Discours sur la pacification des troubles de l’an 1567

DISCOVRS
SVR LA PACI-

FICATION DES
TROVBLES DE
l’An 1567.
Contenant les cauſes & raiſons neceſſaires
du traitté de la Paix, auec le moyen
de reconcilier les deux Parties
enſemble, & les tenir en
perpetuelle con-
corde :
Compoſé par vn grand perſonnage, vray suget & fidele ſeruiteur de la couronne Françoiſe.
À ENVERS,
Par Conrras Thetieu,
1568.

DISCOVRS d’un grand perſonnage, vray ſeruiteur de la couronne de France, ſur la pacification des troubles eſmeus l’an 1567. contre l’opinion de ceux, qui embraſſans la guerre à bras ouuerts, ne voloyent ouyr parler de la Paix.




L
e but de la guerre, eſt la paix, laquelle s’aquiert par compoſition, ou par pleine, & certaine victoire. La voye de compoſition ſemble mal ſeure par la deffiance reciproque des mutuelles haines & iniures ſouſtenues de deux Religions diuerſes, & de certaines maiſons aheurtees en diſcords. D’ailleurs, elle ſemble peu hõnorable à cette victorieuſe & triomphante couronne : joinct q̃ les moyens ſont ſi perplex qu’on n’y peut voir chef ne queuë, lumiere ny adréce. La victoire (comme toutes choſes qui ſont hors de noſtre pouuoir, & en la ſeule main de Dieu) ne peut eſtre que douteuſe. Le paſſé nous enſeigne combien elle eſt difficile, & les exemples des autres Eſtats, combien elle eſt perilleuſe & incertaine.

Le Roy a plus d’hommes. Vray : mais il ſe trouue dix fois plus de batailles gaignees par le moindre nombre que par le plus grãd : dont tous Princes & peuples ont iugé & recogneu les victoires eſtre donnees du ciel.

La cauſe du Roy eſt plus iuſte. Soit : mais Dieu ſe ſert de tels inſtruments & occaſions qu’il veut pour punir nos iniquités. Il s’eſt iadis ſeruy des Babyloniẽs pour matter ſon peuple, & n’agueres des Turcs & de leurs ſemblables. Or ne pouuons nous nier, ne deſguiſer, que iuſtement ſon ire ne ſoit enflammee contre nous. Il y a donc apparence que nos aduerſaires ſont fleaux de ſa vẽgeance : & de faict nous voyons que toutes choſes leur ont iuſques icy ſuccedé fort à propos, & outre eſperance.

Ils ont peu de finance. Voire : mais, outre ce qu’ils la meſnagent bien, ils ont les moyens ouuers pour en recouurer : & tous ceux qui tiennent leur parti, engageroyent iuſques à leur liberté, pour nourrir & entretenir l’eſperance qu’ils ont de la conſeruer. D’ailleurs il y a des Princes & peuples eſtrangers qui eſtiment cette cauſe leur appartenir, & ne leur ont cy deuant failli : dont encor moins leurs mancqueront-ils à preſent, qu’ils ſont meſlés & ligués, & qu’ils participent à leurs entreprinſes. Ce ne ſont point gẽs ramaſſés, émeus, ou éleués par imprudence, ſans ordre, ſans chef, & ſans diſcipline. Ce ſont gens aguerris, reſolus, & reduicts au deſeſpoir. Leurs entreprinſes & ligues ſont pourpẽſees, pratiquees, & baſties de longue main. Ils ſont hommes de diſcours & de menees, ſuyuis & obeïs de ceux qui eſtiment la cauſe, & le peril, & l’iſſue de la faction, leur eſtre commune & en public, & en priué : & de ceux qui ont preferé la participation de ce peril & auanture à la perte de toutes les choſes, que les hommes priſent & cheriſſent, & le dernier haſard à la ſeurté & repos de leurs vies, maiſons, femmes, enfans, biens, honneurs, eſtats, & à l’accroiſſement d’iceux. La neceſsité, & le deſeſpoir, les rend dociles & diſciplinables à merueilles : auec la bonne opinion, qu’ils ont conceuë de leurs Chefs, deſquels l’ambitiõ eſt retenuë, & l’union eſtroictement conſeruee par la meſme neceſsité, que les Anciens ont appelee le Lien de concorde. Au contraire le camp du Roy eſt diuiſé en querelles, enuies & emulations. L’ambition y eſt débordee. L’auarice y domine. Chacun y veut tenir rang. La diſcipline y eſt corrompue, la licence démeſuree, les volontés mal vnies, & les intentions fort differentes. La plus part deſire la paix. Les autres ont leurs enfans, freres & parens, de contrebande. Autres y ſont par aquit, pluſieurs à regret, & pluſieurs auec ſcrupule de conſcience, craignans de nuire à l’auancement & progrés de leur Religion. Autres y ſont pour butiner. Brief il eſt compoſé de pieces rapportees. Pluſieurs s’en ſont ia débandés : & tous en general ſont laſſés & ennuyés du trait de temps qu’ils ont eſtés inutilement en campagne : dont iuſques au bas peuple chacun murmure, entrant en mécontentement, ſoupçons & imaginatiõs eſtranges, ſelon les hummeurs d’vn chacun : & l’infelicité du temps en fornit la matière, ioinct que l’inquietude & patience eſt naturelle à cette nation : ſi elle n’eſt viuement reprimee par telles barres que nous auons dit retenir les autres.

Le Roy ſe ſeruira d’estrangers : deſquels, en les bien payant, il diſpoſera à ſa volonté, ſans contrainte ne murmure. Certainement ceux qui cognoiſſent le François & l’eſtranger, ne gouſterõt iamais pour bon ce diſcourir. Car la bource du Roy ne pourroit longuement fournir à la ſoulde ſeulement des eſtrangers, eſtans les finances ia épuiſees, & les moyens d’en recouurer ſi-tresfort retranchés, & racourcis, qu’en peu de iours il ne nous reſtera que le vuide. Mais que deuiendront les naturels François : dont la pluspart a ia deſpendu feurre & lict, comme l’on dit ? Il ne leur reſtera doreſenauãt que la pauureté, le meſpris, l’enuie, la ialouſie, & le mécontentement, de ſe voir poſtpoſés pour tout loyer de leurs prompts & deuotieux ſeruices, à ie ne ſçay quels Bourguignons, Eſpaignols, Italiens, Suiſſes & Allemans. Il ne faut douter que la pluſpart ne ſe retire, & que l’eſtranger ne refuſe de combatre ſi le Frãçois ne luy fait le chemin, & ouure la meſlee : de ſorte que le Roy ne peut eſtre que mal ſeruy. La force de l’eſtrãger eſt auiourd’huy vne freſle aſſeurance. Le païs leur eſt incogneu, qui n’eſt pas petit deſauantage. Le Suiſſe ne vaut rien qu’à ſe défendre. L’Italien qu’à faire la mine. Le Bourguignon eſt en petit nombre, & l’Allemant à bõ droict nous eſt ſuſpect, tant pour la diuerſité de ſa religion à celle du Roy, ou conforme & affine auec celle des aduerſaires, que pource qu’ils ſçauent qu’il y a à butiner ſur nous : dont ils ſont friands. Or, ſi d’auanture ils auoyent intelligence auec eux, ou ſe laiſſoyent pratiquer, ce ſeroit fait de nous. D’ailleurs, le Suiſſe eſt malade & rompu : & couſtumieremẽt ne peut viure ſix mois en campagne, pour la ſaleté & negligence abrutie de ſoy, qui luy eſt quaſi naturelle, de façon que la peſte, deſia allumee entre eux, infectera l’armee, & auec la diſette de viures, écartera les forces, auſſitoſt que la chaleur aura commencé à poindre.

Mais par vne bataille l’on en purgeroit le païs à iamais. Cela ſeroit vray, s’ils y mouroyent tous ; mais c’eſt pluſtoſt ſouhaiter que diſcourir. Nous ne ſommes plus au temps qu’on aſsignoit iour & champ de bataille pour combatre obſtinément, iuſques à l’entiere deſcõfiture de l’vne des parties. Ce ſiecle eſt auſsi ingenieux de pourueoir à la retraite deuant la main, que les Anciens eſtoyent à vaillemment cõbatre : &, à vray dire, on ne fait plus que marchander au combat.

La perte de 3, 4, 5, 6, mille hommes affoiblira les aduerſaires. Mais ce n’eſt pas les effacer. La furie n’en ſera que plus enflammee, la diſcipline plus exercee, & toutes choſes myeux cõduites de leur coſté, & moins de la part du vainqueur eſtant l’inſolẽce couſtumiere compagne de la victoire. Ils ont des villes pour eux retirer, rafreſchir, raſſembler & nous nuyre à couuert. Brief ce ſera touſiours à recommencer. Hannibal & infinis autres ont éprouué que le gaing d’vne, de deux, voire de pluſieurs batailles, eſt vn gage mal aſſeuré de la victoire totale. Les Princes, ou peuples, qui ont eſté raſés en vne ſeule iournee, eſtoyẽt ſans diſcipline, ou ſans reſſource, ou laſches de courage, & non-aguerris. Les Gaulois d’outre les monts & les Liguriens furent deffaits en 50. batailles : & ne furent pourtant iamais exterminés. Les Flamãs & Liegeois ont eſté plus ſouuent que tous les ans dõptez de nous : & neantmoins ils ont touſiours releué les creſtes.

Mais apres vne bataille on les rangera à telles conditions qu’on voudra : ou après pluſieurs deffaites on en aura bon marché. Touchant les conditions, il eſt aſsés notoire qu’ils ont iuſques icy preferé les perils & tourmens extremes, à la dureté des loix qu’on leur a cy-deuãt propoſees, concernant la conſcience : & leur ſeroit la mort plus gratieuſe que la ſeruitude, & les broquards, & opprobres de leurs concitoyens. La choſe en eſt là venuë. De les deffaire tous, cela ne peut eſtre ſinon par vne longueur extréme : qui remplira ce Royaume de feu, de ſang, de cruauté, de ruyne, de deformité, de peſte, de famine, de pauureté, de ſolitude, de voleurs, de brigands, & d’eſtrangers, qui occuperont le nid vuide. La pauure Champagne nous ſerue d’exemple, qui eſt déchiree ſi miſerablement qu’à veüe d’œil, il faut que les habitans meurent de male faim, & de rage. Certes ceſt embraſement eſt ſi ardent & vniuerſel par tout ce Royaume, que la longueur eſt l’entiere ruyne, ſubuerſion, & aneantiſſement d’iceluy : voire (quand meſme on eſtancheroit ce mal des auiourd’huy,) il ſe trouueroit merueilleuſement apauuri par les degaſts extremes, pernicieux ruinements, demolitions, larrecins, pillages, & autres choſes ſemblables, qui ia ont eſté commiſes, & qui ne ſont que coups d’eſſay, au regard de ce qui eſt à craindre : c’eſt à ſçauoir, que ſans eſpoir de paix les cœurs s’embraſent d’auantage en fureur, car ce n’eſt que le premier acte de la Tragedie. D’auãtage, les grans deniers, qu’on a tranſportés, l’ont ia du tout eſpuiſé d’argent : pour ce que le cours de la marchandiſe, & la vente de nos fruicts (qui ſont les treſors de ce Roïaume) ne nous ont riẽ apporté. Ie poſe qu’en fin on vienne à bout des aduerſaires : ſi eſt-ce que les enfans & ſucceſſeurs, pour leur innocence, ſeront épargnés. Ils croiſtront auec vne extrême felonnie & rage, ſachans & ſentans la cruauté, exercee enuers leurs peres, & voyans les biens de leurs maieurs vſurpés & rauis iniquement, comme ils penſeront. Ce deſir de vengeance & du recouurement de leurs biens, les fera rallier, & reprendre nouuelles intelligences : de ſorte qu’en lieu d’enſeuelir le mal, & la diſſention ciuile, ce ſera la nourrir pluſtoſt, & forger vn Hydre eſpouuantable. Cela, poſsible, ne ſeroit pas à craindre en vne petite faction : mais on n’a iamais veu grande coniuration eſteincte, ou reprimee à force d’armes, que les cendres des morts, ou des bannis, n’ayent ſoudain allumé vn plus grand feu. D’auantage, ſi ceux qui ſont auiourd’huy en armes, apres vne bataille ſe voyẽt inferieurs à force ouuerte, il ne faut douter qu’à l’extrémité leur fureur ne ſoit extréme, & qu’ils ne tẽtent tous moyens, bons & ſiniſtres, pour ſe garentir : & Dieu ſçait s’il eſt mal-aiſé (veu le bigarremẽt & le meſlinge qui eſt entre nous, & les phantaſtiques perſuaſions dont les hommes ſe laiſſent enyurer & tranſporter) d’exploiter vn mauuais deſſein. Le mal & la fureur a ſes degrés, comme la vertu. Ces commencements ne ſont qu’eſtincelles, & acheminements de plus peſtilens effects, ſi Dieu n’y met la main.

Poſsible que la priſe d’vn ou de pluſieurs de leurs chefs leur feroit perdre courage. On ſçayt qu’ils en ont grand nombre, & entendement pour elire de deux extremités la moins perilleuſe & de tenter le dernier ſort pluſtoſt que de ſe laſcher & expoſer à l’ire de leurs ennemis, qu’ils eſtiment pis que mortels. Donques la longueur de la guerre, ne peut que remplir de rauage & de maſſacres cette France, la rendre farouche & ſauuage, ſans pieté, ſans reuerence, ne reſpect aucun, & accroiſtre, irriter & appeſantir de plus en plus l’ire de Dieu ſur icelle. Mais ſi au rebours ils gaignoyent la bataille il en iroit bien autrement. Car la perdant, ils ne ſont point en danger d’eſtre abandonnés de leurs aſſociés : d’autant que la cauſe leur eſt cõmune, le fruict, l’iſſue, & le peril commun, & en vn mot, ils ſont tous embarqués. Qui eſt cauſe, qu’ils ne ſe laiſſent point pratiquer, s’endurciſſans touſiours plus fort : iaçoit qu’aux autres guerres ciuiles, ce ſeroit le plus exquis & ordinaire moyen de les diſtraire. Leurs ennemis auſsi ne ſauroyent croiſtre : mais au contraire, le Roy a pluſieurs alliés & ſeruiteurs, qui lui tourneroyent le dos, ſi mal baſtoit, c’eſt à ſçauoir tous ceux qui ne ſuyuent ſon party ſinon comme du plus fort, & redoutans ſa puiſſance. La meſme raiſon qui les meut à le ſuyure, les inciteroit à l’abandonner, & taſcher de s’accointer du plus fort : teſmoins les alliés du Duc Charles de Bourgongne, qui tous en vn iour l’abandonnerent apres la premiere iournee, qu’il perdit contre les Suiſſes. Mille & mille hommes ſans religion, & infinis (qui par crainte du mal, ou eſperance de gaing ſuyuent l’armee) tourneroyent ſoudain leurs robes, pouſſés des meſmes argumens qui les meuuent à preſent. Outre ſi on en veut faire épreuue, on trouuera que la quarte partie de l’armee du Roy fait profeſsion de la Religion des aduerſaires. Ceux-cy facilement ſe reconcilieront auec les autres. Les eſtrangers prendroyent parti, & le reſte s’eſcouleroit en vn moment, comme il aduient ordinairement en guerres ciuiles. Les batailles des Anglois en leurs diſſentiõs nous en donnent amples teſmoignage. Dieu ne me face tant viure, que ie voye cette deſolation. Mais s’il eſt licite de preuoir les inconueniens, ie puis hardiment aſſeurer que la perte d’vne bataille feroit (ce que i’abomine) la perte de l’Eſtat. Car (quelque doux langage que les autres tiennent maintenant) ie ne ſçay à quoy l’inſolence d’vne victoire pouſſeroit ceux, qui meſmes en leurs miſeres ſont ſi éleués, & remplis de courage : & pour ne flatter point, c’eſt choſe que mal volõtiers & mal-aiſement, on fait de ſe raſſugetir à celuy qu’on a vaincu.

Nous ne liurerõs iamais la bataille qu’à ſi bõnes enſeignes, que le Roy tiendra la victoire au poing, ou par le colet. Certes les hommes diſcourent, & batiſſent leurs progrés, mais Dieu beſongne par deſſus. Il ſeroit ſuperflu d’amener des exemples en vne choſe ſi claire : c’eſt que la moindre faute, & la plus legere occaſion peut faire perdre vne bataille : de ſorte que les Anciens, pour ſignifier la bataille, diſoyẽt : Le haſard & la puiſſance de fortune, combien qu’ils fuſſent merueilleuſement bien diſciplinés. Voire meſme bien ſouuent de la multitude naiſt & s’engendre cõfuſion, negligence, & meſpris de diſcipline, ſe remettant chacun ſur ſon compagnon & tous s’aſſeurans trop en leurs forces, auec contemnement de leurs ennemis : qui ſont d’autant plus vigilans, retenus, & diſciplinés, que le peril les y contraint : & ſont enhardis, ou pluſtoſt forcenés par la neceſsité, qui ne leur permet rien eſperer que deſeſpoir meſmes, & qui eſt (cõme diſoit Tubero) le dernier (mais le plus puiſſant) fort, & le dongeõ le plus inuincible. Ce Royaume en a des exẽples autant memorables & amples, cõme piteuſes & lamentables. La priſe du Roy Ian deuant Poictiers (où vne grande & puiſſante armee fut deſconfite par vne petite troupe miſe au deſeſpoir) & freſchemẽt celle du Roy François deuant Pauie. D’auantage iamais ils ne ioindrõt qu’ils ne ſoyent egaux en force, ou à peu près : veu que tenans des villes fortes, des pontz & des riuieres, on ne les ſçauroit forcer à combatre, qu’en leur auantage : de ſorte que ſans douteux & perilleux euenement, on ne pourra euiter la longueur : qui produira infalliblement auec les maus ſuſdicts, vne autre plus ſecrete & plus pernicieuſe peſte. C’eſt l’accouſtumance des hommes, tant d’vn coſté que d’autre à n’obeïr plus au Roy ny à ſa iuſtice, à tenir à peu ſon autorité, à faire toutes choſes par vne force, à mal pẽſer & parler du gouuernemẽt de l’Eſtat, à gouſter la douceur d’vne fauſſe liberté (ou pluſtoſt licence, et abandon de toutes choſes, ceſſant le cours de la Iuſtice, & de toute police & diſcipline) & bref à tout ce qui eſloingne le ſuget de ſon deuoir : de ſorte que (ſi la guerre continuë) nos enfans, ne ceux qui naiſtront d’eux ne ſçauront voir les cœurs remis, radoucis, ramolis, traitables & prompts à obeïr, à reprendre le ioug d’obeïſſance, & à ceder au plus foible, tãt eſt puiſſant l’effect de l’accouſtumãce (qui ſurmõte la nature) & meſme ſi c’eſt au gouffre de vice & diſſolution, auquel il eſt aiſé de ſe precipiter, mais impoſsible de s’en retirer. Qui plus eſt, les plus horribles & execrables forfaicts peu à peu (comme diſoit vn Seigneur Romain) ſe rendent familiers par vſage & accouſtumance : de façon qu’on peut dire que cette guerre ne fait que planter & peupler la France de barbarie & de monſtres peſtilens, & deteſtables. Outre ce la reputation du Roy ne peut eſtre que fort intereſſee à l’endroict des eſtrangers, & meſmes des ſiens s’il ne peut ranger ſes ſugets que par vne extréme longueur de guerre, & par la ruine & entier degaſt de ſon Royaume. Il y a encor’ vne autre ſecrette peſte : c’eſt que la corruption des meurs eſt ſi debordee, que certains Seigneurs & Capitaines (qui ſont du parti du Roy en cette guerre) tenans à peu leur deuoir, foy, ſerment, & obligation (qui eſt d’expoſer leurs perſonnes & biens pour leur Prince, comme tenans leurs terres de luy à cette condition & charge) diſent & ſe vantent qu’ils meritent tant & plus de ſa Maieſté : & ſe faſchent & deſpitent s’ils ne ſont recongneus & careſſés à leur fantaſie. Qui monſtre qu’ils ſeruẽt pluſtoſt à leur ambition & auarice que non pas au Roy : & eſt la freneſie des hommes ſi aueuglee, que iuſques aux plus chetifs qui portent les armes dedans vn poullailler, chaſcun ſe vante d’auoir maintenu la couronne au Roy, & (ce que plus ie trouue eſtrange) certaines Cours & autres compagnies (où les hommes deuroyent eſtre plus moderés & mieux aduiſés) ne rougiſſent nõ plus que l’autrefois, d’vſurper les plus magnifiques titres, qu’ils peuuent imaginer, ne pouuans celer la maladie de leur eſprit. Quant aux Seigneurs, il leur eſt biẽ aduis qu’on leur doit beaucoup de retour, & que ſans eux tout ſe fut mal-porté. Ce qu’ils font ſonner, & retẽtir ſi haut que ceux qui entendent combien cela poiſe, en ont le cœur nauré, & plein de mauuais augure. Les eſtats eſtrangers ſe vanteront tãtoſt d’auoir eſté protecteurs de cette Couronne, & en rẽpliront leurs eſcrits & triomphes : de ſorte que ſi la guerre dure, le Roy ſera deſormais cõme eſclaue des vns & des autres, & aura aſſez affaire à les remercier, &, en ſe deſpouillant, leur departir largement de ſes biens, & les honnorer de ſes plus grans & exquis ornemens, leſquels ils prendront pour tribut & hõmage de la couronne : ainſi que faiſoyent iadis les Roys d’Angleterre, nos penſions. Que ſeroit-ce ſi par leur moyen le Roy auoit obtenu pleine victoire, puiſque n’ayant encores fait que mãger & ruiner ſon peuple, ils entonnent ſi haut leur vaillantiſe ? C’eſt vn des plus grans maux qui puiſſent arriuer à vn Prince de ſe rendre ſi tresfort obligé à quelqu’vn, ou pluſieurs, qu’il ſemble tenir d’eux, en partie, ſon eſtat. Les exemples en ſont aſſez frequens, dont le recit ne pourroit eſtre que tresamer & odieux. Certainement la longueur de la guerre ſeruira à éleuer & agrandir certains hommes, & à leur donner credit, faueur, & autorité enuers le peuple, nom & bruit enuers les eſtrangers & autant de licence enuers leur Prince. Choſe qui eſt tresperilleuſe en vn eſtat & vraye ſemence d’autres fureurs ciuiles, & meſmes attendu l’aage du Roy & de Meſsieurs ſes freres. Quel ordre donc ? À la uerité nous ſommes bien malades : puisque ny la guerre ny la paix ne nous eſt propre, & que nous ne pouuons porter ny le mal ny le remede.

Pluſieurs penſeront que, puiſque le Roy eſt ordonné pour rendre iuſtice, maintenir les bons & punir les mauuais, & qu’à cette fin il eſt armé de l’autorité ſouueraine, il ne peut faillir ſuyuant ſa vocation de pourſuyure iuſtement par le glaiue, ceux qui iniuſtemẽt ſe ſont ſouſleués, troublans l’Eſtat & violans les loix, & en ce faiſant il obeïra à Dieu, qui eſt le Seigneur des armees, & qui ne peut faillir à la iuſtice. Et tout ainſi que le Magiſtrat ne peut pardonner au voleur, ny à l’homicide, ſans ſe charger des meſmes crimes, ainſi eſt-il de ceux cy, qui ne peuuent eſtre iugés vrais ſugets, mais rebelles & membres corrompus : qu’il eſt neceſſaire de retrancher à quelque prix, haſard, ou perte que ce ſoit. Cela ſans doute eſt ſpecieux & de beau luſtre : mais il eſt captieux & perilleux. Du peril, nous en auons touché cy deſſus. Ioint que la cõduite de ce qui eſt paſſé deuãt nos yeux (dont les plus clairs eſprits ſont éblouïs) & la corruption manifeſte de tous eſtats, ſexes, & aages, nous garde d’ignorer, & douter que ce ne ſoyent les fleaux de Dieu : leſquels nous aguiſons, & faiſons redoubler en perſeuerant à prouoquer ſon ire, & nous aheurtant à notre dureté. Car, qu’eſt-ce autre choſe de s’attacher à ſes verges, ſans regarder à luy, que le dépiter ? Touchant la caption elle eſt toute apparente, & l’aduis deſſusdit totalement repugnant à la iuſtice, à Dieu, auteur d’icelle & à l’autorité & deuoir du Roy. Car tout ainſi que la medecine tend à la gueriſon, ainſi fait la iuſtice à la gloire de Dieu, & à l’amendemẽt des hommes, & non pas à la cruauté & au ſang, à l’iniure, ou à contraindre nature & violer & peruertir l’humanité. Vray eſt qu’il faut retrãcher le mẽbre pourri, quand il n’y a plus d’eſperance de gueriſon : mais tandis qu’il y a, tant ſoit peu de lumière d’amendement, le Medecin ſeroit meurtrier, ſi laiſſant les remedes propres, il vſoit des extrémes. Il faut donc premierement enquerir ſi le mal des ſugets du Roy eſt incurable, pour vſer des remedes ſelon le beſoin : autrement ce ſeroit comme qui enterreroit vif ſon enfant malade, ſans eſſayer le moyen de le guerir. Entre tous ceux qui ſont en armes de l’autre coſté, pas vn ne tend à eſcourre le ioug de la domination du Roy. Car ce ſeroit manifeſtement contre les principes de leur Religion. Tous le recongnoiſſent pour leur vray, naturel, ſouuerain & ſeul Prince. Pas vn ne diſpute, de la legitime vocation de ſa Maieſté. Tous ſont fichés là, qu’il luy faut porter & rendre honneur, ſeruice & obeïſſance.

Mais ils n’obeiſſent pas ainſi qu’il appartient : ains au contraire, leurs actions dementent leurs belles paroles. Pour en parler au vray, ils ſont (ainſi que la pluſpart des autres hommes) empriſonnés de paſſion, qui les meut & agit tout au rebours de leurs premieres pẽſees & intentions : &, comme le malade trouue gouſt aux choſes pernicieuſes, & dedaigne les ſalutaires, deſirant toutesfois ſa gueriſon, ainſi la pluſpart d’eux pẽſe tresbien faire en mal-faiſant : & c’eſt la cauſe qui a mis aux champs tels, qui pouuoyẽt heureuſemẽt viure en leurs maiſons, & qui a tourné à l’enuers les cerueaux de tant d’hommes ſages, & bien-aduiſés. Il faut donc vſer de remede propre à guerir ce poiſon. Car puiſqu’ils ſont malades de l’eſprit, quelle felonnie & miſanthropie, ſeroit-ce, en lieu d’en auoir cõpaſsion, & de les ſecourir, de les violenter & perſecuter à feu & à ſang ? Ce ſeroit faire guerre à la nature, & déchirer brutalement l’humanité. La iuſtice punit ceux qui fout mal ſciemment, & de propos deliberé : & conſerue ceux qui pechent innocemment, & qui par infirmité trebuchent. Il eſt plus que notoire, que la crainte les a pouſſés & precipités en cet encombre. Car puiſque l’on confeſſe, qu’ils ont entendement ce ſeroit folie de pẽſer qu’ils euſſent oſé entreprendre, ny meſme penſer d’enuahir l’Eſtat ſans aucun droit, apparence, ou couuerture. Quel propos y a il, q̃ gens de telle étofe, ayent haſardé & abandonné leurs vies, honneurs, biens, maiſons, femmes & enfans, ſous vne friuole promeſſe, ou eſpoir (ou pour mieux dire) reſuerie & ſonge, d’eſtablir par armes vn nouuel Eſtat, auec moyens & inſtrumens ſi friuoles pour exploiter vne ſi haute entrepriſe ?

Poſsible ſont ils entrés en imagination de gouuernement. Quoy que ce ſoit, ils ont douté de leurs ſeurtés, & y ont voulu pouruoir : à quoy ils ont tourné toutes leurs penſees, & (comme la cruauté & l’eſpoir ſont deux cruels tyrans de nos ames) ont iugé tous moyens eſtre licites, pour paruenir à leurs ententes, & la néceſſité eſtre la plus iuſte & inviolable de toutes les loix. Or puiſqu’ils ſont hommes, & non pas Anges, il y a au mõde raiſons plus viues & plus vrgentes, pour les induire à cette opinion & les éblouïr & tromper, que ce que la nature approuue à vn chaſcun ? C’eſt à ſçauoir, que la tuition de la vie & de la liberté cõtre l’oppreſſion, eſt non ſeulement licite, ains auſsi, iuſte, equitable & ſaincte. Cette loy n’eſt point donnee, ou enſeignee aux hommes, mais eſt empreinte en leur cœur, & nee auec eux. Elle n’eſt point eſcrite, mais diuinement engrauee en l’eſprit de toutes creatures humaines. C’eſt la cauſe de leurs menees : qui ont eſté depuis tournees, contre leurs premiers deſſeins, en hoſtilité, & qui meritẽt d’eſtre reprimees, les conſiderant à part : mais les conferant auec le ſalut du Royaume, la conſeruation de l’Eſtat, le repos du peuple & la fin de ce perilleux embraſement, qui eſt ce qui ſera tãt ennemy du Roy & de ſon Royaume, qu’il luy diſſuade quitter ſon offence pour la Republique ? Tout ainſi qu’vn pere ayant deux enfans en diſcord ne les fait pas combatre, ny ne veut perdre celuy qui luy eſt moins agreable, pour ſe ſeruir en paix du vainqueur : mais taſche de moderer & bien ranger l’autre, & les reconcilier tellement qu’ils ſoyent comme fermes pilliers de ſa vieilleſſe : auſsi le cœur du Roy plein de charité & d’amour paternelle, ne doit ſouffrir vne ſi ſanglante & felõne obſtination, que d’exterminer vne grande partie de ſes ſugects, s’il y a moyen de les ramener à leur deuoir, & les reconcilier à l’autre partie : & puiſqu’en cela giſt le ſalut de la Republique, il ſe faut reſoudre, comme fiſt iadis le ſenat Romain, du temps de Valerius le Dictateur : c’eſt d’y paruenir par quelque voye ou ſentier, & par quelques difficultés que ce ſoit, quittant & remettant de la rigueur du droict (ainſi que diſoit Lucius Papirius) comme eſtant le ſalut & repos du peuple la ſouueraine & la plus equitable de toutes les loix, & dõnant au ſang & au nom, qui nous eſt commun auec eux, au peril de la Republique, & à la neceſſité, par le conſeil d’vn autre Romain, tout ce que nous ne pouuons retenir ſans ce ſang, ce nom & Eſtat commun. Le moyen de faire ceſſer au pluſtoſt les iniures, & violences reciproques, eſt de faire poſer les armes à tous, & rappeler par vne loy benigne, ceux qui ſont detournés, donnant fin à cette ſanglante & brutale guerre.

Quelle fin ? Ne ſera-elle point ignominieuſe ſi ſa Maieſté entre en capitulation auec ſes ſugets ? Là s’arreſtent & demeurent fichés la pluſpart des hommes, ou par foibleſſe d’eſprit, ou par malignité. Mais, en effect, ce trait ſi luiſant de ſi belle apparence, & ſi proprement doré, eſt vne pure impoſture & vne peſtilente inuention de l’ennemy des hommes, de la paix & de verité. Car donner la loy a ſes ſugets, leur preſcrire vne forme de viure, leur impoſer peine & ſupplice, s’ils outrepaſſent ſa volonté, les deſarmer, leuer tribut ſur eux, & receuoir d’eux l’hommage, eſt-ce capituler auec eux ? Capituler, eſt démeſler la diſpute du droit d’vn chaſcun par egal reſpect, & prẽdre & donner la Loy tout enſemble, baillant gage à chaſcun de ſon coſté, ou par oſtage ou par autre aſſeurance. Mais quãd vn ſeul reçoit la loy, & vn ſeul la donne, qu’eſt-ce autre choſe que le fruict de la victoire ?

Voire : mais le Roy leur accorde des conditions, que ſans les armes ils n’euſſent point obtenues. Certainement ſi le Roy quittoit quelque choſe de ſon droict ou authorité, ie n’aurois que reſpondre : cõbien qu’il falle quitter de ſon droit, ſi le ſalut de la Republique le requiert. Car meſme ce n’eſt plus droit, s’il empeſche le bien public & nuit à l’Eſtat : ainſi que diſoit Appius Claudius, de l’autorité des Tribuns du peuple Romain. Mais ſa Maieſté ne leur donne par ce traicté, ny eſtat, ny terres, ny ne les allege d’aucũs tributs ou ſubſides, ny ne leur quite aucuns deuoirs, ou charges : il laiſſe ſeulement leur conſcience en liberté. Cela s’appele-il capituler, de promettre pour toute conuention, que le Roy demeurera leur Prince, & ils demeureront ſes ſugets ? Si le Roy leur oſtoit la liberté, ils ſeroyent ſes eſclaues, & non pas ſes ſugets. Il ſeroit leur oppreſſeur, & non pas leur Prince. Car la principauté eſt ſur les hommes libres. Donques en leur laiſſant la liberté il ſe conſtitue leur Prince (c’eſt à dire, protecteur de leur ſalut & liberté) & ils ſe declarent ſes ſugets, obligés à maintenir ſon Eſtat. Qui eſt-ce qui ſera ſi impudent de dire que c’eſt capituler ? Que ſi on veut venir à borner la liberté de ſi eſtroites barres, que la Religion & l’ame n’y ſoit point compriſe, c’eſt peruertir malignement, & le mot & la choſe meſme. Car la liberté ſerue, n’eſt point liberté. La liberté brutale du corps, & des actions humaines, eſt vile, & indigne de cette exellente marque, qui eſt proprement deuë à l’eſprit, & à la plus digne partie d’iceluy, & à la plus excellente de toutes ſes actions, ceſt à ſçauoir, à la pieté. Quelqu’vn dira ſoudain que ce n’eſt point liberté, ains vne licence pernicieuſe. Mais il y a ia longtemps que le Conſeil du Roy a congnu & iugé que c’eſtoit liberté, & qu’il eſtoit neceſſaire de laiſſer en paix les eſprits de ſes ſugets, apres auoir longuement éprouué qu’ils ne pourroyẽt eſtre pleyés, ne par le fer, ne par la flãme, ains ſeulement par la viue perſuaſion, & par la raiſon qui domine ſur les hommes. Ce qui n’a point eſté fait ſans exemple, meſmes du plus grand Empereur, qui ayt eſté il y a trois cents ans. Or eut il onques tant d’occaſion de permettre cette liberté, que le Roy en a maintenant ? L’oſter, ou en retrancher, ſeroit-ce point captiuer & aſſeruir les hommes ? Donc, c’eſt vne feneſtre bien fermee, que d’appeler capitulation la loy du Prince, qui conſerue la iuſte liberté à ſes ſugets, les munit cõtre l’oppreſsion, & ratifie ce que (long temps y a) ſa Maieſté & ſon Conſeil a arreſté & ordonné, & qu’il faudroit de nouueau arreſter, s’il eſtoit à faire & qui luy conſerue le nom & tiltre de bon Prince. Mais c’eſt bien perſecuter hoſtilement ſon Prince, d’éloingner ſa volonté, par malins artifices d’vne tant ſalutaire & ſainte reconciliation, auec menaces de l’abandonner, s’il y veut entendre. N’eſt-ce pas le tyranniſer & opprimer ? Ceux qui ſont de ceſt aduis, demeurans à couuert & loing des coups, deſirent que le Roy pourſuyue ſa poincte par guerre, & haſarde ſon Eſtat, auec la certaine & infallible ruyne de tous ſes hommes. En quoy ils deſcouurent aſſez qu’il n’y a rien en eux de ciuil, ne d’humain ne de ſaint : ou qu’ils ont l’eſprit troublé & peruerti, de haine, de vengeance, & de fureur, dont par le paſſé, leurs opiniõs ſanguinaires (vrais pourtraits & images de leurs eſprits) ont fait ſuffiſante preuue. Et pourtant on ne doit prẽdre leur aduis, que pour vn trait enuenimé, rué aueuglément, contre leur aduerſaire, & pour opiniõ d’ennemis iurés de la Republique. Auquel rang ſont tous ceux, par la ſentence de Halla Seruilius, qui ſeparẽt leur conſeil du public, ayans plus de reſpect à leurs particulieres haines, qu’au ſalut du peuple. Neantmoins par ce qu’ils meſlent que c’eſt pour l’honneur du Roy, on les eſcoute fauorablement comme bien zelés à la conſeruation de ſon autorité, de laquelle toutesfois ils abuſent peruerſement, impoſans à ſa Maieſté, pour l’apparence du mot d’honneur & de Capituler, empeſchãs vn bien tant neceſſaire, & donnans occaſion à infinis maux, les plus execrables qu’on pourroit penſer. Rien n’eſt plus honnorable & plus magnifique à vn Roy, que de donner la Loy a ſes ſugets ſans diminutiõ de ſes droits. Rien n’eſt plus loüable à vn ſage Prince, congnoiſſant q̃ les diſſenſiõs & fureurs ciuiles ſont les maladies des grãs eſtats, que d’y appliquer par ſa prudence, le remede conuenable, & ſi dextrement manier les eſprits, qu’il gueriſſe les playes maintenant enſemblement ſes ſugets, & ſa Seigneurie. Nos Roys predeceſſeurs de ſa Maieſté, ont conſerué & agrandy ceſt Eſtat, autant ou plus par prudence, que par armes. La vraye & naturelle prudẽce, eſt de ceder quelquefois au temps, & touſiours à la neceſsité. En cette facon ont eſté ſouuent pacifiees les diſſentions ciuiles, des Romains : & eſt ſouuent aduenu que le Senat, quitant liberalement quelque choſe au populaire, non ſeulement le rendoit ſatisfait, & comme vaincu : & par ce bien faict non eſperé eſtoit cauſe qu’il s’en enſuyuoit vne merueilleuſe concorde, & obeïſſance treſprompte du bas peuple. Au contraire, quand ce meſme Senat, laiſſant cette voye, & meſpriſant l’artifice & prudence de ces maieurs, s’eſt roidi, ſans vouloir rien ceder de ſa fole grauité à l’endroict de Ceſar, &, depuis d’Antoine, il donne vn exemple, & enſeignement perpetuel à tous Princes & peuples, & monſtra à ce ſuperbe theatre eminent ſur toute la terre, que ceux qui manient vn Eſtat, doiuent en ſoy deſpouillant de tout regard particulier, & mettant à part toute haine, & malueillance, tourner toute leur eſtude, ſoing & diligence au ſalut du peuple & à la conſeruation de l’Eſtat ſans s’opiniaſtrer, comme ils firent, dont s’enſuyuit leur ruyne, & la perte de l’Empire, & de la Maieſté du peuple Romain. Ceux donc qui ſous pretexte de ne rien ceder, & de tenir touſiours leurs ſourcils refrongnés, taſchent de s’agrandir & venger leur mauuais courage, tenans à peu le haſard de l’Eſtat, & la certaine ruyne des ſugets du Roy peuuent à bon droict eſtre appelés peſtes & proditeurs, de la Republicque, de leur partie, & de ſa Maieſté. Le bon pilote ne s’obſtine iamais contre la tempeſte. Il baiſſe les voiles, & ſe tient coy. Puis releuant ſes anchres vogue ſeurement ſur les ondes, n’agueres enflees & éleuees pour le ſubmerger. Si on combat contre l’orage & contre le ciel, ſera-ce pas ſe precipiter aueuglément, & chercher éperduëment la mort ? Le ſage enfant ne s’endurcit point contre le courroux de ſon pere, mais s’humilie & l’appaiſe : & tantoſt apres le pere le couronne de ſa benediction, & de ſon heritage. Auſsi Dieu noſtre Pere, ayãt d’une main viſité notre Roy, de l’autre l’éleuera plus haut que iamais, & le couronnera de graces nouuelles, & de biens non eſperés.

Si quelque boutefeu enuenimé, veut eſtriuer ſur le mot de Capitulation & de Paix, ie maintien que c’eſt ſigne de victoire de demeurer Seigneurs, & dõner Loy à ceux, contre leſquels on a combatu. Cette victoire non ſanglante ſera de plus grand prix & proffit, & plus glorieuſe à ſa Maieſté, que mille autres victoires : deſquelles le Roy n’auroit ny honneur, ny grace, ains ſeulemẽt les Capitaines & gens de guerre, qui s’amplifieroyent à ſon detriment, luy ſouſtrayans la deuotion de ſes ſugets, & l’honneur de la deffenſe de l’Eſtat. Et non ſeulement elle gardera ſa Maieſté de tomber en grãdes & infinies obligations (qui eſt vn demy ſeruage) mais au rebours, luy obligera de plus en plus ſes ſugets d’vne part & d’autre, meſmes les gens de guerre, les ayant oſte de peril eminẽt, de l’incertaine iſſue de cette meſlee, & de l’infallible ruïne des vns & des autres. Les illuſtres combats, hauts faicts d’armes, & grand nombre de victoires, n’ont point donné le nom de Treſgrand à Quintus Fabius : mais le luy dõna la reconciliation de certains eſtats, irrités en ſa ville. Ainſi à bon droit ſera donné le tiltre magnifique de Treſgrãd à noſtre Roy, s’il appaiſe doucement ſon peuple. Auquel tiltre le Roy Charles premier, dit le Grand, par ſa belliqueuſe gloire, n’a peu atteindre. Et à la verité c’eſt choſe plus qu’humaine de parfaire d’vn traict de plume, ce que tant de millions d’hommes, auec la perte de leur ſang, ne peuuent mettre à chef. Qui eſt-ce qui enuiera à noſtre France ſon repos, & au Roy le triomphe plus auguſte, & plus magnifique, que toutes les victoires & cõqueſtes de ſes predeceſſeurs Roys ? Eſtant la gloire trop plus excellente (ainſi que Ceſar diſoit de Ciceron) d’auoir planté plus loing les bornes du nom & de la vertu que de l’Empire & domination Françoiſe ? C’eſt à ſçauoir, par la ſinguliere recommendation de prudence, de benignité, & de charité pluſque paternelle, que le Roy acquerra, ſe couronnant de ceſte rare louenge, d’auoir eſteint vn ſi grand brandon de ſedition en ſon Royaume, dõt couſtumierement les autres grands Eſtats ſont embraſés & aneantis. Finiſſant donc ceſte tant triſte guerre, reluira vne treſioyeuſe, treshonnorable, & tresheureuſe paix, qu’à bon droit i’appeleray vne precieuſe & ſacree conqueſte, laquelle rendra ſa Maieſté redoutable à toute l’Europe : qui a ſceu la grandeur des deux puiſſances, que le Roy remettra vnies ſoubs ſa main. Et (comme le peuple Romain diſoit ſa ville heureuſe, inuincible & eternelle par la concorde des Eſtats) ainſi dirõs-nous d’vn accord que par cette paix, le Roy & ſa France ſerõt heureux, inuincibles & hõnorés d’eternelles louãges.

Voire : mais les meſmes Chefs & les meſmes membres demoureront debout, en ſorte qu’il ſemble que ce ſera nourrir vn ſerpent en ſon ſein & ſortifier vn ennemy dedans ſes entrailles. Le torrent qui n’a point de ſource, eſt tãtoſt aſſeché, en deſtournant de ſon canal le cours des eaues. Les Chefs que tant on redoute, n’ont point ou peu de ſource : & les ruiſſeaux, qui les enflent, ſont aiſés à diuertir, pource que ce n’eſt pas leur droit & naturel cours : ains eſt par vn accident eſtrange, qu’ils ont incliné à ce parti, c’eſt à ſçauoir, pour ſe conſeruer de violence & d’oppreſsion. Ceſſant doncques cette crainte, il n’y a doute, qu’ils n’ayment trop mieux (puis qu’on ne les figure pource inſenſés) dependre de leur Roy, eſtre en ſa bonne grace, & le ſeruir, que nul autre, tant pour l’obligation & deuoir naturel, que pour y voir plus de ſeurté incomparablement, & plus de moyen de ſe maintenir, & auancer. Et ſi depuis l’an 62. on les euſt dextrement maniés, la France ſeroit heureuſe : mais ceux qui les ont reboutés, torriqués, & harcelés par mille & mille iniuſtices, violences, menaces, malignités, & calamités en cuidant affoiblir leurs ennemis, les ont fortifiés & fait entrer en extréme deffiance, pourparlers, traictés, pratiques, & ligues, & finalement en hautes & ardues entrepriſes auſquelles pour riẽ ils n’euſſent oſé penſer. Ainſi comme les eſtançons mis contre la paroy ruineuſe & panchante, en luy reſiſtant, la ſoutiennent & ſortifient, ainſi ont ils fait par leurs aueugles efforts & diſcours. Ils deuoyent pluſtoſt leur ſouſtraire, peu à peu, les eſtayes de leur puiſſance, & apprendre de la nature, qu’il eſt plus aiſé de pleyer que de rompre. Mais au lieu d’eſteindre doucement le braſier, ils ont ſi aſprement ſoufflé, que la flamme eſt preſte à les conſumer, & deſia en a deuoré quelques vns. Ce ſont donc les premiers & grans autheurs des troubles par leur imprudence, pour ne dire pis. Ie parle des Cours & d’autres qui les ont durement traités, & qui par leur rigueur & aſpreté plus qu’hoſtile, les ont tenus heriſſonnés, & touſiours au guet, comme ſoupçonnans, & attendans à toutes heures l’iniure & l’outrage, & ſentans touſiours l’ennemy, la terreur & l’hoſtilité à leur coſté. Y a-il eſprit ſi benin & ſi repoſé, qui n’en fuſt à la longue afarouché ? De quoy ſert le nõ de Paix publique ſi chaſcun en ſon particulier, ſent l’aigreur de la guerre ? comme diſoit Virginius Romain. Que pourroit pis faire l’ennemy, que ceux-cy, qui ſe nomment protecteurs ? Qu’eſt-ce d’autre coſté que ceux qu’ils ont ainſi traités, pouuoyent craindre, de plus amer ? Certainement il leur a ſemblé, que ce, qu’ils pouuoyent plus craindre (c’eſt à ſçauoir la mort ou le banniſſement) eſtoit moins dur & plus tolerable, que ce qu’ils ſouffroyent, & ont éprouué. Dont nous deurions paſmer de honte, en ce que la guerre leur ait eſté moins pernicieuſe que la Paix, noſtre inimitié moins dommageable, que noſtre amitié, nos lances que noz langues, ne que les coups rués, à l’impourueu ſous couleur de iuſtice, & d’autorité publique. Ie ſçay bien que cecy ſera trouué aſpre, & q̃ ie pourroye parler plus doucement, mais la neceſsité arrache, maugré moy, ces paroles de mon cœur, & me fait preferer la rude verité, à la douce flaterie. Car c’eſt piper & trahir, de celer ou deſguiſer la verité, quãd il eſt queſtion de la Republique. L’experience maiſtreſſe des fols, nous auoit deſia donné vn clair enſeignement, de nous porter doucement enuers eux : mais nous l’auons pris à contrepoil, aimans myeux le peril & la calamité pour maiſtres, que le diſcours & la raiſon. Le vray moyen donc de les raquoiſer & rompre leurs intelligences, eſt de leur oſter la neceſſité, d’y entendre & y entrer plus auãt, les traitant, non pas durement comme ennemis, mais benignement comme enfans, ſugets iuſtitiables, membres de la Republique, & comme partie du corps, dont le Roy eſt le chef. Car en examinant les choſes de près, on trouuera, qu’ils ont eſté cy deuant traités en rebelles. Ce qui leur a faict chercher tous moyens & remuer toutes pierres pour ſe conſeruer. Et ie ne ſçay s’il y a homme ſi parfait, qui, ſe voyant reduit à la derniere anchre, & voyant quelque moyen de ſe preſeruer, ne l’embraçaſt viuement : eſtant la defenſe & la conſeruation de ſoy vne loy inuiolable de nature, plus forte que toutes autres loix. C’eſt ce qui leur a mis les armes au poing, & qui a engendré ces tant horribles deſgats & deformités. Car les menees, qu’on batiſſoit contre eux de toutes pars, eſtoyent ſi peu ſecretement conduites, la defaueur tant euidente, le deſdaing ſi apparent, les menaces de la rompure de l’Edict de pacification, de la publication du Concile, & autres ſemblables, tant ouuertes, & l’iniuſtice tant manifeſte, qu’ils euſſent eſté par trop lourds & ſtupides, s’ils n’en euſſent eſté à bon eſcient touchés & eſmeuz : & euſſent bien merité le traitement qu’on leur appreſtoit, s’ils n’euſſent de tout leur pouuoir & entendement euité le reſte. Les beſtes brutes ſentent venir l’orage, & alors cherchent des cachettes. Ne trouuons doncques pas eſtrange, ſi les hommes les preuoyent, & ſe muniſſent à l’encontre. Noz menaces ont eſté les meſſagers de nos complots, ainſi que l’eſclair eſt du tonnerre : nous leur auons fait voir & toucher nos appreſts. Ceſſons donq de nous esbahir, s’ils ont eu le pied en l’air, & l’œil en campagne. Ie ne vueil pourtant les excuſer du tout : mais il n’y a homme de bon ſens, qui ne les iuge pluſtoſt dignes de pitié que de peine. Quand ils ne verront plus rien, qui les doiuent faire craindre, ne doutons point que ſoudain ils ne s’allentiſſent, & qu’ils ne ſe tournent & appliquent du tout à leurs affaires domeſtiques : deſquelles (attendu le naturel de cette nation) il eſt force de confeſſer, qu’ils ont eſté deſtournés par vne treſ-urgente, & treſ-uiolente neceſsité, & qu’ils ſe ſont veus aſsiegés de perils & de maux, puiſque ce ſentiment a vaincu le naturel. C’eſt le vray remede à cette maladie qui s’egrit & enflamme par les communs remedes des autres, & (ainſi que diſoit Camille) elle doit eſtre à bon droict cõparee à vn debord & rauine d’eaue. Il la fault doulcement laiſſer écouler, ſans s’oppoſer à l’encontre. Il y a en chaſcun païs certains eſprits turbulents, qui ſont les inſtrumens de ſeditions & nouuelles émeutes. Leſquels peu à peu il faudroit eſcarter & éloingner des lieux où ils ont leur congnoiſſance & pratique. Aux autres ne faut monſtrer aucun ſigne, ny faire demonſtration quelconque, de deffiance. Car ce n’eſt autre choſe qu’allumer & nourrir vne contraire deffiance, en leurs cœurs, & les faire ennemis maugré qu’ils en ayent. Celuy eſt noſtre ennemy, que nous tenons pour noſtre ennemy. Cela eſt ſi naturel que meſmes les ſerfs, & les eſclaues ſe peruertiſſent, & coniurent contre leurs maiſtres, s’ils apparçoyuent en eux quelque deffiance de leur fidelité. Surtout il eſt neceſſaire de faire rigoureuſe punition, ſans diſtinction de perſonne, des tranſgreſſeurs des Edicts : & ne les rendre plus contemptibles, à faute d’exiger ſeuerement l’obſeruation d’iceulx.

Ainſi ſera la paix heureuſement entretenuë : la procuration & conſeruation de laquelle, eſt le propre office & deuoir du Roy. À ce but tend l’eſtabliſſement des eſtats, & des ſeigneuries : c’eſt à ſçauoir à la tuition de la paix, dont la douceur & le deſir a donné commencemẽt aux Roys, & aux loix, & a fait recongnoiſtre le plusfort du plusfoible, & aſſugetir volontairement les hommes les vns aux autres. Et partant le vray & naturel office du Roy eſt (comme gardeur & tuteur de paix) la maintenir inuiolable, quand Dieu la luy aura donnee, & punir aſprement les contempteurs de ſes loix. Le Roy Numa Pompilius, maugré tant de ſiecles eſt encor au-iourd’hui en honneur, pour auoir auſsi ſoingneuſemẽt entretenu la paix, que ſon Eſtat & ſa vie. Telle charge eſt digne du nom & du ſceptre François. Le Prince qui abhorrit la paix, & qui tend à effuſion de ſang, & meſmes de celuy de ſes ſugets & membres, quite le nom & l’effect de Prince, pour vn autre, tant abominable que ie ne le puis exprimer moins aigrement, & de nom plus leger, que d’ennemy du genre humain & de la nature. L’affection du Prince a eſté de tout temps comparee à la paternelle. Le pere cruel enuers ſes enfans eſt vn monſtre de nature, execrable, s’efforçant de dépiter le vray & commun Pere des hommes & de la nature. Arrière donc ces peſtes, qui d’vn cœur hoſtile & ſanguinaire taſchent à corrompre (ce que Dieu détourne) la naïue & naturelle bonté, clemence & benignité de noſtre Prince, de la Royne ſa mère, & de Meſsieurs ſes freres : & qui les veulent faire degenerer de l’ancienne, celeſte, & plus diuine, qu’humaine, debonnereté de leurs maieurs Roys de France, enuers leurs ſugets, qui a eſté le nerf, & le lien, qui ſi longuement a maintenu cette couronne, & par qui elle a eſté touſiours reueree & ſeruie d’vn cœur franc, & d’vne loyauté Françoiſe, & non par tyrannie, par effuſion, & par cruauté. Telles gens ſont de mauuais augure à cette couronne, & ſemblent vouloir auancer le deſtin d’icelle, c’eſt à dire le iugement de Dieu, qui humilie ſouuent les choſes éleuees, & aneantit ſouuent les plus grandes & plus fermes, liant les eſprits & abrutiſſant les entendemens & les diſcours des plus ſages. Que le Roy vſe de clemence, & il éprouuera celle de Dieu. Que le Roy ne tienne point ſon cœur, & Dieu lui ouurira le ſien. Que le Roy donne à la Republique ſon offenſe & ſon déplaiſir, & tantoſt elle recongnoiſtra auec vſure ce bien-faict, & luy fera hommage de ſon repos & felicité. Que le Roy oublie & quite tout mal-talent enuers ſes ſugets, & ils ſe quiteront & oublieront eux-meſmes pour l’honnorer & ſeruir de tout leur pouuoir.

FIN.