé, il nous a aimés jusqu’à envoyer son Fils unique à la mort pour nous[617]. Celui qui nous a faits a voulu être fait parmi nous. Comment nous a-t-il faits ? « Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait[618] ». Comment a-t-il été fait parmi nous ? « Et le Verbe s’est fait chair, et a demeuré parmi nous[619] ». C’est donc en lui que nous devons nous réjouir. Que nul ne s’arroge ce qui vient de Dieu seul ; c’est de lui que nous vient la joie qui fait notre bonheur. « Qu’Israël se réjouisse en celui qui l’a fait ».
5. « Et que les fils de Sion tressaillent dans leur roi ». Cet Israël, ce sont les enfants de l’Église. Car Sion fut en effet une ville qui tomba : et dans ses restes habitaient quelques saints pour un temps ; mais il est une véritable Sion, une véritable Jérusalem, car Sion est la même que cette Jérusalem qui subsistera éternellement dans le ciel, et qui est notre mère[620]. C’est elle qui nous a engendrés, elle qui est l’Église des saints, en partie dans l’exil, mais en bien plus grande partie dans le ciel. Cette partie qui est dans le ciel fait le bonheur des anges, et la partie qui est exilée en ce bas monde, fait l’espérance des justes. C’est de l’une qu’il a été dit « Gloire à Dieu au plus haut des cieux » ; et de l’autre : « Et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[621] ». Que ceux donc qui gémissent en cette vie, qui aspirent à cette patrie céleste, s’élancent par l’amour, et non des pieds du corps, sans chercher des vaisseaux, qu’ils se pourvoient d’ailes, des deux ailes de la charité. Quelles sont les deux ailes de la charité ? L’amour de Dieu et l’amour du prochain[622]. Nous sommes en effet dans l’exil, dans les soupirs, dans les gémissements. Voilà qu’il nous est venu des lettres de la patrie, et nous vous en donnons lecture.
6. « Qu’Israël se réjouisse dans Celui qui l’a fait, que les fils de Sion tressaillent dans leur Roi ». Dire « qui l’a fait » revient à dire leur « roi » ; de même que « Israël » ne dit autre chose que « fils de Sion ». Se réjouir en celui qui l’a fait, c’est se réjouir en son roi. C’est le Fils de Dieu qui vous a faits et qui a été fait parmi nous. Il est le roi qui nous gouverne, parce qu’il est le créateur qui nous a faits. Et celui par qui nous avons été faits, est aussi celui par qui nous sommes conduits ; et nous sommes chrétiens parce qu’il est Christ ; or, il est appelé Christ à cause du chrême ou de l’onction. Les rois[623] recevaient l’onction aussi bien que les prêtres[624] ; et celui-ci a reçu l’onction de roi, de prêtre ; roi, il a combattu pour nous, et prêtre, il s’est offert pour nous. Eu combattant pour nous, il a paru vaincu, bien qu’il fût vainqueur en réalité. Car il a été cloué à la croix et de cette croix qui était son gibet, il a vaincu le diable, et est devenu notre roi. Comment donc est-il prêtre ? Parce qu’il s’est offert pour nous. Donnez au prêtre de quoi offrir. Mais, hélas ! où l’homme trouvera-t-il une victime pure qu’il puisse offrir ? Quelle victime ? Que peut offrir de pur un pécheur ? Homme d’iniquité, impie, tout ce que tu offres est impur, et il faut offrir pour toi une hostie sans tache. Cherche en toi de quoi offrir, tu ne trouveras rien. Cherche ce que tu offrirais de toi-même : ni béliers, ni boucs, ni taureaux ne sont agréables à Dieu. Tout lui appartient quand même tu n’offrirais rien. Offre-lui donc une hostie pure. Mais tu es pécheur, tu es impie, ta conscience est souillée, Peut-être qu’une fois purifié, tu pourras offrir à Dieu une hostie pure ; mais pour devenir pur, il faut offrir une victime pour toi. Que vas-tu donc offrir, afin d’être pur ? Et si tu es pur, tu pourras offrir une hostie pure. Que le prêtre sans tache s’offre donc lui-même afin de te purifier. C’est là ce qu’a fait le Christ. Il n’a trouvé dans les hommes rien de pur qu’il pût offrir pour les hommes, et il s’est offert comme une victime sans tache. Bienheureuse victime, véritable victime, victime sans tache. Ce n’est donc point ce qu’il a pris en nous qu’il a offert, ou plutôt il a offert ce qu’il tenait de nous, mais il l’a offert purifié. Car c’est cette même chair qu’il tenait de nous qu’il a bien voulu offrir. Mais où l’avait-il prise ? Dans le sein de la Vierge Marie, afin d’offrir cette chair pure, pour ceux qui étaient impurs. IL est donc roi, il est prêtre, mettons en lui notre joie.
7. « Qu’ils chantent son nom en chœur[625] ». Que signifient ces chœurs ? Il en est beaucoup pour connaître ces chœurs, et comme nous parlons dans une ville, tous les connaissent. On appelle chœur l’accord de plusieurs voix. Si nous chantons en chœur, chantons en accord. Dans un concert, toute voix discordante blesse l’oreille et trouble le chœur. Mais si un ton de voix en désaccord trouble ainsi un concert, que fera l’hérésie discordante au milieu de ceux qui louent le Seigneur ? Or, le concert du Christ, c’est le monde entier, et ce concert du Christ résonne de l’Orient et de l’Occident. Voyons si le chœur du Christ a une telle étendue. Il est dit dans un autre psaume : « Du lever du soleil à son coucher, louez le nom du Seigneur[626]. Qu’ils chantent son nom en chœur ».
8. « Qu’ils chantent ses louanges au son du tambour et du psaltérion ». Pourquoi choisir ici le tambour et le psaltérion ? Afin qu’on ne loue pas Dieu de la voix seulement, mais aussi par les œuvres. Chanter sur le tambour ou sur le psaltérion, c’est joindre la main à la voix. De même pour toi, lorsque tu chantes l’Alléluia, si ta main donne le pain à celui qui a faim, revêt celui qui est nu, donne l’hospitalité à l’étranger, alors ta voix n’est point seule pour chanter, ta main chante aussi, l’action est en accord avec les paroles. Tu as pris la harpe en main, et les doigts et la langue sont en harmonie. Ne passons pas sous silence la signification mystérieuse du tambour et du psaltérion. Le tambour est formé d’une peau tendue, le psaltérion de cordes tendues aussi. L’un et l’autre de ces instruments désignent la chair crucifiée. Il chantait admirablement sur le tambour et sur le psaltérion, celui qui disait : « Le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde[627] ». Or, il l’engage à prendre le psaltérion et le tambour, celui qui aime le cantique nouveau, et qui te donne cette leçon : « Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il renonce à soi-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive[628] ». Qu’il ne quitte point le psaltérion, ne quitte point le tambour, qu’il s’étende sur le bois et dessèche la convoitise de la chair. Plus les cordes sont tendues, plus le son en est aigu. Que dit saint Paul, afin de rendre un son plus aigu sur le psaltérion ? « J’oublie ce qui est en arrière, je m’étends vers ce qui est devant moi, poursuivant la palme de la vocation éternelle[629] ». L’Apôtre s’étendait pour ainsi dire, et sous le doigt du Christ il rendait le son harmonieux de la vérité. « Chantez ses louanges sur le psaltérion et sur le tambour ».
9. « Parce que le Seigneur a traité son peuple favorablement ». Quel ! e plus grande faveur que de mourir pour les impies ? Quelle plus grande faveur que d’effacer par un sang juste l’arrêt qui condamne le pécheur ? Quelle plus grande faveur que de dire : je ne considère plus ce que vous avez été, soyez ce que vous n’étiez pas ? « Le Seigneur a comblé de faveurs son peuple », par la rémission des péchés, par la promesse de la vie éternelle : il le comble de faveurs en rappelant celui qui s’éloigne, en soutenant celui qui combat, en couronnant celui qui triomphe. « Il a comblé son peuple de faveurs, et il glorifiera les humbles par le salut ». Il est vrai que les orgueilleux se glorifient aussi, mais ce n’est point par le salut. Les humbles s’élèvent donc pour le salut, les orgueilleux pour la mort, c’est-à-dire que les orgueilleux s’élèvent et que le Seigneur les humilie, que les humbles s’humilient et que Dieu les élève. « Il glorifie les humbles pour leur salut ».
10. « Les saints tressailliront dans la gloire[630] ». Je voudrais vous dire un mot de la gloire des saints, redoublez d’attention. Il n’est personne, en effet, qui n’aime la gloire. Cette gloire mène des insensés, qu’on appelle gloire populaire, a ses charmes qui nous trompent ; chacun s’éprend de ces louanges futiles des hommes au point de vouloir vivre de manière à mériter les applaudissements, peu importe d’où ils lui viennent et de quelle manière. De là ces hommes pris de vertige, enflés d’orgueil, vides à l’intérieur, bouffis extérieurement, qui perdent volontairement ce qu’ils possèdent, en le donnant à des comédiens, à des histrions, à des chasseurs, à des cochers. Quels dons ! quelles dépenses ! Consumer ainsi non seulement les richesses du patrimoine, mais les richesses de l’âme ! Mais ils n’ont que du mépris pour le pauvre, parce que le peuple n’applaudit point quand il reçoit l’aumône ; tandis qu’il applaudit quand on donne à un chasseur. Ils ne donneront donc rien s’ils ne sont applaudis ; que les fous applaudissent, et les voilà fous eux-mêmes ; oui, tous également fous, et celui qui se donne en spectacle, et celui qui regarde, et celui qui donne. C’est bien cette gloire folle que condamne le Seigneur, qui est odieuse aux yeux du Tout-Puissant. Et toutefois, mes frères, le Christ ne laisse pas de faire aux siens ce reproche : J’ai moins reçu de vous que n’ont reçu des chasseurs, et pour leur donner, vous avez pris ce qui m’appartenait : « Pour moi, j’étais nu, et vous ne m’avez point revêtu ». Mais eux : « Quand, Seigneur, nous vous avons vu sans habits, et ne vous avons-nous point revêtu[631] ? » Mais lui : « Quand vous l’avez refusé au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez refusé ». Mais tu n’as voulu revêtir que celui qui te plaît. En quoi donc le Christ a-t-il pu te déplaire ? Tu veux revêtir un athlète, qui te fera rougir s’il est vaincu ; tandis que le Christ n’est jamais vaincu ; c’est lui qui a vaincu le diable, vaincu à la place, vaincu pour toi, vaincu en toi. Voilà le vainqueur que tu ne veux point revêtir. Pourquoi ? Parce qu’on t’applaudit moins, parce qu’il y a moins de folles clameurs. De là vient, mes frères, que ceux qui se repaissent d’une telle joie n’ont rien dans la conscience. Comme ils épuisent leurs coffres, en donnant des vêtements, ils épuisent leur conscience, de manière à n’y rien conserver de précieux.
11. Quant aux saints qui tressaillent dans la gloire, il n’est point nécessaire que nous parlions de leur joie : écoutez seulement le verset qui suit : « Les saints tressailliront dans la gloire, leur allégresse éclatera dans le lieu du repos » ; non point dans les théâtres ou dans les amphithéâtres, non point dans les cirques, non point dans les folies, non point hors d’eux-mêmes ; mais dans le lieu de leur repos. Qu’est-ce à dire, « dans le lieu de leur repos ? » dans leurs cœurs. Écoutez comme l’Apôtre se réjouit dans le lieu de son repos : « Toute notre gloire, la voici, le témoignage de notre conscience[632] ». Il est à craindre néanmoins que tel homme ne mette sa confiance en lui-même, et ne s’élève avec orgueil dans sa propre confiance. Chacun doit tressaillir avec crainte[633], parce que le don de Dieu qui fait sa joie ne vient point de ses propres mérites. Il en est beaucoup qui se complaisent en eux-mêmes, et se croient justes ; or, voici contre eux une autre page des Écritures : « Qui peut se glorifier de posséder la pureté du cœur ; ou qui osera se vanter d’être exempt de péchés[634] ? » Il est donc une certaine manière de nous applaudir dans notre conscience, c’est quand tu reconnaîtras que ta joie est pure, que ton espérance est certaine, que ta charité est sans dissimulation. Mais comme il est en nous bien d’autres points capables d’offenser Dieu, bénis le Dieu qui t’a gratifié de ces vertus, et qui alors perfectionnera ce qu’il a commencé. Aussi, après avoir dit : « Ils tressailliront dans le lieu de leur repos », le Prophète semble craindre qu’ils ne mettent leur complaisance en eux-mêmes, et il ajoute aussitôt : « Les jubilations de Dieu seront dans leur bouche[635] ». Ils tressailliront dès lors dans leurs lits de repos, non point de manière à s’arroger le bien qui est en eux, mais de manière à louer celui de qui ils ont reçu d’être ce qu’ils sont, qui les appelle à être ce qu’ils ne sont point encore, de qui seul ils attendent la perfection, qu’ils remercient de ce qu’il a commencé en eux. « Les jubilations de Dieu seront dans leur bouche ». Voyez maintenant les saints, voyez leur gloire, voyez dans le monde entier, voyez que les jubilations de Dieu sont dans leur bouche.
12. « Et dans leurs mains des framées à deux tranchants ». On appelle framée ce que nous appelons vulgairement spatule. Il y a, en effet, des glaives qui n’ont qu’un tranchant : tels sont les sabres. Mais la framée, qui se nomme aussi espadon et spatule, est une épée à double tranchant et renferme un grand mystère. « Les framées qui sont dans leurs mains sont aiguisées des deux parts ». Par ces framées à deux tranchants nous entendons la parole de Dieu ; or, cette framée est unique, mais on la met ici au pluriel, parce qu’il y a plusieurs langues et plusieurs bouches des saints. La parole de Dieu est donc un glaive à deux tranchants[636]. Pourquoi deux tranchants ? Parce qu’elle se prononce et sur les choses temporelles, et sur les choses éternelles parce qu’elle montre dans les unes et dans les autres qu’elle dit la vérité et qu’elle sépare du monde celui qu’elle frappe. N’est-ce point là ce glaive dont le Seigneur a dit : « Je ne suis point venu apporter la paix, mais le glaive[637] ». Considère comme il est venu disjoindre, comme il est venu séparer. Il sépare les saints, il sépare les impies, il sépare de toi tout ce qui est un obstacle. Tel fils veut servir Dieu, son père l’en empêche vient le glaive de Dieu, vient la parole de Dieu, qui sépare le fils du père. Telle fille veut, sa mère ne veut point, le glaive les sépare mutuellement. Telle bru veut, sa belle-mère ne veut point, apportez le glaive à deux tranchants, qu’il vous donne des promesses pour la vie présente, et des promesses pour la vie éternelle, le soulagement par les biens de la terre, la jouissance des biens de l’éternité. Voilà le glaive tranchant des deux côtés, promettant les biens du temps elles biens de l’éternité. En quoi nous a-t-il trompés ? L’Église de Dieu n’était-elle point jadis dans le monde entier ? Elle y est maintenant. Autrefois on la lisait dans les livres, on ne la voyait pas : on la voit aujourd’hui, comme on la lit dans les promesses. Tout ce qui nous est promis selon le temps regarde l’un des tranchants du glaive ; tout ce qui est de l’éternité regarde l’autre tranchant. Tu as donc l’espérance des biens futurs, comme tu as la consolation dans les biens présents, ne te laisse point aller à celui qui veut te retirer de Dieu ; ni père, ni mère, ni sœur, ni Épouse, ni ami, que nul ne te retire de Dieu ; et alors le glaive à deux tranchants te sera avantageux. C’est pour ton bien qu’il te sépare, et t’attacher trop serait ton mal. Notre-Seigneur est donc venu avec un glaive à double tranchant, promettant les biens éternels, accomplissant les promesses temporelles. De là viennent en effet, ce que nous appelons les deux Testaments. Qu’étaient donc « ces framées à deux tranchants, dans leurs mains ? » Les deux Testaments sont un glaive à double tranchant. L’Ancien promet des biens terrestres, le Nouveau des biens éternels. Dans l’un et dans l’autre s’est vérifiée cette parole de Dieu : « comme un glaive à double tranchant ». Pourquoi est-il entre les mains, et non sur la langue ? « Entre leurs mains », est-il dit, « sont des framées à double tranchant ». Entre leurs mains signifie en leur puissance. Ils ont donc reçu la parole de Dieu, afin de la prêcher, et où ils voulaient, et à qui ils voulaient, sans craindre aucune puissance, et sans mépriser la pauvreté. Ils avaient en main ce glaive dont ils frappaient, et qu’ils tournaient, qu’ils faisaient vibrer où ils voulaient ; tout cela était au pouvoir des prédicateurs. Si cette parole n’était en leur pouvoir, on pourrait dire : Comment cette parole est-elle un glaive à deux tranchants, et comment se trouve-t-il entre leurs mains ? Si donc cette parole n’est point entre leurs mains, comment est-il écrit : « Voilà que la parole de Dieu fut entre les mains du prophète Aggée[638] ? » Est-ce à dire, mes frères, que Dieu écrivit sa parole sur les doigts de ce Prophète ? Que signifie dès lors entre ses mains ? C’est-à-dire que la puissance lui fut donnée de prêcher la parole de Dieu. Enfin nous pourrions entendre encore d’une autre façon entre ses mains ; car prêcher la parole de Dieu c’est l’avoir sur la langue, et l’écrire c’est l’avoir dans ses mains. « Et des glaives à double tranchant dans leurs mains ».
13. Vous voyez dès à présent, mes frères, comment les saints sont armés ; considérez aussi leurs exploits sacrés, leurs glorieux combats. Car s’il y a un général, il y a des soldats ; s’il y a des soldats, il y a des ennemis ; s’il y a une guerre, il faut une victoire. Or, qu’ont fait ceux-ci avec les glaives à deux tranchants entre leurs mains ? C’était « pour tirer vengeance des nations[639] ». Voyez si les nations n’ont pas subi cette vengeance. Elle s’exerce chaque jour ; et c’est ce que nous faisons maintenant en vous parlant. Voyez comment nous taillons en pièces les nations de Babylone. On lui rend au double ce qu’elle a fait, selon cette parole : « Rendez-lui le double de ses victoires[640] ». Comment lui rendre au double, sinon parce que les saints tirent ces glaives à deux tranchants, et en foot des massacres, des meurtres, des séparations, et le paganisme s’éteint, et les idoles se brisent. Comment lui rendre au double ? Pour elle, quand elle persécutait les chrétiens, elle tuait le corps, mais ne brisait pas Dieu ; maintenant on lui rend au double, puisque les païens s’éteignent et que les idoles sont brisées. Mais, diras-tu, comment sont tués les païens ? Comment, sinon en devenant chrétiens ? Je cherche le païen, et je ne le trouve plus, il est chrétien : donc le païen est mort en lui. S’ils ne sont tués de la sorte, comment fut-il dit à Pierre : « Tue et mange[641] ? » Comment donc mourut Saul le persécuteur, et comment se leva Paul le prédicateur. Je cherche Saul persécuteur, et ne le trouve plus, il est tué[642]. Par quoi ? Par le glaive à deux tranchants. Mais parce qu’il a été tué en lui-même, il a été vivifié dans le Christ ; aussi dit-il avec confiance : « Je vis, non pas moi, mais c’est le Christ qui vit en moi[643] ». Ce qui lui est arrivé, Dieu le fait aux autres par lui ; car devenu prédicateur, lui-même prit en main le glaive à deux tranchants pour « tirer vengeance des nations ». Et de peur qu’on ne représente des hommes frappés par le fer, du sang répandu, des chairs meurtries, le Prophète continue en disant : « Et réprimer les peuples ». Qu’est-ce que réprimer ? C’est corriger. Usez donc, mes frères, de ce glaive à deux tranchants, qu’il ne demeure point oisif, Dieu vous l’a donné pour en user à votre manière. Un homme tel que toi adore encore les idoles ? Parle ainsi à ton ami, si toutefois il en reste encore quelqu’un à qui tu puisses adresser ce langage : Un homme tel que toi, peux-tu abandonner Dieu qui t’a fait pour adorer une idole que tu as construite ? L’ouvrier n’est-il point préférable à son ouvrage ? Or, tu rougirais d’adorer l’ouvrier, et tu ne rougis point d’adorer ce qu’il fait ? Que ton ami rougisse, qu’il soit touché de componction, c’est une blessure que ton glaive a faite ; tu as frappé au cœur ; il mourra pour revivre. Entre leurs mains, des glaives à double tranchant, pour se venger des nations, et « redresser les peuples ».
14. « Afin de mettre leurs rois dans les chaînes, et leurs princes dans des liens de fer, pour exercer contre eux le jugement prescrit[644] ». Nous avons exposé sans peine commuent la framée nous fait tomber pour nous relever, nous sépare pour nous rassembler, nous blesse pour nous guérir, nous tue pour nous faire vivre. Mais que faire maintenant ? Comment expliquer : « Pour mettre leurs rois dans les chaînes ? » Il faut donner des entraves aux rois des nations, et des chaînes à leurs princes et même des liens de fer. Redoublez d’attention pour savoir ce que vous savez déjà, car ces paroles que nous expliquons sont obscures à la vérité, mais ce que nous devons en dire n’est pas nouveau. Vous le savez déjà, et sans rien apprendre de nouveau, vous n’avez qu’à vous souvenir. Le dessein de Dieu en rendant obscurs quelques versets, est moins de nous en faire tirer une leçon nouvelle, que de nous rappeler par ces obscurités ce que nous savons déjà. Nous savons que les rois sont devenus chrétiens, que les princes des peuples ont embrasé la foi. Il y en a aujourd’hui, il y en eut autrefois, il y en aura encore, et les glaives à deux tranchants sont toujours dans les mains des saints. Comment donc entendre que les rois sont chargés de chaînes, et de liens de fer ? Votre charité sait déjà, et les leçons fréquentes de l’Église dont vous êtes nourris vous ont appris que « Dieu a choisi dans le monde ce qui est faible pour confondre ce qui est fort ; il a choisi ce qui est fou selon le monde pou r confondre ce qui est fort, et ce qui n’est rien comme ce qui est quelque chose, pour détruire ce qui est ». Voici cri effet ce que dit l’Apôtre : « Voyez, mes frères, ceux d’entre vous qui sont appelés ; il en est peu de sages selon la chair, peu de puissants, peu de nobles ; mais Dieu a choisi ce qui est fou selon le monde, ce qui est infirme selon le monde, pour confondre ce qui est fort ; Dieu a choisi ce qui est vil et méprisable, et ce qui n’est rien comme ce qui est quelque chose, pour détruire ce qui est[645] ». Jésus-Christ notre Dieu est venu pour le bien de tous ; mais il s’est servi d’un pêcheur pour le bien des empereurs, et non d’un empereur pour le bien d’un pêcheur ; et il a choisi des hommes sans aucune importance dans le monde. Il les a remplis de l’Esprit-Saint, leur a donné le glaive à double tranchant et leur a commandé de parcourir l’univers entier en prêchant l’Évangile[646]. À l’instant le monde frémit de rage, le lion se leva contre l’agneau, et l’agneau fut plus fort que le lion. Le lion sévit et fut vaincu, l’agneau souffrit et fut vainqueur. Pénétrés de crainte, les hommes se convertirent au Christ, et les rois et les grands du monde s’étonnèrent à la vue des miracles, se troublèrent à l’accomplissement des prophéties, et virent avec stupeur le genre humain accourir au seul nom du Christ. Que faire alors ? Beaucoup renoncèrent à toute grandeur, laissèrent leurs palais, et distribuèrent leurs biens aux pauvres pour courir à la perfection. Car le Seigneur disait à l’un de ces imparfaits : « Si vous voulez être parfait, allez vendre ce que vous possédez et en donnez le bien aux pauvres, puis venez et suivez-moi, et vous aurez un trésor dans le ciel[647] ». Voilà ce qu’ont fait plusieurs grands du monde ; mais ils n’ont abjuré toute grandeur mondaine, que pour embrasser la pauvreté d’ici-bas et la noblesse du Christ. D’autres, et en grand nombre, conservent leur noblesse, conservent la puissance royale, et n’en sont pas moins chrétiens. Ils sont alors comme dans les entraves, et dans les chaînes de fer. Comment cela ? Ils se sont imposé des liens, liens de la sagesse, liens de la parole de Dieu, jour s’interdire tout ce qui est illicite.
15. Pourquoi donc des liens de fer, non des chaînes d’or ? Tant qu’il y a crainte, ils sont de fer ; qu’il y ait amour et ils seront d’or. Que votre charité veuille bien m’écouter. Vous venez d’entendre ces paroles de saint Jean : « La crainte n’est point dans la charité, mais la charité parfaite bannit toute crainte, parce que la crainte contient une peine[648] ». Voilà le lien de fer. Et néanmoins, si l’homme ne commence à servir Dieu par crainte, il n’arrive pas à l’amour. « Craindre Dieu est le commencement de la sagesse[649] ». La sagesse commence donc par les liens de fer pour arriver au collier d’or ; car il est dit : « Mets ton cou dans son collier d’or[650] ». Mais tu n’arriveras point à ce collier d’or, si tout d’abord tu ne mets tes pieds dans ses chaînes de fer. À commencer par la crainte, on finit par la sagesse. Combien en est-il qui n’osent faire le mal, parce qu’ils craignent l’enfer, parce qu’ils redoutent les tourments, et non parce qu’ils aiment la justice ? Qu’on leur promette l’impunité, qu’on leur dise : Faites en pleine sécurité ce qu’il vous plaira ; et alors ils se jetteront avec frénésie dans tous les crimes. Ce qui serait plus vrai des rois et des princes, à qui l’on ne saurait dire facilement : Qu’avez-vous fait ? Pour l’homme pauvre, en effet, quand même il ne craindrait pas Dieu, comme il n’a nulle force, nulle puissance pour échapper au supplice qu’il a pu mériter, il s’abstient par la crainte des hommes, sinon par la crainte de Dieu. Quant aux puissants du monde, aux rois, aux grands, qu’ont-ils à craindre, s’ils ne craignent Dieu ? Mais on leur prêche, on les frappe du glaive à double tranchant ; on leur dit qu’il est un Dieu, pour mettre les uns à sa droite, les autres à sa gauche, pour dire à ceux de gauche : « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges[651] ». Sans aimer encore la justice, ils redoutent le châtiment, et la crainte du châtiment devient une entrave, et ces liens de fer les redressent. Voilà que vient à nous quelque grand du monde, qui aura reçu quelques outrages de sa femme, ou qui en aura convoité une plus belle, une plus riche ; il voudrait se séparer de sa femme et n’ose le faire. Il entend un serviteur de Dieu, il entend le Prophète, il entend l’Apôtre, et il s’abstient : il entend celui qui tient en main le glaive à deux tranchants, qui lui dit : Arrête, cela n’est point permis, Dieu ne te permet point de quitter ta femme, si ce n’est pour cause d’adultère[652]. Voilà ce qu’il entend, et la crainte le retient. Son pied trop léger chancelait déjà, il est retenu par les entraves. « Voilà une chaîne de fer, la crainte de Dieu ». On lui dit : Dieu te damnera, si tu le fais ; il est souverain juge de tous, il entend les gémissements de ton Épouse, et tu seras coupable à ses yeux. Le voilà entre l’amorce de la convoitise, et la crainte du châtiment. Il eût cédé à ses coupables désirs, s’il n’eût été retenu par sa chaîne de fer. Mais plus encore, Voilà cet homme qui nous dit : Je veux vivre dans la continence, je ne veux plus d’Épouse. Impossible. Que faire, si tu le veux, quand ta femme ne le veut point ? Ta continence doit-elle donc la jeter dans l’adultère ? Car elle est adultère, si de ton vivant elle passe à un autre. Or, Dieu vous empêche de compenser un si grand mal par un tel gain. Rends le devoir, et si tu ne l’exiges point, tu n’es pas moins tenu de le rendre. Dieu te tiendra compte comme d’un acte de sainteté parfaite, si tu rends à ton Épouse le devoir sans l’exiger d’elle. Tu crains et tu ne le fais pas, tu secoues tes chaînes ; mais elles sont des chaînes de fer, écoute bien : « Es-tu lié à une femme ? ne cherche pas à te délier[653] ». Voilà une chaîne dure, une chaîne de fer. Une parole du Seigneur va nous montrer aussi que c’est un lien de fer. Écoutez cette parole, ô jeunes gens, oui ce – sont des liens de fer, n’y engagez pas vos pieds ; si vous les y engagez, vous vous trouverez à l’étroit dans ces entraves. Les mains de l’évêque viennent encore les resserrer davantage. N’est-ce pas l’Église que fuient les prisonniers, et dans l’Église ils recouvrent la liberté ? On y voit venir des maris qui voudraient laisser leurs Épouses ; mais on resserre leurs chaînes, on ne les brise jamais : « Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a joint[654] ». Mais ces chaînes sont dures. Qui l’ignore ? Les Apôtres ont déploré cette dureté en s’écriant : « Si telle est la condition de l’homme avec sa femme, il n’est pas avantageux de se marier[655] ». Si ces chaînes sont de fer, il n’est pas besoin d’y engager ses pieds. Et le Seigneur : « Tous n’entendent pas cette parole ; que celui qui peut entendre, entende[656] ». Es-tu lié à une femme ? ne cherche pas à te délier, parce que ces liens sont de fer. N’es-tu pas lié à une femme ? ne cherche pas d’Épouse[657] ; ne t’engage pas dans des entraves de fer.
16. « Afin d’accomplir sur eux le jugement prescrit ». C’est là le jugement que les saints accomplissent dans toutes les nations. Pourquoi « prescrit ? » Parce que tout cela fut prédit autrefois, et s’accomplit maintenant. On fait maintenant ce qu’on lisait jadis, et qu’on ne sait pas. Le Prophète conclut aussi : « Telle est la gloire que Dieu destine à tous les saints ». C’est ainsi que les saints agissent dans le monde entier, parmi les nations, ainsi qu’ils sont élevés en gloire, ainsi qu’ils chantent le Seigneur par leurs voix, ainsi qu’ils tressaillent dans leurs lits de repos, ainsi qu’ils tressaillent dans leur gloire, ainsi qu’ils sont élevés dans leur salut, ainsi qu’ils chantent le cantique nouveau, ainsi qu’ils chantent l’alléluia, de la voix, du cœur et par leur vie. Ainsi-soit-il.


DISCOURS SUR LE PSAUME 150 modifier

LA LOUANGE DE DIEU DANS SES SAINTS. modifier

Les psaumes sont au nombre de cent-cinquante ; or, ce chiffre, dans l’ordre des unités, donne quinze forme de sept et de huit. Sept nous rappelle la semaine sabbatique de l’Ancien Testament, et le huitième jour est celui de la résurrection, ou du Nouveau Testament. Cinquante se compose d’une semaine de semaines, plus l’unité, et ce fut le cinquantième jour après la résurrection que descendit l’Esprit-Saint, désigné par le nombre sept. Les cent cinquante-trois poissons nous montreraient dans trois le diviseur de cinquante. En décomposant dix-sept en autant de nombres que l’on additionne ensemble on arrive à cent cinquante-trois. Or, dix-sept est composé de dix, le décalogue, et de sept, la figure du Saint-Esprit. La division en cinq livres est peu fondée. Cette parole : « Il est écrit au commencement du livre », désignerait ou le livre des Écritures, au commencement duquel nous lisons : « Ils seront deux dans une même chair », mystère du Christ et de l’Église ; ou le livre des Psaumes, dont le premier regarde le Christ. La division en trois livres de cinquante psaumes chacun, nous montre la pénitence dans le cinquantième psaume, la miséricorde et la justice dans le centième, et la louange de Dieu dans ses saints, c’est le psaume cent-cinquantième. C’est la voie du ciel, puisque Dieu nous appelle par la pénitence, nous justifie par la miséricorde, puis nous admet dans la vie éternelle pour chanter ses louanges.

Les saints en qui Dieu est glorifié, sont la justice, la puissance, et la grandeur de Dieu, en ce sens qu’ils font connaître ces divins attributs. Louer Dieu avec la flûte, c’est le louer d’une manière éclatante ; sur les instruments à cordes, par les bouses œuvres ; sur le tambour, dans la mortification de la chair ; sur les cymbales, dans les louanges des saints qui rejaillissent sur Dieu. Les trois genres de musique se retrouvent dans les saints.


1. Bien que Dieu ne m’ait point encore fait la grâce de me révéler tous les grands mystères que me paraît contenir l’ordre des psaumes ; bien que la faiblesse de mon esprit n’en ait point pénétré toute la profondeur ; néanmoins, comme ils sont renfermés dans le nombre de cent cinquante, ce nombre nous insinue quelque mystère que je voudrais vous exposer sans témérité et selon qu’il plaira à Dieu de me secourir. D’abord le nombre quinze est multiple de cent cinquante (car dans l’ordre des unités, il est le même que cent cinquante dans l’ordre des dizaines, puisque quinze multiplié par dix donne cent cinquante : le même que mille cinq cents dans l’ordre des centaines, ou quinze multiplié par cent ; le même que quinze mille dans l’ordre des mille, ou quinze multiplié par mille), le nombre de quinze nous marque donc l’accord des deux Testaments. Dans l’un, en effet, l’on observe le sabbat au jour du repos[658] ; dans l’autre, le dimanche, qui signifie jour de résurrection. Or, le sabbat est le septième jour ; le dimanche qui vient après le septième jour, que peut-il être sinon le huitième, et en même temps le premier ? On l’appelle aussi le premier jour du sabbat[659], de manière à compter ensuite le second, le troisième, et ainsi de suite jusqu’au septième qui est le sabbat. Mais à partir du dimanche, jusqu’au dimanche, nous nous trouvons au huitième jour, auquel fut révélé ce Nouveau Testament qui était caché dans l’Ancien, sous les promesses terrestres. Or, sept et huit font quinze. Tel est le nombre des psaumes appelés Cantiques des degrés, parce que tel était le nombre des degrés du temple. Le nombre de cinquante renferme aussi en lui-même un grand mystère, puisqu’il se compose d’une semaine de semaines, auxquelles on ajoute l’unité qui serait comme le huitième et formerait cinquante ; sept fois sept font en effet quarante-neuf, et nous avons cinquante en y ajoutant l’unité. Or, ce nombre de cinquante a une signification tellement mystérieuse, que ce fut le cinquantième jour après la résurrection du Christ, que le Saint-Esprit descendit sur les disciples assemblés en son nom[660]. De plus, l’Esprit-Saint est désigné par le nombre sept dans les Écritures, soit dans Isaïe, soit dans l’Apocalypse, où nous trouvons clairement les sept esprits de Dieu, à cause des sept opérations de ce même Esprit. Le prophète Isaïe nous parle ainsi de ces sept opérations « L’Esprit de Dieu se reposera sur lui ; Esprit de sagesse et d’intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété, Esprit de crainte du Seigneur[661] ». Et pat cette crainte, il faut entendre la crainte chaste, qui demeure dans le siècle des siècles[662], Quant à la crainte servile, elle est bannie par la charité parfaite[663] : celle-ci nous affranchit de manière que nous ne fassions point de ces œuvres serviles que proscrit le sabbat. Or, la charité est répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[664]. C’est donc l’Esprit-Saint que désigne le nombre sept. Mais le Seigneur a lui-même divisé le nombre cinquante en quarante et en dix[665] ; puisque c’est le quarantième jour après sa résurrection qu’il monta au ciel[666], puis dix jours après qu’il envoya le Saint-Esprit, désignant ainsi par le nombre quarante son passage en cette vie temporelle. Le nombre quatre est en effet le nombre qui prévaut dans quarante ; or, il y a quatre parties dans le monde comme dans l’année, et en y ajoutant dix comme le denier qui doit récompenser les œuvres de la loi, nous trouvons la figure de l’éternité. En multipliant cinquante par trois, et pour ainsi dire par la trinité, nous arrivons à cent cinquante, nombre qui n’est point sans raison celui de nos psaumes. Dans ce nombre de poissons pris dans les filets des Apôtres après la résurrection, l’Évangile ajoute le nombre de trois à celui de cent cinquante[667], pour nous montrer, ce semble, en combien de portions nous devons partager ce nombre de manière à trouver trois fois cinquante. On pourrait néanmoins trouver dans ce nombre une raison plus subtile et plus agréable, c’est-à-dire que si nous décomposons dix-sept, de manière que tous les nombres depuis un jusqu’à dix-sept soient additionnés ensemble, nous arrivons encore à ce nombre de cent cinquante-trois. Or, le nombre dix désigne la loi, et celui de sept désigne la grâce ; puisque la loi n’est accomplie que par la charité répandue dans nos cœurs par ce même Esprit que représente le nombre sept.
2. Quant à ceux qui ont divisé les psaumes en cinq livres, ils ont suivi en cela l’indication des psaumes qui finissent par ces mots : Fiat, fiat[668]. Mais quand j’ai voulu pénétrer les raisons de cette division, je n’ai pu y parvenir ; parce que ces cinq parties ne sont point égales entre elles, ni par la quantité de la matière, ni même par le nombre des psaumes, qui serait alors de trente. Et si chacun de ces cinq livres doit se terminer par fiat, fiat, on pourrait avec raison demander pourquoi le dernier de tous ne finit pas de même. Pour nous, conformément à l’autorité canonique des saintes Écritures, où nous lisons : « Il est écrit dans le livre des Psaumes[669] », nous ne reconnaissons qu’un livre des psaumes. Je comprends que ce sentiment soit le véritable, et comment l’autre pourrait l’être aussi, sans qu’il y eût contradiction. D’après la coutume des Écritures des Hébreux, il est possible, en effet, qu’un livre divisé en plusieurs autres, ne soit regardé que comme un seul ; ainsi on ne parle que d’une Église, bien qu’elle soit divisée en plusieurs Églises, et d’un ciel unique, bien qu’il soit composé de plusieurs. Il n’est pas à croire qu’en disant : « Mon secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre[670] », le Prophète ait voulu omettre un des cieux. Et quand l’Écriture nous dit : « Dieu donna au firmament le nom de ciel[671] » ; quand elle assure qu’il y a des eaux au-dessus du firmament, c’est-à-dire du ciel, elle ne ment point, bien qu’elle dise ailleurs : « Et que toutes les eaux qui sont par-dessus les cieux louent le Seigneur[672] », sans dire au-dessus du ciel. On dit aussi : la terre, bien qu’elle soit composée de plusieurs, et chaque jour nous disons indifféremment orbis terrae, ou orbis terrarum, le globe de la terre, ou le globe des terres. Quoique, dans le langage ordinaire, cette expression : « Il est écrit dans le livre des Psaumes », semble dire qu’il n’y a qu’un seul livre, néanmoins on peut répondre que cette manière de parler : « dans le livre des Psaumes », signifie dans l’un des cinq livres. Mais cette manière de parler est tellement inusitée, ou du moins tellement rare, que ce texte : « Comme il est écrit dans le livre des Prophètes[673] », a fait croire que les douze Prophètes ne forment qu’un seul livre. Il en est encore qui ne regardent que comme un livre unique tous les livres de l’Écriture, parce qu’ils forment une admirable et divine unité, et que cette parole : « Il est écrit, au commencement du u livre, que je dois faire votre volonté », doit nous faire comprendre que le Père a créé le monde par le Fils, puisque cette création est placée au commencement de toute Écriture dans le livre de la Genèse. Ou plutôt parce que cette parole paraît une prophétie, rapportant moins les faits que prédisant l’avenir, puisqu’il n’est pas dit « que j’aie fait », mais « afin que je fasse », ou que je fisse votre volonté » ; et dès lors cette parole devrait se rapporter à une autre parole consignée aussi dans les premières lignes du même livre : « Ils seront deux dans la même chair[674] » ; profond mystère, selon l’Apôtre, dans le Christ et dans l’Église[675]. On pourrait voir encore le livre des Psaumes désigné dans cette parole : « Au commencement du livre, il est écrit de moi que je fasse votre volonté ». Car on lit ensuite : « Mon Dieu, je l’ai voulu, votre loi est dans le milieu de mon cœur[676] ». Or, on voit une prophétie de Jésus-Christ dans le premier psaume placé à la tête du livre : « Bienheureux l’homme qui ne s’est point laissé aller au conseil des impies, qui ne s’est point arrêté dans le sentier des pécheurs, ni assis dans la chair de pestilence, mais dont la volonté s’affermit dans la loi du Seigneur, et qui méditera cette loi le jour et la nuit[677] ». Ce qui reviendrait à cette parole : « Mon Dieu, je l’ai voulu, et votre loi est au milieu de mon cœur ». Quant à cette autre parole : « J’ai annoncé votre justice dans une grande assemblée[678] », elle se rapporte naturellement à celle-ci : « Ils seront deux dans une même chair[679] ».
3. Que l’on prenne dans l’un ou dans l’autre sens cette expression : « Au commencement du livre », ce livre des psaumes, divisé en trois parties, de cinquante chacune, me paraît marquer de grands mystères, si l’on consulte bien chaque psaume cinquantième. Je ne saurais croire, en effet, que ce soit sans raison que le cinquantième soit tira psaume de pénitence ; le centième, de la miséricorde et de la justice ; le cent cinquantième, de la louange de Dieu dans ses saints. Tulle est ers effet la voie que nous suivons, pour arriver à la vie éternelle et bienheureuse : d’abord la condamnation de nos péchés, ensuite la vie pure, en sorte que nous méritions par cette vie pure, et par la condamnation de nos fautes, la vie éternelle. C’est en effet d’après un arrêt profond de sa justice et de sa bonté, que Dieu a appelé ceux qu’il avait prédestinés, que ceux qu’il a appelés, il les a justifiés, et que ceux qu’il a justifiés, il les a glorifiés[680]. Il est vrai, ce n’est point en nous-mêmes que s’est faite notre prédestination, mais eu lui-même et dans le secret de sa prescience. Pourtant, les trois autres faveurs, la vocation, la justification, et la vocation se font en nous. C’est la prédication de la pénitence qui nous appelle ; car c’est ainsi que le Sauveur commence à prêcher son Évangile : « Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche[681] ». Nous sommes justifiés en invoquant la miséricorde, et en craignant le jugement ; de là cette parole : « Seigneur, sauvez-moi en votre nom, et jugez-moi dans votre puissance[682] ». Or, il ne craint point d’être jugé, celui qui a tout d’abord obtenu d’être sauvé. Notre vocation nous fait renoncer au diable par la pénitence, afin de ne plus demeurer sous son joug ; après la justification, nous sommes guéris par la miséricorde, afin de ne plus craindre le jugement ; et une fois glorifiés, nous passons à la vie éternelle, pour louer Dieu sans fin. C’est là ce que signifie, je crois, cette parole du Sauveur : « Voilà que je chasse les démons, et fais des guérisons aujourd’hui et demain, et au troisième jour je serai mis à mort[683] » ; ce qu’il figura aussi dans les trois jours de sa passion, de son sommeil, et de son réveil. Car il fut crucifié, il fut enseveli, il ressuscita. Il triompha sur la croix des princes et des puissances, se reposa dans le sépulcre et s’élança à sa résurrection. De même la pénitence nous met à la croix, la justice au repos, la vie éternelle dans la gloire. La pénitence dit : « Ayez pitié de moi, mon Dieu, selon la grandeur de votre miséricorde, et selon la multitude de vos bontés, effacez mes iniquités[684] ». Elle offre pour sacrifice à Dieu une âme brisée de douleur, un cœur contrit et humilié. C’est le Christ qui dit dans ses élus : « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre jugement, je connaîtrai les voies de l’innocence quand vous viendrez à moi[685] ». C’est la miséricorde, en effet, qui nous aide à faire les œuvres de justice, afin d’arriver en toute sécurité au jugement, dans lequel seront bannis de la cité de Dieu ceux qui commettent l’iniquité[686]. Le verset qui termine le psaume que nous allons expliquer est le cri de la vie éternelle.
4. « Louez le Seigneur dans ses saints » ; dans ceux qu’il a glorifiés. « Louez-le dans le firmament de sa puissance » ; ou, comme d’autres ont traduit, « dans ses puissances ». « Louez-le selon ses infinies grandeurs[687] ». Toutes ces dénominations désignent les saints de Dieu, selon cette parole de l’Apôtre : « Afin que nous devinssions en lui la justice de Dieu[688] ». Si donc ils sont la justice que Dieu a opérée en eux, pourquoi ne seraient-ils pas aussi cette puissance que Dieu a exercée en eux, pour les ressusciter d’entre les morts ? Car c’est dans la résurrection du Christ que sa puissance paraît avec le plus d’éclat ; comme sa faiblesse parut en sa passion, ainsi que l’a dit l’Apôtre : « S’il a été crucifié selon la faiblesse de la chair, il est néanmoins vivant par la force de Dieu[689] ». Et ailleurs : « Afin », dit-il, « que je connaisse Jésus-Christ, et la vertu de sa résurrection[690] ». Le Prophète a dit admirablement : « Dans le firmament de sa puissance ». C’est en effet le firmament de sa puissance de ne plus mourir, de n’être plus assujetti à la mort[691]. Pourquoi ne pourrait-on appeler puissance de Dieu celle qu’il a déployée dans ses saints ? Et même ce sont eux qui sont les puissances de Dieu, ainsi qu’il est écrit : « Nous sommes en lui la justice de Dieu[692] ». Quelle plus grande puissance que de régner éternellement, après avoir mis sous ses pieds tous ses ennemis ? Pourquoi ses saints ne seraient-ils point aussi son infinie grandeur ? Non point la grandeur qui le fait grand en lui-même, mais cette grandeur qui a fait la grandeur de tant de milliers de ses élus ? De même, en effet, que l’on se fait une idée particulière de la justice[693], par laquelle Dieu est juste, on se fait une autre idée de celle qu’il forme en nous, afin que nous soyons sa justice.
5. Ces mêmes saints sont encore désignés dans tous ces instruments qui servent à la louange de Dieu. Ce que le Prophète a dit tout d’abord : « Louez le Seigneur dans ses saints », il le continue, en marquant les saints par différentes expressions.
6. « Louez-le au son de la flûte » ; ce qui marque une louange éclatante. « Louez-le sur le psaltérion et sur la harpe[694] ». Le psaltérion fait résonner la louange de Dieu, par le haut de l’instrument, et la harpe le fait par le bas ; c’est comme la louange dans les choses célestes, la louange dans les choses terrestres, comme le Dieu qui a fait le ciel et la terre. Déjà, en effet, dans un autre psaume, nous avons dit que le psaltérion a par le haut cette concavité sur laquelle on ajuste les cordes afin d’en tirer un son plus retentissant, tandis que dans la guitare cette concavité est en bas.
7. « Louez-le sur le tambour et au son des chœurs »[695]. Nous louons Dieu sur le tambour quand notre chair heureusement changée ne ressent plus rien de la faiblesse et de la corruption de la terre. On prend en effet pour le tambour une peau desséchée et durcie. Louer Dieu en chœur, c’est le bénir dans une société paisible. « Louez-le sur les cordes et sur l’orgue ». Comme nous l’avons dit plus haut, le psaltérion et la harpe sont des instruments à cordes. Quant à l’orgue, c’est le nom générique de tous les instruments de musique ; bien que d’ordinaire on désigne plus particulièrement ainsi des instruments à soufflets, ce que je ne crois pas que l’on ait voulu indiquer ici. Car le mot organum désignant en général tous les instruments à soufflets, est un mot grec, et les Grecs avaient un autre nom pour ces instruments. Les appeler du nom d’orgues est donc une exigence latine, une exigence de la coutume. Cette expression dès lors : « sur les cordes et sur l’orgue », semble désigner un instrument pourvu de cordes. Or, ce n’est pas seulement le psaltérion et la harpe qui sont pourvus de cordes ; mais de même que le psaltérion et ta harpe, qui résonnent soit d’en haut soit d’en bas, nous ont fait découvrir quelque mystère analogue à cette différence, de même nous devons chercher quelque analogie dans ces cordes qui nous désignent la chair, et la chair délivrée de la corruption. Peut-être le Prophète y joint-il ce mot d’orgue, non pour que chacune des cordes rende un son particulier, mais pour que la diversité des sons y produise la plus suave harmonie, comme il arrive dans l’orgue. Car les saints de Dieu auront même alors des différences entre eux, mais des différences harmonieuses, et non discordantes, c’est-à-dire des différences qui s’accordent sans se heurter aucunement ; de même que des sons différents, mais non discordants, forment une heureuse harmonie. « Une étoile diffère en clarté d’une autre étoile ; ainsi en sera-t-il à la résurrection des morts »[696].
8. « Louez-le sur des cymbales retentissantes, louez-te sur les cymbales de la joie »[697]. Ce n’est qu’en frappant les cymbales que l’on produit des sons ; de là vient qu’on les a parfois comparées à nos lèvres. Mais il me semble qu’on leur donne un sens bien préférable en disant qu’on loue Dieu sur des cymbales, quand chaque fidèle est honoré par ses frères et non par lui-même, et que cet honneur mutuel devient pour Dieu une louange. Aussi, de peur, je crois, que la pensée ne s’arrête sur des cymbales qui résonnent sans âme, le Prophète ajoute : « cymbales de la jubilation » ; car la jubilation ou l’ineffable louange ne saurait venir que de l’âme. N’oublions pas toutefois que, au dire des musiciens et comme l’expérience le démontre, il y a trois sortes de sons, que produisent la voix, le souffle, l’impulsion ; la voix, quand un homme chante sans le secours d’aucun instrument ; le souffle, qui donne les sons de la flûte ou de quelque instrument semblable ; et l’impulsion, comme dans la harpe ou tout ce qui lui ressemble. Le Prophète n’a donc oublié aucun son ; il nous marque la voix dans les chœurs, le souffle dans la flûte, l’impulsion dans la harpe. Ce qui nous montrerait par comparaison et non par propriété, l’esprit, l’âme et le corps. Quand donc le Seigneur nous dit : « Louez le Seigneur dans ses saints », à qui s’adresse-t-il, sinon à eux-mêmes ? Et en qui doivent-ils louer Dieu, sinon en eux-mêmes encore ? Car vous qui êtes ses saints, comme le dit le Prophète, vous êtes aussi sa vertu, mais la vertu qu’il a opérée en vous ; vous êtes sa puissance, comme la multitude de sa grandeur, mais qu’il a opérée et fait paraître en vous vous êtes la trompette, le psaltérion, la harpe, le tambour, le chœur, les cordes, l’orgue et les cymbales de la jubilation, qui donnent des sons mélodieux ou des sons en accord. Vous êtes tout cela ; que la pensée ne s’arrête à rien de vil, à rien de passager, à rien de futile. Et comme la sagesse de la chair est mortelle, « que tout esprit loue le Seigneur »[698].

PRIÈRE QUE SAINT AUGUSTIN AVAIT COUTUME DE FAIRE APRÈS CHAQUE SERMON ET APRÈS CHAQUE TRAITÉ. modifier


Adressons-nous au Père tout-puissant, à Dieu notre Seigneur, et d’un cœur pur autant que le permet notre faiblesse, rendons-lui les plus grandes et les plus sincères actions de grâces. Supplions de toute notre âme son infinie bonté de daigner écouter favorablement nos prières, d’éloigner par sa puissance notre ennemi de nos actions et de nos pensées, d’augmenter notre foi, de diriger notre esprit, d’y mettre des pensées spirituelles, et de nous conduire au bonheur qui est lui-même ; par Jésus-Christ, son Fils, Notre-Seigneur, qui vit et règne comme Dieu, dans l’unité du Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

FIN DES DISCOURS DE SAINT AUGUSTIN SUR LES PSAUMES. modifier

PSAUME 14 bis modifier

DISCOURS SUR LE PSAUME 14[699] modifier

L’HOMME DU CIEL. modifier

Le chiffre du psaume est quatorze et nous rappelle que l’Agneau fut immolé au quatorzième jour, quand la lune est dans son plein. Or, habiter les tabernacles du Seigneur, c’est demeurer dans l’Église, qui n’est point une demeure permanente, et cette montagne où l’on doit se reposer c’est le ciel. Or, celui-là s’y reposera « qui marche dans l’innocence », c’est-à-dire qui est encore en chemin, et qui est déjà innocent, « qui pratique la justice » en faisant du bien aux autres, « qui parle selon la vérité, qui ne fait aucun mal au prochain », c’est-à-dire aux autres hommes. Un tel saint méprise le méchant fût-il haut placé dans le monde.


1. On vient de lire fort à propos le psaume quatorzième ; bien qu’il vienne à son tour, on le dirait choisi tout exprès. Le lecteur l’a pris dans l’ordre des psaumes, et néanmoins j’y vois la sagesse de Dieu, qui a mis dans l’ordre de nos explications ce qui devait vous être utile. Ce psaume est le quatorzième, qui a pour titre : « Psaume de David » ( Ps. 14, 1). Or, David c’est pour nous le Christ, nous t’avons dit souvent. Et puis, nous avons lu dans l’Exode que l’Agneau doit être immolé le quatorzième jour( Exod. 12, 5, 6) ; oui, ce quatorzième jour, quand la lune est dans son plein, quand il ne lui manque rien de sa splendeur ; d’où vous pouvez voir que le Christ ne saurait être immolé qu’en pleine et parfaite lumière. Comme donc l’Agneau doit être immolé au quatorzième jour, voilà que le Prophète saisi d’admiration s’écrie :
2. « Seigneur, qui habitera dans votre tabernacle ? » O vous qui voulez habiter dans le tabernacle, du Seigneur, écoutez cette apostrophe du Prophète : « Qui habitera dans vos tabernacles, ô mon Dieu, ou qui se reposera sur votre montagne sainte ? » Non point d’abord sur la montagne et dans le tabernacle ensuite, mais d’abord dans le tabernacle et ainsi sur la montagne. Le tabernacle n’est point une demeure permanente, te tabernacle n’a point de fondement, mais on le plante ; çà et là, il suit les migrations de l’homme. Aussi est-il appelé paroikia, et non point habitation. « Seigneur, qui habitera dans vos tabernacles ? » Comme ce n’est qu’une tente, ou l’appelle en grec paroikia. Voyons donc ce qu’est un tabernacle, ce qu’est une montagne. Un tabernacle n’a aucun fondement, c’est une demeure passagère ; les montagnes, au contraire, ont des fondements solides ; c’est pourquoi ce tabernacle me parait être l’Église de ce monde. Or, les églises que vous voyez aujourd’hui sont des tabernacles, puisque nous ne devons point y demeurer, nous devons passer ailleurs. Car, si la figure de ce monde passe( 1 Cor. 7, 31), et si le ciel et la terre passeront( Matth. 24, 35), comme il est dit ailleurs, à combien plus forte raison les pierres de ces églises que nous avons sous les yeux ? On appelle donc maintenant les églises des tabernacles, parce que nous devons en sortir pour aller à la montagne sainte du Seigneur. Quelle est cette montagne sainte du Seigneur ? Ezéchiel nous le dit en parlant contre le prince de Tyr : « Tu as été blessé sur la montagne du Seigneur( Ezéch. 28, 16, suiv. les Septante). Et qui reposera sur votre montague sainte ? » Puisque nous devons quitter les tabernacles pour aller sur les saintes montagnes, il nous faut apprendre à quels hommes il appartient d’aller sur la sainte montagne de Dieu.
3. Il y a une interrogation dans cette parole : « Qui habitera dans vos tabernacles, ou qui se reposera sur votre montagne sainte ? » C’est maintenant l’Esprit-Saint qui répond à la question du Prophète ; et que lui dit-il ? Veux-tu savoir, ô Prophète, veux-tu savoir qui doit habiter dans mes tabernacles, et reposer sur ma montagne sainte ? Écoute ce qui suit : Si tu observes ce que je vais dire, tu habiteras sur ma montagne sainte. Vous donc qui voulez habiter les saints tabernacles, et vous élever sur la sainte montagne du Seigneur, vous n’avez pas besoin d’écouter mes paroles, écoutez ce que le Seigneur répondit au Prophète ; pratiquez ce que te Seigneur vous ordonne, et vous arriverez à la sainte montagne du Seigneur. C’est celui qui marche dans l’innocence, et qui pratique la justice » ( Ps. 14, 2.). Aussi le psaume cent dix-huitième nous dit-il : « Heureux les hommes innocents dans leurs voies ! » Oui, c’est ainsi qu’il commence : « Bienheureux les hommes innocents dans leurs voies ! » ( 1. Ps. 118, 1) De même qu’il est dit là : « Innocents dans leurs voies », il est dit ici : « Qui marche dans l’innocence ». Or, marcher c’est être dans la voie, « Qui marche dans l’innocence ». Voyez ce qui est prescrit. Il n’est pas dit qui est pur en atteignant la fin ; mais qui est encore en chemin, et qui est sans tache. Quelqu’un pouvait dire : Je n’ai aucune tache, n’ayant commis aucun mal. Il ne suffit pas d’éviter le mal, si nous ne faisons aussi le bien. Car le Prophète continue : « Et qui pratique la justice ». Non point qui garde la chasteté, non point, qui fait des actes de sagesse ou de courage. Voilà sans doute les principales vertus. Ainsi la sagesse nous vient en aide pour résister aux persécutions : la tempérance et la chasteté nous sont utiles, pour ne point perdre nos âmes. Mais il n’y a que la justice pour dominer toutes les vertus dont elle est la mère. Comment, dira-t-on, la justice peut-elle dominer toutes les autres ? Les autres vertus font la joie de ceux qui les pratiquent, tandis que la justice fait la joie, non de celui qui la pratique, mais des autres. Que je sois sage, la sagesse fait nies délices ; que je sois courageux, le courage me plaît ; que je sois chaste, la chasteté a des charmes pour moi mais la justice fait moins le bonheur de ceux qui la possèdent, que des malheureux qui ne l’ont point. Donne-moi un pauvre qui a un différend avec mon frère, donne à ce frère une puissance telle qu’il opprime de son crédit tout ce qui n’est pas moi, ou qui m’est étranger ; de quoi ma sagesse va-t-elle servir à ce Pauvre ? Que fait à ce pauvre ma chasteté ? Que lui fait mon courage ? Mais ma justice lui vient en aide, parce que, sans acception pour mon frère, je prononce selon la justice. La justice, en effet, ne connaît ni frère, ni mère, ni père ; elle connaît la vérité. Non plus que Dieu, elle ne fait acception de personne, Aussi le Prophète nous dit-il : « Et qui pratique la justice », de peur qu’il ne paraisse exclure les autres vertus. Quiconque se met dans une sainte colère pour en soulager un autre, quiconque ne fait point sa joie du malheur d’autrui, celui-là est juste.
4. Disons encore ce qui suit : « Celui qui dit la vérité dans son cœur » ( Id. 14, 3.). Beaucoup ont la vérité sur les lèvres, et non dans le cœur ; ils paraissent dire la vérité, et le cœur n’est point d’accord avec la bouche. « Celui qui ne cache point l’artifice dans ses paroles ». Qui dit au dehors ce qu’il a dans la pensée. « Qui n’a fait aucun mal à son prochain ». Au nom de prochain beaucoup s’imaginent un frère, un voisin, un allié, un parent. Mais le Seigneur nous fait connaître le prochain dans cette parabole de l’Évangile, à propos de celui qui descendait de Jérusalem à Jéricho. Le prêtre passa outre, le lévite passa outre, sans en prendre pitié ; mais un samaritain qui vint à passer, fut ému de compassion. Le Seigneur fait ensuite cette question : « Lequel de ces hommes fut son prochain ? » On lui répond « Celui qui lui fit du bien ». Et le Seigneur ajoute : « Allez, vous aussi, et faites de même » ( Luc, 10, 30-37.). Nous sommes donc tous notre prochain réciproquement, et nous ne devons faire aucun mal à personne. Mais si nous ne voyons le prochain que dans nos frères et dans nos proches, il nous sera donc permis de faire du mal aux autres ? Loin de nous de le croire. Nous sommes tous notre prochain, et nous n’avons qu’un même père. « Et que son prochain n’a point couvert d’opprobre ». C’est le comble de la louange. Jamais voisin n’a murmuré contre lui ; jamais il n’a trouvé occasion d’en dire du mal. C’est là une vertu bien supérieure à l’humanité, c’est un don de Dieu.
5. « Le méchant, sous ses yeux est réduit à néant » ( Ps. 14, 4). Qu’un homme soit empereur, qu’il soit préfet, qu’il soit évêque ou qu’il soit prêtre (car l’Église a aussi ses dignités), quiconque est méchant sous les yeux du saint par excellence, est compté pour rien. Puis aussitôt le Prophète ajoute : « Il glorifie ceux qui craignent le Seigneur ». Ce saint qui marche dans l’innocence, qui méprise les puissants dès qu’ils sont méchants, décerne l’honneur à tout homme qui craint Dieu, quelle que soit sa pauvreté. « Qui s’engage par serment à son prochain, sans le tromper ». Et ici nous devons entendre comme plus haut ce mot de prochain.
6. « Celui qui n’a point donné d’argent à usure » ( Id.5). On pourrait dire ici bien des choses, mais le temps nous presse. Mais, avant-hier, nous en avons parlé au commencement de l’instruction, et puisque vous êtes par la grâce de Dieu sortis de la Chaldée avec Abraham( Gen. 11, 31), et que vous vous souvenez de ce que nous avons dit au sujet de cette sortie, venez dans la terre des promesses. Quant à Abraham, dès qu’il fut entré dans la terre promise, il trouva des adversaires à droite et à gauche, des ennemis qui tenaient le pays : le Seigneur vint pour l’en tirer, et lui fit gravir une montagne d’où il lui montra la terre entière, en disant : « Je te donnerai toute cette terre et à ta postérité » ( Id. 13, 15.). A lui la promesse, à nous l’accomplissement.

  1. 2 Cor. 4,7
  2. Prov. 21,20
  3. Lev. 12,2-8
  4. Gen. 1,31
  5. 1 Tim. 4,4
  6. Tit. 1,15
  7. Eph. 3,17
  8. Ps. 141,2
  9. Id. 3
  10. Mt. 6,5-6
  11. Eph. 4,27
  12. Mt. 10,32
  13. Id. 25,34
  14. Mt. 10,28-32
  15. Sag. 8,1
  16. Ps. 74,7
  17. Id. 141,4
  18. Mt. 10,19-20
  19. Mt. 5,3
  20. Jn. 7,38
  21. Ps. 19,9
  22. Id. 24,15
  23. Mt. 10,12
  24. Ps. 1,6
  25. Mt. 7,23
  26. Cant. 6,8
  27. Gal. 1,22-24
  28. 1 Cor. 10,32
  29. Rom. 13,10
  30. 1 Cor. 12,31
  31. 1 Cor. 13,1-3
  32. Id. 4,3-4
  33. Ps. 30,9
  34. Id. 24,9
  35. Id. 1,6
  36. Id. 139,6
  37. Lc. 9,26
  38. Sir. 9,20
  39. Ps. 141,5
  40. Mt. 25,34
  41. Id. 41
  42. Id. 10,23
  43. Jn. 10,11-13
  44. Jn. 3,16
  45. Act. 9,4
  46. Ps. 39,15
  47. Id. 141,6
  48. Ps. 141,7
  49. Mt. 10,28
  50. Lc. 21,18
  51. Eph. 2,2
  52. Id. 6,12
  53. Eph. 6,12
  54. Id. 5,8
  55. Jn. 1,10
  56. Sag. 8,1
  57. Id. 7,24-25
  58. Eph. 6,12
  59. 2 Cor. 10,3
  60. Phil. 3,20
  61. Col. 3,3
  62. Mt. 24,12
  63. Eccl. 1,2-3
  64. Col. 3,3
  65. Rom. 7,23
  66. Phil. 1,23
  67. Id. 24
  68. 1 Cor. 15,53
  69. 2 Cor. 2,13
  70. Id. 11,29
  71. 2 Tim. 4,8
  72. Sir. 39,20-21
  73. Mt. 11,25
  74. Mt. 11,25
  75. Ps. 83,5
  76. Sag. 9,15
  77. Ps. 140,10
  78. Ps. 142,1
  79. 2 Sa. 15,14 ss
  80. Mt. 9,15
  81. 1 Tim. 2,5
  82. Apoc. 12,5-6
  83. Ps. 86,3
  84. Gen. 4,8-17
  85. Ps. 86,5
  86. Apoc. 12,1
  87. Sag. 5,6
  88. Mt. 5,45
  89. Col. 1,21
  90. Gal. 2,20
  91. 1 Cor. 12,12
  92. Act. 9,4
  93. Jn. 10,30
  94. Gal. 3,16
  95. Gal. 3,16.27-29
  96. Gen. 2,24
  97. Eph. 5,32
  98. Jn. 1,1-3
  99. Ps. 54,13
  100. 2 Cor. 7,5 ; Ps. 54,13-14
  101. Ps. 142,1
  102. Rom. 10,2
  103. 1 Cor. 8,1
  104. Rom. 10,3
  105. Rom. 4,5
  106. Phil. 3,9
  107. Ps. 142,2
  108. Isa. 58,3
  109. Jer. 2,29
  110. Mt. 11,29
  111. Lc. 12,4
  112. Id. 15,21
  113. Sir. 11,30
  114. Ps. 28,1
  115. Phil. 3,12
  116. Mt. 6,9
  117. Id. 12
  118. Ps. 142,7
  119. Id. 56,7
  120. Col. 3,1-3
  121. Phil. 3,20
  122. Ps. 50,7
  123. Id. 68,5
  124. Jn. 14,30
  125. Id. 31
  126. Ps. 87,5-6
  127. Jn. 8,34
  128. Ps. 142,4
  129. Mt. 26,38
  130. Phil. 3,21
  131. Rom. 6,6
  132. Lc. 23,40-42
  133. Ps. 142,5
  134. Rom. 10,3
  135. Eph. 2,9
  136. Eph. 2,10
  137. Phil. 2,12
  138. Id. 13
  139. Jac. 1,17
  140. Ps. 142,6
  141. Id. 84,13
  142. Ps. 41,3
  143. Gen. 1,9
  144. Id. 142,7
  145. Mt. 5,3
  146. Ps. 103,29
  147. Id. 102,14
  148. Id. 1,4
  149. Ps. 103,30
  150. 2 Cor. 5,17
  151. Ps. 29,7-8
  152. Prov. 18,3
  153. Ps. 68,16
  154. Mal. 3,7
  155. Sir. 17,26
  156. Ps. 142,8
  157. Id. 56,2
  158. 2 Pi. 1,19
  159. Ps. 5,4-5
  160. Rom. 8,25
  161. Ps. 76,3
  162. Mt. 6,2-4
  163. Ps. 21,16
  164. Jn. 1,1
  165. Ps. 24,10
  166. Id. 142,9
  167. Gen. 3,8
  168. Job. 7,2
  169. selon les LXX
  170. Sag. 5,9
  171. Eph. 6,12
  172. Id. 5,8
  173. Id. 6,14
  174. Jn. 1,10
  175. Id. 13,27
  176. 1 Cor. 11,29
  177. Ps. 138,7-10
  178. Id. 142,10
  179. Id. 15,5
  180. Rom. 10,2-3
  181. Ps. 112,1
  182. Psa. 143,1
  183. 1Sa. 17
  184. 1Co. 10,11
  185. Gal. 3,21-22
  186. 1Sa. 17,39-40
  187. Mat. 27,51
  188. Rom. 13,10
  189. Rom. 5,5
  190. Eph. 4,2-8
  191. Psa. 143,1
  192. 1Co. 12,8
  193. Eph. 6,12
  194. Psa. 17,29
  195. Id. 35,10
  196. 1Sa. 17,51
  197. Eph. 5,8
  198. Gal. 5,17
  199. Gal. 5,17
  200. Psa. 80,2
  201. Gal. 5,17-19
  202. Rom. 8,10 ss
  203. Psa. 143,2
  204. Mat. 6,12
  205. Luc. 6,37-38
  206. Rom. 5,5
  207. Jac. 2,13
  208. Lc. 6,37
  209. Mt. 7,2
  210. 1 Thes. 4,15-16
  211. 1 Cor. 15,51-53
  212. Ps. 33,12
  213. Id. 13
  214. Id. 14,15
  215. Ps. 143,3
  216. Rom. 8,31-32
  217. Jn. 6,41
  218. Ps. 77,25
  219. Ps. 26,4
  220. Ps. 143,4
  221. Sir. 16,30
  222. Exod. 3,14
  223. Jac. 4,15
  224. Ps. 38,12
  225. Id. 6
  226. Job. 7,1
  227. Ps. 37,7
  228. Ps. 77,6
  229. 2 Pi. 1,19
  230. Mt. 6,4
  231. Ps. 143,5-7
  232. Ps. 18,2.4-5
  233. Act. 4,13
  234. Ps. 47,2
  235. Id. 82,19
  236. Id. 2,2 ; Act. 4,26-27
  237. Ps. 143,6
  238. Ps. 119,4
  239. Cant. 2,5
  240. selon les LXX
  241. Ps. 143,7
  242. 1 Thes. 4,15
  243. Nb. 20,13
  244. Ps. 143,8
  245. Id. 9
  246. Rom. 13,10
  247. Ps. 143,10-11
  248. Mt. 10,31
  249. Ps. 56,5
  250. Id. 143,12
  251. Eph. 6,12
  252. Ps. 143,12-14
  253. Gen. 12,5 ; 13,2-6
  254. Gen. 31,18 ; 32,7-10
  255. Ps. 101,28
  256. Id. 61,11
  257. Cant. 2,6
  258. 1 Tim. 4,8
  259. Mt. 6,33
  260. Mt. 19,29
  261. Prov. 17,6
  262. selon les LXX
  263. Id. 3,16
  264. Ps. 143,15
  265. Id.
  266. Mt. 25,35-36
  267. Voir ci-dessus, Ps. 49,49, n°9
  268. Prov. 27,2
  269. Rom. 1,3
  270. Id. 9,5
  271. Ps. 144,2
  272. Ps. 83,8
  273. Lc. 18,19
  274. Ps. 34,4
  275. Ps. 33,6
  276. Id. 90,4
  277. Job. 1,21
  278. Ps. 144,3
  279. Id. 113,17
  280. Sir. 17,26
  281. Jn. 11,25
  282. Mt. 22,32
  283. Rom. 14,8
  284. Rom. 14,9
  285. Id. 1,20
  286. Ps. 144,4
  287. Mt. 19,28
  288. Lc. 20,35-36
  289. Prov. 26,2
  290. Ps. 144,5-7
  291. Ps. 83,5
  292. Id. 144,7
  293. Jn. 13,23
  294. Id. 1,1
  295. Ps. 21,28
  296. Eph. 2,3
  297. Gen. 2,7
  298. Rom. 10,3
  299. Tit. 3,5
  300. Eph. 2,8-10
  301. Ps. 144,8-9
  302. Zach. 1,3 ; Malach. 3,7
  303. Ez. 33,11
  304. Rom. 2,5-6
  305. Sir. 5,8-9
  306. Ps. 144,9
  307. Mt. 5,45
  308. Mal. 3,7 ; Zach. 1,3
  309. Mt. 25,41
  310. Ps. 144,10
  311. Mt. 11,25
  312. Dan. 3,20-90
  313. Ps. 144,2
  314. Ps. 144,12
  315. Mt. 25,34
  316. Id. 6,10
  317. Ps. 144,13
  318. Ps. 144,13
  319. Rom. 8,32
  320. Ps. 43,22
  321. Id. 2,1-2
  322. Id. 71,11
  323. Id. 40,6
  324. Soph. 2,11
  325. Ps. 144,14
  326. Ps. 5,11
  327. Prov. 24,16
  328. Job. 2,7-10
  329. Ps. 36,24
  330. Jac. 4,6
  331. Ps. 144,15
  332. 2 Cor. 12,7-9
  333. Job. 1,9-12 ; 2,4-6
  334. Phil. 3,21
  335. Mt. 26,39
  336. Ps. 144,16
  337. Id. 17
  338. Dan. 3,27-31 ; 9,5-19
  339. Ps. 144,18
  340. Prov. 1,28
  341. Mt. 5,6
  342. Job. 1,21
  343. Ps. 144,19
  344. Rom. 8,24-25
  345. 1 Pi. 1,5
  346. Ps. 144,20
  347. Mt. 25,32-33.46
  348. Ps. 144,21
  349. Ps. 145,2
  350. Id. 42,5
  351. Rom. 13,12
  352. Gen. 1,31
  353. Rom. 8,10
  354. Id. 23-25
  355. 1 Cor. 15,53
  356. Gen. 1,31
  357. 2 Cor. 5,6
  358. Sag. 9,15
  359. Ps. 141,6
  360. Lc. 16,19-26
  361. Ps. 73,5
  362. Ps. 145,3
  363. Rom. 9,5
  364. Ps. 3,9
  365. Ps. 145,4
  366. Id. 36,35-36
  367. Ps. 145,5
  368. Id. 141,6
  369. 1 Cor. 3,9
  370. Jn. 15,1-5
  371. 1 Cor. 8,5-6
  372. Phil. 3,19
  373. Ps. 145,6
  374. Ps. 35,7
  375. 1 Cor. 9,9
  376. Deut. 25,4
  377. Mt. 6,26
  378. Mt. 10,29-31
  379. Ps. 145,7
  380. 1 Cor. 11,7
  381. Les Donatistes
  382. Jn. 19,24
  383. Mt. 5,10
  384. Mt. 5,6
  385. Ps. 145,8
  386. Jn. 9,6-7
  387. Phil. 1,23-24
  388. Gen. 3,6
  389. Ps. 145,9
  390. Mt. 6,9
  391. 1 Cor. 15,32-33
  392. Ps. 24,15
  393. Mt. 7,13
  394. Id. 25,31
  395. Ps. 145,10
  396. Rom. 8,26
  397. 2 Cor. 12,7-9
  398. 1 Cor. 10,31
  399. Mt. 22,30
  400. Sir. 15,9
  401. Rom. 5,8-9
  402. Ps. 146,2
  403. Gen. 32,28
  404. Rom. 5,8
  405. Ps. 146,3
  406. Id. 50,18-19
  407. Id. 33,19
  408. 1Co. 15,53-54
  409. Rom. 7,22-25
  410. Id. 8,10-11
  411. Rom. 1,17
  412. Os. 25,10
  413. Ps. 72,1
  414. Ps. 146,4
  415. Mt. 10,30
  416. Phil. 2,15-16
  417. Ps. 39,6
  418. 1 Cor. 12,8-10
  419. Mt. 7,22-23
  420. 1 Cor. 12,31
  421. Id. 13,1-3
  422. Mt. 13,12
  423. Lc. 10,17-20
  424. Ps. 146,5
  425. Mt. 10,30
  426. Sag. 11,21
  427. Ps. 121,3
  428. Id. 101,27-28
  429. Mt. 7,7
  430. Ps. 146,7
  431. Ps. 146,8
  432. Mc. 12,42
  433. Lc. 19,2-8
  434. 1 Cor. 9,11
  435. Isa. 40,6
  436. Mt. XLX, 16-26
  437. 2 Cor. 4,5
  438. Mt. 11,26
  439. Lc. 10,7-8
  440. Héb. 6,7-8
  441. Lc. 16,9
  442. Ps. 40,2
  443. Lc. 6,30
  444. Jn. 12,6
  445. Lc. 18,12
  446. Mt. 5,20
  447. Ps. 146,9
  448. 1 Cor. 9,7
  449. Gen. 1,26
  450. 1 Pi. 1,18
  451. Ps. 146,10
  452. Ps. XLX, 8-9
  453. Id. 83,11
  454. Id. 146,11
  455. Mt. 27,4-5
  456. Mt. 24,37-42
  457. Mt. 6,10
  458. Jn. 12,31
  459. Ps. 147,16-17
  460. Ps. 83,5
  461. Mt. 24,41
  462. 1 Cor. 7,29-32
  463. Id. 10,31
  464. Gen. 6,14
  465. Ps. 147,1
  466. Esdr. 5,1 ; 6,14
  467. Jer. 25,12 ; 29,10
  468. Ps. 147,2
  469. Mt. 25,35-36
  470. Ps. 72,20
  471. 1 Cor. 10,17
  472. Ps. 10,6
  473. Ps. 147,13
  474. Mt. 24,12
  475. Mt. 25,4
  476. 2 Cor. 11,2
  477. Gal. 6,4
  478. 1 Cor. 11,30
  479. Mt. 25,1-13
  480. Phil. 3,13
  481. Prov. 20,9
  482. Jac. 2,13
  483. Mc. 12,42
  484. Lc. 6,37 ; Mat. 6,12
  485. Voir Discours sur le Ps. 83, n. 8,11
  486. Jac. 2,13
  487. Mt. 7,2
  488. Rom. 9,5
  489. Sir. 4,36
  490. 1 Cor. 4,7
  491. Mt. 25,9
  492. 1 Cor. 4,2
  493. Mt. 25,11
  494. Gal. 4,19
  495. Rom. 5,6
  496. Ps. 147,14
  497. Ps. 33,12
  498. Gen. 22,18
  499. Jer. 6,14
  500. Gal. 3,16
  501. Ps. 21,17-18 ; 28,19
  502. Apoc. 22,15
  503. Jac. 2,13
  504. Lc. 16,19-31
  505. Phil. 1,23
  506. Lc. 23,43
  507. Id. 16,27
  508. Gen. 22,18
  509. Ps. 21,28
  510. Lc. 24,19
  511. Mat. 24,23-24
  512. Id. 28,20
  513. Luc. 24,13-47
  514. Act. 1,4-14 ; 2,1-12
  515. Mat. 13,30
  516. Gal. 5,17
  517. 1 Cor. 15,53
  518. Mt. 5,6
  519. Jn. 6,51
  520. 1 Cor. 1,24
  521. Sag. 8,1
  522. Id. 7,22
  523. Eph. 3,20
  524. Sag. 9,15
  525. Ps. 18,7
  526. Mt. 24,12
  527. Id. 17,2
  528. Eph. 5,27
  529. Rom. 8,30
  530. Mt. 9,13
  531. Id. 11,21
  532. 1 Cor. 8,2
  533. Job. 30,19
  534. Gen. 18,27
  535. Rom. 8,30
  536. Mt. 9,13
  537. Ps. 148,17
  538. Rom. 12,5
  539. 1 Cor. 10,17
  540. Act. 22,3
  541. Phil. 3,5
  542. Rom. 7,23-25
  543. Ps. 147,18
  544. Rom. 8,30
  545. Act. 9,1-4
  546. 1 Tim. 1,13-16
  547. Ps. 125,4
  548. Jn. 4,14
  549. Ps. 147,19
  550. Ps. 118,67
  551. Id. 71
  552. Gen. 32,24-26
  553. Mt. 11,12
  554. Ps. 68,5
  555. Jn. 14,30-31
  556. 1 Pi. 4,4.17-18
  557. Rom. 11,17
  558. Gen. 22,18 ; 26,4 ; 28,14
  559. Gal. 3,16
  560. Gen. 27,36
  561. Rom. 11,25
  562. Ps. 147,1
  563. Ps. 31,9
  564. Ps. 143,50
  565. Esdr. 5,1.2 ; 6,14
  566. 1 Cor. 10,6
  567. 2 Cor. 5,6
  568. 1 Cor. 15,26.54-55
  569. Ps. 148,2-5
  570. Jn. 1,1-3
  571. Ps. 148,6
  572. Rom. 5,6
  573. Jn. 17,24
  574. Jn. 1,14
  575. Ps. 148,7
  576. Eph. 2,2
  577. 2 Pi. 2,4
  578. Ps. 148,8
  579. Ps. 142,6
  580. Id. 62,2
  581. Mt. 5,6
  582. Mt. 25,41
  583. Id. 10,30
  584. Dan. 3,24-93
  585. 2 Mac. 7
  586. Ps. 118,19
  587. Ps. 148,9-12
  588. Id. 13
  589. Id. 14
  590. Rom. 1,20
  591. Mt. 5,45
  592. Mal. 4,2
  593. Sag. 5,6
  594. 1 Cor. 4,5
  595. Col. 3,3
  596. Id. 4
  597. Ps. 50,23
  598. Id. 73,5
  599. Rom. 4,3
  600. Jn. 8,33
  601. Id. 39
  602. Gal. 3,16
  603. Isa. 29,13
  604. Mt. 28,20
  605. Act. 9,4
  606. Mt. 24,35.37-40
  607. Ps. 149,1
  608. Jn. 1,1-3
  609. Ps. 6,8
  610. Id. 95,1
  611. Mt. 7,16
  612. Mt. 3,12
  613. Mt. 13,21-38
  614. Ps. 149,2
  615. Jn. 4,16
  616. Jn. 4,19
  617. Id. 3,16
  618. Id. 1,3
  619. Id. 14
  620. Gal. 4,26
  621. Lc. 2,14
  622. Mt. 22,40
  623. 1 Sa. 10,1 ; 16,13
  624. Exod. 30,30
  625. Ps. 149,3
  626. Id. 112,3
  627. Gal. 6,14
  628. Mt. 16,24
  629. Phil. 3,13-14
  630. Ps. 149,5
  631. Mt. 24,43-45
  632. 2 Cor. 1,12
  633. Ps. 2,11
  634. Prov. 20,9
  635. Ps. 149,6
  636. Héb. 4,12
  637. Mt. 10,31
  638. Agg. 1,1
  639. Ps. 149,7
  640. Apoc. 18,6
  641. Act. 10,13
  642. Act. 9,4
  643. Gal. 2,20
  644. Ps. 149,8-9
  645. 1 Cor. 1,26-28
  646. Mt. 28,19
  647. Mt. 19,21
  648. Jn. 4,18
  649. Ps. 110,10
  650. Sir. 6,25
  651. Mt. 25,41
  652. Id. 5,22
  653. 1 Cor. 7,3.27-39
  654. Mt. 19,6
  655. Id. 10
  656. Id. 11
  657. 1 Cor. 7,27
  658. Exod. 20,10
  659. Mc. 16,2
  660. Act. 2,14
  661. Isa. 11,2-3
  662. Ps. 17,10
  663. Jn. 4,18
  664. Rom. 5,5
  665. Act. 2,3
  666. Id. 1
  667. Jn. 21,11
  668. Ps. 40 ; 71 ; 88 ; 105
  669. Act. 1,20
  670. Ps. 120,2
  671. Gen. 1,7-8
  672. Ps. 148,4-5
  673. Ps. 39,8
  674. Gen. 2,24
  675. Eph. 5,31-32
  676. Ps. 39,8-10
  677. Id. 1,1-2
  678. Id. 39,8-10
  679. Gen. 2,25
  680. Rom. 8,30
  681. Mt. 3,2 ; 4,17
  682. Ps. 53,3
  683. Lc. 13,32
  684. Ps. 50,3
  685. Id. 100,1 ; 2
  686. Id. 8
  687. Id. 150,1-2
  688. 2 Cor. 5,21
  689. 2 Cor. 13,4
  690. Phil. 3,10
  691. Rom. 6,9
  692. 2 Cor. 5,21
  693. Dan. 7,10
  694. Ps. 150,3
  695. Ps. 150,4
  696. 1 Cor. 15,41-42
  697. Ps. 150,5
  698. Ps. 150,6
  699. Dans plusieurs manuscrits, ce discours précède le discours reproduit dans le tome 8 sur le psaume 14. D’autres manuscrits attribuent ce fragment à saint Jérôme.